L'attente - Alain Charles - E-Book

L'attente E-Book

Alain Charles

0,0

Beschreibung

Mourir, la belle affaire !

Est-il mort ou vivant ? Se trouve-t-il sur la scène d’un théâtre ou dans un parc ? Pourquoi Aramis, son compagnon d’incertitude, l’a-t-il rejoint et lui fait-il croire qu’ils se sont échoués sur une île ? Et le chien de Jeanne qui ne cesse d’aboyer, est-ce un vrai clébard ou une peluche ? S’il hurle, c’est que Jeanne va mourir et les rejoindre. Mais quand ? Et si Jeanne n’était pas Jeanne ? Et si elle ne venait pas et qu’ils devaient l’attendre pour l’éternité ?

Achille, assis sur son banc, sous son arbre rabougri, se pose mille questions. Aramis ne l’aide pas, le public, qu’il interroge, non plus. Et s’il ne lui restait plus qu’à attendre ? Mais attendre quoi ?

Surréaliste, caustique, ironique, provocateur, inconvenant, insane, ce texte laisse une place majeure à l’absurdité, à l’humour noir, à l’imaginaire et tente d’amener le lecteur à réfléchir sur les fondements de notre société, sur la mort et la potentialité d’une existence après elle.

En un mot comme en sang, ce texte ressemble, à s’y méprendre, à un tableau de René Magritte. 




À PROPOS DE L'AUTEUR


Alain Charles habite en Belgique, il y exerce la profession d’ingénieur en construction, mais sa passion a toujours été la littérature. Il a publié plusieurs romans dont "Une si jolie poseuse de bombes" paru en 2022, "Lettres d’Amour" et "Ciel bleu avec nuages" en 2023 et "L’Enchère en 2024".



Mourir, la belle affaire ! Achille est-il mort ou vivant ? Le chien de Jeanne est-il un vrai clébard ou une peluche ? S’il hurle, c’est qu’elle va mourir et le rejoindre, mais quand ? Une pièce surréaliste, pour ceux qui aiment une certaine belgitude et un brin d’humour noir dans des dialogues caustiques et absurdes. 

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 78

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

 

 

Alain Charles

L’Attente

Théâtre

 

 

 

 

ISBN : 979-10-388-0848-5

Collection : Entr’Actes

ISSN : 2109-8697

Dépôt légal : mars 2024

 

 

 

©couverture Ex Æquo

©2024 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

Toute modification interdite.

 

 

 

 

Éditions Ex Æquo

6 rue des Sybilles 88370 Plombière Les Bains

www.editions-exaequo.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Rira bien qui mourra le dernier »

Philippe Soupault

 

 

 

 

« Mourra bien qui rira le dernier »

Jacques Prévert

Soleil de nuit

 

 

 

Acte 1

 

 

 

(Lieu : un parc. Un banc, un candélabre et un arbre rabougri. Le temps : fin de journée, mais le candélabre n’est pas encore allumé. Personnage : Achille, un vieil homme emmitouflé dans un manteau râpé, un chapeau de paille sur la tête et une écharpe autour du cou. Il est assis sur le banc et semble sommeiller. Soudain, il s’étire, regarde, étonné, autour de lui, puis se parle à lui-même.)

ACHILLE

Et voilà, elle est faite. Si on m’avait dit qu’elle aurait duré si longtemps, je me serais méfié. Encore heureux que ça n’arrive qu’une fois. C’est bizarre, je ne pensais pas me retrouver seul, il y avait tellement de monde à l’entrée. Ils ont peut-être choisi un autre endroit et je les comprends. Moi, cela ne me dérange pas, mais pour ceux qui aiment le bruit, une foule tapageuse, ce parc n’est pas pour eux. Je suis presque certain que je ne vais pas rester seul bien longtemps, qu’un autre zigomar de mon espèce va venir me casser les pieds. Enfin, on verra, un jour à la fois comme je disais avant.

 

(Silence.)

 

ACHILLE

Décidément, je dois trouver d’autres expressions. Le temps, l’attente ne sont plus de mise. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs, j’ai tout mon temps… Zut.

 

(Une vieille dame qui promène son chien qui est, en fait, une grosse peluche, passe devant lui. Elle marche lentement en s’appuyant sur une canne, mais ne s’arrête pas.)

ACHILLE

Bonjour, Jeanne.

 

ACHILLE

(Il s’adresse au public.)

Elle aurait pu me répondre, vous ne trouvez pas ?

 

(Silence.)

 

ACHILLE

Elle ne le sait pas, mais elle sent déjà et croyez-moi, l’odeur est forte. Encore quelques jours, une ou deux semaines peut-être, mais pas un mois.

 

ACHILLE

(Il s’adresse au public.)

Et vous, vous n’avez rien senti?

 

ACHILLE

(À lui-même)

Pauvre Jeanne, personne ne lui a dit. À moi non plus, personne ne m’avait rien dit, c’était donc une surprise et quelle surprise! Celui qui affirme qu’elle n’a pas d’odeur se trompe. Évidemment, avant, je ne sentais rien, enfin si, sans doute un peu le vieux, mais le fumet était différent.

 

(La vieille dame repasse devant lui et le chien aboie.)

 

ACHILLE

Lui, au moins il me voit… ou il me sent. C’est un peu bizarre pour un chien en peluche. Non, c’est impossible, je ne dois plus rien sentir, enfin, je crois, tout le monde dit qu’après… Les animaux doivent avoir un sixième sens, moi qui pensais que son chien était aussi stupide qu’elle. Si elle repasse encore une fois, je l’interpelle et lui demande si elle me fait la gueule. Je la comprendrais, j’ai toujours aimé la faire mousser et comme elle démarre au quart de tour, c’est facile et amusant… pour moi, évidemment.

 

(Silence.)

 

ACHILLE

À rebours, je pense que j’ai beaucoup de veine. Il ne m’a pas envoyé en enfer, je ne dois pas être aussi mauvais que ça ou il m’a donné une seconde chance, mais je ne sais pas si revenir ici en est une. Je m’ennuie déjà.

 

ACHILLE

(Il s’adresse au public en chantonnant.)

«Et maintenant, que vais-je faire, de tout ce temps que sera ma vie ?». Enfin, ma vie, c’est vite dit. Vous le savez, vous, ce que vous faites de votre vie ? Je parie que vous n’y avez jamais réfléchi. Mais ne culpabilisez pas, tous les hommes en font le bilan quand arrive la fin et donc quand c’est trop tard. C’est humain, me direz-vous.

 

(Silence.)

 

ACHILLE

Avant, je m’ennuyais déjà, alors, maintenant que personne ne me voit, emmerder mon monde ne va pas être du gâteau, mais je vais essayer. Je pense commencer par Jeanne, comme elle n’en a plus pour très longtemps, elle sera une pièce d’essai commode et si je réussis, elle ne m’en voudra pas. Enfin, j’espère. Elle est innocente, Jeanne, je choisis donc la facilité, mais j’ai toujours choisi la facilité, pourquoi changerais-je ? En plus, son chien ne peut pas me mordre, je ne prends donc aucun risque, je n’ai jamais aimé prendre des risques, pourquoi changerais-je ?

 

ACHILLE

(Il s’adresse au public.)

Non, non, ne répondez surtout pas. J’ai trop peur de ce que vous pourriez dire.

(Silence.)

 

ACHILLE

Ce parc m’a toujours plu et j’y venais souvent. Par beau temps, on entend les oiseaux chanter, même si son seul arbre est tout rabougri, comme il est seul et unique, ils se réfugient à l’ombre de ses quelques feuilles. J’ai toujours pensé qu’il l’avait voulu. S’il avait pris de l’ampleur et poussé droit, on l’aurait abattu pour faire des planches et avec elles, on aurait fabriqué des meubles, des lits ou des cercueils. Ce n’est pas con un arbre, surtout quand c’est un solitaire, comme moi. Il faut dire que les jardiniers ne l’épargnent pas, ils maltraitent la base de son tronc à coups de tondeuse à gazon et les branches, à coups de tronçonneuse, alors qu’il ne demande qu’une chose, qu’on lui foute la paix. Mais ce n’est pas facile de se faire comprendre quand on est un arbre.

 

(Silence.)

 

ACHILLE

En fait, il n’est peut-être pas comme moi, il n’a sans doute pas choisi la solitude. Il aurait probablement préféré naître dans une forêt dense, avec plein de petits frères, et vivre avec les biches et les sangliers qui auraient frotté leur fourrure sur son tronc. Évidemment, il aurait dû se battre pour voir le ciel, sa seule solution étant de pousser plus vite que les autres. Mais là, il est tout seul et tout maigrichon à s’abreuver de pisses de chiens. Les maîtres n’ont pas le choix, les chiens non plus, c’est le privilège et la disgrâce de l’être unique.

 

(Silence.)

 

ACHILLE

Le banc, par contre, il n’a pas vingt ans. Quand ma mère m’emmenait au parc, nous nous asseyions sur la pelouse. Après, les jardiniers ont planté un panneau nous obligeant à marcher sur les chemins gravillonnés et si nous voulions nous reposer, nous allions boire un verre au café de l’autre côté de la grille. J’ai pris de mauvaises habitudes, tout ça pour obéir à un écriteau. Toute qualité a son revers.

(Silence.)

 

ACHILLE

Quand ils ont installé le banc, c’est moi qui promenais ma mère. Elle aimait s’y asseoir et attendre le soir. J’ai pris ses habitudes, rien n’est plus fort que les habitudes. Je pense qu’ils ont planté l’arbre à l’automne de la même année. Ils pensaient faire de l’ombre au banc, mais il n’a pas pris sa mission au sérieux et est resté rachitique. Je me suis toujours demandé quelle était son espèce. Ce n’est pas un saule, ni un chêne, ni un marronnier, c’est sans doute un hybride ou un métis, mais ses branches accueillent quelques moineaux, ces oiseaux bâtards des villes. Qui se ressemble s’assemble.

 

(Silence.)

 

ACHILLE

C’est fou ce que j’aime parler du passé. Je l’idéalise alors que, quand je le vivais, je le trouvais tartignolle à mourir. Tous les jours, le même boulot abrutissant sous le prétexte qu’il faut manger, s’habiller, partir en vacances, alors que le parc a toujours été à deux pas de chez moi et que maintenant, je m’en contente. On ne mesure pas la chance que l’on a quand on a le nez dedans. Maintenant, je pense que oui, enfin, je n’ai plus le choix, je n’ai plus ni permis ni voiture.

 

(Silence.)

 

ACHILLE

Quand on pense à tous ces accidents de la route, un mort et demi par jour, ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les statistiques. Je n’ai toujours pas compris comment comptabiliser la moitié d’un macchabée, mais je ne pose plus la question, on s’est assez foutu de moi. Comme je ne suis pas un con, à un moment, j’ai compris qu’il fallait que je fasse comme tout le monde et faire semblant de comprendre. Il est plus facile d’entrer dans le rang que de faire l’original. Je suis certain que les gens qui rigolaient étaient incapables d’élucider l’arcane. J’ai fini par faire comme eux, maintenant je le regrette. Tiens, quand Jeanne repassera, je lui poserai la question, juste pour entamer la conversation. Si elle peut m’expliquer, je ne l’embêterai plus. Ça va être difficile, mais je vous le promets sur la tête de mon père. Je ne prends pas beaucoup de risque, je ne l’ai jamais connu.

 

(Silence.)

 

ACHILLE