Keuf de banlieue - Franck de Villafranca - E-Book

Keuf de banlieue E-Book

Franck de Villafranca

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Beschreibung

"Keuf de Banlieue" explore deux années passées au sein d'une Brigade de Sûreté Départementale, offrant un regard unique sur cette expérience. Franck de Villafranca y a croisé des personnages à la fois insolites et anonymes, dont les vies ont révélé des leçons profondes sur la nature humaine. Entre moments de bonheur et de détresse face à la souffrance, il réfléchit à l'impact des comportements humains. La cohabitation complexe de policiers aux parcours variés, tous unis par la mission de garantir la sécurité des personnes et des biens, soulève une question fondamentale : ont-ils réussi ou échoué dans leur mission ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Les œuvres telles que 1984 d’Orwell, L’Étranger de Camus et Le Petit Prince de Saint-Exupéry ont profondément inspiré Franck de Villafranca. Elles ont éveillé en lui le désir d’écrire, par curiosité, pour comprendre, transmettre et exprimer ses émotions. Ses écrits sont nés dans des moments de solitude, de colère et d’amour, reflet d’une nécessité de s’exprimer librement là où les mots lui faisaient défaut.

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Seitenzahl: 435

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Franck de Villafranca

Keuf de Banlieue

Roman

© Lys Bleu Éditions – Franck de Villafranca

ISBN : 979-10-422-4534-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, il n’est toujours pas facile de distinguer la réalité de la fiction puisque la frontière entre les deux est floue. La fiction n’est pas pensable indépendamment d’un premier monde, un monde réel sur lequel elle s’appuie. Ce monde secondaire fictif en fait un monde impossible dans lequel par exemple on peut dessiner des cercles carrés, selon Laurent Jenny « Méthode et problèmes, la fiction ». Un récit est la fusion de l’imagination et de la réalité dans lequel personnages, lieux et situations sont fictifs.

Ce récit est dédié à tous mes amis policiers, en particulier, Léo, Raphaël et Gabriel, qui m’ont aidé et ont contribué à me former dans de multiples domaines et à tous ceux avec lesquels j’ai partagé à un moment, un vestiaire, une partie de trottoir, un véhicule et les « galères »…

À mon chef de groupe Axel et son ami Roméo…

Le but de cet ouvrage n’est pas d’entrer dans une polémique entre les bons et les mauvais agissements de certaines forces de police ou de tout simplement régler mes comptes avec une administration à laquelle j’aurais pu appartenir mais d’éclairer le public sur le fonctionnement intérieur de celle-ci à une certaine époque. Époque par ailleurs révolue. Il est bon de décrire les ficelles autorisées par ces services pour arriver à leurs fins et d’imaginer quelles en seraient les conséquences si elles n’étaient pas utilisées. Il est certain que les marges légales de manœuvre sont minces et que le pas est rapidement franchi pour tomber dans des excès facilement répréhensibles par la justice. Difficile de rester cloîtré dans un système qui ne met pas en valeur le travail effectué sur le terrain et qui ne s’attache qu’aux résultats et aux chiffres voire aux statistiques. Je n’ai pas la prétention de changer quelque chose mais les moyens matériels et financiers mis à notre disposition ne correspondaient que très rarement aux missions qui nous étaient imparties. Le système est conçu de telle manière que le fonctionnaire doit faire le maximum avec le minimum. Il doit dans sa mission de rentabilité, notion absente de l’appréciation de ses valeurs et dans sa notation annuelle obligation de résultat. Ce dernier ne sera obtenu la plupart du temps que grâce à sa farouche volonté, sa ténacité, et bien sûr sa perspicacité. L’accomplissement des diverses missions s’effectuait en tenue avec des garde-fous, des instructions claires et précises (pas toujours !) alors qu’en civil, les marges de manœuvre étaient beaucoup plus étendues et les dangers également plus nombreux. Nous verrons par la suite que pour obtenir des résultats, l’investissement et la motivation de chacun contribuaient au bon fonctionnement de cette institution sans guère de contrepartie, contrairement à celle des Douanes qui à tort ou à raison distribue un substantiel pourcentage sur les affaires élucidées. On peut alors comprendre aisément leur grande motivation.

Comme la plupart de mes collègues et malgré les différends rencontrés, nous concourrons tous à un même but, la sécurité de nos concitoyens ainsi que celle de leurs biens, au maintien de l’ordre public sous toutes ses formes, au respect d’autrui et des règles édictées par notre hiérarchie, de nos dirigeants, de nos politiques. Nous essayons de suivre au mieux ces règles en restant impartiaux face à des faits et des situations qui ne sont prévus nulle part et qui nécessitent une adaptation immédiate.

Empli de bonnes volontés et d’une grande motivation, je postulais en septembre pour un service nouvellement créé en région parisienne, la Brigade de Sûreté Départementale des Hauts de Seine.

La création

La création d’unités de renfort de police judiciaire, initiative du Directeur Départemental, comportait dans un premier temps le recrutement d’officiers de police judiciaire, inspecteurs de police à l’époque, ainsi que de gradés et gardiens de la paix issus de la tenue par sélection sur dossier professionnel suivi d’un entretien avec un jury. Ce dernier était composé d’un officier de paix et de celui qui par la suite deviendrait notre « patron », un Commissaire de Police, chef de l’unité de police judiciaire départementale. Il avait pris la direction de la brigade des mineurs des Hauts de Seine à Nanterre avant de transformer ce service en sûreté départementale. Auparavant, il avait passé une quinzaine d’années à la direction centrale de la police judiciaire (6e division chargée de la lutte contre le terrorisme) qu’il avait quittée avec le grade d’inspecteur divisionnaire, chef de groupe, avant d’entrer à l’École Nationale Supérieure de la Police à Saint-Cyr au mont d’Or (Rhône) pour y être nommé après deux années Commissaire de Police. Il avait organisé son service ainsi : les futures brigades de sûreté (2 BSD et), la brigade des mineurs, l’unité de liaison, d’information et de synthèse chargée principalement du regroupement et du recoupement des informations, la brigade des stupéfiants et la brigade de police judiciaire de nuit, soit six services regroupant environ cent vingt fonctionnaires.

Donc, en compagnie de huit autres brigadiers et de cinquante-huit gardiens de la paix sélectionnés sur dossier, je me présentais au siège du service départemental des mineurs pour y subir un entretien. Celui-ci portait essentiellement sur mon vécu policier et sur les motivations de cette démarche. Mes motivations étaient des plus claires : intégrer la fonction civile, faire de la police judiciaire et beaucoup moins d’administrative, améliorer mes connaissances professionnelles et procédurales.

Ces raisons invoquées allaient avoir pour effet l’acceptation de ma candidature, comme la plupart de mes collègues présents. Deux mois plus tard, j’étais avisé par télégramme interne de ma prise de fonction à Gennevilliers, siège de la Brigade de Sûreté Départementale no 1. Heureux, je l’étais ! Nouveau départ, nouvelles fonctions, remise en question.

Notre mission

Cette mission avait par ailleurs été définie par le Directeur Départemental de la Sécurité Publique. Il voulait d’une part que cette unité lutte contre la criminalité sous toutes ses formes mais aussi contre la petite et moyenne délinquance qui perturbait de plus en plus le quotidien de nos concitoyens.

Vaste programme… ! Pour cela, il devait créer une nouvelle structure mieux adaptée pour répondre en temps réel au phénomène d’insécurité que généraient ces formes de délinquance. Ainsi, allaient naître nos deux brigades de sûreté départementale, l’une à Gennevilliers et l’autre à la Garenne-Colombes. Leurs principales missions devaient être la recherche et l’investigation contre le trafic de stupéfiants dans les cités, le vol et le recel, la lutte contre les étrangers en situation irrégulière, la surveillance générale, la prévention de toute forme de délinquance.

L’unité constituée des stages était organisée. Et ce dès novembre, stages de tir assortis de techniques d’intervention (immeubles, véhicules, menottages…) afin de nous permettre d’appréhender au mieux nos nouvelles fonctions. La mixité tenue civile devait être vécue par nous comme une source d’enrichissement personnel, professionnel et humain et cette synergie devait avoir pour effet une meilleure utilisation des compétences de chacun. Ces bases établies, nous devions dès à présent faire connaissance, établir des liens, former un ou plusieurs groupes et nous imprégner de notre nouvel environnement.

La prise de contact

Dès mon arrivée et après présentation à mon chef de groupe, l’inspecteur divisionnaire Max, homme jovial d’une cinquante d’années, de petite taille, mince, yeux bleus, cheveux blancs, vêtu d’un pantalon de ville marron et d’un pull gris, lequel me souhaitait la bienvenue, j’approchais alors mes nouveaux collègues rassemblés autour d’une tasse de café. Les discussions allaient bon train et étaient variées comme toujours dans un groupe chacun y allant de sa propre expérience, de son passage dans différents services. En fait, chacun cherchait l’âme sœur, le ou la comparse avec lequel le dialogue allait s’établir. Chacun cherchait un appui. Pour ma part, j’allais rapidement faire connaissance avec Raphaël, collègue gardien de la paix, ancien îlotier de Villeneuve-la-Garenne, originaire du Sud-Ouest tout comme moi et dont la connaissance du terrain sur lequel nous allions opérer ainsi que ses compétences professionnelles s’avéreront par la suite sans faille. Tout comme l’amitié qui allait nous lier dans les mois qui suivront. Par ailleurs, j’allais être « chaperonné » tout de suite par Gabriel, ancien îlotier lui aussi, plus solitaire, mais dont l’efficacité dans la recherche du renseignement et la ténacité dans son travail en feront une pièce maîtresse de notre petite formation. Un quatrième larron nous rejoindra, Léo, brigadier de police, issu du commissariat de La Défense, énergique, plein d’enthousiasme, amuseur de galerie à ses moments qui affirmera au fil des jours un caractère surprenant qui en déroutera plus d’un. Sur vingt et une personnes présentes, le groupe comptait six inspecteurs dont une femme, quatre brigadiers dont un chef, onze gardiens de la paix dont trois femmes, tous issus de différents commissariats d’une banlieue proche de Paris, les Hauts de Seine. Certains avaient travaillé sur les circonscriptions environnantes, Gennevilliers, Villeneuve-la-Garenne, Clichy, Colombes, Neuilly S/Seine, La Défense ou Asnières. Ils avaient pour la plupart de nombreux contacts et connaissaient parfaitement les secteurs car dès le début nos rayons d’action s’étendraient uniquement dans le nord du département. Pour revenir à mes collègues inspecteurs, seuls trois étaient officiers de police judiciaire et pouvaient pleinement exercer les prérogatives liées à leur qualification telles que les gardes à vue, les perquisitions, les saisies, pour ne citer que les principales. Les autres récemment sortis d’école n’avaient pas encore reçu leur habilitation et se trouvaient sur le même pied d’égalité que la plupart d’entre nous, agents de police judiciaire donc limités dans leurs actes. Étaient officiers de police judiciaire, notre chef de groupe Max, son adjoint Enzo venant d’Asnières et Paul venant de Neuilly S/Seine. Les autres devaient attendre encore quelques mois pour enfin obtenir leur habilitation, Axel de Gennevilliers, Roméo de Colombes et Anna de la Défense. Le reste du groupe était composé de brigadiers à l’image de Mathéo, totalisant à lui seul l’équivalent de trois cents félicitations et gratifications émanant d’horizons divers et fruits de nombreuses années passées sur la voie publique. Il était issu d’un service actif, la brigade anticriminalité. Pablo, garçon fougueux, était lui aussi très motivé et efficace et nous devrons à plusieurs reprises freiner ses ardeurs. Clément de l’unité mobile de sécurité, Roman dit « Monsieur Roman » de la brigade anticriminalité lui aussi, Manon de Gennevilliers, Nolann de la compagnie d’intervention, Amina de Neuilly S/Seine, Roxanne de Colombes, Tristan d’Asnières et enfin Baptiste de la compagnie motocycliste urbaine départementale. Tout ce petit monde allait cohabiter pour le meilleur et pour le pire durant deux années, un mariage professionnel en quelque sorte.

Nous étions donc une vingtaine dans des locaux qui s’avéreront très vite inadaptés à nos missions. Trois pièces pouvaient accueillir l’ensemble, avec parfois une pièce supplémentaire lorsque Léopold s’absentait, lui qui était chargé de traiter les pièces parquets et de recevoir les plaintes des multiples gérants des sociétés du port autonome de Paris. Les locaux étaient d’ailleurs loués à la ville de Paris. Parfaitement indépendant, il menait une vie paisible à l’écart de nos activités. Le reste du bâtiment était constitué d’une garde à vue exiguë, d’une cuisine mal aménagée fréquentée régulièrement par des cafards, d’une douche et d’un cabinet d’aisances. Nous étions déjà à l’étroit et les difficultés n’allaient cesser de s’accroître. Nous allions rapidement nous rendre compte que cette création, aussi honorable, fût-elle, eut lieu à la va-vite et que les moyens escomptés allaient très vite nous faire défaut. En fait, il fallait faire avec les moyens du bord, cette création n’ayant pas été prévue dans le budget annuel. Peu de véhicules, deux puis quatre en mauvais état, pas de machine à écrire, pas d’ordinateur, pas de procès-verbaux, pas de papier, de fournitures de bureau, de chaises et de bureaux. Rien. Bien sûr, nous ne possédions pas d’appareil photographique, des jumelles et encore moins de caméscope. Pas même un équipement de pluie ni un casque pour faire de la moto. Tout ce que nous utiliserons au début sera le fruit de nos bonnes volontés. De nombreuses demandes étaient adressées à notre hiérarchie sans résultat immédiat et le matériel demandé n’arriverait qu’au compte-gouttes et non en totalité. Nous étions tout de même assurés de l’agrandissement de nos locaux dans les mois à venir. Toujours sur le plan matériel, nous disposions d’une seule ligne téléphonique et d’un minitel (oui, un minitel !) mis gracieusement à notre disposition par Gabriel. Malgré toutes ces déconvenues, nous avions choisi et tenterions d’être efficaces dans notre tâche…

Dans nos missions de recherche, j’ai eu la chance de m’associer à Raphaël, Gabriel et Léo. Au cours de nos toutes premières sorties, ils me présentaient à leurs connaissances : informateurs occasionnels, principalement des commerçants mais également des toxicomanes, des receleurs dont l’activité était connue de tous mais passée sous silence du fait des relations qu’ils entretenaient avec différents services de police. Le plus fort dans ce domaine était incontestablement notre chef de groupe Max. C’était un vieux renard, proche de la retraite, qui connaissait toutes les ficelles du métier et naviguait de par ses fréquentations dans un milieu qui nous était inaccessible, en eaux troubles je dirais aujourd’hui. La recherche du renseignement était quelque chose de nouveau pour moi. J’étais il est vrai fasciné du comportement de ces informateurs à notre égard, moi qui depuis onze années portait la tenue d’uniforme et avait eu à affronter à maintes reprises leurs regards, leurs paroles et leurs gestes dans d’autres contextes. J’étais le même individu sans tenue. Je n’avais rien de différent. J’étais le même homme sans casquette. Je n’étais plus un « képi » ou un « bleu », appellation mal contrôlée et appréciée des petits voyous de tous poils. Voilà toute la différence et elle n’est pas mince. Si ces mêmes individus pouvaient imaginer que la plupart des affaires exploitées par la suite par la police judiciaire sont l’œuvre de la « base », je pense qu’ils modifieraient leur comportement à notre égard. Je découvrais un autre univers, rêvé parfois, rarement approché puisque réservé à un certain corps. De débits de bars en restaurants en passant par divers autres commerces l’accueil était particulièrement chaleureux. De ses connaissances, Raphaël allait me présenter un épicier, Omar, en qui il avait une extrême confiance. Je ne sais pourquoi, mon sentiment était partagé, je ne le « sentais » pas et je lui en faisais part. Il m’assurait qu’il collaborait depuis de longues années avec nos services. Tunisien de Djerba, petit, de forte corpulence, frisé comme un mouton, il tenait une petite épicerie à l’enseigne « La Tonnelle » comme la plupart de ses congénères. Il y vendait divers articles, fruits et légumes, alcool, de tout en fait. Une tête ronde, « grassouillet », il souriait sans cesse. Philippe m’expliquait que Omar était l’ami d’un certain Ryan, de confession juive mais que contrairement à lui, il fallait s’en méfier. Ryan était prêt à tout pour obtenir les bonnes grâces de nos services. Je faisais sa connaissance quelques jours plus tard. Il tenait lui aussi un commerce, la gérance d’une supérette. À notre arrivée, j’étais très surpris par l’accueil qu’il allait nous réserver. J’avais l’impression qu’il appréciait particulièrement Raphaël, que de nombreux liens s’étaient créés entre eux, malgré ses réticences. Immédiatement dès notre entrée dans le magasin, il nous happait littéralement. Ce magasin n’invitait pas les clients de par son entretien et ses produits mal achalandés. J’avais l’impression de participer à un complot. Hors de la vue des quelques clients présents, dans un bureau surplombant le magasin, ils engageaient une conversation. Je ne saisissais que peu de choses de ce qu’ils se racontaient. Ils parlaient d’individus que je ne connaissais bien évidemment pas et d’affaires passées. Des prénoms et des noms fusaient. Je prêtais toutefois une oreille, plus par respect que par intérêt. Ryan parlait de vol, de bijoux, d’agressions, de braquages. « Imane, Bambara », noms et prénoms se succédaient, suivis d’autres faits. Raphaël, me voyant perplexe, me dit alors : « Je t’expliquerai plus tard ! » Il faut préciser qu’alors nous étions dans un endroit réputé chaud, un centre commercial situé au sein des « barres » de la cité « La Caravelle » ou cité blanche de Villeneuve-la-Garenne. Je découvrais en même temps que la cité, ses habitants et surtout leurs problèmes. Cité constituée d’habitations à loyers modérés dont les occupants sont des plus démunis, allocataires de toutes sortes où se côtoyaient jeunes et moins jeunes de toutes nationalités, quatre-vingts minimums à l’époque et où s’installaient des marchés parallèles et des trafics en tout genre. J’étais également surpris par le nombre de personnes qui nous parlait et qui nous fournissait des renseignements de toute nature, des indications, parfois à demi-mot ou sans retenue aucune, dénonçait leurs voisins gratuitement. Tous bien sûr ne le faisaient pas pour rien et avaient des choses à se reprocher ou à nous demander. Parfois simplement la jalousie, rivalités entre individus ou familles, entre commerçants, ou seulement pour entretenir des relations qui un jour pourraient s’avérer utiles. D’autres connaissances que j’allais faire rapidement, il y avait toute une famille libanaise bien implantée sur la commune de Gennevilliers. J’y reviendrai par la suite plus longuement car les sujets étaient intéressants à divers niveaux. Je comprenais petit à petit comment il était possible d’obtenir des renseignements sans trop se « mouiller ». Une petite contravention par ci, la recherche de quelqu’un, une demande de papier, des petits riens qui nous empoisonnaient la vie de tous les jours mais qui un jour pouvaient valoir leur pesant d’or. J’étais étonné par ceux qui ne demandaient rien en échange. La mise hors circuit de leurs rivaux suffisait. D’autres, peu nombreux, vouaient une véritable estime à Raphaël et Gabriel.

Donc, les premiers jours, voire les premières semaines, nous allions accumuler des renseignements. Des dossiers étaient ouverts pour les affaires à traiter mais rien ne se concrétisait véritablement. Nous cherchions encore une cohésion, un esprit de groupe. De plus, personne, à deux exceptions près, n’avait travaillé ensemble. Bien qu’ayant eu la même formation de base, chacun par ses acquis et son vécu avait sa propre façon de travailler du moins c’est ce que nous pensions. Les informations collectées restaient à vérifier, les surveillances éventuelles à faire. Nous accumulions toujours des dossiers alors que déjà à notre arrivée nous avions hérité d’un bon nombre jalousement conservés par Gabriel après la dissolution de l’unité judiciaire de renfort, unité précédente à la nôtre et créée à titre expérimental quelques mois auparavant. Donc, la liste s’allongeait et l’exploitation proprement dite n’avait pas débuté. Il nous fallait nous trouver et plus justement trouver un rythme de croisière. Pour cela, il fallait traiter une affaire, même de moindre importance, mais une affaire…

Ce fut chose faite neuf joursaprès notre installation. Ne tenant plus vraiment en place, sous l’impulsion de Mathéo, nous décidions d’effectuer en soirée des contrôles dans les bars environnants. Dès la tombée de la nuit, une petite opération était rapidement préparée. Il nous fallait un peu de chance. Encadrés par nos officiers, nous prenions place dans plusieurs véhicules à destination de Clichy. Les rôles étaient répartis et chacun avait connaissance de la place qu’il occuperait au cours de ces interventions. La sécurité était primordiale dans ce type d’intervention. Après quelques essais infructueux, les uns en protection aux différents accès, les autres chargés du contrôle à proprement dit et des palpations des clients nous plongions au cœur de cette ville dont la population est constituée à l’essentielle de classes moyennes hétérogènes et dont les Marocains dominaient par leur nombre. La palpation permet par l’apposition des mains sur les vêtements d’y découvrir des objets dangereux ou illégaux en opposition à la fouille à corps qui est la « mise à poil du sujet », action du ressort exclusif de l’officier de police judiciaire. Arrivés rue de Paris, plusieurs commerces étaient encore ouverts, principalement des bars.Notre entrée dans l’un d’eux allait surprendre la clientèle et la tenancière. Le brassard « Police » ajusté, l’intervention rapide accompagnée de l’habituel « Police, personne ne bouge ! » figeait l’ensemble de l’assistance. Les consommateurs appuyés au comptoir étaient invités à laisser leurs mains bien en évidence sur ce dernier et chacun à tour de rôle essayait de justifier de son identité. Chaque fait et geste étaient observés. Malgré cela et après s’être assuré de chacun nous allions apercevoir au pied de l’un d’entre eux, un certain Moussa, homme d’une trentaine d’années, correctement vêtu d’une gabardine et d’un costume cravate, visiblement mal à l’aise, une liasse de billets de cent francs (env. 15 euros). Dix-neuf au total. Ils allaient rapidement se révéler faux. Nous avions alors le pied à l’étrier. La difficulté résidait dans le fait que ces billets n’appartenaient à personne et Moussa allait faire les frais de leur présence. En aparté, la tenancière des lieux confirmait qu’il était bien le détenteur de ces billets et que régulièrement il en utilisait pour ses consommations ou celles de ses amis de bistrot. Le doute enlevé, il était conduit dans nos locaux du port pour y être entendu et placé en garde à vue. Il ne pourrait alors fournir aucun justificatif de son séjour en France et pour cause… ! Il se trouvait en situation irrégulière sur notre territoire. Cette affaire allait être superficiellement traitée par notre service car en matière de faux monnayage un service spécial était saisi immédiatement, l’office central de répression du faux monnayage. Néanmoins, ces quelques faux billets nous avaient mis l’eau à la bouche ! Il s’agissait pour nous de ce que l’on nomme parfois comme de « l’alimentaire », c’est-à-dire un peu de résultats pour justifier notre présence et surtout notre création. Il va de soi et il en va de même dans tous les services que l’on ne nous entretient pas à ne rien faire ! Ah, statistiques, quand tu nous tiens…

Toujours dans un souci de bien faire, nous poursuivions la recherche de renseignements. Notre chef de groupe Max ne se souciait guère des résultats. Confiant, il vaquait à ses occupations. Il rencontrait de nombreuses personnes, essentiellement à l’extérieur de nos locaux et semblait toujours attendre l’info qui allait faire sortir la grosse affaire. Gabriel travaillait. Bien avant notre venue, il avait entrepris un jeune marocain, prénommé Amir. Celui-ci vivait en France d’expédients depuis cinq années, démuni de toute aide et bien entendu de titre de séjour. Tout d’abord, il avait été l’informateur ou plus amicalement le « tonton » de Max à la suite d’une condamnation dont il avait fait l’objet quelques mois après son arrivée en France. Il avait purgé une peine de prison dans le nord de la France pour semble-t-il une agression. Depuis sa liberté recouvrée sans papier ni domicile fixe, sans aucun moyen financier, il vivotait. Récupéré par Max à la suite d’une nouvelle affaire et alors que celui-ci était en fonction à Gennevilliers, il l’avait chaperonné lui assurant que contre sa collaboration et des informations, il tenterait de lui obtenir des « papiers ». Ces papiers, il les avait eus. Peu de temps, je le conçois car il les avait obtenus à la suite d’un mariage blanc dénoncé en son temps par sa tante, tenancière d’un bar et amie de Max. Ses papiers lui avaient été retirés par la Préfecture. Puis Max en fit « cadeau » à Gabriel, pas de ses papiers mais de sa personne. Son statut n’ayant pas évolué, il dormait dans les caves et sans avoir vraiment la certitude, devait commettre de menus larcins. Comment aurait-il pu vivre autrement ? Ce n’est pas le peu d’argent que parfois nous lui donnions qui le lui permettait. Un sandwich par ci, un paquet de cigarettes par là, nous l’avions pris en pitié car au fond il était serviable et aimable. Âgé d’à peine une trentaine d’années, typé, vêtu constamment d’un pardessus vert délavé, un peu à la Colombo, d’un pantalon noir, d’une paire de chaussures éculées, il nous faisait peine à voir. Pourtant, il souriait. Par la suite, je lui amènerai quelques vêtements et sa joie serait immense. Chacun essaierait à sa manière de lui apporter un peu de réconfort bien que certains n’accepteraient jamais sa présence, une minorité il est vrai. Il traînait dans nos bureaux mais Gabriel s’en était porté garant et je le voyais mal dérober quoi que ce soit ou trahir l’un de nos projets. Sa situation me révoltait. Que pouvions-nous faire ? Gabriel tentait des démarches auprès de la Préfecture afin de remédier à sa situation de sans-papiers et peut-être enfin le régulariser. Dans l’immédiat, ces instances faisaient la sourde oreille. Amir, de son côté, se démenait comme un beau diable afin de nous amener une affaire sur un plateau. Amir cherchait et trouvait. Fréquentant assidûment les bars proches des quatre chemins à Colombes, il avait été dans l’un d’entre eux pris en amitié par le patron un certain Assil. D’origine maghrébine lui aussi, il subvenait gracieusement à ses besoins les plus urgents, nourriture et boisson. Il recevait une clientèle formée à l’essentielle de personnes séjournant à la maison de Nanterre, vieilles personnes démunies de tout, érémistes et retraités sans grand moyen, handicapés et parfois alcooliques. Il avait fait part à Amir de l’inquiétude de ces personnes et de leur détresse face aux agressions répétées dont ils faisaient l’objet et le vol régulier de leur maigre économie. En cherchant à y voir plus clair, Amir prenait des contacts aux alentours de l’établissement. Dans sa quête, il contactait trois personnes fréquentant une place environnante des quatre chemins, proche des commerces et d’un bureau de poste. Ces trois-là, eux aussi maghrébins, tentaient de vendre du matériel informatique, principalement des ordinateurs. Amir pensait immédiatement et à juste titre que l’origine de ces appareils était plus que douteuse et que ceci allait forcément nous intéresser. Il avisait immédiatement Gabriel qui lui demandait de les revoir et de prendre rendez-vous pour le jour même avec le matériel afin de leur présenter un éventuel acquéreur. Amir s’acquittait de cette tâche sans difficulté et le rendez-vous était pris comme convenu pour le soir. Dès lors, nous mettions en place un dispositif de surveillance à proximité d’une grande surface, lieu où devait s’effectuer la rencontre. L’ensemble de l’effectif était réparti dans les véhicules stationnés à une distance respectable pour ne pas éveiller les soupçons. Chacun attendait avec impatience leur venue et les commentaires allaient bon train sur les ondes radio. Les minutes s’écoulaient et nous scrutions les allées et venues de toutes les personnes munies de sacs volumineux. La tension montait d’un cran à l’arrivée d’Amir. Il traversait l’immense place d’un pas nonchalant se dirigeant vers le lieu fixé par les vendeurs. À notre grand étonnement, dès son arrivée, il saluait par une poignée de main puis la main sur le cœur trois individus assis sur une murette. Nos « clients », pensait-on ? L’un d’eux se baissait derrière le mur sur lequel ils étaient assis et en sortait plusieurs cabas. Amir en examinait le contenu. C’étaient bien nos clients et nous décidions alors d’intervenir. En compagnie de Léo, nous traversions à grands pas la place sur les pas du tonton. À notre arrivée, le travail était presque terminé. Tous étaient contre le mur, y compris Amir avec lequel nous nous étions mis d’accord pour qu’il subisse le même traitement que les autres afin de le protéger d’éventuelles représailles. Dans les cabas se trouvaient des écrans et des claviers d’ordinateur. Pris en charge séparément, préservant ainsi Amir, nous prenions la direction du commissariat de Colombes afin de les y mettre en garde à vue car aucune permanence de nuit n’était assurée dans nos locaux, hormis Max qui y prenait ses quartiers, parfois accompagné d’une copine sur le canapé-lit de notre salle de repos. D’autres l’utilisèrent également dont moi-même. Donc aux alentours des vingt heures, les quatre arrivaient au poste de police. Le substitut avisé des faits confirmait que Amir serait libéré avant l’expiration des vingt-quatre heures réglementaires de garde à vue. Il n’était pas informé de l’absence de titre de séjour du tonton. Placé dans une cellule à part, il était effectivement libéré le lendemain à midi. Les trois autres, après un bref passage dans nos locaux du port de Gennevilliers afin d’y être entendus, étaient déférés à Nanterre. Kaïs reconnaissait avoir escaladé seul la façade de la bibliothèque de Bezons – Val-d’Oise – après avoir cassé une fenêtre pour y pénétrer et avoir dérobé le matériel informatique qui s’y trouvait. Ses acolytes, Ali et Ibrahim n’étaient selon sa version que les bras nécessaires au transport. Ce dernier d’ailleurs ne possédait pas de titre de séjour. Une mesure d’expulsion était prise à son encontre alors que le jugement rendu par la chambre correctionnelle condamnerait les deux autres à quatre mois de prison ferme.

L’utilisation d’informateurs n’était plus à démontrer et devenait la priorité de chacun. Je comprenais alors que sans eux hormis le cas de flagrant délit nous ne pouvions que difficilement concrétiser et sortir de bonnes affaires. Leur appui était nécessaire et leur travail de fourmi était payant. Sans le tonton de Gabriel, Kaïs, Ali et Ibrahim auraient continué leur « business » longtemps…

Deux jours plus tard, un équipage composé entre autres de Mathéo et Monsieur Roman procédait au contrôle d’un individu rue Gabriel Péri à Gennevilliers. Celui-ci au cours du contrôle présentait une déclaration de perte de papiers d’identité ne lui appartenant pas et pour cause, le nom de la personne portée sur ce document était celui d’une personne fréquentant assidûment nos services. Questionné sur sa véritable identité, il s’avérait qu’il ne possédait pas de titre de séjour et qu’il faisait l’objet d’une fiche de recherche pour interdiction du territoire national. Il n’avait pas joué de chance croisant notre équipe. Belkacem était donc déféré en soirée au centre de rétention des étrangers à Nanterre. L’usurpation d’identité n’était pas retenue et faisait l’objet d’un classement sans suite, son expulsion devant intervenir par la suite. Nous ignorons toujours sa destination. Tout ceci restait de « l’alimentaire », du « crâne », de la « batonite », comme l’on disait dans notre jargon.

Les choses allaient un peu plus se corser lorsque pour faire suite à la demande d’Assil, le patron du bar de Colombes concernant l’inquiétude bien justifiée de ses clients d’être agressés régulièrement et dépouillés de leurs maigres économies, nous allions aux renseignements. Amir, toujours sur la brèche, arpentait déjà les trottoirs à l’écoute de toutes informations susceptibles de nous faire progresser. Nous, nous effectuions des recherches auprès du centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre où la plupart de ces vieux étaient hébergés. Nous allions prendre contact avec le personnel de la vigie de police installé dans l’enceinte de ce centre afin d’y recueillir les plaintes déposées et recouper les éventuels signalements des auteurs, les heures et lieux de leurs méfaits, les moyens utilisés. Nous dirigions également le même type de recherche auprès des commissariats de Colombes et Nanterre. Nouvel étonnement ! Nous apprenions qu’un minimum de cinquante plaintes avaient été déposées par des personnes âgées et qu’aucun service ne s’était préoccupé de cet état de fait. Bien évidemment, nul n’avait tenté d’enrayer le phénomène. Amir était chargé de les identifier. Ce quartier était son lieu de prédilection et le résultat n’allait pas se faire attendre. Il réussissait à les identifier, les prénommer, les loger et plus fort encore à savoir qu’ils préparaient un nouveau coup. Le mercredi suivant, nous étions sur le pied de guerre. Effectif au complet, nous organisions une surveillance aux abords d’un bar que fréquentaient les voyous. Par équipe de trois ou quatre par véhicule, Baptiste sur la moto dans un parking surplombant l’avenue, quelques-uns d’entre nous piétons, le dispositif était en place. J’étais en compagnie de Léo et Tristan dans une bibliothèque municipale, dissimulés entre les rayonnages de livres, feuilletant parfois quelques ouvrages dans l’attente de l’action. Eux ne semblaient pas pressés. Qu’attendaient-ils pour passer à l’action ? Amina allait dans le bar. Jeune, de père marocain et de mère belge, son minois attirait le regard de nos deux compères. Elle s’accoudait au comptoir et commandait une consommation. Après quelques instants, ils s’approchaient d’elle et lui proposaient un verre qu’elle refusait poliment. Le proche départ d’un vieux allait déclencher les hostilités. Ils quittaient le bar. Passablement éméchés, peut-être pour se donner du courage, ils le suivaient. Peu de temps s’écoulaient et celui-ci passait devant un hall d’immeuble. Ils se ruaient sur lui l’entraînant vers l’intérieur de l’immeuble. La porte close, ils se retrouvaient sous le porche. Le vieil homme sans défense était roué de coups sans qu’il oppose une moindre résistance. À l’arrivée des premiers collègues, les coups allaient changer de camp. L’un d’entre eux prenait la fuite. En compagnie de Baptiste et Léo, nous nous lancions à sa poursuite. Il empruntait une ruelle assez étroite et se retrouvait dans un parking. Pris au piège, il faisait face. Il allait se rebeller, pensant être à son tour agressé. Néanmoins, le fuyard allait recevoir une magistrale correction. Les nerfs ! Le sinistre duo venait de dérober les économies du retraité, six cents francs (quatre-vingt-onze euros), une misère. Conduits manu militari dans nos locaux, Ahmed, Farid et Bilal reconnaissaient plusieurs attaques de pensionnaires de la Maison de Nanterre. Ils agressaient presque chaque jour des personnes âgées et les délestaient de leurs économies. Ils reconnaissaient que lorsque les victimes montraient un peu trop de résistance, ils n’hésitaient pas à les bousculer et les frapper. Ahmed était en possession d’un couteau. À chaque agression, ils ne volaient que quelques centaines de francs provenant pour la plupart du revenu minimum d’insertion ou des pensions des pauvres bougres. Ils avaient dû mûrir ce projet alors qu’ils avaient été eux-mêmes pensionnaires de l’établissement. En partageant durant quelques semaines la vie de leurs futures victimes, ils avaient pu observer leurs habitudes et leurs fragilités physiques. Ils connaissaient les périodes durant lesquelles les victimes se rendaient aux différents distributeurs automatiques de billets pour y retirer leurs pensions. Ils opéraient de la même façon le soir à la sortie des bistrots profitant de l’état d’ébriété de ceux qui allaient chercher un peu de réconfort et d’amitié en ces lieux. C’est pour cette raison que certains patrons de bars des environs avaient eu l’idée de faire circuler une pétition pour tout d’abord attirer l’attention des élus locaux et mettre un terme à ces agissements. Nous les avons pris de court. Les deux individus étaient déférés au parquet de Nanterre et placés sous mandat de dépôt. Bien que toutes les victimes n’aient pas déposé une plainte, nous avons estimé nous trouver en présence d’une centaine d’agressions, puisque les auteurs frappaient presque chaque jour, et ce depuis trois mois. Le nombre de vieillards attaqués lâchement serait lui d’une cinquantaine car certains l’avaient été deux ou trois fois. À l’audience de la chambre correctionnelle, Ahmed était condamné à deux ans de prison ferme alors que Farid en situation irrégulière se voyait infliger une interdiction du territoire français pour une période de trois ans. Les deux compères momentanément à l’ombre, la situation du tonton de Gabriel se dégradait. En effet, voulant toujours nous rendre service et toujours mieux faire, il se faisait remarquer par sa communauté et craignait de plus en plus pour son intégrité physique. Sa situation devenait tellement préoccupante que Gabriel se mettait en quête de lui trouver un logement provisoire. Il devenait urgent de le déplacer.

Nos recherches se poursuivaient dans de multiples directions et la plupart nous échappaient.

Amir nous révélait l’existence d’un jeune homme, lui aussi démuni de tout papier, désireux d’entrer en relation avec nous car il avait des révélations importantes à faire. Un rendez-vous était fixé aux abords du marché découvert de Nanterre et notre petit groupe au complet, Gabriel, Raphaël, Léo et moi-même nous y rendions. Amir partait à la recherche de ce copain alors que nous l’attendions sur un parking tout proche. Quelques minutes passaient, Amir revenait accompagné. Le jeune était visiblement mal à l’aise par cette situation, il se présentait tout de même et exposait les faits. Bien évidemment, il ne possédait pas de papier et le fait de collaborer avec nous lui permettrait peut-être de voir sa situation s’améliorer, chose qui sans nul doute avait été suggérée par Amir. Gabriel allait acquiescer en ce sens et son visage s’illuminerait. Il nous contait alors son histoire. Il connaissait un « gros » receleur sur la commune de Gennevilliers, personne qui recelait tout ce qui était possible de receler jusqu’à des fûts de gas-oil. Mais il craignait de parler et nous le sentions mal à l’aise. Gabriel comprenait qu’il fallait le débloquer, le mettre à l’aise. Il lui parlait de nouveau de ses papiers, qui selon lui pourraient améliorer sa vie de clandestin et au bout d’une dizaine de minutes, le jeune nous faisait part de ses inquiétudes. Il fournissait le nom et l’adresse du receleur mais précisait que ce dernier connaissait un policier qu’il avait eu l’occasion de croiser à plusieurs reprises à ce domicile. Surpris, Léo lui demandait de nous le décrire. Il le décrivait comme étant un « chibani », un ancien, cheveux grisonnants, de taille moyenne. Sans être formel, vu les quelques détails formulés, ce descriptif aurait pu correspondre à notre chef de groupe Max car cette ville était son lieu de « jeux ». L’intérêt du service passant avant le nôtre, peut-être le receleur était-il un tonton (?), nous assurions notre interlocuteur que nous ferions le nécessaire concernant cette affaire et la sienne, le remerciant de sa coopération, avant d’en prendre congé. Jamais nous n’en parlerons à Max, jamais nous ne reverrons celui qui aurait pu devenir un informateur.

Des surveillances étaient de nouvelles entreprises à La Caravelle, cité de Villeneuve-la-Garenne, ainsi qu’à celle des 3 F dite « cité rouge », « Jean Moulin » et les « Agnettes » à Gennevilliers. Il nous était possible d’emmagasiner une foule de renseignements. À cette époque déjà plusieurs sous-groupes se formaient, le nôtre, les anciens de la brigade anticriminalité, les inspecteurs. À ce stade, il n’y avait pas de problème de communication mais la mixité bien réelle ne s’appliquait pas forcément sur le terrain. Ceux issus de la tenue assuraient les surveillances et la recherche des renseignements, un groupe voie publique en quelque sorte, les inspecteurs quant à eux participaient aux interpellations, prenaient la directive des procédures, négligeaient le travail effectué avant leur intervention et s’attribuaient aisément les résultats obtenus vis-à-vis de notre hiérarchie. En d’autres temps, ils avaient ramené une console vidéo et jouaient la plus grande partie de la journée à ces jeux. On peut comprendre qu’ils n’aient pas voulu au début nous investir dans la rédaction des procédures pour deux raisons : d’une part notre manque d’expérience en la matière et d’autre part le manque de confiance, mais après… S’agissant pour l’essentiel de jeunes inspecteurs sortis d’école depuis peu, nous pensions qu’ils viendraient d’eux-mêmes sur le terrain.

Notre chef de groupe, Max, quant à lui, menait toujours sa barque avec aussi d’aisance et comme il l’entendait. Il continuait à recevoir de nombreuses personnes. Certaines s’arrêtaient devant nos locaux, l’attendaient et ne rentraient jamais. Lui, sortait, s’engouffrait dans les véhicules, discutait des dizaines de minutes, partait, on ne savait où, pour réapparaître une ou plusieurs heures plus tard. Il possédait une multitude d’informations qui contrairement à ce qu’il nous avait demandé de faire n’étaient consignées dans aucun dossier, nulle part. Normal, c’était le chef des groupes. Il connaissait de nombreuses affaires, inexploitables car inaccessibles pour nous. Ses informateurs fréquentaient des milieux hors du commun, impénétrable à notre niveau. Trafiquants en tout genre, magouilleurs au possible, receleurs, toxicomanes, braqueurs, tous les niveaux de la délinquance. D’autres, plus discrets, formaient un groupe de « fidèles ». L’un d’entre eux, Tiago dit le « Colonel », yougoslave d’origine avait été lié de près ou de loin, au règlement de comptes des prostituées de Grenoble, affaire ayant défrayé la chronique quelques années auparavant, c’est du moins ce qu’il déclarait dans son curriculum vitae. Quel rôle avait-il joué ? Impossible de le dire, mais il était toutefois interdit de résidence dans certains départements. Ancien légionnaire (?), cheveux blancs gominés en arrière, moustache relevée et barbe blanche, il bafouillait quelques langues, dont l’arabe, le Yougoslave et le Portugais. Il cumulait aussi les métiers ou passe-temps, il se disait tantôt mécanicien, tôlier, peintre et vendeur automobiles à son compte. En fait, il possédait ce que l’on appellera un garage à St Ouen – Seine St Denis – dans laquelle il bricolait pour occuper ses journées. En fait de garage, il s’agissait d’un box aménagé pour la bricole. Serviable à l’égard de Max, il rendait gracieusement de nombreux services dont celui de « cuistot » à l’occasion des soirées dont les méchouis que nous organiserons les mois suivants. Les renseignements qu’il nous apportera et que nous tenterons d’élucider resteront dans les placards s’agissant de petits vols d’accessoires automobiles pour la plupart sans grande importance et ne nécessitant pas l’emploi d’un groupe comme le nôtre. Rien de véritablement intéressant.

D’autres en revanche devaient être beaucoup plus intéressants du point de vue des informations. Il y avait un certain Qasim, cambrioleur à ses loisirs, qui venait presque tous les jours bavarder avec Max mais certainement pas de la pluie ou du beau temps. D’aucuns diront que c’était son fils. Un autre, dont le nom m’échappe aujourd’hui se présentait comme commerçant boucher, toujours tiré à « quatre épingles », il s’enfermait durant de nombreuses heures dans le bureau de Max. Il sera mêlé à une affaire soulevée par Max à son profit sans nul doute. Le secret des Dieux ? Nous espérions qu’un jour notre chef de groupe se déciderait à nous en faire profiter.

De ses connaissances antérieures, lorsqu’il était en commissariat, Max avait gardé des contacts avec une femme toxicomane et son fils, lui aussi toxico, surnommé « le faon » par Tristan et Enzo, car il se faisait appeler « Le cerf ». Eux aussi le connaissaient fort bien car ils avaient exercé au commissariat d’Asnières. Gros consommateurs d’héroïne, ils seraient au départ d’une formidable affaire qui défraierait en ces temps-là la chronique du département. Ces deux-là restaient en contact permanent avec de nombreux collègues de différents services afin de s’approvisionner gratuitement en héroïne en échange d’informations. Une dose par ci, une dose par là. Un maximum de six doses par jour leur était nécessaire, soit tout au moins deux mille francs (env. 304 euros). Plutôt que de commettre de menus larcins, ils préféraient coopérer avec la police. Difficile tâche pour notre morale et notre éthique que de faire ce que nous devions combattre chaque jour, d’empoisonner des gens en échange de renseignements, de revêtir le costume du dealer ! Mais ce milieu était tellement cloisonné que pour y pêcher le gros, tout était bon. Qu’en était-il des autres services ? La même chose j’imagine, mais avec une couverture hiérarchique plus importante. Quoique nous pouvons en douter en suivant l’actualité et tout récemment l’affaire de la Bac Nord de Marseille et l’absence de couverture de la hiérarchie. Tout le monde le sait, nous n’avons rien sans rien. Que dire, lorsque la mère du « faon » en manque s’injectait « son produit » dans nos locaux. Rien… sinon attendre qu’elle veuille bien lâcher des infos. De toute façon, il se tramait quelque chose. La fréquence de leurs visites augmentait et il ne passait plus une journée sans les avoir dans nos locaux. Au fil du temps et des heures, Max l’œil brillant de malice, large sourire, s’excitait. Que pouvait-il avoir ? Intrigués par son comportement, nous allions aux nouvelles. « Vous verrez, vous verrez, j’ai une information du tonnerre ! J’attends confirmation. Vous verrez, vous verrez » ! Quelle mouche l’avait piqué ?

Il nous faudrait patienter. L’après-midi avançait et rien ne transpirait. Une certaine effervescence régnait entre les inspecteurs. Max habituellement calme, sans excès, semblait s’être transformé. Il sautait comme une puce, ne tenait plus en place, devenait irritable. Nous décidions alors de changer d’air. À notre retour, branle-bas de combat !

Fin d’après-midi. Max passait des coups de téléphone tous azimuts. Il recevait un appel d’un collègue de Colombes lequel avait eu des informations de premier ordre par « Le faon » et sa mère, au sujet d’un garage renfermant une grosse quantité de produit stupéfiant. Il nous demandait d’attendre son retour et disparaissait pour ne revenir qu’une heure plus tard. Nous l’apprendrons par la suite, il avait effectué en compagnie de deux de ses copains, Qasim et un serrurier la visite du dit garage. Tout l’effectif était présent. Réunis autour de Joël, il nous annonçait solennellement :

Il s’agissait de surveiller un box en sous-sol comportant un seul accès dans une rue à sens unique. Le petit soum, un Renault Express était stationné à proximité de l’entrée des garages permettant ainsi la surveillance des allées et venues à cet accès. Le gros soum, dans lequel j’avais pris place en compagnie de Roméo, Axel et Tristan, se trouvait dans une rue perpendiculaire à cheval sur le trottoir, permettant d’apercevoir tous les véhicules qui empruntaient ou qui allaient l’emprunter la rue Hoche, menant à l’objectif à surveiller. Quatre collègues investissaient le sous-sol et prenaient position dans un box à quelques mètres de celui désigné par notre chef de groupe. Ce dernier avait réussi par l’intermédiaire du syndic de copropriété à se procurer la carte d’accès au parking puis avait choisi un box pour nous y installer. Il était entré pour s’assurer des conditions de dissimulation sans l’accord du locataire des lieux afin de ne pas éveiller des soupçons. Il s’agissait bien évidemment d’un endroit privé et notre présence n’était due qu’à l’accord du président du syndic sur fond de vols qui soi-disant avaient été perpétrés en ces lieux (?) Notre engin était spacieux, insonorisé, doté de larges banquettes, d’une table, d’une radio fixe, d’un chauffage et d’un cabinet d’aisances, nous pouvions tenir une longue surveillance avec un minimum de confort. Ce soum ne nous permettait qu’une vision arrière et avant. De marque Volkswagen, il ne portait aucune marque extérieure, aucun logo, ni aucune publicité. À l’arrière était installée une chaise entre la vitre et le rideau qui séparait « l’espace vie ». À tour de rôle, nous prenions notre poste d’observation. Toutes les énergies étaient mobilisées. Les heures passaient et nous étions toujours attentifs. Aucune relève n’était prévue et pour cause nous étions tous sur le terrain. Un de nos véhicules se manifestait et fournissait casse-croûtes et boissons. Il était temps de faire le point et de l’avis de chacun nous ne pourrions effectuer la surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre à effectif complet et que des relèves s’imposeraient d’elles-mêmes. J’étais avisé par radio que j’effectuerai une surveillance dans le box à partir de vingt et une heures. J’attendais donc qu’un véhicule vienne me récupérer et me conduise dans le sous-sol de l’immeuble. À son bord se trouvaient Raphaël, Gabriel et Léo, avec qui j’allais prendre ma première surveillance. Le véhicule descendait lentement la rampe du sous-sol et la lourde porte commandée à distance s’ouvrait. Notre venue avait déjà été annoncée. Une fois dans les lieux, la porte refermée après notre passage, notre chauffeur nous désignait le box où se trouvait l’objectif à surveiller ainsi que celui que nous occuperions. Ceux déjà en place quittaient leur poste par le même moyen que le nôtre. Nous refermions la porte du box et nous répartissions nos tâches. Un était chargé à la moindre alerte d’éteindre la lumière à chaque entrée de véhicule ou de piétons, le second d’ouvrir la porte basculante du box, les deux derniers d’intervenir rapidement. Nous vérifions alors l’équipement à disposition : gilets pare-balles, lampes, matraques et bien sûr armes de service. À l’intérieur du box se trouvait une Saab 900 dont les portières étaient ouvertes à notre grand bonheur. À tour de rôle, nous prenions place afin de nous y reposer. Les heures passaient quand soudain la porte automatique s’ouvrait sans que l’arrivée de quelqu’un nous ait été signalée par un des véhicules placés à l’extérieur. Surpris, l’un de nous se ruait sur le bouton de la lumière. À travers l’interstice de la porte, nous pouvions apercevoir un véhicule regagner son box. Fausse alerte, il s’agissait d’une résidente de l’immeuble qui regagnait son appartement. Malgré tout, inquiets de ne pas avoir été avertis, nous tentions de joindre nos collègues à l’extérieur, sans résultat.

Que se passait-il ? Pourquoi aucune nouvelle ou réponse ? Par acquit de conscience, nous changions la pile de la radio sans obtenir un quelconque résultat. Je décidais après concertation avec mes équipiers de me risquer à l’extérieur au risque de « casser notre plan ». À ma sortie, il n’y avait plus aucun véhicule de notre service. Je m’engageais rue Hoche et prenais la direction de la gare de Colombes toute proche. Je m’engouffrais dans une cabine téléphonique et contactais le service. Enzo décrochait et m’avisait qu’ils établissaient des tours de relève car cette surveillance pouvait durer plusieurs jours voire quelques semaines. Tous avaient regagné notre base à l’exception de notre équipe. Il s’agissait en fait de surveiller ce box jour et nuit jusqu’à ce que quelqu’un s’y introduise. Je regagnais le sous-sol et faisais part de ces nouvelles à mes collègues. Notre relève arrivait à une heure du matin. Après une brève discussion, nous quittions les lieux à destination de notre base. Nous allions prendre connaissance de notre futur service, de nos vacations de surveillance. Chaque tour avait une durée totale de quatre heures. Je reprenais un tour le jeudi dans l’après-midi puis dans la nuit du vendredi au samedi. Aucun véhicule n’était plus prévu à l’extérieur afin d’économiser au mieux nos forces car cette situation semblait devoir se prolonger. Donc le lendemain après-midi, j’assurais une nouvelle surveillance. Tout était calme et je pensais que nous allions devoir passer plusieurs jours dans ce sous-sol. Mon tour terminé, je rentrais chez moi en fin de journée. La nouvelle tant attendue arrivait le lendemain à midi. Baptiste m’appelait pour m’apprendre qu’un individu avait été surpris au cours de la nuit en train de pénétrer dans le box. Je n’en saurais pas plus sur l’instant et je sautais dans ma voiture pour foncer au service. En arrivant, quelle surprise ! Partout sur les tables se trouvaient des « savonnettes de shit » et des billets de banque. Indescriptible, pêle-mêle, une montagne de shit ! Quelle effervescence ! Déboussolé par l’activité qui régnait, je partais aux renseignements. J’avais l’impression d’avoir été parachuté dans un autre monde. Les renseignements que j’obtenais me laissaient quelque peu envieux, mais la chance leur avait souri. Axel, Roméo, Tristan et Roxanne avaient pris leur surveillance vers 22 h. À 23 h 30, la porte automatique du parking s’ouvrait. Seul, un homme de type nord-africain âgé d’environ vingt-cinq ans, athlétique, habillé d’un survêtement et porteur d’un sac à dos, pénétrait dans le sous-sol. Il se dirigeait sans hésiter après fermeture de la porte vers celle du box no