L’exorcisme - Jean Domon - E-Book

L’exorcisme E-Book

Jean Domon

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Beschreibung

Nés à Alger, Arlette et Jean Domon n’ont plus revu l’Algérie depuis leur installation en France en 1958. En 1975, une invitation inattendue, venant de Constantine, leur pose la question du retour. Jean, enthousiaste, veut retrouver cette terre, ses couleurs, ses parfums. Arlette, réticente, souhaite oublier le passé pour se consacrer à son statut d’épouse et de mère. Finalement, le couple entreprend ce voyage qui les amènera à confronter leurs réflexes de jeunesse à la nouvelle facette du pays qui s’offre à eux, à la fois semblable et distinct de celui qu’ils croyaient bien connaître. Cette fois, ils découvrent un peuple accueillant, différent de celui au milieu duquel ils ont vécu vingt-cinq années de leur existence, le regardant pour la première fois « avec le cœur ». Dès lors, ces découvertes agiront comme un exorcisme qui bouleversera et orientera leur vie à l’inverse de ce qu’ils avaient envisagé.

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Seitenzahl: 84

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Arlette & Jean Domon

L’exorcisme

ou

Le voyage éblouissant

© Lys Bleu Éditions – Arlette & Jean Domon

ISBN : 979-10-377-6284-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pourquoi ?

Depuis treize ans, nous nous étions habitués à l’exil, plus préoccupés de construire notre nid ailleurs que de suivre les balbutiements de la révolution algérienne.

Ceux qu’on appelait injustement « les Rapatriés » occupaient toute notre attention, en particulier nos parents qui avaient laissé leur patrimoine en Algérie, pire encore leur jeunesse, leur vie.

C’est pourquoi ce jour de mai 1975, nous avons reçu comme une déflagration dans notre quotidien, l’invitation de notre jeune frère et sa famille en coopération à Constantine, à venir faire un tour au pays avant qu’ils ne rentrent en France leur séjour accompli.

Mais pour la première fois dans notre vie de couple, nos attitudes s’opposèrent fermement.

Pour Jean, le lien charnel enfoui comme une vieille douleur en voie de rémission se raviva quoique seule la terre l’attirât avec ses couleurs et ses parfums.

En ce qui me concerne, l’insertion de ma famille, non pas rapatriée mais proprement exilée puisqu’installée depuis cinq générations en Algérie, occupait tous mes efforts et mon imagination. Il s’agissait de faire oublier à maman la douleur de la séparation qui avait manqué de lui faire perdre l’esprit.

Cependant, aussitôt ce projet connu, ce fut elle qui m’encouragea à accepter afin de ne pas mettre notre couple en difficulté.

Les impressions du retour furent tellement riches qu’il nous fallut les décrire, au jour le jour, et chacun de son côté, sans autre intention que de laisser déborder le trop plein d’émotions. Il faut dire que nous n’avions pas prévu l’accueil que nous réserverait ce peuple aux côtés duquel nous avions passé 25 ans de notre vie, sans le voir ni le comprendre.

Jusqu’à ce que, peu à peu, nous prenions conscience de l’exorcisme qui s’opérait en nous, nous révélant l’inconscience dans laquelle nous avions vécu, dans une ville exclusivement française, plus par habitude ancestrale que par véritable indifférence.

Bouleversés, nous découvrions une terre habitée par un peuple chaleureux et accueillant, nous ouvrant tout naturellement la voie royale de la fraternité.

Pourquoi aujourd’hui ?

Nous avons réintégré moralement et affectivement l’Algérie à la suite de ce voyage. Nous y avons noué de belles amitiés. Nous y sommes revenus plusieurs fois et pour des raisons diverses, seuls ou en famille jusqu’à envisager d’y passer de plus longs séjours. Jusqu’à ressentir une empathie douloureuse lors des différents carnages endurés par les Algériens, les aidant et les hébergeant selon les cas, les approuvant toujours dans leur volonté de liberté démocratique.

Maintenant, devenus vieux, ne pouvant leur prêter main forte, et même si le temps a contrarié nos espoirs, voire nos projets communs, nous croyons que ces notes de voyage ont leur place, et dans l’histoire de l’Algérie, et dans l’histoire de la France dont nous souhaitons par-dessus tout la collaboration fraternelle.

Arlette et Jean Domon

Chapitre 1

Le choc du retour

Mardi 27 mai 1975 – 12 h 15, heure algérienne

Arlette

Le premier choc : la côte constantinoise, les collines et les champs sont verts. Le continent nord-africain n’a pas été plus épargné que l’Europe par le mauvais temps.

En cinq minutes, nous survolons Constantine, ses grands immeubles comme des châteaux de cartes. Une espèce de briquet géant, extra-plat, se dresse apparemment seule sur un sommet. En fait, il s’agit du bâtiment de 20 étages de toute l’administration universitaire.

Plus tard, nous visiterons les bâtiments d’un seul étage tout autour, avec leurs nombreux amphis en sous-sol.

Le Turbo-Jet Boeing 727 « Tassili » de la Cie nationale Air Algérie perd encore de l’altitude et l’on aperçoit très nettement au milieu d’une immensité nue ocre et brune des tentes de Bédouins aux couleurs assorties à la terre.

Sur la terrasse de l’aérodrome d’Aïn el Bey, la famille nous attend.

Sur le terrain bordant les pistes d’envol, les fleurs d’Algérie, les herbes d’Algérie, les couleurs d’Algérie sont là pour nous accueillir aussi.

Second choc : la chaleur. Celle qu’on attendait dans son cœur mais pour laquelle notre tenue n’est pas de mise. À Vitrolles, nous avions froid il y a une heure !

Au débarquement, on passe au compte-gouttes. Il faut dire où nous allons et surtout déclarer « les devises ». Les douaniers paradent. Profitant de la hardiesse d’une belle et jeune Algérienne très émancipée qui en a hélé un (son passeport nous a appris qu’elle se prénommait Dalila) nous faisons enfin vérifier nos bagages. La soubressade, ça passe ; les saucisses, ça passe ; le fromage, ça passe. Et les devises ? On annonce la couleur et ils inscrivent sur nos billets retour la somme apportée.

Troisième choc : les eucalyptus. Nous en avons rêvé pendant 16 ans.

Premier repas algérien : des crevettes. Le cœur me manque de joie. Le mouton n’a pas le même goût que là-bas… là-bas qui se perd de plus en plus dans les brumes du souvenir, tant l’emprise du « pays » est forte.

Après-midi dans les rues de Constantine aux odeurs de sueur et d’épices. Le grouillement de la foule est ahurissant. Nous voyons, nous sentons, nous rions, nous nous souvenons, mieux nous revivons le présent !

Étonnante moyenne de jeunesse de la population. Les enfants grouillent comme les mouches sur la pâtisserie arabe au mois d’août !

Jean

Cirta. Constantine. Ksouteïna.

Une double arête rocheuse dominant d’immenses espaces de terres rouges, beiges, brunes, vertes, rehaussées d’îlots d’arbres compacts en pente douce ou en collines plus franches, à perte de vue dans toutes les teintes de la création. Et sur ces pitons grandioses, réfugiés comme des aigles, sûrs de leur pouvoir à contrôler toute chose depuis l’Antiquité, les hommes, entassés.

Aujourd’hui en Algérie indépendante, ils grouillent. Toutes les rues de la ville sont des fleuves ou des rivières d’hommes, de femmes, de voiles noirs, de grappes d’enfants, de bourricots chargés de cartons. L’intruse du siècle, la voiture, ne peut avancer qu’en écartant devant son pare-chocs cette alluvion continue d’humanité qui se reconstitue immédiatement derrière. Résultat : cette foule qui crie, parle fort, gesticule, est sans cesse provoquée par les klaxons des autos. Le bruit est épuisant, le mouvement soûlant. Pour notre première demi-journée, nous sommes revenus sur les genoux de ce bain de foule.

Et c’est toujours comme ça ? Quels que soient le jour ou l’heure ! La réponse à mon étonnement est hélas très simple : 80 % des gens sont au chômage et la jeunesse qui représente ici 55 % de la population totale ne peut aller à l’école que par roulement. Après la vie grouillante, ou plutôt avec, c’est la pauvreté.

Les « Galeries algériennes », grand magasin de Constantine, sont minables, sans choix, sans réclames brillantes, très éloignées de nos « Mamouths ». Dans les ruelles, les petits marchands vendent sur des carrioles aux planches pourries, des cigarettes à la pièce, des chocolats au carré, des bananes à l’unité.

Arlette

Les magasins sont assez pauvrement achalandés. Les devantures datent d’avant-guerre (celle de 40 bien sûr). Les Galeries algériennes présentent à la vente des produits artisanaux pour la plupart, issus de récentes usines constantinoises.

Mais un arrivage de camemberts de Normandie provoque une bousculade au rayon crèmerie. Cela nous rappelle la période des restrictions. Aux étages, on vend des disques algériens, égyptiens et des télévisions. Il paraît que les programmes forcent sur l’arabisation de la population et que pour cela, le prix en est plutôt moyen quoique le paiement comptant soit seul reconnu. Le rayon vêtements est assez standard et sans recherche.

Jean

Dans une rue montante qu’ici on appelle la rue de Marseille, les Algériens revenus d’Europe vendent au grand jour toutes sortes de produits de contrebande, qu’ils étalent sur une grande feuille de plastique posée sur des capots de voitures. Celles-ci sont garées l’une derrière l’autre le long du trottoir.

Une grappe de clients entoure chaque capot. De temps en temps, la police mime une descente. Alors les marchands enroulent leur grande nappe en plastique enfermant toutes leurs provisions et se réfugient dans les cours intérieures, les escaliers, etc.

Autres petits commerces, les marchands de gâteaux, de bonbons, de chaises d’enfants en bois blanc, de fèves bouillies et salées vendues dans des petites mesures en matière plastique. Même un jeune garçon derrière un pèse-personne propose une pesée pour un ou deux douros !

Arlette

Vers le soir, nous montons jusqu’au sommet des rochers où se tiennent le Monument aux Morts et, plus haut, la Vierge du rocher de Sidi M’Cid. La terre sent bon. Les couleurs sont douces sous le ciel orageux. Jean flaire, renifle, bondit de rocher en caillou. Il prend possession de l’espace algérien.

L’espace algérien prend possession de moi, lentement, comme une marée irrésistible. Je connais à peine Constantine. J’y reviens en touriste. Quant à Alger… ma blessure, personne ne pourra m’obliger à y retourner.

Pourtant ce soir, hier est aboli. Aujourd’hui, se referme sur moi comme pour ne plus me lâcher.

Mercredi 28 mai 1975

Jean

Dans la périphérie de cette ville effervescente, il y a pêle-mêle de nouveaux immeubles de 8 étages, des bidonvilles de torchis, briques artisanales d’argile et de paille, chaumes, tôles ondulées, carcasses de voitures, planches de caisses, etc.

Il existe aussi des cairons artisanaux faits de ciment, sable et graviers utilisés dans les innombrables constructions spontanées ; des mosquées bleues ou vertes, des terrains vagues, des pâturages, des dépôts industriels.