Kalis Rastell - Tome 1 - Leslie Tanguy - E-Book

Kalis Rastell - Tome 1 E-Book

Leslie Tanguy

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Beschreibung

Une orpheline voit son destin changer lorsque son père, un seigneur rebelle, réclame sa présence à ses côtés...

Kalis est une jeune orpheline qui mène une vie rude mais paisible dans une petite ferme de l’est du royaume de Galiaquilonem. Mais à la fin de l’hiver de ses seize ans, son existence se trouve bouleversée par un message que vient lui porter le trouvère Sadorn, son protecteur. Son père, le seigneur rebelle Sovaj Rastell, est en vie et la demande auprès de lui. Mais un mystérieux danger guette le farouche suzerain… La révélation de la vérité sur sa parenté entraînera la jeune fille à traverser les provinces du Nord dans l’espoir de sauver son père du péril qui le menace. Durant ce tumultueux périple qui l’entraînera bien au-delà de ce qu’elle avait imaginé, Kalis sera accompagnée d’Ermès, un ombrageux démon dont l’existence se trouve mystérieusement liée à la sienne, et de Bhiota, un enfant vagabond. De nombreux obstacles viendront se mettre en travers de leur route : des brigands sans pitié, des démons mangeurs d’Hommes, les fabuleux élémentaires et les serviteurs de Dilovran, la tyrannique reine-déesse qui tient le trône du Nord… Aventure, passion et chevalerie borneront cette histoire où la magie, parfois discrète d’autres fois flamboyante, vous accompagnera et vous marquera à jamais de son sceau indélébile.

Kalis arrivera-t-elle à sauver son père à temps ? Partez à l'aventure et découvrez le fabuleux royaume de Galiaquilonem, dans le premier tome de cette saga fantastique envoûtante !

EXTRAIT

Le démon tourna vers elle ses yeux intrigants. La jeune fille comprit que c’était là, dans ce regard magnétique, que l’on pouvait deviner qu’il n’était pas humain. Pourtant, il ressemblait tellement aux hommes. Il avait l’air d’un enfant sauvage qui prend soudain conscience de lui-même.
Soudain, il fit un pas vers elle, la faisant sursauter.
— Attends, attends ! Doucement… l’intima-t-elle en posant ses mains devant elle.
Mais Ermès continua à avancer avec plus d’assurance. Kalis attrapa d’un geste vif un morceau de bois et le pointa devant elle. Elle imprima quelques gestes dans l’air pour le faire reculer mais cela fut loin d’intimider la créature qui, une fois à son niveau, attrapa l’autre extrémité du bâton. Doucement, avec prudence, Ermès leva sa main vers le visage de Kalis.
— Je peux… te sentir.
Les doigts dorés sur sa joue blanche, tous deux s’observèrent de longues secondes. Les iris d’or faisaient écho aux yeux noirs striés de lumière. Leurs deux cœurs battaient de concert, comme s’appelant l’un l’autre. Kalis ressentit à nouveau cette attirance irrépressible mue par ce fil magique qui les reliait. Puis le démon se détourna et rompit le lien.
Ermès marchait à présent de long en large en serrant les dents. Son regard ne portait plus aucune douceur, il se fit froid, distant, presque mauvais. Il jetait de temps à autre des regards furtifs vers la jeune fille, trahissant ainsi qu’elle se trouvait au cœur de ses pensées. Cela eut le don de la préoccuper. Quelle faute avait-elle commise ? L’avait-elle offensé ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Leslie Tanguy est née en 1991 à Pontivy, au cœur de la Bretagne. Après avoir obtenu un Master de Lettres modernes, elle est devenue professeure-documentaliste, métier auquel elle porte beaucoup d’intérêt et qu’elle exerce dans sa région d’origine. À aujourd’hui vingt-sept ans, elle possède depuis de nombreuses années un intérêt marqué pour le Moyen âge, le monde celtique et les diverses légendes qui ont de tout temps inspiré les écrivains et les conteurs. Les livres et l’imaginaire l’ont accompagnée depuis son enfance de même que ce désir de faire naître par l’écriture ce qui est peu à peu devenu une mythologie intérieure. De brume et de fer est le premier roman de la série Kalis Rastell.

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Kalis Rastell

Tome 1 : De brume et de fer

A ma famille, gaillarde, généreuse et aimante. Et particulièrement à ma mère dont l’amour, les conseils et l’enthousiasme ne cessent de me guider au gré des aventures et des épreuves de la vie.

Préface

Qui croirait, ne connaissant pas ce pays, que se tiennent là endormis dans le cœur des sylves majestueuses, dans l’onde bercée par les vents, dans les flammes entretenues des foyers, les discrets esprits de la nature ?

Cette femme qui va seule dans la forêt le sait bien. Elle perçoit dans le bruissement des feuilles et dans le murmure de la brise, leurs songes agités. Dana marche sans bruit. Elle sait que les invisibles créatures peuvent jouer des tours aux imprudents qui dérangeraient leur sommeil. Car il y bien des malicieux parmi les fées, les élémentaires et les démons.

— Où était-ce donc ? murmura-t-elle en scrutant les amples blocs de granit.

Soudain, elle découvrit une pierre familière. Un rideau de lierre, de mousse et de branchages dissimulait l’entrée exiguë d’une caverne. D’une main ferme, Dana les repoussa et se fraya un chemin entre les roches saillantes. Parvenue dans l’antre de la grotte, elle s’arrêta. De ses yeux pers, elle s’imprégna des lieux. Certainement aucun homme n’était venu ici depuis des siècles. C’est pourquoi les farouches esprits de la nature s’y étaient établis. 

« Je me nomme Dana, commença-t-elle pour se présenter. J’ai longtemps vécu non loin de Substellargen, la capitale de notre royaume Galiaquilonem, ces terres sur lesquelles nous nous tenons. Mon seigneur, Sovaj Rastell, me consultait régulièrement pour mes dons de voyance et de sorcellerie. Pourtant, vous le savez plus que quiconque, cet art autrefois reconnu et respecté, est aujourd’hui devenu, sous le règne de la reine Dilovran, synonyme d’impiété et de trahison.

Sidé Rastell, l’épouse de Sovaj, était une magicienne elle aussi. Et bien qu’elle n’ait pas de talent particulier pour la magie, la nature l’avait dotée d’un don prodigieux : celui de lire dans l’imagination, les désirs et les fantasmes des gens. Un jour qu’elle avait osé sonder l’esprit de son époux, la sirielle (c’est le nom que nous donnons aux femmes seigneurs en ce pays) y avait lu le regret de n’avoir jamais eu d’enfant. Elle est venue me voir et en alliant nos pouvoirs, nous avons œuvré pour que la vie puisse germer en elle.

Je crois en vous, esprits de la nature. Aux elfes, loups, ondines, démons et autres élémentaires qui peuplaient autrefois ce monde et qui ont aujourd’hui, en ces temps troubles, regagné leurs demeures secrètes. Hormis les loups, il ne reste plus trace visible de vous que par une race d’elfes de nacre vivant dans les profondeurs insondables du lac Gerilenn, à l’ouest. Nous, magiciens de toutes sortes, avions toujours cru que vous n’aviez choisi pour votre sommeil que des objets naturels : l’eau, l’air, le bois, la pierre, le feu, la terre. Mais nous faisions erreur.

Les sorcières dont je suis, êtres sans cesse liés à la nature et à ses voix, nous révélions être des refuges de choix. Sidé abritait en elle un démon et nous ne l’apprîmes qu’à cette période où nous tentions d’en appeler à vos pouvoirs pour qu’elle puisse porter un enfant.

Je revois la clarté de Lugendril… l’astre gris qui domine notre ciel nocturne, éclipsant de sa lumière cette petite lune rouge sur laquelle nous mesurons les mois. Nos incantations ont réveillé le démon et Sidé a failli y laisser la vie. Pourtant, les lunes ont passé et son ventre a commencé à enfler. Elle avait perdu son don. Mais elle serait bientôt mère et la maison Rastell aurait finalement un héritier.

Sovaj n’était qu’un petit seigneur ignoré des Cinq, les familles les plus influentes de Galiaquilonem. Son château qui se tenait à l’extérieur des remparts de Substellargen, ne s’apparentait déjà à l’époque qu’à une ruine glacée où l’eau croupissait dans les douves. Les Rastell étaient une famille désargentée et je ne gagnais pas grand-chose à les servir. Mais nous étions liés par une cause commune : nous rêvions qu’un jour, la reine-divine Dilovran, tombe.

En ces temps-là les rebelles étaient encore très peu nombreux. Nous étions des marginaux à croire que le caractère divin de la reine était un mensonge et que ses lois tyranniques devaient être combattues. Il n’était pas temps de faire entendre notre voix. Elle était encore bien trop faible. Mais Sovaj était un homme de sang et de nerfs. Alors malgré mes avertissements, il s’est présenté au grand jour comme un opposant au pouvoir en place. Son discours sans ambage a tant déstabilisé les Cinq et le Temple que les gens qui auparavant n’auraient jamais songé à se rebeller, osent aujourd’hui l’espérer.

Mais ce que j’avais prévu est arrivé : les Rastell furent contraints de fuir. La nuit des préparatifs, Sidé se sentit mal. Aux petites heures du jour, elle mit au monde une fille et perdit la vie. Malgré mon désarroi, il fallait que je garde raison et que je rappelle à mon seigneur, fou de douleur, combien il s’avérait primordial de quitter Substellargen avant que le soleil ne nous trahisse.

Nous avons pris la décision de faire dire à tous que l’enfant n’avait pas survécu et c’est un tas de chiffons que nous avons enterré avec la sirielle. Notre convoi est parti vers la province mergh de Melynas, à l’est. En tenant le bébé dans mes bras, j’ai présagé mille périls qui n’avaient pas encore de forme concrète.

Quand nous sommes arrivés sur ces terres reculées où Rastell ferait ensuite bâtir la petite cité de Lusideor, c’est avec le cœur lourd qu’il m’a demandé d’éloigner sa fille. J’ai chevauché plus loin vers l’océan et j’ai confié Kalis à un couple de vieux paysans. Quand je repense à cette époque, mon cœur se serre. Sidé était morte et mon seigneur se trouvait en disgrâce. Kalis a grandi sans savoir qui étaient ses parents.

A présent, vous savez mon histoire. M’accueillerez-vous ? Je ne peux, comme vous, me fondre dans la pierre. Mais cette caverne, si vous l’acceptez, sera le refuge de ma magie. »

1

Ses longs cheveux blonds épars volaient comme des éclairs furieux dans le vent frais du mois du Bouc. Dangereusement penchée au-dessus du vide qui ployait sous la fenêtre de la plus haute tour du palais, Dilovran pouvait sentir que l’hiver s’essoufflait. La reine agrippa furieusement le garde-fou. Ses ongles crissèrent avant de se casser sur le rude granit. Le givre sur les vitraux se désopacifiait. Dans la roche des murs, de peti-tes fleurs d’altitude commençaient à poindre. Un gémissement strident passa les lèvres blanches de la reine.

Bientôt détachée de la quiétude de sa tour et du va-et-vient régulier des serviteurs vêtus de leur éternelle robe noire, éloignée du vol frénétique des rapaces, arrachée à son existence hors du monde, la reine appréhendait avec une obsédante angoisse l’arrivée du printemps. Chaque année, le dégel annonçait cette journée qui lui était consacrée et où elle était tenue de s’offrir à cette foule saoule d’une ferveur exaltée.

— Je ne veux pas, je ne veux pas ! grondait-elle en se tenant la tête entre ses doigts ensanglantés. Ces gens m’effraient !

— Ma reine, souffla dans son dos la grande prêtresse Cardéa d’une voix où se mêlaient à la fois une réelle volonté d’apaiser la souveraine et la lassitude de répéter chaque jour cet exercice. Le Temple et l’armée vous protègent. Et le peuple vous aime. Pour vous, vos fidèles s’élancent chaque année dans un long périple. Ils traversent des royaumes et des contrées dangereuses dans le seul espoir de pouvoir vous apercevoir malgré les dangers que représente un tel voyage. Et pensez encore à la presse, aux bousculades et à cette pieuse mais périlleuse hystérie qui parfois crée quelques accidents le jour de votre procession. Vous leur insufflez tant de courage et d’abnégation. Vos servi-teurs n’ont d’autre désir que de pouvoir contempler votre divine majesté.

— Ils ne méritent pas ma bonté… Ils sont trop mauvais, trop imparfaits, ils me dégoûtent !

— C’est parce qu’ils sont sales, vils et misérables que votre éblouissante lumière les fait tomber à genoux. Ils ont grand besoin que vous les nourrissiez de votre perfection et de votre pureté. Il est vrai qu’ils sont misérables. Mais ils ne sont point tant méprisables. Je vous en prie, prenez-les en pitié. Votre venue sur le sol qu’ils foulent est à chaque printemps attendue avec une telle impatience. Tout le monde vous aime avec tellement de tendresse… finit-elle en posant ses mains sur les joues blêmes de Dilovran afin d’en essuyer les traces de sang.

— Pourquoi mentez-vous ? gémit la reine à présent prête à fondre en larmes. Cela fait huit ans que les rebelles menés par ce Sovaj Rastell ont fui Substellargen sans que les Cinq n’aient réussi à mettre la main dessus ! A quoi bon avoir dépensé tout cet or pour payer des soldats et des espies incapables, ces semaines passées à torturer des soi-disant complices qui n’ont jamais parlé ? A quoi bon tous ces villages incendiés ? Ce sont aujourd’hui des impôts qui nous échappent !

— Il s’agissait là de votre volonté, ma reine… Et c’était alors de justes sacrifices à faire pour assurer votre sécurité. Nous retrouverons ces traîtres. Je vous le promets.

Dans leur dos, le prêtre Dhéode s’était redressé et devant l’une des nombreuses fenêtres qui perçaient les murs de cette vaste pièce circulaire, l’homme se figurait avec froideur les pieds de la montagne où s’étendait la capitale Substellargen, invisible sous les lourds nuages gris.

— Et lui ! vociféra Dilovran en pointant du doigt le prêtre. Pourquoi est-il là ? Je ne l’aime pas ! Il est laid, sa vue m’insupporte !

— Ma reine, continua patiemment la grande prêtresse en posant sa main grasse sur l’épaule de la souveraine. Il vient vous apporter un présent. La dernière fois, vous vous êtes emportée contre lui et avez manqué de lui crever un œil. Le prêtre Dhéode vient aujourd’hui faire la paix avec vous.

Le visage juvénile de la reine se décrispa quelque peu, mais demeura méfiant. Impassible, le prêtre se retourna enfin. Une profonde cicatrice lui tailladait la paupière inférieure, accentuant encore la sévérité de son maigre visage anguleux qui paraissait coupé à la serpe. Sous le regard suspicieux de la reine, il sortit d’une belle escarcelle un livre relié à la couverture en cuir sculpté et serti de pierres.

— Ouvre-le pour moi, aboya la reine, le menton haut.

— Ces images représentent les Hommes, vos serviteurs, commenta Dhéode en passant ses doigts sur les pages où les enluminures représentaient des visages accablés, des corps courbés, bras tendus vers un ciel qui dardait sa lumière sur leurs pauvres faces hideuses.

— Vous êtes ce ciel, susurra la grande prêtresse à l’oreille de la reine. Sans vous, ils mourraient. Voyez comme ils vous adorent.

— Mais certains sont méchants… gémit Dilovran, les yeux rivés sur le livre.

— Vous souvenez-vous de cette histoire que je vous avais contée ? s’enquit le prêtre en lui offrant le document. Ce mestre de la cité d’Arcequus qui complotait contre vous et faisait circuler de vilains mots à votre encontre ?

Le visage de la reine se crispa à ce souvenir. Cette nouvelle l’avait épouvantée. Encore une fois on lui voulait du mal, on murmurait contre elle. Sa fureur et son effroi avaient coûté la vie à une jeune servante qu’elle avait étranglée, persuadée que celle-ci s’apprêtait à la trahir. Puis la reine avait déchiré les draps de son lit et renversé la vaisselle, les coffres et les sièges. On l’avait retrouvée auprès du cadavre, à genoux au milieu des débris, le corps lacéré par les morceaux de verre, hurlante, possédée par la crainte et le courroux.

— Vous aviez dit que vous le feriez écorcher ! Vous me l’aviez promis ! vociféra la reine, le livre tremblant entre ses mains.

— Je suis un homme de parole, ma divine. Mes serviteurs, les dromonems, ont déniché le renégat à Arcequus. Il a été tiré de chez lui au petit jour et crucifié nu sur la grande place de la cité. Le bourreau lui a arraché la langue puis a minutieusement entaillé son corps.

— Est-ce qu’il hurlait ? demanda Dilovran, ses grands yeux fous à présent fixés dans le vide.

— Ma divine… Être écorché vif est l’un des plus grands tourments qui soit. Son supplice fut très long. Il est mort alors que l’on défaisait son visage de sa peau. Mes fidèles dromonems m’ont rapporté que les gens d’Arcequus qui étaient venus assister à l’exécution en furent grandement choqués. Les pieds pataugeaient dans les régurgitations, les spectateurs étaient plus pâles que des spectres et avant la fin, nombreux étaient ceux qui avaient quitté le spectacle de cette agonie.

— Ils auraient dû s’en réjouir ! gronda la reine en se laissant tomber sur une chaise à haut dossier. Retrouvez ceux qui ont détourné les yeux et faites les surveiller !

— C’est une mesure coûteuse et déraisonnable ma reine, fit la grande prêtresse en lui caressant les cheveux. Vous êtes agitée ce matin. Mais peut-être que le fait de découvrir le secret de ce livre vous apaisera.

— Quel est-il ?

Le prêtre Dhéode s’approcha de Dilovran avec un mauvais sourire.

— La peau du ventre du félon qui osa vous critiquer recouvre ce document que vous tenez entre les mains. Il est à vous, et ne viendra plus jamais médire à votre propos.

Les yeux de la reine fixèrent le livre avec une lueur amusée. Tandis qu’elle caressait la couverture, un rire hystérique et cruel monta de sa gorge, secouant sa frêle silhouette drapée de soie blanche.

2

— Kalis ? Kalis ! appela Enyse.

Rajustant son fichu sur sa tête, la vieille paysanne sortit de la petite masure au toit de chaume et aux murs en torchis. D’un pas alerte, elle traversa la cour de la fermette en écartant du pied le chien qui courait vers elle, la langue pendante. Connaissant le goût des gosses pour la paille et l’herbe sèche, elle commença par aller inspecter le grenier à foin, la bête trottinant joyeusement derrière elle.

Les gamins venaient souvent se rouler dans le fourrage pour se livrer à des batailles enragées. Ces jeux se passaient toujours à l’insu des adultes vers lesquels ils revenaient immanquablement rouges de sueur, la tignasse et les vêtements piqués d’épis et de paille.

— Gamine, il n’est plus temps de jouer, à table ! s’exclama Enyse, les mains sur les hanches.

Mais personne ne répondit. La paysanne s’approcha un peu et entreprit de fouiller le foin.

— Il vaut mieux que tu sortes de là avant que je ne te déniche, ma fille ! prévint-t-elle, pensant que peut-être la petite préférait rester cachée plutôt que de répondre et de se faire gronder.

Mais non. Il fallait se rendre à l’évidence : l’enfant ne se trouvait pas ici.

La paysanne se rendit devant le puits et s’appuya sur la margelle avant de jeter dans la cavité profonde un regard anxieux. Mais fort heureusement, la surface de l’eau était lisse hormis une feuille d’églantier qui flottait à sa surface. Enyse soupira, un peu agacée par ses propres frayeurs. Puis elle s’en alla toquer chez les voisins afin de les interroger.

Alors qu’elle jetait un œil aux abeilles qui voletaient autour d’une ruche dissimulée sous le toit de la chaumière, la porte s’ouvrit sur la forgeronne du village. Enyse la questionna, mais la belle artisane robuste n’avait pas vu Kalis aujourd’hui.

La paysanne continua vers la cabane du menuisier, sans plus de succès. Elle interrogea quelques autres villageois qui bavardaient autour du four à pain sans obtenir davantage d’informations. Le chien l’abandonna là dans l’espoir qu’on lui cède un morceau de pâte.

Finalement, Enyse descendit de son pas alerte vers le bois. De jeunes arbres aux branches basses bordaient la piste étroite où deux chevaux ne pouvaient se croiser. La vieille femme s’arrêta un instant pour chercher des traces fraîches au sol. Mais si elle pouvait deviner qu’un blaireau était passé il y a peu, aucun indice ne venait laisser entendre que Kalis avait également emprunté ce sentier. Elle poursuivit cependant sa route car il s’avérait bien probable que l’enfant ait choisi de suivre le passage des chevreuils qui rejoignait la piste au cœur du taillis.

Enyse s’y engagea jusqu’à ce qu’elle se retrouve face à trois totems en chêne sculpté. Des figures animales monstrueuses, gueules béantes, griffes, crocs et défenses déployés l’accueillirent au sein du bois. Ces sculptures imposantes représentaient la Nature que des galias contre la volonté des princes et du Temple, continuaient d’adorer pour les bienfaits qu’elle leur apportait.

Depuis des temps immémoriaux, les totems se dressaient sur ces terres devenues un royaume. Ces colonnes massives étaient taillées par des êtres reconnaissant et honorant le pouvoir de la Nature et de ses créatures : les loups, les élémentaires, les fées et les démons. Des générations d’Hommes du Nord, qu’ils soient merghs, terveds, komavros, graruns ou albavems avaient continuellement entretenu cette tradition.

Pourtant, cette dernière tendait vers son déclin. Depuis l’avènement de Dilovran sur le trône du Nord, voilà trois siècles, la présence des totems s’était raréfiée. Nombre d’entre eux avaient été détruits dans le même temps que la parole de la reine s’était répandue dans tout le royaume.

Mais alors qu’un décret les interdisant officiellement venait de voir le jour, les totems fleurissaient à nouveau, notamment dans les endroits les plus reculés et dans certaines communes indépendantes. Ces grandes colonnes de bois, de terre ou de pierre, figures de la Nature, étaient devenues depuis quelques années le symbole d’une pensée incrédule et insoumise.

Enyse fit le tour du sanglier, du cheval et du loup sachant que l’enfant aimait venir s’y adosser pour jouer avec les petites figurines en bois que son mari lui avait fabriquées. Mais la petite ne s’y trouvait pas.

— Bizarre, souffla-t-elle en s’appuyant sur le totem de sanglier que son époux avait sculpté voilà bien des années.

Empoignant sa jupe, Enyse revint vers l’étable. Mais hormis les poules et le cochon qu’ils engraissaient pour l’hiver, elle n’y trouva personne. Les lavandières ne l’avaient pas vue, pas plus que les enfants qui jouaient à fabriquer des collets. La paysanne commença à s’inquiéter.

Revenant sur le chemin, elle vit venir un cavalier sur un petit cheval bai. La haute silhouette se rapprocha et Enyse posa ses poings sur ses hanches avec un soupir de soulagement.

— J’ai trouvé cette petite qui cavalait avec les lapins dans la garenne, l’informa une voix douce et claire.

A califourchon devant l’homme aux longs cheveux d’un noir de jais, la petite fille se pinçait les lèvres, consciente de s’être trop éloignée de la ferme.

— Grand-père Ehan trouvait étrange de ne pas te voir revenir et je ne t’ai trouvée nulle part. Nous commencions à être vraiment inquiets. Heureusement que Sadorn t’as découverte. Jusqu’où serais-tu allée sinon ?

— Je voulais voir la mer, bafouilla la petite d’une voix honteuse en balançant ses petits pieds nus sur le ventre rond de l’animal.

— C’est à deux bonnes lieues d’ici, ma fille ! Cours prévenir ton grand-père que tu vas bien, allez ! la pressa-t-elle en l’aidant à descendre de cheval.

En la regardant partir à toute allure sur le chemin, Sadorn eut un sourire tendre.

— Comme le temps passe vite. Voilà maintenant huit ans que j’ai quitté la capitale pour suivre mon seigneur à l’est. Kalis semble bien se porter. Mais n’est-t-elle pas un peu maigre ?

— Elle mange pourtant ! Cette gosse a un appétit d’ogre, comme mon époux.

— Voyez-vous ça ! s’amusa Sadorn.

— Oh ! Mais n’allez pas croire que je me plains. C’est une bonne petite qui ne rechigne jamais à la tâche. Je ne sais pas si elle fera une bonne sirielle quand votre seigneur jugera bon de lui dire la vérité, mais ce sera sans doute une jeune femme bien brave.

— Voilà qui me ravit.

Sadorn était le dernier né d’une famille qui fut l’une des premières à soutenir les Rastell. Le visage de cet homme figurait son âme. Ses yeux noirs brillaient de passion, d’intelligence et de sensibilité. Il s’avérait aisé de lire son humeur dans ses traits expressifs et par bonheur pour son entourage, il se révélait être un ami loyal et dévoué. Musicien s’étant autrefois fait un nom dans les tavernes de la capitale avant d’être invité à se produire au château des Rastell, le trouvère ne se séparait jamais de son luth qui semblait être un prolongement de lui-même. Il allait ainsi, de village en cité pour rassembler la matière des galias et en faire des chansons dont certaines étaient devenues célèbres à travers tout le royaume.

L’instinct paternel affirmé, il venait toutes les trois lunes voir comment la fille de Rastell se transformait. L’homme s’était amouraché de cette enfant avec laquelle il se comportait souvent comme un père fier de sa progéniture. Il venait souvent trois jours au village et en profitait pour faire son éducation. La lecture, l’écriture, les Lettres, l’Histoire et même quelques exercices visant à travailler son éloquence constituaient les bases de son enseignement. Durant son absence, le trouvère entretenait une correspondance avec Kalis afin de consolider ce savoir qu’il lui transmettait.

Après avoir déjeuné de galettes épaisses de blé noir et de cidre, Ehan et Enyse s’en étaient retournés aux champs. Sadorn tira la table près de la petite fenêtre et invita l’enfant à s’asseoir près de lui.

— Je m’évertue à traduire un poème sauvé miraculeusement de l’oubli par l’un de mes compères. C’est un jeune homme que je n’ai jamais vu mais dont la correspondance m’est très chère. Il se fait appeler « Eridan », empruntant le nom du plus grand fleuve du continent Nord. 

Ce mystérieux trouvère m’a fait cadeau de ce parchemin. Sa générosité m’a tenu éveillé toute la nuit dernière, plaisanta-t-il. Il sait que je connais la langue ancienne commune aux cinq clans du Nord. Mais peut-être aurait-il dû s’adresser à un mestre de la cité d’Arcequus, qui aurait mieux su que moi accomplir cette tâche. Mais qu’importe, voici le sens que j’ai pu éclaircir de ce poème :

Galias, hommes du Nord portant aux poings lances et épées,

Allons mes frères, rassemblons-nous sous la nuitée.

Oyez, oyez, hommes, femmes et enfants,

La chanson des cinq clans.

Graruns, graruns, votre tête est semblable à la lame qui pourfend.

Convoyez avec nous sur les terres du Nord.

Graruns, graruns, rappelez-vous les runes d’antan,

Sur les pierres grises comme votre tête.

Merghs, merghs, la neige sur vos montagnes

Est blanche comme votre cuir.

Merghs, merghs, ramenez vos enfants au village

Dès que leur front aura cueilli les premiers rayons du soleil.

Albavems, albavems, enfants du ciel et de la mer,

Pêcheurs et marchands de tous trésors.

Albavems, albavems, frères à la tête battue par les vents,

Filez à travers vos plaines. Viens, viens à nous brave clan.

Komavros, komavros, êtres nés du brasier,

Guerriers et marteleurs infatigables.

Komavros, komavros, le soleil de vos terres taraude votre peau brune.

Prête-nous ta bravoure peuple de feu et de fer.

Terveds, terveds, sortez de vos forêts robustes fermiers,

Détournez-vous du vaste océan et regardez vers l’est.

Terveds, terveds, laissez-là vos rêves d’explorateurs, une autre conquête vous attend,

Au cœur du royaume, rassemblons-nous entre les pierres tombées du ciel.

— D’après toi, Kalis, de quand pourrait dater ce texte ?

L’enfant hocha les épaules en se mordillant l’index.

— Je ne sais pas. Mais il parle de nous, les terveds. Et aussi des quatre autres peuples du Nord : les merghs, les albavems, les komavros et les graruns.

— Il parle en effet de tous les galias. Moi qui connais bien l’histoire de ces terres en devine l’origine. Ce poème est antérieur à la bataille des cinq armées menées par le Chevalier errant Artus Bera, le premier roi de Galiaquilonem, contre l’envahisseur du Sud. Regarde bien, Kalis, c’est un appel fait aux cinq clans afin qu’ils s’unissent et joignent leurs forces pour défendre le Nord.

Kalis afficha une mine étonnée et relut elle-même le poème. Sadorn se félicita de ses progrès. Il y a un an, quand il tentait de l’instruire, l’enfant  remuait sans cesse, les yeux tournés vers le dehors. A présent, elle parvenait à rester tranquille et à apprécier ses histoires.

*

Ainsi grandit Kalis dans le petit village d’Ehan et d’Enyse où les travaux de la ferme marquaient le temps et les saisons. Sous le soleil de l’été, il fallait faucher les champs et faire la cueillette des fruits dans les vergers. En automne, les paysans semaient les blés de saison et ramassaient des châtaignes, des glands et des baies dans la forêt et les bois. La réparation des outils et l’abattage du cochon occupaient la maisonnée l’hiver, la saison la plus calme mais aussi la plus rude. C’est donc une jeune femme mince et robuste qu’allait retrouver Sadorn quand il revint dans l’année des seize ans de la jeune fille, à la fin de l’hiver.

Après une chevauchée de plusieurs jours sous un ciel menaçant, le trouvère arriva sur les coups de midi, affublé d’une mine grave. Enyse et Ehan déposaient le pain noir sur la table à côté d’un bouillon de lard et de chou quand il pénétra dans la cour. En jetant un œil par la fenêtre, les deux paysans devinèrent que son expression préludait à un triste message. Après l’avoir fait asseoir, la paysanne lui donna des nouvelles de leur protégée :

— Notre petite a été malade au milieu de l’hiver. Elle toussait, avait de la fièvre et crachait un peu. Mais le mal ne l’a pas clouée bien longtemps au lit. A peine a-t-elle pu tenir sur ses pieds qu’elle a aussitôt  repris le chemin des champs.

— Fort bien. Y a-t-il autre chose ?

— Eh bien… oui. Il y a bien une affaire qui nous chiffonne depuis quelque temps déjà.

— De quoi s’agit-il ?

— Kalis a hérité du don de sa mère, la sirielle Sidé.

— En êtes-vous bien certains ? demanda Sadorn qui ne savait s’il devait se réjouir ou non de cette nouvelle.

Enyse hocha la tête.

— Nous en avions déjà causé : la petite a parfois des visions quand elle se concentre sur les gens qui l’entourent. Mais les images ne lui viennent que des personnes qu’elle connaît bien, de ses proches, jamais d’inconnus ou de simples connaissances. Peu après votre venue la fois dernière, elle a vumon envie de croquer quelques châtaignes et figurez-vous qu’elle est allée me chercher les dernières que nous gardions au sec dans le grenier.

Sadorn baissa le menton et un petit silence s’ensuivit, bientôt rompu par une voix inquiète :

— Vous venez nous la reprendre, pas vrai ? demanda Ehan tandis que sa femme tendait un petit bol de cidre au trouvère.

Durant son voyage depuis Lusideor, la cité de Rastell, le trouvère avait longuement réfléchi à la manière dont il allait annoncer la nouvelle aux deux paysans. Mais à présent qu’Ehan le dévisageait, à présent que ses yeux bleus comme le ciel lui disaient « j’ai compris », la tâche se révélait d’autant plus pénible.

Devinant le mal que cela leur causerait, Sadorn s’accorda encore un instant pour chercher ses mots. Détaillant tour à tour les deux paysans, il répondit finalement :

— Kalis connaît l’emblème des Rastell : le magnolia. Elle comprend le fonctionnement de la cité que j’ai dessinée pour elle sur un morceau de parchemin. Certains de ses amis ne sont autres que de jeunes écuyers de son père. Et ce qu’elle prend pour un entraînement physique afin de protéger le village en cas d’attaque se révèle être une véritable formation au combat. Mon seigneur a tendance à privilégier l’exercice de l’épée à celui de la tête. Heureusement que je viens faire contrepoids…

Enfin, toujours est-il que Kalis doit apprendre à gérer un domaine et une cité si elle veut pouvoir un jour gouverner et administrer Lusideor. C’est pourquoi il convient qu’elle s’y rende afin d’être formée à commander une armée et à se faire connaître et respecter de ses gens. Le portrait que Sovaj a demandé d’elle voilà trois ans, a rendu son visage familier à la cité, mais sa voix doit maintenant s’y faire entendre.

Vous continuerez à percevoir la pension que mon seigneur vous verse, et ce, jusqu’à votre mort. Mais nous nous connaissons depuis bien des années à présent et je sais que ce n’est pas cela qui vous inquiète.

Le vieil Ehan tourna la tête pour essuyer de ses doigts épais les larmes qui perlaient dans le coin de ses yeux.

— Kalis est comme notre petite-fille. Nous renoncerions cent fois à cette pension pour la garder encore un peu avec nous.

— Je comprends. Mais son père la demande auprès de lui. Sovaj perd peu à peu la vue. Les panseurs ont prédit qu’il sera totalement aveugle d’ici un ou deux ans. C’est pourquoi, avant que cela n’arrive, il voudrait pouvoir contempler le visage de son enfant. D’ailleurs, où se trouve Kalis en ce moment ?

Enyse, par pudeur, cachait sa peine derrière un masque de pragmatisme.

— Elle laboure les champs avec les autres paysans du village. C’est une bonne fille qui nous aide bien. Nous nous faisons vieux. Elle abat plus de travail que moi à présent. J’allais lui porter à manger quand vous êtes apparu. Allons-y, elle doit s’inquiéter de ne pas me voir arriver.

Le trouvère se leva et lui emboîta le pas.

Mais à peine sortirent-ils de la masure qu’ils tombèrent nez à nez avec la jeune fille. Sale, une cape épaisse sur les épaules et sa tignasse brune emmêlée, Kalis leur apparut figée et blême, bouleversée par ce qu’elle venait d’entendre.

Sadorn et Enyse demeurèrent interdits, ne sachant comment l’aborder. Allait-elle leur en vouloir de l’avoir gardée dans l’ignorance de la vérité et de l’avoir privée de son père ? Refuserait-elle de la reconnaître, effrayée par ce monde si éloigné du sien où l’on s’apprêtait à la propulser ? Ou au contraire s’enorgueillirait-elle de cette ascendance noble, au point de les oublier, de les rejeter comme si soudain elle avait honte de fréquenter d’aussi humbles personnes ?

En vérité, cette dernière hypothèse n’avait qu’à peine effleuré Ehan et Enyse durant ces seize dernières années. Si Kalis avait dans le caractère une certaine fierté, elle n’avait en revanche aucune vanité et ils en avaient toujours été persuadés : découvrir le secret de sa naissance n’y changerait rien.

C’était une jeune fille au cœur franc et droit, dotée d’une assez fine sensibilité. Or, cette dernière qualité avait toujours réjoui Sadorn car elle permettrait à la jeune fille, quand celle-ci succéderait à son père, de pouvoir analyser les caractères des êtres afin de savoir à qui se fier, et de qui se méfier. Si cette aptitude restait à développer du fait de la jeunesse de Kalis, nul doute qu’elle lui serait donc bien utile une fois qu’elle gouvernerait elle-même Lusideor.

Ehan les rejoignit à l’entrée de la masure. Levant la main vers la jeune fille, il s’arrêta bien vite en découvrant sa mine atterrée.

Devant leur protégée, blanche, tremblante et tendue à l’extrême, les deux paysans ne savaient que dire.

Certainement aurait-ce été le moment de lui rappeler combien ils tenaient à elle. Mais il leur était bien trop difficile d’exprimer leur affection pour Kalis, de prononcer ces mots qu’ils avaient dans le cœur.

Pour eux, il n’y avait que les grands, les bourgeois des villes et les trouvères qui osaient dire l’amour. Mais pour ceux qui étaient pauvres, qui connaissaient la misère et que la vie avait rendus rudes à force de se montrer robustes, pour ceux-là l’amour ne pouvait s’exprimer que dans une louchée de soupe en plus, dans une couverture de laine tricotée à temps pour les premiers frimas, dans une pile de galettes jaunes accompagnée de beurre frais battu le matin-même…

Mais bien qu’elle n’ait jamais entendu de leur bouche qu’ils l’aimaient, qu’ils ne l’aient que bien rarement tenue dans leurs bras, Kalis ne pouvait douter de leurs sentiments, de cette tendresse qu’ils nourrissaient à son égard.

Ils en demeuraient persuadés.

— Mon enfant, nous…

Mais Sadorn ne put en dire davantage. Par un mouvement soudain, Kalis secoua la tête, tourna les talons et s’enfuit, ignorant les appels dans son dos.

L’esprit brouillé, le cœur pénétré par des émotions contraires, elle ne pouvait faire face au trouvère, et peut-être encore moins à Ehan et Enyse.

Ainsi, depuis toujours… ils lui avaient caché la vérité. Les souvenirs affluèrent pêle-mêle dans son esprit, souillés par le mensonge. Ces trois personnes qu’elle avait toujours considérées comme sa famille lui avaient caché le secret de son identité. Comment avaient-ils pu, durant tant d’années, la regarder grandir en lui cachant des choses aussi essentielles ? Et ses amis ? Ses compagnons de jeu étaient-ils également au courant ? Et les gens du village ? Qui donc avait été honnête avec elle ? Un douloureux sentiment de trahison lui serrait le cœur.

Et puis pourquoi l’avait-on tenue éloignée de son père ? Kalis réalisa enfin qu’elle avait un parent. Mais il s’avérait bien étrange pour elle de constater que la joie qu’elle aurait dû ressentir à l’annonce de cette nouvelle ne se manifestait pas.

On lui avait raconté qu’elle était orpheline et qu’alors qu’elle était bébé, Sadorn l’avait découverte, emmitouflée dans de vieux langes aux abords du village. Ne pouvant s’occuper d’un nourrisson du fait de sa vie itinérante, le trouvère l’avait confiée à Ehan et Enyse qui ne pouvant avoir d’enfant l’avaient accueillie avec bonheur. Tout ceci n’était donc qu’un tissu de mensonges, un conte !

 Kalis gronda en continuant de filer, jusqu’à ce que sa colère se mue en tristesse. Dans le regard d’Ehan et d’Enyse, elle avait décelé tant de douleur et de culpabilité. La jeune fille avait compris qu’on lui demandait de les quitter, que peut-être elle ne les reverrait jamais, ni eux, ni ce village duquel elle ne s’était que bien rarement éloignée durant les seize années de sa toute jeune existence.

Avait-elle le droit de refuser de s’en aller ? Etait-il possible que sa vie demeure ce qu’elle avait été jusqu'ici, difficile mais néanmoins paisible ? Non, il lui semblait évident qu’à présent qu’elle connaissait la vérité, rien ne serait plus comme avant. Cette pensée lui faisait mal, et songer à Ehan et Enyse, à leur souffrance n’eut pour effet que de décupler la sienne.

Elle courut longtemps, traversant les champs, la lande, la garenne, les bois et les prairies. Au-dessus d’elle, de lourds nuages d’une noirceur peu commune s’amoncelaient. Kalis accéléra sa course en sentant de grosses gouttes tomber sur elle. Un orage s’annonçait. Mais la jeune fille n’en avait cure. Elle poursuivit sa course avant de se laisser finalement tomber non loin des côtes, en pleurs et épuisée, au pied d’un totem à tête de cerf.

*

— C’est bien la mission dont je me suis le plus mal acquitté, soupira Sadorn en regardant la pluie tomber dru dans la cour.

— Quand elle aura pris une bonne saucée, ses idées seront plus claires, et alors elle reviendra, marmonna Enyse en s’affairant à droite à gauche, feignant l’agacement pour cacher son angoisse.

Assis derrière la table, Ehan demeurait silencieux, les doigts croisés et les yeux scrutant le dehors.

— Où pensez-vous qu’elle soit allée ? s’enquit le trouvère.

— Dans les bois, à la rivière, à l’ancienne tour de guet ou vers la côte peut-être, proposa le vieux paysan qui avait déjà élaboré une liste dans sa tête depuis longtemps.

Sadorn se tritura les doigts et entreprit de faire les cent pas.

— Si elle n’est pas revenue avant l’orage, je partirai à sa recherche.

3

Sur la plage, le vent soufflait furieusement, comme présageant d’irrévocables changements. Une ombre cheminait entre les rochers dispersés sur le sable rendu humide par la pluie. Le pas s’avérait rapide. A peine les grains gris se refermaient-ils sur le pied que celui-ci filait déjà loin en avant, laissant des empreintes tordues derrière lui.

Incapable de faire demi-tour, Kalis s’était enfuie jusqu’à la côte et luttait contre le vent et la tempête. Sa douleur l’avait conduite jusqu’à une presqu’île où elle s’était isolée, le temps que ses pleurs cessent et que ses idées s’éclaircissent.

Mais à présent qu’il fallait rentrer, la brume épaisse faisait passer les côtes pour un mirage. Le chemin de sable qui reliait les deux terres était large d’à peine une coudée et se rétractait peu à peu. Les vagues tentaient de l’absorber en se rapprochant d’elle le plus possible. L’océan déchaîné semblait vouloir l’engloutir.

Kalis rabattit le capuchon de laine épaisse sur sa tête et continua sa lutte contre les rafales. Au fur et à mesure qu’elle avançait, le brouillard s’intensifiait, comme surnaturel, jusqu’à ce qu’elle ne vît plus à moins d’une toise devant elle. Ses longs cheveux bruns la gênaient. Fixant un point imaginaire dans la brume, elle se désespérait de pouvoir distinguer les contours de la côte. De temps en temps, Kalis levait ses yeux jaunes vers les astres. Eux seuls la soutenaient de leur lumière et semblaient vouloir qu’elle atteigne l’autre rive indemne.

Soudain, il lui sembla apercevoir des formes qui se distinguaient dans la vapeur : des démons, des créatures dont elle ne connaissait pas le nom mais qui lui paraissaient familières se sculptaient dans le brouillard. S’agissait-il d’un mirage ? Non. Cela lui semblait trop réel.

Kalis se tendit, effrayée et fascinée.

Mais son attention fut vite happée par la sensation de l’eau sur ses pieds. Baissant les yeux avec effroi vers ses orteils mouillés, la jeune fille songea à faire demi-tour. Mais la visibilité derrière elle n’était guère plus grande qu’au-devant. Elle s’élança dans une course effrénée malgré les vagues qui en venaient à lui lécher les genoux et sa robe en lin qui la gênait dans sa course. La soulevant jusqu’aux cuisses, Kalis fila droit devant elle, fendant les flots. Mais très vite, sa respiration se fit haletante et l’air marin lui brûla la gorge. Son rythme l’épuisait et la marée montait à une allure effrayante. L’idée qu’elle allait peut-être mourir ici lui traversa l’esprit.

Soudain, un mal violent la saisit. Elle stoppa sa course et cria en se tenant le ventre. C’était comme si ses entrailles se déchiraient et qu’une force étrange cherchait à s’échapper d’elle. La jeune fille souffrait atrocement, pâlit brusquement et tomba à genoux. Il fallait que cette douleur cesse ou elle aurait raison d’elle. Des tremblements atroces la prirent en même temps qu’une fièvre aussi soudaine que fulgurante. Ravagée par le mal, elle hurla, les paupières closes, le visage déformé par la souffrance.

En rouvrant les yeux, Kalis aperçut des formes se dessiner à la surface de l’eau. Cette fois le doute ne lui était plus permis. Deux corps immenses et transparents serpentaient plus au large. Une gueule argentine apparut, puis une autre. Ces créatures géantes semblaient à l’origine des vagues et des marées. L’océan les accompagnait et semblait soumis à leurs mouvements. Les dragons des mers plongeaient et remontaient sans cesse à la surface, déchaînant l’onde.

En proie à son supplice, la jeune fille sentit ses forces se perdre. Vaincue, elle chancela. Son regard devint aussi flou que l’horizon. Elle se sentit sombrer. Après cela, plus rien, le néant.

*

Kalis n’était pas morte. Elle pouvait sentir son corps et tout un éventail de sensations toutes plus désagréables les unes que les autres. Son dos roidi reposait contre une table en bois. De ses doigts, elle en devinait les nervures et les petits trous laissés par les mites.

Lasse, elle se sentait vidée de son énergie. Un goût de sel tenace la faisait sans cesse déglutir. Elle ouvrit péniblement les yeux et s’habitua peu à peu à la lumière qui venait de l’âtre. L’endroit dans lequel elle se trouvait consistait en une vaste caverne semblablement habitée. Des bibliothèques faites de simples planches, chargées de livres et de feuillets, un matelas empli de fourrage et de glands et une sommaire couverture en laine constituaient la moitié du mobilier. De l’autre côté de la caverne étaient ordonnés une pile de bois menu, un imposant chaudron, quelques outils et une épaisse cape de voyage jetée sur le dossier d’un fauteuil taillé dans du chêne.

Pivotant la tête vers le foyer où brûlait un feu imposant, Kalis découvrit une silhouette de femme qui lui tournait le dos. Certainement plus très jeune au vu de sa raideur, l’étrangère présentait toutefois une posture dynamique. La jeune fille se tendit, se demandant ce qu’on pouvait lui vouloir. Étourdie, l’esprit embrumé, elle ne savait plus comment elle était parvenue jusqu’ici.

Dans le foyer, les flammes gloutonnes léchaient les pierres grises, dardant leurs langues de feu de plus en plus haut. Une fumée noire et odorante s’échappait par la cheminée qui perçait la roche. Le vêtement mouillé de sueur, la femme nourrissait activement le feu par des brassées de bois sec, semble-t-il ignorante du réveil de Kalis.

Se redressant difficilement, cette dernière fut d’abord prise d’un réflexe de protection. Elle scruta l’espace avant de se glisser jusqu’à un panier fait de branches tressées. Sans un bruit, elle en tira une lame taillée dans une pierre tendre. Pas un instant Kalis n’avait quitté la femme des yeux. Dissimulant la lame entre les pans de sa robe, la jeune fille avança prudemment, pas après pas, s’arrêtant de temps à autre pour être bien sûre de ne pas se faire repérer. Puis, parvenue tout près de l’âtre et piquée de curiosité, elle se pencha sur le côté pour découvrir la tâche à laquelle l’étrangère mettait tant d’ardeur.

Mais elle regretta bien vite son indiscrétion : le spectacle qui s’offrit à ses yeux l’horrifia. Une soudaine nausée lui tordit le ventre. Déjà très faible, Kalis tomba lourdement à genoux avant de vomir. Cette odeur, c’était celle d’un corps humain qui brûlait. Elle resta là contre le sol à régurgiter la bile de son ventre vide. Durant ce temps, la femme s’était retournée, calme, sereine. Elle avançait, ses yeux bleus saillants fixés sur elle. La jeune fille tenta de se relever pour fuir mais sa faiblesse la desservait. La femme lui empoigna le bras.

— Lâchez-moi ! se rebella Kalis en pointant la lame qu’elle tenait d’une main tremblante.

La femme, sans être effrayée un instant, la lui arracha d’un geste brusque.

— Calme-toi ma fille, et assieds-toi.

Ce ton ferme mais sans agressivité déboussola Kalis. Cette femme présentait un étrange aspect. Ses cheveux certainement blonds autrefois, se révélaient aujourd’hui pâles, emmêlés et hirsutes. Son visage arborait deux yeux bleus étonnants et sa peau translucide lui insufflait un air spectral. Il semblait difficile de lui donner un âge mais elle se révélait étrangement belle. Kalis s’en trouva tellement désorientée qu’elle en abandonna toute tentative de fuite. Pourtant, la peur demeurait.

— Vous êtes… une sorcière ? osa-t-elle, songeant à toutes sortes de sortilèges et de rites effrayants.

La femme lui sourit presque avec tendresse en lui tendant un demi pain noir.

— Certains m’appellent ainsi.

Kalis eut un petit sursaut effrayé et ses doigts comprimèrent la croûte du pain amollie par l’humidité ambiante. La sorcière recula d’un pas et la toisa en croisant les bras, perdant tout à coup son sourire.

— Que s’est-il passé pour qu’on te retrouve à demi-morte sur la plage ? Cette folle escapade nous a tous beaucoup inquiétés. Notre ami le trouvère ainsi qu’Enyse et Ehan étaient dans tous leurs états. Je leur ai fait savoir par un oiseau que tu te trouvais avec moi.

Voyant qu’elle ne répondait pas, Dana poursuivit :

— Je comprends que les révélations qui t’ont été faites s’avéraient troublantes… perturbantes même ! Mais elles ne changent rien au fait que ceux qui t’ont élevée tiennent beaucoup à toi. Ne crains rien, les jours à venir apporteront des réponses à tes questions et t’apaiseront.

Kalis ne comprenait pas un traître mot de ces paroles. Un trouvère, Ehan, Enyse ? Non, elle avait beau creuser son esprit, ces personnes ne lui disaient rien. Devant son air perdu, l’étrange femme posa ses mains chaudes sur ses joues en la fixant avec alarme.

— Par Lugendril ! Se pourrait-il que tu ne te souviennes de rien ?

Kalis secoua la tête.

— J’aurais dû le prévoir. Le démon a volé ta mémoire en s’échappant de toi. Ma jolie petite aube, il va falloir être courageuse ! Peut-être cela te reviendra-t-il sous peu… Mais pour cela, il faut d’abord que tu reprennes des forces. Tu es pâle comme la mort. Mange.

Kalis ne se le fit pas dire deux fois et mordit dans le pain avant d’en déchirer de grands morceaux qu’elle enfourna dans sa bouche. Elle commençait tout juste à réaliser l’instabilité de sa situation. Perdue, elle était totalement perdue, sans aucun repère.

Pourtant, il lui semblait absolument vital de trouver un objet familier à quoi se raccrocher. C’est pourquoi elle leva les yeux vers l’étrange femme. A la manière dont elle s’adressait à elle, Kalis en déduisit qu’elle devait être une connaissance, peut-être même une proche. Ainsi donc, il semblait raisonnable de penser qu’elle se trouvait en sécurité auprès d’elle. Cette pensée apaisa un peu son angoisse.

— Si vous me connaissez… qui êtes-vous pour moi ? demanda-t-elle timidement quand sa faim fut un peu calmée.

— Je te connais depuis ta naissance, Kalis.

— Kalis ?

— Comme cela est triste… C’est ton prénom mon enfant. Tu te nommes Kalis et tu es une galia appartenant au peuple des terveds. Quant à moi, je m’appelle Dana. J’ai été un temps au service de ton père, ton seul parent. On parle de moi comme d’une sorcière. Ce n’est pas tout à fait vrai, mais ce n’est pas tout à fait faux non plus, commenta-t-elle en étendant le regard vers les bibliothèques et les étagères pleines de flacons aux contenus mystérieux. Je suis une dourienne, une magicienne liée au pouvoir de l’eau. Je vis seule ici depuis des années et personne ne connaît ma cachette. Je te prierai donc de garder notre rencontre secrète. C’est d’ailleurs autant dans ton intérêt que dans le mien.

Kalis ferma les yeux. Elle demeurait en état de choc. Sa famille, ses amis, son foyer, chacun de ses souvenirs… Sa vie passée s’était comme évanouie, évaporée de sa mémoire. Pour ne pas se laisser gagner par la panique, la jeune fille se concentra sur sa respiration afin d’apaiser les battements trop rapides de son cœur.

Personne n’aurait pu dire si cette situation allait durer ou non. C’est pourquoi Dana garda le silence. La jeune fille laissa couler quelques larmes silencieuses. Peut-être cela allait-il lui revenir sous peu. C’était là le seul espoir auquel elle pouvait se rattacher.

 — Bois.

Kalis rouvrit les yeux. La sorcière lui présentait un gobelet empli d’un liquide trouble.

— Qu’est-ce que c’est ?

— N’aie crainte, cette décoction ne te transformera pas en marcassin. C’est simplement de la mélisse, pour t’apaiser un peu.

Kalis accepta le remède. Elle but une gorgée, puis une deuxième, et son regard se porta vers l’âtre où le corps continuait de se consumer. C’est avec une certaine surprise qu’elle le redécouvrit tant la révélation de son amnésie lui avait pris toute son attention.

Dana suivit son regard.

— Ce démon habitait autrefois l’esprit de ta mère, expliqua-t-elle.

— Ma mère ?

— Elle n’est plus aujourd’hui. Elle est morte en te mettant au monde.

Kalis baissa les yeux.

Il se révélait étrange de constater comme ce genre de nouvelle pouvait s’avérer triste alors même qu’elle ne gardait pas trace dans sa mémoire du moindre souvenir, ne serait-ce que d’un portrait ou d’une anecdote concernant sa mère et qu’on lui aurait relatée.

Tout ce qu’elle savait à présent, c’est que cette femme avait donné sa vie en échange de la sienne… Son père lui gardait-il rancune de l’avoir privé de son épouse ? Cette question lui serrait le cœur et pourtant, elle n’osa la confier à Dana.

— Pour ne pas disparaître avec ta mère, continua la sorcière, le démon est entré en toi tandis que tu te trouvais encore dans son ventre.

— Cette créature a grandi en moi ? s’étrangla Kalis.

— N’est-ce pas fascinant ?

— Ce n’est pas le terme que j’aurais choisi, bredouilla-t-elle.

Dana sourit.

— Hier, alors que tu oscillais entre vie et mort, le démon a cherché à s’échapper pour rejoindre l’eau ou la pierre. Certainement te croyait-il perdue. Cette créature se trouvant à l’état d’esprit, il lui était vital de trouver un corps, un objet ou un élément dans lequel se réfugier, sans quoi il périrait… 

— Comment avez-vous su que j’étais en danger ? la coupa Kalis.

— Je te l’ai dit : je suis une dourienne. La vision de ta noyade m’est parvenue dans l’onde du broc que tu tiens dans les mains. J’ai alors imploré l’Océan de te ramener sur la rive. Mais je n’étais pas certaine que mon appel soit entendu…

Tu respirais à peine quand je t’ai retrouvée. Le démon s’agitait frénétiquement en toi. Il a mis mon pouvoir à rude épreuve… J’ai dû user de tout mon savoir et de toute ma puissance pour qu’il demeure en toi. Il fallait que j’y parvienne, au moins jusqu’à ce que je te ramène ici car dans l’état où tu te trouvais, je n’étais pas certaine que tu survivrais à une telle épreuve. Mon pauvre dos s’en souviendra longtemps ! Heureusement que tu n’es pas très épaisse.

— Et maintenant… le démon… Il s’est infiltré dans le corps d’un autre humain ? Ce corps calciné…

— Non. Ce corps que tu vois est le sien. Il existait une autre raison qui me poussait à l’empêcher de s’échapper. J’ai conçu des projets pour lui. Tu ne te rends certainement pas compte du précieux de l’instant mais… cette rencontre avec un démon est parfaitement exceptionnelle, même pour les sorciers. Voilà une chance que je ne laisserai pas passer… Je t’instruirai de tout ceci en temps voulu. Pour l’heure, il n’est pas utile de te bourrer le crâne plus que nécessaire.

Kalis demeura silencieuse, les yeux rivés sur la créature.

— Il prend peu à peu forme dans les flammes, il se matérialise, continua Dana. Je lui ai fait expérimenter d’autres éléments avant de parvenir à trouver un environnement qui lui soit favorable. Le feu semble lui convenir, et pourtant, c’est étrange… Quelque chose m’échappe. Quoi qu’il en soit, tel que tu le vois il est toujours endormi. Je crois que sa lutte est difficile. Il semble peiner à puiser ses forces dans le brasier. Mais j’y pense, toi aussi tu dois te sentir bien faible après une telle aventure. Mange davantage, tu trouveras tout ce qu’il faut dans le garde-manger là-bas.

Kalis obéit. Elle opta d’abord pour le pain puis avala quelques goulées de cidre pour se réhydrater. Quand elle se releva, elle vit la sorcière mêler quelques poudres brillantes entre elles dans une coupe en terre.

— A présent, tentons de venir en aide à cette créature, lança Dana pour elle-même. Par Lugendril… un magicien m’a-t-il déjà précédéedans une si folle entreprise ? Si tel est le cas, je n’en ai jamais eu vent. Que les esprits de la nature me viennent en aide…

 Le spectacle de cette sorcière qui s’agitait devant ce grand feu rappelait vaguement à Kalis les contes de son enfance. Elle aurait pu en sourire si cette femme ne faisait que préparer un prétendu philtre d’amour ou un baume contre les verrues. Mais il s’agissait là de donner corps à un démon, à son démon, celui qui la possédait depuis sa naissance.