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L'Histoire de l'Église ne tourne pas dans un cercle indéfiniment recommencé, parce que, selon la promesse prophétique, elle progresse inéluctablement vers le retour visible de Jésus-Christ. Et cependant il semble aujourd'hui que l'animosité générale envers les chrétiens, leur persécution à outrance dans plusieurs parties du monde, se répète identique à celle des premiers siècles ; avec toutefois un changement d'échelle : ce sont à présent des millions d'Asiatiques, d'Indiens, d'Orientaux qui se convertissent au christianisme malgré les menaces, et qui ne renient pas leur foi sous la torture. Cette spirale de l'Évangile doit finir par englober l'humanité entière, faisant ainsi le tri entre hommes de bonne volonté et rebelles. C'est pourquoi l'étude de son cycle primitif, de la mort des apôtres jusqu'à l'institutionnalisation du christianisme, sous Constantin, est si intéressante et si riche en parallèles pour notre époque troublée. Cet ouvrage compilé par Edward Backhouse (1808-1879), édité par Charles Tylor (1816-1902), traduit en français par Paul de Félice (1848-1911), a conquis le public au XIXe siècle par ses qualités de clarté, de simplicité et de consciencieuse documentation ; sa valeur reste entière. Cette numérisation ThéoTeX reproduit l'édition de 1886.
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Seitenzahl: 729
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322472994
Auteur Edward Backhouse. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Ce livre est une traduction ; il n'est, ne veut être et ne devait être que cela. Lorsque nous avons accepté la tâche de traduire, nous avons promis de nous montrer scrupuleux. Nous ne pensons pas avoir failli à cet engagement.
Peut-être nous sera-t-il permis de reproduire ici une phrase ou deux de l'Introduction d'un opuscule allemand, que nous traduisions en 1876. « En premier lieu, disions-nous, comme le lecteur ne tardera pas à s'en apercevoir, nous avons sacrifié l'élégance, et même, si nous n'avons pu faire autrement, la correction à la fidélité. Puisqu'un traducteur doit être un traître, nous préférons trahir notre langue, que chacun connaît, que la pensée de notre auteur. » Notre méthode n'a point changé. Tel l'ouvrage nous a été remis en anglais, tel nous le donnons en français. Si donc nous nous sentons responsable de la forme, quelle qu'elle soit, nous laissons aux auteurs toute la responsabilité du fond.
Si maintenant nous étions appelé à donner notre opinion sur l'ouvrage lui-même, quelques lignes suffiraient à la résumer. Ce qui en fait, à nos yeux, le très réel mérite, c'est qu'il abonde en détails sur la situation intérieure de l'Église primitive. Sans doute les destinées extérieures de l'Église y occupent leur place normale, mais l'effort des auteurs a porté sur le côté intérieur et intime de son histoire. Leur œuvre en tire donc un caractère et une importance à part.
Nous laissons à la Préface — la seule partie de l'ouvrage (sauf les notes) pour laquelle nous ayons demandé et obtenu une plus grande liberté en faveur du traducteur — le soin d'expliquer pourquoi deux auteurs ont coopéré à cette œuvre, et d'indiquer le but spécial qu'ils ont poursuivi. Quant aux gravures, aux photographies et aux chromolithographies, qui font du volume un ouvrage de luxe, nous croyons inutile d'insister sur l'intérêt qu'elles y ajoutent et l'originalité qu'elles lui donnent. La presse et le public anglais ne s'y sont pas trompés, et au bout d'une année il fallait songer à préparer une seconde édition. C'est celle qui a servi à notre traduction.
Pourquoi, d'ailleurs, une histoire ecclésiastique ne serait-elle pas en même temps un ouvrage de luxe ? Pourquoi serait-elle nécessairement trop austère ou aride ? Pourquoi, laissant à l'école la science pure et l'érudition, qui doivent, de toute nécessité, y trouver leur place, ne rendrait-on pas la connaissance des annales de l'Église chrétienne plus désirable pour le public en général, en la rendant plus attrayante ? Pourquoi, enfin, ne saurait-on pas gré aux auteurs de l'Église primitive d'avoir voulu joindre à la sûreté des renseignements le charme qu'offre toujours un beau livre ? Si l'on y regarde de près, on trouvera que, en s'imposant de si lourds sacrifices pour atteindre ce résultat, les auteurs ont poursuivi un but noble et élevé. Membres de l'Église chrétienne, ils ont voulu la faire aimer, et, pour la faire aimer, la faire connaître. Au fond, c'est le seul bon moyen.
Puissent leurs efforts dans ce sens, si bien secondés, pour cette traduction, par ceux de l'éditeur français, ne pas être restés stériles !
Deux préfaces distinctes ouvrent le volume dont la traduction est offerte aujourd'hui au public français. La première en importance, qui seule figure dans la première édition, est consacrée à une esquisse rapide de la vie de M. Edward Backhouse et du but de son ouvrage. Elle est due à la plume autorisée de M. Thomas Hodgkin. La seconde, bien plus courte, est de M. Ch. Tylor. Il y expose, en quelques lignes, les modifications apportées à la seconde édition. Nous les fondrons en une seule, en donnant la priorité à celle de M. Hodgkin.
Edward Backhouse, fils de Edward et de Mary Backhouse, naquit à Darlington en 1808. Il n'était encore qu'un tout jeune enfant lorsque ses parents vinrent se fixer à Sunderland. C'est là qu'il reçut son éducation première et que, peu a peu, son activité, son ardeur au travail, son zèle pour le bien et les intérêts de ses concitoyens, et, par-dessus tout, sa valeur morale et sa piété firent de lui l'un des citoyens les plus influents de cette industrieuse cité. Il appartenait à une ancienne famille de négociants ; mais, bien que co-propriétaire de houillères et d'une maison de banque, il s'occupa peu d'affaires lui-même. De très bonne heure, il désira pouvoir consacrer son temps et ses forces à des œuvres philanthropiques ou religieuses. Il aimait aussi passionnément l'histoire naturelle, voyageait beaucoup et peignait le paysage avec un remarquable talent. S'il n'était pas un orateur de profession, il savait, cependant, parler à propos, et sa parole simple, énergique, franche, cordiale, manquait rarement de gagner l'oreille d'une assemblée populaire. S'il l'eût désiré le moins du monde, il aurait certainement pu faire partie du Parlement, à titre de représentant de Sunderland. Il eut alors siégé dans les rangs du parti libéral, et montré que sa parfaite courtoisie en politique n'excluait pas une non moins grande perspicacité.
Edward Backhouse était membre de la Société des Amis, à laquelle, depuis plusieurs générations, ses ancêtres avaient appartenu. On peut dire qu'il en professait les principes avec enthousiasme. Pendant de longues années il occupa parmi eux la situation de ministre. On sait que les Amis, ou Quakers, n'ont pas, à proprement parler, de corps ecclésiastique constitué et salarié. Ce sont les membres du troupeau eux-mêmes qui, s'ils s'y sentent appelés, prêchent et visitent. Après une sorte de temps d'épreuve, si leurs dons et leur vocation sont jugés suffisants, ils sont reconnus ministres.
Mais, même alors, ils ne constituent pas un clergé distinct des laïques, et, malgré leur situation spéciale de ministres, ils sont et restent des fidèles comme les autres.
[Le lecteur français désireux de connaître plus à fond les principes et les usages religieux des Quakers, en trouvera un exposé suffisant, quoique succinct, dans la Biographie de William Allen, par G. de Félice. Paris et Toulouse, 1869.]
Edward Backhouse faisait remonter sa conversion à la trentième année de son âge. Jusqu'alors sa vie avait été pure et sans tache selon le monde. Mais c'est à trente ans, seulement, qu'il se sentit appelé d'une manière plus positive à se consacrer au service de Christ. Ce fut d'abord en qualité d'ancien. A ce titre, il accompagnait les ministres dans leurs voyages missionnaires, leur donnait des avis touchant leur activité spirituelle et devait au besoin, en même temps que ses collègues, éclairer le choix de la congrégation sur les candidats au ministère, en indiquant ceux dont les dons pouvaient être encouragés et utilisés, et ceux qui paraissaient s'être mépris sur leur vocation.
En 1842, un événement que nous allons raconter, et dans lequel il n'hésita pas à voir la main providentielle de Dieu, donna une impulsion toute nouvelle à sa vie spirituelle. Il devait accompagner son oncle, William Backhouse, dans une visite aux congrégations quakers de Norvège. Deux ou trois jours avant le départ, au moment où W. Backhouse se lève pour prêcher, il tombe sans connaissance et meurt sur la place. Naturellement, le projet de voyage est abandonné… Peu de jours après, on apprenait que le steamer sur lequel ils devaient s'embarquer, le jour même des obsèques de W. Backhouse, avait sombré et s'était perdu corps et biens. Personne n'avait échappé à la mort.
Ce ne fut pourtant qu'en 1852 qu'Edward Backhouse, alors âgé de quarante-quatre ans, commença à prêcher et fut « reconnu » ministre. Il devait exercer ces fonctions pendant plus de vingt-cinq ans. Tel il était lui-même, telle était sa prédication. Aucune recherche oratoire, mais une élocution simple et facile ; beaucoup de sérieux et de force. Parmi les sujets qu'il traitait de préférence, il en est deux sur lesquels il revenait plus fréquemment. Le premier était une exhortation pressante aux fidèles de passer de l'enfance de la foi à la vraie virilité chrétienne, à la croissance parfaite en Christ. Le second, le bonheur du croyant. « Plus je suis resté fermement attaché à mon fidèle guide, disait-il lui-même en parlant de sa vie après sa conversion, mieux j'ai compris la beauté de la sainteté, la glorieuse splendeur de la Canaan céleste, la douceur, la sécurité, la paix, que donne la communion avec Jésus. » Paroles remarquables comme caractérisant sa vie tout entière et son ministère, et qui le font, en quelque sorte, revivre devant les yeux de ceux qui l'ont connu et entendu !
Vers le milieu de sa carrière terrestre, il épousa Katharine, fille de Thomas et de Mary Mounsey. Leur union resta stérile. Mais Edward Backhouse aimait trop les jeunes gens pour ne pas chercher à en avoir autour de lui. Aussi s'entourait-il des enfants de ses proches parents ou de ses amis, paraissant parfois le plus jeune d'eux tous. Il les prenait avec lui dans ses voyages en Angleterre ou sur le continent, et devenait pour eux, grâce à son amour profond pour la nature et à son esprit d'observation, le plus agréable et le plus utile des compagnons de voyage.
Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède, comme on serait tenté de le faire, qu'Edward Backhouse menât une vie toute d'agrément. Non, il n'en était point ainsi. Très préoccupé de toutes les tristesses et de tous les vices des grandes villes, et particulièrement de ceux du grand port de mer près duquel il habitait, il consacrait à les alléger ou à les corriger une grande partie de son temps et de ses efforts. Ni considérations de santé, ni considérations d'argent ne l'arrêtaient. Il avait le dévouement énergique. Dieu bénit cette activité, et une grande salle missionnaire (mission-hall), élevée à ses frais dans l'un des quartiers les plus pauvres et les plus déshérités de Sunderland, devint le rendez-vous d'une congrégation nombreuse et le centre d'une œuvre importante de régénération spirituelle et morale. Inutile de dire toute la part personnelle qu'y prit Edward Backhouse lui-même.
Il ne nous reste plus maintenant qu'à indiquer brièvement les motifs qui le déterminèrent à entreprendre l'ouvrage offert au public anglais, puis au nôtre. Citons d'abord les lignes qu'il écrivait le 2 mars 1879, peu de temps avant sa mort : « Vers le deuxième moisa, ou environ, de l'année 1874, j'étais un jour debout à peindre dans mon cabinet de travail, lorsque la pensée d'employer les loisirs des dernières années de ma vie à composer un ouvrage sur une période de l'histoire de l'Église s'imposa à mon esprit. Je crus qu'elle m'était inspirée par le Seigneur. Il fallait, pensais-je, donner au public chrétien, sous une forme populaire, une explication motivée des principes et des usages religieux de la Société des Amis. Aussitôt, je me mis à l'œuvre. Je commençai par étudier l'histoire ecclésiastique en général, celle des Quakers m'étant parfaitement connue. Je ne tardai pas à m'apercevoir que les conclusions, évidentes à mes yeux, de certains faits de cette histoire, différaient profondément de celles d'historiens éminents. J'en conclus que je devais essayer d'écrire moi-même une histoire du Christianisme, ne doutant pas qu'il pourrait être utile de montrer quels avaient été les principes et les coutumes des anciennes Églises, envisagés d'un point de vue quaker, et en les comparant d'aussi près que possible aux précédents apostoliques. »
[C'est ce qui explique l'abondance, peut-être excessive, des citations. Il fallait mettre, en quelque sorte, les pièces du procès sous les yeux du lecteur.]
Edward Backhouse se mit alors à lire, page à page pour ainsi dire, les vingt-trois volumes de l'Ante-Nicene Christian Libraryb, ayant abandonné depuis trop longtemps ses études classiques pour lire les textes eux-mêmes. Non content de cela, il étudia de près les histoires ecclésiastiques d'Eusèbe, de Socrate le Scholastique, de Sozomène et de Théodoret et enfin, parmi les modernes, les ouvrages de Du Pin, de Mosheim, de Néander, de Burton et autres.
L'éditeur de l'ouvrage, M. Ch. Tylor, n'a pas voulu s'en tenir là, et il a révisé, comme nous le disons ailleurs, la plupart des citations sur les textes originaux.
[Nous l'avons fait nous-même, naturellement, chaque fois que ces textes nous ont été accessibles. Cependant, à notre grand regret, nous n'avons pu le faire partout. — Ajoutons que, lorsque nous avons pu employer une traduction française déjà faite et bien faite, nous ne nous sommes pas cru obligé de nous en abstenir.]
Uni de cœur et de convictions à l'auteur premier de cet ouvrage, il a développé certains points trop sommairement traités, il a suppléé à certaines lacunes. Nous ajouterons ici que M. Tylor, après avoir fait ses études de droit et dû s'interdire, pour raisons de santé, toute carrière extérieure active dans ce sens, s'est voué à des travaux littéraires et à l'enseignement privé. En se chargeant de réviser pour l'impression l'œuvre de M. Backhouse, il n'a pas seulement honoré la mémoire d'un ami, mais il a obéi à un penchant inné pour les études d'histoire ecclésiastique. Bien que la part du travail personnel qui lui revient, dans cette œuvre collective, soit considérable, il a préféré ne pas distinguer ce qui est de lui de ce qui ne l'est pas. Mais le lecteur peut être certain qu'il a rempli avec un soin et une attention extrêmes la tâche qu'il avait assumée.
Les travaux entrepris par Edward Backhouse en vue de la réalisation de son projet occupèrent utilement les dernières années de sa vie. Peut-être même l'énergie et l'enthousiasme juvénile qu'il déploya dans ce nouveau champ de travail lui firent-ils dépasser les limites de ses forces. Preuve en soit, l'impossibilité où il s'est vu d'arriver au but qu'il s'était proposé. Il n'a pas pu écrire cette histoire de l'Église, telle que les Quakers, taxés d'hérésie par tant d'écrivains ecclésiastiques, la conçoivent d'après les documents qui ont survécu. Il n'a pas pu réaliser le désir, peut-être inconscient, de découvrir parmi ceux que l'ancienne Église stigmatisait comme hérétiques, les chrétiens avec lesquels il pouvait sympathiser. Il n'a pu, dans le passé, relever toutes les protestations que les envahissements progressifs du sacerdotalisme et du ritualisme avaient soulevées. Cette enquête, digne de tenter un savant encore jeune, reste à faire. A très peu d'exceptions près, les historiens ecclésiastiques ont été des hommes, qui se donnaient le nom si bien porté de catholiquesc, et les hérétiques ont ressemblé aux partisans d'une dynastie déchue, qu'on condamne, parce qu'ils n'ont pas le succès pour eux.
Dans le vaste tombeau sur lequel l'Église a écrit le mot hérésie, dorment côte à côte les représentants des opinions les plus diverses. S'il s'y trouve des antinomiens licencieux et des réactionnaires judaïsants ; ou encore des hommes cherchant à mettre d'accord le monde naturel et la révélation de Dieu en Christ ; on y rencontre, également, des défenseurs intègres de la liberté et de la spiritualité évangéliques, contre les prétentions sacerdotales ou les empiétements du paganisme. Ils sont là tous ensemble. Qui donc aura un jour la patience et la force d'aller chercher, dans ces obscures demeures, les vrais avant-coureurs de cette liberté de penser qui a renouvelé le monde au xvie siècle ? Qui rendra la vie à ces ossements desséchés et les transformera en une puissante armée ? Qui les séparera de ces docteurs de la licence et de l'immoralité, qu'on trouve toujours dans le sillage des grands mouvements religieux ?
Nous avons dit que la vie d'Edward Backhouse s'était terminée avant son œuvre. Sa santé déclina d'une manière sensible à partir de l'accomplissement de sa soixante-dixième année, sans cependant l'empêcher de vaquer à ses occupations habituelles. Espérant recouvrer des forces dans un climat plus doux, il vint à Hastings. Mais ses prévisions furent trompées. Il tomba gravement malade peu après, et, au bout de quatre jours, il rendit paisiblement son âme à Dieu.
Sa veuve lui a survécu jusqu'à ce jour. C'est elle qui a tenu à ne pas laisser son mari mourir tout entier, et qui a supporté les frais considérables des éditions anglaise et française de cette histoire. Le constater et l'en féliciter n'est que justice.
Elle a trouvé un appui cordial et éclairé dans M. Ch. Tylor, et le public anglais a sanctionné leur appréciation et leurs efforts en rendant bientôt une seconde édition nécessaire. A cette seconde édition, M. Tylor a joint une fort courte préface, dont le but principal est de signaler l'addition, comme appendice à la première partie, de la Didachè tout entière. Ce document, dont l'importance a été mise en relief ces dernières années, lui a paru avec raison avoir sa place marquée dans une étude historique, dont l'un des buts est de prendre sur le fait l'envahissement progressif du sacerdotalisme et du ritualisme. Il est, en effet, le reflet d'une période de transition. L'Église est déjà constituée ; le germe d'abus futurs existe, mais la simplicité primitive n'est pas encore vraiment compromise.
D'un autre côté, il remonte à une période particulièrement pauvre en documents, et cependant particulièrement importante. « Pierre et Paul, dit M. Tylor, ont été martyrisés vers l'an 67, et l'on peut dire (si l'on en excepte l'apôtre Jean, dans l'Asie Proconsulaire, dont la vie se prolonge durant une autre génération) qu'avec eux se termine l'âge apostolique. D'autre part, on donne à la première Apologie de Justin Martyr la date de 148, et à son martyre celle de 165. Irénée est évêque de Lyon en 177 et meurt en 202. Tertullien se convertit vers 185 et meurt en 220. Ces dates marquent donc deux époques distinctes, séparées par un intervalle de quatre-vingts ans ou environ, c'est-à-dire par un laps de temps plus que suffisant pour que des abus et des superstitions s'introduisent dans l'Église. Comment en douterait-on, quand on constate, du temps même de l'apôtre Paul, dans les Églises qu'il a fondées, des dégénérescences contre lesquelles il se voit obligé de protester, par exemple, chez, les Galates ? Il est probable que si les historiens ecclésiastiques et polémiques accordaient, à l'influence et aux conséquences de la période qui suit immédiatement l'âge apostolique, une place à la fois plus grande et plus légitime, bien des pages du présent volume n'auraient pas été écrites. Après tout, la phase primitive de l'Église chrétienne n'est pas une fiction, et ce n'est pas l'existence d'un certain ritualisme, un siècle environ après la clôture du canon du Nouveau Testament, qui la rendra telle. »
Au moment même où, conformément aux anciennes prophéties, les Juifs attendaient leur Messie, les Gentils arrivaient peu à peu à se rendre compte de la vanité de leurs idoles et de leur philosophie, et ils soupiraient après quelque chose de meilleur et de plus satisfaisant.
C'est alors que le Christ naquit à Bethléem ; alors que les bergers, inondés tout à coup, au milieu des veilles de la nuit, par le rayonnement de la gloire céleste, entendirent l'ange de l'Éternel leur dire : « Ne craignez point ; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie : c'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur… Et soudain il se joignit à l'ange une multitude de l'armée céleste, louant Dieu et disant : Gloire à Dieu dans les lieux très hauts et paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée (Luc2.8.14). » Ainsi, au temps fixé par le Père, le Seigneur descendit sur la terre et vint répandre la lumière glorieuse et bénie de l'Évangile.
Mais lorsque le Désiré des nations, le Messie si longtemps attendu fut arrivé, les chefs du peuple juif le rejetèrent. On ne voyait en lui ni éclat, ni puissance selon le monde. Il ne promettait aucune délivrance du joug odieux de Rome, aucune restauration du royaume d'Israël. Aussi les siens, vers lesquels il était venu, ne voulurent point le recevoir (Jean.1.21). Insensibles à ses miracles, sourds à ses vivifiantes paroles, ils refusèrent de l'accepter comme leur chef… Que dis-je ! ils demandèrent à grands cris au gouverneur romain de le crucifier, et Pilate fit crucifier le Fils de Dieu ! Mais Dieu le ressuscita en le délivrant des liens de la mort, parce qu'il n'était pas possible qu'il fût retenu par elle (Actes.2.24), et la prophétie de David, si riche en bénédictions, fut accomplie : Tu es monté en haut, tu as mené captifs les prisonniers, tu as pris des dons pour les distribuer entre les hommes et même entre les rebelles, afin qu'ils habitassent dans le lieu de l'Éternel Dieu (Psa.68.19).
A cette époque, la majeure partie du monde connu était assujettie à Rome et, si l'on en excepte les Juifs, tous les peuples étaient païens. Les grandes villes étaient ornées de superbes temples élevés en l'honneur des faux dieux, embellies par des images taillées sorties merveilleusement belles du ciseau d'un Phidias, d'un Praxitèle, et de tant d'autres immortels artistes.
Le Judaïsme, lui aussi, avait ses monuments religieux. Il avait son temple à Jérusalem ; il avait, dans maintes villes, d'imposantes synagogues aux piliers massifs, aux corniches richement sculptéesa. Ces synagogues, quel que fût d'ailleurs leur degré de magnificence ou de simplicité, étaient fort nombreuses. Partout où dix personnes s'entendaient pour en demander une, elle était ouverte. A Jérusalem seulement, on en comptait, paraît-il, 480. A Alexandrie, à Rome, à Babylone, en Asie Mineure, en Grèce, en Italie, partout, en un mot, on trouvait des lieux de réunion de ce genre, employés tour à tour à la célébration du culte ou à la discussion des affaires de la communauté.
[Stanley, Jewish Church, 3e partie, p. 463-5. — La synagogue, ou lieu de réunion, était aussi appelée ecclesia, et ce nom, comme on sait, servit ensuite à désigner les congrégations chrétiennes et le lieu où elles se réunissaient.]
Nous l'avons dit, les Juifs étaient dans l'attente, et les Gentils étaient affamés d'une nourriture spirituelle nouvelle, lorsque l'Évangile vint apporter aux uns et aux autres justement ce qu'il fallait pour satisfaire et cette attente et ces aspirations. Ce furent d'abord les Juifs de Jérusalem qui entendirent la prédication de la libre et complète rédemption par Christ, et le jour de la Pentecôte, « le nombre des disciples s'augmenta d'environ trois mille âmes » ; peu après, le nombre des hommes appartenant à l'Église était « d'environ cinq mille » ; un peu plus tard, enfin, l'auteur des Actes fait remarquer que « la parole de Dieu se répandait de plus en plus, le nombre des disciples augmentait beaucoup à Jérusalem et une grande foule de prêtres obéissaient à la foi » (Act.2.41 ; 4.4 ; 6.1). Puis, lorsque l'Évangile eut été prêché à travers la Judée entière, l'apôtre Pierre, dans une vision divine, reçut l'ordre d'accompagner les hommes envoyés par Corneille et d'aller annoncer au centurion romain et à sa famille la bonne nouvelle du salut. Ainsi les Gentils furent admis à jouir des mêmes privilèges que les Juifs ; ainsi fut accomplie la promesse du Sauveur à Pierre : Je te donnerai les clefs du royaume des cieux… (Matt.16.19). Pierre s'en servit pour l'ouvrir aux Gentils, qui devinrent, eux aussi, les héritiers de Dieu et, « d'éloignés » qu'ils étaient, « rapprochés » par le sang de Christ (Eph.2.13).
Cette Église de Christ était « la colonne et l'appui de la vérité (1Tim.3.15) » ; elle était le royaume de Dieu sur la terre ; elle était une Église spirituelle et pas seulement une Église de professants ; elle était la famille et la maison de Dieu dans ce monde, unie par conséquent à sa famille et à sa maison dans le ciel, et seule vraiment universelle ou catholique. Que l'Église romaine se donne, s'il lui plaît, le titre de catholique : ce n'est qu'une usurpation. Tous ceux qui ont reçu le baptême de l'esprit, quelque nom qu'ils portent, font partie de la vraie Église catholique ; tous ceux, au contraire, qui n'ont pas reçu ce baptême, sont en dehors de l'Église, en dehors du corps de Christ, de quelque nom qu'ils s'appellent et quelque religion qu'ils prétendent professer.
A peine une année s'était-elle écoulée depuis l'ascension de Notre Seigneur, que ses disciples commencèrent à souffrir des persécutions à Jérusalem. Etienne, le premier, subit saintement le martyre des mains des Juifs incrédules. Saul était présent joignant son approbation à celle des autres et gardant les vêtements de ceux qui le faisaient mourir » (Actes.22.20). Mais le persécuteur trouva dur de « regimber contre les aiguillons » (Act.26.14), et, transformé bientôt par la grâce, il devint Paul, le grand apôtre des Gentils, puissant en œuvres et en paroles. Dix ans après, sur l'ordre d'Hérode Agrippa, Jacques, le frère de Jean, était mis à mort… « Cependant, nous disent les Actes, la parole de Dieu se répandait de plus en plus et le nombre des disciples augmentait » (Act.12.24). Les apôtres et les évangélistes, prenant différentes directions, parcoururent tout le monde connu et partout proclamèrent la bonne nouvelle. D'antiques traditions nous montrent Jean en Asie Mineure, Thomas chez les Parthesb, André chez les Scythes, Barthélémy dans l'Inde et Marc fondant l'Église d'Alexandrie. Ainsi ils s'en allèrent prêcher partout, « et le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la parole par les miracles qui l'accompagnaient » (marc.16.20). Leur maître avait parlé avec autorité et il en était de même pour eux. Partout à leur parole, des hommes passaient des ténèbres à la lumière, se dépouillaient du vieil homme et de ses œuvres, pour revêtir l'homme nouveau, qui se renouvelle dans la connaissance, selon l'image de celui qui l'a créé (Luc.4.32 ; Act.26.18 ; col.3.9-18).
Tels furent, au milieu du monde romain, de sa corruption croissante, de ses projets de grandeur et de conquêtes nouvelles, les premiers développements d'une société toute différente et infiniment supérieure. Sans que personne s'en doutât, le levain avait commencé son œuvre grandissante et triomphante ; partout il produisait de nouvelles institutions, de nouvelles espérances, une vie. nouvelle et meilleure. L'une après l'autre, les villes voyaient naître, suivant la glorieuse vision du poète, « des congrégations comme le monde n'en avait jamais vu et le ciel se penchait pour les voir ».
Citons, par exemple, celle qui, depuis l'an 58, se réunit à Corinthe chez Justus ou ailleurs(Act.18.77). Le mur de séparation qui, depuis 2000 ans, a empêché les Juifs et les Gentils de s'unir, est tombé ; on peut voir les uns et les autres entrer par la même porte, se donner le baiser fraternel, s'asseoir à la même table, rompre ensemble le pain et puiser au même plat ; on peut voir, réunis ensemble et ne formant qu'un cœur et qu'une âme, le chef de la synagogue, le trésorier grec de la ville et des fidèles de tout rang et de tout pays (Act.18.8 ; Rom.16.21-23). La femme relevée reçoit l'honneur qui lui est dû ; l'esclave trouve un refuge et devient un frère dans le Seigneur.
[La présence des femmes doit d'autant plus être signalée, qu'il n'est pas sûr que les femmes, à cette époque-là, mangeassent à la même table que les hommes, dans les maisons particulières. Il en est encore ainsi chez les Orientaux. Les esclaves formaient environ la moitié de la population.]
Tous s'entretiennent des saintes vérités que le monde ne soupçonne même pas ; discutent et organisent des plans hardis de conquêtes spirituelles ; puis, d'une seule voix, invoquent ensemble, au nom de leur Seigneur invisible mais présent, la bénédiction du Père céleste, en faveur d'une cause qui leur est si profondément chère.
Il ne nous est guère possible, à nous qui avons grandi au milieu de nations chrétiennes, de nous rendre compte de l'épaisseur des ténèbres païennes dont les premiers chrétiens étaient sortis. Non pas, hélas ! que le règne de l'obscurité soit fini, mais la lumière bénie de l'Évangile a forcé les plus odieuses manifestations du mal à chercher, pour ainsi dire, un refuge dans les antres les plus obscurs et dans les cavernes les plus sombres. Laissons donc un homme, resté païen jusqu'à l'âge mûr, écarter le voile et nous dire, autant qu'il nous sera possible de l'entendre, ce qu'était le paganisme.
[Nous reproduisons en la modifiant quelque peu la traduction de l'abbé Guillon, Biblioth. choisie des Pères de l'Église, t. V, p. 99 ss. Bien qu'un peu trop libre parfois, elle nous paraît cependant donner une idée exacte de la pensée de Cyprien, et ne pas manquer d'énergie.]
« Suppose, écrit Cyprien à Donat, que tu sois sur le haut d'une inaccessible montagne et que de là tu contemples le monde qui s'agite à tes pieds, que verras-tu ? Sur la terre, le brigandage infestant la voie publique ; sur la mer, des pirates plus redoutables que ses tempêtes ; partout la fureur des combats, la guerre divisant les peuples, et le sang humain coulant à flots. Tuer son semblable, crime de mort dans un simple particulier ; action grande et généreuse quand on se réunit pour le commettre. Et le meurtre est sûr de l'impunité, non pour être légitime, mais plus barbare.
Jette les yeux sur les villes. Quelle bruyante agitation, plus déplorable que le silence des déserts. On vous appelle aux jeux féroces de l'amphithéâtre, pour y repaître, par des spectacles de sang, une curiosité sanguinaire. Cet athlète fut longtemps nourri des sucs les plus substantiels : on l'engraissait pour le jour où il doit mourir à plus grands frais. Un homme égorgé froidement pour le plaisir des yeux ! Le meurtre érigé en science, transformé en étude, en usage ! Non seulement il faut commettre le crime, il faut en tenir école. C'est un état, c'est une gloire, de savoir tuer. Les pères contemplent leurs fils dans l'arène ; le frère combat et la sœur est parmi les spectateurs et, ô comble d'infamie ! une mère ne recule pas devant le prix élevé d'un spectacle pareil, pour assister aux dernières convulsions de son enfant. Ils ne soupçonnent même pas que ces divertissements impies, barbares et funestes, en font autant de parricides.
Arrête tes regards sur les représentations dramatiques qui se jouent sur le théâtre. Le parricide, l'inceste les plus monstrueux y sont reproduits sous des images qui leur rendent toute l'énergie de la réalité ; on a peur que la postérité n'oublie les horreurs dont le cours des siècles avait affaibli le souvenir. La comédie, à son tour, vient dévoiler les infamies commises dans l'ombre et enseigner celles qu'on y peut commettre. On prend leçon d'adultère en le voyant représenter. Excitée par la protection que les vices reçoivent de la licence publique, telle femme vient au théâtre : peut-être elle y était entrée chaste ; elle en sort criminelle. L'acteur le plus efféminé est le plus sûr de plaire. On y voit les coupables intrigues d'une impudique Vénus, d'un Mars adultère, d'un Jupiter, le premier des dieux par ses désordres autant que par son empire. Par respect pour ses dieux, on les imite ; le crime devient ainsi un acte de religion.
Oh ! si de ce point élevé où je t'ai transporté tu pouvais pénétrer dans l'intérieur des maisons, que d'impudicités, que de crimes secrets, dont il est impossible à des regards honnêtes de soutenir la vue ; que l'on ne pourrait même fixer sans en être le complice ; dont ceux-là même qui se les permettent sont les premiers à s'accuser, que du moins ils censurent sévèrement dans les autres, condamnant ainsi au dehors ce qu'ils se permettent pour eux-mêmes.
Peut-être penseras-tu trouver moins de désordres dans les sanctuaires de la justice ; mais regarde : tu vas y découvrir de quoi exciter encore davantage ton indignation et tes mépris. On a beau nous vanter les lois des Douze Tables, ces codes savants, qui ont prévu tous les crimes, établi tous les droits ; le sanctuaire des lois, le temple de la justice, repaires de criminels qui les violent sans pudeur ! Les intérêts s'y rassemblent, comme dans un champ de bataille. Les passions s'y déchaînent avec fureur… Le glaive, le bourreau, l'ongle de fer qui déchire, le chevalet qui désarticule, le feu qui dévore, tout cela est toujours prêt. Dans ce désordre, qui pense à secourir le bon droit ? L'avocat ? il ne s'occupe que d'artifice et d'imposture. Le juge ? ses suffrages sont à l'encan. L'un suppose un testament ; l'autre rend un faux témoignage. Ici des enfants sont évincés d'une succession qui leur appartenait ; là des étrangers sont substitués à des héritiers légitimes. Au milieu de tous ces criminels, c'est un crime d'être innocent !
Dira-t-on que nous choisissons tout ce qu'il y a de pire ? Voyons donc de plus près ce que le monde, dans son ignorance, environne de ses suffrages. Sous ce vernis brillant, que de méchanceté, que de mal ! On savoure à longs traits la coupe perfide dont la douceur séduit, et c'est la mort qu'on boit. Vois cet homme qui se croit tout éclatant, parce que son vêtement est radieux d'or et de pourpre. Que de bassesses il a faites pour arriver à cet éclat emprunté ! Combien il lui a fallu dévorer de hauteurs et de dédains ! ramper aux pieds des protecteurs, essuyer leurs caprices, pour se voir à son tour encensé par un vil troupeau d'adulateurs, dont les hommages s'adressent non pas à l'homme, mais à la place ! Et qu'il survienne une disgrâce, que le vent de la faveur change et les abandonne à leur propre nudité ; que de regrets déchirants, que de mécomptes cruels et de repentirs amers !
Vois encore de plus près ceux que tu appelles riches, parce qu'ils joignent héritage à héritage, qu'ils envahissent le domaine du pauvre pour agrandir le leur et l'étendre par delà toutes limites ; sans cesse accumulant or sur or, vois-les au milieu de leurs richesses, inquiets, tremblants, poursuivis par la peur qu'on ne vienne leur enlever leur cher trésor. Point de repos, point de sommeil tranquille. Les malheureux I ils ne sentent pas les chaînes dont ils sont garrottés ; que c'est leur or qui les possède, plutôt qu'ils ne possèdent leur or. Parlez-leur de largesses et d'aumônes ; ils ne savent ce que c'est que donner aux indigents. Et, par un étrange renversement d'idées, ils donnent le nom de biens à des choses qui ne leur profitent que pour le mal. »
[Cyprien, Epître I, vi-xii. Il manque à ce sombre tableau quelques-uns de ses traits les plus sombres. Ainsi les fréquents suicides, les odieux traitements infligés aux esclaves, les divorces, les infanticides. Sur ce dernier point, voici ce qu'écrit Tertullien : Bien que la loi interdise de tuer les enfants nouveau-nés, aucun crime n'échappe plus facilement à un légitime châtiment, au vu et au su, que dis-je ! grâce à la complicité de tout le monde… Et ailleurs : « Combien même de vos magistrats les plus intègres pour vous, les plus rigoureux contre nous, je pourrais confondre par des reproches trop fondés d'avoir eux-mêmes ôté la vie à leurs enfants aussitôt après leur naissance ! Cf. Apol., ch.9 ; Aux Nations, liv. I, ch. 15. — Juvénal (Sat. 6, dit que les dames romaines comptaient plus de divorces que d'années de mariage. — Nous parlons plus loin (ch. 18) de l'esclavage.]
L'exactitude de ce sombre tableau, qui n'est que le développement de celui de l'apôtre Paul dans l'Épître aux Romains (Rom.1.18-32), est confirmée par les païens eux-mêmes. « Le monde, dit un philosophe célèbre, est rempli de crimes et de vices. Les choses vont si loin, qu'on n'y saurait trouver de remède. On rivalise de méchanceté. Chaque jour la luxure augmente et la pudeur diminue. Foulant aux pieds tout ce qui est bien et sacré, le vice court partout où il veut. On ne se cache plus d'être vicieux. La méchanceté est devenue si effrontée, elle enflamme à ce point tous les cœurs, que l'innocence n'est plus seulement rare : elle est devenue introuvablec. »
C'est à peu près au moment où l'apôtre Pierre annonçait l'Évangile au païen Corneille et lui indiquait le meilleur remède au mal et au péché, que Sénèque le philosophe écrivait ces paroles amèresd !
L'idolâtrie, aussi bien sous sa forme classique à Rome ou en Grèce que dans ses rites sanglants en Phénicie ou dans son adoration de reptiles en Egypte, était la source de tous ces maux. Quelque sagesse, quelque beauté que l'on puisse trouver dans les fables de l'Olympe ; quel que soit le charme magique donné par l'art et la poésie à la mythologie de la Grèce, le Paganisme était et ne pouvait être que profondément corrompu. « Il est absolument impossible, dit un auteur modernee, de décrire en détail l'affreuse corruption de l'ancien monde païen. La pourriture de son sépulcre gardera plus sûrement ces horribles mystères. Et qui donc, d'ailleurs, ne comprend qu'une religion, avec de pareils dieux, contenait tous les germes possibles de mort morale ? le moins scandaleux de ses temples pouvait à peine être toléré dans les murs des cités. Il n'est pas un des vices odieux pour lesquels les Cananites abominables furent condamnés à disparaître et Sodome et Gomorrhe vouées à la destruction par le feu, qui ne souille le portrait que nous ont laissé de la Grèce et de Rome, des empereurs, des hommes d'Etat, des poètes et des philosophes. »
L'Église naissante ne fut pas longtemps exempte de difficultés et de divisions intérieures. Les Juifs convertis à Jérusalem étaient tous des zélateurs de la loi de Moïse (Act.21.20), et ils voulaient à tout prix en imposer le joug à leurs frères sortis du paganisme. Leurs efforts furent vains, en somme ; mais bien des églises eurent à traverser, à cause d'eux, de dures épreuves. Les Galates, par exemple, furent lents à comprendre qu'ils n'étaient plus esclaves, mais fils ; qu'ils n'étaient plus des enfants et que la loi n'avait été qu'un pédagogue ; en un mot, que la loi rituelle et cérémonielle de Moïse avait été abolie une fois pour toutes en Jésus-Christ. Affligé de leur attachement puéril aux observances extérieures, l'apôtre Paul s'écrie : « A présent que vous avez connu Dieu, ou plutôt que vous avez été connus de Dieu, comment retournez-vous à ces faibles et pauvres rudiments auxquels de nouveau vous voulez vous asservir encore ? Vous observez les jours, les mois, les temps et le » années ? Je crains d'avoir inutilement travaillé pour vous ! » Et ailleurs : « Êtes-vous tellement dépourvus de sens ? Après avoir commencé par l'Esprit, voulez-vous maintenant finir par la chair (Gal.4.9-11 ; 3.3) ? »
En l'an 64, et sur l'ordre de Néron, eut lieu la première persécution historique des chrétiens à Rome. On sait que cet empereur infâme accusa les chrétiens d'avoir mis le feu à la ville. Il avait trouvé ce moyen d'écarter les soupçons que tout le monde s'accordait à faire peser sur lui. Les habitants de la métropole n'avaient pas encore pu se faire une idée exacte du vrai caractère des chrétiens. Tous les confondaient avec les Juifs, et tous, lettrés ou ignorants, n'avaient pour eux que haine aveugle et mépris. Tacite, auquel nous devons le récit de cette persécution, appelle les chrétiens « une classe d'hommes détestés pour leurs abominations ». Du reste, comme c'est le premier auteur païen qui parle du christianisme d'une manière précise, nous allons citer le passage en entier. « Pour apaiser ces rumeurs, il [Néron] offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations, et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette exécrable superstition se débordait de nouveau, non seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d'infamies et d'horreurs afflue et trouve des partisans. On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincus d'incendie que de haine du genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d'autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle et donnait en même temps des jeux au cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés. »
[Annales, liv. XV, ch. 44. Tacite avait environ six ans lorsque la persécution eut lieu. Son témoignage est confirmé par Suétone, Néron,xvi. — Nous avons fait usage de la trad. Burnouf.]
Le cirque de Néron touchait à ses jardins. Maintenant la cathédrale de Saint-Pierre occupe cet espace, et le fameux obélisque de granit rouge, apporté d'Héliopolis par Caligula et aujourd'hui au centre de la place, était alors à la porte du cirque.
Plusieurs écrivains païens parlent de la torture de la chemise brûlante, à laquelle les chrétiens furent soumis. Sénèque dit qu'elle était enduite et en quelque sorte tissée avec des matières combustibles. Juvénal, dans un passage assez obscur, d'ailleurs, parle de ces malheureux qui, attachés à un poteau, brûlent debout et tracent, en fondant, un large sillon brûlant au milieu de l'arène (Ep. 14). L'Église, qui a conservé si peu de traditions authentiques de cette époque primitive, même en ce qui concerne les voyages et la mort des apôtres, ne nous dit rien des souffrances de ses enfants durant ces jours d'épreuves cruelles. Mais si, sur la terre, le nom de ces premiers martyrs reste ignoré, il est inscrit au ciel en même temps que le souvenir de leur foi, de leur patience et des tourments qu'ils ont soufferts dans leurs corps et dans leurs âmes.
La persécution se prolongea, avec des alternatives diverses, jusqu'à la fin du règne de Néron. La tradition rapporte que, vers l'an 67, Paul et Pierre furent mis à mort à Rome ou près de Rome, le premier par décapitation, le second par crucifixion. Il n'y a guère lieu de douter de l'exactitude de cette tradition en ce qui concerne Paul ; mais en ce qui concerne Pierre, les témoignages sont moins concluants. Il paraît certain que tous deux ont été martyrisés. Ce qui ne l'est pas, c'est que Pierre ait été martyrisé à Rome. Clément de Rome dit : « Pierre, après avoir supporté de nombreux travaux, souffrit à la fin le martyre… Paul, après avoir enseigné la justice au monde entier et atteint l'extrême limite de l'Occident, souffrit le martyre par ordre des préfets. »
« La tradition chrétienne, fait observer le chanoine Farrar au sujet de Pierre, devenant de plus en plus explicite à mesure qu'elle s'écarte du moment dont elle parle, nous a rapporté plusieurs détails, qui forment sa biographie telle que l'Église romaine l'accepte ordinairement… En réalité, tout ce qu'on peut savoir de précis sur la fin de sa vie est que très probablement il souffrit le martyre à Rome. »
[Farrar, The Early Days of Christianity, I, 113, 119 ; et Excursus, II, Cf. Neander, Planting of the Christian Church, I, 377-383, où la question est longuement examinée.]
Enfin l'heure arriva, où les prédictions de Jésus-Christ concernant Jérusalem allaient être accomplies et où cette ville allait être « investie par les armées (Luc.21.20-21) » Lorsque Titus s'avançait avec ses légions, les Judéo-Chrétiens, se souvenant des avertissements qu'ils avaient reçus, abandonnèrent en grand nombre la ville sainte, traversèrent le Jourdain et vinrent chercher un refuge à Pella et dans les villages environnants.
Eusèbe, H. E. Crusé, liv. III, ch. 5. Pella était la principale des dix villes de la Pérée, ou Décapole. On pense qu'elle était située où se trouve le rempart de ruines appelé Tubukat Fahil, qui domine la vallée du Jourdain, à 50 ou 60 milles au N.-E, de Jérusalem.
Josèphe nous informe que le siège de Jérusalem eut lieu au moment où la ville était remplie de la foule des Juifs venus de tout le pays pour célébrer la Pâque. Une si grande agglomération ne tarda pas à provoquer d'abord la peste, puis la famine, qui accrurent grandement l'horreur du siège. Tout ce peuple était enfermé dans la ville comme dans une prison, et il en résulta un carnage tel que jamais les hommes ou Dieu n'en infligèrent de pareil. Josèphe évalue à onze cent mille le nombre des morts et à quatre-vingt-dix-sept mille celui des prisonniers. Les jeunes hommes les plus grands et les plus beaux furent réservés pour le triomphe de Tite ; un grand nombre de captifs fut disséminé dans les provinces de l'empire pour servir aux jeux du cirque ; on vendit comme esclaves ceux qui n'avaient pas encore dix-sept ans, et le reste fut envoyé aux mines d'Egypte.
[Josèphe, Guerres des Juifs, liv. VI, ch. 9, et les notes de Whiston. Whiston estime que le nombre des Juifs réunis à Jérusalem a ce moment-là ne pouvait être inférieur à trois millions. Cette évaluation est basée sur ce que Josèphe affirme relativement aux agneaux mis à mort pour la fête, et sur le nombre des personnes qui se réunissaient pour un agneau. A l'en croire, on immola 236 800 agneaux et, pour chacun, il y avait dix personnes au moins ou vingt au plus. Cf. Deut.28.68.]
Dès le retour de Tite à Rome, le sénat décréta qu'un triomphe extraordinaire serait fait à lui et à son père Vespasien, qui avait commencé la guerre. Josèphe y assista, et il n'a pas honte d'en décrire les splendeurs en style pompeux. Il aurait dû se souvenir que c'était au prix de la ruine et de l'humiliation de son pays ! L'or, l'argent, l'ivoire, dit-il, y éclataient partout. On ne voyait que tentes de pourpre, broderies, pierres précieuses, animaux rares. Des Romains, vêtus de somptueux habillements, portaient des statues colossales de leurs dieux ; puis venaient de longues files de captifs. Après eux, des trophées magnifiques, hauts de trois ou quatre étages, représentaient les batailles et les sièges de la guerre : on y voyait des plaines dévastées, des villes en flammes, l'ennemi ensanglanté et suppliant, et des fleuves traversant des contrées ravagées par le fer et le feu…
Mais ce qui attirait le plus l'attention, c'étaient les dépouilles du temple de Jérusalem, la table d'or, le chandelier à sept branches et le rouleau de la Loi.
Enfin venaient Vespasien, Tite et Domitien. Ils terminaient glorieusement le cortège. Au moment de monter du Forum au Gapitole, ils s'arrêtèrent et attendirent la nouvelle de l'exécution de Simon Bar-Gioras, le général en chef des ennemis. Ce malheureux avait été retiré du cortège, jeté dans un horrible cachot de la prison Mamertine et mis à mort.
Aussitôt que son supplice leur eut été annoncé, ils se remirent en marche, montèrent au temple de Jupiter Capitolin, pour offrir leurs prières et des bœufs blancs comme le lait et déposer sur les genoux du dieu leurs couronnes d'or.
On sait que ce triomphe est rappelé sur l'Arc de Triomphe de Titus ; on y voit sculptés la table d'or, les trompettes d'argent et le chandelier à sept branches. Quant à ces objets eux-mêmes et à tous ceux de même origine que Titus avait pu arracher aux flammes, ils furent déposés dans le Temple magnifique que Vespasien fit élever à la déesse de la Paix. Seuls, le rouleau de la Loi et les voiles de pourpre du sanctuaire furent portés au palais impériala.
Ni la destruction de Jérusalem, ni la cessation des cérémonies du culte qui en fut la conséquence, ne purent, cependant, ébranler la foi des Juifs dans l'obligation perpétuelle d'observer les prescriptions de la Loi. Les Judéo-chrétiens eux-mêmes restèrent, en majorité, attachés à cette idée. Dès la fin de la guerre, ils étaient revenus de Pella et de la Pérée et s'étaient établis dans la cité en ruines. Leur Église y subsista, pure de tout mélange, jusqu'au temps d'Adrien (136), se distinguant toujours des Églises pagano-chrétiennes par une observance aussi complète que possible des prescriptions mosaïquesb.
Ceux d'entre eux qui étaient restés dans la Décapole (et leur nombre n'était pas sans importance) formèrent une Église distincte, qui survécut jusqu'au ve siècle.
Assurément on n'a pas lieu d'être trop surpris de l'excessive ténacité avec laquelle ces Hébreux, bien que sincèrement chrétiens, restèrent attachés aux cérémonies du culte de leurs pères. Mais on ne doit pas oublier non plus l'influence fâcheuse que le ritualisme juif exerça sur l'Église entière, atténuant de bonne heure son éclat et plus tard, lorsque des idées et des pratiques du paganisme s'y mêlèrent, mettant son existence même en danger.
Nous ne connaissons aucune persécution des chrétiens durant les règnes de Vespasien et de Titus (69-81). Il n'en est point ainsi sous celui de Domitien (81-96), bien que l'hostilité manifestée par lui contre les chrétiens semble provenir de son caractère jaloux et cruel, plutôt que d'une volonté arrêtée et systématique d'étouffer la religion nouvelle. Plusieurs chrétiens furent mis à mort, et parmi eux Flavius Clemens, propre neveu de l'empereur. Domitilla, femme de Flavius et parente de Domitien, fut bannie ainsi que beaucoup d'autres. Enfin, c'est à cette époque qu'on s'accorde généralement à placer l'exil de l'apôtre Jean à Pathmos.
[Eusèbe, H.-E., liv. III, ch. 18. La question de la date de l'exil de Jean est examinée par Neander, Hist. de l'établissement et de la direction de l'Église chrétienne par les apôtres, et par Farrar, Early Days of Christianity.]
Craignant une révolte des Juifs, si l'un des descendants de leurs rois en prenait la direction, le tyran ordonna de rechercher tous les membres de la famille de Davidc. Ayant appris par ses espions que deux petits-fils de Jude — le frère du Seigneur — vivaient encore, il les fit comparaître devant lui, et leur demanda s'ils étaient réellement de la famille de David. Sur leur réponse affirmative, il s'enquit de leur position de fortune. Nous n'avons point d'argent, répondirent-ils, mais nous possédons en commun un champ de 39 arpents ; nous le cultivons et il nous fournit les moyens de vivre et de payer les impôts. En parlant ainsi ils montrèrent à l'empereur leurs mains durcies par le travail. Enfin, Domitien leur demanda de quelle nature était le royaume de Christ et dans quel temps et quel lieu il apparaîtrait. Les petits-fils de Jude répondirent que ce Royaume ne devait être ni temporel, ni terrestre, mais angélique et céleste ; qu'il serait réalisé à la fin du monde, lorsque Christ reviendrait, entouré de gloire, pour juger les vivants et les morts, et rendre à chacun selon ses œuvres. A l'ouïe de ces paroles Domitien les renvoya avec mépris et fit cesser la persécutiond.
L'empereur Nerva (96), son successeur, ne se montra pas moins juste et moins clément pour les chrétiens que pour le reste de ses sujets. Ceux qui avaient été bannis furent rappelés et rentrèrent en possession de leurs biens. Il ordonna de ne plus recevoir le témoignage des esclaves contre leurs maîtres ; bien plus, tous les esclaves et tous les affranchis, qui dénonceraient leurs maîtres devenus chrétiens, devaient être mis à mort. Toutefois, comme le christianisme n'était pas une religion reconnue (licita), ce répit ne pouvait être et ne fut que temporaire.
A cette époque, tous les apôtres étaient morts, à l'exception de Jean, qu'on suppose avoir vécu jusqu'au règne de Trajan et n'être mort qu'en l'an 99, à Ephèse. Deux anecdotes touchantes, se rapportant à la fin de sa vie, mais reposant sur des témoignages plus ou moins suffisants, nous ont été transmises par l'antiquité. La première est racontée par Clément d'Alexandrie, qui écrivait un siècle environ après la mort de l'Apôtre. La voicie. S. Jean, après son retour de Pathmos à Éphèse, visita les églises de l'Asie Mineure pour corriger les abus qui pouvaient s'y être glissés, et pour donner de saints pasteurs à celles qui n'en avaient point. Etant dans une ville voisine d'Éphèse (Smyrne ?), il fit un discours et remarqua parmi ses auditeurs un jeune homme d'une figure intéressante. Il le présenta à l'évêque en lui disant : « Je vous confie ce jeune homme en présence de Jésus-Christ et de cette assemblée. » L'évêque promit de s'en charger et d'en prendre le plus grand soin. L'apôtre le lui recommanda de nouveau et retourna à Éphèse. L'évêque logea le jeune homme dans sa maison, l'instruisit et le forma à la pratique des vertus chrétiennes, après quoi il lui administra le baptême… Croyant n'avoir plus rien à craindre de sa part, il veilla sur lui avec moins d'exactitude et finit par le laisser maître de ses actions. De jeunes débauchés, qui s'en aperçurent, le gagnèrent insensiblement, et le firent entrer dans leur société. Bientôt le jeune homme oublia les maximes du christianisme et, à force d'accumuler crimes sur crimes, il étouffa tout remords. Il en vint jusqu'à se faire chef de voleurs et se montra le plus déterminé comme le plus cruel de la bande. Quelque temps après, saint Jean eut l'occasion d'aller dans la même ville. Lorsqu'il eut terminé les affaires qui l'y appelaient, il dit à l'évêque : « Rendez-moi le dépôt que Jésus-Christ et moi vous avons confié en présence de votre Église. » L'évêque étonné ne savait ce que signifiait cette demande ; il s'imaginait que l'apôtre parlait d'un dépôt d'argent. Celui-ci s'expliquant, lui dit qu'il lui redemandait l'âme de son frère qu'il lui avait confiée. Alors l'évêque lui répondit en soupirant et les yeux baignés de larmes : Hélas ! il est mort. — De quel genre de mort ? — Il est mort à Dieu, répliqua l'évêque, il s'est fait voleur ; et, au lieu d'être à l'Église avec nous, il s'est établi sur une montagne où il vit avec des hommes aussi méchants que lui. » A ce discours, l'apôtre déchira ses vêtements ; puis poussant un profond soupir, il dit avec larmes : « O quel gardien j'ai choisi pour veiller sur l'âme de mon frère ! » Il demande un cheval avec un guide et se rend à la montagne. Arrêté par les sentinelles des voleurs, il ne cherche pas à fuir ou à obtenir la vie sauve : « C'est pour cela, s'écrie-t-il, que je suis venu ! Conduisez-moi à votre chef. » Celui-ci le voyant venir prend ses armes pour le recevoir ; mais quand il reconnaît l'apôtre, pénétré de crainte et de confusion, il se met à fuir. L'apôtre oublie son grand âge et sa faiblesse ; il court après lui en criant : « Mon fils, pourquoi fuyez-vous ainsi votre père ? c'est un vieillard sans armes dont vous n'avez rien à craindre. Mon fils, ayez pitié de moi ! Vous pouvez vous repentir ; votre salut n'est pas désespéré ; je répondrai pour vous à Jésus-Christ ; je suis prêt à donner ma vie pour vous, comme Jésus-Christ a donné la sienne pour tous les hommes… Arrêtez ; croyez-moi, je suis envoyé par Jésus-Christ. » A ces mots le jeune homme s'arrête, jette ses armes tout tremblant et fond en larmes. Il embrasse l'apôtre comme un père tendre et lui demande pardon ; mais il cache sa main droite qui avait été souillée de tant de crimes. L'apôtre tombe à ses pieds, baise sa main droite, qu'il tenait cachée, l'assure que Dieu lui pardonnera ses péchés et le ramène à l'Église… Il ne le quitte qu'après l'avoir réconcilié avec elle.
Le second trait repose sur un témoignage encore plus éloigné du temps où vivait l'apôtre, celui de Jérôme, qui écrivait au ive siècle.
[De ce qu'une tradition est racontée par un historien plus éloigné de l'événement, il n'en résulte pas absolument qu'elle soit d'une valeur inférieure à une autre, racontée par un historien plus ancien. D'un autre côté, et toutes choses égales d'ailleurs, il est certain que plus l'éloignement est grand, moins la crédibilité s'impose.]
Lorsque l'âge eut rendu saint Jean incapable de se rendre aux assemblées de l'Église, il prit le parti de s'y faire porter par ses disciples. Arrivé là, il répétait toujours les mêmes paroles, et rappelant à ses auditeurs le commandement qu'il avait reçu du Seigneur lui-même, comme résumant tout le reste et formant le caractère distinctif du chrétien : Mes petits enfants, disait-il, aimez-vous les uns les autres. Et comme on lui demandait pourquoi, il le répétait constamment : c'est que, répondait-il, si cette chose-là était réalisée, cela suffirait.
Il ressort avec évidence du Nouveau Testament que, dès la première génération de chrétiens, de « faux frères » s'étaient introduits dans l'Église. Les uns, comme nous l'avons vu, cherchaient à détruire la liberté des croyants et à leur imposer le joug de la Loi. D'autres nous sont représentés comme animés d'un esprit licencieux et menteur (2Cor.11.13 ; Jude.1.4). Un peu plus tard, mais encore au premier siècle, nous voyons cet enseignement hérétique agissant comme un levain vénéneux dans les Églises de l'Asie proconsulaire, et nous entendons porter sur elles une sentence sévère : si elles ne se repentent, leur chandelier sera ôté de sa place et leur lumière sera transformée en ténèbres (Apoc. ch. 2-3).