L'art de bien se disputer en couple - John Gottman - E-Book

L'art de bien se disputer en couple E-Book

John Gottman

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Beschreibung

On croit souvent que les couples heureux ne se disputent jamais. Faux !

Les couples les plus solides savent comment se disputer — sans blesser, sans fuir, et surtout… sans détruire l’amour.

Dans ce guide à la fois clair, drôle et utile, les Drs John et Julie Gottman, célèbres chercheurs en psychologie du couple, vous révèlent les 5 erreurs à éviter et les 5 secrets pour transformer les conflits en moments de connexion.

  Pourquoi on s’énerve toujours pour les mêmes choses ?

  Comment éviter l’escalade et rester connectés même quand ça chauffe ?

  Comment utiliser les disputes pour mieux se comprendre et se rapprocher ?

Entre conseils concrets, exemples vécus et décryptage des dynamiques de couple, ce livre vous apprendra l’art délicat de se disputer sans se perdre.

Un guide essentiel pour tous ceux qui veulent s’aimer longtemps… même quand le ton monte. 
 À PROPOS DE L'AUTEUR
Pr. John Gottman est psychologue et chercheur renommé, reconnu mondialement pour ses travaux pionniers sur les relations de couple. Cofondateur du Love Lab, il a aidé des milliers de couples à mieux comprendre et améliorer leur vie amoureuse.

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Seitenzahl: 526

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

Introduction

Pourquoi nous disputons-nous ?

À bien des égards, ils formaient un couple parfaitement assorti. Elle était jeune avocate en droit foncier, lui jeune avocat en droits des médias. Tous deux originaires du Midwest, ils avaient choisi de s’installer à Seattle. Ambitieux, très occupés, ils aimaient combler leur temps libre par de nouvelles expériences. Au début de leur relation, ils passaient chaque week-end à découvrir un endroit différent. Ils sautaient dans la voiture pour filer jusqu’à Vancouver, flâner dans les marchés en plein air ou déguster des sushis tard dans la nuit. D’autres fois, ils allaient camper dans les montagnes, ou achetaient des billets de dernière minute pour une pièce de théâtre. Ils travaillaient tous les deux de longues heures mais aimaient être spontanés pendant leur temps libre.

Il n’y avait qu’un tout petit problème. Elle voulait un chiot. Lui, non.

Un an plus tard, il y avait un chiot ‒ devenu un grand chien joyeux et joueur. Mais le mariage prenait fin. Les papiers du divorce furent signés. Ils quittèrent la maison qu’ils avaient achetée ensemble avant de se marier, celle où ils étaient rentrés la nuit de leur mariage en riant, encore couverts de confettis scintillants que les invités avaient lancés dans leurs cheveux et sur leurs vêtements. Ils se partagèrent les meubles, les livres, les casseroles et les poêles. Elle, bien sûr, prit le chien.

Comment un chiot a-t-il pu briser ce mariage ?

La dispute avait commencé simplement, presque banalement : une divergence d’opinions. Il pensait qu’un chien représentait trop de responsabilités, trop de travail, trop d’engagement. On ne pouvait pas le laisser seul trop longtemps ‒ on ne pouvait même pas partir pour la journée entière. Et puis, un chien, ça coûtait cher. N’avaient-ils pas prévu d’utiliser leur argent autrement ? N’avaient-ils pas parlé de voyager ?

Son travail nécessitait de fréquents déplacements professionnels, et il était souvent absent, la laissant seule dans la maison où elle travaillait de longues heures. Elle se sentait seule, et lorsqu’il était absent pour la nuit, elle avait peur. Ils n’avaient finalement jamais voyagé vraiment comme ils en avaient parlé ‒ alors, pourquoi ne pas prendre un chiot, un compagnon pour lui tenir compagnie ? Elle l’imaginait les accompagnant dans leurs randonnées du week-end, la tête au vent, penchée à la fenêtre de la voiture. Elle aimait se projeter en trio : eux deux et leur chien.

Ils n’avançaient pas. Ils tournaient en rond, revenant sans cesse au même débat, sans jamais parvenir à une solution. Ses préoccupations concernant le temps, l’argent et l’engagement lui semblaient tellement exagérées ‒ elle était sûre que s’il acceptait d’essayer, il verrait que ce n’était pas tant de travail ! Alors, elle décida : elle prendrait un chiot et le lui offrirait en cadeau. Une fois qu’il aurait une adorable boule de poils sur ses genoux, comment pourrait-il résister ? Il finirait bien par changer d’avis.

Il ne changea pas d’avis.

Le conflit s’aggrava. Il était contrarié qu’elle l’ait ignoré et qu’elle ait fait ce qu’elle voulait. Elle était contrariée qu’il continuât à s’obstiner, même après qu’elle lui ait dit à quel point cela comptait pour elle. Pour lui, la présence du chiot dans la maison était un rappel constant de la façon dont elle avait complètement ignoré ses sentiments et ce qui était important pour lui.

Elle vivait son refus d’accepter le chien comme un rejet d’elle et de ses besoins. Chaque détail concernant le chien déclenchait une dispute : qui le sortirait ? paierait la facture du vétérinaire ? s’occuperait de sa nourriture lors des courses ? Pire encore, ils se disputaient maintenant sur d’autres sujets ‒ plus qu’ils ne l’avaient jamais fait auparavant.

Elle commença par lui faire remarquer à quel point il faisait peu de choses dans la maison. Très bien, dit-elle, elle ferait la plupart des tâches liées au chien ‒ c’était son idée après tout. Mais il semblait lui laisser aussi le reste des tâches ménagères. Soit il s’en fichait, soit il s’attendait à ce qu’elle le fasse ‒ en serait-il de même, se dit-elle, s’ils avaient un bébé ? De son côté, la façon dont elle abordait les choses l’agaçait. Elle ne demandait jamais simplement de l’aide. Elle disait : « Je suppose que c’est encore moi qui ferai la vaisselle ce soir », et une petite étincelle de colère en lui le faisait répliquer : « Oui, je suppose que oui. » Plus tard, se sentant coupable, il essayait d’en faire plus ‒ il lançait quelques lessives, nettoyait la salle de bains ‒ mais elle ne le remarquait jamais.

Ils passaient de moins en moins de temps ensemble. Et un vendredi après-midi, lorsqu’il lui rappela qu’il partait pour le week-end en camping avec un vieil ami du lycée, elle s’est sentie submergée par la colère et la tristesse.

« Oh, tu vas partir », dit-elle, soudain au bord des larmes, « et moi, je reste à la maison avec ce chien que tu n’as jamais voulu. » Pris au dépourvu, il explosa. « Mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? » cria-t-il. « J’ai prévu ce voyage depuis des mois ! Ça n’a rien à voir avec ce fichu chien ! »

Un carburant invisible alimentait cette dispute, comme du pétrole enfoui sous terre attisant un feu : chacun d’eux avait un agenda caché.

Son agenda caché à lui : il voulait de la liberté et de l’aventure. Son agenda caché à elle : elle voulait une famille.

Mais ils ne s’avouaient guère à eux-mêmes ces vérités profondes, encore moins l’un à l’autre.

Ils s’éloignèrent de plus en plus l’un de l’autre, chacun s’enfermant dans sa propre tranchée, d’où ils lançaient accusations et critiques comme des grenades. Un jour, elle attrapa un gros rhume et ne put sortir le chien ‒ il dut le faire. Il le fit avec beaucoup de ressentiment car, chaque fois, il devait arrêter une activité importante pour prendre la laisse ‒ il n’avait pas signé pour ça ! Un autre jour, le chiot exprima son propre mécontentement et fit ses besoins sous le bureau du mari, là où il travaillait quand il était à la maison.

Il dit alors qu’il ne nettoierait rien. Elle non plus ne nettoierait rien.

Les crottes du chien marquaient la ligne que personne ne franchirait ‒ la franchir serait admettre sa défaite et la victoire de l’autre.

Lorsqu’ils vendirent la maison en raison du divorce, ils firent appel à un service de nettoyage. Les nettoyeurs s’employèrent, pièce après pièce, à effacer toutes les traces de la vie commune de ce couple ‒ empreintes digitales, épices de cuisine, poussière et papiers oubliés ‒ afin de rendre les lieux impeccables pour des acheteurs potentiels qui aimeraient y vivre. Puis, ils arrivèrent au bureau.

Savez-vous ce qui se passe quand vous laissez des crottes de chien sans vous en occuper ?

Elles se transforment en une masse dure et blanche.

Et voilà la chute de l’histoire… des crottes de chien momifiées. Nous sommes désolés de vous raconter cette histoire, mais elle est universelle : chaque couple porte en lui une petite dispute qui, au fil du temps, ne s’efface pas, qui enfle et se transforme en un véritable blocage. Cette histoire peut sembler banale ! À l’entendre, on pourrait se dire : rompre un mariage solide, pour un chiot ? Quelle absurdité !

En réalité, la dispute dans ce couple ne portait ni sur le chiot ni sur ses crottes. Le chiot représentait deux conceptions de la vie différentes pour chaque personne. Lorsqu’elles s’affrontaient à propos des promenades, des frais vétérinaires ou de qui devait acheter la nourriture pour le chien, ce n’était jamais vraiment de cela qu’il s’agissait. Ils se disputaient sur leurs valeurs, leurs rêves, leur vision du mariage et de la vie. Des sujets essentiels qu’il aurait été bon pour eux d’explorer ensemble et qui auraient peut-être même été salvateurs pour leur couple. Mais ils n’y sont jamais parvenus. Ils n’ont jamais compris ce qui se jouait réellement dans ces conflits, ni comment en parler. Leurs disputes sont devenues toxiques, jusqu’à briser la relation forte qu’ils avaient autrefois.

C’était il y a longtemps, avant que John ne commence son travail d’étude des couples. Il ne comprit que bien plus tard la profondeur de leurs conflits, lorsque ses recherches lui en apprirent davantage sur la science des relations. En fin de compte, il ne put aider ce couple, qui malheureusement se sépara. Mais depuis, nous avons aidé des milliers d’autres couples tout aussi bloqués, tout aussi coincés, tout aussi désespérément en décalage l’un par rapport à l’autre.

En écrivant ce livre, nous avons beaucoup pensé à ce couple d’autrefois. Nous aurions aimé savoir à l’époque ce que nous savons maintenant, après cinquante ans de recherche. Si nous pouvions remonter le temps, voici le livre que nous écririons pour eux.

Nous devons réparer notre façon de nous disputer

S’associer à quelqu’un pour le long terme n’a jamais été chose facile. Traverser ensemble les hauts et les bas d’une vie ou d’un engagement demande du courage, de la patience et un certain art. Nous accompagnons des couples depuis des décennies, et nous pouvons l’affirmer : les gens ont toujours cherché de l’aide pour y parvenir. Mais ces dernières années ont été particulièrement éprouvantes pour de nombreux couples que nous accompagnons.

Les couples ont dû faire face à des niveaux de stress et d’intensité sans précédent. Pendant la longue période de la pandémie de Covid-19, beaucoup se sont retrouvés confinés chez eux ou, même lorsque ce n’était pas le cas, privés de leurs routines habituelles, de leurs loisirs et des liens sociaux qui les soutenaient autrefois. Les frontières entre travail et vie privée se sont dissoutes, transformant parfois la chambre à coucher en bureau. Nous avions longtemps étudié la façon dont les couples ramenaient à la maison le stress de leur lieu de travail ‒ et maintenant, avec la pandémie, la distance pour le ramener était quasi nulle. Tout était là, se chevauchant dans le même espace. Les couples eurent dès lors plus de difficultés à gérer leurs finances, à s’occuper des enfants, à s’accorder sur les horaires de travail. Beaucoup s’affrontèrent également sur la façon d’appliquer les recommandations de sécurité liées à la pandémie. Fallait-il inclure famille et amis dans leur bulle, ou considérer cela comme un risque trop grand ? Lorsqu’un des conjoints cherche désespérément du lien social, tandis que l’autre est submergé par l’anxiété liée à l’exposition, le terrain devient fertile pour des conflits polarisants et destructeurs.

Pour beaucoup, la maison, qui était peut-être autrefois un refuge, est devenue une sorte de creuset où chaque petit problème se trouvait amplifié et chaque fissure devenait une douloureuse fracture.

Les données continuent d’émerger concernant cette période, mais les premières observations suggèrent que la pandémie de Covid-19 a poussé les couples à des extrêmes : les couples qui allaient bien avant la pandémie s’en sont généralement bien sortis. Mais les couples qui avaient des problèmes à résoudre ‒ et soyons honnêtes, il s’agit de beaucoup d’entre nous1 ‒ ont fait bien pire. Les lignes de faille dans la relation, qui dans des circonstances normales auraient pu être réparées plus facilement, sont devenues critiques.

Nous n’avons sans doute pas encore une image complète des difficultés vécues pendant la pandémie de Covid. Les chercheurs évaluent souvent la satisfaction conjugale à travers des enquêtes, mais ces méthodes peuvent être biaisées. Lorsque les couples traversent de véritables crises, il n’est pas rare qu’ils refusent de répondre ‒ certains raccrochent, d’autres préfèrent éviter le sujet. Nous risquons donc de manquer d’informations essentielles.

Pour beaucoup d’entre nous, les dernières années ont été une période de bouleversements et de questionnements. Les gens ont réévalué leurs priorités et la façon dont ils allouent leur temps et leurs ressources. Les couples se sont parfois ou souvent demandé : partageons-nous encore les mêmes objectifs ? Tous ces frottements sont-ils un signe que nous n’étions pas faits pour être ensemble ? Sommes-nous vraiment compatibles ?

Mais voilà : pandémie ou non, tous les couples traversent un jour ou l’autre des périodes de pression intense ‒ des moments où, pour une raison ou une autre, tout semble plus compliqué, où la moindre contrariété peut déclencher une dispute. Des disputes qui dégénèrent, où l’on dit des choses qu’on regrette, où l’on aimerait pouvoir tout recommencer. Peu importe la phase où vous en êtes dans votre relation ‒ que vous soyez dans une mauvaise passe ou viviez un moment de grâce, que votre amour soit jeune ou vieux de plusieurs décennies ‒ une chose est essentielle : ne laissez pas de « crottes sous le bureau ». Ces petits conflits non réglés, ces rancunes qu’on cache en pensant qu’elles disparaîtront d’elles-mêmes finissent toujours par se faire sentir.

Pas de conflit n’est pas la solution !

Clarifions une chose : notre but n’est pas de vous apprendre à ne jamais vous disputer. L’idée d’une vie sans conflit peut sembler séduisante ‒ le bonheur, la paix permanente ! Mais ce n’est probablement pas ce qu’il y a de mieux pour vous. L’intimité crée inévitablement des tensions.

Prenons l’exemple d’un autre couple que nous avons accompagné. À les entendre, ils ne se disputaient jamais. En réalité, ils évitaient soigneusement les sujets sensibles ‒ ils ne voulaient pas blesser les sentiments ou se retrouver dans une discussion inconfortable. À quoi bon, pensaient-ils, puisque de telles discussions ne semblent jamais se terminer par une solution au problème ? Pour eux, il semblait préférable de contourner les problèmes qu’ils ne pourraient pas résoudre de toute façon et d’éviter tout le stress et le drame. Cela semble raisonnable. Mais lorsqu’ils sont venus nous voir, assis côte à côte sur le canapé, il était clair qu’émotionnellement ils étaient à des kilomètres l’un de l’autre. Oui, ils avaient toujours été polis l’un envers l’autre ‒ chez eux, pas de cris, pas de portes claquées, pas de remarques acerbes de frustration, pas de petit tas de crottes de chien se pétrifiant sous un bureau.

Mais ils avaient aussi, à un moment donné, perdu le contact l’un avec l’autre.

Lorsqu’ils sont venus nous voir, nous leur avons fait réaliser une activité ensemble, que nous proposons souvent aux couples, où chaque personne fait le point sur ce qu’elle sait de son partenaire. Des questions telles que : Qui sont les meilleurs amis de votre partenaire ? Quels sont les stress que votre partenaire affronte en ce moment ? Quels sont certains des rêves de vie de votre partenaire ? Et ainsi de suite.

Au fur et à mesure qu’ils parcouraient la liste, il est rapidement devenu clair qu’ils ne pouvaient répondre à presque aucune des questions. Par la suite, dans une conversation guidée, les tensions et les ressentiments ont lentement émergé. À un moment donné, le mari a avoué quelque chose qui le dérangeait depuis des mois mais qu’il n’avait jamais abordé avec sa femme : elle avait pris l’habitude de sortir boire un verre avec un collègue de travail tous les vendredis soir après le travail, au lieu de rentrer directement à la maison. Cela le dérangeait parce qu’eux-mêmes n’étaient pas sortis ensemble pour un rendez-vous depuis… eh bien, il ne se souvenait plus de la dernière fois.

Elle était choquée. « Mais je t’ai demandé si ça te dérangeait et tu m’as dit “non” ! Pourquoi ne me l’as-tu pas signalé ? »

« Eh bien », répondit-il, « je ne voulais pas me disputer. »

Le conflit fait naturellement partie de toute relation humaine ‒ et il est même essentiel à sa croissance. On a souvent tendance à croire qu’un faible niveau de conflit est signe de bonheur, mais c’est une illusion. L’absence de disputes ne garantit pas une relation solide ; au contraire, elle peut en cacher la fragilité.

Une étude menée par le Divorce Mediation Research Project a révélé que la grande majorité des couples qui ont divorcé (80 %) ont décrit le fait de s’éloigner et de perdre un sentiment de proximité comme l’une des principales raisons de leur séparation2. Nos propres recherches ont également montré que les couples peuvent avoir des unions heureuses et durables à travers plusieurs « styles de conflit ». Ce ne sont pas les disputes en elles-mêmes qui fragilisent un couple ‒ même les plus heureux se disputent. Tout dépend de la manière dont ces conflits sont gérés3.

Le conflit est une forme de connexion. C’est à travers lui que nous découvrons qui nous sommes, ce que nous désirons, qui sont nos partenaires, ce qu’ils deviennent et ce qu’ils veulent. C’est aussi par le conflit que nous apprenons à combler nos différences et à reconnaître nos similitudes, nos points d’ancrage communs. Le vrai problème, c’est que nous n’avons jamais appris à gérer ces confrontations de manière saine. On ne nous enseigne pas un cours de « Dispute 101 » au lycée, avant de nous lancer tête baissée dans nos premières relations. Nous avançons à l’aveugle. Nos croyances et notre rapport au conflit prennent racine dans notre enfance, notre éducation, notre culture et nos expériences relationnelles passées. Elles influencent profondément notre manière de nous disputer, bien souvent à notre insu. Peu importe le nombre de relations traversées ou les années passées en couple : nombreux sont ceux qui avancent encore à tâtons, apprenant au fur et à mesure ‒ et commettant, en chemin, beaucoup d’erreurs.

Nous ruminons nos rancunes trop longtemps avant d’aborder le problème.

Nous attaquons de front, souvent par des critiques.

Nous ne savons pas comment nous apaiser nous-mêmes, et nous nous laissons submerger par nos émotions.

Nous nous mettons sur la défensive.

Nous ne prenons pas toujours le temps d’explorer ce qui se joue réellement derrière la dispute.

Nous ne voyons pas ou rejetons les tentatives de rapprochement de notre partenaire.

Nous peinons à faire des compromis sans avoir le sentiment de nous être reniés ou d’avoir trop cédé.

Nous nous excusons trop vite, simplement pour mettre fin au conflit, sans l’avoir vraiment résolu.

Et voici l’une de nos grandes erreurs : nous faisons comme si les disputes passées n’avaient jamais existé ‒ nous les appelons même parfois des « incidents regrettables ». Nous n’en parlons pas. Nous ne faisons pas en sorte de les réparer. Nous n’en tirons aucune leçon. Nous nous contentons de tourner la page trop vite, pour passer à autre chose.

Le résultat ? Nous nous blessons mutuellement. Nous sortons meurtris de nos conflits, plus éloignés l’un de l’autre qu’auparavant. Ou parfois, par peur d’être blessés, nous évitons complètement les conflits, puis constatons que l’écart se creuse encore davantage.

Notre manière de gérer les conflits est défaillante. Et il devient urgent de réapprendre à nous rencontrer.

Découvrir la science de l’aide aux couples : « Bien se disputer »

Cela fait maintenant cinq décennies que nous explorons la science de l’amour. John, en tant que chercheur ‒ et à l’origine, mathématicien. Julie, en tant que clinicienne de terrain. Notre travail de toute une vie a consisté à développer des outils pour aider les couples qui s’aiment et veulent réussir leur relation, mais qui ne savent pas toujours comment s’y prendre et qui ont besoin d’outils concrets pour que leur relation prospère et reste sur la bonne voie. Car, bien souvent, ce n’est pas la relation qui pose problème ‒ c’est que vous n’avez tout simplement pas reçu les bons outils pour en prendre soin. Chaque relation est unique, formant une alchimie propre et inimitable d’amour et d’attirance, de tensions et de liens, de personnalités et de passés qui se rencontrent, se frottent, se transforment et donnent naissance à quelque chose de nouveau. Notre relation n’est pas la vôtre ni celle de personne d’autre. Et pourtant, nous avons découvert qu’il existe des outils universels qui peuvent aider tous les couples. Ce que nous désirons plus que tout, c’est les partager. Parce qu’au fond, nous en avons tous besoin.

Il y a cinquante ans, John, aux côtés de son collègue de recherche Robert Levenson, lançait ses premières recherches sur les couples, appliquant pour la première fois la méthode scientifique à l’étude de l’amour. Depuis trente ans maintenant, nous John et Julie travaillons ensemble, lançant notre « Love Lab » sur le campus de l’Université de Washington à Seattle, où notre collaboration a commencé ‒ c’est aussi là que nous nous sommes rencontrés et que nous sommes tombés amoureux. Comme tous les couples, nous avons dû apprendre à construire notre propre manière de vivre les conflits, en combinant nos vies, en nous mariant et en devenant parents. Nous avons traversé des disputes qui commençaient mal, surgissaient de nulle part ou tournaient toujours autour des mêmes sujets. Et peu à peu nous avons trouvé des solutions. On peut même dire que nous sommes devenus plutôt bons dans l’art de la dispute ! Nous avons découvert qu’il est possible de se disputer avec bienveillance, avec amour, et de retrouver la paix ensemble. Mais, il faut l’admettre, nous avions un avantage : nous avions les données du Love Lab.

Plus de trois mille couples sont passés par le Love Lab, où notre objectif en tant que chercheurs a été d’analyser avec la plus grande précision possible les comportements qui favorisent un amour durable et une relation épanouissante. Nous invitons les couples à passer un week-end dans un appartement confortable ‒ une sorte d’Airbnb pensé pour l’observation ‒, où nous filmons leurs interactions et les analysons. Ensuite, nous les suivons sur plusieurs années, parfois même des décennies, afin d’observer l’évolution de leur relation, leur niveau de bonheur et leur satisfaction. Et parce que le conflit joue un rôle central dans la santé d’un couple, nous avons choisi de nous concentrer sur ce moment délicat : comment les partenaires interagissent avant, pendant et après les disputes.

Dans l’une de nos études, nous avons invité des couples à venir discuter d’un de leurs points de conflit, quelque chose qu’ils n’avaient pas encore résolu. Nous avons enregistré leurs interactions afin de pouvoir les analyser ‒ en enregistrant chaque détail jusqu’au centième de seconde. Nous avons codé chaque geste, soupir, sourire et pause ; nous avons codé également le langage corporel, le ton de la voix. Rien n’était trop petit ou insignifiant. Nous avons équipé les participants de capteurs de biofeedback qui mesuraient en temps réel leur rythme cardiaque et leur respiration ‒ des indicateurs physiologiques essentiels pour comprendre comment et pourquoi un conflit prend une certaine tournure.

Nous avons mené ces recherches auprès de couples hétérosexuels, homosexuels et lesbiens, de couples avec ou sans enfants, de couples aisés et de couples vivant dans la pauvreté, de couples issus de divers horizons démographiques, raciaux et culturels. Une fois que nous avons recueilli une image incroyablement précise et détaillée de leurs interactions à un moment donné, nous les avons fait revenir, année après année, pour recommencer. Allaient-ils changer ? Rester ensemble ? Leur union serait-elle heureuse ? Et surtout, en ce qui concerne les conflits, une question nous semblait urgente : pourquoi certains couples sont-ils brisés par leurs disputes, quand d’autres parviennent à retrouver la paix ? Alors, qu’avons-nous découvert ?

Nous avons découvert qu’en observant et en codant les comportements des couples, il était possible de prédire, avec plus de 90 % de précision, lesquels resteraient ensemble4 à travers les hauts et les bas, tout en étant globalement satisfaits de leur relation. Nous les avons appelés les « maîtres » de l’amour. À l’inverse, nous pouvions aussi identifier ceux qui finiraient par divorcer, se séparer, ou rester ensemble sans être heureux : des couples que nous avons, malheureusement, désignés comme les « désastres » de l’amour.

Nous avons découvert que les trois premières minutes d’une dispute peuvent prédire l’état de la relation six ans plus tard5.

Nous avons découvert que les couples devaient atteindre un certain ratio d’interactions positives par rapport aux interactions négatives pendant un conflit pour rester amoureux sur le long terme ‒ et qu’en dehors des conflits, ce ratio augmentait encore davantage6.

Nous avons découvert que, pendant un conflit, les couples qui manifestaient quatre comportements clés que nous appelons « les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse » (critique, mépris, obstruction et défensive) étaient susceptibles de se séparer en moyenne cinq ans après le mariage7.

Mais nous avons également découvert que « l’absence de conflit » n’était pas nécessairement signe d’une relation saine. En effet, une seconde vague de divorces survient souvent autour de la dixième année ‒ bien après le seuil critique des cinq premières années. Ces couples-là n’étaient pas minés par les Quatre Cavaliers. Non, ce qu’ils avaient en commun, c’était le vide. Pas de conflit majeur, certes. Mais aussi pas d’humour, pas de curiosité, pas de signes d’intérêt véritable l’un pour l’autre.

Nous avons compris alors que les « maîtres » de l’amour ne fuyaient pas les conflits. Au contraire, ils disposaient de compétences relationnelles qui leur permettaient de les aborder comme une collaboration, pas comme une bataille. Et surtout, quand l’un blessait l’autre (ce qui peut arriver, même dans les meilleures relations), ils savaient comment réparer8.

Tout ce que nous avons découvert ‒ et bien plus encore ‒, nous allons vous le transmettre dans ce livre. Nous commencerons par explorer le contexte dans lequel nos conflits prennent racine : ce « cadre » invisible qui précède chaque dispute. Il s’agit de notre histoire personnelle : l’éducation que nous avons reçue, la culture dans laquelle nous avons grandi, et ce que nous appelons nos méta-émotions ‒ ces « émotions sur nos émotions », qui influencent nos relations de manière souvent insoupçonnée. Nous verrons aussi comment nos interactions quotidiennes et banales avec nos partenaires nous prédisposent à certaines dynamiques conflictuelles. Et à quel point il peut être déroutant de comprendre ce qui est réellement en jeu sous la surface du conflit (car non, vous ne vous disputez pas vraiment à propos d’un chiot !). Puis, nous vous guiderons à travers cinq types de disputes qui montrent clairement où nous nous trompons pendant un conflit et comment faire autrement, de manière plus saine et constructive. Car nous avons également découvert une bonne nouvelle : avec les bons outils ‒ pratiques, concrets et validés par la science ‒, il est possible de transformer une relation. De mieux se disputer. D’aimer plus justement. Et de se reconnecter en profondeur.

Lorsque notre fille était petite, elle a eu une remarque qui, sans le savoir, a clarifié notre mission. Nous étions en train de réfléchir aux raisons pour lesquelles nous faisions ce travail auprès des couples. Ce jour-là, elle nous posait des questions sur le Love Lab ‒ peut-être un peu agacée que nous soyons partis le week-end pour animer une retraite pour couples plutôt que de rester à la maison, l’emmener faire un tour en ferry et manger une glace. Quoi qu’il en soit, elle voulait comprendre ce que nous faisions exactement avec toute cette « science de l’amour ». Nous lui avons expliqué que notre travail consistait à identifier les interventions les plus puissantes que les couples pouvaient utiliser pour rester amoureux et heureux ‒ quand c’est ce qu’ils souhaitent ‒ et à rendre ces outils accessibles au plus grand nombre. Nous lui avons aussi dit que, pour beaucoup de couples ‒ nous y compris, à certains moments ‒, il arrive qu’on ne parvienne tout simplement plus à s’entendre.

« Que penses-tu qu’il se passe », lui avons-nous demandé, « quand les mamans et les papas se disputent tout le temps ? »

« Eh bien », a-t-elle dit, « je suppose qu’il n’y a pas d’arcs-en-ciel dans la maison. » Nous sommes restés silencieux. Pas d’arcs-en-ciel dans la maison. Cette petite fille de quatre ans venait d’exprimer, avec une justesse désarmante, la raison profonde de notre travail. Les tempêtes, dans une relation, sont inévitables. Mais après la tempête, quelque chose de beau peut apparaître. L’arc-en-ciel n’est possible qu’à cette condition : traverser la tempête, ensemble.

Le conflit est une constante humaine

Nous avons beaucoup écrit sur l’amour : sur ce qui le fait naître, ce qui le menace, ce qui lui permet de durer. Plus récemment, nous avons ressenti la nécessité de nous concentrer sur la manière dont nous gérons les conflits. La raison en est que nos conflits ne disparaissent pas. Les données que nous avons recueillies nous disent que peu importe ce à propos de quoi vous vous disputez, vous vous disputerez probablement encore sur ce même sujet. La plupart des désaccords au sein des couples ne sont pas de simples malentendus passagers, liés à une seule situation ou que l’on peut résoudre une fois pour toutes ‒ ils sont persistants.

Il existe deux grands types de disputes dans un couple : les conflits pouvant être résolus et les conflits perpétuels. Les disputes pouvant être résolues sont celles pour lesquelles il existe une solution. Elles peuvent être réglées. Prenons un exemple simple : vous vous sentez frustré parce que vous devez toujours remplir le lave-vaisselle après que votre partenaire a laissé la cuisine en désordre en préparant le dîner. Vous pourriez facilement vous disputer à ce sujet une fois que vous atteignez votre point de rupture (note : aborder les sujets avant d’en arriver là est un point crucial ‒ on en parlera plus loin !). Par contre, une fois la tension redescendue, vous pouvez probablement trouver une solution, peut-être en alternant les rôles ou en répartissant autrement les tâches. C’est un problème pratique, logistique, et un problème de ce type peut être résolu une fois que tout le monde a retrouvé son calme.

Les disputes perpétuelles sont différentes. Ce sont des désaccords qui ne s’effacent pas avec le temps. Ce sont ces conflits qui reviennent encore et encore, car elles touchent à des différences plus profondes entre nous : différences de personnalités, de priorités, de valeurs et de croyances. Et peu importe à quel point vous semble « fait pour vous », ces différences existeront toujours. Nous ne tombons pas amoureux de nos doubles. En réalité, nous sommes souvent attirés par des personnes très différentes de nous sur certains points, non pas parce qu’elles nous ressemblent mais parce qu’elles nous complètent.

En fin de compte, la grande majorité de nos conflits ‒ 69 %, pour être précis ‒ sont perpétuels, et ne trouvent pas de solution définitive. C’est considérable ! Cela signifie que, dans la plupart des cas, peu importe ce sur quoi vous et votre partenaire vous disputez, il n’y aura pas de solution simple ou de réparation facile. Et parmi ces conflits persistants, environ 16 % deviennent de véritables impasses : les discussions tournent en rond sur les mêmes sujets, sans avancer, en causant finalement plus de blessures, de colère et de distance. C’est pourquoi améliorer notre manière de nous disputer est devenu un enjeu urgent. Car, comme nous l’avons souvent constaté, la façon dont nous nous disputons est aussi la façon dont nous communiquons et nous rapprochons. Aujourd’hui, nous nous sentons à l’aise de le dire en raison du nombre impressionnant de couples que nous avons rencontrés et suivis au fil des ans : nous nous y prenons mal. Nous nous précipitons, nous nous blessons mutuellement, nous manquons des opportunités où nous pourrions désamorcer, écouter, réparer. Et puis, la même dispute revient et nous répétons le cycle à nouveau, sur le même vieux sujet.

Le moment particulier de l’histoire humaine que nous vivons exige une nouvelle approche des conflits. Jamais les couples n’ont été aussi en détresse qu’aujourd’hui, dans le sillage de la pandémie de Covid. Les taux de violence domestique ont augmenté : dans une étude internationale menée auprès de plus de quarante mille couples, nous avons constaté que 60 % faisaient face à une forme de violence domestique. D’autres statistiques sont préoccupantes. Parmi ces couples, nous avons trouvé des taux élevés d’anxiété (27 %), de dépression (46 %) et de pensées suicidaires (29 %). Près d’un tiers des couples rapportaient des problèmes liés à l’abus de substances. Et 35 % faisaient face aux conséquences d’une infidélité9.

Notre monde semble devenir de plus en plus incertain et, bien souvent, c’est sur les personnes les plus proches de nous que nous finissons par déverser notre stress et notre anxiété, nos tensions accumulées. Quand un conflit éclate dans un couple, il n’a jamais lieu dans le vide. Le monde s’invite dans nos disputes. Au moment où nous arrivons à un point de conflit avec un partenaire, nous portons souvent déjà tellement de choses ‒ nos ressources émotionnelles sont entamées, notre esprit est saturé, et tout cela diminue notre capacité à faire preuve de douceur, de patience, de bienveillance l’un envers l’autre. Nous portons les résidus de la journée avec nous : les contrariétés, les pressions, les inquiétudes ‒ parfois sans même en avoir conscience. Et au-delà des murs de nos maisons, les conflits abondent. Ils prolifèrent dans le monde virtuel, où le format des interactions rend la véritable compréhension presque impossible. Notre monde n’a jamais été aussi polarisé.

Nous sommes à un point critique de l’histoire humaine ‒ un point où, dans tous les domaines, nous devons apprendre à mettre de côté nos défenses, nous ouvrir et nous battre pour la paix et la compréhension. Cela commence à l’intérieur des quatre murs de la maison. Nos relations amoureuses sont les pierres angulaires de nos communautés plus larges. Elles ont des effets d’entraînement sur nos enfants, nos amitiés et nos familles élargies, nos collaborations au travail. Elles influencent notre capacité à changer le monde ; elles affectent la manière dont nous nous rassemblons en tant que société. En apprenant à mieux nous disputer chez nous, nous pouvons apprendre à mieux nous disputer dans nos communautés, à travers les divisions politiques, dans notre société, et même en tant qu’espèce humaine.

Avoir des conflits est naturel. C’est même profondément humain ‒ et parfois, c’est exactement ce qu’il faut faire. Mais nous devons y apporter le meilleur de nous-mêmes et de notre humanité.

Lorsque nous nous disputons, nous devons essayer de créer quelque chose de meilleur. C’est l’objectif ultime du conflit : créer une avancée pour soi, pour votre partenaire, pour votre couple et pour le monde autour de nous. Le conflit ne doit pas nous séparer. Conflit et paix ne s’opposent pas. La paix peut naître du conflit, si nous savons comment le traverser en combinant gentillesse, respect, douceur et fermeté. Nous pouvons nous rapprocher grâce au conflit. Mais pour cela, il faut accepter d’aller au cœur de nos conflits.

Nous sommes, en tant qu’êtres humains, dotés d’une vie intérieure souvent intense. Nous ne sommes pas seulement ce que l’on voit en surface ‒ nos cheveux, notre peau et les vêtements. Nous ne sommes pas uniquement les personnalités que nous projetons. Nous avons en nous des couches cachées : des rivières, des cascades, des falaises, des vallées profondes que nous n’avons peut-être même pas encore explorées. Et nous avons souvent peur, dans nos relations, de montrer ces parties de nous-mêmes. Nous croyons devoir nous montrer sous « notre meilleur jour » pour être aimés. Alors, nous gardons la porte fermée sur notre monde intérieur complexe. Mais une fois engagés dans une relation, ces parties finissent par faire surface ‒ souvent au moment des conflits. Elles surprennent alors nos partenaires mais aussi nous étonnent nous-mêmes. Ces parties de nous enfouies ou réprimées ‒ ces besoins, rêves et émotions longtemps retenus ‒ parfois explosent avec une telle force qu’elles peuvent tout bouleverser, comme un feu qui menace de brûler la maison.

Mais elles n’en ont pas besoin.

Les disputes peuvent devenir intenses et désordonnées. Elles réveillent d’anciennes douleurs, ravivent parfois de vieux traumatismes. Nous retombons facilement dans nos schémas habituels ‒ pris au piège de nos émotions, de notre passé, de blessures non guéries. Mais si l’on parvient à aller au-delà de la surface, à toucher ce qui se cache en dessous, il y a souvent quelque chose de précieux qui nous attend : de la compassion… et une vraie compréhension.

Notre espoir pour vous et votre partenaire, en lisant ce livre, est que vous puissiez considérer vos conflits comme des opportunités de croissance. Ce que nous souhaitons, c’est que vous gagniez une compréhension plus profonde de votre propre culture du conflit et de ses origines. Que vous appreniez à identifier ce qui se joue vraiment derrière vos disputes, pour pouvoir aller à l’essentiel et vous rencontrer là, au cœur du désaccord. Nous espérons aussi que vous repartirez avec une vision claire des cinq erreurs les plus fréquentes que nous faisons en nous disputant avec la personne que nous aimons le plus ‒ et surtout, avec des outils concrets pour changer de cap, même au cœur de la tempête. Enfin, nous espérons que vous serez capables d’injecter un peu d’humour et de légèreté dans vos disputes ‒ cela peut faire une grande différence.

Les conflits ne sont pas toujours plaisants… mais ce livre, lui, nous espérons qu’il le sera.

Partie 1LES BASES DU CONFLIT

Pourquoi nous nous disputons

« Qu’est-ce qui se passe ? » demande-t-il, pendant qu’elle dit en même temps : « Alors, de quoi veux-tu parler ? »

Ils éclatent de rire.

Le couple est assis côte à côte sur leur lit, appuyés confortablement contre de grands oreillers blancs, face à la caméra. Ils sont légèrement tournés l’un vers l’autre. Ils paraissent chaleureux et détendus ‒ peut-être un peu nerveux à l’idée d’être filmés. Nous leur avons simplement demandé d’allumer la caméra de leur ordinateur portable, de lancer l’enregistrement et de parler de leur journée. Rien de plus.

Pendant ce temps, notre système d’IA les observe. Ce système a été conçu pour aider nos thérapeutes formés par Gottman et les couples souhaitant évaluer leur relation à domicile ‒ afin de recueillir des données éclairantes sur la manière dont les partenaires réagissent l’un à l’autre dans des interactions décontractées et en situation de conflit. L’IA peut lire leur rythme cardiaque à partir du flux vidéo, sans aucun autre appareil. Grâce à l’apprentissage automatique, elle effectue un codage émotionnel, identifiant chaque partenaire seconde par seconde sur une large gamme de catégories émotionnelles possibles. Elle évalue également le niveau de confiance de chaque personne envers son partenaire sur une échelle de 0 à 100 %.

L’IA ‒ conçue par nos brillants collègues, Rafael Lisitsa et le Dr Vladimir Brayman ‒ recueille toutes ces données pendant que ce couple discute brièvement de leur semaine de travail, de leur impatience à profiter du week-end et de l’occasion de se détendre. Jusqu’ici, l’IA a codé leur interaction comme passant de « neutre » à « intéressée ». Tous deux sont détendus ‒ leur rythme cardiaque est d’environ 80. L’indice de confiance est assez élevé.

Puis, elle dit : « Oh, au fait. J’ai dit à mes parents qu’ils pouvaient dormir dans notre chambre ce week-end quand ils viendront nous rendre visite. Nous dormirons sur le canapé. »

Il y a une pause.

« Tu leur as déjà dit ? » demande-t-il.

« Eh bien, oui », répond-elle, un peu désinvolte. « Ce sont mes parents. Je… »

« Tu sais que je ne dors pas bien sur le canapé. »

« Oh, allez. » (Elle lève les yeux au ciel) « C’est juste pour le week-end. Où est le problème ? »

« Eh bien, je veux être au mieux de ma forme avec tes parents. Je ne veux pas être grognon parce que je n’ai pas… »

« Comme si tu étais jamais au mieux de ta forme avec mes parents, de toute façon, alors… »

« Wow. » Sa voix est empreinte de blessure et de sarcasme. « D’accord. »

« Pourquoi tu fais cette tête ? Tu sais que c’est vrai ! »

« Hé, j’essaie de faire un effort pour tes parents, et… »

« Oh vraiment ? Eh bien, pourquoi ça t’a pris trois ans pour le faire ? Pourquoi ce week-end ? »

« Trois ans ? Tu ne penses pas que j’ai fait des efforts pendant trois ans ? »

À partir de ce là, le ton monte rapidement. Ils se coupent la parole, parlent en même temps. Elle l’accuse d’avoir fait pleurer son père lors d’un récent appel téléphonique ; lui tente de se justifier.

« Tu voulais juste glisser un petit commentaire sarcastique, n’est-ce pas », dit-elle, « alors que j’essayais juste de lui dire “Bon anniversaire”. »

« J’essayais juste d’être drôle ! » crie-t-il.

L’IA a enregistré une montée des rythmes cardiaques des deux partenaires ‒ le sien, plus significativement, atteint 107 battements par minute. L’indice de confiance a chuté ; le sien tombe à un niveau critique, en dessous de 30 %. L’évaluation émotionnelle plonge pour les deux. L’interaction devient rapidement négative ; elle attaque, il se défend, ils se parlent avec mépris. Moins de trente secondes plus tard, le couple se détourne l’un de l’autre, épuisé et en colère, abandonnant complètement la conversation. Alors que la vidéo capturée par l’IA s’arrête, ils regardent chacun dans des directions opposées.

« Coder » le conflit

Le couple mentionné ci-dessus a accepté de participer à une nouvelle plateforme que nous avons créée, conçue pour venir en aide à d’autres couples comme eux : des couples ordinaires qui traversent une période difficile (ou une année, une décennie difficile…) et qui ont besoin de soutien et de conseils.

Ces dernières années, et plus encore depuis la pandémie de Covid-19, la demande pour des thérapeutes qualifiés a largement dépassé l’offre disponible. Pour les couples très occupés, jonglant entre un emploi à plein temps, des enfants en bas âge ou la prise en charge d’un autre membre de la famille, consulter un professionnel peut s’avérer compliqué, voire inaccessible. Beaucoup de couples qui pourraient bénéficier de conseils professionnels s’en passent pour diverses raisons. Notre objectif était donc de créer un moyen simple et immédiat pour ces couples d’obtenir de l’aide. Et les besoins sont réels. Nous avons constaté qu’un grand nombre d’entre eux rencontrent des difficultés. C’est pourquoi nous avons imaginé une plateforme accessible depuis un téléphone, un ordinateur portable ou une tablette ‒ un espace où ils pourraient trouver des conseils et des outils. Et pour que cette solution soit efficace, il nous fallait une IA capable d’observer les interactions du couple et de détecter, comme le ferait un thérapeute expérimenté, les signes d’une communication en train de basculer dans un échange toxique. Les professionnels de la thérapie sont formés à repérer ces signaux subtils : des variations dans le langage corporel, le ton de la voix, le choix des mots, et même certains indices physiologiques. La question était donc : une machine pourrait-elle être entraînée à faire preuve d’une telle sensibilité ?

En bref, la réponse est oui. De plus, en ce qui concerne le codage des conflits, non seulement l’IA a égalé ses homologues humains, mais elle les a en fait surpassés.

Une grande partie des données et des observations présentées dans ce livre sur les couples en conflit provient de nos décennies de travail au Love Lab, ainsi que d’autres études d’observation importantes et novatrices menées par nous-mêmes et par d’autres chercheurs. Mais maintenant, nous obtenons des informations encore plus sophistiquées et détaillées grâce à l’IA que nous avons formée avec le système de codage émotionnel de John, appelé SPAFF, acronyme de Specific Affect Coding System1.

Lorsque John a commencé ses recherches sur les couples, le domaine de la psychologie avait du mal à identifier des schémas cohérents en ce qui concerne la personnalité et le comportement d’un individu, et encore moins de deux. L’idée générale dans le domaine était que les études sur les couples étaient trop peu fiables pour être scientifiquement utiles. Étudier une seule personne était déjà peu fiable, pensait-on, et étudier deux personnes ne ferait qu’amplifier cette imprécision, la rendant exponentiellement pire. John, toujours mathématicien dans l’âme, s’est donné pour mission de prouver que c’était faux.

Il a commencé à chercher des schémas de comportement chez les individus et les couples ‒ spécifiquement, des séquences d’interactions ‒ qui pouvaient indiquer le bonheur global du couple et le succès (ou non) de leur relation2.

Au cours d’une série d’études observationnelles, lui et ses collègues ont mis au point un système de codification permettant de mesurer toutes les nuances possibles d’une interaction entre deux personnes : expressions faciales, ton de la voix, langage et rhétorique, signaux physiques, etc.

Avec son partenaire de recherche, Robert Levenson, il a développé des méthodes permettant aux couples participants d’évaluer eux-mêmes leur vécu lors de conversations conflictuelles. Ces auto-évaluations ont enrichi les données recueillies, offrant un éclairage précieux sur la manière dont les individus perçoivent les conflits, ainsi que sur l’écart ou la concordance entre leurs intentions et l’effet réel de leurs paroles ou comportements. En suivant ces couples sur la durée, les chercheurs ont pu observer comment les séquences codées de leurs interactions étaient liées à l’évolution de leur relation : se sont-ils séparés ? Sont-ils restés ensemble ? Et s’ils sont restés ensemble, leur relation était-elle épanouissante ou marquée par l’insatisfaction ?

John a étudié les trois groupes, recueillant des données auprès de couples qui avaient divorcé, de couples qui étaient restés heureux ensemble et de couples qui étaient restés ensemble mais malheureux. Ces données étaient tout sauf peu fiables.

Il a découvert que les interactions entre les couples étaient incroyablement stables au fil du temps et très prédictives de l’avenir de leur relation. En utilisant le SPAFF pour coder les interactions d’un couple, John a pu prédire ‒ avec une précision de plus de 90 % ‒ l’avenir de la relation de ce couple3. Et une grande partie de cette prédiction reposait sur le comportement de ces couples en situation de conflit.

L’un des éléments clés des études de John sur les relations était la « tâche conflictuelle » : les couples devaient choisir un sujet de désaccord récurrent et en discuter. Leur échange était filmé, puis une équipe de chercheurs examinait minutieusement les images, s’efforçant de coder chaque expression faciale et chaque interaction avec une précision allant jusqu’au centième de seconde. Ce travail, particulièrement rigoureux, exigeait une grande expertise de la part des analystes pour garantir l’exactitude des données recueillies. Avant le SPAFF, les autres systèmes de codage utilisés pour observer les comportements et les interactions étaient basés sur des « indices » permettant d’examiner les actions et les expressions, des éléments du comportement humain que l’on peut remarquer visuellement. Le problème, c’est que ces systèmes laissaient de côté une grande partie du contexte essentiel. Qu’en est-il du ton de la voix ? Une tonalité majeure suggère une émotion positive, tandis qu’une tonalité mineure indique le contraire. Qu’en est-il de l’accent mis sur certains mots par rapport à d’autres ? Nous appelons cela un « indice paralinguistique » : la même phrase, lue en mettant l’accent sur certains mots, peut communiquer soit de la frustration, soit de la flexibilité ‒ il faut en tenir compte. Et qu’en est-il des différences culturelles dans l’usage du langage ou dans l’expression corporelle ? Notre système de codage reconnaît que les émotions se transmettent de façon interactive à travers l’ensemble des canaux de communication.

Les êtres humains sont d’une grande complexité, et tout système de codage de leur comportement doit refléter cette complexité. Pour coder les émotions lors d’une dispute, il faut faire preuve d’une extrême sensibilité : comprendre le sens des mots, les replacer dans leur contexte, tenir compte des références culturelles. Il faut aussi entendre la musique dans les mots : le ton, le volume, la hauteur, le tempo, l’accentuation. Cela représente un véritable défi ! Et pourtant, de manière surprenante, l’IA, entraînée à partir du système de codage mis au point par John, parvient à reproduire avec précision le travail des chercheurs expérimentés, sensibles aux nuances culturelles. Dès ses premières applications, l’IA a égalé les performances des codeurs humains. Et grâce à l’apprentissage automatique, elle s’est perfectionnée jusqu’à atteindre le niveau des meilleurs d’entre eux.

Tout cela pour dire que notre IA est extrêmement douée pour l’analyse comportementale. Lorsqu’un couple ‒ comme celui mentionné plus haut, confortablement installé contre des oreillers et en train de se disputer face à un ordinateur portable avec la caméra activée ‒ interagit, l’IA recueille des données précieuses, souvent avec une précision supérieure à celle de nombreux professionnels chevronnés. Elle est même capable de synchroniser l’analyse des émotions avec les données physiologiques de chaque partenaire. L’analyse fournie par l’IA pour cet échange précis était d’une grande justesse. Et cette dispute, en particulier, s’est révélée être un excellent exemple à étudier, car elle illustre presque tous les schémas typiques que nous observons dans les conflits de couple.

Une dispute classique

Nous avons choisi de présenter cette dispute au début de ce livre pour une raison simple : elle est un classique, qui illustre les caractéristiques les plus courantes des conflits de couple. En voici les principales :

•Elle part de presque rien. Une minute, le couple échange tranquillement à propos de la semaine écoulée, et la suivante, la tension explose : la situation tourne au conflit.

•Elle dégénère très rapidement. L’IA a enregistré une escalade vers un conflit intense en moins d’une minute.

•Elle ne laisse place à aucune écoute. Dans cet échange, on ne perçoit aucun espace de compréhension mutuelle. Tout se résume à des attaques et des défenses. Cela ressemble moins à une conversation qu’à un duel à l’épée entre deux personnes.

•Elle contient chacun des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Les éléments de communication négatifs qui, au fil du temps, annoncent la fin d’une relation sont les suivants :

‒Critique (Pourquoi t’a-t-il fallu trois ans pour faire un effort avec mes parents ?)

‒Mépris (Il fallait que tu fasses une petite remarque sarcastique, n’est-ce pas…)

‒Stratégie défensive (Je voulais juste être drôle !)

‒Silence (À la fin de la dispute, le partenaire masculin se renferme, se déconnecte complètement et cesse de répondre.)

•Elle vire au déluge émotionnel. Il s’agit d’un débordement du système nerveux face au stress du conflit, qui provoque un sentiment d’être submergé et conduit souvent à un repli ou à un silence, comme nous l’avons vu plus haut. L’IA a détecté une réponse physiologique rapide et marquée, en particulier chez le partenaire masculin, à mesure que la tension montait. Chez les hommes, ce phénomène se manifeste généralement par une hausse du rythme cardiaque ‒ passant d’environ 80 battements par minute (bpm) à 107 bpm, voire davantage. Cette augmentation est un indicateur clé du déluge émotionnel.

•Les interactions négatives l’emportent rapidement sur les interactions positives. Pour qu’un couple fonctionne à long terme, il doit maintenir un certain ratio entre les interactions positives et négatives lors des conflits. Ce ratio est de 5:1, soit cinq interactions positives pour chaque interaction négative. Dans cette dispute, l’interaction devient presque immédiatement à 100 % négative.

•Il n’y a que très peu de tentatives de réparation. Or l’un des principaux moyens utilisés par les couples heureux ‒ les « maîtres de l’amour » ‒ pour gérer les tensions est précisément la réparation, non seulement après une dispute, mais aussi pendant celle-ci. Comme c’est le cas pour beaucoup d’entre nous lorsque la conversation s’envenime et que les émotions prennent le dessus, les deux partenaires ici ne sont ni prêts ni capables de désamorcer le conflit. Aucune tentative de réconciliation n’émerge. Tout s’effondre.

•Enfin… il s’agit de beaux-parents ! Nous pouvons probablement tous nous identifier à ce type de situation.

Pour vous donner une image plus concrète de ce couple : ils sont dans la fin de la vingtaine. Leur relation est encore relativement récente : ils sont mariés depuis environ deux ans. Elle a de longs cheveux blonds, à la Joni Mitchell, et porte un fin anneau doré au nez. Lui a des cheveux bruns, mi-longs, qu’il passe dans ses mains, d’abord calmement alors qu’il est allongé sur le lit au début de leur conversation, puis de plus en plus nerveusement à mesure que la tension monte. Quand elle se met en colère, elle se penche vers lui. Son langage corporel devient plus agressif. Elle le fixe intensément, les yeux plantés dans les siens, et enchaîne les reproches. Elle n’attend presque pas ses réponses, comme si elle déversait enfin tout ce qu’elle avait accumulé depuis longtemps et n’avait pu exprimer jusqu’ici. Lui, sur la défensive, se réfugie dans le sarcasme. Il semble acculé, pris au piège de cette conversation. On croirait presque voir ses pensées s’emballer, à la recherche d’une échappatoire qui n’existe pas.

À la fin de cette dispute, rien n’a été résolu. Ils se taisent tous les deux, secouant la tête, comme en signe de défaite.

Et pourtant, ils sont sur cette application. S’ils sont là, ce n’est pas parce qu’ils ont abandonné, c’est parce qu’ils savent que quelque chose ne va pas et qu’ils veulent y remédier. Ils ne souhaitent pas renoncer à leur couple ni à la vie qu’ils construisent ensemble. Ils veulent aller mieux. Mais une question les hante ‒ la même que tant de couples nous posent : Pourquoi est-ce qu’on en arrive toujours là ?

Nous pourrions vous donner une centaine de raisons pour lesquelles nous nous disputons. Examinons les principales.

« Les contraires s’attirent » et autres raisons pour lesquelles nous sommes condamnés à nous disputer

On connaît bien l’adage : « les opposés s’attirent ». Il se trouve que cet énoncé est aussi scientifiquement vrai.

Il existe bel et bien une forme d’alchimie, comme l’a démontré une étude fascinante menée par le zoologiste suisse Klaus Wedekind, qui s’est intéressé à l’odorat, à l’attirance et aux différences génétiques4. Wedekind a recruté une centaine de participants hétérosexuels, moitié hommes, moitié femmes, choisis pour la diversité de leur profil génétique. Chaque participant a reçu un t-shirt propre, à porter pendant deux nuits consécutives, sans utiliser de parfum ni de produits parfumés. Les t-shirts, imprégnés de leur odeur naturelle, ont ensuite été rapportés au laboratoire, non lavés. Les participantes ont alors été invitées à sentir sept t-shirts différents. (Vous vous porteriez volontaire pour ce genre d’expérience ?) Pour chacun d’eux, elles devaient évaluer l’intensité de l’odeur, son caractère agréable ou sexy, et indiquer lequel elles trouvaient globalement le plus attirant.

Les résultats ont été fascinants. Dans leur grande majorité, les femmes ont préféré l’odeur des t-shirts portés par les hommes qui avaient une séquence génétique particulière très différente de la leur. Le gène particulier sur lequel Wedekind s’est intéressé s’appelle le gène CMH, ou major histocompatibility locus (locus majeur d’histocompatibilité). Pourquoi est-ce important ? Il s’agit d’un élément clé du système immunitaire. Lorsque les parents ont des gènes CMH très différents, leurs enfants ont un avantage pour lutter contre les virus et les maladies. Cela leur confère une meilleure protection. En d’autres termes, s’accoupler avec une personne génétiquement différente de soi est un mécanisme de survie biologique profondément ancré chez l’être humain.

Il arrive donc souvent que nous nous retrouvions en conflit avec notre partenaire parce que, en réalité, nous avons choisi quelqu’un de très différent de nous : nous sommes quasi programmés pour cela ! En effet, les différences de personnalité expliquent la grande majorité des conflits au sein des couples. Comme nous l’avons dit dans l’introduction, la plupart de nos conflits (69 %) sont perpétuels et insolubles : ils nous accompagnent tout au long de la relation5. Ces désaccords durables trouvent souvent leur racine dans des divergences de personnalité ou dans des préférences de mode de vie. Plus un couple parvient à accepter ces différences, plus sa relation est solide. Pourtant, nous tombons souvent dans le piège de vouloir transformer notre partenaire à notre image, pour ensuite le critiquer quand il ne change pas. Ce qui, au départ, semblait séduisant et attirant devient alors une source constante de friction.

« J’ai été attiré par sa spontanéité » devient « Pourquoi n’es-tu pas capable de faire un plan et de t’y tenir ? »

« Je suis tombé amoureux de sa personnalité extravertie et de son grand sens de l’humour » devient « Tu es obligé de parler à tout le monde à la fête ? Et tu flirtais avec ce type ? »

Même si vous ne formez pas un couple classique du type « opposés qui s’attirent », vous n’êtes pas à l’abri de ce genre de conflits. Nous rencontrons souvent ce que nous appelons des « opposés cachés » : vous et votre partenaire semblez si semblables que vos différences prennent plus de temps à apparaître. Mais elles existent bel et bien. Prenons l’exemple d’un couple avec lequel nous avons travaillé : tous deux étaient artistes, lui peintre et elle chanteuse, et ils se sont liés grâce à leur passion commune pour l’art et le processus créatif. Pourtant, leurs tempéraments étaient très différents. Elle, extravertie, puisait son énergie et sa créativité de ses interactions avec les autres, tandis que lui, introverti, avait besoin de beaucoup de solitude et de temps pour lui. Attirés par leurs intérêts, leur parcours et leur mode de vie partagés, ils découvraient peu à peu que leurs personnalités et besoins profonds s’opposaient ‒ un scénario bien plus fréquent qu’on ne le croit.

Un autre facteur prédictif de conflit dans un couple est la survenue de changements majeurs dans la vie, comme devenir parents. L’arrivée d’un bébé est souvent perçue comme un événement joyeux, pourtant notre étude sur les jeunes mariés a révélé que trois ans après la naissance d’un enfant, 67 % des couples avaient connu une chute vertigineuse de leur bonheur général et une montée en flèche de l’hostilité l’un envers l’autre6 ‒ autrement dit, les disputes devenaient beaucoup plus fréquentes. Un bébé représente un bouleversement immense, mais tout changement important dans votre vie peut déclencher des tensions avec votre partenaire, surtout s’il remet en cause vos besoins, rêves, croyances ou valeurs. Qu’il s’agisse d’accueillir un parent âgé chez vous, d’accepter un nouvel emploi exigeant, de déménager ou de faire face à une transformation significative de votre situation financière, ces étapes font partie du parcours de vie. D’où l’importance capitale d’apprendre à gérer efficacement les conflits. Nos disputes ne surgissent jamais dans le vide. Le stress quotidien joue un rôle majeur dans la fréquence et l’intensité de nos désaccords. Que nous allions au bureau, que nous travaillions en télétravail depuis notre chambre via Zoom, ou que nous passions la journée à nous occuper des enfants, nous reportons souvent le poids du stress et des soucis accumulés dans nos interactions avec notre partenaire. En 2004, notre collègue Robert Levenson a mené une étude intitulée The Remains of the Workday (Les vestiges de la journée de travail), qui examinait comment les résidus du stress professionnel s’immiscent dans la vie conjugale7. L’étude portait sur des couples de policiers, une profession stressante, offrant un éclairage précieux sur la manière dont la pression et l’épuisement au travail influent à la fois sur les composantes physiologiques et subjectives des interactions conjugales : en d’autres termes, comment le corps réagit de manière mesurable aux conflits et comment les participants évaluent leur propre expérience pendant et après le conflit. Levenson a demandé aux couples participants de tenir un « journal du stress » quotidien pendant un mois ; parallèlement, une fois par semaine, ils se rendaient au laboratoire et interagissaient normalement, par exemple en discutant de leur journée respective, tandis que Levenson et ses chercheurs observaient leurs échanges.

Ils ont découvert que les jours où le stress était plus élevé, les interactions entre les partenaires étaient plus fortement teintées de discorde. Les deux conjoints étaient plus excités sur le plan physiologique (ou « submergés », avec une accélération du rythme cardiaque, une augmentation de la pression artérielle, des niveaux plus élevés d’hormones du stress et davantage de signes de surmenage du système nerveux) et, dans leur auto-évaluation, ils ont déclaré ressentir davantage d’émotions négatives et moins d’émotions positives. Les hommes en particulier étaient affectés par l’épuisement physique : ils ont connu des pics de « déluge émotionnel » plus importants lorsqu’ils étaient plus épuisés. Tout cela montre clairement que nos expériences quotidiennes dans le monde extérieur (ou dans nos chambres et nos bureaux lorsque nous travaillons à distance) ont clairement des répercussions sur nos relations. Lorsque nous sommes stressés au travail (ou dans notre rôle de parent, si c’est votre travail), nous sommes plus susceptibles d’entrer en conflit avec notre partenaire et, dans ce conflit, plus susceptibles d’être submergés et dépassés sur le plan physiologique et d’avoir du mal à réguler nos émotions.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, nous sommes naturellement prédisposés aux conflits. Pourtant, ce qui fait souvent déraper une dispute ‒ peu importe son origine ou son sujet ‒, c’est un facteur commun : notre difficulté à gérer les émotions négatives, surtout celles de notre partenaire.

Nous nous sentons attaqués, adoptons une posture défensive, et finissons par refouler nos émotions négatives jusqu’à ce qu’elles explosent. Les conflits font inévitablement partie de la vie, mais une grande part du travail pour construire une relation saine consiste justement à apprendre à reconnaître, gérer et discuter ces émotions négatives ‒ les nôtres comme celles de l’autre.

N’ayez pas peur de la colère et des conflits !