L'Immense effort - Paul Margueritte - E-Book

L'Immense effort E-Book

Paul Margueritte

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Extrait : "Sous ce titre, obstine comme le choc d'un marteau-pilon, M. Charles Humbert n'a cessé de réclamer l'industrialisation de la guerre. Son collègue au Sénat, M. Henry Bérenger lui a fait écho, et de partout le grand cri d'alarme, scandé par des voix nombreuses, s'enfle et répond en tocsin au fracas du front, seconde les efforts méritoires et l'active énergie de M. Albert Thomas."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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À mon second fils

ANTOINE-PAUL

né en 1916

En mémoire de son Grand-Père

le GÉNÉRAL MARGUERITTE

mort en 1870

Je dédie ce livre pour plus tard.

Pour mon fils

Tu viens de naître, Antoine-Paul, et quand tu liras ces pages, vraisemblablement je ne serai plus là pour te les commenter. Je te dédie donc ce second livre sur la guerre, comme j’ai dédié le premier à ton frère Yves-Paul, car tous deux, mes petits, devrez participer à l’immense effort qui seul rendra à notre pays sa vigueur et son éclat.

Conscients de ce par quoi nous avons failli périr, tu comprendras, vous comprendrez le rôle assigné à tout bon Français. Tu travailleras, tu développeras ton corps, ton esprit et ton cœur ; tu te dévoueras aux idées généreuses ; tu aimeras, tu serviras passionnément ta patrie.

Ainsi feras-tu honneur à ta lignée : à ton bisaïeul Antoine, simple maréchal des logis degendarmerie ; à ton aïeul Jean-Auguste, le général, dont la vie est un enseignement, dont la mort appartient à l’histoire. Que leur souvenir, autant que l’amour de votre mère, te protège ; et puisse ton frère, aux côtés de vos grandes sœurs, te donner l’exemple.

P.M.

Avant-propos

La France de demain !

Elle domine, par-delà le cauchemar présent, nos pensées ; elle oriente nos vœux et nos efforts. Que cette guerre hideuse finisse par le triomphe du Droit et de la Justice, nul n’en doute ; ce n’est donc pas trahir le présent que d’envisager l’avenir.

Nous le pouvons et nous le devons : car tout sera à reconstruire sur les ruines.

Une France nouvelle sortira de ce creuset de sang, de boue et de feu. Notre victoire, loin d’engourdir notre orgueil, devra stimuler nos énergies. Dans tous les ordres d’idées, lois, mœurs, administration, agriculture, industrie, commerce, hygiène, action morale et action économique, une gigantesque adaptation aux nécessités surgies s’imposera : œuvre complexe, œuvre ardue, aussi délicate et aussi robuste que l’enfantement d’un monde.

Problèmes du travail, problèmes du féminisme, problèmes de la repopulation et de la destruction de l’alcoolisme, ce ne sera pas trop d’une nouvelle union sacrée de toutes les intelligences et de toutes les bonnes volontés.

Et d’abord, nous devrons remédier aux fléaux par lesquels nous avons failli périr : l’insuffisance de notre préparation militaire, si miraculeusement réparée par la vaillance de notre race en armes et « l’immense effort » de la production de guerre dans le pays entier. Une fausse conception démocratique a voulu que nous n’ayions, au début de la guerre, que des soldats, alors qu’il n’était pas moins indispensable d’entretenir le halètement des usines, la main-d’œuvre agricole, le labeur des ouvriers spéciaux, les inventions des chimistes, la propagande morale et intellectuelle à l’étranger.

Sous quelle forme une attribution meilleure des forces de la Nation sera assurée, l’avenir nous le dira : un remaniement des lois électorales, un Pouvoir central fortifié, un Parlement enrichi des valeurs de l’élite et conscient des réformes urgentes en seront sans doute la première condition.

Le féminisme et ses conquêtes constitueront une des principales étapes du progrès. Qu’on le veuille ou non, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, la guerre, comme l’a constaté Brieux, aura libéré la femme. En faisant appel à son patriotisme, en sollicitant son concours, en stimulant son ingéniosité et son courage, elle l’a conduite à prendre, en beaucoup d’emplois, la place de l’homme. La femme a montré qu’elle valait sur bien des points son maître d’hier ; il est permis de douter qu’elle consente à redevenir l’esclave que la loi avait faite d’elle. La remettre en tutelle serait une injustice et une imprévoyance : la femme n’y consentirait sans doute pas et elle aurait raison, après avoir fait ses preuves et montré ce qu’elle vaut. Sa présence dans l’usine, dans les bureaux, dans les magasins, au comptoir, à l’étalage, aura témoigné à l’évidence quelles ressources, quel appoint elle peut apporter à l’essor industriel et commercial.

Les droits des femmes seront donc élargis dans la loi ; leur responsabilité consacrée. Au titre du mariage, il sera impossible de laisser subsister dans le Code, à côté de l’article rouge qui excuse le meurtre de l’épouse surprise en flagrant délit, ce châtiment de l’adultère qui le taxe aujourd’hui à cinquante francs d’amende. Ces deux absurdités, l’une tragique, l’autre grotesque, disparaîtront.

La jeune fille, qui aura pris contact avec la vie fiévreuse de la Nation, avec la souffrance, avec la misère, ne subira plus les contraintes d’une éducation d’étouffoir. La mère, par cela seul qu’elle est mère, devra être protégée et respectée ; la recherche de la paternité fortifiée par les rigueurs de la loi, les procédures judiciaires de tous ordres abrégées ; la légitimité assurée à tous les enfants, dont un si grand nombre sont à présent traités en parias et en victimes.

Ouvrière, la femme aura le droit de réclamer et d’obtenir : à travail égal, salaire égal. Commerçante, la femme jouira de latitudes plus grandes ; et l’on voit mal comment, dans une certaine mesure, on lui refuserait d’être électrice ou éligible.

À côté de l’évolution du féminisme, les questions ouvrières et agricoles se poseront dans toute leur ampleur. Le retour à la terre, l’extension des travaux des champs, se manifesteront comme une nécessité de premier ordre, avec la protection des oiseaux contre les insectes – question de vie ou de mort ! – avec la protection du sol contre l’héritage qui le morcelle et le fisc qui le ruine.

Pour l’industrie, les transits, la navigation, que d’efforts nous devrons faire pour nous organiser, pour défendre, contre la concurrence de nos ennemis, une France redevenue active et forte, et dont l’action puisse rayonner au loin ! Combien il nous faudra multiplier les Écoles professionnelles et développer notre Enseignement technique spécialisé ! Nos ingénieurs, nos inventeurs, nos chimistes, ne verront-ils pas enfin grandir leur action et se rehausser leur prestige ?

Combien redoutable se posera le problème de l’enseignement ! Les maîtres du lycée et de l’école ont été décimés. Des méthodes nouvelles s’imposeront. Et pourrons-nous nous borner, devant les exigences de la lutte mondiale, à ne fabriquer que des bacheliers ignorants des réalités pratiques ? Non, certainement. M. Édouard Herriot a raison : l’instruction, sans nuire au développement d’une Élite, ne devra plus être un privilège, mais un droit pour tous ; elle devra, au moins pour le plus grand nombre, devenir une chose vivante, et non rester un bagage mort.

Que vaudraient cependant de nouveaux programmes et de nouvelles transmutations d’énergie dans une France qui ne cesserait de tarir ? Ne faudra-t-il pas que notre pays, volontairement stérile, redevienne fécond ? Après ces affreuses saignées, la France aura besoin d’enfants, afin de fournir plus tard des hommes à toutes ses activités. Quelle immense tâche pour la famille d’une part, et de l’autre pour l’État, qui, se faisant « Éleveur », devra par tous les moyens accroître la repopulation !

La lutte contre l’alcoolisme apparaîtra comme un de ces moyens indispensables ; et puisque l’on n’a pas profité de la guerre pour faire cette œuvre d’assainissement patriotique, il faudra bien se résoudre à la faire en pleine paix. Ces deux questions vitales, la dépopulation et l’alcoolisme, qui touchent à tant d’intérêts complexes, exigeront un vaste ensemble de lois de protection sociale et une transformation complète des mœurs.

Sera-ce tout ? Non : l’allégement de notre bureaucratie, la simplification de ses routines sembleront de plus en plus nécessaires. M. Victor Cambon l’a constaté dans une page d’une rare éloquence, beaucoup de nos administrations publiques, au cours de la guerre, par incurie et routine, ont fait faillite. Il incombera au gouvernement de les remanier et de leur donner une vigoureuse impulsion. Rien que dans le domaine des Travaux Publics, que d’améliorations à effectuer : routes qui ne répondent plus aux besoins des automobiles, villes devenues trop étroites pour leurs habitants, voirie insuffisante, hygiène déplorable, bouges populaires à démolir, cités-jardins à créer ; Paris, ville unique, joyau mondial, « à mettre en harmonie avec les besoins modernes ».

Puissant pouvoir dans l’État, la Presse devra aussi participer au grand œuvre. Son rôle, si elle en prend conscience, pourra être admirable ; elle peut être la bonne conseillère de tout ce qui est grand, beau, juste, utile, être le faisceau de l’indispensable Union sacrée ; mais à condition qu’elle instruise et guide le public au lieu d’entretenir son ignorance ou de flatter ses bas instincts ; pour cela il lui faudra renoncer à certains défauts qui, avant la guerre, discréditaient une partie de ses grands journaux : ses trafics d’affaires, son information hâtive, son indifférence pour les questions sérieuses, sa publicité gratuite refusée aux beaux livres, aux belles œuvres et souvent aux nobles actions, mais en revanche libéralement offerte aux apaches et aux assassins.

La réfection de la France ne s’accomplira que par l’exécution patiente et tenace d’un immense ensemble de réformes sociales. Ces réformes, le législateur les devra aux hommes qui auront lutté, souffert, saigné pour que cette France neuve se réalise. Il les devra aux blessés, aux morts et aux survivants. Et, s’il est sage, il n’attendra pas que ces derniers l’exigent.

Oui, pensons à la France de demain, à la splendeur morale, à la puissance féconde d’idées et d’actes que notre amour d’avance lui prête. Et que le calvaire parcouru, vers lequel nous nous retournons ici, nous fasse mieux comprendre, devant le chemin qui nous reste à parcourir, tout ce que nous aurons alors à faire pour reprendre notre place de grand peuple et la maintenir à la hauteur d’un Idéal de progrès, de justice et de lumière !

P.M.

Juin 1916.

L’IMMENSE EFFORT

Des canons ! des munitions !

Sous ce titre, obstiné comme le choc d’un marteau-pilon, M. Charles Humbert n’a cessé de réclamer l’industrialisation de la guerre. Son collègue au Sénat, M. Henry Bérenger lui a fait écho, et de partout le grand cri d’alarme, scandé par des voix nombreuses, s’enfle et répond en tocsin au fracas du front, seconde les efforts méritoires et l’active énergie de M. Albert Thomas.

De là-bas, si près pourtant, les rugissants abois des canons, le roulement des autos blindées, les trains lourds d’hommes et d’armes, la vibration des avions, les voix brèves du téléphone, les gémissements des blessés, toute la rafale du combat crie à la France :

« Encore ! Encore ! À l’aide ! Encore des mitrailleuses ! Amenez des canons ! Nous ne vaincrons qu’à coups de foudre, sous des cataractes d’explosifs ! Hâtez-vous ! Le temps qui use nos ennemis leur permet aussi de s’organiser. Trempez l’acier, tournez les douilles d’obus, chargez les fusées ! Plus vite ! Plus vite encore ! La patrie,’aujourd’hui sauvée, pourrait demain être en danger ! »

Comment n’entendrions-nous pas cette voix si grave ? Elle se propage en ondes électriques, elle embrasera demain le cœur du pays. Nous ne pouvons admettre que nos admirables soldats ne reçoivent pas de la nation l’espoir qui allège leur faix et l’aide qui raccourcit leur effort. Une magistrale leçon de choses vient de nous être donnée et M. Lloyd George l’a dégagée avec sa mâle franchise : si la Russie a subi une défaite, réparable heureusement, c’est à la supériorité, c’est au nombre de l’artillerie adverse qu’il faut s’en prendre. Ne nous le dissimulons pas : nos ennemis sont forts ; ils ne manquent pas de munitions, malgré leur gaspillage frénétique ; ils ne manqueront pas de nourriture et de récoltes.

Ne regardons pas trop hors de nos frontières : après l’Italie, nous serons aidés par d’autres peuples ; c’est probable, c’est certain. En attendant, aidons-nous seuls : c’est plus sûr, et c’est plus fier.

Les Austro-Allemands, encerclés et menacés sur trois fronts, nous montrent comment ils entendent la guerre : une formidable organisation de l’animal humain et de la machinerie de meurtre. Bien avant leur agression sauvage, et plus encore depuis, leurs usines fonctionnent sans arrêt ; des ouvriers soldats, par centaines de mille, décuplent l’armement, jettent sur les champs de bataille, avec une précision automatique, les engins de destruction.

Nous pouvons en faire autant, nous le devons : il le faut ! Ne voyons que le but sacré : la victoire ! Foin des récriminateurs stériles qui répètent : « On n’était donc pas prêt ? Mais pourquoi n’était-on pas prêt ? Expliquez-nous qu’après dix mois de guerre, on ne soit pas muni encore de tout le matériel nécessaire ? » Comme si cela ne crevait pas les yeux que, dès le premier jour, nos arsenaux et fabriques militaires ont été débordés par les besoins, et que nos usines, désorganisées par la mobilisation, lorsqu’on a réclamé leur concours, n’ont pu qu’à grand-peine reformer un personnel de fortune, encore insuffisant à cette heure.

Ne nous payons pas de phrases : le service obligatoire pour tous est un dogme actuellement intangible ; il répond à une aspiration de justice, au légitime sentiment que chacun doit payer, dans la mesure de ses forces, sa dette de sang. Mais ce n’est pas seulement avec de la chair vive qu’on gagne les batailles aujourd’hui ; d’innombrables héros ont beau tuer ou frapper, ils font moins de morts et de ravages que ces monstrueux alliés que la science asservit à leur intelligence et à leur volonté : bêtes sombres à long cou de métal qui crachent l’éclair, bouleversent les tranchées et fauchent les masses d’assaut, oiseaux de toile montés par de hardis jeteurs de bombes, poissons géants qui torpillent les cuirassés. La guerre actuelle est devenue le fléau qui résume tous les autres, confond l’homme des cavernes avec le civilisé, emprunte leurs outils de mort aux vieilles panoplies et manipule, dans le secret des laboratoires, les gaz asphyxiants et les liquides enflammés.

Nous ayons besoin d’ouvriers spécialistes : n’hésitons pas à les rappeler du Front. Tel combattant à demi inapte peut redevenir un précieux chimiste. Nous avons besoin d’ouvriers de guerre, de gens rompus aux labeurs des métaux, sachant faire vite et bien.

Ce qu’il ne faut pas, à aucun prix, c’est qu’on les appelle des embusqués ; c’est surtout que parmi eux la faveur politique ne laisse s’incruster aucun embusqué.

Voilà le grand mot lâché : embusqués ! Je ne sais s’il en reste beaucoup, après les drainages successifs dus aux efforts de M. Millerand ; je ne serais même pas surpris qu’on eût versé, dans le service armé quelques braves gens plus utilisables comme auxiliaires ; mais l’opinion publique, si elle ne se rend pas toujours assez compte de l’énorme travail opéré dans les dépôts, et du nombre d’hommes qu’exigent à l’arrière tous les besoins du Front, l’opinion publique ne se trompe pas lorsqu’elle honnit et soufflette de son mépris ceux qui, devant aller se battre, se défilent.

Notre pays, si intelligent, saura comprendre que celui qui fabrique intensivement des canons et des obus est l’indispensable collaborateur de son camarade de la ligne de feu. Celui-ci, avec une générosité toute française, verra partir non seulement sans regret ni envie, mais avec reconnaissance, ce soldat, cet ouvrier, qui va haleter dans les chaudes salles où ronflent les courroies de transmission, où siffle la vapeur, où se meuvent les machines dociles, car ce frère d’armes se consacre à la même œuvre de salut public, à la même tâche salutaire : à eux deux ils sauveront notre sol sacré.

Que veut la France ? Vaincre ! Elle triomphera par son armée, si, derrière celle-ci, l’armée aux bras nus de l’usine peine sans trêve, jour et nuit tendue au but unique, rivée à la création de l’outillage perfectionné qui broiera enfin la résistance de l’Allemagne, comme le typhon ou l’avalanche.

Guerre d’usure

Oui, guerre d’usure ; nous devons en prendre notre parti. Usure jusqu’à extinction de souffle, jusqu’à épuisement de munitions, jusqu’à ce que l’ennemi terrassé râle, agonise et demande grâce. Guerre d’usure avec tout ce que ce mot comporte de pénible, de contraire à notre tempérament, d’irritant à notre impatience, d’accablant pour la fortune publique et les ressources particulières. On ne saurait acheter trop cher une victoire qui représente notre salut vital, notre chance même d’exister, la revanche du droit, les réparations de l’histoire, le monde entier préservé du plus abominable fléau qui pût le menacer, c’est-à-dire du triomphe de la Kultur allemande, au mufle bestial et aux mains de proie.

Certes, les journées d’hiver sont longues, les pluies intermittentes ; on songe aux tranchées boueuses, aux tempêtes de neige, à ce froid qui pétrifie les morts et gèle les vivants ; on songe à nos villes, à nos hameaux occupés encore par les Allemands ; on songe aux sanglots des mères, à la plainte des enfants, à tous ceux que la misère ronge, que l’angoisse dévore, et on se dit que de toutes les guerres, la guerre d’usure est bien une des plus cruelles.

Mais ce dont notre pays souffre, l’agresseur en souffre aussi. On n’est pas mieux dans les tranchées teutonnes, même casematées et abritées, que dans les nôtres ; tant d’assauts répétés, de va-et-vient d’un champ de bataille à l’autre, tant d’efforts obstinés ont autrement affaibli le moral de nos adversaires que le nôtre. Eux aussi ont des femmes, des mères inquiètes, des foules avides de nouvelles ; et dans plus d’une famille on pense avec souci à la pénurie de l’argent et au rationnement prochain des denrées. L’usure qui nous sauvera, nous, perd lentement l’Allemagne, et nous devons trouver là une raison de fermeté et de vivace espoir.

Sans doute, des terres françaises, des âmes françaises saignent sous l’occupation provisoire, mais nous savons qu’elles seront délivrées, tandis que l’Allemagne, de quelque côté qu’elle se tourne, n’aperçoit nulle part le signe définitif de la victoire. Elle peut durer, elle ne triomphera point ; et plus sa chute aura été retardée, plus formidable sera l’écroulement.

Ses armées fondront peu à peu ; elles fondent déjà, ses ravitaillements de toutes sortes se raréfient ; ses mensonges ineptes, ses calomnies sans scrupules, ses affirmations cyniques se retournent contre elle ; peu à peu, comme une grande marée grondante, monte vers elle l’exécration de l’humanité. À gauche, à droite, des ennemis tenaces lui barrent le passage ; elle a pu, comme une chaudière en ébullition, répandre au dehors ses flots brûlants ; mais déjà elle se voit endiguée, contenue ; que sera-ce quand la ruine de l’Autriche-Hongrie la découvrira, et comment résistera-t-elle à la poussée victorieuse des assaillants ? Elle prolongera la lutte, pied à pied, soit ! Et ensuite ? Il faudra bien qu’elle succombe.

Car l’Allemagne n’a pas compté, elle, sur la guerre d’usure ; elle n’a rêvé que la guerre d’écrasement, elle a voulu tomber sur nous d’abord, puis sur la Russie comme la foudre, remplir le monde d’admiration et d’effroi. Faux calcul, qu’à demi-paralysée elle expie de son impuissance ! Ah ! qu’elle doit se sentir loin de compte ! Et comme ses dirigeants, militaires brutaux, diplomates fourbes, intellectuels dégénérés, doivent s’étonner des résultats de leur mauvais coup manqué ! Ils pensaient que la Belgique s’effacerait devant eux, et la Belgique s’est défendue pendant des semaines et se défend encore avec un tronçon d’armée ; ils comptaient que l’Angleterre les laisserait faire, et ils ont attiré sur eux l’ennemi le plus courageux et le plus obstiné ; ils estimaient que la Serbie serait aplatie en quelques jours, et les soldats serbes héroïques sont encore debout ; ils espéraient arriver à temps pour vaincre les Russes, et les Russes peu à peu amassent les forces compactes qui les refouleront enfin sur leur propre territoire. Ils n’avaient prévu ni l’intervention du Japon ni celle de l’Italie !

Regardons la situation telle qu’elle est : à qui profite la guerre d’usure ? À nous, et à nous surtout, qui, réparant l’insuffisance de notre préparation, avons vu reforger l’outil de combat, créer des armements nouveaux, et qui assistons au merveilleux spectacle d’un peuple fait pour l’élan et l’assaut, et qui s’adapte, avec la plus stoïque endurance, aux nécessités de cette guerre insoupçonnée.

Guerre d’usure ! Sachons supporter les sacrifices qu’elle coûte. Elle épargne, en attendant le gros choc, des milliers de jeunes et belles existences ; elle ne détruit dans notre pays rien de ce qui est indispensable pour qu’il vive et se refasse ensuite ; elle nous permet de nous ressaisir, de nous améliorer, de nous hausser dans l’épreuve. Pour avoir mis si longtemps à mûrir, les fruits de la victoire seront plus beaux et plus savoureux.

Le devoir présent