L'Olivier de grand-père - Alain Aimmeur - E-Book

L'Olivier de grand-père E-Book

Alain Aimmeur

0,0

Beschreibung

Alain, un jeune berger vit seul, à l’écart du monde, heureux avec ses moutons et ses deux chiens jusqu’au jour où… il est atteint de cette maladie que l’on nomme « coup de foudre ».

Les mois passent, l’heureuse élue, fille de gendarme, vient en visite à la bergerie, de temps à autre, pour profiter de l’eau du puits. Désemparé, Alain ne sait pas comment la séduire. Un matin, il demande de l’aide au ciel et plus particulièrement à son grand-père. Aucune réponse ne vient. Mais, plus tard dans la journée, pendant son labeur quotidien, il déterre une mystérieuse cassette…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Alain Aimmeur est né à Grasse et a grandi au pied des montagnes. Il a mis dans ce roman ses souvenirs d’enfant, ses émotions de jeune homme et son expérience d’adulte. Des personnages touchants, des moments d’émotion, une belle histoire.
L’olivier de grand-père est son premier ouvrage publié à La Compagnie Littéraire.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 224

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Alain AimmeurL’olivier de grand-père

La Compagnie LittéraireCatégorie : Littérature du terroir

www.compagnie-litteraire.com

Au lecteur,

Né dans le haut de Grasse (06) j’ai passé mon enfance au pied des montagnes naissantes.

J’ai écrit ce roman en mettant tous mes souvenirs d’enfant, afin que vous puissiez rentrer dans ces personnages.

J’ai, page après page, extirpé de ma mémoire les paroles et les gestes qui étaient cachés au fond de moi-même. Je me suis mis à nu, et ces profonds souvenirs, parfois douloureux, ont fait ce que vous lisez.

Vous aurez ainsi, comme moi, un apaisement, une sérénité, un sentiment de bonheur et de joie provençale.

Je remercie la vie de m’avoir fait vivre ces moments inoubliables, que je voulais partager avec vous, cher lecteur.

Ce livre est une fiction. Les propos prêtés aux personnages, ces personnages eux-mêmes, et les lieux où on les décrit sont en partie réels, en partie imaginaires. Ni eux-mêmes ni les faits évoqués ne sauraient donc exactement être ramenés à des personnages et des événements existant ou ayant existé, aux lieux cités ou ailleurs ni témoigner d’une réalité ou d’un jugement sur ces faits, ces personnages et ces lieux.

Remerciements

Le dessin de la couverture a été réalisé gracieusement par Daniel Boulanger.

L’arrangement du texte a été fait par madame Fadila Bouaraara.

Préface

Le soleil couchant s’inclinait et grand-père plissait les paupières pour ne pas être aveuglé. Assis, la chaise posée devant la fenêtre de la cuisine, les mains rivées sur les bretelles de son pantalon, il jetait un dernier regard sur la campagne.

J’aimais beaucoup grand-père, homme sage, à l’aspect bourru par son manque de rasage journalier, il était fin conteur. Son accent provençal donnait encore plus de chaleur à ses dires. Parfois il changeait l’histoire (la même racontée il y a quelques semaines) et je faisais semblant de ne jamais l’avoir entendue. Ancien berger, ses deux chiens aux ordres, il parcourait à pied des kilomètres pour faire paître cinq cents têtes de mouton à travers garrigues et genêts. Il faut être né en Provence pour sentir l’odeur de cette terre, même les cailloux ont leur parfum. Parfois j’accompagnais grand-père, les jeudis, le matin de très bonne heure, et ma mère préparait le repas à emporter dans la musette. À travers mes sandalettes à lanières, les graviers faisaient souffrir mes pieds, mais il ne fallait pas rester à la traîne, les moutons avançaient sans cesse, cherchant plus loin le peu d’herbe et quelques jeunes branches.

À l’heure du déjeuner, nous nous arrêtions sous des oliviers et le soleil qui jouait avec les branches nous faisait des clins d’œil. Grand-père, en patois, donnait des instructions aux chiens, et suivant l’intonation de voix, ils accomplissaient des prouesses pour réunir les fuyards. Si une brebis mettait bas, les chiens le savaient, et nous prévenaient par leurs aboiements. Alors grand-père grimpait la colline, s’accrochant aux genêts en fleurs, prenait l’agnelet et le mettait autour de son cou, les pattes tenues par ses mains calleuses. Arrivé sous l’olivier, il posait le petit mouton à terre, qui avec un bêlement un peu strident appelait sa mère, qui accourait pour la première tétée. Le soleil caressait les hauts des collines, signe immémorial du retour. Les chiens vaquaient à l’attroupement, et la même chenille à quatre pattes s’étalait, bélier en tête, se dirigeant vers la bergerie. Le dernier mouton parqué, grand-père sortait de sa poche son mouchoir à carreaux bleus et blancs et essuyait son front ridé, perlé de sueur. Avec son accent chantant il me disait en patois : «T’en fais pas petit, ils sont tous là, il n’en manque pas un seul.» Fourbu, j’entrais dans la cuisine, et je voyais ma mère s’activant devant son fourneau à bois. En me regardant elle ouvrait ses bras, et avec les miens, j’entourais sa taille, et je me blottissais contre elle, la serrant très fort. Par ce geste d’amour, la moitié de ma fatigue disparaissait !

Assis autour de la table en olivier, éclairée par une faible lampe, maman nous servait une soupe de légumes fraîchement cueillis dans le petit jardin jouxtant la maison. Grand-père ne disait mot, mangeait en silence, et son regard semblait être lointain. Que voyait-il si loin ? Que pensait-il ? Son assiette de soupe à demi-avalée, il brisait des morceaux de pain coupés dans la grosse miche et les faisait tremper dans le reste de son assiette. C’était son habitude, je l’ai toujours vu ainsi. Après le repas, il se levait, prenait sa vieille pipe au-dessus de la cheminée, s’asseyait devant le feu, avec son pouce il forçait le tabac dans son culot. Tendant son bras, il prenait une brindille et allumait sa pipe. Ainsi, il restait devant le feu qui crépitait par moments.

J’avais la responsabilité depuis le jour de mes sept ans, de mettre des bûches dans l’âtre, et je m’asseyais comme grand-père, regardant les flammes danser devant nous.

J’ai toujours cherché à comprendre pourquoi ce vieux monsieur (qui aurait pu être un pâtre issu de la Bible par son silence et son regard rêveur) ne me montrait jamais de signes affectifs.

Ce n’est que bien plus tard, quand il eut disparu, que j’ai compris que c’était dans son regard plein de chaleur provençale qu’il me disait combien il m’aimait.

Je restais ainsi devant ce feu, jusqu’à ce que la main de grand-père se pose sur ma tête, et à ce moment-là, entre deux bouffées de fumée, il me disait : «Je me rappelle une fois, les moutons étaient dans les genêts, un couple d’aigles volait dans les airs, très haut au-dessus du troupeau.

J’avais sorti ma flûte que j’avais faite dans du roseau, et je jouais des airs provençaux. Cela apaisait les moutons par la mélodie et éloignait les aigles visant les agnelets.» Encore un conte de plus à son actif. Mais je me demande encore s’il se persuadait lui-même, ou vraiment s’il pensait que je le croyais ! Mais je l’aimais profondément comme un enfant peut aimer son grand-père.

Quand il disparut, les moutons furent vendus, la bergerie fermée, et nous sommes allés à la ville.

Quelques années plus tard, je remontai à la bergerie, j’ouvris la porte de la cuisine et soufflai la poussière, puis je pris une chaise, je me suis assis en mettant du bois dans la cheminée. Je retrouvais toutes les odeurs et les bruits de mon enfance, mais pas la main de mon grand-père sur mes cheveux. Alors, sur mes joues coulèrent de grandes larmes devant les flammes crépitantes, essayant elles aussi de me raconter les histoires de ce vieil homme. Et c’est ainsi que, souvenirs aidant, la tradition a fait que comme grand-père je devins berger !!!

Depuis la perte de mon grand-père, ma mère s’étiolait de semaine en semaine, et la flamme qui brillait dans ses yeux s’affaiblissait comme une bougie.

Elle ne montait presque plus à la bergerie, sa santé déficiente eut raison d’elle.

Baptiste, le facteur ne venait que rarement à la bergerie, car ne connaissant personne, je n’avais point de courrier.

Quand je le vis arriver, sa sacoche sur le ventre, le front suant et l’œil triste, je compris que ma mère avait fini sa triste vie.

Baptiste me dit : «Tu sais, Petit, j’aurais préféré t’annoncer autre chose ! » tout en me tapotant sur l’épaule. J’attendis de voir son dos au lointain, pour ne plus retenir mes larmes. Moi, qui ne vivais que de douceur de vivre, d’alpage et de sérénité dans ma Provence, jamais je n’aurais pensé avoir autant de larmes à déverser.

Mes deux chiens ayant une interrogation soudaine de ma tristesse étaient assis à côté de moi, et leurs doux gémissements s’associaient à ma peine. Je mis mes mains sur leur tête et, de leurs bons yeux, ils me faisaient comprendre qu’ils étaient là, eux fidèles compagnons.

Le soir venu, des myriades d’étoiles accrochées au manteau noir de la nuit scintillaient encore plus fort, et je cherchais celle qui aurait pu donner asile à l’âme si pure de ma mère.

Le surlendemain, la petite église un peu froide m’accueillit au milieu d’une douzaine de personnes. En sortant, le soleil faisant transition, nous avons pris la direction du cimetière. Celui-ci était entouré d’un mur de pierres sèches, frappé par une chaleur ardente où des lézards prenaient leur bain de soleil.

Seul devant ce petit monticule de terre, je me mis à genoux, je demandai pardon à ma mère, pardon de ne pas l’avoir aimée plus fort, plus tendrement. Je plantai dans la terre une poignée de fleurs sauvages cueillies autour de la bergerie.

Je pris le chemin du retour, mon esprit accroché aux souvenirs de ma mère. J’avais deux kilomètres à parcourir pour arriver à la bergerie. Le chemin caillouteux et sinueux faisait souffrir mes pieds dans des chaussures de sortie que je ne mettais jamais, restant toujours dans l’alpage. Le soleil tapait encore plus fort, si bien que je dus enlever ma veste. Plus je montais, et plus je sentais une brise légère accompagnée de suaves odeurs de thym sauvage et de lavandin, et je me disais «C’est ça la vie.»

Plus tard, j’avais un peu arrangé la bergerie, le bois rentré pour l’hiver, le sac de farine fraîche à côté du four à pain, je me sentais en sécurité.

Pendant tout l’été, j’avais œuvré pour entasser le foin nécessaire à la période hivernale. Dans ce foin si généreux, où quelques fleurs séchées apparaissaient de-ci, de-là, j’avais enfoui ma tête voulant m’asperger de cette odeur magique, odeur de rêves et de souvenirs de mon enfance.

L’hiver arriva à pas lents, et la neige apposa son manteau. Dans la cuisine, l’horloge égrenait par son balancier, l’immuable tic-tac accompagnant le crépitement du feu de bois. Le froid vif faisait pleurer de longues larmes sur les vitres de la cuisine. L’odeur du feu mélangée à celle du pain cuisant lentement dans le four me ramenait à des années en arrière.

Ainsi les journées passèrent, apaisantes, pleines de sérénité, entrecoupées de quelques bêlements de moutons me rappelant à leur faim.

Les premiers rayons de soleil, caressant la terre, faisaient fondre la neige. De tout petits ruisselets se bousculaient en riant à travers les hautes herbes séchées par le froid de l’hiver. Les chiens s’étiraient sur leurs pattes, déjà prêts à leur besogne. Quelques plaques de neige restaient encore accrochées au flanc des Alpilles. J’ouvris grand les portes lattées en bois de l’écurie, et comme montés sur des ressorts, les moutons sautaient en l’air, heureux de reprendre le chemin des herbages.

J’écoutais le chant des ruisselets, le cri perçant de la buse faisant écho entre les montagnes.

Le printemps arrivait à grands pas, toute la nature était fébrile et je sentais toute ma Provence couler dans mes veines. Cela me faisait chaud au cœur.

Les semaines passèrent paisibles, me cantonnant dans un travail routinier. Quand un jour au début de l’été, un groupe de personnes traversa la prairie parsemée d’herbe tendre, mêlée de couleurs vives de fleurs sauvages. Les moutons inquiets coururent tous dans le même sens. Les marcheurs arrivèrent jusqu’à moi, sorti de la bergerie attiré par le bruit, et me demandèrent des renseignements sur les bêtes, les oiseaux, la nature. Je commençai par leur décrire ce qu’était la nature et tous ceux vivant avec elle. Au bout de quelques instants, fourbus par leur marche, ils s’assirent dans l’herbe et n’avaient d’yeux et d’oreilles que pour moi. C’étaient des gens de la grande ville qui venaient pour la première fois aux Alpilles. Je leur fis goûter le pain fait dans mon vieux four. Ils furent ébahis de manger pareil produit comme avant. Tout cela dura assez longtemps, moi, heureux de trouver des gens à qui parler, et eux contents de m’écouter raconter la vie, ma vie !

Mais je n’avais pas remarqué, dans le groupe, une jeune fille qui me fixait tout en buvant mes paroles. Inquiet par cette insistance, je la regardai et là j’ai cru que tout s’arrêtait. Mon cœur s’accéléra très fort, et semblait prendre toute la place dans mes poumons, ce qui m’empêcha de respirer normalement.

C’était une belle fille blonde, avec deux nattes de longueur moyenne, et son visage de madone était illuminé par la couleur bleue de ses yeux. Je bredouillai encore quelques mots, et prétextant un mensonge sauveur, je rentrai dans la cuisine. J’avais les mains tremblantes. Je pensais être malade mais ce n’est que plus tard que je sus que cette maladie se nommait «coup de foudre».

Après quelques brefs instants, seul, je sortis mais le groupe s’était déjà levé pour repartir plus haut, à la suite de mes conseils pour apercevoir un point de vue magnifique. La jeune fille voulut rester, mais faute de soutien, elle repartit avec les promeneurs, non sans jeter derrière elle quelques regards vers moi.

Cette heureuse distraction me dispersa dans mon organisation, et les chiens, par cette cause, eurent plus de travail à regrouper les moutons qui s’étaient un peu éparpillés.

Le soir venu, après souper, je fis comme grand-père, assis sur sa chaise, je fumais sa pipe.

Les flammes dans la cheminée formaient des ombres dansantes dans la cuisine.

Mon esprit vagabondait, s’accrochait à ce visage d’ange qui m’avait déstabilisé. Je n’avais jamais éprouvé cette sensation dérangeante pour mes habitudes.

Les brebis commençaient à mettre bas, et mes journées devenaient courtes par tant de travail.

Je pensais à grand-père et je me demandais comment, à son âge, il réussissait à faire tant de labeurs. Le soir arriva, et aidé de mes deux chiens, j’avais fait rentrer tous les moutons dans le parc à l’air libre. Certaines bêtes levaient la tête et regardaient la lune, de temps en temps. Je n’ai jamais su pourquoi ! Y avait-il un lien entre eux, était-ce un moyen médicamenteux pour dormir ? Cela jamais je ne le saurai !

Ainsi les journées passèrent, sans plus avoir aperçu un être humain.

Quelques instants de répit me guidèrent vers le grenier de ma chambre. La porte close depuis longtemps grinça sous ma poussée et apporta un courant d’air qui fit balancer les toiles d’araignées. Quelques objets hétéroclites jonchaient le sol aux larges planches pleines de poussière : une vieille machine à coudre à pédale était sans travail depuis fort longtemps.

De vieilles malles s’ennuyaient et il y en avait même une qui semblait bailler par son couvercle mal fermé. Je l’ouvris et je sortis quelques effets qui avaient appartenu à mon père.

Cet homme que je ne connus jamais était pour moi comme un vague cousin lointain dont on parle lors de réunions de famille. Il avait quitté ma mère, était parti en guerre (il était lieutenant) et n’était jamais revenu. Lors des conversations feutrées entre grand-père et maman, j’avais entendu qu’il s’était marié dans un grand pays très froid, qu’on appelait «la Russie». Il l’avait fait volontairement, pour ne pas travailler dans les mines de sel. Seul lui savait qu’il était bigame. Il pensait ainsi, après la guerre, revenir à la maison, mais ce fut le contraire qui se passa : ayant épousé une femme russe, cela l’empêcha de revenir en France et il mourut là-bas.

Toute ma vie, je lui en aurai voulu de m’avoir laissé seul sans père, à la charge de grand-père et de ma pauvre mère. Je trouvai un habit d’officier, avec des médailles de toutes les formes, dont je ne connaissais pas la signification, et un sabre de cavalerie.

Les médailles m’attiraient par leurs couleurs. Je remis les effets dans la malle et je descendis sabre et médailles à la cuisine. Je tirai sur la poignée et une longue lame sortant de son fourreau brilla très fort. Je repoussai la poignée, et le tout prit place sur le rebord de la cheminée. Cela devait servir contre loups ou renards. Quant aux médailles, je n’en voyais aucune utilité pour ma personne, j’eus une drôle d’idée. Je sortis dehors, j’appelai mes deux fidèles compagnons muets, ils arrivèrent comme des boulets de canon, et durent fortement appuyer sur leurs antérieurs pour s’arrêter. Je leur donnai l’ordre de s’asseoir, je pris une médaille rouge et verte que je mis après leur collier, puis je les renvoyai à leur surveillance.

Cela me faisait rire de voir les deux amis décorés de je ne sais quoi ! Mais je trouvais que cela allait très bien avec la couleur de leur poil, et puis, après tout, avec le travail que je leur demandais, ils méritaient bien une décoration.

Un jour, deux gendarmes bien portants arrivèrent avec leur vélo à la main. Ils suaient à grosses gouttes, le chemin menant à la bergerie n’était pas carrossable. Je leur proposai de l’eau bien fraîche du puits, qu’ils acceptèrent très volontiers. Après s’être désaltérés, ils me demandèrent si je n’avais pas vu un homme grimpant le flanc de la montagne. Je leur fis signe que non, ne voyant pour ainsi dire jamais personne. Les gens de la maréchaussée couraient après un contrebandier qui trafiquait avec l’Italie et spécialement le tabac. J’aurais voulu parler plus longuement avec eux, n’ayant pas souvent l’occasion de voir des gens.

Tenus par les horaires, les deux gendarmes s’en allèrent reprendre leur course-poursuite après une ombre insaisissable, un fantôme. Mais ils me dirent revenir se cacher dans la petite forêt la semaine prochaine. Pensant les revoir, je leur donnai ma gourde d’eau fraîche, qu’ils me rendraient lors de leur prochaine visite.

Quelques semaines s’écoulèrent ainsi, avec une paix sereine, interrompue par quelques bêlements, et des cris perçants de faucon pèlerin.

J’avais décidé de descendre au village pour aller faire le ravitaillement de première urgence. Le chemin me semblait encore plus caillouteux, cela était dû au violent orage de la nuit qui m’avait réveillé, les vieux volets de bois grinçaient et se plaignaient sous la pluie et le vent très fort. Les éclairs déchiraient le manteau noir de la nuit, et faisaient des ombres géantes aux arbres. L’eau de pluie avait raviné le chemin où semblaient avoir poussé des cailloux.

Je fis d’abord un détour pour aller au cimetière. La terre rebondie, le jour de l’enterrement, s’était déjà affaissée, et quelques herbes folles avaient osé pousser. Je fis un nettoyage sommaire, puis je mis en terre un petit rosier issu d’une plantation de ma mère, arbuste producteur de roses anciennes au parfum envoûtant.

Je restai ainsi quelques instants avec des questions sans réponse. J’écrasai sur mes joues des larmes remplies de peine, ma mère me manquait terriblement.

Je quittai le cimetière fermant derrière moi la porte du vieux portail rouillé qui grinçait, triste façon de rappeler aux vivants d’avoir perdu un être cher.

Cet acte accompli, j’arrivai au village dans la vieille boutique de l’épicier qui faisait office de droguerie, de quincaillerie et vendait également des plantes médicinales.

Je remplis mon sac à dos d’achats divers, ainsi que du tabac pour la vieille pipe de grand-père.

Retour faisant, le soleil piquait de plus en plus fort, et je dus faire une halte sous un figuier; une abeille s’affairait tout près de moi et le bruissement de ses ailes m’empêcha de dormir.

Je repartis, reposé, et de loin j’apercevais la bergerie qui faisait un gros point rouge sur l’herbe verte. Arrivé chez moi, je déchargeai mes courses et me servis un verre d’eau fraîche !

Le mois d’août, dans sa deuxième quinzaine, était un mois sauvage par l’ardeur des orages.

Les moutons à chaque claquement de tonnerre s’éparpillaient par groupes. Mes deux fidèles compagnons avaient beaucoup de mal à les rattraper, et tiraient la langue, signe de leur fatigue.

Je leur fis signe de rentrer au parc, la nuit arrivant assez vite. Le dernier mouton parqué, je fermai le portail. Rentrant dans la cuisine, le feu crépitait de joie dans la cheminée, et je sentis l’odeur de soupe cuisant à feu doux, dans la soupière en fonte suspendue à l’âtre de la cheminée. Le repas avalé, je pris la grosse boîte en fer (où l’on mettait des gâteaux secs) dans le vieux buffet. En la posant sur la table, je soulevai le couvercle, et des photos un peu jaunies résumèrent, en elles-mêmes, deux à trois générations.

Il y avait çà et là des personnages dont j’ignorais le degré d’appartenance familiale ou simplement s’ils étaient des connaissances. Je voyais de grosses charrettes de foin, des femmes avec des fourches, chapeaux de paille vissés sur la tête, des hommes, le corps incliné par le geste de la faux, et des chevaux attelés attendant le départ des lourds chargements.

Une autre photo montrait les mêmes personnages assis sous la charrette de foin : une nappe à carreaux blancs et rouges posée à même le sol, et des victuailles sorties des paniers à provisions. J’essayais de bien regarder ces souvenirs et ces personnages, quand mon regard fixa une femme appuyée sur la fourche. Je reconnus ma mère qui était jeune et belle. Je pris la photo dans mes deux mains, et je l’appuyai fort contre mes lèvres y apposant un baiser de tendresse. Je ne pus m’empêcher de sentir mes yeux se brouiller de larmes. J’aimais tellement ma mère, que, petit enfant, je n’osais pas le lui dire, ou peut-être je ne savais pas comment le lui dire. Ma mère était pour moi le refuge de mes angoisses et de mes craintes, sans rien lui dire, elle savait deviner les moments propices pour effacer cela, en me serrant très fort dans ses bras. Je ne me rappelle pas lui avoir dit une seule fois : «Maman, je t’aime». Ou alors peut-être lui ai-je dit quand j’étais petit.

Le plus grand regret de ma vie fut de ne pas l’avoir assistée, jusqu’à son dernier moment, de ne pas avoir serré sa main jusqu’à ce que la sienne se desserre, de l’avoir laissée mourir toute seule dans cette chambre sordide, au milieu des vieilles maisons du quartier.

Je me couchai avec ces pensées obscures, et j’eus beaucoup de mal à m’endormir. Les premiers rayons du soleil caressaient mon lit, mais déjà levé, mes bras appuyés sur le rebord de la fenêtre je faisais comme grand-père, j’observais la campagne encore un peu endormie.

Les moineaux dans le figuier s’étiraient et s’épouillaient tout en se chamaillant. La brume commençait à se dissiper, ce qui me rappela à mon travail. Le bol de café noir avalé, j’ouvris la bergerie, ce qui provoqua une joyeuse bousculade ovine, stimulant les chiens qui essayaient d’y mettre de l’ordre, mais sans grand succès, un peu dépassés par le nombre.

Je vaquais à mes occupations paysannes quand les chiens aboyèrent, avec une tonalité qui évoquait autre chose que des reproches aux moutons. Je regardai en direction du chemin et vis les deux gendarmes toujours marchant à côté de leur vélo. Le plus enveloppé des deux prit son képi entre le pouce et l’index et le souleva légèrement, afin d’éponger son front perlé de sueur, avec son mouchoir chiffonné dans sa grosse main. Ils venaient se cacher pour repérer ce fameux contrebandier toujours insaisissable. Celui qui paraissait être le chef s’excusa d’avoir oublié de rapporter la gourde que je lui avais prêtée, quelques jours auparavant, mais me promit le retour de celle-ci par l’entremise de sa fille.

J’étais déjà angoissé à la pensée qu’une jeune fille allait venir à la bergerie. J’avais presque honte que quelqu’un de la ville puisse voir comment je vivais écarté du monde. Les deux hommes de loi me demandèrent que soient cachés leurs vélos dans la grange, ce que je fis de bonne grâce, puis ils marchèrent en direction du point de vue, afin de mieux observer à la jumelle ce ou ces fantômes trop discrets.

Le soleil baissait très vite à cette époque de l’année, prémices de l’automne. Je distinguai au loin des formes qui arrivaient à grandes enjambées. Il y avait les deux représentants de la maréchaussée, et un homme portant un béret, une veste de chasseur, pas rasé depuis plusieurs jours. L’homme avait les mains menottées et le bout de la cordelette était tenu par un gendarme. Ils avaient réussi à arrêter le fameux contrebandier, avec son grand sac en toile de jute dans lequel les paquets de cigarettes et de tabac étaient mélangés. Ils reprirent leur vélo et repartirent comme ils étaient venus.

C’était la première fois que je voyais un homme portant des menottes, et j’étais quelque peu mal à l’aise.

Passé ce moment tourmenté, les chiens par leur attitude attendaient avec une certaine impatience l’ordre de rentrer les moutons, ce que je fis avec empressement.

Depuis plusieurs mois, je m’étais promis d’aller rendre visite à Séverin, le meunier, qui officiait dans son moulin, selon les rites perpétués de génération en génération. Fermant la bergerie avec la grosse clef, je suspendis celle-ci au grand clou rouillé derrière la porte de l’écurie. Puis musette dans le dos, je m’éloignai de mon logis, non sans avoir bien parqué mes animaux toujours sous l’œil vigilant de mes chiens de berger. La journée s’annonçait sans nuages, ce qui n’était pas commun en cette fin de mois d’août.

Le moulin se trouvait à quelques kilomètres de la bergerie. À la sortie du premier village, je le vis au lointain, ses ailes tournant lentement. Plus je m’approchais, et plus me semblait grande cette institution majestueuse, avec ses quatre ailes, en toile faite de lin qui tournaient au gré du vent, le mistral, maître de tous les vents de Provence. J’ouvris la porte pleurant sur ses gonds, et l’odeur du froment m’embauma. Je montai les escaliers centenaires en bois, grinçant et se plaignant des charges supportées depuis des années.

Le père Séverin, son vieux béret sur la tête, avait toujours le sourire. Quelques rayons de soleil pénétraient dans l’antre de ce broyeur, où l’on voyait danser la poudre de farine : cils et sourcils portaient la marque du blé moulu. Il s’affairait à moudre la farine, tout en regardant auparavant la rose des vents qui servait d’allure voulue aux ailes du moulin.

Il pestait de temps en temps en provençal, pour des raisons professionnelles, car le fruit de son travail ne correspondait pas à ses prestations. La mouture devait être ce que Séverin avait décidé qu’elle soit.

Quelques instants après différents réglages, il laissa le soin à son moulin de travailler seul. Nous descendîmes les escaliers pour arriver au rez-de-chaussée, qui lui servait de pièce à tout faire. On discuta de tout et de rien, et je repartis avec un sac plein de bonne farine.

Il fallait hâter le pas, car le soleil montrait des signes de fatigue et ses rayons intenses commençaient à moins produire de chaleur.

En cette fin d’été, la moyenne montagne était si belle! Les feuilles d’arbres gardaient encore leur belle couleur et un parfum de thym sauvage mélangé à l’air encore un peu chaud m’embauma tout entier. Toute la beauté de ce paysage mélangée à cette senteur me provoqua un frisson, ce qui me rappela la besogne qui m’attendait à la bergerie.

J’arrivai un peu fatigué d’un pas pressant, les chiens me firent un accueil chaleureux. Je déposai mes effets puis donnai des ordres à mes valeureux compagnons qui prouvèrent encore une fois leur efficacité à accomplir leur besogne. Leur médaille autour du cou scintillait par moments, cela me faisait encore sourire.

Je préparai leurs gamelles et, sitôt avalées, ils prirent congé et se réfugièrent dans la grange afin que la nuit puisse leur être propice au repos, pour un lendemain de labeur.