L'âme de Napoléon - Léon Bloy - E-Book

L'âme de Napoléon E-Book

Léon Bloy

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Beschreibung

"Mais voici. Napoléon n’était pas la multitude. Il était seul, absolument, terriblement seul, et sa solitude avait un aspect d’éternité. Les anachorètes fameux de l’antiquité chrétienne avaient, dans leurs déserts, la conversation des Anges. Ces saints hommes étaient isolés, mais non pas uniques ; ils se voyaient entre eux quelquefois, et leur dénombrement est difficile. Napoléon, semblable à un monstre qui aurait survécu à l’abolition de son espèce, fut vraiment seul, sans compagnons pour le comprendre ou l’assister, sans anges visibles et, peut-être aussi, sans Dieu ; mais cela, qui peut le savoir ?"

À PROPOS DE L'AUTEUR

Louis Claude Frédéric Masson
, né à Paris le 8 mars 1847 et mort à Paris le 19 février 1923, est un historien français, spécialiste des études napoléoniennes et secrétaire perpétuel de l'Académie française. Issu d'une famille de hauts magistrats, sa sœur mariée à Édouard Lefebvre de Béhaine, Frédéric Masson se destinait à la diplomatie et devint bibliothécaire au ministère des Affaires étrangères.
En 1886, il fonde la revue Les Lettres et les Arts, qui paraît du 1er janvier 1886 au 1er décembre 1889. À partir de 1894, Frédéric Masson se consacre principalement aux études napoléoniennes dont il devient, en son temps, le spécialiste incontesté, régnant sur une armée de secrétaires et de documentalistes dans son vaste appartement du 122 la rue La Boétie à Paris, puis dans son hôtel particulier de la rue de La Baume. Il est élu à l'Académie française le 18 juin 1903, en remplacement de Gaston Paris, et reçu le 28 janvier 1904 par Ferdinand Brunetière. Il en devint le secrétaire perpétuel le 20 mai 1919.

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L’âme de Napoléon

Léon Bloy

– 1912 –

 

 

Le monde entier, c'est le vêtement de ma misère.

WELLS. Quand le Dormeur s'éveillera.

 

 

 

Fortioribus fortior instat cruciatio.

Livre de la Sagesse.

 

 

 

 

 

 

À ANDRÉ MARTINEAU

 

Mon cher André, ce n’est pas moi qui te donne ce livre, le plus important, peut-être, de tous ceux que j’ai pu écrire jusqu’à ce jour.

C’est mon fils André qui te le donne, mon douloureux fils André que Dieu m’a repris dans son innocence baptismale et qui a dix-huit ans, aujourd’hui, dans le Paradis.

Il en eût été le dédicataire et il convient que tu prennes sa place, en cette manière. Je veux croire que telle est sa volonté.

Il eût aimé Napoléon comme tu l’aimes, et votre commun Patron, le grand Apôtre de la Croix, te fera comprendre, si tu l’interroges avec amour, ce qu’il y avait de désirable et de magnifique dans la souffrance du plus glorieux de tous les mortels.

Nous sommes au soir du monde, mon cher enfant ; tu seras témoin, peut-être, des divines et terribles choses que le vainqueur des rois semble avoir si grandiosement préfigurées.

Puisse l'Ame de Napoléon agrandir ton cœur et te servir de réconfort pour les épreuves inconnues.

LÉON BLOY.

5 mai 1912.

Section 1

INTRODUCTION

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

I. L’AME DE NAPOLÉON

II. LES AUTRES AMES

III. L’ANGOISSE

IV. LA BATAILLE

V. LE GLOBE

VI. LES ABEILLES

VII. L’ESCABEAU

VIII. LA TIARE

IX. LE CHANCRE

X. L’ILE INFAME

XI. LES MERCENAIRES

XII. LES GRANDS

XIII. LES SACRIFIÉS

XIV. LA GARDE RECULE !

XV. LE COMPAGNON INVISIBLE

INTRODUCTION

I

L’histoire de Napoléon est certainement la plus ignorée de toutes les histoires. Les livres qui prétendent la raconter sont innombrables et les documents de toute nature vont à l’infini. En réalité, Napoléon nous est peut-être moins connu qu’Alexandre ou Sennachérib. Plus on l !étudie,plus on découvre qu’il est l’homme à qui nul ne ressembla et c’est tout. Voici le gouffre. On sait des dates, on sait des faits, victoires ou désastres, on sait, à peu près ou à beaucoup près, des négociations fameuses qui ne sont, aujourd’hui, que de la poussière. Son nom seul demeure, son prodigieux NOM, et quand il est prononcé par le plus pauvre de tous les enfants, c’est à rougir pour n’importe qui d’être un grand homme. Napoléon, c’est la Face de Dieu dans les ténèbres.

Il est notoire que les prophéties ou préfigurations bibliques ne peuvent être comprises qu’après leur entier accomplissement, c’est-à-dire lorsque tout ce qui est caché aura été révélé, ainsi que Jésus l’annonce dans son Evangile, et cela porte nécessairement la pensée au delà des temps. Napoléon est inexplicable et, sans doute, le plus inexplicable des hommes, parce qu’il est, avant tout et surtout, le Préfigurant de CELUI qui doit venir et qui n’est peut-être plus bien loin, un préfigurant et un précurseur tout près de nous, signifié lui-même par tous les hommes extraordinaires qui l’ont précédé dans tous les temps.

Si on veut accepter ce postulat et y pénétrer un peu, voici que l’Histoire prend un aspect tout à fait nouveau et que l’Océan Napoléonien, si terriblement houleux jusqu’ici, devient tout à coup très calme, sous un ciel d’une sérénité miraculeuse.

Qui de nous, Français ou même étrangers de la fin du XIXè siècle, n’a pas senti l’énorme tristesse du dénouement de l’Épopée incomparable ? Avec un atome d’âme c’était accablant de penser à la chute vraiment trop soudaine du Grand Empire et de son Chef ; de se rappeler qu’on avait été, hier encore, semble-t-il, à la plus haute cime des Alpes de l’Humanité ; que, par le seul fait d’un Prodigieux, d’un Bien-Aimé, d’un Redoutable comme il ne s’en était jamais vu, on pouvait se croire, aussi bien que le premier Couple dans son Paradis, maîtres absolus de ce que Dieu a mis sous le ciel et que, si tôt après, il avait fallu retomber dans la vieille fange des Bourbons !

Il est vrai que cette chute avait presque déraciné la terre. Les convulsions de 1813, malgré la douleur et l’amertume excessives, furent d’un tel grandiose que l’imagination et l’orgueil même en peuvent être consolés ; mais la fin est trop horrible, trop soudaine surtout, encore une fois, et la résignation la plus angélique est tentée de se dérober à la doxologie de ce Psaume colossal de la pénitence.

II

On a beau savoir qu’il y eut des fautes immenses, ces fautes sont précisément ce qui fait que la tristesse est insupportable.

Quel est celui qui, lisant l’histoire de- l’Empire, n’a pas essayé, se supposant contemporain, de se persuader, par exemple, que Napoléon aurait moins de confiance en la loyauté russe, moins de caresses pour Alexandre à Tilsitt ; qu’il démolirait la Prusse de fond en comble et rétablirait la Pologne ; qu’il trouverait mieux que le dangereux escamotage de Bayonne ; qu’il ne ferait pas des rois de ses misérables frères ; ne disperserait pas ses forces de Cadix à Moscou, gaspillant, détruisant ainsi les plus belles armées du monde ? A qui n’est-il pas arrivé enfin d’espérer, quand même, la survenue de Grouchy à Waterloo, de ce médiocre et funeste Grouchy si aveuglément choisi par l’Empereur pour le mouvement stratégique le plus décisif ? Et ce n’est pas tout.

Comment ne pas pleurer au récit de la seconde Abdication ? Le plus grand des vainqueurs abdiquant deux fois I Napoléon jeté en bas de son trône par un Fouché, par un Lafayette, puis allant livrer son corps et son âme à l’Angleterre !.

J’ai cessé de souffrir de ces choses le jour où j’ai pu comprendre, ou du moins entrevoir, la destinée toute symbolique de cet Être extraordinaire.

En réalité tout homme est symbolique et c’est dans la mesure de son symbole qu’il est un vivant. Il est vrai que cette mesure est inconnue, aussi inconnue et inconnaissable que le tissu des combinaisons infinies de la Solidarité universelle.

Celui qui saurait exactement, par un prodige d’infusion, ce que pèse un individu quelconque, celui-là aurait sous les yeux, comme un planisphère, tout l’Ordre divin.

Ce que l’église nomme la Communion des saints est un article de foi et ne peut pas être autre chose. Il faut y croire comme on croit à l’économie des insectes, aux effluves de germinal, à la voie lactée, en sachant très bien qu’on ne peut pas comprendre. Quand on s’y refuse on est un sot ou un pervers. Par l’Oraison Dominicale il est enseigné qu’il faut demander notre pain et non pas mon pain. Cela pour toute la terre et pour tous les siècles. Identité du pain de Césaret du pain de l’esclave.

Identité mondiale de l’impétration. Équilibre mystérieux de la puissance et de la faiblesse dans la Balance où tout est pesé.

Il n’y a pas un être humain capable de dire ce qu’il est, avec certitude. Nul ne sait ce qu’il est venu faire en ce monde, à quoi correspondent ses actes, ses sentiments, ses pensées ; qui sont ses plus proches parmi tous les hommes, ni quel est son nom véritable, son impérissable Nom dans le registre de la Lumière. Empereur ou débardeur nul ne sait son fardeau ni sa couronne.

L’Histoire est comme un immense Texte liturgique où les iotas et les points valent autant que des versets ou des chapitres entiers, mais l’importance des uns et des autres est indéterminable et profondément cachée. Si donc je pense que Napoléon pourrait bien être un iota rutilant de gloire, je suis forcé de me dire, en même temps, que la bataille de Friedland, par exemple, a bien pu être gagnée par une petite fille de trois ans ou un centenaire vagabond demandant à Dieu que sa Volonté fût accomplie sur la terre aussi bien qu’au ciel. Alors ce qu’on nomme le Génie serait simplement cette Volonté divine incarnée, si j’ose le dire, devenue visible et tangible dans un instrument humain porté à son plus haut degré de force et de précision, mais incapable, comme un compas, de dépasser son extrême circonférence.

Il reste ceci, pour Napoléon et pour la multitude infinie de ses inférieurs, qu’on est tous ensemble, des figures de l’Invisible et qu’on ne peut remuer un doigt ni massacrer deux millions d’hommes sans signifier quelque chose qui ne sera manifesté que dans la Vision béatifique. De toute éternité Dieu sait qu’à une certaine minute connue de Lui seul, tel ou tel homme accomplira librement un acte nécessaire. Incompréhensible accord du Libre Arbitre et de la Prescience. Les intelligences les plus lumineuses n’ont jamais pu aller au delà de cette limite. Dans un tel état l’Homme intégral, ne devant être, selon la Parole créatrice, qu’une ressemblance ou une image, renouvelable par un milliard d’âmes à chaque génération, est donc forcé de l’être toujours, quoi qu’il fasse, et de préparer ainsi, peu à peu, dans le crépuscule de l’Histoire, un avènement inimaginable.

Il y a, sans doute, les bons et les méchants, et la Croix du Rédempteur est toujours là ; mais les uns et les autres font strictement ce qui est prévu et ne peuvent pas faire autre chose, ne naissant et ne subsistant que pour surcharger le Texte mystérieux, en multipliant à l’infini les figures et les caractères symboliques. Napoléon est le plus visible de ces caractères indéchiffrables, la plus haute de ces figures, et c’est pour cela qu’il a tant étonné le monde.

III

Il est vrai que le monde n’est pas difficile à étonner. Il est si médiocre et si bas, cet apanage de Satan, qu’un semblant de force ou de grandeur suffit ordinairement.

On l’a beaucoup vu de nos jours où des politiciens et des écrivains, capables tout au plus de piquer des bœufs ou des assiettes, ont pu se faire admirer par des multitudes.

Napoléon doué de force et de grandeur plus qu’aucun homme ne l’avait jamais été, dut lui-même s’étonner beaucoup plus que tous ceux qu’il éblouissait. Aborigène d’une région spirituelle inconnue, étranger de naissance et de carrière en quelque pays que ce fût, il s’étonna réellement toute sa vie, comme Gulliver à Lilliput, de l’excessive infériorité des contemporains, et ses dernières paroles recueillies à Sainte-Hélène prouvent que cet étonnement, devenu un parfait mépris, fut emporté par lui dans la tombe et devant le tribunal de son Juge. 1 Qu’était-il donc venu faire en cette France du XVIe siècle qui ne le prévoyait certes pas et l’attendait moins encore ?

Rien d’autre que ceci : Un Geste de Dieu par les Francs, pour que les hommes de toute la terre n’oubliassent pas qu’il y a vraiment un Dieu et qu’il doit venir comme un larron, à l’heure qu’on ne sait pas, en compagnie d’un Étonnement définitif qui procurera rexinanition de l’univers. Il convenait sans doute que ce geste fût accompli par un homme qui croyait à peine en Dieu et ne connaissait pas ses Commandements. N’ayant pas l’investiture d’un Patriarche ni d’un Prophète, il importait qu’il fût inconscient de sa Mission, autant qu’une tempête ou un tremblement de terre, au point de pouvoir être assimilé par ses ennemis à un Antéchrist ou à un démon. Il fallait surtout et avant tout que, par lui, fût consommée la Révolution française, l’irréparable ruine de l’Ancien monde. Évidemment Dieu n’en voulait plus de cet ancien monde. Il voulait des choses nouvelles et il fallait un Napoléon pour les instaurer. Exode qui coûta la vie 1 à des millions d’hommes.

J’ai beaucoup étudié cette histoire. Je l’ai étudiée en priant, en pleurant de joie ou de peine, bien souvent, me demandant, combien de fois ! si ce n’était pas insensé de la lire dans des vues humaines, comme on peut lire l’histoire de Cromwell ou de Frédéric le Grand, les seuls-chefs,je pense, qui puissent être supposés, depuis Annibal ou depuis César, dans un voisinage quelconque de Napoléon, et j’ai fini par sentir que j’étais en présence d’un des mystères les plus redoutables de l’Histoire.

IV

Un jeune homme vient qui ne se connaît pas lui-même et qui doit se croire infiniment éloigné d’une mission surnaturelle, si toutefois l’idée d’une telle mission peut tomber dans son esprit. Il a le sens de la guerre et ambitionne une situation militaire. Après beaucoup de misères et d’humiliations, on lui donne une pauvre armée et, tout de suite, se révèle en lui le plus audacieux, le plus infaillible des capitaines. Le miracle commence et ne finit plus.

L’Europe qui n’avait jamais rien vu de pareil se met à trembler. Ce soldat devient le Maître. Il devient l’Empereur des Français, puis l’Empereur d’Occident l’EMPEREUR, simplement et absolument pour toute la durée des siècles. Il est obéi par six cent mille guerriers qu’on ne peut pas vaincre et qui l’adorent. Il fait ce qu’il veut, renouvelle comme il lui plaît la face de la terre. A Erfurt, à Dresde surtout, il a l’air d’un Dieu. Les potentats lui lèchent les pieds. Il a éteint le soleil de Louis XIV, il a épousé la plus haute fille du monde ; l’Allemagne sourcilleuse et parcheminée n’a pas assez de cloches, de canons ou de fanfares pour honorer ce Xerxès qui se souvient avec orgueil d’avoir été sous-lieutenant d’artillerie, vingt-cinq ans auparavant, de n’avoir possédé ni sou ni maille et qui traîne maintenant vingt peuples à la conquête de l’Orient.

Une saison s’écoule et voici a le froid Aquilon qui dévore les montagnes, sicut igne », dit l’Ecclésiastique. Le sous-lieutenant de 1785 s’en retourne à pied dans la neige, appuyé sur un bâton, suivi de quelques agonisants. Mais il n’est vaincu que par le ciel, ne devant pas encore être vaincu par les hommes.

Dieu aime ce superbe et l’afflige par amour, sans vouloir tout à fait l’abattre.

Dieu a regardé dans le sang liquide des carnages et ce miroir lui a renvoyé la face de Napoléon. Il l’aime comme sa propre image ; il chérit ce Violent comme il chérit ses Apôtres, ses Martyrs, ses Confesseurs les plus doux ; il le caresse tendrement de ses puissantes mains, tel qu’un maître impérieux caressant une vierge farouche qui refuserait de se dévêtir. Il le dépouillera certainement à la fin et d’une manière si complète que les rois seront occupés, trente ou quarante ans, à se disputer ses lambeaux. Mais il ne veut pas que ce soit du premier coup. Il s’y reprendra même à trois fois. 1813, 1814, 1815, trois Épiphanies de douleur !