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Printemps 1955. La petite Marguerite a quitté la ferme de Lavigne pour vivre avec son homme, Gabi, avec qui elle a eu trois enfants. À la ferme de La Picardière, elle est devenue la garante de l’intégrité de sa nouvelle famille. Tout en s’adaptant aux bouleversements des modes de vie qui poussent les jeunes générations vers les lumières de la ville, elle saura se sacrifier pour ses enfants, ses frères et ses parents. Elle ne peut concevoir la vie différemment.
Avec Gabi, Marguerite et les autres, vous verrez comment ces générations ont traversé ces années d’après-guerre qui préparaient les bouleversements économiques et sociaux d’avant « les trente glorieuses ».
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après avoir enseigné la littérature à de nombreuses générations de jeunes qui lui ont été confiés depuis 1964,
Maurice Bonnet se consacre à l’écriture. La découverte d’un secret de famille en 2014 constitue le levier de la rédaction de cet ouvrage.
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Maurice Bonnet
L’amour est dans le blé
Tome III
La famille éclatée
Roman
© Lys Bleu Éditions – Maurice Bonnet
ISBN : 979-10-377-3825-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Dans mes romans, ça a été la même chose. Il n’y en a pas un seul où je parle d’un personnage que je n’ai pas connu – ce n’est pas toujours le même, c’est quelquefois trois, quatre personnages du même type que je réunis. Je les connais très bien. Je connais parfaitement le décor. Je n’ai jamais inventé un décor. Je n’ai jamais inventé une atmosphère, comme le disent les critiques. Cette fameuse atmosphère, c’est dans ma mémoire ! J’ai toutes les images dans la tête et quand je m’endors le soir, je dis à Térésa que je vais faire mon petit cinéma. IL suffit que je ferme les yeux et des images viennent, tournent, elles deviennent floues et je dors.
Georges Simenon
Il n’y a pas de morale. Je ne crois pas en la morale. La morale, c’est d’être sincère, tout simplement.
Georges Simenon
Ah ! La liberté ! Ce n’est pas une morale. La liberté, malheureusement, n’existe plus ou à peu près plus dans le monde d’aujourd’hui. Nous sommes « timbrés » dès notre naissance et jusqu’à notre mort. Tout est organisé. Nous ne faisons plus ce que nous voulons, mais ce que l’on veut que nous fassions.
Georges Simenon
Entretien avec Bernard Pivot, 1981
Chapitre 1
Alexis
Saint-Pantaléon des puys, 3 juillet 1955
Elle ne décolérait pas contre elle-même, la Marguerite, elle n’arrêtait pas de bailler, bruyamment, toutes les cinq secondes, et la journée ne faisait que commencer !
— Repose-toi, t’es arrivé hier soir, les vacances commencent juste.
Il avala rapidement le contenu du bol, s’essuya la bouche d’un revers de manche, traversa la cour vers l’étable, contourna le tas de fumier, en direction du grand pré, dans le vallon qui les séparait de la ferme Picouret, sur la crête, en face. Il avançait d’un pas rapide, allègre, la tête pleine de la liberté campagnarde retrouvée, après le dernier mois de l’année scolaire au dortoir, au réfectoire, à l’étude, en récréation, en cours… C’est pas qu’il n’aimait pas les études, il aimait bien ça, mais comment expliquer… la liberté d’aller, à l’heure qui était la sienne, dans la direction qu’il avait choisie, submergé par les piaillements des merles moqueurs, des pinsons, des mésanges et même des geais et des pies voleuses. Il était déjà oublié, le bruit de la cloche, froide, mécanique, électrique, ignorante de toute humanité, et qui réglait, ou réglementait avec autorité, la vie des internes du lycée : Drrrrrrrinin ! Fini pour deux mois ! Quand le jour se lève, au milieu de la campagne, c’est quand même autre chose, disait Alexis, la fourche sur l’épaule, s’adressant aux merles et aux geais, les compagnons de toute son enfance de paysan. Le car du lundi matin, le trajet sinueux jusqu’à Brive, l’internat, les cours, les couloirs, les profs, les copains, le réfectoire, et toutes les heures cette sonnerie attendue ou redoutée qui vous transperçait les oreilles et la tête… Oubliés pour deux mois, jusqu’en septembre, ici il n’y avait plus qu’à se régaler du chant des oiseaux, de la délicate brise de ce beau matin d’été, et des odeurs de fleurs et d’herbe fraîche qui allaient vite évoluer en milieu de journée pour rappeler qu’on était bien à la saison des foins. Ils pouvaient pas comprendre, les copains de la ville, l’ivresse naturelle ou surréaliste qui phagocytait tout son corps d’adolescent, des orteils aux cheveux. Il se prenait pour Rousseau, le petit Alexis, dans sa campagne de La Picardière, entourée des buttes-témoins, en cheminant vers le pré, où on allait faire le foin.
Chapitre 2
Margot
Pendant ce temps à la maison, Marguerite avait enfin réussi à mettre un terme à ses bâillements intempestifs, et s’employait maintenant à allumer le feu dans le cantou. Il fallait bien faire chauffer la soupe et le fricot pour midi, on n’allait quand même pas allumer la cuisinière un trente juin, d’autant plus que la chaleur était enfin arrivée. Elle avait mis un peu de fagots et quelques bûches qui faisaient plus d’un mètre de long, elles dépassaient sur le sol de la cuisine, presque jusqu’à la table, mais c’était pas grave, on les repoussait vers le foyer à mesure qu’elles se consumaient. On avait autre chose à faire, dehors, que de couper les morceaux de bois à petite dimension, ça prenait trop de temps, à la scie à main. Elle accrocha le toupi à la crémaillère, au-dessus du foyer, ça mijoterait tout seul, tranquillement, toute la matinée, il fallait seulement de temps en temps renvoyer les morceaux de bois vers le fond du foyer, sinon ça fumait dans la maison et ça piquait aux yeux.
« Autrefois dans son petit moulin… »
C’était inévitable, dès qu’elle avait fini de bâiller, elle chantonnait, les mêmes airs, depuis des années. En longeant la maison vers la citerne, elle appréciait la douceur de ce beau matin d’été, traversait le porche au-dessus duquel y’avait la chambre du pépé Pierre, et se fondait avec délectation dans le soleil déjà chaud qui avait envahi toute la cour des poules, en plein sud. On disait « la cour des poules », mais en fait elles avaient une totale liberté de circulation et ne manqueraient pas, en pleine chaleur, d’aller gratter sur le tas de fumier qui lui se trouvait complètement à l’opposé, dans l’autre cour, en plein nord.
Cot…cot…cot… crrrrr… crrrr… Cocorico…
Elles l’avaient entendue arriver de loin et déjà faisaient les chœurs, avec une petite pointe de reproche pour lui rappeler que le jour était déjà levé depuis un moment, alors elle leur répondait, elle leur parlait, à voix haute :
Elle tenait son tablier noir relevé de la main gauche, et avait rempli le creux ainsi formé de beaux grains de maïs qu’elle avait auparavant égrenés à la main, juste avec une lame de couteau.
Et elle reprenait la cour ensoleillée dans l’autre sens, repassait sous le porche, jusqu’à la citerne, qui servait aussi pour les vaches, et rapportait un seau plein d’eau, jusqu’au poulailler, au fond, là-bas, attenant au fournil, les poules en bas, et les lapins au-dessus, il fallait bien aussi leur donner à boire.
Et elle posait son seau vide à côté des bacs accolés à la citerne, prenait un panier et une faucille et montait sur le bord de la route, au-dessus de la grange pour couper de quoi régaler pour la journée la dizaine de petits lapinous, qui attendaient patiemment derrière leurs portes grillagées parce qu’ils n’avaient pas droit, eux, à la liberté des poules, ils ne seraient pas rentrés le soir, ces coureurs.
Un coup d’œil à la cuisine, les yeux piquants de la fumée qui avait envahi la pièce, forcément, la bûche principale se consumait en dehors du foyer.
— Nom de nom de nom de diable, ça irait mieux si le bois était coupé, tè !
Et elle poussait vers le foyer la branche coupable, elle allait laisser la porte ouverte, en cette saison, ce n’était pas bien grave ! Elle vérifia l’eau de la marmite, elle ne bouillait pas encore, mais c’était chaud.
— Il faut que j’aille au jardin chercher des poireaux et des carottes.
Panier à la main, tranche sur l’épaule, elle prit le chemin de sortie de ferme qui menait à la route qui reliait à La Picardière, les deux fermes voisines, Picouret au nord, Coudert au sud. Le jardin se trouvait là, au-dessus de la grange auvergnate construite le long du talus.
Les poireaux de printemps étaient déjà beaux, elle ne les arrachait pas, elle les coupait juste au-dessus de la racine, ils allaient repousser et donneraient une nouvelle récolte à partir de l’automne. Les carottes étaient réussies, un peu petites encore, mais ça leur faisait du bien de les éclaircir. Elle ajouta quatre gousses de fèves, ça ferait la soupe noire, mais tant pis, ça donnait quand même un bon goût, et de toute façon, avec les tranches de vieux pain qu’elle rajouterait, la couleur n’avait pas beaucoup d’importance. Elle prendrait les vieilles pommes de terre dans la cave, on n’allait pas gâcher les petites nouvelles, qui n’étaient pas encore venues.
Jolie Meunière aux yeux si doux… lalalalère… lalalala…
Jolie meunière décidez-vous
Soit pour Jean-Pierre, soit pour Jean-Lou…
Elle posa son panier sur la bassia, on disait comme ça pour l’évier, près de la porte, et se mit à actionner, d’un mouvement de va-et-vient régulier, la poignée de la pompe manuelle qui était scellée à droite. L’eau jaillit du tuyau qui sortait du mur et commença à remplir la bassine où elle avait disposé ses légumes, au moment où Anaïs et Régis descendaient l’escalier de bois qui menait aux chambres du haut et au grenier.
Elle mit les légumes lavés dans l’eau frémissante de la marmite, rajouta un peu de sel, et posa le couvercle par-dessus, y’avait plus qu’à laisser cuire tranquillement jusqu’à midi, en surveillant de temps en temps que le foyer soit régulièrement alimenté.
— Bon, maintenant, il faut que je fasse fricasser mon lapin. Anaïs, t’as fini de préparer le lait ? Va me chercher un oignon et une gousse d’ail dans le clayer.
— Et pourquoi c’est toujours moi ? Il peut pas y aller Régis ?
— Il est encore petit, laisse-le jouer.
Elle partit quand même en grommelant, pour elle-même…
Elle passa devant la citerne, prit le porche à droite pour arriver dans la cour des poules, où on avait construit, au bord du talus, un petit bâtiment avec trois portes basses au niveau du sol, un plancher en grenier ouvert sur la cour, juste abrité de la pluie par l’avancée du toit, où on mettait à sécher les châtaignes, les noix, les oignons, les ails. On appelait ça « lou Clédier ».
Anaïs emprunta le petit escalier extérieur en bois qui permettait d’accéder au plancher par une ouverture sans porte, ramassa un oignon et une gousse d’ail qui étaient simplement posés par terre, l’aération étant suffisante pour qu’ils s’y conservent bien, et rapporta le tout à la cuisine.
— Pfffffff !
Marguerite avait accroché une deuxième marmite, plus petite, au-dessus du foyer, elle prit dans la toupine posée par terre dans le recoin à gauche de la cheminée, deux bonnes cuillères à soupe de la graisse du cochon qu’on conservait là jusqu’à l’été, après, ça commençait à rancir, et y jeta l’oignon en lamelles qu’elle laissa frire jusqu’à ce qu’il devienne bien brun. Elle rajouta l’ail haché menu, du sel, puis les morceaux du lapin qu’elle avait auparavant découpé sur la grande table avec un hachou, une petite hache de bûcheron.
Une fois tous les morceaux bien saisis, elle remonta la marmite de trois crans sur la crémaillère pour l’éloigner du feu, versa deux cuillérées de vinaigre, deux verres de vin et de l’eau, puis quelques pommes de terre qui allaient continuer à mijoter tranquillement jusqu’à midi. Y’avait plus qu’à venir, de temps en temps, pour attiser le feu.
Elle récupéra dans la grange une faucille et un panier, et se dirigea vers l’extrémité ouest des bâtiments, dépassa le fournil vers le talus où on jetait les ordures que les poules ne mangeaient pas, chaussures inutilisables à force d’être usagées, vieux vêtements déchirés de partout, quelques boîtes de sardines, endroit peu fréquenté par les poules où les orties poussaient bien. Elle les prenait à pleine main, ça piquait bien un peu, mais ce n’était pas grave, elle en avait vu d’autres, et coupait le pied à la faucille. Quand son panier fut plein, elle revint vers la grange pour les hacher menu en utilisant le couteau mécanique : elle tournait la manivelle munie de trois lames tranchantes, en même temps qu’elle repoussait de la main gauche les tiges et les feuilles piquantes. Elle ajouta sur ce hachis un peu d’eau de vaisselle de la veille au soir, qu’elle avait conservée dans la bassine pour la circonstance, et les canards allaient se régaler de cette fraîche verdure garantie bio cent pour cent. On leur donnerait du maïs, plus tard, quand ils seraient bons à gaver.
Elle se dirigea vers le fournil, et soudain fit demi-tour en se frappant le front de la main.
Elle prit le seau en aluminium, à côté de la bassia, qui contenait le produit de la dernière traite, mélangea doucement le liquide mousseux et crémeux à l’aide d’une grande louche, ajouta la quantité de présure nécessaire, brassa de nouveau, et remplit trois petites toupines qu’elle recouvrit d’un torchon et qu’elle rangea dans le coin, sous l’escalier qui montait aux chambres du haut, pas trop près du cantou, mais à température constante, à l’abri des courants d’air, pour laisser reposer et fermenter.
Elle s’invectivait elle-même, tout le monde était au pré. Pour le foin. Dans la descente vers l’extrémité ouest, les poules, qui espéraient toujours récupérer, dans la cour des cochons, quelques épluchures ou autres détritus toujours bons à consommer, la suivaient avec force caquètements, elle leur interdit l’entrée du long couloir qui menait tout au fond du bâtiment, devant le four à pain, au-dessous du poulailler. Elle commença à remplir la chaudière de pommes de terre rapidement rincées d’eau claire, rajouta quelques raves, un seau d’eau du puits, et il ne restait plus qu’à mettre en place le couvercle, et ajouter du bois dans le foyer, pour allumer, en dessous. Ensuite, elle surveillerait le feu, toute la matinée, pour que l’eau bouille pendant une heure, le temps de la cuisson complète.
Chapitre 3
Anaïs
Le soleil, déjà haut dans le ciel, commençait à taper fort, c’était bon pour le foin, s’il y avait pas d’orage, ça serait réussi. En passant par la cuisine pour vérifier les marmites et attiser le foyer, Marguerite jeta un coup d’œil à la pendule, onze heures et quart, faut que je me dépêche, il reste une rangée de poireaux à sarcler et biner, d’habitude c’est le pépé qui le fait, mais là, il est occupé au foin, on peut pas être partout. Tranche sur l’épaule, elle prit le chemin montant vers le potager, croisa les quatre vaches surveillées par Anaïs qui s’obstinait à faire l’école au petit frère :
— Regarde, là, Régis.
— Quoi ?
— Tu la vois cette lettre ?
Et elle lui montrait une feuille sur laquelle elle avait tracé d’une belle écriture ronde un « l » minuscule.
— ça, c’est « le »
— Arrête un peu de jouer à la voiture avec ta vieille boîte de sardines, regarde ma feuille !
— Quoi encore ?
— C’est quoi là ?
— Sais pas…
— C’est un « a »
— Ah !
— Et si on les met ensemble, ça fait quoi ?
— Sais pas…
— « le » et « a », ça fait « la »
— Il est peut-être un peu petit encore pour apprendre à lire !
Sans faire de bruit, il était arrivé tranquillement par le haut, dans la descente, sur son vélo, avec sa grande sacoche sur le dos, et avait mis pied à terre.
— Ah voilà Gilou le facteur, on t’a pas entendu arriver.
— Dans la descente, je fais pas de bruit… Je disais que, pour apprendre les lettres, il est encore un peu petit, non ?
Il la dévisageait avec un beau sourire gentil qui la gênait un peu, et elle baissait les yeux, tout en continuant à observer le visage sympathique du jeune homme à travers ses paupières mi-closes, ça lui faisait tellement de bien d’entendre cette voix douce qui ne s’adressait qu’à elle, toute seule...
— Vous croyez pas ? Vous me donneriez pas des cours, à moi ? Vous qui êtes au collège... Vous en avez de la chance, vous savez. Je voudrais bien être assis à côté... de vous... à la même table... au collège...
La voix autoritaire de la maman avait fait redescendre brutalement tout le monde sur terre, sauf Régis qui se foutait complètement de l’alphabet, des déclarations d’amour déguisées des uns ou des ordres des autres, mais qui surveillait la voiture en boîte de sardines afin qu’elle suive bien le chemin tracé, sans se renverser.
Chapitre 4
Ils sont huit à table
Une heure plus tard, les deux bœufs, libérés de leur joug, après s’être longuement abreuvés dans les bacs remplis d’eau au pied de la citerne, rejoignaient leurs compagnes dans la fraîcheur de l’étable. Les hommes se lavaient les mains à la couade, sur la bassia, et retrouvaient eux aussi leurs compagnes dans la fraîcheur de la cuisine, au milieu des bruits des sabots sur le sol, de la louche qui servait la soupe qu’Anaïs avait mise à tremper, du bzzz bzzz agaçant des mouches revigorées par la chaleur, et des aboiements du chien qui chassait au dehors les poules et les canards qui auraient bien voulu aussi profiter du festin.
Il avait pas l’habitude de crier, Gabriel, mais là, au moment où il s’asseyait devant son assiette, il aspirait surtout au calme et à la nourriture.
Pfflliou ! Pflliou !
On appréciait autant son humour que le chabrol, et l’éclat de rire fut général avant que retombe le silence juste interrompu par les lapements du vin rouge au fond de l’assiette qu’on portait à la bouche comme un bol.
Brusquement, d’un seul coup, toutes les têtes s’étaient retournées, d’un mouvement parfaitement synchronisé, vers l’encadrement de la porte qui donnait sur la cour : Une auto, à cette heure-là ? À La Picardière ? Mais que se passe-t-il donc ?
Chapitre 5
Firmin Marchou
La grande silhouette en longue soutane noire apparut dans l’encadrement de la porte, en même temps que Marguerite s’exclamait :
— Têê ! Vijo mé quouo ! Quoui lou Firmin qu’orribo !
— Regardez-moi ça ! C’est le Firmin qui arrive ! Allez ! Shabô d’entrar ! Finis d’entrer !
Tête massive, rectangulaire, front dégarni, bouche assez large et souriante, on était rassuré, c’était quelqu’un de connu.
Il faisait pas de manière, le cousin, prenait place immédiatement devant l’assiette fumante, penchait la tête dessus en marmonnant des choses incompréhensibles :
« Blll.Blll.Blll. Blla.Blla.Blla... cette nourriture... Amène » !
Gabriel et le pépé avaient envie de rigoler mais lui pardonnaient, il faisait son métier après tout. Marguerite avait beaucoup plus de respect pour la règle religieuse. Quant aux enfants, ils l’avaient déjà vu et avaient compris qu’il n’était pas tout à fait comme les autres, mais le curé faisait partie de la société, même quand il rentrait dans l’étable, pour réciter ses prières aux vaches, On le laissait faire.
Batistou, lui, en profita pour se resservir une louche de soupe et attaquer son troisième chabrol.
Tous les légumes,
Étaient en train de s’amuser… ééé
Et Anaïs reprenait, de sa voix aiguë de jeune fille, bien en mesure sur les trois temps d’une valse lente :
Deux cornichons
Tournaient en rond,
Un artichaut
Faisait de petits sauts…
— Ah ! Ah ! Ah ! rigolaient ensemble André et Batistou, deux corps nichons !
Et Anaïs concluait brillamment, en accélérant un peu le rythme :
Trois salsifis
Valsaient sans bruit
Et un chou-fleur se trémoussait avec ardeur
Alexis et Régis applaudissaient la grande sœur, admiratifs du culot qu’elle avait de chanter devant tout le monde, tandis que le grand-père Pierre, attendri et fier, précisait :