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Lorsque le capitaine Delgado obtient un poste supplémentaire d'enquêteur dans son équipe réduite, il est ravi... jusqu'à ce qu'il fasse connaissance de la jeune profileuse Léna Vernon, dotée de dons quelque peu étranges : clairvoyance, télékinésie... Tant que ses dons lui permettent de résoudre des affaires criminelles, tout va bien. Mais lorsqu'un tueur en série se met à sévir et que les preuves qui s'accumulent accusent la jeune enquêtrice, les choses se compliquent. Alors quand le capitaine Delgado se rend compte que Léna Vernon est plus ou moins liée à Jody Patterson, la victime de sa précédente enquête, il se met à douter. Peu à peu, le piège se referme...
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Seitenzahl: 477
Veröffentlichungsjahr: 2021
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La fille de l’ombre (2003 - 1ère édition) – 1er Prix ACAI 2015
décerné par l'Association Comtoise des Auteurs, Indépendante.
Au nom d’Elisa (2008 – 1ère édition)
Amnésie (2010 – 1ère édition)
L'autre (2013- 1ère édition)
Sans illusion (2014)
Guérillera (2018) – Prix Coup de coeur ACAI 2019
décerné par l'Association Comtoise des Auteurs, Indépendante.
Nathalie figure parmi les auteurs des recueils de nouvelles Rêves exquis, Heures exquises et Mensonges exquis, édités par l’ACAI (Association Comtoise des Auteurs Indépendants) dont elle est membre.
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Dès la sortie de L’autre, j’ai reçu beaucoup de critiques positives, de compliments et de commentaires qui me sont allés droit au coeur.
Mais la remarque qui revenait toujours était : pourquoi une telle fin ? Parce que je pensais qu’il y avait de multiples manières d’imaginer une suite à cette histoire, et que chacun pourrait l’imaginer à sa façon…
Ce ne fut pas l’avis de mes lecteurs qui depuis me harcèlent (et le terme n’est pas trop fort !) pour que j’écrive la suite de L’autre.
Je ne l’avais pas prévu ainsi, j’avais plusieurs pistes, mais l’une d’entre elles a supplanté les autres et hante mon esprit depuis quelque temps. Aussi, je vous la livre, cette suite et fin, telle que je l’ai imaginée, avec l’espoir que vous aimerez autant L’une et l’autre…
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont entourée, soutenue et assistée à la fin de la rédaction de cet ouvrage. Tout d’abord mes enfants : Mélodie (elle aussi auteure) et Dylan (grand lecteur), qui ne m’ont pas épargnée et dont les critiques sont très exigeantes, mais tellement enrichissantes. Mes romans ne seraient pas ce qu’ils sont sans leurs conseils et leurs corrections.
Merci à Christine Speri et Élodie Wintzer : mes premières bêta-lectrices, leurs avis me sont précieux et me poussent toujours plus avant.
Un grand merci, encore, à mes amies qui se sont prêtées au jeu fastidieux de la correction : Geneviève Borne qui n’a pas ménagé son temps, passant des heures et des heures à décortiquer mon manuscrit, et Isabelle Bruhl-Bastien, auteure de talent à qui j’en ai fait voir de toutes les couleurs !
Pour finir, je ne saurais clore ce chapitre sans souligner, une fois encore, le talent d’infographiste de mon ami Jean-Marie Schreiner (GraphX25). Il transforme en image mes voeux les plus exigeants et habille mes romans de superbes couvertures.
À tous, merci encore.
Pour les mélomanes qui aiment allier la musique à la lecture, j’ai été inspirée et j'ai écrit L'autre en écoutant les albums de
- Wasp : "Golgotha", “Miss you”, “Peace”, “Wild child”...
- Axel Rudi Pell : "The rest of my life ",
- Gotthard : “Eternally”, “Heaven”,
entre autres…
Pour Mélodie et Kevin, Dylan et Clémence, que j'aime de tout mon coeur,
Pour l’homme de ma vie : Gilles
Pour tous les autres qui m'ont inspirée et m'ont soutenue…
Ils se reconnaîtront !
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Léna s’installa sur le siège qui lui était réservé, près du hublot. Elle espérait que son voisin ne chercherait pas à discuter. Elle n’avait pas envie de faire l’effort d’être aimable et souriante. La dame âgée qui se présenta était pourtant charmante. Léna jugea son âge plutôt avancé, ses yeux très clairs reflétaient une grande douceur et une sincère bonté, un peu de tristesse aussi. Alors qu’elle peinait à déposer en hauteur son bagage, Léna se leva et l’aida.
— Je vous remercie mademoiselle, je ne voulais pas vous déranger. Vous êtes très gentille, lui murmura la dame en lui prenant la main.
Léna la retira rapidement, comme si le contact l’avait brûlée. Elle adoucit son geste brusque par un sourire sincère.
— Je vous en prie, ça ne me dérange pas.
Parfois, elle détestait ce don étrange, cadeau de sa naissance, qui lui permettait de percevoir ce qui restait invisible pour les autres, des sortes de flashs prémonitoires. La première fois qu’elle s’en était rendu compte, elle avait à peine six ans. Cela l’avait tant effrayée qu’elle n’en avait d’abord parlé à personne. Puis cela s’était reproduit plusieurs fois. Elle avait alors essayé d’en glisser quelques mots à ses copines. Celles-ci s’étaient d’abord moquées d’elle, puis s’étaient peu à peu éloignées, la trouvant bizarre. Son instituteur, quand elle avait essayé de lui en parler, l’avait grondée. Il lui avait expliqué que ce n’était pas bien de raconter de telles histoires, de mentir. Elle s’était alors tournée vers ses parents, même si elle s’attendait à être rabrouée de la même façon. Ils s’étaient d’abord montrés sceptiques, peinant à la croire. Cependant, après quelques événements probants, ils avaient fini par porter crédit à ses dires. Elle voyait en effet des choses que certains appellent prémonitions, lorsqu’elle avait un contact physique avec les gens. Ces visions ponctuelles n’étaient pas systématiques, ça n’arrivait que de temps en temps. Parfois, ces flashs étaient espacés de plusieurs semaines, mais ce qu’elle voyait se réalisait inexorablement. Elle avait ainsi évité à son père un accident de voiture qui aurait pu être grave, anticipé un incendie chez ses voisins… Du coup, elle s’était peu à peu écartée des gens, refusant qu’on la touche, qu’on l’approche. Elle avait mis de la distance même avec ses parents, ce qui les avait beaucoup inquiétés. Ils avaient alors contacté des spécialistes. Ce fut le début d’une période difficile pour elle. On lui fit passer des batteries de tests, on la questionnait, on l’observait comme on l’aurait fait avec un animal exotique. Elle finit par penser qu’on la considérait comme un monstre. Elle intégra une école spéciale, dans laquelle elle rencontra des enfants spéciaux, comme elle.
Ses parents, bien qu’inquiets, ne cessaient de lui répéter qu’elle était exceptionnelle et que son don était une bénédiction. Tu parles ! La mamie qui venait de s’asseoir près d’elle était en fin de vie… une fin de vie très proche ! Le savait-elle ? Se doutait-elle qu’elle ne vivrait plus longtemps ?
— Vous voyagez pour votre travail ? demanda poliment sa voisine. Moi, je vais rejoindre ma fille. Je ne l’ai pas vue depuis six ans. Elle vivait à l’étranger. Je n’avais pas les moyens d’aller la voir. Il y a bien les écrans d’ordinateur, mais ce n’est pas pareil ! Et je vais enfin faire la connaissance de ma petite fille en vrai, pas en virtuel ! Elle va avoir cinq ans.
— Je voyage pour mon travail, oui, une mutation, répondit Léna, se forçant à sourire. Profitez bien de ces moments qui viennent avec votre famille, chaque minute compte, vous savez ? répondit Léna en regardant la vieille dame dans les yeux.
— Vous avez raison ma petite, à mon âge, chaque minute compte, murmura la vieille dame avec un sourire un peu triste.
Léna détourna la tête, elle se refusait à croiser le regard de la vieille dame. Elle était censée maîtriser ce don aujourd’hui, mais elle se savait également capable de communiquer juste par l’esprit, ce que d’aucuns appelaient vulgairement et parfois à tort, la télépathie. Cette faculté, elle l’avait découverte, mais surtout travaillée, dans sa fameuse école. Un de ses professeurs était persuadé qu’elle en était capable, il l’avait donc initiée, et l’avait fait travailler dans ce sens. Elle ne l’avait pas déçu, pourtant il lui avait fallu des semaines et des semaines, voire des mois avant que la première expérience positive se réalise. Cela ne fonctionnait pas par hasard. Encore fallait-il que son interlocuteur soit capable de capter le message. Ce type de communication lui demandait une forte concentration et une consommation d’énergie importante. Elle avait mis ensuite plusieurs années à maîtriser un tant soit peu ce phénomène. Il n’y avait donc aucun risque pour que la mamie « entende » ce qu’elle pensait. Cependant, certaines personnes pourvues d’une sensibilité accrue semblaient parfois ressentir des choses qui émanaient d’elle.
Elle se concentra sur sa mutation. Elle approchait du but qu’elle s’était fixé quelques années auparavant. Après des études suivies brillamment et sans trop de difficultés, elle avait surpris ses parents en laissant tomber la piste de la recherche scientifique qu’ils espéraient la voir suivre, pour entrer dans… la police. Née en Afrique du Sud, à Johannesburg, elle avait forcément été influencée par les profileurs. Il faut savoir que la première femme profileuse Vicki Pistorius, avait fait ses armes en Afrique du Sud, contrée réputée pour compter le plus grand nombre de tueurs en série au kilomètre carré de la planète. Il n’y avait pas d’explication, les chiffres parlaient d’eux même. Johannesburg et sa banlieue avaient la triste réputation de connaître la concentration la plus élevée au monde de serials killers. Conseillée par un professeur, elle avait dévoré les textes décortiquant les techniques de profilage, Léna avait été fascinée par l’histoire de Vicki qui, à trente-huit ans, fut la première femme au monde à avoir accédé au métier de profiler. En l’espace de six ans, elle avait enquêté sur près de quarante cas de tueurs en série et les profils psychologiques qu’elle avait établis avaient permis l’arrestation d’une douzaine d’assassins. Le fait d’être vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans la tête des tueurs en série eut raison, au bout de quelques années, de sa foi en l’humanité et de sa vie personnelle. Elle abandonna le métier qui l’avait épuisée. Léna avait compris quelle voie l’attirait : elle deviendrait profileuse.
Diplômée de l’école « Intelligency and Scientific Studies » (I.S.S.), une fameuse école pour enfants spéciaux, elle avait obtenu ensuite une licence en psychologie cognitive et en neuropsychologie, tout en fréquentant assidûment l’« Institut Métapsychique International » (I.M.I.). Il s’agissait d’une fondation reconnue d’utilité publique qui se consacrait à l’étude scientifique des phénomènes dits paranormaux, tels la télépathie, la clairvoyance, la précognition (ou prémonition) ou encore la psychokinèse (appelée aussi télékinésie). Cela lui permit d’être recrutée rapidement par l’école de police scientifique de Johannesburg alors qu’elle atteignait à peine sa majorité. Ses dons lui furent, bien entendu, d’une grande aide et elle ne tarda pas à obtenir ses galons de profileuse avec brio. Afin d’affiner ses connaissances, elle fit un stage d’un an à Paris et tomba alors amoureuse de la France. Elle demanda ensuite un poste dans le Sud, et l’obtint. Elle allait enfin intégrer une véritable brigade criminelle alors qu’elle n’avait que vingt-trois ans ! À cette idée, elle ressentit une excitation intense, des fourmis dans les jambes et dans les doigts. Une fois sa situation professionnelle stabilisée et établie, elle pourrait alors commencer ses propres recherches, des recherches très personnelles, qui lui tenaient vraiment à coeur…
Elle n’avait jamais parlé de ce rêve récurrent qu’elle faisait depuis son plus jeune âge, pas même à ses parents. Ce n’était certainement qu’une projection psychologique de ses peurs, de ses souhaits, mais elle voulait en avoir le coeur net ! Du plus loin qu’elle pût se souvenir, elle avait toujours fait ce songe. Il se déroulait dans une belle villa grande et claire, sous un soleil de plomb. Elle voulait retrouver cette maison, persuadée qu’elle recelait quelques secrets la concernant… Elle espérait que peut-être, le fait de retrouver ce lieu mettrait fin à ce rêve qui hantait ses nuits depuis si longtemps. Léna avait fini par se convaincre que cette villa existait quelque part, peut-être dans le sud de la France où ses parents l’avaient emmenée en vacances lorsqu’elle était enfant. Venir travailler dans cette région, c’était son choix ! Enfin, elle aimait à le croire…
Elle rejoignit son hôtel en fin de matinée, prit le temps de s’installer avant de partir à pied à la découverte d’un restaurant dans le quartier. Elle respirait à pleins poumons l’air chargé d’iode du bord de mer. Le soleil chauffait sa peau. D’humeur joyeuse, elle se sentait presque en vacances. L’atmosphère n’avait rien en commun avec les rues de Paris. Les gens semblaient se promener. La circulation était intense, mais les bruits de klaxons étaient rares. Les étals sur les trottoirs invitaient à la dépense, les odeurs épicées et provençales l’enivraient. Déambuler ainsi lui procurait un réel plaisir. Étrangement, elle avait l’impression d’être enfin chez elle. Pourtant, elle n’avait jamais mis les pieds dans cette région. Elle se dégota un petit restaurant sur le port, dont la terrasse pittoresque l’attira. Dans l’attente d’être servie, elle pianota sur son portable, repéra les deux adresses d’appartements meublés qu’elle devait visiter dans l’après-midi. L’idéal serait que l’un d’eux au moins fasse l’affaire. Le commissaire de la brigade criminelle ne l’attendait que le lendemain matin. Cela lui laissait le temps de s’installer avant de se présenter et faire la connaissance de l’équipe avec laquelle elle allait travailler.
Lorsque Théo rejoignit son bureau en fin de journée, en compagnie de deux de ses hommes, le commissaire Guérin l’interpella et l’invita à le rejoindre dans son bureau.
— Bonjour Commissaire, vous êtes encore là ?
— Bonjour Théo. J’allais partir. Alors vous en êtes où à propos de l’assassinat du petit Enzo ?
— Pas loin malheureusement. On a de fortes suspicions concernant le père, mais des détails me chiffonnent.
— Il est toujours en garde à vue ?
— Oui, Cortez et Delmas sont en plein interrogatoire.
— Ton avis ?
— Possible qu’il ait tué son fils sur un coup de colère. C’est un homme très occupé et obsédé par son job. Mais pour l’instant, il donne toujours l’image d’un papa désespéré.
— La mère ?
— Complètement bouleversée. On étudie d’autres pistes. Je vous en parlerai quand j’aurai plus de billes. On fait ce qu’on peut avec le personnel qu’on a ! ronchonna Théo.
— Je sais, je sais… Depuis le départ à la retraite de Jacquot, je me bats pour le faire remplacer. Et c’est justement de ça que je voulais te parler. Tu vas être content, une recrue arrive demain matin. Une jeune profileuse fraîchement diplômée qui débarque de la capitale et c’est toi qui t’y colles !
— Une jeune ? s’offusqua Théo. Une jeune Parisienne fraîchement diplômée ? Elle est majeure au moins ? ironisa Théo. Sincèrement Commissaire, je n’ai pas le temps…
— Je ne te demande pas ton avis, mon gars ! Et je n’ai pas dit une Parisienne. En fait, elle a débarqué d’Afrique du Sud, a fait un an à la Crim à Paris. Elle a un pedigree long comme le bras, même si elle est en effet très jeune… mais majeure ! ironisa le commissaire. Elle nous est recommandée par les plus hautes instances ! J’ai besoin de quelqu’un de confiance pour la superviser au départ. En plus, elle est passée par l’école I.S.S. de Johannesburg ! Intelligency and Scientific Studies.
— C’est quoi comme école ? Jamais entendu parler.
— C’est une école reconnue pour les gosses surdoués qui présentent des capacités intellectuelles surdéveloppées : psychokinésie, télépathie…
— Vous plaisantez ? murmura Théo.
— Non, pas du tout ! En fait, elle est considérée comme surdouée, donc très intelligente. Si en plus elle développe certains dons… C’est tout bonus ! Sans compter son physique. Dire qu’elle n’est pas désagréable à regarder serait un euphémisme, émit le commissaire tout sourire. Que demander de plus ?
— Commissaire, vous savez que je ne crois pas à toutes ces… enfin… J’ai besoin d’agents de terrain. Je n’ai pas le temps de veiller sur une bleue, encore moins si elle se prend pour une médium !
— Je n’ai pas dit qu’elle était médium, ni qu’elle se prenait pour ! Elle se défend relativement bien pour définir des profils psychologiques. En un an de stage à la Crim parisienne, elle a fait un ou deux coups d’éclat qui n’ont pas laissé indifférents ses collègues. Elle peut faire une très bonne recrue, Théo. On en reparle dans une ou deux semaines, O.K. ? Vous avez déjà une femme dans l’équipe et je crois savoir que tout se passe bien avec elle, non ?
— Entendons-nous bien Commissaire, ce n’est pas le fait qu’il s’agisse d’une femme qui me gêne ! Emma est un de mes meilleurs enquêteurs ! Elle est arrivée avec des états de service impressionnants, c’est un vrai flic, si vous voyez ce que je veux dire !
— Attends de rencontrer la nouvelle. Elle t’étonnera peut-être. Je te demande juste de bien l’accueillir demain matin, c’est tout ! Nous allons l’observer pendant quelque temps. Si ça ne va pas, elle retournera d’où elle vient. On est d’accord ?
Le ton du commissaire ne tolérait aucune remarque. Théo l’avait bien compris ainsi. Il opina du chef et sortit rejoindre son propre bureau, réprimant son mécontentement. Vraiment, ce n’était pas le moment qu’on lui mette dans les pattes une minette qui se prenait pour une diseuse de bonne aventure !
Le temps de pianoter sur son ordinateur, il récupéra un dossier qui avait été posé sur son bureau, en parcourut les quelques pages en diagonal. Pas besoin d’être médium pour comprendre ce que ce dossier sous-entendait. Il se laissa tomber sur la chaise de son bureau et se passa les mains sur le visage. Cette affaire de meurtre d’un enfant de deux ans lui prenait la tête. Deux de ses hommes, José Cortez et Alex Delmas étaient à ce moment même en plein interrogatoire du père d’Enzo, ce petit ange retrouvé mort dans sa propre chambre deux jours auparavant. Il abandonna le dossier, le jeta sur son bureau pour rejoindre son équipe.
Depuis la pièce attenante à la salle d’interrogatoire, séparée de celle-ci par une glace sans tain agrémentée de micros et de caméras, il suivit quelques minutes l’interrogatoire qui se déroulait sous ses yeux. Le jeu de ses hommes était sans faille, répondant au cliché désormais célèbre du bon et du mauvais flic. José Cortez, la trentaine, de type hispanique, toujours habillé avec classe, arrogant et provocateur, affichait ouvertement son dédain et son mépris face à un père qu’il accusait d’avoir tué son propre enfant. Alex Delmas, la quarantaine grisonnante, posé, calme, en bon père de famille, atténuait l’agressivité de son collègue et enjoignait au père de dire la vérité, celle qu’il entrevoyait, au nom de la sauvegarde du reste de la famille. Mais le père, le visage ravagé par la douleur, continuait à arguer qu’il ignorait ce qui s’était passé, que quelqu’un avait dû pénétrer chez eux, il ne voyait pas d’autres solutions.
— Monsieur Lucas, c’est bien gentil votre théorie du cambrioleur qui s’introduit chez vous, commença Delmas, d’une voix douce, presque empathique. Mais pourquoi un simple cambrioleur tuerait-il un enfant de deux ans, même si celui-ci l’avait surpris ? Nous sommes persuadés que vous savez ce qui s’est passé. Ne rien dire ne fait qu’aggraver votre situation et celle de votre famille. Nous allons être obligés d’interroger votre fils aîné, même si vous n’êtes pas d’accord !
— Diégo n’a rien à voir dans ce drame ! trancha le père d’une voix à la fois agressive et désespérée. Je vous en conjure, laissez-le tranquille, il souffre déjà assez de la disparition de son frère !
— Monsieur Lucas, lança Théo qui entrait dans la salle d’interrogatoire, nous allons nous arrêter là pour ce soir. Votre garde à vue est prolongée. Il est tard, je vous souhaite une bonne nuit. Nous réentendrons votre épouse demain en fin de matinée. J’espère que la nuit vous portera conseil ! termina Théo en faisant signe à ses collègues de le suivre.
— Vous n’avez pas le droit de faire ça, de me retenir ici, même si vous ne me croyez pas ! hurla alors Vincent Lucas.
Or, Théo ne voyait pas les choses ainsi.
— Et si tu te trompais Théo ? l’apostropha José Cortez. Il dit qu’il est innocent, il paraît désespéré…
— Personne n’est entré chez eux ! C’est un membre de la famille qui a tué le petit, ou un proche qui était présent. Je ne dis pas qu’il est coupable, mais je suis persuadé qu’il sait qui l’est ! Demain, Emma reprendra l’interrogatoire.
— Changement de stratégie ? supposa Delmas en souriant. On envoie une femme ?
— Emma aura peut-être plus de chance que vous de faire parler un père. L’instinct féminin, les gars ! ironisa Théo. Et en parlant de gonzesse, on en a une nouvelle qui débarque demain !
— Sérieux ? s’exclama José Cortez, haussant un sourcil. Une blonde plantureuse ? Tu la connais ?
— Je ne la connais pas. Arrête de rêver, Corty ! C’est une nana qui a déboulé d’Afrique du Sud avec une solide formation de profileuse et qui a passé un an à la Crim parisienne, c’est tout ce que je sais, mentit Théo qui préféra garder pour lui seul dans un premier temps, le pedigree un peu spécial de la nouvelle. Il voulait la jauger d’abord.
Léna avait visité les deux appartements que l’agence lui avait proposés, sans grand enthousiasme. Le premier se trouvait à plus de dix kilomètres du commissariat et était très petit. Dès l’entrée, elle s’y était sentie à l’étroit et mal à l’aise, malgré le bon goût de la décoration. C’était peut-être stupide, mais elle était très sensible aux ondes que dégageaient certains endroits. Ce premier appartement ne voulait pas d’elle. Le second se trouvait dans un quartier proche du commissariat, pourtant l’environnement ne lui avait pas plu. Il n’y avait que du béton, des parkings, des rues. C’était bruyant et pas très accueillant. Elle n’avait pas insisté, avait mis fin au rendez-vous avec le jeune agent immobilier qui ne semblait pas maîtriser son sujet. Elle avait contacté deux autres agences avant de tomber sur un agent immobilier quarantenaire qui, lui, sembla avoir écouté et pris en compte ses souhaits. Il lui soumit deux ou trois propositions sur photos. L’une d’elles retint l’attention de la jeune femme. L’appartement, meublé se situait à deux pâtés de maisons du commissariat. Il n’était pas très grand, mais semblait accueillant et moderne.
L’immeuble d’abord, plut à Léna. Un grand parking sécurisé derrière le bâtiment était bienvenu. L’appartement situé au troisième et dernier étage était clair et bien agencé. Il possédait une chambre, une cuisine ouverte sur un grand salon avec balcon, une jolie salle de bain avec baignoire et douche — le comble du luxe — le tout dans un style épuré, mais confortable. L’endroit lui plut, elle s’y sentit immédiatement bien et n’hésita pas plus longtemps. Elle négocia la possibilité de s’y installer dès le lendemain soir, après sa première journée de travail. Elle rentra joyeuse à l’hôtel. Tous les paramètres étaient réunis pour qu’elle démarre son job dans les meilleures conditions. Restait juste à faire connaissance avec ses nouveaux collègues. Elle pressentait que ce ne serait pas facile, tout du moins au début, comme chaque fois qu’elle intégrait un nouveau groupe, qu’il s’agisse d’école ou de milieu professionnel. Elle savait qu’on la regarderait comme un animal étrange au départ. Ça s’était toujours passé comme ça. On la prenait tout d’abord pour une jolie nénette à la tête vide, une petite blondinette qui se la jouait. Puis on la testait. Et elle gagnait le respect des autres, quand ce n’était pas de l’estime, à l’arrache, en ne dérogeant pas à sa vraie nature. Elle serait de nouveau au rendez-vous le lendemain.
Léna appréhendait cette première rencontre, bien sûr ! Comment échapper à ce genre de stress ? Le commissaire, un cinquantenaire grand, costaud, à peine bedonnant, les tempes grisonnantes, l’air affairé, l’avait accueillie avec un léger sourire préoccupé.
— Je vais vous emmener tout de suite faire connaissance avec votre équipe. Nous sommes très occupés et en sous-effectif, donc… J’ai un rendez-vous important ce matin, je vous verrai en début d’après-midi, d’accord ?
Théo était en plein débriefing de son équipe lorsque Léna fit son apparition au côté du commissaire Guérin.
— Bonjour tout le monde, je vous présente Léna Vernon, votre nouvelle collègue. Théo Delgado, le capitaine qui dirige l’équipe et qui sera votre supérieur. Léna, je vous attends à quatorze heures dans mon bureau pour un débriefing et pour terminer la paperasse, lança le commissaire agrémentant sa tirade d’un clin d’oeil complice, destiné certainement à la mettre à l’aise.
Théo s’était tu en plein exposé, à leur entrée et s’était tourné vers eux pour les saluer d’un hochement de tête presque militaire à l’énoncé de son nom. Il se sentit perplexe en découvrant Léna, une jeune fille manifestement plus jeune que ce qu’il avait espéré. Il la dévisagea un instant, désarçonné face à cette étrange recrue. C’était une véritable beauté au corps svelte, élancé, d’apparence sportive, en jean, tee-shirt et blouson de cuir, les cheveux très blonds, courts et ébouriffés, un air mutin, espiègle, assez sûre d’elle, au regard bleu vert percutant et provocateur qui semblait lui dire : alors ? T’en penses quoi ?
Elle s’était donc retrouvée seule face à une équipe en pleine réunion. Le capitaine Théo Delgado se tenait de profil, entre un tableau recouvert de mots, d’abréviations, de flèches, de photos de scènes de crime, de portraits de suspects, et son équipe composée de deux hommes et une femme qui l’écoutaient presque religieusement. C’était donc lui, l’homme sous les ordres duquel elle allait travailler. Elle s’attendait à tout sauf à ça ! Il se dégageait de Théo Delgado, une sorte d’aura impressionnante. Son équipe semblait le dévorer des yeux avec une dévotion respectueuse. Il était grand, large d’épaules, un corps athlétique aux proportions harmonieuses, très brun de peau, certainement métissé, le crâne rasé, il portait un bouc noir rasé avec soin et précision. Son regard était spécialement fascinant, des yeux en amande très noirs à la fois mystérieux et chaleureux, un regard qui semblait vous percer à jour, vous sonder.
— Enchanté Léna, l’accueillit-il d’une voix grave qu’elle apprécia d’entrée.
Il s’approcha d’elle et lui tendit la main. Elle fut tentée d’ignorer son geste, sauf qu’étant le centre de l’attention, ce n’était tout simplement pas possible. Elle serra donc sa main de façon ferme… et rapide. À l’instant du contact, un flash frappa son cerveau, une vision s’imposa à elle, qui la mit très mal à l’aise. Rougissant légèrement, elle retira promptement sa main, et espéra que personne — surtout pas lui — ne s’était rendu compte de quoi que ce soit. Néanmoins, elle sut avec certitude qu’elle pouvait lui vouer une confiance totale. Elle avait senti qu’il était quelqu’un de droit sur lequel elle pourrait s’appuyer sans hésitation.
— Voici Emma Gaillard, José Cortez et Alex Delmas. Vous permettez que je termine mon débriefing ? Nous sommes un peu pressés par le temps.
— Bien sûr, je vous en prie, se contenta-t-elle de répondre.
— Emma, tu résumes ? lança-t-il alors à sa collègue.
— On a un gosse de deux ans retrouvé mort à son domicile, énonça la femme d’une trentaine d’années, pas très grande, à l’allure sportive, aux cheveux raides, mi-longs, châtain foncé, retenus par une queue de cheval, au visage avenant, mais à l’allure un peu hautaine. La mère était sortie avec le frère de six ans, le père était seul à la maison avec le petit Enzo. Il dit n’avoir rien vu, rien entendu et affirme qu’un cambrioleur a dû s’introduire chez eux, il ne voit pas d’autres solutions, sauf qu’on a de fortes présomptions selon lesquelles il aurait tué son fils, peut-être par accident. Il est actuellement en garde à vue. Je vais l’interroger de nouveau ce matin, mais il faut revoir la mère.
—Le petit est mort de quoi ? questionna Léna qui tentait de croiser le regard de sa nouvelle collègue en vain, l’autre s’évertuant à l’ignorer.
— Il a été frappé à la tête, précisa le dénommé Alex, l’homme le plus près géographiquement de Théo.
Il portait le même bouc que ce dernier, juste différencié par la couleur poivre et sel, tout comme ses cheveux coupés court. Grand, élancé, plutôt sec, son regard dénotait à la fois de la bonté et de l’intelligence. D’instinct, il inspirait la confiance et la sympathie.
— J’ai reçu le rapport d’autopsie ce matin, pas eu le temps de le lire. Il est sur ton bureau Théo, ajouta José Cortez, le trentenaire hispanique, habillé avec soin style latin lover, l’air sûr de lui, avec une pointe d’arrogance dans la voix.
— Je voudrais le lire avant d’aller voir Vincent Lucas ! le coupa Emma.
— Alex, du nouveau sur la mort du toxico ? relança Théo après avoir acquiescé à la demande d’Emma.
— L’autopsie a été repoussée à ce matin. Manque d’effectif chez les légistes aussi. Sur le terrain, aucun indice d’une présence extérieure, on n’a rien. On se dirige vers la thèse de l’overdose : classique ! Néanmoins, j’ai semé mes petits cailloux, on ne sait jamais, même si je n’y crois pas beaucoup.
— Il parle d’infos diffusées au compte-gouttes à ses indics, se sentit obligée de préciser Emma sur un ton doctoral.
— J’avais compris ! trancha Léna qui adoucit sa répartie d’un petit sourire, signifiant ainsi qu’elle n’était pas née de la dernière pluie.
Elle capta le haussement de sourcil amusé d’Alex, ainsi que son regard complice à Théo, le début de sourire de ce dernier, la fuite amusée de Corty de même que le pincement de lèvres d’Emma. Le ton était donné.
— Bon, tout le monde sait ce qu’il a à faire. Au boulot ! Léna, on peut se voir dans mon bureau ? Ensuite, je vous ferai visiter les locaux, lança Théo en sortant de la salle de réunion.
Elle le suivit sans répondre, il s’agissait plus d’un ordre que d’une proposition. Elle s’installa sur l’une des deux chaises disponibles devant son bureau. Il s’installa à sa place et resta un instant silencieux, juste à la regarder. Il ressentait un étrange malaise face à elle, qu’il ne savait ni définir ni expliquer…
— Tout d’abord, commença-t-il lentement, comme s’il cherchait ses mots, de sa belle voix grave, nous sommes une équipe soudée, nous travaillons ensemble en toute cohésion, dans une ambiance conviviale, dans la confiance, et le respect de l’autre. Nous nous tutoyons tous, ça te va ?
— Ça me va, répondit-elle un léger sourire aux lèvres. Je ne suis pas venue mettre le chaos dans une équipe, se sentit-elle obligée d’ajouter. Je souhaite vraiment m’intégrer dans le groupe et travailler avec vous tous dans de bonnes conditions.
— J’espère bien ! sourit Théo. Cependant, j’espère que tu t’entendras bien avec Emma. Elle a un petit caractère pas piqué des vers, mais c’est un bon flic. Et je sais aussi, d’expérience, que deux femmes dans une équipe, ce n’est pas forcément facile à gérer. Pourrais-je compter sur ta… bonne collaboration ?
— C’est marrant, je pensais que ça gênerait plus les hommes de travailler avec quelqu’un comme moi, que les femmes ! sourit Léna qui avait bien compris où voulait en venir Théo.
— Les hommes, je sais gérer, ironisa ce dernier. Et… on m’a parlé de ton parcours dans des écoles un peu spéciales…
— Ah ! Le sujet qui attise bien des curiosités, murmura Léna. Je ne suis pas voyante extralucide ni diseuse de bonne aventure, soyons clairs. Je ressens des choses au contact des gens, dans certains lieux, certaines situations. Ça prend des formes diverses. Disons que je suis… très sensible à certaines ondes. Les écoles, c’était pour apprendre à maîtriser tout ça. Rien de bien transcendant ! Je ne sais pas toujours expliquer pourquoi et comment je pressens parfois certains évènements. Jusque là, je me suis rarement trompée. Les autres sont au courant aussi ?
— Non, je n’ai rien dit pour l’instant. On a besoin de personnel supplémentaire, une recrue arrive, point à la ligne. Un peu jeune, soit ! ajouta Théo un sourire en coin.
— Si vous voulez remplacer des départs en retraite, c’est peut-être mieux d’accueillir des jeunes, non ? plaisanta Léna.
— Le pied serait d’embaucher des jeunes qui ont l’expérience des vieux ! précisa Théo. Nous allons beaucoup sur le terrain, donc ne te vexe pas si dans un premier temps, tu ne travailleras pas en solo, mais avec moi. J’insiste sur un point : je commande et tu obéis, sans te poser de questions ! Ça peut te sauver la vie, O.K. ? Et j’ai besoin d’être sûr des gens avec lesquels je travaille et à qui je confie parfois ma vie. On est d’accord ?
— Oui Chef ! Ou je dois dire oui Capitaine ? le taquina Léna.
— Théo, ça suffira… Voilà ton portable, les numéros de l’équipe sont enregistrés, on a le tien. Il doit rester allumé en permanence ! Tu as ton arme sur toi ?
— Non, je ne pensais pas en avoir besoin le premier jour…
— C’est la dernière fois ! Portable et flingue toujours sur soi, on est d’accord ?
— Oui Chef… Oui Théo ! se reprit-elle tout sourire face à sa grimace éloquente.
— Autre chose. Les mardi et jeudi, on a entraînement de dix-huit à vingt heures, quand s’est possible bien sûr. Entraînement aux techniques de combat le mardi, tir le jeudi. Ça se passe dans le bâtiment en face. On essaie au maximum de s’entraîner en équipe. Et souvent le vendredi, on se retrouve dans un bar voisin pour un verre ou deux ensembles. Ça aide à la cohésion d’équipe. Pour ce soir, tu n’as peut-être pas prévu, mais…
— J’y serai, j’ai apporté des vêtements de sport dans ma valise, approuva Léna. Je dois juste repasser à l’hôtel pour me changer.
— Bien, c’est sympa. Je te fais visiter les locaux ?
Léna le suivit sans un mot. Le bâtiment n’était pas très grand, elle mémorisa assez facilement les lieux, et surtout le distributeur de café, à mi-chemin entre leurs bureaux et la salle d’interrogatoire à laquelle ils parvenaient et dans laquelle procédait Emma. Ils s’arrêtèrent quelques minutes dans la petite pièce de surveillance qui la jouxtait.
— Est-ce que je peux voir le père avec Emma ? Si elle est d’accord bien sûr. Je veux dire… Je voudrais approcher le père, le regarder en face.
— O.K., vas-y ! accepta Théo, un début de sourire en coin. Je préviens Emma.
— Ce mec a vraiment des yeux fascinants, se dit-elle en détournant les siens.
Elle entra avec discrétion dans la salle d’interrogatoire après qu’il eut prévenu Emma par SMS. Elle s’adossa à la porte dans un premier temps, se tint dans le dos de sa collègue, sans intervenir. Elle put remarquer à quel point la jeune femme savait manier douceur et fermeté, à tour de rôle, afin de bousculer ou rassurer le suspect, selon les questions qu’elle lui posait. Elle observa avec attention l’homme interrogé, ses mimiques, la posture de ses mains, sa façon de bouger, de parler.
— Pourtant, d’après son institutrice et la psychiatre de l’école dans laquelle est inscrit Diégo, reprenait Emma d’une voix accusatrice, votre fils est d’une nature violente et jalouse…
— Je vous l’ai déjà dit. Enzo pleurait beaucoup, nous ne dormions pas suffisamment la nuit, sa mère et moi. Diégo commençait à souffrir de cette situation. Ce jour-là, j’avais un dossier important à boucler pour mon patron. J’ai enfermé Enzo qui pleurait sans arrêt, dans sa chambre. Je voulais qu’il se taise… je voulais juste qu’il se taise un instant, se mit à sangloter le père.
— Et quand c’est arrivé, qu’Enzo s’est tu, vous n’avez pas cherché à vérifier pourquoi ? le coupa Emma d’une voix plus douce. Vous vous êtes dit que Diégo avait enfin réussi à endormir Enzo. Ça vous a permis de terminer votre dossier.
— Non, hurla Vincent Lucas, j’étais seul à la maison avec Enzo. Diégo était avec sa mère ! Je suis entré dans la chambre et j’ai voulu lui mettre une fessée pour qu’il dorme ! J’étais hors de moi ! J’ai tapé…
Vincent Lucas ne put finir sa phrase, tant les sanglots l’étranglaient. Léna s’adressa soudain à Emma et à son interlocuteur :
— Vous voulez un café ?
Emma la dévisagea, surprise, puis parut comprendre ce que le regard de Léna lui suggérait.
— Oui, volontiers. Vous en voulez un aussi ? Deux cafés s’il te plaît, confirma-t-elle à Léna qui sortit sans attendre.
Elle revint bientôt avec deux gobelets chauds, en déposa un devant Emma et fit le tour de la table pour tendre le second gobelet au père du petit Enzo. Ce faisant, elle toucha sa main et laissa la sienne traîner sur celle du père plus longtemps que nécessaire. Devant l’interrogation muette qu’elle lut dans les yeux larmoyants de l’homme, elle lui conseilla :
— Buvez, ça vous fera du bien.
Puis elle sortit, jetant juste un regard à Emma, l’invitant à la suivre à l’extérieur. Théo n’avait pas lâché Léna des yeux, silencieux derrière la vitre sans tain. Il la vit le rejoindre sans que cela ne le surprenne, suivi d’Emma.
— Vous perdez votre temps avec le père, lança-telle. Il est innocent malgré ce qu’il clame. Il veut protéger quelqu’un. Son fils aîné peut-être. Il souffre beaucoup de la situation, toutefois il ne reviendra pas sur sa déposition.
— Tu as trouvé ça toute seule ? Le frère a six ans ! C’est encore, lui aussi un bébé, s’agaça Emma qui se tut face au geste de la main de Théo.
— Tu as vu quoi ? questionna ce dernier.
— Elle a vu ? s’écria Emma incrédule.
Théo la fit taire d’un geste et invita de la même façon Léna à parler.
— Ce sont plus des sensations, commença Léna gênée. Vous l’avez interrogé ?
— Le frère ? la coupa Emma. Je te rappelle qu’il n’a que six ans… Non, on ne l’a pas interrogé. De toute façon, il était avec sa mère au moment du meurtre.
— Est-ce que je pourrais me rendre chez eux, dans la chambre où on l’a trouvé ? J’aimerais rencontrer la mère et le gosse.
— On a déjà passé la chambre au crible, on n’y a rien trouvé, rétorqua Emma irritée.
— On y retourne quand même ! la coupa Théo, au point où on en est…
Emma les regarda partir, la bouche pincée, visiblement contrariée. En voiture, Théo contre-attaqua :
— Tu dis que tu vois des choses quand tu touches les gens, commença-t-il. C’était pour ça, le café, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que tu as vu en touchant le père ? reprit-il sans lui laisser le temps de répondre à sa question précédente.
— Le frère, Diégo, c’est ça ? Il est sujet à des troubles du comportement, le père le sait, c’est pour ça qu’il protège son fils, répondit Léna avec calme. J’ai vu Diego : il a enfoncé sa sucette dans la bouche du petit, et l’a maintenue avec fermeté, mais sa main lui a aussi bouché le nez, peut-être de façon involontaire. Il a regardé son petit frère se débattre et quand il a cessé, qu’il n’a plus bougé, il l’a lâché. C’est là que le petit est tombé et s’est cogné la tête contre la table de chevet. Seulement, il était déjà mort. Lorsque le père est arrivé, c’était trop tard.
— Et tu as vu tout ça juste en effleurant la main du père ? ironisa Théo, incrédule et perplexe, comme on voit dans le marc de café ? La mort est due au coup porté à la tête. Il n’est pas question d’étouffement…
— Je crois que tu n’as pas eu le temps de lire le rapport d’autopsie, n’est-ce pas ? Tu devrais y jeter un coup d’oeil, répondit Léna, toujours aussi calme et sûre d’elle.
Ils arrivaient au parking quand Théo s’arrêta net :
— O.K. ! Tu m’attends là deux minutes, je vais le chercher ! la défia-t-il.
Théo, le rapport d’autopsie sous le bras, lui tendit les clés de la voiture et s’installa sur le siège passager.
— Je conduis ? s’étonna Léna.
— Pourquoi ? Tu n’as pas le permis ? se moqua Théo.
— Si, mais je ne connais pas la région et…
— Je te guiderai, et puis il y a un GPS. Entre l’adresse de la famille Lucas, j’aurai le temps de parcourir en partie le rapport pendant ce temps.
Léna l’observait du coin de l’oeil tout en conduisant. Au bout d’une dizaine de minutes, elle vit ses sourcils se soulever et sa bouche s’entrouvrir. Il la fixa à son tour, l’air éberlué.
— Tu as lu ce rapport avant moi ? suggéra-t-il.
— Quand aurais-je pu le faire ? On est resté ensemble sans arrêt !
— C’est vrai, murmura-t-il. Waouh ! Si c’est une coïncidence, c’est balaise !
— Quoi ?
— La mort a été causée par étouffement. Le petit était mort quand il a pris le coup sur la tête ! confirma Théo.
— Je sais ! se contenta de répondre Léna, un sourire en coin.
Théo referma le rapport et poussa un soupir, le regard dans le vide. Lui qui était si incrédule, si méfiant par rapport à tout ce qui touchait au paranormal, tombait de haut. Il cherchait une solution scientifique, voire terre à terre, mais ne pouvait nier cependant que ses certitudes venaient d’être ébranlées. À moins qu’il n’y ait un truc…
La femme qui leur ouvrit la porte arborait les stigmates du chagrin. Elle devait être jolie, une petite trentaine. Mais ses yeux rougis et gonflés par les larmes la vieillissaient prématurément. Elle les fit entrer sans protester, leur proposa un café qu’ils refusèrent. Puis Théo prit la parole.
— Ma collègue souhaiterait de nouveau voir la chambre d’Enzo, nous permettez-vous d’y jeter un coup d’oeil ?
— Si vous voulez… mais vous n’avez rien trouvé la première fois. J’ai déjà répondu à toutes vos questions. Je dois aller chercher Diego à l’école d’ici une vingtaine de minutes…
— Ça ne prendra que très peu de temps, intervint Léna.
Sandrine Lucas acquiesça en silence et prit la direction de la chambre fermée. Elle ouvrit la porte et s’effaça pour laisser passer les deux policiers. Léna s’immobilisa au centre de la pièce et observa l’intérieur dans un mouvement circulaire. Elle fit quelques pas dans la pièce, puis s’adressa à voix basse à Théo.
— Il n’a pas été tué ici !
— Si ! En tout cas, c’est ici que ses parents l’ont trouvé…
Il s’interrompit alors qu’elle secouait la tête.
— Est-ce qu’Enzo se rendait dans la chambre de Diego parfois ? demanda Léna avec douceur.
— Non, jamais. Diego est un peu plus grand. Nous tenons à ce qu’il ait son endroit à lui… à lui seul. Nous ne voulions pas qu’il se sente envahi, débordé, par l’arrivée de son petit frère.
— Vous avez une salle de jeu alors ? Une pièce où vos enfants pouvaient se retrouver ?
— Oui… hésita la mère. Au fond du couloir, mais…
— Vous permettez ?
Léna s’y dirigea avant que la mère ait répondu et entra dans la pièce. Théo la suivit, mais resta sur le pas de la porte, avec la mère qui semblait nerveuse. Le sol au centre de la pièce était recouvert par un épais tapis. Tout autour, des étagères supportaient tout un tas de jouets, des livres, des petits cartons. Léna y déambula quelques secondes avant de demander un verre d’eau à l’hôtesse. Celle-ci s’éloigna sans rechigner. Léna s’immobilisa au centre de la pièce. Elle ne bougea pas d’un cil pendant de longues minutes. À tel point que Théo l’interpella. Elle ne répondit pas. Il la rejoignit, se posta devant elle et fut pris d’un frisson étrange. Son regard restait fixe et vide. Il passa sa main devant ses yeux, pourtant elle ne cilla pas plus. Avec douceur, il posa sa main sur son épaule. Elle sursauta légèrement et ses yeux semblèrent reprendre vie.
— C’est dans cette pièce qu’il a été tué, murmura-telle. Regarde !
Elle montra du doigt une tache brunâtre sur le coin d’une petite table basse en bois : du sang. On avait tenté de la nettoyer, mais une auréole persistait. Elle baissa les yeux et effleura le tapis du bout des doigts, lui montra une seconde auréole plus claire sur le tapis.
— Merde ! murmura Théo en la dévisageant. J’appelle l’équipe technique.
— Non, plus la peine, tout a été nettoyé, à part ces deux taches… Il faut qu’on voie le frère sans la mère ! ordonna Léna.
— Merci Madame, s’adressa le capitaine à la mère qui venait de réapparaître, prenant le verre et le tendant à Léna. Nous allons nous rendre à l’école pour voir votre fils et nous vous le ramènerons tout de suite après à la maison.
— Non ! Je ne souhaite pas que vous parliez à Diego. Il a été très perturbé par la mort de son petit frère, laissez-le tranquille ! s’opposa la mère sur un ton devenu agressif, se tordant les doigts instinctivement.
— Ce n’était pas une question, Madame, la coupa Théo d’un ton à la fois doux et ferme. Ne vous inquiétez pas, nous n’en aurons pas pour longtemps, nous ne voulons que lui poser une ou deux petites questions et nous le ferons en présence de son institutrice. Si vous vous y opposez, nous serons contraints de le convoquer au commissariat et ce sera beaucoup plus perturbant pour lui, croyez-moi !
— Madame Lucas, Diego est-il suivi par un psychiatre ? questionna soudain Léna.
— Ça n’a rien à voir, rétorqua Sandrine Lucas avec agressivité. Diégo est un peu… dyslexique. C’est un enfant renfermé. Il n’a rien à voir dans cette histoire. Laissez-le tranquille !
— C’était une simple question Madame, fit mine de s’excuser Léna qui gagnait la porte.
— Comment tu as su pour la salle de jeu ? interrogea Théo dès qu’ils furent dans la voiture.
— La chambre est clean. Pas d’onde, pas de trace. Je ne ressentais pas la mort à l’intérieur.
— Parce que tu… ressens la mort ? s’amusa-t-il.
— Non, pas vraiment. Je ne sais pas l’expliquer. Je ressens des choses, mais ce sont des sensations. C’est difficile de les décrire. Vous vous êtes renseignés sur le gosse ? Vous avez rencontré le psychiatre ? Le père comme la mère disent que leur fils est perturbé ! Pas choqué, perturbé !
— C’est un effet de langage. Tu ne peux pas te baser sur des ressentis ! la sermonna Théo. Et non, on n’a pas rencontré le psychiatre, car jusque là, on ne savait pas qu’il en voyait un. Pourquoi veux-tu voir le gamin ? Tu t’attends à quoi?
— Quand la mère a protesté, elle n’a dit à aucun moment qu’il n’était pas là ! Je suis sûre qu’il était présent et que c’est lui qui a tué son petit frère, peut-être par accident, mais il l’a fait. Je veux le faire avouer, ou plutôt voir comment il explique ce qu’il a fait.
— Tu plaisantes ? s’étonna Théo qui se tourna à demi pour lui faire face. Tu penses que c’est le frère le coupable ?
— Je ne pense pas, je le sais. Je l’ai vu dans cette pièce. J’ai vu ce qui s’est passé, comme si j’étais là au moment où ça s’est passé.
Théo la dévisagea, partagé entre l’envie de se moquer d’elle et de la croire. Pourtant, ses yeux à elle ne riaient pas, ils dénotaient une arrogante assurance.
— Tu as vu la scène ? C’est ce que tu faisais quand… enfin, on aurait dit que tu… comment dire… que tu n’étais plus là, tenta-t-il d’expliquer.
— Oui. En fait, je… Je sais que ça paraît incroyable, et que tu ne vas peut-être pas me croire, mais d’un autre côté, c’est ma façon de travailler et il va falloir s’y habituer. Je sors de mon enveloppe charnelle si je peux m’exprimer ainsi. En effet, je ne suis plus là. Je me laisse imprégner par les ondes, l’ambiance. Pour ça, il faut que je sois sur le lieu du crime. J’essaie de rentrer dans l’esprit du meurtrier, ou de la victime, ça dépend. Seulement, ça ne marche pas toujours.
Théo soupira dans un demi-sourire incrédule. Il parut vouloir ajouter quelque chose, toutefois il ne le fit pas. Il secoua la tête comme s’il s’agissait d’une farce. Une dernière fois, il plongea son regard dans celui de Léna, mais le détourna vite. La sensation qu’il éprouva de façon brutale n’était pas celle qu’il attendait. Il était troublé, très troublé. Et il n’avait pas l’habitude de ressentir ce genre d’émotion.
Arrivés devant l’école, Théo lui fit signe de passer devant, de manière à lui faire comprendre qu’il lui laissait prendre les rennes, il se contenterait d’observer. Elle prit ça comme une sorte de test. D’accord, ça lui allait bien. D’entrée, elle demanda à parler à la directrice, qui les reçut sans délai.
— Diégo Lucas… oui, bien sûr, le pauvre petit ! Je me doutais que la police voudrait lui poser des questions, mais… c’est délicat !
— Ne vous inquiétez pas, je serai très diplomate et je le questionnerai tout en douceur.
— Je n’en doute pas, reprit la directrice avec un sourire. Cependant Diégo est un enfant un peu difficile, il est suivi par la psychologue scolaire et bénéficie de la présence d’une aide éducative. Il voit aussi un psychiatre.
— Il est donc suivi pour une raison médicale ? demanda Léna qui jeta un regard entendu à Théo.
— Il est en effet sujet à des troubles du comportement, il souffre d’une absence d’empathie, une sorte de sociopathie. Il est incapable de discerner le bien du mal. Sa maman nous a d’ailleurs rapporté que les pleurs de son petit frère le faisaient d’abord rire, puis le mettaient dans une rage folle. Son institutrice a signalé à plusieurs reprises que Diégo souriait lorsqu’il voyait ses camarades souffrir lors d’une chute ou de coups reçus, à tel point que des parents d’élèves se sont soulevés et ont demandé que Diégo soit renvoyé. C’est à la suite de ces évènements qu’il a commencé à être suivi médicalement.
— Pensez-vous qu’il ait été capable de mettre fin aux jours de son petit frère ? questionna Léna.
— Oh, on n’en est pas là ! s’offusqua la directrice. C’est un enfant un peu perturbé, certes. Mais un gamin de six ans ! Il est renfermé et ne montre pas ses sentiments. Toutefois, je le sens quand même particulièrement troublé ces derniers temps.
— Il est triste ? Il montre de la culpabilité ?
— Je ne saurais dire s’il est triste… et je ne vois pas vraiment de culpabilité dans son attitude ou dans ses propos.
— Oui, comme un sociopathe en quelque sorte, s’opposa Léna.
La directrice ne répondit pas, néanmoins, Léna vit dans ses yeux qu’elle doutait de ses propres dires et que son absence de réponse lui permettait de ne pas répondre par l’affirmatif.
— Je voudrais lui parler, vous pouvez le faire venir dans votre bureau ?
— Je vous l’amène dans la salle de jeu, ce sera moins stressant pour lui, accepta la directrice. Par contre, je resterai dans la pièce, je n’interviendrai pas. Je vous demande juste de prendre des gants avec lui. Ce n’est qu’un enfant et…
— J’en suis consciente, faites-moi confiance, sourit Léna.
La directrice les conduisit à la salle de jeu avant de partir chercher Diégo.
— Tu me laisses faire, d’accord ? demanda Léna à Théo.
— Bien sûr, je reste en arrière. Vas-y doucement avec le gosse !
La directrice fit entrer Diégo dans la salle, le laissa se diriger vers une caisse de jouets, puis lui expliqua en quelques mots que la dame présente allait lui poser des questions, qu’il devrait lui répondre gentiment, et qu’ensuite, il rentrerait chez lui. Diégo lui lança un regard courroucé, prit quelques briques Lego et s’installa sur une petite table. Il entreprit de les empiler, sans un regard pour personne. Léna s’approcha doucement de lui et commença à lui parler. Il ne répondit d’abord pas. Puis s’énerva sur une pièce qui ne rentrait pas à l’endroit où il avait décidé de la mettre. Il la jeta par terre avec violence.
— Pourquoi tu jettes ce jouet ? Tu ne l’aimes pas ? questionna Léna.
— Il est pas gentil, il faut le punir.
— Et quand tu n’es pas gentil, toi, il faut te punir aussi ?
— Diégo est gentil, il ne crie pas ! grogna l’enfant, le visage baissé, refusant de croiser le regard de qui que ce soit, comme s’il s’isolait, s’il ignorait volontairement les autres.
—Tu étais fâché contre Enzo parce qu’il criait ?
— Je suis pas fâché… Enzo est bébé, Diégo il doit lui montrer.
— Tu lui as montré quoi, à Enzo ?
— J’ai rien fait !
— Moi, le coupa Léna en s’asseyant par terre face à lui, si j’avais un petit frère qui pleurait tout le temps, je lui apprendrais à se taire.
Pour la première fois depuis le début de la conversation, Diégo leva les yeux, les planta dans ceux de Léna et l’observa longtemps.
— Pourquoi t’as une couleur ? demanda-t-il enfin.
— Tu vois ma couleur ? répondit Léna d’une voix calme. Moi aussi je vois la tienne !
— Elle est blanche ta couleur, se contenta de lancer Diégo
La directrice et Théo se dévisagèrent sans comprendre, cependant aucun des deux n’interrompit leur conversation qui prenait une tournure étrange.
— La tienne, elle est bleu clair, précisa Léna, mais elle change quand tu ne dis pas la vérité, tu sais ? Elle devient rouge quand tu dis un mensonge.
— Je dis pas des mensonges !
— Ben, quand tu dis que t’as rien fait à Enzo, elle est rouge ta couleur.
Le visage de Diégo se renfrogna. Il resta longtemps silencieux, avant d’ajouter :
— Papa il a dit que je dois dire à personne ce que j’ai fait.
— Ouais, mais moi je sais… Je sais que t’as pas fait exprès ! Tu voulais juste lui donner sa sucette, tu voulais plus qu’il pleure.
— Oui, mais il la crachait tout le temps sa sucette, alors je l’ai tiendue sur sa bouche très fort !
Les gestes de Diégo devenaient violents alors qu’il mimait la scène. Les dents serrées, le visage rouge de colère, il continua à expliquer à grands gestes ce qui s’était passé.
— J’ai appuyé comme ça pour pas qu’y bouge, pis quand y bougeait plus, je l’ai jeté par terre. Je l’ai puni !
— Tu lui as fait très mal, tu sais ? murmura Léna, réprimant un violent frisson.
— Oui ! vociféra Diégo. Et il est parti… loin dans le ciel. Y pleure plus !
— Tu sais que ce n’est pas bien ce que tu as fait ? tenta encore Léna
Diégo serra les dents très fort, tout comme ses poings qu’il tint à hauteur de son visage et grogna comme une bête pour montrer son mécontentement. Ce fut le moment que la directrice choisit pour interrompre la discussion. Elle demanda à Théo et Léna de quitter la pièce, afin qu’elle puisse calmer l’enfant.
Dès que Léna l’eut rejoint, Théo appela Emma pour la mettre au courant de ce qui venait de se passer :
— Ah, Théo, j’allais t’appeler ! déclara la jeune enquêtrice qui avait décroché à la première sonnerie. Le père vient d’avouer. Il a pété un plomb et n’a pas senti sa force, il voulait juste secouer un peu le petit et…
— Stop Emma ! Diégo a avoué. Le gosse est sociopathe avéré ! Le père tente juste de le protéger.
— … Tu plaisantes ?
— Non ! Je lance la procédure pour faire interner le petit. On vient d’appeler la mère et la psy qui le suit. Mets au courant le père, relâche-le et rejoignez-nous tous les deux, je te donnerai plus de détails quand tu seras là.
— … O.K. ! se contenta de répondre Emma, abasourdie.
— Pour le coup, s’adressa-t-il cette fois à Léna, tu as été relativement impressionnante ! C’est quoi cette histoire de couleur ?
— Notre aura ! On en a tous une, on dégage une énergie que peu d’humains perçoivent, contrairement à beaucoup de jeunes enfants.
— Pourquoi les enfants la percevraient plus que les adultes ? sourit Théo.
— Parce qu’ils ont un esprit pur, qu’ils n’ont pas encore d’a priori, qu’ils ne se cachent pas derrière des préjugés. Ils ne sont pas encore conditionnés par une culture, une croyance, une éducation, ils sont prêts à voir tout ce qu’il est possible de voir.
— C’est intéressant comme façon de percevoir les choses, murmura Théo, mi-ironique, mi-admiratif. Elle est comment ma couleur ?
— C’est un peu plus compliqué que ça, se mit à rire Léna. Certaines personnes cachent leur énergie comme pour protéger leur intimité, comme par pudeur… et se planquent derrière une façade terre à terre !
Théo émit un petit rire. Pour la première fois de la journée, il quittait son masque sérieux et concentré, ce qui permit à Léna de découvrir un magnifique sourire plein de charme et de jolies petites fossettes au creux de ses joues. Elle se fit la réflexion que son chef était vraiment un très bel homme, et c’était loin d’être désagréable.
— Il s’est enfin calmé, annonça la directrice en les rejoignant dans le couloir. Qu’est-ce que vous allez faire de lui maintenant ? s’inquiéta-t-elle.
— Il va être interné dans un établissement dans lequel il sera soigné. Diégo a besoin d’être suivi, lui expliqua Théo.