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L’enseignement vu autrement relate les anecdotes de la vie de Jacqueline Poiraud qui, malgré sa cécité, enseignait le français dans des collèges et lycées prestigieux comme Lavoisier à Paris V. L’auteure y raconte comment elle a pu transmettre la connaissance littéraire à des milliers de jeunes élèves et ainsi exalter leur goût de la vie, et pour certains leur donner le virus de la poésie. Ce livre est un pur témoignage de ses réussites au moyen duquel elle nous invite à aller de l’avant, malgré les multiples embûches.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Tout en menant sa carrière de poète et chanteuse,
Jacqueline Poiraud a animé, pendant une dizaine d’années, un atelier de « parole poétique » au centre Sèvres à Paris. À la suite de plusieurs ouvrages, elle signe ici le mémorial de sa passionnante activité d’enseignante « vue » sous un autre angle.
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Seitenzahl: 123
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Jacqueline Poiraud
L’enseignement vu autrement
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jacqueline Poiraud
ISBN : 979-10-377-6881-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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Préface
Il nous en a fallu user de la salive pour la libérer de son appréhension, mais nous y sommes arrivés ! Jackie nous a livré cette belle autobiographie, ponctuée d’une kyrielle de narrations savoureuses !
Anecdote après anecdote, vous devinerez puis vous visualiserez la belle aventure d’un professeur de Lettres qui a su organiser ses classes pour donner à des milliers d’élèves l’Amour de la poésie, la rigueur de la grammaire et du mot juste. La preuve que la volonté et le courage n’appartiennent pas seulement aux romans !
La simplicité et l’authenticité de ses mots, que vous découvrirez page après page, révéleront tout le charme qui est le sien et vous feront regretter de n’être pas passés par le lycée-collège Lavoisier pour écouter les notes de sa guitare ou participer à des improvisations théâtrales.
Vous sourirez à ses différentes mésaventures, Jackie les conte avec tout son humour pour qu’elles deviennent la source des poésies et chansons qu’elle nous fait le plaisir de partager dans ce livre.
Elle transcende son handicap et nous enseigne que nous pouvons voir par les vibrations des voix, le magnétisme des présences et par les senteurs qui nous entourent.
Merci Jackie ! Nous ne cesserons de te lire et relire, ton récit remplit notre cœur de félicité et nous démontre que la Vie est bien belle.
Serge Ventoruzzo
Lorsque je me suis décidée à prendre la plume pour écrire le récit de ma vie de prof, nous commencions le second confinement et, petit à petit, j’ai compris que ce confinement pourrait être une chance.
Quel paradoxe, moi qui suis déjà enfermée de plus en plus à cause d’une cécité totale doublée d’une forte photophobie qui limite mes déplacements à l’extérieur à des heures précises en matinée et en soirée, et qui me prive de centaines de moments conviviaux à cause des éclairages beaucoup trop forts aussi bien dans les magasins, les hôpitaux, les salles de toutes sortes. Eh bien, j’ai compris qu’avec un peu de temps et de silence, entre quatre murs on pouvait être heureux, trouver des moments de satisfaction profonde par l’écriture et, en l’occurrence, la narration du récit de mon expérience de professeur de Lettres aveugle avec des élèves voyants.
Ce que j’ai compris tout récemment c’est que les enfants comme moi, nous étions contraints, dans le cadre de l’enseignement de l’éducation nationale, à être confinés dans des classes, nous étions enfermés, bel et bien enfermés, pendant de longues heures, sans bouger, sans que le corps vive. Et je me suis aperçue que malgré cette quasi-immobilité forcée, nous avions réussi, les enfants et moi, à passer de bons moments à l’intérieur des murs, si l’on peut dire.
La « classe prison », nous sommes arrivés à l’animer à la rendre intéressante tout au moins supportable et idem pour « la prison de chair » que pourrait être la cécité.
Au fur et à mesure, nous découvrirons comment notre partie animale qui souffrait plus ou moins de cette claustration, de cette immobilité forcée a pu être atténuée par… pas facile à définir, le partage du savoir, la joie d’apprendre ensemble, le plaisir de lire, de découvrir sans avoir à bouger, des milliers de paysages, de continents, de personnages de situations, de nos jours où il y a des centaines ou milliers d’années ; nous pouvions voyager dans l’espace et dans le temps sans avoir besoin de roulettes, de voitures ou d’avions…
Importance capitale de la présence du chien, de la poésie, de la musique
Dans les pages qui vont suivre, on découvrira la place discrète mais essentielle du chien, merveilleux partenaire, grâce auquel, j’allais dire « grâce à qui », j’ai pu me rendre chaque jour dans l’établissement et qui apportait du calme dans la salle.
Bien entendu, je parlerai de la collaboration avec les assistants, et je développerai ce contenu des cours avec l’importance immense de la poésie et, plus tard en fin de carrière, du chant puisque dans la classe, nous avons eu la chance d’avoir, non seulement la présence d’un toutou mais, de plus en plus souvent, d’une guitare et de la voix de la prof-chanteuse.
Je ne pourrai pas m’empêcher de citer maintenant la dernière strophe d’un célèbre poème d’un non moins célèbre collègue, Maurice Fombeure « les écoliers » car cela correspond à ce que nous vivions parfois : l’envol que nous procurait les moments de créativité :
Puis, les voilà tous à s’asseoir
Dans l’école crépie de lune
On les enferme jusqu’au soir
Jusqu’à ce qu’il leur pousse plume
Pour s’envoler, après, bonsoir !
Transmettre par-delà les mots, par-delà la littérature, l’amour de la vie ! c’est un art, et dans cette école de la république, il fallait le faire, comme on dit ; je crois que j’y suis parvenue en partie, je savais comme François Rabelais que « l’enfant n’est pas un vase qu’on emplit, c’est un feu qu’on allume ». Nous sommes arrivés à flamber quelquefois, et souhaitons que les braises demeurent et réchauffent longtemps la vie de ces chers gamins parisiens qui désormais sont pour la plupart devenus eux-mêmes des parents responsables d’autres enfants.
L’instruction n’exclut pas le plaisir, le divertissement, bien au contraire. Si le prof s’ennuie évidemment ses élèves s’ennuieront, s’il est content les enfants le ressentent et la transmission se fera avec aisance.
Une amie, à qui je confiais mon projet de coucher sur papier les souvenirs de ma vie de prof, m’a demandé comment j’avais vécu le fait d’imposer la violence de ma cécité aux élèves ; cette violence qui m’avait été imposée quelques années avant que je ne commence à enseigner. Quand j’ai perdu la vue, totalement, à vingt ans il a fallu que je vive avec elle, que je domine ça, que je fasse une résilience comme on dit, et, je sais que je l’ai faite. J’étais redevenue à l’aise avec moi et ensuite j’ai pu aborder une classe sans qu’il y ait au fond de moi, au moins dans l’exercice de ma fonction, aucune trace de cette violence ; au contraire, elle s’est muée en ardeur, passion, enthousiasme vis-à-vis de cette prise en charge, de cette collaboration avec les chères « têtes blondes ou brunes, ou rousses ».
Désormais, c’est une tête argentée qui en quelques pages tentera de « résumer » une trentaine d’années de bonheurs partagés.
J’ai commencé à enseigner en 1973 ; mon premier poste de professeur de Lettres modernes était au lycée-collège Lavoisier, et j’y suis restée une trentaine d’années…
Avant de pouvoir se présenter aux concours de CAPES ou d’agrégation, toute personne aveugle ou déficiente visuelle, dans les années 70, devait effectuer un stage probatoire pour savoir si elle serait apte ou non, si sa présentation conviendrait aux élèves et à l’Éducation Nationale.
J’ai effectué ce bref stage, au lycée Aristide Briant, place de la République à Nantes car je vivais là, chez mes parents, venant juste de perdre la vue à mes vingt ans.
Je me souviens de mon premier cours, devant une classe d’ados, adorables, attentifs, surpris ; je présentais un texte de Rousseau, extrait des rêveries du promeneur solitaire.
La jeune femme chargée de me noter m’a complimentée et rassurée sur le rapport qu’elle transmettrait par voie hiérarchique.
Malheureusement, je dois avouer que cette mesure me semblait délicate, une de mes amies, Cécile, aveugle de naissance, n’avait pas été autorisée à passer les concours car son visage, ses yeux, n’ont pas été considérés comme un atout – et ma formulation est un euphémisme !
J’avais passé avec succès le CAPES de Lettres modernes, bien placée et avec une excellente note.
Après un stage pédagogique de quelques mois effectué au prestigieux lycée Louis le Grand, j’appelle un soir le proviseur de Lavoisier, à cette époque monsieur Marchant, et je lui fais part de mon désir de me présenter le lendemain dans son bureau et il me dit, j’ai encore la phrase dans l’oreille : « on vous attend comme le Messie »… Ça m’a fait un tilt comme on dit, cela m’a stimulée et bien sûr, j’ai mentionné dans notre première conversation que j’étais aveugle mais, pour lui, comme pour moi, c’était juste un détail.
Quelques mots sur l’établissement Lavoisier situé à Paris, dans le cinquième :
Autrefois, c’était une école municipale, par la suite elle est devenue un lycée technique, puis un collège-lycée avec classes préparatoires.
Comme référence, le père du président Pompidou y avait enseigné.
Un poète avait animé mes futures classes avant moi, Maurice Fontbeure, personnage pittoresque, à l’autorité défaillante mais au talent incontestable, un double confrère, à la fois enseignant et poète.
Je prends le RER depuis la cité internationale où je loge, je descends à la station Port-Royal guidée par mon magnifique labrador noir américain, Kit. Une fois sortie de la station, où aller pour trouver la rue Henri Barbusse et le lycée ? je demande à un usager du RER et c’est en compagnie d’un charmant jeune homme que j’y arrive. La température était douce ce matin-là, je portais une jolie robe courte à fleurettes avec des manches ballon, je me sentais bien…
Je fus accueillie comme une reine. Mon chien étant américain, je lui parle en anglais et une chance, le proviseur est agrégé d’anglais, un plus, un petit sourire du destin !
Je partais dans d’excellentes conditions psychologiques et de toutes les façons j’avais à cette époque, le feu sacré, le frisson pédagogique et cela aide.
Avec les collègues, tout de suite, il y a eu un très bon contact ; la présidente de l’amicale, Aleth, prof de sciences physiques, m’invite dans un petit café proche de l’établissement et me présente d’autres collègues. Très vite, je suis tout à fait intégrée à un groupe de personnes que j’estime et qui m’estiment aussi.
Dans la salle des profs, je dois dire que j’apporte un peu de fantaisie grâce au chien qui est incontestablement un lien puissant ; sa présence détend les gens, et aide à établir un lien que la cécité aurait tendance à couper.
Petite anecdote : au printemps 1977, mon premier chien guide Kit, américain d’origine, mourut en pleine jeunesse et ne trouvant pas de chien-guide en France assez rapidement, je décidais de repartir chercher un autre compagnon aux États-Unis, dans la même école. Eh bien, sur ce, mes collègues se sont tous cotisés et ont donné une somme qui couvrait totalement les frais du billet d’avion ; à mon retour, j’ai organisé « le baptême » de Montie, mon nouveau compagnon à quatre pattes, avec un très chouette apéritif en salle des profs avec les collègues, le proviseur, plusieurs membres de l’administration et quelques personnes de la cuisine et de l’entretien. Cela a fait bien chaud au cœur.
Durant les quelques années d’enseignement, il m’est arrivé parfois de souffrir d’une grande fatigue ; une année, j’avais demandé à la MGEN1 une place dans un centre dans les Vosges pour me reposer un mois pendant les vacances d’été ; cette opportunité m’a été refusée à cause de mon chien ; alors les collègues et l’administration, proviseur y compris, ont signé une pétition ; il y a eu 83 signatures pour dire qu’un chien-guide qui travaille, qui accompagne sa maîtresse partout doit aussi être près d’elle en maison de repos. Et cela a marché, il a été trouvé une solution au sein de ladite maison de repos et l’été suivant j’ai été invitée par le directeur avec mon toutou et une personne accompagnatrice.
Je pense devoir écrire un chapitre sur la salle des profs car c’est un lieu où nous pouvions travailler, préparer des cours, corriger des copies mais aussi un lieu de détente, de délassement, d’échange, de partages de toutes sortes et cela nous requinquait, pendant que les enfants s’ébattaient dans la cour. Dans ce collège-lycée du Quartier latin, nous étions parfois une bande joyeuse et chacun, pas tous quand même, apportait sa petite pierre pour que nous ayons une bonne ambiance.
Fabienne, prof d’anglais habitait près de Rungis et chaque année, vers la période de Noël, elle nous proposait, à moitié prix, d’excellents produits : foie gras ; saumon. L’ambiance était animée et joyeuse… Anne, au début de l’automne nous régalait de ses pâtes de fruits de coing faites maison ; moi, je ne faisais pas de pâtisseries mais une fois, un ami brésilien était venu me voir et il avait confectionné un gâteau qu’on appelle « amour en morceaux » – une sorte de Savoie auquel on adjoint de la noix de coco et de l’ananas et ce gâteau se présente en petits « pedazos » (morceaux), chacun pouvant déguster une bouchée ou deux ou plus, et c’est un délice ; je l’avais apporté pour qu’on le mange ensemble. Le proviseur ce jour-là est venu par hasard dans la salle, je lui en ai offert et il a dit en souriant qu’il préférait l’amour en entier mais que c’était quand même bien bon en morceaux.