Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Il est français, jeune, séduisant, cool, chanteur de rock, motard... Elle est américaine, jeune et jolie, timide et fragile, en convalescence en France après un accident de la route. Leur rencontre se transforme en un véritable coup de foudre passionnel. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si... elle était vraiment qui elle dit être. Mais qui est cette "autre" si différente, si mystérieuse, si violente... Le passé de la jeune fille risque à tout instant d'entraîner les jeunes gens dans un tourbillon de violence et de drames. Peu à peu, le piège se referme...
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 489
Veröffentlichungsjahr: 2021
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
DU MÊME AUTEUR
La fille de l’ombre (2003 - 1ère édition) – 1erPrix ACAI 2015
Association Comtoise des Auteurs Indépendants
Au nom d’Elisa (2008 – 1ère édition)
Amnésie (2010 – 1ère édition)
Sans illusion (2014)
Guérillera (2018 – 1ère édition) – Prix Coup de cœur ACAI 2019
– Prix spécial du Jury – Saint-Clair de la Tour 2023
L’une ou l’autre (2021) – Suite de L’autre
La fille du Quinou (2024)
Quatre temps (2022) – Recueil de nouvelles – Finaliste Prix ACAI 2023
Indiana Dog (2023) – Roman jeunesse
Nathalie figure parmi les auteurs des recueils de nouvelles :
Rêves exquis, Heures exquises, Mensonges exquis, Découvertes exquises et Souvenirs exquis, édités par l’ACAI (Association Comtoise des Auteurs Indépendants).
Suivez l'actualité de l'auteur sur son site : www.nathfaurelombardot.fr
ou sur sa page Facebook :
https://fr-ca.facebook.com/nathaliefaurelombardotauteur/
Encouragée par mes lecteurs : famille, amis, collègues, connaissances, inconnus qui prennent le temps de me contacter… j’ai repris la plume (ou plutôt le clavier…). J’ai de nouveau mis à contribution toute une pléiade de proches, à qui je dois beaucoup, dont le résultat final !
Merci à vous tous, sans qui mes livres ne seraient pas publiés…
Merci à Jean-Marie SCHREINER (GRAPH’X25) pour son talent d’infographiste et son amitié.
Enfin, merci à ma famille (mon mari qui me soutient inconditionnellement, même quand je suis insupportable, mes enfants qui sont mes lecteurs les plus assidus et mes critiques les plus exigeants), à tous mes amis, collègues, voisins (qui sont également des amis) et qui, non seulement me soutiennent, mais en plus me supportent !
Pour les mélomanes qui aiment allier la musique à la lecture, j’ai été inspirée et j'ai écrit L'autre en écoutant les albums de
- Gun'sN'Roses : "Appetite for destruction",
- Alice Cooper : "Trash " ou encore "Wind up toys",
- Helloween: "Keeper of the seven keys"
entre autres…
Ce roman est une œuvre de pure fiction, toute ressemblance ou similitude avec des personnages et des faits existants ou ayant existé ne saurait être que coïncidence fortuite.
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L.122-5, 2ème et 3ème a., d'une part que les « copies » ou « reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à son utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou des ayants droit ou ayant cause est illicite » (art.L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pour Mélodie et Kevin, Dylan et Clémence,
que j'aime de tout mon cœur,
Pour l’homme de ma vie : Gilles
En souvenir du bon vieux temps…
Certains se reconnaîtront peut-être !
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
L’aube majestueuse daignait enfin apparaître. Un ciel rosé, marbré de parme et d’indigo tentait de repousser l’ombre de la nuit sur la ville. Les timides rayons du soleil faisaient briller les vitres du bâtiment le plus proche. Un voile de brume recouvrait encore les toits, traçant une ligne médiane dans le paysage, telle une photo trafiquée, rendant les rues aussi austères que dans un vieux film noir et blanc : la partie inférieure sombre contrastait avec le ciel qui arborait les couleurs pastel de l’espoir. Le temps semblait vouloir se lever. Il allait faire beau, voire chaud, comme toujours à cette période de l’année.
Kylian était prostré devant la grande baie vitrée du couloir, à regarder cette ville qu’il aimait ou qu’il détestait, au gré de ses humeurs. Il n’aurait pu dire depuis combien de temps il se tenait là, immobile. L’esprit vide, la gorge et l’estomac noués, il attendait… La situation lui paraissait tellement irréelle. Le brouillard de la rue, deux étages plus bas, semblait avoir pris possession de son cerveau…
Il se demandait parfois s’il n’avait pas rêvé les événements des derniers mois… Il vivait tranquille, heureux, puis, comme victime d’un ouragan, sa vie avait basculé. Une bourrasque de passion, de haine, de folie avait déboulé sur lui, emportant tout sur son passage. Aujourd’hui, tout semblait si différent. Le calme était revenu. Tout semblait irréel, oui, totalement irréel ! Peut-être était-ce à cause de ce couloir d’hôpital, du blanc qui en venait à l’obséder, comme s’il avait eu le pouvoir d’emporter les couleurs de la vie, de ses souvenirs, de ses sentiments, de ses sensations. Il ne ressentait plus rien que cette boule dans l’estomac, ce nœud dans la gorge qui l’étouffait petit à petit.
Il ne répondit pas tout de suite lorsqu’il entendit son prénom. D’ailleurs, il n’était même pas sûr qu’on l’ait appelé. Ce ne fut que lorsqu’il sentit une main sur son épaule qu’il tressaillit.
— Tiens, lui murmura David en lui tendant une tasse de café brûlant.
Kylian la refusa d’un signe de tête.
— Prends-la, ça ne peut pas te faire de mal ! insista David.
— J’peux rien avaler !
Ce furent les seules paroles de Kylian avant que ce dernier ne replonge dans son mutisme morbide. David n’insista pas et but lui-même la boisson chaude. Il ne savait plus vraiment que faire. Il se contentait d’être là, conscient que sa présence, pourtant bienvenue, ne suffisait pas à réconforter son ami... Kylian semblait ailleurs, sur une autre planète. Il avait l’air déconnecté de la réalité, perdu, au bord du gouffre... Une telle attitude de la part de quelqu’un qui était réputé pour son sang-froid, ses nerfs d’acier, fit froid dans le dos à David. Il comprenait l’angoisse de Kylian, la partageait, de façon moins passionnée que lui, d’accord ! Mais il la partageait quand même. Il espérait de tout son cœur qu’elle allait s’en sortir, ne serait-ce que pour ne pas avoir à soutenir Kylian le cas échéant. Qui sait comment réagirait ce dernier ? Et lui, que pourrait-il dire ou faire pour l’aider ? Il est des moments dans lesquels aucune aide extérieure ne peut soulager la peine et la douleur. Mon Dieu ! Pourvu qu’elle vive, priait-il silencieusement.
— Kylian, tu vas bien ? Qu’est-ce qui s’est passé ? l’apostropha un homme élancé, d’une cinquantaine d’années, qui arrivait, l’air inquiet.
Kylian ne se retourna pas. Il resta appuyé de l’épaule contre la vitre. Ses yeux s’emplirent de larmes. Il secoua doucement la tête. David comprit qu’il avait la gorge trop serrée pour répondre à son père. Posant sa tasse de café, une main sur l’épaule du nouvel arrivant, il l’entraîna hors de la salle d’attente.
— Qui t’a prévenu ? Qu’est-ce qu’on t’a dit ? questionna David.
— Des policiers sont venus à la maison tout à l’heure, ils m’ont juste dit que Kylian et sa petite amie étaient à l’hôpital, que lui allait bien, mais qu’elle était grièvement blessée. Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment va-t-elle ?
— Elle est toujours dans le coma... Ils disaient qu’elle ne passerait pas la nuit, mais elle est toujours en vie... On n’en sait pas plus… Tu veux un café ou autre chose en attendant ?
— Non ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Un accident ? Pourquoi est-on sans nouvelles depuis plusieurs jours ? contre-attaqua le père de Kylian, au comble de l’angoisse.
— En fait... c’est assez compliqué… Kylian est au bord du gouffre. Je ne sais pas quand il a pris un vrai repas ou passé une nuit de sommeil pour la dernière fois. Il est sur les nerfs... Franchement, j’ai peur de sa réaction si la gamine y reste, avoua-t-il.
— Et il y a combien de chances pour qu’elle s’en sorte ?
David ne répondit pas, haussant simplement les épaules. En fait, il n’avait guère d’espoir.
— Bon ! Tu vas te décider à me raconter ce qui s’est passé ? Mon fils a des problèmes et je dois être le seul sur la planète à ne pas être au courant ! s’emporta Thierry. Même les flics ne veulent rien me dire. Ils ont l’air mal à l’aise. Tout ce que j’ai appris, c’est qu’ils étaient recherchés depuis deux jours, sa copine et lui. Et ce matin, la police vient me prévenir qu’ils ont été retrouvés et que je peux les voir à l’hôpital, mais personne ne peut m’en apprendre davantage. J’ai besoin de savoir !
— Tu as le temps ? Parce que c’est plutôt du genre compliqué. Elle avait des problèmes et... Kylian n’a pas eu assez de temps pour les résoudre... murmura David.
— Alors, pourquoi est-ce qu’il n’est pas venu nous en parler ? demanda Thierry. Nous avons toujours été très proches de Kylian. Pourquoi est-ce qu’il n’est pas venu nous demander de l’aide ?
— Il n’en a pas eu le temps, répondit David. Tout s’est précipité... Et puis… C’est tellement fou, tellement absurde… que même moi, j’ai eu du mal à la croire, elle !
— Et si tu me racontais tout depuis le début ? insista Thierry.
David allait se mettre à parler quand un homme arriva à grands pas, les yeux cernés, les traits tirés :
— Rien de nouveau ? Où est Kylian ?
— Toujours au même endroit. Tu restes avec lui ? Je vais essayer d’expliquer la situation à son père. Vous vous connaissez, non ?
Alan acquiesça.
David et Thierry, le père de Kylian, se rendirent à la cafétéria, où David commença son récit.
— Tout a débuté il y a environ deux mois...
Kylian sortait du gymnase dans lequel il enseignait les arts martiaux une partie de la semaine. Le reste du temps, il travaillait à l’agence avec David, son meilleur ami. Tous deux s’étaient associés pour créer une petite société de dépannage informatique. David, lui, y travaillait à plein temps. Le vendredi soir, ils retrouvaient trois de leurs amis : des musiciens. Ils avaient, par passion, monté un groupe de rock et répétaient dans une salle de musique, louée à la municipalité. Une dizaine de fois par an, ils donnaient un concert, soit dans un « Caf’conce » (un « Café-Concert ») soit dans une salle, ou encore lors de concentrations de motards. Le reste du temps, ils se rendaient dans un café du centre-ville, le « Bikers », où justement, ils retrouvaient toute une bande de motards amateurs de rock et d’engins à deux roues. Kylian faisait partie de ces hommes d’une trentaine d’années qui préfèrent leur liberté à toute entrave sentimentale. Il vivait avec sa moto et sa guitare. Quand une femme passait la porte de sa petite maison, ce n’était jamais pour très longtemps. Et pourtant, il en passait des femmes chez lui ! À croire que le look « voyou » faisait des ravages… Il ne passait nulle part inaperçu. Quand on ne l’admirait pas, on le craignait. Son charisme était tel que la plupart de ses proches l’auraient suivi en enfer. Quand Kylian arrivait, les yeux se portaient sur lui, les sourires fleurissaient. Il ne pouvait se concevoir une fête sans lui, on ne prenait pas de décision importante sans l’avoir consulté. À tel point que Sam, le patron du Bikers aimait à dire que, si un jour Kylian quittait la région, il ne lui resterait plus qu’à fermer boutique. Kyl était le « pilier » de son bar. Son charme, sa stature et son physique hors du commun l’avaient propulsé « coqueluche » de la région. Pas une jeune fille n’ignorait son existence à des kilomètres à la ronde et toutes étaient prêtes à n’importe quoi pour attirer son attention. Ainsi tous les samedis soirs, le Bikers était plein à craquer, d’habitués, mais aussi de curieux. Nombreux étaient les gens fascinés par ceux qui osent être différents. La clientèle d’habitués se composait de motards aux cheveux longs, vêtus de cuirs recouverts de clous, de jeans râpés, voire déchirés. Les motos garées devant le café attiraient, elles aussi, l’attention. On y trouvait des Harley Davidson resplendissantes, garées à côté de Japonaises non moins impressionnantes, lesquelles côtoyaient des « rats » (prononcez « ratsses ») pouilleux. Bref, Kylian, lui, ne se préoccupait pas plus de son succès que de ce qu’on pouvait penser de lui. Comme les gens pleins d’assurance, sûrs de leur charme et de leur pouvoir de séduction, il était, somme toute, plutôt indifférent à l’attention qu’on lui portait. Tout ce qui l’intéressait, c’était de prendre du plaisir avec ses amis, sa moto et sa « gratte ».
Habituellement, il ne se déplaçait qu’en deux roues, n’utilisant sa petite voiture de sport qu’en cas de gros temps ou pour transporter du matériel. Justement, ce jour-là, il tombait des trombes d’eau et il était sorti en retard du gymnase dans lequel il donnait ses cours. En général, à cette heure-là, la circulation était plutôt fluide, c’est pourquoi il roulait assez vite. Il ne s’attendait certes pas à trouver, en plein virage, une file de voitures à l’arrêt attendant que le feu passe au vert cinquante mètres plus loin. Il écrasa la pédale de frein, mais la route mouillée l’empêcha de s’arrêter à temps. Il heurta la dernière voiture de la file. Si le choc ne fut pas très violent, il suffit tout de même à abîmer l’avant de sa voiture et l’arrière de la précédente. Contrarié, il se rangea sur le trottoir, juste derrière l’autre véhicule. Il était déjà en retard. Décidément, cet incident ne l’arrangeait vraiment pas. Il entendait bien expédier l’affaire le plus rapidement possible.
C’était une jeune fille qui conduisait et qui vint donc à sa rencontre. La première pensée de Kylian fut vaguement machiste. Si c’était une nana au volant, cela poserait certainement des problèmes. Tous deux se réfugièrent sous un abribus proche afin de se protéger de la pluie battante. Lorsqu’elle leva le visage vers lui, il retint son souffle, se heurtant à des yeux bleu-vert que des mèches couleur de blé mûr pailletaient d’or. Ses longs cils noirs retenaient de petites gouttes de pluie qui faisaient briller son regard. Elle ressemblait à un ange à tel point que Kylian se demanda un instant s’il n’était pas en train de rêver. Elle semblait très jeune, ses lèvres parfaitement dessinées, charnues et roses à souhait laissaient entrevoir de petites dents blanches et sa chevelure blonde cascadait jusqu’à la courbe de ses reins. Elle était d’une beauté idéale, presque trop parfaite, pensa-t-il. Il se dégageait d’elle une telle impression d’innocence et de fragilité qu’il s’en trouva décontenancé. C’était bien la première fois qu’il ne se sentait pas maître de la situation devant un être du sexe faible. Elle semblait nerveuse, dans tous ses états et, lorsqu’elle se massa la nuque d’un geste nerveux, il eut soudain peur de l’avoir blessée.
— Vous allez bien ? Vous voulez que j’appelle un médecin ? Je suis vraiment désolé, tout est de ma faute...
— Non, ce n’est pas utile, je suis hum… ennuyée...
À son accent, Kylian comprit qu’elle était étrangère, mais elle semblait maîtriser relativement bien la langue française. Elle parlait d’une petite voix douce et hésitante.
— Écoutez, reprit Kylian, on va faire un constat, je reconnais que j’ai tous les torts... Vous êtes pressée ? Sinon, on pourrait aller boire un café et remplir le constat à l’abri ?
Elle le fixa un instant comme si elle doutait de son intégrité. Méfiante, elle semblait hésiter. Enfin, elle se décida, frissonnante sous la pluie glacée.
— Je souis pas pressée… je veux bien !
Ils remontèrent chacun dans leur voiture et firent quelques mètres pour se garer de façon correcte sur un petit parking qui, justement, jouxtait un café. C’était étrange comme le retard de Kylianne le gênait plus tant que ça.
Une fois installé à table et après avoir commandé deux cafés, Kylian rompit le silence.
— Je suis vraiment désolé, j’étais en retard, je roulais un peu vite...
— Et vous allez être encore plus en retard ! s’inquiéta-t-elle.
— Je ne suis plus à une demi-heure près, maintenant, sourit-il, et puis je vous dois bien ça : j’ai abîmé votre voiture.
Elle baissa les yeux, rougissant face à son sourire ravageur. Il ne manquait plus que ça ! Il fallait qu’elle se fasse cabosser sa voiture juste ce jour-là et, qui plus est, par un homme d’une beauté et d’un charme effarants.
— Elle n’est pas à moi, répondit-elle avec timidité en se faisant violence pour lever les yeux vers lui. C’est une voiture louée et... (elle sembla hésiter) je ne sais pas...
Il suivit son regard jusqu’au formulaire de constat amiable.
— Je vais m’en occuper, ne vous inquiétez pas pour ça, la rassura-t-il. Vous n’êtes pas française, n’est-ce pas ?
— Ce n’est pas très difficile à savoir, non ? sourit-elle.
C’était son premier sourire et il sembla éclairer tout son visage. Kylian s’en sentit bouleversé. Mais, que lui arrivait-il donc aujourd’hui ? Il devait absolument se reprendre, pensa-t-il sans beaucoup de conviction.
— Vous êtes américaine… Californienne même, je me trompe ?
Son sourire se figea quelque peu et une nouvelle vague de méfiance l’envahit. Kylian remarqua tout de suite son attitude soupçonneuse et inquiète. Il s’en voulut d’avoir été trop direct. Il lui semblait avoir à faire à une jeune biche sauvage qui risquait de s’enfuir au moindre geste brusque. Il lui fallait donc l’approcher en douceur, l’apprivoiser.
— C’est votre accent, se justifia-t-il aussitôt. Ma mère est née à Los Angeles. Elle est venue en France très jeune, mais nous avons encore un peu de famille là-bas et j’y suis allé quelques fois...
— Vous avez une bonne mémoire… Je viens d’une petite ville près de « Ailey » (Los Angeles).
— Vous parlez très bien notre langue, vous venez souvent ?
— Non, c’est la première fois... mais j’ai bien appris à l’école, sourit-elle de nouveau.
Comme elle ne semblait pas avoir l’intention de donner plus de détails sur elle-même, il prit le formulaire du constat et commença à le remplir. Son portable se mit à sonner. Il le sortit de sa poche, regarda machinalement l’écran et rejeta l’appel, avant de le ranger. Il la questionna quant à l’agence de location, son nom et son prénom : Jody Seavers, mais dès qu’il lui demanda son adresse, il la vit se refermer comme une huître.
— Je n’ai pas d’adresse ici... C’est important ? L’adresse de l’agence c’est bien, non ?
— Vous n’avez pas une adresse d’hôtel, de chambre d’hôte...
Tout en lui posant la question, Kylian se sermonna. Évidemment que l’adresse de l’agence suffisait. S’il insistait, c’était plus par curiosité que par nécessité.
— Non, je change souvent de destination et...
Elle paraissait gênée. Il se demanda un instant si elle ne cherchait pas à se cacher. Apparemment, elle ne voulait laisser aucune trace de son passage. Il eut l’impression qu’elle cherchait à se barricader. De nouveau, il se sermonna intérieurement. Cela ne le regardait pas et il ne devait surtout pas laisser libre cours à son imagination débordante. Dans quelques instants, ils se sépareraient et ne se reverraient peut-être jamais. Cette idée lui causa un choc. Il sentit son estomac se nouer. Bien qu’il refusât de l’admettre, il savait au plus profond de lui-même qu’il essaierait de la revoir, d’en savoir plus sur elle. Soudain, il ne concevait plus de vivre sans la revoir. Cette éventualité fit naître en lui un profond malaise. Cette fille l’avait envoûté. À coup sûr, elle avait dû lui jeter un sort.
Il fut conforté dans son idée lorsqu’elle prit congé. Elle sembla soudain pressée de s’en aller. Comme il s’y attendait, elle monta en voiture sans se retourner, démarra et disparut au bout de la rue. Une sensation de vide s’empara de lui comme s’il venait de perdre quelque chose, quelqu’un... Secouant la tête, il sourit de sa propre bêtise. Il était attendu, il était temps de reprendre ses esprits et sa petite vie fort chargée.
Pourtant, lorsqu’il démarra, il ne prit pas la bonne direction, mais se rendit directement à l’agence de location qu’elle lui avait indiquée. Il n’y avait ni trace d’elle ni de sa voiture. Aussi, s’arrêta-t-il et poussa-t-il la porte. Son cœur manqua un battement lorsqu’il l’aperçut près du comptoir. Leurs regards se croisèrent et restèrent prisonniers l’un de l’autre quelques fugitives secondes, mais elle se détourna très vite. Elle joua les indifférentes alors qu’il déposait le formulaire du constat amiable sur le comptoir et en débattit avec le responsable d’agence. Quand tout fut réglé, elle récupéra les clés de la voiture de remplacement qu’on venait de mettre à sa disposition et sortit.
Kylian la rattrapa sur le parking. Sans préambule, elle lui fit face :
— Vous êtes en retard, je crois ! lança-t-elle à la limite de l’agressivité.
— En effet, je l’étais, mais je le suis tellement maintenant que la personne avec qui j’avais rendez-vous ne doit plus m’attendre, plaisanta-t-il.
— Excusez-moi et merci encore pour le… document, reprit-elle plus doucement.
— Et si j’avais besoin de vous joindre... au cas où ? tenta-t-il.
— Vous appelez l’agence ! lança-t-elle en montant en voiture.
Elle allait fermer la portière quand il la retint fermement.
— Eh ! Si on dînait ensemble un de ces soirs…
— Je suis très occupée, murmura-t-elle en fuyant son regard.
Il ne répondit pas, mais lui offrit le plus chaleureux de ses sourires et, comme il l’empêchait toujours de fermer sa portière.
— Si je trouve un moment libre, je vous appelle, lâcha-t-elle avec réticence.
Il n’était pas dupe. Elle ne le ferait pas. Il regarda sa voiture disparaître au coin de la rue. Il savait qu’il aurait dû monter dans la sienne et vaquer à ses occupations, s’arracher de l’esprit ce qui n’était, somme toute, qu’un simple incident. Seulement, une force indéfinissable et irrépressible l’en empêcha. Il savait qu’il était en train de faire une bêtise, mais rien n’aurait pu l’arrêter. Il entra de nouveau dans l’agence.
— Mademoiselle, je suis stupide, mais j’ai oublié de prendre l’adresse de la jeune fille qui vient de sortir d’ici, commença Kylian en agrémentant sa demande d’un sourire enjôleur.
— Je ne sais pas si je peux... hésita l’hôtesse déjà sous le charme.
— J’ai eu un accrochage avec elle et en cas de problème, je ne sais pas où la contacter… Mon agent d’assurance ne me le pardonnera pas... S’il vous plaît... Elle m’a dit le nom de l’hôtel dans lequel elle est descendue au moment où on a fait le constat, mais je n’ai pas fait attention sur le coup. Il me semble que c’est l’hôtel de la Balance, mais je n’en suis pas sûr. Ce serait sympa que vous vérifiiez… C’est juste au cas où...
— Elle s’appelle Jody Seavers, c’est ça ? concéda la jeune femme en haussant les épaules. Après tout, ce n’est pas confidentiel, sourit-elle pour se donner bonne conscience.
— C’est ça… C’est bien l’hôtel de la Balance ?
— Non, elle est descendue à l’hôtel Joffre, rectifia-telle.
— Ah oui ! C’est ça, je confonds… Remarquez, ils sont si proches l’un de l’autre...
— C’est sûr, mais si vous avez besoin de la joindre et que vous vous trompez d’hôtel, vous risquez de ne pas la trouver !
— Merci beaucoup. J’espère que je n’aurai pas à le faire et que tout s’arrangera très vite. Bonne journée !
Tout content de lui, Kylian remonta en voiture. Au lieu de rejoindre ses amis qui devaient l’attendre depuis plus d’une heure maintenant, il prit le temps d’appeler le fameux hôtel avec son téléphone portable.
— Bonjour Monsieur, mon amie est descendue dans votre hôtel, commença-t-il en prenant l’accent américain, elle s’appelle Jody Seavers. Je voudrais venir la rejoindre, mais je ne pourrai pas le faire avant trois jours. Pouvez-vous me dire pour combien de temps elle a réservé sa chambre ? Sera-t-elle encore là dans trois jours ?
— Un instant, Monsieur... Seavers... heu… oui… La chambre de Madame Seavers est réservée pour dix jours encore. Dois-je lui laisser un message ?
— Non, surtout pas ! Ma visite n’est pas prévue, je voulais lui faire la surprise. Voulez-vous ne lui parler ni de cet appel ni de ma future venue, s’il vous plaît ?
— Cela va sans dire, Monsieur.
— Je vous en remercie et bonne soirée à vous !
Il se sentit soudain le cœur léger, simplement heureux parce qu’elle restait encore en ville dix jours.
— Je suis en train de devenir cinglé, pensa-t-il en rejoignant enfin ses amis qui l’attendaient pour une répétition musicale.
Ceux-ci avaient commencé sans lui et ne paraissaient pas très contents, surtout David, le meilleur ami de Kylian.
— Qu’est-ce que t’as foutu ? Un ennui au boulot ?
— Non, je suis sorti en retard et j’ai cartonné en venant !
— Comment ça, cartonné ? Grave ?
Kylian lui donna de plus amples détails.
— Tu vieillis ! plaisanta Manu, le bassiste du groupe. Avant, tu n’avais pas besoin d’abîmer ta bagnole pour draguer !
— D’abord, j’ai cartonné avant de la voir et ensuite, je n’avais jamais eu affaire à une fille comme celle-là ! Aux grands maux les grands remèdes ! répondit Kylian en riant.
— Tu vas la revoir au moins ? Ou tu as fait tout ça pour rien ? s’enquit Éric, le deuxième guitariste.
— Je vais la revoir, oui… Tout à fait par hasard bien sûr, mais je vais la revoir, sourit Kylian.
— Eh ! C’est ce que mon frère a dit deux mois avant son mariage, et depuis, on ne le voit plus, renchérit Yohann, le batteur, en riant. Il ne vit plus que pour ses Charentaises et son journal !
Kylian ne put s’empêcher de rire.
— Bon ! Qu’est-ce qu’on fait ? On cherche un nouveau chanteur ? Ou tu vas rester un tout petit peu disponible, reprit David.
— Ben ! Pour l’instant, je suis totalement libre. Si la situation évolue, je vous le ferai savoir. Mais si je pouvais rester dispo pour la musique et en même temps revoir cette nana…
— Oh ! Alors là, on est mal barré ! plaisanta de nouveau le batteur. Je ne suis pas sûr que la gonzesse, plus les copains, plus la musique, plus la moto, ça fasse bon ménage...
— À moins que tu nous la prêtes à l’occasion, coupa Manu en riant.
— Bon, ça va ! Je n’ai pas encore mis la main dessus, répliqua Kylian. Je ne sais même pas si elle est célibataire et disponible.
— De mieux en mieux, sourit David. Allez, prends ta gratte et ton micro, va ! Eux au moins, ils sont fidèles, ils ne te coûtent pas trop cher et ils supportent tes potes !!!
— Et quand t’en as marre, tu les remets dans leur boîte et ils te foutent la paix, conclut Yohann riant de sa propre blague.
Pas un instant au cours de la soirée, l’image de Jody ne quitta l’esprit de Kylian. Par moment, il était si absorbé par ses pensées qu’il n’entendait pas lorsqu’on s’adressait à lui. Son ami lui en fit la remarque.
— Elle t’a tapé dans l’œil à ce point-là ? Tu commences à me faire peur.
— J’en suis désolé, sourit Kylian. C’est vrai qu’elle... m’intrigue !
— Moi je crois qu’elle fait plus que t’intriguer. Alors, soit tu fais ce qu’il faut pour te la taper, soit tu laisses tomber tout de suite. Parce que là, je crois qu’il faut trancher !
— Elle m’a laissé une drôle d’impression. C’est vrai, une fille aussi belle, en général, sait qu’elle plaît et toute son attitude le révèle. Même involontairement, elle allume. Alors qu’elle... On dirait qu’elle cherche à se faire oublier, à se cacher… Et ça n’est pas par timidité, j’en suis sûr...
— Elle n’a pas envie de se faire draguer, c’est tout, tenta David.
— Non, ça va plus loin que ça. Elle a un air craintif...
— Alors fuis ! Soit elle s’est évadée de prison, soit elle quitte un mari jaloux et possessif qui la recherche. Dans les deux cas, elle va te mettre dans la merde jusqu’au cou ! Passe à quelqu’un d’autre, plaisanta à demi David.
— Tu ne peux pas être sérieux cinq minutes ? En plus, à l’hôtel, ils l’appellent Mademoiselle...
— T’as appelé l’hôtel ? T’avais son adresse ?
Kylian sourit et lui raconta comment il se l’était procurée.
— Alors là, c’est clair. Elle veut qu’on lui foute la paix ! De toute façon, si une nana ne tombe pas dans tes bras dans l’heure qui suit votre rencontre, c’est qu’elle a certainement une raison en béton. Maintenant, ça fait plus de trois heures que tu ne l’as pas revue. Moi, à ta place, je laisserais tomber, commenta David.
— C’est facile pour toi de parler. Tu claques des doigts et ta nana est là, malgré tout le mal que je lui ai dit de toi ! plaisanta Kylian.
— Ça t’emmerdes tant que ça, de m’avoir pour beau-frère ? se mit à rire David. Tu ne me pardonneras donc jamais de sortir avec ta sœur ?
— Une chose est sûre, c’est qu’avec elle, tu ne pouvais pas te tromper. Tu la connais quasiment depuis sa naissance. C’est encore une chance que tu aies attendu sa majorité.
— C’est ce qui s’appelle miser sur une valeur sûre, sourit David. Bon, pour cette nana tu vas faire quoi ?
— Je ne sais pas… Je crois que c’est la première fois de ma vie que je ne sais pas quoi faire pour arriver à mes fins. C’est fou, non ?
— C’est bien ce qui me fait peur !
Kylian rentra chez lui alors que le jour se levait. Il aurait dû s’écrouler sur son lit pour dormir quelques heures afin d’attaquer le week-end en meilleure forme, mais il ne parvint pas à trouver le sommeil. Énervé de se tourner d’un côté puis de l’autre dans son lit, il se releva, se concocta un solide petit déjeuner. Il fut interrompu par la sonnerie du téléphone. Bientôt son répondeur se mit en marche.
— Allô, Kylian ? Je sais que tu es là, réponds s’il te plaît… Si tu ne réponds pas, c’est que tu dors alors, rappelle-moi...
Au son de la voix de sa mère, Kylian décrocha.
— Maman, je suis là.
— Je te réveille ?
— Non, mais tu aurais pu ! Qu’est-ce qui se passe ?
— Ta sœur n’est pas rentrée, je suis un peu inquiète, elle ne répond pas à son portable. Tu ne sais pas où elle peut être ?
— Tu as essayé d’appeler David ?
— Évidemment, mais il ne répond pas non plus. À quoi ça sert d’avoir un portable si vous ne répondez jamais ?
— Tu as laissé un message ? Ils vont rappeler, ils dorment peut-être ou les portables sont éteints. Ta fille est majeure, tu sais ? Laisse-la vivre sa vie !
— Majeure ou pas, elle vit à la maison et je dois savoir quand elle rentre ou non, alors elle n’a qu’à prévenir ! Avec tout ce qu’on voit dans les journaux... Et si elle avait eu un accident de voiture ? Elle est partie avec Cathy, elle n’a peut-être pas rejoint David...
— Tu serais déjà au courant ! Arrête, maman ! J’étais avec David jusqu’à trois heures du matin et quand je l’ai quitté, il allait rejoindre Steph en boîte de nuit. Je vais essayer de les joindre et je leur dirai de te rappeler, d’acc ? On se tient au courant.
Comme promis, il passa un coup de fil à son ami et réussit à le joindre, lui, du premier coup.
— Steph est chez toi ?
— Où veux-tu qu’elle soit, chez son amant ? ronchonna David. T’as vu l’heure qu’il est ? Tu fais chier des fois ! Tu veux que je te la passe ?
— Pas la peine. Demande-lui d’appeler sa mère, si elle se souvient qu’elle en a une ! Et un petit conseil : soit tu ramènes ma sœur à la maison le soir, soit elle déménage chez toi, mais faites quelque chose !
— Vivre dans le péché ? C’est hors de question, grommela David pince-sans-rire.
Kylian raccrocha en souriant. Il était près de dix heures quand il prit sa moto. Il avait laissé sa voiture à un carrossier de ses amis la veille. Bien entendu, il se posta à l’abri des regards, pas très loin de l’entrée de l’hôtel Joffre. Elle sortirait ou rentrerait bien à un moment ou à un autre. Il n’eut pas à attendre bien longtemps. Comme elle partait à pied, il gara sa moto et la suivit de loin. Amusé, il pensa que c’était la première fois qu’il se voyait contraint d’avoir recours à des subterfuges pour gagner la confiance d’une jeune fille. D’habitude, ils lui servaient plutôt à se débiner, à quitter certaines nanas qui avaient le malheur de s’accrocher un peu trop à lui.
Lorsqu’elle entra dans un magasin de fruits et légumes, il la suivit. Elle se concentrait sur le choix de belles oranges lorsqu’il lui en enleva une des mains. Elle sursauta, lui fit face, prête à protester, mais s’arrêta net en le reconnaissant.
— Ne prenez pas celles-là, elles viennent d’Espagne, les Françaises sont plus juteuses, lui dit-il très sérieusement en lui tendant un autre fruit.
— Et si je préfère les fruits espagnols ? le défia-t-elle.
— Alors, il faudrait aller les chercher vous-même en Espagne. Ici, elles sont abîmées par le transport, sourit-il.
— Je vais faire ça, je crois, reprit-elle sérieusement avec son charmant accent américain.
— Surtout pas ! Vous connaissez à peine notre beau pays ! Et puis les gens ne sont pas accueillants là-bas. Les hommes ont le sang chaud, ils ne vous laisseront jamais en paix. C’est vrai, il n’y a pas de blondes là-bas, vous vous rendez compte quel calvaire vous allez vivre ? Vous ne pourrez pas faire un pas dans la rue sans qu’on vous saute dessus, plaisanta Kylian pince-sans-rire.
— C’est différent ici ? le défia-t-elle à nouveau en tentant de le contourner.
— Ici les hommes sont plus courtois, plus galants, ils vous invitent à déjeuner, à dîner...
— Vous m’avez suivie n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous voulez ?
— Je ne vous ai pas suivie, je viens acheter mes oranges ici tous les matins. Je suis accro aux vitamines C, mentit outrageusement Kylian en souriant.
Elle ne put réprimer un léger petit rire devant sa mine de gamin grondé.
— Qu’est-ce que vous voulez de moi ? Dites-moi tout de suite, nous gagnerons du temps, l’apostropha-t-elle.
— Je veux que vous déjeuniez avec moi, répondit-il du tac au tac.
— Et ensuite ?
— Ensuite, je pourrais vous faire visiter un peu le coin…
— Et ensuite ?
— Ensuite, ce sera l’heure de dîner, alors je vous inviterai à dîner.
— Et ensuite on ira boire un café chez vous, et après le repas, vous me proposerez votre lit...
— Oh non, alors ! Ne le prenez pas comme ça ! Je ne suis pas un homme facile ! fit-il mine de se récrier en haussant la voix.
Tout en laissant échapper un petit rire, elle lança un coup d’œil gêné autour d’elle, deux clientes d’un certain âge leur jetaient un regard outré.
— Non, pas tout de suite, reprit-il plus bas. On pourrait sortir, traîner les bars, assister à un concert, aller en boîte de nuit avant, plaisanta-t-il. Et ensuite, si vous me dites que vous êtes fatiguée, je vous croirai sans problème. À ce moment-là, en effet, je vous proposerai mon lit, se moqua-t-il gentiment.
— On m’a parlé des Français et du pays de l’amour. Je vois qu’on m’avait dit vrai ! Je ne vais pas coucher avec vous, vous comprenez ? Vous perdez votre temps. Trouvez quelqu’un d’autre.
Tout naturellement, Kylian tourna la tête à droite puis à gauche, feignant de chercher une autre proie. Son regard s’arrêta sur la vendeuse qui ne devait pas être loin de la soixantaine d’années, au physique plutôt ingrat et qui ne devait pas peser loin du quintal.
— Oh non ! Pas ça ! Je vous en supplie, murmura-t-il.
Elle avait suivi son regard et éclata de rire.
— Non, sincèrement, à part vous, je ne vois personne susceptible de correspondre à mon idéal ! Par contre, je vous jure que je n’ai jamais pensé à coucher avec vous. Loin de moi cette idée ! Je voulais juste déjeuner avec vous.
— Vous mentez toujours comme ça ? sourit-elle.
— D’ailleurs, je suis gay, continua-t-il.
Elle émit de nouveau un léger petit rire.
— Je ne vous crois pas !
— Tant mieux ! Ça m’aurait ennuyé que vous le croyiez... pour la suite, sourit-il. Je plaisantais ! Je vous jure que je plaisantais ! s’écria-t-il alors qu’elle faisait mine de faire demi-tour.
—Well… Je suis venue ici pour être tranquille, pour me reposer, vous comprenez ? reprit-elle doucement et plus sérieusement. Je ne veux pas avoir une aventure...
— Si ce n’est que ça, on peut s’arranger pour que ce ne soit pas qu’une aventure. On pourrait se marier... Je plaisantais encore, excusez-moi ! reprit-il en souriant. Je n’ai pas l’intention ni de vous harceler ni de vous rendre la vie impossible... Je... j’avais juste envie de vous revoir, comme ça, sans arrière pensée. Cette fois, je suis sincère ! Vous aviez un petit air triste hier et je préfère vous voir sourire. Je me sens un peu fautif et… je n’essaye pas de vous séduire à tout prix. J’ai l’impression que vous ne connaissez personne ici, que vous vous sentez seule. Sans compter qu’il est dangereux pour une jolie jeune fille de sortir seule le soir. Je pourrais me transformer en guide, voire en garde du corps si cela devenait nécessaire, en tout bien tout honneur, je vous le jure ! Je ne ferai rien qui puisse vous contrarier ou vous heurter, d’accord ? Je veux juste qu’on soit amis ! Avec votre petit accent, vous me rappelez mes vacances là-bas et j’aurais bien parlé de Los Angeles avec vous, c’est tout !
Il semblait si sincère soudain. Il avait perdu cet air si sûr de lui. Jody se demanda un instant s’il ne s’agissait pas d’une ruse, d’une mise en scène destinée à la séduire. Il avait tout du parfait play-boy. Avec un physique tel que le sien, elle était certaine qu’il devait collectionner les conquêtes féminines et c’était bien le dernier genre d’hommes dont elle avait besoin pour l’instant. Mais, quelque part, elle fut touchée par l’impression de douceur et de moquerie affectueuse, teintée d’humour qui se dégageait de lui. Et puis, en parlant de sa solitude, il avait, sans le vouloir, touché une corde sensible. Un peu perdue dans un pays qui n’était pas le sien, elle se gardait bien de sortir le soir. La seule fois où elle avait essayé, elle s’était fait aborder par une bande de jeunes plutôt agressifs et elle en avait eu pour son compte de peur. C’était vrai que Kylian imposait le respect et qu’elle se serait sentie en sécurité avec lui. Comme elle semblait encore hésiter, il feignit de faire machine arrière.
— Pour vous prouver que je suis sincère, voici mon numéro de téléphone et je vous laisse l’initiative. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi. Sinon, tant pis ! Je ne veux pas que vous ayez l’impression que je vous harcèle, ce n’est pas vraiment dans mes habitudes.
Alors qu’il s’éloignait lentement, il entendit dans son dos.
— J’espère que vous connaissez un restaurant près d’ici parce que je ne veux pas monter dans une voiture cassée, se moqua-t-elle à son tour.
— Ça tombe bien, ma voiture est chez le garagiste, je ne peux que vous proposer une place sur ma moto.
— Désolée, mais je n’ai pas les bons vêtements !
— Bien ! On déjeune à deux pas d’ici ? lança-t-il tout sourire en jetant un regard amusé sur sa longue jupe serrée et ses chaussures à talons hauts.
— Mais c’est clair ! précisa-t-elle, nous déjeunons et c’est tout !
— Juré ! s’écria-t-il en levant volontairement la main gauche. Il ne me viendrait même pas à l’esprit d’envisager autre chose, sourit-il.
Elle n’en croyait pas un mot. Elle se maudissait d’avoir été si faible, mais elle avait cédé sous une impulsion incontrôlée. Elle avait eu envie de le revoir, de passer un moment avec lui. C’était comme si une force extérieure et inconnue la poussait vers lui et cette impression ne fit qu’accroître sa perplexité et l’appréhension qu’elle sentait monter en elle. Que lui arrivait-il ?
Kylian jubilait : il avait réussi à la faire rire. Il l’avait donc déjà à moitié séduite. C’est ce que lui disait toujours son grand-père :
— Si tu sais faire rire une fille, tu as déjà un pied dans son lit !
Il ne chercha pas, à cet instant, à faire des plans sur la comète. Peut-être qu’au bout de deux heures de sa compagnie, il en aurait marre et se rendrait compte qu’il faisait fausse route, bien que cette éventualité lui parût plutôt farfelue. Il était simplement heureux de l’avoir convaincue de passer un moment avec lui. De plus, elle était étrangère, donc de passage. Une liaison avec une touriste n’apportait en général, que des avantages.
Il emmena Jody dans un petit restaurant tenu par l’un de ses copains, spécialisé dans la bonne cuisine française, campagnarde et copieuse. Avec une galanterie qui surprit la jeune fille, il l’aida à s’installer, la conseilla sur le choix de son menu. Après avoir décidé mutuellement de se tutoyer — elle lui avoua que ce serait plus simple pour elle — ils discutèrent de choses, somme toute, banales.
— Pourquoi avoir choisi la France comme lieu de vacances ? Il y a beaucoup à visiter aux États-Unis, la questionna-t-il soudain.
Il savait d’instinct qu’il devait être des plus diplomates avec elle s’il voulait parvenir à la faire parler d’elle. Elle ne semblait pas très encline à le faire.
— Là-bas, on entend beaucoup parler de la France. C’est le pays de la mode, du parfum, du luxe et de l’amour. Enfin, c’est sa réputation... Je voulais voir.
— Et qu’est-ce que tu en penses ? sourit-il.
Elle sembla hésiter.
— Je ne sais pas vraiment, je ne suis pas là depuis longtemps... Et seule, je dois passer à côté de beaucoup de choses…
— Si tu voulais approcher le milieu de la mode, c’est plutôt à Paris ou dans une grande ville qu’il fallait aller parce qu’ici... A part la nourriture, les boîtes de nuit, les bars, les concerts rocks, il n’y a pas grand-chose, sourit-il.
— J’avais marre des grandes villes. Je voulais voir la France de province, voir les gens vivre... changer complètement de… ambiance ? On dit comme ça ? Et puis j’aime beaucoup la musique... Assez parlé de moi. Toi, qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
Assez sommairement, Kylian lui relata les grandes lignes de son existence.
— Je pourrais vous entendre jouer ? demanda-t-elle soudain intéressée.
— Bien sûr, je t’emmènerai si tu veux.
— Et ici, il y a des clubs de motards comme les Hells Angels par exemple ?
— Non, sourit-il. En fait, il y a des bandes de copains qui font de la moto ensemble, oui. Mais on n’est pas aussi fanatique que les Ricains. On a tous la même passion de la moto, on aime rouler, mais on n’est pas aussi sectaire qu’eux, enfin pas tous ! Certains ont des Harley, d’autres des motos japonaises, d’autres des Italiennes, des motos de route, des trails… Peu importe. Et on n’a pas une tenue réglementaire. Je veux dire que, parmi les motards, il y en a qui s’habillent de façon classique, qui ont les cheveux courts et qui ne portent pas de boucles d’oreille, ironisa-t-il. Il y a des technico-commerciaux qui sont en costard la semaine et en jean le week-end. En fait, il n’y a pas une bande bien définie. Il y a des copains surtout et avant tout.
— Vous avez un lieu précis pour vous réunir ?
— Pourquoi ? Tu veux voir les motards français de près ? se moqua-t-il gentiment.
— Ne te moque pas ! dit-elle en souriant. C’est vrai qu’à L.A., j’ai toujours eu envie de connaître mieux les motards. Mais chez nous, c’est un peu dangereux quand on ne connaît personne. Une fille ne va pas comme ça chez eux… et… en Californie, les motards sont très… machos. La fille n’est là que pour… comment dire… faire joli ! Ici je n’ai pas senti ça. Moi, je voudrais faire de la moto… Je ne sais pas si j’aime. Je ne sais pas conduire ça, mais ça m’attire. Seulement les motards ont une réputation...
— De voyous ? se mit à rire Kylian. Ils font peur aux jeunes filles de bonne famille ? Mais ils les font craquer aussi, je me trompe ?
— On est souvent attiré par ce qui est inconnu…
— Je te fais peur ?
— Non, pourquoi ? sourit-elle.
— Tant pis, dommage ! feignit-il de se plaindre.
Elle éclata de rire et se mit à le fixer dans les yeux, inconsciemment. Quand elle s’en rendit compte, elle rougit un peu et détourna la tête d’un mouvement vif, le cœur battant.
— Si tu veux, je t’emmènerai au Bikers…
— Le Bikers ? s’étonna-t-elle.
— Ben oui, c’est le bar où l’on se retrouve tous. Il s’appelle comme ça ! C’est la mode chez nous, de prendre des noms américains, ironisa-t-il. C’est un bar qui a mauvaise réputation, qui est plein de motards, où la musique est très forte. Ce n’est pas un endroit conseillé à quelqu’un qui est venu ici pour être tranquille et se reposer.
Il faisait volontairement allusion à ce qu’elle lui avait dit dans le magasin de primeurs. Il aurait aimé savoir pourquoi une jeune fille aussi belle voyageait seule et dans quel but. Elle dut le deviner, car il vit son beau regard se voiler et son visage se fermer. Afin de faire diversion, il fit signe au serveur qui accourut avec la carte des desserts. Il l’aidait à choisir quand une voix assez forte retentit dans leur dos.
— Tu es debout un samedi à midi, toi ? La répète n’a pas marché ou tu ne t’es pas couché du tout ?
Kylian sourit en levant la tête. Jody voulait approcher des motards, elle allait être servie, quoique pas trop dépaysée. L’homme qui se présentait était habillé de cuir des pieds à la tête. Il portait un long cache-poussière et un chapeau texan, les cheveux attachés sur la nuque en une longue queue de cheval. Chacun de ses doigts était orné d’une bague ou d’une chevalière, et plusieurs chaînes ornaient son cou, sur lesquelles s’entrechoquaient des croix, dents de requins et autres breloques. Il semblait sorti tout droit du dernier western hollywoodien. Kylian lui présenta Jody. Après l’avoir longuement observée — ce qui la mit mal à l’aise —, l’arrivant la questionna.
— Il me semble qu’on s’est déjà vu, non ?
— Je ne pense pas, répondit Jody d’un ton bref en baissant les yeux.
— T’as pas plus bateau comme méthode d’approche ? plaisanta Kylian : c’est un plan vieux comme le monde !
— Non, non ! Je ne plaisante pas. Il me semble vous connaître, reprit ce dernier sans la lâcher des yeux.
— Peut-être à L.A. ? supposa Kylian, elle vient de là-bas. Alan passe plusieurs mois par an chez toi, expliqua-t-il à Jody.
— On ne se connaît pas, je m’en souviendrais sinon ! trancha-t-elle de plus en plus mal à l’aise. Je ne suis pas de Los Angeles, mais à côté.
Le nouvel arrivant qui répondait au prénom d’Alan dut se rendre compte de sa gêne, car il n’insista pas. Se détournant d’elle comme si elle n’avait jamais existé, il échangea quelques paroles avec Kylian avant de prendre congé et de gagner sa table.
— Moi qui voulais changer d’air, j’ai dû tomber dans la seule partie de la France où tout le monde connaît Los Angeles, ronchonna-t-elle.
Kylian éclata de rire, puis prenant le temps de terminer son verre, il répondit nonchalamment.
— En fait, tu es tombé sur les deux seules personnes de toute la région, je crois, à y être allées ! C’est vrai que ce n’est pas de chance ! Tu vas rester combien de temps en France ?
— Je ne sais pas...
— Je suppose que tu ne travailles pas ou que tu es indépendante pour ne pas avoir de délai précis.
— Exact !
— Fin de la conversation ! plaisanta-t-il. Si je suis trop curieux, dis-le, n’hésite pas !
— Tu es trop curieux, sourit-elle. Je n’aime pas parler de moi. Moins tu en sais sur moi, mieux c’est.
— Comme ça, je n’aurai aucun moyen de te retrouver quand tu partiras, aucun argument pour te retenir si je ne sais pas pourquoi tu pars, c’est ça ?
— Tu penses déjà à me retenir ? On ne se connaît que depuis quelques heures...
Elle souriait en parlant, mais sous l’intensité du regard de Kylian, son sourire s’effaça lentement. Pendant quelques instants, ils ne purent détacher leurs yeux l’un de l’autre. Le cœur battant, tentant d’échapper à son emprise, Jody chercha une échappatoire. Presque aussi embarrassé qu’elle, Kylian vint à la rescousse en demandant l’addition à une serveuse.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Tu veux visiter un lieu ? Un bâtiment ? Te balader ?... Ou te débarrasser rapidement de moi pour être enfin tranquille ?
Jody ne put retenir un léger rire cristallin, presque un rire d’enfant qui toucha Kylian plus profondément qu’il ne l’aurait souhaité. Il sentait confusément qu’il tombait dans un piège. Chaque minute passée près d’elle l’enchaînait un peu plus. Il le savait, il en était conscient et pourtant, il ne parvenait pas à se résoudre à la quitter et à partir de son côté, le plus loin possible.
— J’ai envie de me débarrasser de toi, mais, sans guide, je vais manquer beaucoup de choses, je ne sais pas quoi faire, sourit-elle.
— Alors, supporte-moi encore quelques heures et je te servirai de guide. Pendant ce temps, tu réfléchis et tu me donneras le verdict ce soir. À ta place, j’attendrais d’avoir dîné avant de me jeter, ce sera toujours ça de gagné, sourit-il à son tour.
De nouveau, elle émit ce petit rire qu’il aimait déjà tant.
— Je ne suis pas comme ça, protesta-t-elle. D’ailleurs, si on se supporte encore et si on a envie encore de manger ensemble, je paie les repas… Sinon je m’en vais !
— Une femme libérée ? plaisanta-t-il.
— Je suis seule dans un pays étranger. C’est une preuve, non ?
— Justement ! Tu dois être seule au monde parce qu’il faut être cinglé pour laisser partir seule, une fille comme toi, à des milliers de kilomètres de chez elle !
Comme il s’y attendait, elle baissa les yeux et ne répondit pas.
— Alors on fait quoi ? Château, musée, cinéma ?... Ou balade en moto ?
— Est-ce que la mer est loin d’ici ? J’aime la plage...
Kylian ne put retenir un grand sourire gentiment ironique.
— Qu’est-ce que j’ai dit ? s’enquit-elle hésitante.
— J’ai une petite maison dont la terrasse donne sur la plage, mais si je t’y emmène, tu diras encore que les Français sont trop... entreprenants !
Jody sourit en rougissant.
— Alors je veux bien une balade en moto, mais je dois me changer à l’hôtel avant. Et je dois aussi téléphoner. On se donne rendez-vous dans une heure ?
Kylian la raccompagna jusqu’à son hôtel avant d’aller récupérer son engin à deux roues.
Jody, songeuse, avait regagné sa chambre. Elle s’assit sur son lit, la main sur le cœur comme pour en atténuer les battements. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Elle s’était pourtant promis... Un instant, elle fut tentée de boucler ses bagages et de s’enfuir... Mais pour aller où ? Une partie d’elle-même lui soufflait de fuir, l’autre lui intimait de se laisser porter par le destin, de vivre... Pour la première fois depuis une éternité, elle avait ri, elle avait oublié… C’était aussi la première fois qu’elle passait quelques heures sans ressentir une seule seconde le sentiment sournois et lancinant de la peur et c’était si bon...
Kylian prit le chemin du Bikers, presque instinctivement. Que pouvait-il faire de mieux pour tuer une heure ? Il y retrouva pas mal de monde, y compris David et le fameux Alan.
— Ben ! Tu ne nous as pas emmené Shéhérazade ? plaisanta l’un des motards. Nous qui rêvions de voir la huitième merveille du monde.
— Je vois que ça cause en mon absence, sourit Kylian en lançant un regard soupçonneux à l’encontre d’Alan. Le téléphone arabe fonctionne toujours aussi bien ! C’est rassurant, vous n’êtes pas malades.
— T’as pas mis beaucoup de temps avant de la revoir, nota David.
— Ce qui est agréable dans cette région, reprit Kylian, c’est que tu ne peux pas bouger le petit doigt sans que toute la population soit au courant...
— Un déjeuner romantique au restaurant, et tout le monde le sait dans l’heure qui suit, le coupa Alan en riant. Mais tu sais que je suis toujours persuadé de l’avoir rencontrée quelque part. Elle me dit quelque chose cette gonzesse. Eh ! Un visage pareil, on ne l’oublie pas comme ça ! En général, j’ai bonne mémoire, mais là... Je vais finir par me souvenir d’où je la connais et je te le dirai !
— Tant que ce n’est pas une de tes ex, plaisanta Kylian, je m’en fous complètement.
— Sincèrement, si j’avais eu une nana pareille dans mon lit, je te jure que je m’en souviendrais ! pouffa Alan.
— Pourquoi tu ne l’amènes pas ? Nous sommes très impatients de connaître l’oiseau rare qui t’a mis le grappin dessus, ironisa la seule fille qui se trouvait dans le bar.
— Pour l’instant, elle n’a mis le grappin sur rien du tout et crois bien que je le déplore, s’amusa Kylian, faisant naître des rires autour de lui.
Habillée de cuir de la tête aux pieds, la fille qui venait de parler était plutôt jolie. Comme beaucoup de motards, on l’appelait par son surnom : « Tina » qu’elle avait dû, quelques années plus tôt, à sa coupe de cheveux — bien que noirs — à la « Tina Turner » de la grande époque. Aujourd’hui, ses cheveux mi-longs, toujours aussi noirs, mais plus raides, ne lui avaient pas fait perdre son surnom. Et d’ailleurs, c’était joli, Tina. Elle l’avait donc interpellé sur un ton ironique, presque moqueur, mais personne ne fut dupe. C’était la jalousie qui la faisait parler. Depuis des années, Kylian et elle partageaient une liaison très sporadique et souvent orageuse. Elle aurait voulu l’accrocher définitivement, mais il faisait passer son indépendance avant tout. Il avait toujours été clair et franc avec elle. Ils se voyaient de temps en temps, mais il ne se gênait pas pour voir d’autres filles, elle en faisait autant de son côté. Ils se retrouvaient quand ils n’avaient personne l’un et l’autre. Elle n’avait jamais perdu espoir de l’accaparer un jour ou l’autre. Sa seule satisfaction était que, quoi qu’il arrive, il revenait toujours vers elle. Elle se disait avec résignation qu’un jour ou l’autre il en aurait marre de butiner à droite et à gauche, qu’il aurait envie de se fixer et, ce jour-là, elle serait là ! Sauf qu’elle en doutait chaque fois qu’une nouvelle conquête faisait son apparition. Alan avait éveillé sa jalousie dès qu’il avait parlé de sa rencontre avec Kylian au restaurant :
— Tu verrais la poupée, dis donc ! La huitième merveille du monde ! Y’a que lui pour dénicher une gonzesse pareille !
— Il en a vaguement parlé hier, avait renchéri David. Il lui a tapé dedans avec sa bagnole.
— Tant que c’est avec sa bagnole, avait plaisanté Kakou (il s’appelait en vérité Gaétan Castan et avait une réputation, lui aussi, de play-boy. À la différence de Kylian, ses proies préférées se trouvaient être les petites amies de ses copains !).
— En attendant, si elle est si bien que ça, il va la mettre à l’abri. On n’est pas près de la voir. Ne te fais pas trop d’illusions, avait ajouté David.
— Dommage, elle a l’air un peu jeune, reprit Alan qui était réputé pour apprécier les femmes d’âge mûr.
— Elle sort d’où ? Si ça se trouve, c’est une petite bourge, toute timide. Il doit avoir peur qu’on n’en fasse qu’une bouchée, avait lancé Tina.
— C’est sûr que, quand il est avec toi, il n’a peur de rien, y’a pas de risque ! s’était permis de railler Alan. C’est en te la présentant qu’il prendrait un sacré risque, des fois que tu la mettes en charpie !
— C’est sûr qu’il ne faudrait pas qu’il me la laisse entre les pattes, avait renchéri Tina en riant.
Sur ce, Kylian avait fait son apparition.
— Alors, tu nous la ramènes quand ? reprit Tina.
— Je me la ramènerai quand j’en aurai envie, coupa Kylian. En attendant, j’ai autre chose à faire qu’à vous la présenter, car vous lui sauteriez tous dessus et je pourrais à peine lui adresser la parole. Quand tu vois la faune qui traîne ici, je n’ai pas trop envie de lui faire peur au bout de deux heures, plaisanta Kylian.
— Pauvre chérie ! Les vilains motards risqueraient de lui faire bobo ? ironisa Tina.
— Ce n’est pas des motards dont j’ai peur, sous-entendit ce dernier.
La remarque fit éclore un rire général. Tina prit un air vexé, arracha son blouson posé sur le dossier d’une chaise et gagna la porte.
— Tina ! Je plaisantais, la héla Kylian.
— Va te faire foutre !
Elle ne se retourna même pas et claqua la porte, enfourcha sa machine et démarra en faisant crisser les pneus.
— Elle n’a pas l’air d’avoir apprécié, s’inquiéta Kakou.
— Ça lui passera, répondit Kylian, elle a l’habitude…
— Ça, je n’en doute pas ! T’es quand même un peu dur avec elle sur ce coup-là.
— Eh ! Tout est clair depuis le début. Je ne suis ni maqué ni marié avec elle. Je n’ai rien à me reprocher. Je n’ai pas non plus à me justifier devant elle, attends ! Tant qu’elle n’aura pas compris à quoi s’attendre avec moi, ça se passera comme ça, se défendit Kylian.
— Elle a compris, mais elle espère toujours. T’es quand même bien content de la trouver de temps en temps !
— Toi aussi, apparemment ! trancha Kylian sur un ton mordant.
— Je ne vois vraiment pas à quoi tu fais allusion, sourit Kakou
— Sans déc. ? Réfléchis bien !
— Ne te vexe pas, coupa Kakou qui préféra détourner le cours de la conversation, mais c’est une fille bien, c’est un peu dommage pour elle.
— Je n’en doute pas, c’est même une fille géniale. Tout ce que j’espère c’est qu’un jour elle tombera sur un mec bien, c’est à dire pas toi, plaisanta de nouveau Kylian.
Il n’avait fallu à Jody que quelques minutes pour enfiler un jean et un sweat-shirt. Mais lorsqu’elle entendit le bruit de sa moto devant l’hôtel, elle en était encore à se demander si elle devait continuer à voir Kylian ou si elle devait s’enfuir au plus vite… Ne pouvant résister à la tentation de le revoir, elle se donna de fausses excuses. Elle avait envie de découvrir la région et le faire en moto pouvait être génial. Demain, elle prendrait une décision...