Joyeuse fin du monde - Daniel Camard - E-Book

Joyeuse fin du monde E-Book

Daniel Camard

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Beschreibung

George, un père de famille honorable, décide de retrancher toute sa famille dans un bunker aménagé sous le jardin de sa villa. D’après ce dernier, la fin du monde est prévue pour ce soir. Les membres de sa famille sont sceptiques et ne prennent pas au sérieux cette prophétie farfelue. Ils pensent expérimenter agréablement la nuit qui s’annonce.Pour tromper l’ennui, ils vont décider de jouer au Jeu de la Vérité. Petit à petit, les langues vont se délier, les convives vont se confier plus que de raison révélant des secrets de plus en plus inavouables, jusqu’à la goutte d’eau qui va faire déborder le vase. Paul avoue involontairement à son frère, George, qu’il utilise l’argent que ce dernier lui a prêté pour jouer au Casino ! Son frère qui prend très mal cette annonce veut en savoir plus, mais Paul préfère esquiver le dialogue… Humour burlesque, satire familiale et science-fiction sont en rendez-vous dans ce huis clos original et captivant où de nombreux imprévus et rebondissements en tous genres vont surgir tout au long de cette nuit mémorable.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

 

 

 

Joyeuse fin du monde !

 

 

de Daniel Camard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le temps d’un roman

Editeur

Collection «Roman»

 

 

I

 

La fin du monde

 

 

Dans une pièce éclairée au néon, un homme manipule un poste de radio. Il est assis face à un petit bureau adossé au mur. Tournant doucement un bouton, il écoute attentivement les informations émises par différentes stations. Ses yeux de presbyte, à travers ses lunettes grossissantes à monture noire, cherchent la bonne fréquence. Il caresse de temps en temps, du bout des doigts, ses fines moustaches comme pour s’aider à se concentrer. Ses cheveux noirs gominés séparés par une raie sur le côté, ses vêtements élégants - chemise bleu ciel, pantalon à pinces noir et chaussures marron -, ainsi que sa minceur et sa tenue altière contrastent avec l’apparence négligée de son voisin.

 

Ce dernier, assis à une grande table placée au centre de la pièce, porte un pull bordeaux quicache mal son léger embonpoint, et un pantalon de velours marron ; ses cheveux châtains coiffés en arrière sont hirsutes et sur ses joues apparait une barbe de plusieurs jours. Il regarde l’opérateur radio d’un air dubitatif, les jambes croisées. Sa main droite tapote machinalement sur la table en bois, tandis que la gauche soutient sa tête.

 

L’homme à la radio réussit finalement à capter une station intéressante. Il augmente le son :

(Musique de générique)

« Flash info’ : L’astéroïde 2080 BMX 85 continue actuellement sa course vers la Terre. D’après les calculs scientifiques de diverses agences spatiales à travers le monde, elle passera à plusieurs milliers de kilomètres de l’orbite de notre planète dans un peu moins de six heures, puis poursuivra sa route à travers l’espace. Il n’y a donc aucun risque pour qu’elle pénètre dans notre atmosphère et entre en collision avec notre planète.

 

Toutes les personnes interrogées dans la rue par nos reporters, cet après-midi, sont confiantes. Ce n’est toutefois pas le cas des « survivalistes » qui sont toujours persuadés que la fin du monde est proche. Ces derniers ont déjà construit des bunkers ou autres abris souterrains dans lesquels ils ont stocké quantités de vivres et de matériels de première nécessité, en attendant le jour J. Cet astéroïde est une occasion supplémentaire de s’y préparer.

 

Le gouvernement, quant à lui, fait confiance aux scientifiques.

 

Nous vous tiendrons informés, tout au long de la soirée, de l’évolution des événements. »

 

(Musique de générique)

 

 

- Tu crois vraiment à la fin du monde ? demande l’homme au pull rouge.

- Oui, dit l’autre, en faisant pivoter son siège pour faire face à son interlocuteur.

- T’as entendu les infos. Il n’y a pas à s’inquiéter !

- Je n’en suis pas certain.

- Tu t’affoles pour rien.

- Peut-être, mais je suis prévoyant. D’ailleurs, je ne suis pas le seul. 

 

L’homme à la coiffure hirsute zyeute les lieux :

  - En tout cas, c’est un charmant bunker que tu nous as construit là…

- N’est-ce pas ? Et tu me remercieras demain, Paul.  

 

Paul sourit nerveusement :

- Oh, certainement… Euh, ceci dit, j ‘ai la vague impression que tu ne m’as pas tout dit… Allez George, j’te connais !

 

L’homme à l’apparence respectable, se lève et fait quelques pas. Il ôte ses lunettes et les range soigneusement dans une poche de sa chemise. Il s’arrête et prend un air sérieux en s’adressant à son voisin : 

- Le monde va mal, tu le vois bien. Ce n’est pas près de s’arranger. Regarde toutes ces guerres, ces virus, ce changement climatique, ces catastrophes naturelles… Les gens sont devenus fous !

 

Paul fait tourner un stylo entre ses doigts. D’un ton débonnaire, il répond :

Oh, détends-toi, ça va aller ! Je suis sûr qu’il ne va rien se passer. Je ne sais pas combien de fois on nous a annoncés la fin du monde… 

 

George le considère un instant. 

 

- Je vais te dire pourquoi je crois que cette fois-ci est vraiment la bonne.

Euh… À propos, tu n’es pas croyant, n’est-ce pas ?

- Non. Du tout.

- Moi, si. Tu le sais. Et c’est justement ma foi qui m’a dicté de faire construire cet abri.

- Ta foi ? relève Paul en souriant.

- Oui, c’est très sérieux.

- Ah oui ? Et comment ça s’est passé ? Un ange est descendu du Ciel pour te murmurer à l’oreille ?

- En fait… J’ai eu une révélation.

- Une révélation, vraiment ? Raconte !

- Eh bien… C’était en juilletde l’année dernière. J’étais avec ma femme en train d’assister à la messe. Lors d’un chant à la louange de notre Seigneur, je me suis assoupi. J’ai fait un rêve. Mais pas n’importe lequel… Un rêve, vois-tu, qui paraissait prémonitoire… Oui, prémonitoire. J’y ai vu la fin du monde ! Et tout a commencé par la chute d’un astéroïde…

- Sans blague ! fait Paul.

- J’étais très intrigué. En rentrant à la villa, j’ai fait quelques recherches sur internet. J’ai appris, qu’en effet, un astéroïde se dirigeait vers la Terre et qu’il serait à sa portée le 4 févrierde cette année… Aujourd’hui même, en fait ! Cette information m’a surpris et m’a fait réfléchir. C’était quand même une sacrée coïncidence ! J’ai eu alorsune révélation…  Si j’ai fait ce rêve pendant la messe, ce n’était pas un hasard, j’en suis certain, car rien n’est pure coïncidence avec notre Seigneur. Cela devait être vrai ! La fin du monde était clairement annoncée ! Il ne restait donc plus que six mois avant que l’astéroïde ne rentre en collision avec la Terre, c’est pourquoi j’ai décidé de faire construire cet abri sous-terrain pour y mettre toute la famille en sécurité.

- Quelle histoire ! T’as l’air très sûr de toi.

- Toutes les conditions sont réunies, non ? Le monde va mal, il est en perdition, et l’argent dicte sa loi en détruisant les corps et les âmes. Là-haut, on décide d’envoyer un astéroïde pour tout éradiquer. Contrairement aux prédictions des scientifiques, l’astéroïde ne se contentera pas seulement de passer à distance de la Terre, mais entrera bel et bien en contact avec elle ! Boum !   

 

Paul est interloqué. George continue :

  - … Alors l’espèce humaine disparaîtra, sauf quelques survivants protégés dans des abris, comme nous, qui en réchapperont. On repeuplera la Terre, et une nouvelle ère de paix, de prospérité, et de fraternité commencera !

- Oh là, là !... C’est beau ce que tu dis, on dirait un scénario Hollywoodien ! Mais tu vas quand même chercher loin, là…

- C’est un scénario qui vadevenir réalité.

- Ça me fait penser à la fin des dinosaures…

- En effet, c’est quasiment la même rengaine, des millions d’années plus tard. 

Paul, dépassé par tous ces récits, préfère en rire :

- Ah, vivement que la fin du monde se termine alors, pour que je retrouve mon petit garage, avec mes outils, mes voitures à réparer, et mes chers clients à facturer !

- Tu ne prends pas au sérieux ce que je te raconte… dit George, vexé.

- Excuse-moi, mais je ne crois pas du tout à toutes ces prédictions. Tout ça m’amuse, en fait !

- Ça t’amusera moins demain, rétorque George, irrité. 

 

Paul essaye de détendre l’ambiance :

- Je sais, oui… Tiens, on fait un pari ? Si je perds, je te paye un verre !

- Non merci, tu sais que je ne bois pas.

- Tu pourrais faire une petite exception, pour la fin du monde.

- Non Paul, pas d’alcool. 

- Bon… ! Je n’insiste pas. 

 

Paul passe une main dans ses cheveux en bataille, l’air un peu gêné.

 

- Euh… Je voulais te remercier de nous avoir invités ce soir dans ton bunker, mon fils et moi. C’est très gentil.

- C’est normal, assure George.

- Ça tombe bien. On ne savait pas où partir ce week-end, et puis on était un peu à court d’argent...

- Oui, ce sera un sacré dépaysement, un séjour dans un bunker, n’est-ce pas ? fit George, narquois. À propos, où est ton fils ?

- Oh, il ne va pas tarder… Et ta femme et ta fille ?

- Elles sont en route aussi.

- Qui va aller chercher maman ?

- Je vais m’en occuper.

- N’oublie pas, grand frère, sinon elle sera furax !

- Ne t’inquiète pas. 

 

Soudain, on sonne à l’entrée du bunker.

 

- Ah… Voilà, j’arrive ! crie George. 

 

 

II

 

Le bunker

 

 

Quand George ouvre la porte d’entrée blindée qui donne sur palier, il découvre sa femme et sa fille. Ravi de les accueillir, il les laisse aussitôt entrer.

 

- Mesdames, bienvenue dans mon modeste bunker ! déclare-t-il, après quelques brèves embrassades.

 

Chacune tire derrière elle, une grosse valise. Jeanne, son épouse, dont le sourire presque constant lui donne un air affable, est vêtue d’une robe pourpre à impression mosaïque. Cette mère de famille, charmante blonde au corps svelte, à la poitrine menue et ferme, aux hanches bien dessinées, s’est fardée pour l’occasion d’un fond de teint ocré et d’un gloss pour les lèvres.

 

Quant à sa fille, Judith, sa tenue vestimentaire est typique de celled’une adolescente.  Elle porte un gros pull rose clair, et un jean sur lequel sont brodés de petits dessins fantaisistes. Cette jeune fille sérieuse aux cheveux blond cendrédétachés, aux lunettes rondes, semble avoir hérité de son paternel, ses manières distinguées et son port de tête altier.

 

Elles ont toutes les deux un sac en bandoulière. Celui de la mère, petit, chic, en cuir, pourrait ressembler à un porte-monnaie, tandis que celui de la fille, plus grand et large, en lin, ferait penser à un cabas pour faire les courses. Elles les déposent dans un coin de la pièce, puis saluent Paul.

 

Ce dernier incline poliment son buste:

- Mesdames… 

 

Ne voyant pas le fils de Paul, Jeanne s’enquiert :

- Jordan n’est pas là ?

- Non. Il doit surement trainer en chemin, comme d’habitude… Tu sais comment il est. 

 

La femme regarde autour d’elle, curieuse :

- Voici ton fameux bunker, mon chéri. Il y a des mois que tu m’en parles… Il est enfin terminé ! J’avais hâte de le voir.

- Qu’en penses-tu ? questionne impatiemment George.

- Je l’imaginais plus grand.

- Il est petit, mais bien équipé.

- Je le trouve vraiment austère, ajoute sa fille en faisant une légère moue.

- Oui, mais efficace ! 

 

Paul ajoute en levant l’index de sa main droite :

- Équipé et efficace ! Que demander de plus pour nous sauver de cette nuit mémorable... N’est-ce pas mesdames ?

- J’espère sincèrement que cet abri nous protégera, annonce l’épouse de George, sans se départir de son sourire.

- Ne me dites pas que vous croyez à la fin du monde ?

- Personnellement, non. Mais mieux vaut être prudent. 

 

Sa fille acquiesce.

 

- Eh bien, j’ai cru un moment que vous aviez eu une révélation, vous aussi !... dit Paul en riant.

- Une révélation ?

- George vous en parlera mieux que moi…

 

Du regard, la femme interroge son mariqui hausse les épaules. 

 

La fille de George, intriguée par le minimalisme ambiant, le questionne :

- Ça ne doit pas être facile de vivre tout le temps dans un bunker, papa ? 

 

Ce dernier la rassure :

  - C’est vrai, Judith. Mais ne t’inquiète pas, vous ne manquerez de rien. Même si on doit y rester des mois… 

 

Paul commence à s’impatienter.

 

- Une seule nuit me suffira largement, lance-t-il d’un air goguenard.Bon, tu nous fais visiter ?

- On devrait attendre Jordan, répond George.

- Commençons sans lui ! Il n’avait qu’à être là.

 

Avant que George ne puisse montrer quoi que ce soit, une sonnerie retentit.

 

- Quand on parle du loup... soupire Paul. 

 

***

 

George s’éloigne pour ouvrir. Jordan apparait sur le seuil de la porte.

 

L’adolescent salue son oncle sans grande considération, puis, sans plus attendre, rejoint les autres. Lunettes de soleil sur le nez, sac de sport sur l’épaule, la démarche décontractée, il fait une entrée de vedette !

 

- Salut les amis ! Ça roule ? lance-t-il aux invités déjà présents.

 

D’apparence négligée, il n’en est pas moins à la mode. Il porte fièrement des jeans délavés noirs troués au niveau des genoux, des baskets sales, et un sweat gris à capuche. À l’instar de son père, il porte une barbe de quelques jours, sans poil blanc, et a un début de bedaine. Ses cheveux, plus disciplinés que ceux de son géniteur, sont coupés en brosse.

 

Pour justifier son retard, il explique à qui veut bien l’entendre, que cela est dû au fait qu’il a rencontré en route un copain qui lui a proposé un super « business », et qu’en bon opportuniste qu’il est, il n’a pu résister.

 

Son père, très complice avec son rejeton, ne manque pas de le féliciter pour son sens légendaire des affaires !

 

Lorsque Jordan veut saluer sa cousine, celle-ci se braque. Elle se contente de lui répondre vaguement, préférant détourner le regard.

 

Les deux adolescents qui ont presque le même âge, se différencient par leurs personnalités et leurs caractères totalement opposés. Tandis que le garçon, rebelle et nonchalant, a grandi dans un milieu où les magouilles font la loi, la fille a baigné dans les études et la culture ; alors que lui privilégie l’oisiveté et l’argent facile, elle, se passionne pour la littérature et les arts, ne rechignant pas à travailler ; cependant que le jeune homme – bien qu’il ne soit pas foncièrement méchant- est malin, la demoiselle fait preuve d’intelligence.

 

Par conséquent, à chaque fois qu’ils doivent se retrouver, par exemple, lors d’une réunion familiale, elle l’évite, le jugeant idiot, immature et ennuyeux. Le garçon ne semble pas en être affecté. Il prend même plaisir à accentuer les traits de son personnage d’adolescent attardé pour embêter ou taquiner sa cousine.

 

Jordan, qui a ôté ses lunettes de soleil pour mieux découvrir les lieux, interpelle son oncle :

- Sympa ton p’tit bunker, tonton ! C’est comme une cave, mais en mieux ! Alors, c’est le grand soir, tu crois que ça va péter ?

- Oui, je le crois, répond fermement George. 

 

Paul, curieux, interroge son fils :

- Et toi fiston, t’y crois ?

- J’m’en fiche. J’suis prêt à croire c’que tu veux, du moment qu’on passe une bonne soirée !

- Ça c’est bien envoyé, fils ! dit Paul en ricanant. 

 

Le père et le fils se tapent dans la main.

 

Jordan jette son sac à côté des autres valises.

 

***

 

- Bon, maintenant que tout le monde est arrivé, je vais pouvoir commencer, déclare George. Vous êtes ici dans la pièce principale, ou le salon, si vous préférez… 

 

Au centre de la salle en question, sont disposées une grande table rectangulaire et des chaises. Un ordinateur portable et un poste de radio – celui-là même que vient d’utiliser George – sont posés sur un petit bureau acculé au mur. À l’autre bout de la salle, délimité derrière une grosse plante et une lampe halogène, est aménagé un petit espace détente, avec une bibliothèque, un canapé et une table basse. À cet endroit, un tapis vert recouvre le sol, et une affiche obsolète indiquant « Salon du livre » est accrochée.

 

Judith, ravie de la présence d’une bibliothèque, interrompt son père :

- Oh, génial ! 

 

Elle s’en approche gaiement.

 

- Ça me plait beaucoup ! 

 

Sans se préoccuper des autres, elle s’assied sur le canapé, et consulte les rangées de livres. Romans, documentaires, encyclopédies, dictionnaires… Le choix est vaste ! Judith prend au hasard un roman épais et le feuillette.

 

Son père joue les modestes :

- Oh, ce n’est qu’une petite bibliothèque, ma chérie. 

 

Jordan s’approche à son tour et jette un œil sur les rangées de livres. Il en prend un, épais lui aussi, puis le regarde avec consternation :

  - Comment est-ce qu’on peut lire un pavé pareil ?! Déjà, quand je lis la notice de mon téléphone portable, ça me fait mal à la tête !...

- On n’a pas le même intellect, très cher, répond ironiquement Judith.

- Ha ! Ha ! Ha ! Scande Jordan, en haussant les épaules. 

 

Le propriétaire des lieux continue la visite : Judith range son livre dans la bibliothèque ; Jordan laisse traîner le sien sur la table basse.

 

***

 

- Ici, reprend George, vous avez la cuisine. 

 

Il ouvre une porte située à proximité de l’espace détente.

 

- Elle est petite, dit Jeanne.

- Ce n’est pas une cuisine équipée. Dans un bunker, on ne garde que l’essentiel ! 

 

Son épouse remarque également une porte, au fond de la cuisine. George précise qu’elle donne sur un cagibi où sont emmagasinés les vivres.

 

Son neveu, grand amateur de nourritures caloriques, l’interpelle alors :

  - Y’a des pizzas, au moins ? … Et des frites ?

- Bien sûr, en surgelés. 

 

George referme la porte de la cuisine, et emmène le groupe vers le poste de radio.

 

  - Vous avez là, un ordinateur et une radio, pour garder le contact avec le monde extérieur. 

 

Puis, pointant du doigt un gros boîtier fixé à proximité, George ajoute :

  - Ce boîtier permet de filtrer l’air dans le bunker et de le renouveler. 

 

Paul fait semblant d’être impressionné.

 

George désigne ensuite un meuble en tôle, placé non loin de la porte d’entrée :

 

- Nous avons ici, l’armoire des premiers secours.  

 

George sort aussitôt une clé de sa poche et l’introduit dans la serrure. Les deux portes coulissantes tirées sur le côté, les visiteurs peuvent avoir un aperçu du contenu du meuble. Soigneusement rangés sur les étagères, il y a des objets divers et insolites : outre la trousse des premiers secours, ils découvrent des objets de survie, comme des lampes torches, des bougies, une lanterne électrique, des allumettes, des piles, des talkies walkies, des jumelles, des cordelettes, des ficelles, une boussole, des masques chirurgicaux, des masques à gaz, etc. Des combinaisons en plastique pointent discrètement leurs bouts.

 

Intrigué par ces derniers objets, Paul demande des précisions :

- À quoi ça sert, ces costumes ?

- Ce sont des combinaisons « NRBC », ce qui signifie : Nucléaire, Radiologique, Biologique et Chimique. Ces costumes, comme tu dis, peuvent nous protéger contre ces attaques. 

 

Paul fait à nouveau semblant d’être impressionné.

 

Judith, qui a repéré une combinaison rose dans la pile, s’extasie :

  - Oh, il y a même une combinaison rose ! Celle-ci est pour moi ! 

 

Ce qui ne manque pas de déclencher les moqueries de son cousin.

 

  - ‘ T’inquiète pas, on va pas te la piquer ta combinaison rose. Y’a que toi pour porter un truc pareil ! 

 

Il ricane en singeant sa cousine : 

« Oh, ‘y ’a même une combinaison rose ! ... »

- Ha ! Ha ! Ha ! Très drôle ! Scande à son tour Judith, en faisant la grimace. 

 

***

 

En scrutant l’intérieur de l’armoire, Jordan remarque un petit flacon transparent contenant des pastilles blanches.

 

- C’est quoi ça tonton, des bonbons ? demande-t-il.

- Non, ce sont des comprimés d’iode. De l’iodure de potassium, précisément.

- Ça sert à quoi ? 

 

Judith intervient, comme si elle devait répondre à une question posée par un professeur d’école :

- Moi, je sais ! C’est en cas de fuite radioactive. Si un accident survient dans

une centrale nucléaire et qu’il y a des fuites, on donne alors ces comprimés aux riverains. Ça permet de protéger leur thyroïde contre l’iode radioactive dégagée dans l’air et de diminuer ainsi les risques de cancer.

- Bien répondu Judith, bravo ! la félicite son père.

- C’est bien ma chérie ! renchérit sa mère. 

 

Jordan, jaloux, marmonne entre ses dents :

- La fayotte ! 

 

Ce qui fait sourire son père :

- Là, elle a marqué un point, fils… 

 

***

 

George referme énergiquement l’armoire en provoquant un bruit de ferraille, et range la clé dans sa poche.

 

- Pour finir, je vais vous montrer les chambres. Prenez vos affaires. 

Il fait entrer ses invités dans un couloir aménagé entre la bibliothèque et le poste de radio. Celui-ci, après une franche bifurcation à droite, mène vers quatre portes. La chambre de Paul et de Jordan fait face à celle de Judith et de la mère des deux frères. Tandis que la chambredu couple termine le couloir. Une porte, un peu en amont, donne accès à une salle d’eau.  

 

- Les chambres ne sont pas des « trois étoiles », mais elles sont correctes, reprend George. Déposez vos affaires,puis rejoignez-moi dans la salle de séjour, j’ai quelque chose à vous montrer qui pourrait nous être très utile… 

 

Sur ces mots énigmatiques, il disparait dans sa chambre en compagnie de Jeanne. Quelques instants plus tard, cette dernière quitte cette même chambre pour aller rejoindre sa fille.

 

- Qu’est-ce qu’il va nous montrer, cette fois-ci ? s’interroge Paul. Mon frère est plein de surprises !  

 

Les chambres des invités ainsi que celle du couple sont minimalistes : un lit double, une table de chevet, une table de travail et un placard sont les seuls meubles à disposition. Un tableau représentant un paysage bucolique orne le mur de la chambre des hommes ; un décor de mer agrémente celui des femmes ; et une reproduction d’une toile de grand maître, décore celui du couple.

 

Pendant que Paul et son fils rangent leurs vêtements dans le placard, ces dames se refont une beauté. Jordan vient d’ôter son sweat à capuche et déambule maintenant dans un t-shirt gris troué. Sa cousine, qui commence à avoir un peu chaud dans son pull, le retire : elle apparaît en chemisier bleu clair. Bientôt, ils se rejoignent tous dans le salon, où George - qui a depuis un petit moment déjà, quitté sa chambre - les attend.

 

***

 

Le propriétaire des lieux se tient debout, face à la grande table, sur laquelle il a déposé une petite mallette.

 

- Qu’est-ce que c’est ? demande Paul.

- Vous allez voir… 

 

Il ouvre.

 

Surprise, étonnement et crainte se lisent sur les visages des invités.

- Eh ben !... s’exclame Paul.

- Waouh !... Respect tonton ! reprend son neveu.

- Oh, je n’aime pas ça du tout… dit Judith en faisant de nouveau la moue.

- Tu es sûr que ce n’est pas dangereux, mon chéri ?... le questionne Jeanne. 

 

George retire l’objet de la mallette : un pistolet !

 

- Non, ne t’inquiète pas Jeanne, la rassure-t-il. Et puis, il n’est pas chargé. Les balles sont rangées ici. 

 

Il montre du doigt une petite boîte de munitions insérée dans un renfoncement de la mallette.

 

- C’est un neuf millimètres ! précise-t-il.

- Où l’as-tueu ? se renseigne Paul.

- Je l’ai acheté d’occasion sur Internet, à un bon prix. 

 

Jordan, fasciné :

- Il est mortel ! J’peux le prendre ? 

 

George hésite :

- Euh ... Tiens. Mais fais attention, d’accord ?...

- ‘ T’inquiète’. 

 

Jordan prend le pistolet, le regarde, le retourne dans tous les sens avec curiosité.

 

- Il est d’enfer ! 

 

Puis d’une main, en le soupesant :

- Il est pas léger…

- Normal, hé !... C’est un vrai, fait remarquer son père.

- Avec un « flingue » comme ça, j’me fais respecter direct dans le quartier, c’est clair ! Y’a personne qui bronche ! 

 

Il prend une pause de gangster, le pistolet à bout de bras, tenu à l’horizontal, visant une personne imaginaire :

- Qu’est-ce t’as mec, t’as un blême ?! 

 

George, agacé par l’attitude puérile de son neveu, lui arrache brutalement l’arme de la main :

- Bon ça suffit, on a compris…

- Hé, mais… se plaint l’adolescent.

- Ce n’est pas un jouet, Jordan ! 

 

Il range l’arme dans la mallette. Cette brusque réaction d’irritabilité fait sourire sa fille.

 

Paul se moque gentiment :

  - Laisse tomber, fils, je t’en achèterai un pour ton anniversaire. 

- Pff !... lâche Jordan, indifférent.

 

Depuis l’apparition de l’arme, Jeanne paraît anxieuse :

  - Tu sais l’utiliser au moins ?...

- Je n’ai pas suivi de séance de tir. Je sais juste le charger et appuyer sur la détente. C’est le principal, je crois. Après, il faut savoir un peu viser… Ça ne doit pas être très dur. 

Il referme la mallette.

 

- Ça ne me rassure guère… poursuit Jeanne.

- Ne t’en fais pas, ma chérie. Avec la nuit qui nous attend et les jours qui suivront, on n’est pas à l’abri d’un danger. C’est mieux d’être armé, crois-moi. 

 

Paul, comme à son habitude, utilise le sarcasme pour détendre l’atmosphère :

- Moi, en tout cas, je ne m’en fais pas. Avec le bunker, et le « flingue » de mon grand frère pour nous protéger, je sais que je peux dormir tranquille ! 

 

Puis, montrant du doigt les murs environnants :

- Dis-moi, combien ça t’a coûté ce truc ?

- Environ trois cent cinquante mille euros, sans compter les meubles et la nourriture.

- Trois cent cinquante mille euros ! répète Paul, étonné.

- Et encore, c’est raisonnable. J’ai pu négocier le prix. Un abri en béton armé de quatre pièces comme celui-ci, vaut beaucoup plus !

- Ah oui ? Et qui est ton heureux fournisseur ?

- La société Armageddon, spécialisée dans les abris « anti - fin du monde » et dans les équipements de survie.

- Armageddon ? Ça porte bien son nom.

- N’est-ce pas ? Elle est numéro un mondial. La boîte existe depuis vingt ans.

- Oh, ça a l’air sérieux.

- Le patron est quelqu’un de très passionné. Il est persuadé qu’un jour, une dernière catastrophe planétaire, « la der’ des der’ » comme il dit, arrivera.

- En effet, il faut être passionné… Et aussi avoir la foi, dit Paul en souriant nerveusement.

- Il est passé plusieurs fois à la maison, avant les travaux, pour faire des repérages dans le jardin.

- Oui, c’est un monsieur très discret, ajoute Jeanne. Toujours habillé en noir. Je ne me souviens plus de son nom. 

- Enzo Pietro, déclare George. Le chantier a duré presque six mois. C’était un sacré désordre dans notre jardin ! Enfin, maintenant c’est terminé.

- Je ne l’ai jamais croisé ce Pietro… pense Paul, tout haut. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’il doit s’en faire de l’oseille ! Ah, ça doit être rentable le business de la fin du monde ! 

 

George ne peut s’empêcher de sourire malgré lui.

 

Ce dernier a terminé de faire la visite de son bunker et donne quartier libre à sa famille pour une demi-heure environ. Ils se retrouveront ensuite dans le salon.

 

Tous regagnent leur chambre, à l’exception de Jeanne qui rejoint celle de sa fille. Les invités sont amusés et excités à l’idée de passer leur première nuit dans un bunker ; aucun n’envisage sérieusement une issue apocalyptique à cette nuit qui les attend. Seul, George semble inquiet.

 

 

III

 

Tuer le temps

 

 

Un quart d’heure plus tard, Paul tourne machinalement les pages d’un magazine à potins, assis confortablement sur le canapé de la bibliothèque. Ses mimiques et sa gestuelle en disent long sur ce qu’il voit :

 

« Non ! C’est elle ?! » s’exclame-t-il, incrédule, en fixant une page du magazine. « J’le crois pas !... »

 

Il regarde la photo sous différents angles, comme pour vérifier que ses yeux ne lui mentent pas. Puis, après avoir lu attentivement les titres, il se rend à l’évidence :

« Ah ben oui… C’est bien elle. Eh ben dis donc, la tête qu’elle a ! Incroyable ! »

 

Il continue de consulter le magazine en s’attardant sur d’autres pages avec un air tout aussi étonné. Il finit par le poser sur la table basse, puis en prend un autre dans une pile rangée sur une étagère.

 

Cette fois, son visage prend une expression choquée et dégoûtée à la découverte d’un article :

 

« Quoi ?... s’écrie-t-il, interloqué. ‘’ Une vieille dame a été défenestrée…