L'État voyou - William Blum - E-Book

L'État voyou E-Book

William Blum

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Beschreibung

« Si j’étais président, j’arrêterais en quelques jours les attaques terroristes contre les États-Unis. Définitivement.
D’abord, je présenterais mes excuses à toutes les veuves, aux orphelins, aux personnes torturées, à celles tombées dans la misère, aux millions d’autres victimes de l’impérialisme américain. Ensuite, j’annoncerais que les interventions américaines sont définitivement terminées, et j’informerais Israël qu’il n’est plus le 51e État des États-Unis[…].
Et puis, je réduirais le budget militaire d’au moins 90 %, utilisant le surplus à payer des réparations aux victimes. […] Voilà ce que je ferais les trois premiers jours.
Le quatrième jour, je serais assassiné. »
Aux côtés du célèbre Fabriquer un consentement (Investig’Action, 2018) d’Herman et Chomsky et d' Une histoire populaire des États-Unis (Agone, 2003) d’Howard Zinn, voici l’un des plus grands classiques sur la politique réelle des États-Unis. Épuisé depuis des années, L’État voyou est à nouveau disponible en français.

À PROPOS DE L'AUTEUR

William Blum (1933-2018), ancien fonctionnaire américain du Département d'État, il fut l'auteur d'une lettre d'information mensuelle: The Anti-Empire Report. Journaliste indépendant à travers le monde, ses autres livres tarduits en français sont Les guerres scélérates ou Les mythes de l'Empire: la guerre US contre le terrorisme.

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L’État voyou

Ouvrages déjà parus chez Investig’Action :

Ludo De Witte, Quand le dernier arbre aura été abattu, nous mangerons notre argent, 2019

Jacques Pauwels, Les Mythes de l’Histoire moderne, 2019

Robert Charvin, La peur, arme politique, 2019

Thomas Suárez, Comment le terrorisme a créé Israël, 2019

Michel Collon, USA. Les 100 pires citations, 2018

Edward Herman et Noam Chomsky, Fabriquer un consentement, 2018

Saïd Bouamama, Manuel stratégique de l’Afrique (2 tomes), 2018

Ludo De Witte, L’ascension de Mobutu, 2017

Michel Collon, Pourquoi Soral séduit, 2017

Michel Collon et Grégoire Lalieu, Le Monde selon Trump, 2016

Ilan Pappé, La propagande d’Israël, 2016

Robert Charvin, Faut-il détester la Russie ?, 2016

Ahmed Bensaada, Arabesque$, 2015

Grégoire Lalieu, Jihad made in USA, 2014

Michel Collon et Grégoire Lalieu, La stratégie du chaos, 2011

Michel Collon, Israël, parlons-en !, 2010

Michel Collon, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, 2009

Ouvrage à paraître prochainement chez Investig’Action :

Saïd Bouamama et Michel Collon, La gauche et la guerre

William Blum

L’État voyou

Investig’Action

Titre original : Rogue State: A Guide to the World’s Only Superpower

Traduction : Marco Mariella. Luc Mohler, Anna de Voto

© William Blum, 2001, Common Courage Press

© L’Aventurine, Paris, 2002, pour la première édition française

© Investig’Action, Bruxelles, 2019, pour la présente édition

Mise en page : Simon Leroux

Couverture : Joël Lepers

Correction : Pascale David, Corinne Lingat, David Delannay et Céline Lambert.

Édition : Investig’Action – www.investigaction.net

Distribution : [email protected]

Commandes : [email protected] ou sur le site www.investigaction.net

Interviews, débats : [email protected]

ISBN : 978-2-930827-29-2

Dépôt légal : D/2019/13.542/5

« Jamais jusqu’ici dans l’histoire moderne, un pays n’avait dominé la Terre aussi totalement que les États-Unis le font aujourd’hui. L’Amérique est maintenant le Schwarzenegger de la politique internationale : roulant les muscles, ostentatoire, menaçant. Les Américains, en l’absence de limites posées par qui ou quoi que ce soit, agissent dans leur « McWorld » comme si on leur avait signé un chèque en blanc. »

Der Spiegel, 19971

« Les États-Unis sont bons. Nous essayons de faire partout de notre mieux. »

Madeleine Albright, 19992

« Un monde autrefois divisé en deux camps armés reconnaît maintenant une puissance unique et prééminente, les États-Unis d’Amérique. Et il regarde ceci sans appréhension. Car le monde nous fait confiance quant à notre usage du pouvoir, et le monde a raison. Il nous fait confiance pour être honnêtes et mesurés. Il nous fait confiance pour être du côté de la décence. Il se fie à nous pour faire ce qui est juste. »

George Bush, 19923

« Comment peuvent-ils avoir l’arrogance de nous dicter où nous devrions aller ou bien quels pays devraient être nos amis ? Kadhafi est mon ami. Il nous a soutenus lorsque nous étions seuls et quand ceux qui ont tenté d’empêcher ma visite ici, aujourd’hui, étaient nos ennemis. Ils n’ont aucune morale. Nous ne pouvons accepter qu’un État assume le rôle de gendarme du monde. »

Nelson Mandela, 19974

« Quand j’ai pris cette fonction, j’étais déterminé à ce que notre pays entre dans le XXIe siècle en étant toujours la plus grande force mondiale de paix et de liberté, de démocratie, de sécurité et de prospérité. »

Bill Clinton, 19965

« À travers le monde, chaque jour qui se lève, un homme, une femme ou un enfant va probablement être déplacé, torturé, être tué ou disparaître, par la main d’un gouvernement ou d’un groupe politique armé. Dans la majorité des cas, les États-Unis en partagent la responsabilité. »

Amnesty International, 19966

Table des matières

Avant-propos : Le 11 septembre 2001 et les bombardements en Afghanistan 9

Introduction 31

Ière Partie  : Les relations d’amour et de haine entre Washington, les terroristes et les violateurs des Droits de l’homme 66

Chapitre 1. Pourquoi les terroristes harcèlent-ils sans cesse les États-Unis ? 67

Chapitre 2. Le cadeau américain au reste du monde : l’ancien élève terroriste afghan 73

Chapitre 3. Les assassinats 79

Chapitre 4. Extraits des manuels d’instruction de l’armée américaine et de la CIA 87

Chapitre 5. La Torture 95

Chapitre 6. Les pourris 107

Chapitre 7. L’école des pourris 111

Chapitre 8. Les criminels de guerre : les leurs et les nôtres 121

Chapitre 9. Un refuge pour les terroristes 135

Chapitre 10. Le soutien à Pol Pot 145

IIePartie : L’utilisation des armes de destruction massive par les États-Unis 150

Chapitre 11. Les bombardements 151

Chapitre 12. L’uranium appauvri 157

Chapitre 13. Les bombes à fragmentation 163

Chapitre 14. L’utilisation par les États-Unis des armes chimiques et biologiques à l’étranger 167

Chapitre 15. Les États-Unis utilisent des armes chimiques et biologiques sur leur propre territoire 179

Chapitre 16. Les États-Unis encouragent les autres pays à utiliser les armes chimiques et biologiques 187

IIIePartie : Un État voyou contre le monde 192

Chapitre 17. Une brève histoire des interventions des États-Unis dans le monde de 1945 à nos jours 193

Chapitre 18. Le trucage des élections 249

Chapitre 19. Un Cheval de Troie : le National Endowment for Democracy 263

Chapitre 20. Les États-Unis contre le monde aux Nations unies 269

Chapitre 21. À l’écoute de la planète 297

Chapitre 22. Les Enlèvements et pillages 311

Chapitre 23. Comment la CIA a envoyé Nelson Mandela en prison pendant vingt-huit ans 317

Chapitre 24. La CIA et la drogue : il suffit de dire « Pourquoi pas ? » 321

Chapitre 25. Quand on est la seule superpuissance au monde, on n’a jamais besoin de s’excuser 333

Chapitre 26. Les États-Unis envahissent, bombardent et tuent pour elle... mais les Américains croient-ils vraiment à la libre entreprise ? 345

Chapitre 27. Une journée dans la vie d’un pays libre 353

Table de matières détaillée .............................................................391

Notes de fin 403

Avant-propos

Le 11 septembre 2001 et les bombardements en Afghanistan

Des terroristes détournent quatre avions et poursuivent leur action en commettant les actes les plus dévastateurs de l’histoire des États-Unis. On connaît la suite. Des milliers de morts, d’immenses souffrances, des pertes et des destructions matérielles immenses. Outre punir les responsables, la mission la plus urgente à laquelle les États-Unis ont dû – ou auraient dû – faire face consistait à ne pas laisser passer ce qui s’est produit sans en tirer d’importantes leçons afin d’en prévenir la répétition. En clair, le plus important est de répondre à la question : « Pourquoi ? »

Il se trouve que le premier chapitre de ce livre s’intitule : « Pourquoi les terroristes harcèlent-ils sans cesse les États-Unis ? » J’y indique que les terroristes – toutes choses étant égales par ailleurs – sont aussi des êtres humains rationnels, ce qui signifie qu’ils ont à leurs propres yeux une justification rationnelle à leurs actes. La plupart des terroristes sont profondément concernés par ce qu’ils considèrent comme de l’injustice sociale, politique ou religieuse et par l’hypocrisie. Très souvent, la cause profonde de leurs actions terroristes est une riposte à des actes perpétrés par les États-Unis.

Ce chapitre contient une longue liste d’actions menées au Moyen-Orient, qui firent de nombreuses victimes, des bombardements du Liban et de la Libye au torpillage d’un bateau iranien ; de la destruction en vol d’un avion de ligne iranien et du bombardement sans fin du peuple irakien au soutien de régimes despotiques, et à l’aide militaire massive apportée à Israël malgré les dévastations et la torture quotidienne que cet État inflige aux Palestiniens.

En châtiment pour les dizaines d’années d’oppression militaire, économique et politique imposées par l’empire américain au Moyen-Orient et aux musulmans, les bâtiments pris pour cible par les terroristes n’ont pas été choisis au hasard. Le Pentagone et le World Trade Center représentaient la puissance militaire et économique des États-Unis, alors que l’avion qui s’est écrasé en Pennsylvanie se dirigeait peut-être vers l’aile politique, la Maison-Blanche. C’est le contexte qui importe. Si ce que les pirates de l’air ont fait est inexcusable, ce n’est en aucun cas inexplicable.

Il n’y a pas que les peuples du Moyen-Orient qui aient de bonnes raisons de haïr ce que fait le gouvernement américain. Pendant un demi-siècle, les États-Unis ont créé un nombre colossal de terroristes potentiels à travers toute l’Amérique latine en commettant des actions bien pires que ce qu’ils ont fait au Moyen-Orient. Si, comme beaucoup de musulmans, les Sud-Américains croyaient aller directement au paradis en devenant des martyrs et en tuant le Grand Satan, nous aurions déjà eu des décennies d’horreurs terroristes. Il s’agit de la partie du monde où ont eu lieu le plus grand nombre d’attentats contre des ambassades, des diplomates, ou autres agences de renseignements américains.

L’attaque du 11 septembre a été d’une telle ampleur que les médias américains furent obligés de s’aventurer dans des domaines dont ils n’ont pas l’habitude. Un certain nombre de grands journaux, de revues, de radios, cherchant à savoir « Pourquoi ? », découvrirent soudain – du moins le semblait-il – que les États-Unis avaient été engagés, pendant des dizaines d’années, dans des actions comme celles citées plus haut et dans d’innombrables interventions à l’étranger. Ceci pouvait expliquer le sentiment antiaméricain. Ce fut une conséquence positive de la tragédie.

Cette « révélation », cependant, semble avoir échappé à la masse du peuple américain, dont la grande majorité saisit au vol des bribes d’informations sur l’étranger dans les tabloïds, les programmes de radio concoctés selon le plus petit dénominateur commun et les actualités télévisées ridiculement superficielles. Ainsi, au lieu d’un développement des réflexions sur ce que les États-Unis font subir au monde pour s’en faire haïr de la sorte, il y eut effusion de patriotisme, de l’espèce la plus étroite : les membres du Congrès, sur les marches du Capitole entonnèrent le God Bless America ;  les magasins épuisèrent en un clin d’œil leurs stocks de drapeaux américains, flottant et s’agitant où que l’œil se pose ; les invités des shows radiophoniques crachaient venin et soif de sang; lors des jeux et des événements sportifs il devint de rigueur de commencer par une cérémonie militaire et/ou patriotique ; à peine si l’on pouvait ouvrir un journal ou allumer la radio ou la télévision, sans avoir droit à un hommage au courage américain, tout un chacun étant transformé en « héros ».

Ces manifestations se poursuivent en 2002, à peine atténuées. Les médias américains sérieux sont bientôt revenus à leur fonctionnement normal. Par exemple, on trouve régulièrement plus d’informations de fond et de révélations sur la politique étrangère américaine dans les journaux londoniens, The Guardian, The Indépendant, que dans le New York Times et le Washington Post. Pour la plupart des Américains, il est extrêmement difficile d’accepter l’idée que les actes terroristes contre les États-Unis puissent être considérés comme une vengeance consécutive à la politique extérieure de Washington. Ils pensent que les États-Unis sont visés à cause de leur liberté, leur démocratie, leur richesse. Il s’agit de la position officielle avancée par l’administration Bush, tout comme ses prédécesseurs l’avaient fait à la suite d’autres attentats.

L’American Council of Trustees and Alumni, [Conseil américain de membres des conseils d’universités et d’anciens étudiants] un groupe de chiens de garde conservateurs fondé par Lynne Cheney, épouse du vice-président, et par le sénateur Joseph Lieberman, a annoncé en novembre la formation du Defense of Civilization Fund, par cette déclaration : « Ce n’est pas seulement l’Amérique qui a été attaquée le 11 septembre, c’est la civilisation. Nous avons été attaqués non en raison de nos vices mais en raison de nos vertus1. » Mais les fonctionnaires du gouvernement sont mieux renseignés. Une étude du ministère de la Défense datant de 1997 concluait : « Les données historiques montrent une forte corrélation entre l’engagement américain sur la scène internationale et l’accroissement des attentats terroristes contre les États-Unis2. »

Sans ambiguïté, l’ancien président Jimmy Carter, quelques années après avoir quitté la Maison-Blanche, exprimait le même sentiment :

Nous avons envoyé des Marines au Liban et il suffit d’aller au Liban, en Syrie ou en Jordanie pour constater de première main la haine intense que beaucoup de gens éprouvent pour les États-Unis parce que nous avons bombardé et tué sans merci des villageois totalement innocents – femmes, enfants, fermiers et ménagères – dans les villages autour de Beyrouth... Résultat... nous sommes devenus une sorte de Satan dans l’esprit de ceux qui ont un profond ressentiment. C’est ce qui a précipité les prises d’otages et quelques-unes des attaques terroristes – qui étaient tout à fait injustifiées et criminelles3.

Les terroristes responsables de l’attentat à la bombe contre le World Trade Center en 1993 ont envoyé une lettre au New York Times affirmant : « Nous déclarons notre responsabilité dans l’explosion de l’édifice mentionné. Cette action a été exécutée en réponse au soutien politique, économique et militaire de l’Amérique à Israël, l’État du terrorisme, et à l’appui fourni aux dictatures de la région4. » Les preuves que gouvernement et médias ont conscience du lien entre terrorisme antiaméricain et politique américaine sont développées plus loin, dans le chapitre 1.

Les auteurs du crime

Pendant deux mois et demi, la nation la plus puissante du monde déverse un déluge de missiles sur l’un des peuples les plus pauvres de la planète. Une interrogation vient naturellement : qui a tué le plus d’innocents, de gens sans défense ? Les terroristes, le 11 septembre aux États-Unis ? Ou les Américains en Afghanistan avec leurs missiles de croisière AGM-86D, leurs missiles AGM-130, leurs bombes Daisy Cutter de sept tonnes, leur uranium appauvri et leurs bombes à fragmentation ?

Vers la fin 2001, on avait dénombré environ 3 000 victimes des terroristes à New York, à Washington et en Pennsylvanie. Le nombre de victimes civiles en Afghanistan était ignoré des responsables américains et d’à peu près tout le monde. Cependant, un professeur américain a effectué un inventaire soigneux des multiples rapports individuels fournis par les médias américains et internationaux comme par les organisations des Droits de l’homme. Dénombrant les multiples incidents qui ont fait plus de cent morts, plus de vingt, plus de dix, et moins, il est arrivé à beaucoup plus de 3 500 morts à début décembre.

Ce décompte n’est pas terminé5. Ce chiffre ne comprend pas ceux qui sont morts des suites de leurs blessures, ni ceux qui sont morts parce que les hôpitaux ont été bombardés, ou faute d’accès à la nourriture, ni ceux qui sont morts de froid ou de faim parce que leur maison a été détruite par les bombardements. Ne sont pas compris non plus les milliers de « militaires » ou les centaines de prisonniers exécutés ou massacrés par les nouveaux « combattants de la liberté » de Washington. En dernière analyse, il manquera inévitablement les victimes des bombes à fragmentation devenues des mines terrestres, et celles qui périssent d’une mort plus lente due aux maladies provoquées par l’uranium appauvri.

Il n’y aura pas de minute de silence pour les Afghans morts, pas de cérémonies commémoratives en présence de hauts responsables américains et de célébrités du spectacle, pas de messages de condoléances envoyés par des chefs d’État, pas de millions de dollars débloqués pour les familles des victimes. Cependant, après tout, ce fut un bain de sang au moins aussi important que celui du 11 Septembre. Et, parmi les milliers de morts en Afghanistan, combien d’entre eux ont-ils joué un rôle dans la catastrophe américaine ?

D’après la vidéo-cassette d’Oussama Ben Laden, que le gouvernement américain a présentée au monde, lui-même n’a découvert la date exacte de l’attentat que cinq jours avant qu’il n’ait lieu, et la plupart des pirates de l’air ne surent qu’ils allaient participer à une mission suicide qu’au moment où ils se sont préparés à embarquer dans les avions. Le FBI serait parvenu à cette dernière conclusion bien avant que la vidéo fut rendue publique6. Il semble que l’on puisse affirmer sans risque que, dans le monde, un nombre extrêmement restreint de personnes faisaient sciemment partie du complot. Il est sans doute possible de les compter sur les doigts d’une seule main. Par conséquent, si la campagne de bombardements américaine avait pour but de tuer les auteurs réels des attentats, ce fut le fait d’un imbécile ; un imbécile violent.

Si Timothy McVeigh, l’auteur du terrible attentat à la bombe contre le bâtiment fédéral d’Oklahoma City en 1995, n’avait pas été rapidement arrêté, les États-Unis auraient-ils bombardé l’État du Michigan ? Non, on aurait lancé une gigantesque chasse à l’homme jusqu’à ce qu’on le trouve et le punisse. Mais en Afghanistan, les États-Unis ont agi en fait selon l’hypothèse que tous ceux qui soutenaient le gouvernement taliban : 1. étaient des « terroristes » ; 2. portaient moralement, sinon légalement, des traces de sang du 11 Septembre – ou peut-être de quelque autre attentat terroriste antiaméricain commis par le passé – et étaient donc une proie rêvée. Pourtant, quand les rôles sont inversés, même les officiels américains se rendent compte de la bonne voie à suivre.

En 1999, le sous-secrétaire d’État Strobe Talbott, parlant du problème de la Russie avec la Tchétchénie, exhorta Moscou à faire preuve de « retenue et de sagesse ». « Retenue, dit-il, signifie prendre des mesures contre les véritables terroristes, sans utiliser une force aveugle qui mettrait en danger des innocents7. » Suggérer une équivalence morale entre les États-Unis et les terroristes (ou, pendant la guerre froide, les communistes) n’a jamais manqué de provoquer la colère américaine. Les terroristes ont l’intention délibérée de tuer des civils, nous dit-on (en réalité, beaucoup de victimes furent des militaires ou des employés de l’armée), alors que toute victime non combattante des bombes américaines est parfaitement accidentelle.

Quand les États-Unis sont pris d’une de leurs frénésies périodiques de bombardements et que leurs missiles multiplient les victimes civiles, on parle de « dommage collatéral » – la fatalité de la guerre ; car les cibles réelles, on nous le dit invariablement, étaient militaires. Mais alors, que peut-on dire des intentions des militaires américains si, jour après jour, dans un pays ou un autre, le même scénario se déroule : des quantités prodigieuses d’obus meurtriers sont larguées à très haute altitude, alors qu’on sait qu’un grand nombre de civils va périr ou sera mutilé, ne serait-ce qu’à cause des missiles qui dévient de leur cible ? Ce que l’on peut dire de mieux, de plus charitable, c’est qu’ils ne s’en soucient tout simplement pas. Ils bombardent et détruisent dans des buts politiques, les souffrances des populations civiles ne les préoccupant pas particulièrement.

En Afghanistan, quand, au mois d’octobre, les hélicoptères de combat mitraillèrent et détruisirent plusieurs jours de suite les fermes du village isolé de Chowkar-Karez, tuant au moins nonante-trois [quatre-vingt-treize] civils, un responsable du Pentagone fut amené à dire : « Là, les gens sont morts parce que nous les voulions morts », pendant que le secrétaire d’État à la Défense, Donald Rumsfeld, commentait : « Je ne peux pas traiter de ce village en particulier8. »

Souvent, les États-Unis provoquent délibérément des souffrances, dans l’espoir que cela conduira les gens à se retourner contre leur gouvernement. Ce fut un trait récurrent du bombardement de la Yougoslavie en 1999. Comme on le verra dans le chapitre « Criminels de guerre » de ce livre, les responsables américains de l’OTAN – dans leur arrogance consommée – l’ont ouvertement admis à plusieurs reprises. Une telle politique entre parfaitement dans la définition que le FBI donne du terrorisme international : usage de la force ou de la violence contre des personnes et des biens « pour intimider ou contraindre un gouvernement, la population civile, ou une partie de celle-ci, en vue d’objectifs politiques et sociaux9. »

Ne parlez pas du mal et les Américains n’y verront que du feu

En réaction aux images révoltantes des victimes des bombardements en Afghanistan, et face à l’opinion publique inquiète des pertes civiles en Europe comme au Moyen-Orient, les médias américains se sont efforcés d’atténuer l’importance de ces morts. Le directeur de Cable News Network (CNN) informa la rédaction qu’il « semble pervers de trop se focaliser sur les pertes humaines ou les souffrances en Afghanistan10. » Les journalistes doivent-ils se donner la peine de parler des morts civils se demanda-t-on lors d’une émission de Fox Network ? « La question que je me pose, dit l’animateur, c’est qu’historiquement et par définition les pertes civiles font partie de la guerre, c’est vrai ; faut-il leur donner l’importance qu’on leur a accordée ? » Son invité de National Public Radio répondit : « Non. Voyez-vous, la guerre tue des gens. Les pertes civiles sont inévitables. » Un autre invité, chroniqueur du magazine national US News & World Report, renchérit : « Les pertes civiles ne sont pas... nouvelles. Le fait est qu’elles accompagnent les guerres11. »

Mais alors, si les attentats du 11 Septembre furent en fait un acte de guerre, comme le monde se l’est entendu dire et répéter par George W. Bush et ses laquais, il est évident que les pertes humaines du World Trade Center sont des pertes civiles dues à la guerre. Pourquoi, dans ce cas, les médias ont-ils consacré tant de temps à ces morts ? C’était la seule catégorie de morts dont les Américains voulaient entendre parler. Parler des morts afghans pouvait les rendre furieux.

Un mémo a circulé au News Herald à Panama City en Floride, avertissant les rédacteurs : « NE PAS UTILISER en première page de photos montrant des morts et des blessés civils de la guerre américaine en Afghanistan. Le journal de Fort Walton Beach l’a fait et a reçu des centaines et des centaines de menaces par e-mail et autres12. » Ceux qui détiennent le pouvoir aux États-Unis peuvent compter sur le peuple américain et l’ensemble des médias pour soutenir leurs guerres.

Découvrir un seul quotidien américain qui se soit opposé sans équivoque au bombardement de l’Afghanistan demanderait un effort de recherche hors du commun. Ou un seul quotidien américain qui se soit opposé sans équivoque au bombardement de la Yougoslavie par les États-Unis et l’OTAN, deux ans plus tôt. Ou un seul quotidien américain qui se soit opposé sans équivoque au bombardement de l’Irak en 1991. N’est-ce pas remarquable ? Dans une société qui passe pour libre, avec une presse qui passe pour libre, et environ 1500 quotidiens, on aurait parié le contraire. Mais c’est ainsi.

La Mecque de l’hypocrisie

Après les attaques terroristes aux États-Unis, le secrétaire d’État, Colin Powell, a condamné « les gens qui croient pouvoir atteindre un but politique avec des destructions de bâtiments et des meurtres13. » N’est-ce pas la description précise de ce que les États-Unis ont fait en 1999 quand ils ont bombardé la Yougoslavie pendant septante-huit [soixante-dix-huit] jours et nuits ? Et n’est-ce pas le même Colin Powell qui dirigea les horribles bombardements du Panama et de l’Irak ? Les dirigeants américains pensent-ils que personne ne s’en souvient ? Ou, simplement, n’ont-ils aucun souci de ce que les gens pensent ?

Encore plus d’hypocrisie, et de la plus sidérante espèce : le président Bush et d’autres officiels ont souvent déclaré, avec colère, que ce n’est pas seulement aux terroristes que les États-Unis vont faire la guerre, c’est à tout pays qui abrite des terroristes. Toutefois, dans le chapitre « Refuge pour les terroristes », le lecteur verra que peu de pays, sinon aucun, n’abritent autant de terroristes que les États-Unis.

Gagner les cœurs et l’opinion afghans

Du ciel, et des avions américains, il n’est pas tombé que des bombes. Il y eut aussi des colis de nourriture. N’est-ce pas une attitude excessivement étrange, de la part des États-Unis, que de larguer à la fois bombes et nourriture sur la population d’Afghanistan ? Si, à Pearl Harbor, les Japonais avaient largué de délicieux colis de teriyaki avec les bombes, les Américains et le reste du monde auraient-ils eu un regard plus tendre pour les Japonais ? Peut-être que si le 11 septembre, les terroristes avaient largué des sandwichs au pastrami sur le centre de Manhattan avant que les avions piratés ne frappent le World Trade Center... Et ça marche ! Des millions d’Américains eurent une poussée de fierté en pensant à la magnanimité de leur pays.

Les États-Unis, qui ont inventé et mené à leur perfection la publicité moderne et les relations publiques, continuent dans la même veine. On lâcha aussi de nombreux tracts sur la population de l’Afghanistan. En voici un qui fut lâché aux environs du 20 octobre :

Êtes-vous satisfaits d’être dominés par les talibans ? Êtes-vous fiers de vivre dans la peur ? Êtes-vous heureux de voir la terre de vos ancêtres devenir un terrain d’entraînement pour les terroristes ? Voulez-vous d’un régime qui fait retourner l’Afghanistan à l’âge de pierre et donne de l’Islam une mauvaise image ? Êtes-vous fiers de vivre sous un gouvernement qui donne asile à des terroristes ? Êtes-vous fiers de vivre dans un pays dominé par des fondamentalistes extrémistes ? Les talibans ont dépouillé votre pays de sa culture et de son héritage. Ils ont détruit vos monuments nationaux et vos œuvres culturelles. Conseillés par des étrangers, ils règnent par la force, la violence et la peur. Ils soutiennent que leur interprétation de l’Islam est la seule, la véritable, la divine. Ils se considèrent comme des experts religieux, bien qu’ils soient ignorants. Ils tuent, commettent des injustices, vous maintiennent dans la pauvreté et proclament que c’est au nom de Dieu.

On pourrait lâcher, dans le même esprit, le tract suivant sur les États-Unis :

Êtes-vous satisfaits d’être dominés par le parti Républicain-Démocrate ? Êtes-vous fiers de vivre dans la peur, l’insécurité, la terreur ? Êtes-vous heureux de voir la maison dont votre famille est propriétaire depuis des générations confisquée par une banque ? Voulez-vous d’un régime qui transforme les États-Unis en un État policier et donne une mauvaise image du Christianisme ? Êtes-vous fiers de vivre sous un gouvernement qui donne asile à des centaines de terroristes à Miami ? Êtes-vous fiers de vivre dans un pays dominé par des capitalistes extrémistes et des religieux conservateurs ? Les capitalistes ont dépouillé votre pays de l’égalité et de la justice. Ils ont détruit vos parcs nationaux et vos rivières, corrompu vos médias, vos élections et vos relations personnelles. Conseillés par un dieu nommé « le marché », ils règnent par la menace du chômage, de la faim, et par la menace de vous transformer en sans-abri. Ils soutiennent que la façon dont ils organisent la société et refont le monde est la seule et unique, la véritable, la divine. Ils se considèrent comme des experts en moralité, bien qu’ils soient ignorants. Ils bombardent, envahissent, assassinent, torturent, renversent des gouvernements, commettent des injustices, vous maintiennent, vous et le monde, dans la pauvreté et proclament que c’est au nom de Dieu.

Reconstruire l’Afghanistan ?

« Une réunion US envisage la reconstruction de l’Afghanistan », titrait le Washington Post du 21 novembre 2001. Après une journée de réunion de dirigeants d’une vingtaine d’organisations nationales et internationales à Washington, les responsables américains et japonais déclarèrent qu’ils avaient développé « un programme d’action » pour la reconstruction à long terme du pays ravagé par la guerre. Cette bonne intention peut avoir ranimé la flamme du « qu’on-est-bien-en-Amérique », à laquelle s’est réchauffé l’ensemble des habitants atterrés depuis le 11 septembre. Mais il y a probablement là-dedans beaucoup plus de propagande que de substance.

Les États-Unis sont responsables d’une longue liste de bombardements de divers pays, de régions entières, de nombreuses villes, réduites en décombres, d’infrastructures démolies, de vies brisées pour les survivants. Sans qu’il s’ensuive aucune réparation. Bien qu’il fut stipulé par écrit que les États-Unis poursuivraient leur « politique traditionnelle » de « reconstruction d’après-guerre », aucune compensation ne fut attribuée au Vietnam après une dizaine d’années de dévastations. Au cours de la même période, le Laos et le Cambodge furent ravagés par des bombardements US sans répit, comme au Vietnam. Les guerres d’Indochine terminées, ces pays, eux aussi, bénéficièrent de la « politique traditionnelle » de Washington de non-reconstruction.

Vinrent ensuite les bombardements américains de la Grenade et du Panama, dans les années 80. Des centaines de Panaméens adressèrent des pétitions aussi bien à l’Organisation des États américains, contrôlée par Washington, qu’à des tribunaux américains, remontant jusqu’à la Cour Suprême. Ils demandaient de « justes compensations » pour les dommages causés par l’opération Juste Cause (c’est le nom donné, sans ironie, à l’invasion et aux bombardements américains). Ils n’obtinrent absolument rien, pas plus que les habitants de la Grenade.

En 1991, ce fut au tour de l’Irak : quarante jours, quarante nuits de bombardements ininterrompus ; destruction des réseaux d’électricité et d’eau, des systèmes sanitaires et de tout ce qui fait une société moderne. Chacun sait ce que les États-Unis ont fait pour aider à reconstruire l’Irak. En 1999, nous avons eu le cas de la Yougoslavie : septante-huit [soixante-dix-huit] jours de bombardements ininterrompus ont quasiment transformé un État industriel avancé en un pays du tiers-monde ; les besoins de reconstruction étaient impressionnants.

Deux ans plus tard, en juin 2001, après que les Serbes, suivant docilement les souhaits de Washington, eurent évincé Slobodan Milosevic et l’eurent envoyé devant le tribunal de La Haye, imposé au Conseil de Sécurité par les États-Unis, la Commission européenne et la Banque Mondiale convoquèrent une « conférence des donateurs ». Organisée soi-disant pour s’occuper de la « reconstruction » de la Yougoslavie, elle devint plutôt une conférence sur les « dettes » de la Yougoslavie.

Le Premier ministre serbe, Zoran Djindjic, connu pour être particulièrement pro-occidental, déclara en juillet 2001, dans un entretien avec l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, qu’il se sentait trahi par l’Occident :

Il aurait mieux valu que la « conférence des donateurs » n’ait pas eu lieu et qu’à la place on nous ait donné cinquante millions de DM cash... En août, nous devrions recevoir le premier versement, 300 millions d’euros. Et voilà qu’on nous dit que 225 millions d’euros seront retenus pour rembourser une ancienne dette qui s’est accumulée en partie à l’époque de Tito. Les deux tiers de cette somme sont des pénalités et des intérêts cumulés parce que Milosevic a refusé de rembourser ces crédits pendant dix ans. On nous donnera les 75 millions d’euros restant au plus tôt en novembre. Ce sont les principes en Occident, nous a-t-on dit. Cela revient à dire : on administre le médicament à un grand malade après sa mort. Car, pour nous, les mois critiques seront juillet, août et septembre14.

Fin 2001, il y avait deux ans et demi que les ponts yougoslaves s’étaient écroulés dans le Danube, qu’usines et maisons étaient détruites, que les réseaux de transport étaient démantelés. La Yougoslavie n’avait encore reçu aucun fonds pour la reconstruction de la part des États-Unis, architecte et principal auteur des bombardements.

Quels que soient les gouvernants de l’Afghanistan, il leur sera extrêmement difficile d’empêcher les militaires US de construire ce qu’ils voudront pour leurs propres besoins. Quant à ce que les États-Unis construisent quelque chose pour le peuple afghan, ils peuvent attendre longtemps. Contrastant avec le titre du Washington Post du 21 novembre cité ci-dessus, on trouvait, cinq semaines plus tard, dans le même journal : « Puisqu’elle a payé la majeure partie de la campagne militaire qui a rendu possible le nouveau gouvernement [afghan], l’administration Bush a fait savoir qu’elle s’attend à ce que les autres pays, particulièrement le Japon et les nations européennes, conduisent la reconstruction du pays15. » Comme si les bombardements américains avaient été exécutés à la demande ou au bénéfice du Japon et de l’Europe, et non dans l’intérêt propre de Washington.

À la suite des bombardements de l’Irak, les États-Unis ont installé des bases militaires en Arabie Saoudite, au Koweït et dans les pays du golfe Persique. À la suite des bombardements de la Yougoslavie, les États-Unis ont installé des bases militaires au Kosovo, en Albanie, Macédoine, Hongrie, Bosnie et Croatie. À la suite des bombardements de l’Afghanistan, les États-Unis semblent bien sûr en passe d’installer des bases militaires en Afghanistan, au Pakistan, en Ouzbékistan, au Tadjikistan et peut-être ailleurs dans la région.

Mis à part la punition primitive, par vengeance aveugle contre... quelqu’un, le bombardement, l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan ont été conduits principalement pour permettre l’installation d’un nouveau gouvernement suffisamment favorable aux objectifs internationaux de Washington, y compris l’installation de bases et de stations d’interception des communications électroniques, et le passage à travers le pays d’oléoducs et de gazoducs depuis la région de la mer Caspienne. En revanche, le bien-être des Afghans n’a pas dû compter pour beaucoup, si l’on considère que les éléments mis au pouvoir par les militaires US y étaient déjà rejetés en grande partie avant les talibans et que leur régime avait été si dépravé que les Afghans avaient accueilli favorablement la venue des talibans.

Leurs nouvelles exactions, commises sous couvert de la puissance américaine, montrent qu’ils n’ont pas perdu la main. Le Premier ministre du gouvernement intérimaire, Hamid Karzai, bien qu’il ne semble pas trop abominable, pourrait avoir un problème de crédibilité vu sa relation étroite et prolongée avec le Département d’État américain, le Conseil National de Sécurité, le Congrès et d’autres piliers de l’establishment de la politique étrangère américaine16. De plus, la relation ne fonctionne que dans un sens, car quand les dirigeants du gouvernement intérimaire ont demandé aux États-Unis, en décembre 2001, d’arrêter leurs bombardements à cause de la multitude de morts innocents, Washington a refusé, disant qu’elle avait son propre planning.

Ceci n’est pas de bon augure pour le futur gouvernement et la société afghane. Pas plus que ne l’est la désignation par Karzai du général Rashid Dostom, pressenti comme vice-ministre de la Défense, un homme qui, entre autres charmes, a l’habitude, pour punir ses soldats, de les attacher à un char qu’il fait tourner dans la cour de sa caserne jusqu’à les réduire en bouillie17.

La « menace » terroriste

Écrite en 1999, l’introduction qui suit précise que le spectre d’un ennemi dangereux et menaçant a été, sous une forme ou une autre, gonflé pendant des dizaines d’années afin d’intimider le public américain et l’amener à accepter les mesures de sécurité progressivement mises en place. Afin, aussi, de persuader l’ensemble des citoyens de s’en remettre au pouvoir des autorités capables de les sauver de ce « spectre » que les manipulations leur ont appris à craindre. Les mesures de sécurité nationale sont très prisées des élites, avec leur cortège de budgets colossaux, de nombreux avantages pour ses dirigeants, des prétextes pour augmenter les pouvoirs de la police et lui permettre d’avoir l’œil sur ceux qui émettent des doutes.

À la lumière de ce qui est arrivé le 11 septembre 2001, il peut sembler à certains qu’en fait, la menace n’était pas exagérée, qu’elle était au contraire bien réelle. Mais notre introduction ne laisse pas entendre qu’il n’y aura jamais d’attaque contre les États-Unis, en prévision de laquelle un certain niveau de préparation militaire et autre est nécessaire. Étant donné le bellicisme constant de la politique étrangère américaine, et son caractère destructeur, on ne peut que s’attendre à des représailles à un moment ou à un autre, ici ou là.

Pendant près de cinquante ans, on a bourré le crâne des Américains avec la menace imminente d’une invasion soviétique de l’Europe de l’Ouest ou d’une attaque nucléaire sur les États-Unis. Rien de tel ne s’est produit, bien sûr. Rien de tel n’a jamais été sérieusement envisagé par les Soviétiques, bien sûr ; pour d’évidentes raisons d’autoprotection. Puis, après la disparition de l’Union soviétique, on a trouvé un grand nombre de nouveaux pays « ennemis », ainsi que la menace de la drogue et la menace terroriste. Les attaques terroristes très occasionnelles contre les États-Unis, presque toujours commises à l’étranger et en réaction à la politique américaine, furent utilisées par Washington pour attiser la peur et augmenter les budgets.

Depuis l’attaque de septembre, c’est tous les jours Noël pour les dirigeants de la sécurité nationale et la cohorte de leurs entreprises. Tous leurs souhaits ont été comblés, et au-delà. Très vite, ils ont augmenté massivement les dépenses militaires ; étranglé sans vergogne les dépenses sociales ; décidé, pour les plus grandes entreprises, des réductions d’impôt considérables et écœurantes ; grandement accru les pouvoirs de poursuite judiciaire et de surveillance de la population, jusqu’au droit de pénétrer dans les maisons quasiment à volonté – à un point que les dictatures peuvent envier ; annulé le Bill of Rights (charte des droits constitutionnels) pour les non-citoyens, y compris les résidents en situation régulière ; créé une Direction de la sécurité de la patrie (Office of Homeland Security) ; se sont évertués à réduire la législation sur l’environnement ; ont abrogé unilatéralement un traité majeur sur le contrôle des armements ; révélé des projets d’expansion de l’empire américain, au nom de la « croisade antiterroriste » visant l’Irak, la Somalie, la Corée du Nord et le Soudan, entre autres ; et bien d’autres choses.

Beaucoup de personnes en position vulnérable qui ont critiqué les bombardements, en ont subi les conséquences ; nombre d’universitaires qui ont pris la parole contre la guerre ont perdu leur place ou ont été blâmés publiquement par les autorités ; des lycéens ont été suspendus pour la même raison ; le seul membre du Congrès qui a voté contre l’« autorisation d’utiliser la force militaire » a reçu d’innombrables menaces et des courriers haineux ; et ainsi de suite. Le résultat de ce qui précède est un État policier ; pas le pire qui soit au monde, bien sûr, mais un État policier quand même ; la guerre contre la drogue l’avait mis en place bien avant le 11 Septembre. Vraisemblablement, le désir bien ancré des élites de se débarrasser du fléau que constitue le mouvement antiglobalisation est un des principaux motifs de l’assaut contre les libertés civiles.

Selon la nouvelle loi antiterrorisme (« USA Patriot Act ») – passée en urgence avant qu’aucun membre du Congrès, ou presque, ait seulement pu en lire le texte interminable – les actions qui se proposent « d’intimider ou contraindre une population civile » ou « d’influencer la politique d’un gouvernement par intimidation ou contrainte » peuvent être considérés comme du « terrorisme ». Avec un grand danger non seulement pour la personne arrêtée, mais aussi pour le groupe auquel elle appartient et pour ceux qui le constituent. Tous seront sérieusement menacés de se voir, au minimum, confisquer leurs biens. Combien de jeunes gens vont-ils jouer leur avenir sur un tel risque ? Combien d’organisations vont-elles courir le risque de tout perdre ?

Qui savait quoi et quand ?

Comme on pouvait s’y attendre, depuis le 11 Septembre de nombreux rapports soulèvent des questions à propos des versions officielles. Ces rapports concernent : la rencontre entre la CIA et Ben Laden en juillet dans un hôpital de Dubaï ; le fait que le Mossad israélien ait été derrière tout cela ou, pour le moins, qu’il ait eu par avance des renseignements concernant les attentats et ne les ait pas divulgués, afin que les Américains puissent découvrir ce qu’endure Israël avec les terroristes ; l’échec des systèmes de sécurité et de défense aériennes, dans l’exécution des procédures de routine, expérimentées depuis longtemps, et dans la destruction en vol du second et du troisième avion – un choix délibéré peut-être ; un délit d’initié important, peu avant les attaques, basé sur la prévision que les actions d’American et United Airlines plongeraient avec leurs avions ; les rencontres avec les talibans et le soutien qu’on leur a apporté pendant des années ; les liens entre la famille Bush et les Ben Laden ; et d’autres choses encore18.

Cela suffira à nourrir les chercheurs et les éditeurs pour les années à venir. Mais, étudier sous tous les angles les questions soulevées, avec la profondeur qu’elles méritent, dépasse les dimensions de cet essai et le temps comme l’énergie dont l’auteur dispose. Je ne peux qu’ajouter mes propres analyses spéculatives au dossier déjà bien lourd. Il faut faire un gros effort de crédulité pour croire que le FBI, la CIA, la NSA et autres, ignoraient totalement qu’une opération terroriste d’envergure était prévue aux États-Unis. Et, si violente que l’opération ait été finalement, sa nature ne pouvait pas être inconcevable pour ces agences, car en février 2000, en Israël, à « la première conférence internationale de défense contre les attaques suicides », la CIA avait été avertie de façon spécifique que des terroristes projetaient de pirater un avion de ligne pour en faire une arme contre des symboles importants des États-Unis19.

De plus, un terroriste arrêté aux Philippines en 1995 avait révélé que son groupe prévoyait de pirater de petits avions, de les remplir d’explosifs, et de s’écraser avec sur des cibles gouvernementales comme la CIA et autres20. Deux ou trois des pirates figuraient sur une liste de suspects du FBI. D’après les sources du FBI, chaque fois, pratiquement, qu’il a prévenu une attaque terroriste, le succès fut la conséquence d’investigations sur le long terme, caractérisées par la patience et la décision de laisser le complot se développer. « Évidemment, vous voulez laisser les choses aller jusqu’au bout afin de pouvoir mesurer l’ampleur et l’envergure de la conspiration. Évidemment, la meilleure méthode, la plus efficace pour y parvenir, est de laisser faire jusqu’au dernier acte21. » Il se peut qu’ils aient attendu un acte de trop.

Même s’il y a peu de choses dont ne soient pas moralement capables les dirigeants américains, je ne pense pas qu’ils auraient permis que cela arrive, s’ils avaient su exactement ce qui allait arriver, et à quel moment. Le Pentagone n’aurait certainement pas permis que son sanctuaire et son personnel soient frappés si sauvagement. Par ailleurs, le fait que tant de désirs des élites aient été accomplis garantit d’alimenter les théories du complot.

Est-ce un moyen d’en finir avec le terrorisme ?

En Afghanistan, la politique américaine de la terre brûlée par les bombardements risque de se terminer par un naufrage politique. Peut-on douter que, grâce aux destructions épouvantables, des gens, par milliers à travers le monde musulman, aient été émotionnellement et spirituellement gagnés à la cause du prochain Oussama Ben Laden ? Autrement dit, la prochaine génération de terroristes.

En décembre, alors que les bombes américaines tombaient encore sur l’Afghanistan, un homme – Richard Reid, citoyen britannique converti à l’Islam – a essayé, avec des explosifs cachés dans ses chaussures, de faire exploser un avion d’American Airlines en route pour les États-Unis. L’ecclésiastique responsable de la mosquée de Londres que Reid fréquentait a prévenu que des extrémistes enrôlaient d’autres jeunes gens comme Reid, et que ces agents, dans la ligne de l’Islam radical, ont intensifié leurs efforts de recrutement depuis le 11 Septembre. L’ecclésiastique a déclaré qu’il connaissait des « centaines de Richard Reid » recrutés au Royaume-Uni. Reid, décrit dans la presse comme un « instable », aurait voyagé en Israël, en Égypte, en Hollande et en Belgique avant d’arriver à Paris et d’embarquer dans l’avion d’American Airlines22.

D’où la question : qui l’a financé ? Le gel par les États-Unis de nombreux comptes bancaires de groupes terroristes présumés, dans le monde entier, n’aurait donc qu’un effet limité. Les Américains ne se sentent pas plus en sécurité sur leurs lieux de travail ou de loisirs, et pendant leurs voyages, qu’ils ne l’étaient 24 heures avant que commencent les bombardements décidés par leur gouvernement. L’élite au pouvoir a-t-elle appris quelque chose ?

En décembre 2001, à Washington, James Woolsey, ancien directeur de la CIA, se fit l’avocat d’une invasion de l’Irak. Indifférent aux réactions du monde arabe, il déclara : le silence des populations arabes à la suite des victoires américaines en Afghanistan prouve « que seule la crainte rétablira le respect envers les États-Unis23. » Alors, que peuvent faire les États-Unis pour en finir avec le terrorisme dirigé contre eux ?

La solution consiste à faire disparaître les motivations antiaméricaines des terroristes. Pour y parvenir, la politique américaine devra entreprendre une métamorphose, comme en témoigne le contenu de ce livre. Si j’étais président, j’arrêterais en quelques jours les attaques terroristes contre les États-Unis. Définitivement. D’abord, je présenterais mes excuses à toutes les veuves, aux orphelins, aux personnes torturées, à celles tombées dans la misère, aux millions d’autres victimes de l’impérialisme américain. Ensuite, j’annoncerais aux quatre coins du monde que les interventions américaines dans le monde sont définitivement terminées, et j’informerais Israël qu’il n’est plus le 51e État des États-Unis mais dorénavant – chose curieuse à dire – un pays étranger. Et puis, je réduirais le budget militaire d’au moins 90 %, utilisant le surplus à payer des réparations aux victimes. Ce serait plus que suffisant. Le budget militaire d’une année, soit 330 milliards de dollars, équivaut à plus de 18 000 dollars de l’heure depuis la naissance de Jésus-Christ. Voilà ce que je ferais les trois premiers jours. Le quatrième jour, je serais assassiné. Washington, DC, janvier 2002

Introduction

Le titre de ce livre pourrait être Serial Killers de bébés, leurs meurtres à la tronçonneuse et les femmes qui les aiment.

Les femmes ne croient pas vraiment que leurs bien-aimés feraient une chose pareille, même si on leur montre un membre coupé ou un torse sans tête. Ou alors, si elles le croient, elles savent au plus profond d’elles-mêmes que leurs amants avaient les meilleures intentions ; cela n’a pu être qu’une espèce d’accident malheureux, une gaffe commise en toute bonne foi ; en fait, bien plus vraisemblablement, ce fut un acte humanitaire.

Pendant 70 ans, les États-Unis ont convaincu la plus grande partie du monde qu’il existait une conspiration internationale. Un Complot Communiste International, n’ambitionnant pas moins que le contrôle de la planète entière, dans un but rien moins que social. Et on a fait croire au monde que, d’une façon ou d’une autre, il avait besoin des États-Unis pour le sauver de l’obscurantisme communiste. « Achetez simplement nos armes, disait Washington, laissez nos militaires et nos entreprises vagabonder librement à travers votre pays, donnez-nous un droit de veto sur le choix de vos dirigeants, et nous vous protégerons. »

Ce fut le racket le plus intelligent depuis que les hommes ont convaincu les femmes qu’elles avaient besoin d’eux pour les protéger – si tous les hommes disparaissaient du jour au lendemain, combien de femmes auraient-elles peur de marcher dans les rues ?

Et si les gens de quelque pays étranger étaient assez aveugles pour ne pas réaliser qu’ils avaient besoin d’être sauvés, s’ils ne savaient pas apprécier la noblesse sous-jacente des motifs américains, on les avertissait qu’ils brûleraient dans l’Enfer Communiste. Ou dans un enfer fabriqué par la CIA. Et qu’ils seraient sauvés quand même.

Plus d’une dizaine d’années après la chute du mur de Berlin, l’Amérique continue à protéger les pays et les peuples d’un danger ou d’un autre. Depuis 1945, les États-Unis ont tenté de renverser plus de quarante gouvernements étrangers, et d’écraser plus de trente mouvements nationalistes ou populaires en lutte contre des régimes intolérables. Ce faisant, les Américains ont causé le décès de plusieurs millions de personnes, et condamné encore plus de millions d’individus à une vie d’agonie et de désespoir. Pendant que j’écris ces lignes à Washington, DC, [en avril 1999], les États-Unis sauvent la Yougoslavie. Ils bombardent une société moderne, la renvoyant à l’âge préindustriel. Et le grand public américain, dans son infinie sagesse, est convaincu que son gouvernement est animé par des motifs « humanitaires ».

Washington est submergé par les dignitaires étrangers venus célébrer le cinquantième anniversaire du Traité de l’Organisation de l’Atlantique Nord, (OTAN), trois jours de pompes sans précédent. Les présidents, premiers ministres et ministres étrangers, en dépit de leur rang, sont heureux d’être admis à la cour du tyran. Les entreprises privées financent ce somptueux week-end ; une douzaine d’entre elles payant 250 000 dollars chacune pour qu’un des membres de la direction soit un responsable du comité d’accueil du sommet de l’OTAN. Nombre de ces firmes ont exercé un lobbying intense pour l’extension de l’OTAN à la République tchèque, la Hongrie et la Pologne, chacun de ces pays étant susceptible d’acheter d’énormes quantités de matériel militaire à ces entreprises.

Ce mariage de l’OTAN et des entreprises transnationales est le fondement du Nouvel Ordre Mondial, nom donné par George Bush à l’Empire américain. La crédibilité du Nouvel Ordre Mondial repose sur la croyance planétaire que le monde nouveau sera meilleur pour l’ensemble de l’humanité, et non uniquement pour les trop ambitieux, ainsi que sur la croyance que le leader du Nouvel Ordre Mondial, les États-Unis, ont de bonnes intentions.

Jetons un coup d’œil sur une partie de l’histoire contemporaine des États-Unis, cela peut être instructif. Un rapport du Congrès, de 1994 nous apprend que :

Environ 60 000 militaires ont été utilisés comme sujets d’expérience dans les années 40 pour tester deux agents chimiques, le gaz moutarde et le lewisite [gaz urticant]. La plupart de ces sujets ne furent pas informés de la nature des expériences et n’eurent jamais aucun suivi médical après leur participation à la recherche. Mieux, quelques-uns de ces êtres humains furent menacés d’emprisonnement à Fort Leavenworth s’ils parlaient de ces expériences avec quiconque, y compris leurs épouses, leurs parents et leurs médecins de famille. Des dizaines d’années durant, le Pentagone nia que ces recherches aient eu lieu, entraînant autant d’années de souffrance pour nombre de vétérans qui étaient tombés malades après les tests secrets1.

Faisons un bon en avant vers les années 90. Des milliers de soldats américains sont revenus de la guerre du Golfe avec des maladies inconnues. On a suspecté une exposition à des agents biologiques ou chimiques nocifs, mais le Pentagone a nié que ceci se soit produit. Des années passèrent pendant lesquelles les GI’s souffrirent terriblement. Problèmes neurologiques, fatigue chronique, problèmes dermatologiques, lésions pulmonaires, perte de mémoire, douleurs musculaires et tendinites, forts maux de tête, troubles de la personnalité, et d’autres... À la longue, le Pentagone fut forcé d’abandonner, pied à pied, sa position. Il admit que, oui, des dépôts d’armes chimiques avaient bien été bombardés ; et puis, oui, il s’en était probablement dégagé des poisons mortels ; et puis, oui, en effet, des militaires américains se trouvaient à proximité de ces émanations toxiques, 400 soldats ; et puis ils pouvaient avoir été 5 000 ; puis, « un très grand nombre », probablement plus de 15 000 ; puis, pour finir, un nombre précis – 20 867 ; puis « le Pentagone annonça qu’une simulation par ordinateur longuement attendue estime que près de 100 000 soldats US pourraient avoir été exposés à des quantités significatives de gaz sarin2... »

Les soldats furent également contraints de se faire vacciner contre la maladie du charbon et les gaz neurotoxiques, vaccins que le FDA n’avait pas agréés comme efficaces et sans danger. En cas de refus ils étaient punis, parfois traités comme des criminels. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, des soldats US furent contraints de se faire vacciner contre la fièvre jaune, en conséquence de quoi, quelque 330 000 d’entre eux furent infectés par le virus de l’hépatite B3. Finalement, fin 1999, presque neuf ans après la fin de la guerre du Golfe, le ministère de la Défense déclara qu’un médicament administré aux soldats contre un certain gaz neurotoxique « ne pouvait être mis hors de cause » dans les maladies persistantes de quelques anciens combattants4.

Les huiles du Pentagone, en outre, n’ont pas averti les soldats américains du grave danger de se trouver à proximité d’armes qui répandent de l’uranium appauvri sur le champ de bataille.

Si le Pentagone avait été nettement plus disposé à communiquer dès le début ce qu’il savait de ces armes et substances variées, les soldats auraient peut-être pu bénéficier d’un diagnostic rapide et recevoir plus tôt les soins appropriés. Le coût en termes de souffrances humaines fut incalculable. On peut en trouver une évaluation dans l’estimation qu’un tiers des sans domicile fixe américains sont des anciens combattants.

Et dans les décennies qui séparent les années 40 des années 90, que trouvons-nous ? Une variété remarquable de programmes gouvernementaux, qui, soit officiellement soit dans leurs effets, utilisent des soldats comme cobayes – envoi de pilotes à travers les champignons nucléaires ; soumission à des expériences d’armes chimiques et biologiques ; expériences sur les radiations ; expériences sur les modifications du comportement (lavage de cerveau avec du LSD) ; exposition à la dioxine de l’Agent Orange en Corée et au Vietnam... la liste n’est pas close... dans les faits, des millions de sujets auxquels on a rarement donné le choix ou une information adéquate, souvent avec des effets désastreux pour leur santé physique et/ou mentale, rarement avec des soins médicaux appropriés ou même simplement une surveillance médicale5.

La morale de cette mince tranche d’histoire est simple : si le gouvernement des États-Unis ne se soucie pas de la santé et du bien-être de ses propres soldats, si nos dirigeants ne sont pas émus par la douleur et la souffrance prolongées des guerriers démoralisés, engagés dans les guerres de l’empire, comment peut-on soutenir, comment peut-on croire, qu’ils se soucient des peuples étrangers ?

Quand un officier de la CIA demanda au Dalaï-Lama en 1995 : « Avons-nous fait une bonne ou une mauvaise chose en fournissant ce soutien [aux Tibétains] ? », le chef spirituel des Tibétains répondit que bien que cela aidât au moral de ceux qui résistaient aux Chinois, « des milliers de vies avaient été perdues dans la résistance » et que « le gouvernement US ne s’était pas impliqué dans les affaires de son pays pour aider le Tibet mais seulement, selon la tactique de la guerre froide, pour défier les Chinois6 ».

« Laissez-moi vous dire une chose au sujet des très riches, écrivait F. Scott Fitzgerald, ils sont différents de vous et moi. »

Nos gouvernants aussi.

Prenons Zbigniew Brzezinski, conseiller de Jimmy Carter pour la sécurité nationale. Dans un entretien de 1998, il admit que la version officielle selon laquelle les États-Unis n’apportèrent leur aide à l’opposition afghane qu’après l’invasion soviétique de 1979 était un mensonge. La vérité, dit-il, c’est que les États-Unis commencèrent à aider les mujahidin fondamentalistes islamiques six mois avant que les Russes n’avancent leurs pions, même s’il pensait – et il le dit à Carter – que « cette aide allait conduire à une intervention militaire des Soviétiques ».

On demanda à Brzezinski s’il regrettait cette décision.

Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le guêpier afghan et vous me demandez de la regretter ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter : « Nous avons maintenant la possibilité de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » Et en effet, pendant presque dix ans, Moscou a dû faire face à une guerre insupportable pour son gouvernement, un conflit qui conduisit à la démoralisation et finalement à l’éclatement de l’empire soviétique7.

Outre qu’il n’y a pas de relation avérée entre la guerre d’Afghanistan et l’éclatement de l’empire soviétique, nous sommes confrontés aux conséquences de cette guerre : la défaite d’un gouvernement engagé à faire entrer dans le XXe siècle une nation extraordinairement arriérée ; les carnages stupéfiants ; la torture infligée par les mujahidin que même les fonctionnaires du gouvernement US qualifiaient d’« horreur indescriptible8 » ; la moitié de la population, morte, mutilée, ou réfugiée ; l’essaimage de milliers de terroristes fondamentalistes islamistes qui ont déclenché des atrocités dans de nombreux pays ; et l’incroyable répression des femmes en Afghanistan, instituée par les alliés de temps de guerre de l’Amérique.

Et pour avoir joué un rôle clé dans le déclenchement de tout ceci, Zbigniew Brzezinski n’a pas de regret. Des regrets ? L’homme en est franchement fier ! Le plus aimable que l’on puisse dire à propos d’une telle personne – une sorte de sociopathe – est qu’il est amoral. Au moins dans son incarnation publique, la seule qui nous intéresse ici. À l’époque médiévale, on l’aurait appelé Zbigniew le Terrible.

Et que nous apprend ceci sur Jimmy Carter, dont beaucoup de gens pensent qu’il est peut-être la seule personne à moitié convenable qui ait occupé la Maison-Blanche depuis Roosevelt ? À moins que ce ne soit depuis Lincoln ?

En 1977, harcelé par des journalistes de dire si les États-Unis avaient l’obligation morale d’aider le Vietnam à se reconstruire, le président Carter répondit : « Eh bien, les destructions ont été réciproques9. » Peut-être eut-il l’impression, quand il observa la dévastation du South Bronx à la fin de cette année-là, qu’elle avait été provoquée par des bombardements vietnamiens.

Au cours d’un échange télévisé désormais fameux entre Madeleine Albright et le reporter Lesley Stahl, ce dernier, parlant des sanctions contre l’Irak, demanda à celle qui était alors l’ambassadrice US aux Nations unies : « On nous dit qu’un demi-million d’enfants sont morts. Je veux dire, c’est plus que le nombre d’enfants morts à Hiroshima. Et... et vous savez, est-ce que ça vaut ce prix-là ? »

Albright répondit : « Je pense que c’est un choix très difficile, mais le prix... nous pensons que ça vaut ce prix-là10. »

On peut accorder à Albright le plus absolu bénéfice du doute et dire qu’elle n’avait d’autre choix que défendre la politique du gouvernement. Mais quel genre de personne est-on quand on accepte d’être nommée pour un travail, en sachant parfaitement qu’on sera partie intégrante d’une politique engagée d’une telle façon, et que l’on compte sur vous pour la défendre sans excuse ? Peu de temps après, Albright a été nommée secrétaire d’État.

Lawrence Summers est un autre bon exemple. En décembre 1991, alors qu’il était directeur économiste de la Banque mondiale, il écrivit une note interne pour dire que la Banque devrait encourager la délocalisation des « industries sales » vers les pays sous-développés parce que, entre autres raisons, les coûts de la détérioration de la santé et des décès dus à la pollution seraient moindres. Étant donné que ces coûts sont basés sur la perte de salaire des travailleurs affectés, les coûts estimés seront beaucoup plus bas dans un pays où les salaires sont très bas. « Je pense, écrivait-il, que la logique économique de déversements de déchets toxiques dans ses pays à bas salaires est parfaite11. » Bien que cette note interne ait été l’objet d’une large diffusion et fut blâmée en 1999, Summers a été nommé ministre des Finances par le président Clinton. Il venait du sous-secrétariat aux Finances – chargé des affaires internationales. C’était une promotion.

Nous avons aussi Clinton lui-même qui, au 33e jour de la dévastation de la Yougoslavie par l’aviation – 33 jours et nuits de destruction de villages, d’écoles, d’hôpitaux, d’immeubles d’habitation, d’équilibre écologique, de membres et d’yeux arrachés, d’intestins répandus, d’enfants traumatisés pour le reste de leurs jours... la destruction d’une vie que les Serbes ne connaîtront jamais plus – au 33e jour, William Jefferson Clinton déconseilla de juger prématurément la politique de bombardement, et jugea bon de déclarer : « Ceci peut paraître long. [Mais] je ne pense pas que cette opération aérienne ait duré particulièrement longtemps12. » Il continua donc 45 jours de plus.

Le vice-président de Clinton, Albert Gore, semblait tout à fait convenir pour lui succéder sur le trône. En 1998, il exerça une forte pression sur l’Afrique du Sud, menaçant le gouvernement de ce pays de sanctions commerciales s’il n’abandonnait pas son projet d’utiliser, contre le SIDA, des médicaments génériques moins chers, ce qui aurait amputé les ventes des entreprises US13. Notons au passage qu’en Afrique du Sud il y a environ trois millions de personnes séropositives parmi une population majoritairement pauvre. Lorsque Gore, qui avait à cette époque des liens significatifs avec l’industrie pharmaceutique14, fut interpellé durant un discours à New York, il refusa de répondre sur les faits, mais s’écria : « J’aime ce pays. J’aime le Premier Amendement15. »

Il est intéressant de remarquer que Madeleine Albright, interpellée à Colombus, Ohio, en février 1998, pendant qu’elle défendait la politique irakienne du gouvernement, hurla : « Nous sommes le plus grand pays du monde ! »

Le patriotisme est vraiment le dernier refuge des scélérats, bien que les mots de Gore et de Albright n’aient pas tout à fait l’accent de Deutschland über ailes ou Rule Britannia.

En 1985, Ronald Reagan donna une démonstration de la supériorité intellectuelle qui lui valut l’estime générale. Pour montrer ce qu’était le totalitarisme soviétique, il déclara : « Je ne suis pas linguiste, mais j’ai entendu dire que la langue russe n’a même pas de mot pour “liberté”16. » À la lumière de ces personnages et de leurs déclarations, on se demande s’il existe un mot en américain pour « embarras » ?

Non, ce n’est pas simplement que le pouvoir corrompt et déshumanise.

Ce n’est pas non plus que la politique étrangère soit cruelle parce que les dirigeants américains sont cruels.