La Bible au-delà de la religion Tome 2 - Dominique Michel - E-Book

La Bible au-delà de la religion Tome 2 E-Book

Dominique Michel

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Beschreibung

Avec ce tome 2 de la Bible au-delà de la religion, Dominique MICHEL poursuit son désir d'aider le lecteur à pénétrer dans la Bible et à s'y repérer. Il en dégage les axes majeurs qui donnent à cet ensemble de livres une profonde cohérence qui interpelle. Le tome 1, paru en janvier 2022, décrivait la naissance du peuple hébreu. Yhwh - tétragramme de lettres hébraïques désignant Dieu - a donné à ce peuple, par l'intermédiaire de Moïse, une loi et la promesse d'un territoire pour assurer sa survie et son développement. S'engageait ainsi une révolution religieuse impliquant une éthique radicalement différente de la logique des empires environnants. Le deuxième tome éclaire l'histoire de ce peuple devenu Israël, à travers de nombreux écrits qui constituent, ,avec le Pentateuque, l'Ancien Testament dans le Bibles chrétiennes. Pendant le millénaire avant notre ère, des chroniqueurs, des prophètes et des sages, chacun avec son histoire et son style personnel, tentent d'arracher le peuple aux croyances du sacré primitif. Les cultes sacrificiels à des dieux qui n'existent pas et derrière lesquels l'homme cache sa violence sont des impasses. Ils dénoncent aussi la fascination pour toute forme de puissance qui, loin d'être une garantie de bonheur et de sécurité, tend à dégénérer en domination et injustice. Au sein même des catastrophes, ces auteurs tracent pour l'homme un itinéraire libérateur qui ouvre les oreilles, pénètre les coeurs, illumine et transforme les esprits. Ils révèlent l'imminence d'un monde nouveau qui transcende l'espace et le temps.

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Seitenzahl: 527

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Peinture de Claire MILLÉ

Sur le pourpre royal, le divin se répand en éclats d’or,

du temple de Jérusalem vers le peuple symbolisé par un olivier.

Un vent de tempête venait du nord, une grande nuée et un feu fulgurant et, autour, une clarté ;

en son milieu, comme un étincellement de vermeil au milieu du feu (Ex 1,4).

À mes petits-enfants

Jérémy, Clément, Nathan, Elisa, Evan, Eloïse,

Thomas, Chloé et Mila.

Avertissement

L’ordre choisi pour l’étude des livres de la Bible n’est pas toujours celui, variable, des différentes traductions de la Bible. J’ai opté pour un ordre chronologique selon les dates supposées de ces écrits.

Du fait du nombre et de la diversité des textes étudiés, la lecture en continu de ce tome peut paraître exigeante au lecteur. Les introductions et conclusions qui encadrent les commentaires de ces écrits bibliques permettent au lecteur dans un premier temps d’en saisir les grandes lignes et de choisir ultérieurement les textes qu’il souhaite approfondir. Par ailleurs, il m’a semblé important d’inclure dans cette étude de nombreuses citations plus à même que tout commentaire d’exprimer la force et la beauté du message biblique. Le lecteur peut survoler ces citations ou au contraire s’arrêter sur celle qui résonne en lui.

Les citations bibliques sont en italique et proviennent de la TOB, Traduction OEcuménique de la Bible.

Leur référence est indiquée entre parenthèses avec l’abréviation du livre concerné, suivi du numéro de chapitre, puis du verset après la virgule.

TABLE DES MATIÈRES

La mutation du sacré

Rois, Prophètes et Sages

INTRODUCTION

Rappel du tome précédent

Arrière-plan historique

La logique impériale

Face à la logique impériale, l’enseignement de la Torah

Trois groupes de livres pour s’arrracher aux forces de la violence

Première partie

LIVRES HISTORIQUES

Introduction

JOSUÉ

Appui indéfectible de Yhwh

La conquête du territoire

Circoncision des israélites

Les trompettes de Jéricho

Infidélité de Akan

Victoire et répartition des territoires

Historicité du Livre de Josué

Questions sur la violence des « guerres de Yhwh »

Le contexte historique

Lecture anthropologique de la violence et du développement psychique

Caractéristiques des guerres de Yhwh

Les guerres de Yhwh, symbole du combat spirituel

N’ayons pas peur

LES JUGES

Introduction

Installation des tribus

Les Récits

Histoire de Débora

Histoire de Gédéon

Histoire de Jephté

Histoire de Samson

Enseignement théologique de la période des Juges

L’idolâtrie, le péché d’Israël

La mission des Juges

L’Esprit de Yhwh

Enseignement politique

SAMUEL

Introduction

Premier livre de Samuel

Naissance et Vocation de SAMUEL

L’arche perdue et retrouvée

Un homme du pays de Benjamin, SAÜL, nommé roi

Onction et ascension de DAVID

Deuxième livre de Samuel

L’investiture de David

L’Apogée de David à Jérusalem

La promesse d’une dynastie éternelle

La faute de David

Avec Absalom, une fin de règne bien difficile

Recensement

Conclusion

LES ROIS

Introduction

Premier livre des rois

La lutte pour la succession de David

Le Règne de SALOMON

Ambiguïté dans l’exercice du pouvoir politique

Ambiguïté dans l’exercice du pouvoir religieux

Le cheminement spirituel par un travail de symbolisation

Prise de conscience de la responsabilité de l’homme

Questionnement sur la rétribution

La fin de règne de Salomon

Le schisme

Le cycle du prophète ÉLIE

De l’obscurité à la lumière

Lutte contre les prophètes de Baals

Manifestation de Yhwh

Jézabel et Naboth

Intervention d’un autre prophète

Deuxième Livre des Rois

Décadence du pouvoir politico-religieux des deux royaumes

Ascension d’Élie

Le Cycle d’ÉLISÉE

Miracles et don

Au delà d’Israël

Athélie reine sanguinaire

Fin du royaume d’Israël en 721

Fin du royaume de Juda en 587

Conclusion

Deuxième partie

LIVRES DES PROPHÈTES

Origine du prophétisme

De Voyant à Prophète

Emergence d’un nouveau type de prophètes

Vrais et faux prophètes

Le prophète au coeur de la Révélation

Quels sont les prophètes-écrivains de la Bible ?

Ces prophètes ont-ils écrit eux-mêmes ces textes ?

Les premiers « petits prophètes » écrivains

AMOS

Qui est cet homme ? D’où vient-il ?

Des jugements sur les nations et sur Israël

Les Oracles spécifiques contre Israël

Menaces sur l’avenir d’Israël

OSÉE

Par son mariage

Infidélité d’Israël à son Dieu et réconciliation

Conspiration et ingratitude

Déchéance morale du pays

Le pardon, attribut du divin

Après le mensonge, retour à une vie nouvelle

MICHÉE

Prophète de malheur

Vision inaugurale

Invectives contre les exploiteurs

Invectives contre les autorités judiciaires et religieuses

Avènement d’un temps nouveau

Sanctions, lamentations, espérance

ÉSAÏE

Introduction

ÉSAÏE (ES 1–39)

Préface

Oracles visant le royaume du Nord

Malédictions contre les grands de Juda

Vision et vocation d’Esaïe

Pérennité de la maison de David

Le Reste d’Israël

Condamnation universelle des Puissances

Apocalypse d’Esaïe

Oracle contre Samarie

Annonce du siège de Jérusalem

L’illusion d’une alliance politique avec l’Egypte

DEUTÉRO ÉSAÏE (ES 40-55)

Introduction

Yhwh défend la crédibilité de sa Parole

Ouverture sur des chemins nouveaux

Appel à la mémoire

Annonce de la venue d’un serviteur mystérieux et de l’avènement d’un peuple nouveau

La présence de Yhwh, marqueur du monothéisme

Le culte est démythifié

Bonheur et malheur

Avertissement à Babylone - Reproches à Israël - Fidélité de Yhwh

La renaissance et le « serviteur de Yhwh »

Mission et souffrance du serviteur de Yhwh

Portée anthropologique du « Serviteur souffrant »

Fonction du sacrifice

Lever le voile sur la violence

Le retournement ou conversion

Alliance nouvelle

La question du Mal et du Pardon

Conclusion : Sens et fécondité de l’exil

ÉSAÏE (ES 56-66)

Contexte historique

Conditions du renouveau universel

Pratique de la justice

Dénonciation des autorités

Promesse de salut

Israël, porteur de lumière pour toutes les nations

Dialogue à connotation eschatologique entre Yhwh et le prophète

Le jugement final

JÉRÉMIE

Introduction

Vocation et vision

Dossier d’accusation

Yhwh peut-il laisser faire ?

Exhortations et appel à un renouveau

Dénonciations des illusions du culte

Drame personnel et solitude de Jérémie

Jérémie prend à partie Yhwh

Puissance régénératrice de la Parole

Dans une lettre aux déportés, Jérémieprône la soumission à Nabuchodonosor

Promesse d’une renaissance

Arrestation de Jérémie

Retour de Nabuchodonosor et destruction de Jérusalem

Conclusion

ÉZÉCHIEL

Introduction

Oracles avant la destruction de Jérusalem

Vision inaugurale et Vocation du prophète

Yhwh quitte le temple de Jérusalem et vient en soutien aux déportés à Babylone

Invectives contre Jérusalem et annonce d’une deuxième déportation

Situation politique

A qui la faute de tous ces malheurs ?

Prise de conscience

Nouvelles invectives

Annonce d’un rescapé

Le châtiment des nations

Oracles après la destruction de Jérusalem

Appel à la responsabilité

Restauration et renouveau spirituel

Vision des ossements desséchés qui reprennent de la chair

La bataille finale contre Gog et synthèse de l’action de Yhwh

Construction d’un nouveau temple et retour de la gloire de Yhwh

Sanctuaire, territoire et prince

Conclusion

Les autres « petits prophètes »

NAHOUM

SOPHONIE

HABAQUQ

ABDIAS

JONAS

JOËL

AGGÉE

ZACHARIE

MALACHIE

Troisième partie

AUTRES ÉCRITS

Introduction

Histoire d’Israël : de Babylone à Jésus

Les difficultés du retour d’exil

ESDRAS

NÉHÉMIE

L’hellénisation et la traduction de la Bible en grec avec la SEPTANTE

La révolte des MACCABÉES

L’Occupation Romaine

La sagesse

Ses origines

Sagesse et religion

Contestation du lien de la sagesse avec la royauté

Développement de la Sagesse en Israël après l’exil

Sagesse divine et sagesse des hommes

Sagesse et métaphysique

Livres abordés dans cette troisième partie

LES LAMENTATIONS

LES PSAUMES

Introduction

Types de psaumes

1. Les supplications individuelles

2. Les supplications collectives

3

.

Les chants de confiance

4. Les chants de reconnaissance et d’action de grâce

5. Les chants d’instruction ou de sagesse

6. Psaumes du jugement de Dieu

7. Les hymnes de louange

8. Les psaumes royaux, messianiques

Place des psaumes dans l’histoire du judaïsme et du christianisme

Importance des psaumes dans l’évolution de la perception du sacré

Renversement de la perception de la puissance du divin

LES PROVERBES

Introduction

Livret I

Livret II

Autres livrets

Conclusion

JOB

Introduction

La structure du Livre

Le conte en prose où Satan dialogue avec Dieu

Les dialogues en vers avec Élifaz, Bildad et Çofar

Première série ( Jb 4-14) : Dieu espion ?

Deuxième série ( Jb 15-21) : Dieu rédempteur ?

Troisième série ( Jb 22-31) : Dieu attendu ?

Un nouveau personnage, Elihou, justifie l’action de Dieu

La réponse de Dieu

Epilogue : Dieu présent

QOHÉLETH ou L’ECCLÉSIASTE

Prologue

Première partie : Qohéleth fait son autocritique

Deuxième partie : réflexions philosophiques et morales

Troisième partie : se prémunir du conformisme

Conclusion

DANIEL

Introduction

Les récits légendaires didactiques

Le songe de Nabuchodonosor et visions de Daniel

Les trois jeunes gens dans la fournaise

Songe du grand arbre

Ecritures sur le mur

Daniel dans la fosse aux lions

Les Apocalypses

Vision de quatre bêtes et du Fils d’Homme

Vision du Bélier et du Bouc

Les soixante-dix septénaires d’années

La vision finale

Conclusion

LA SAGESSE

Sentences et Poèmes

Hymne à la sagesse de Yhwh

LE SIRACIDE

La question de la mort et de la souffrance

Eloge de la vertu

Sens de l’Histoire

CONCLUSION

Mille ans d’histoire

Le monothéisme conforté

Questions restées en suspens

ANNEXE 1 - ABRÉVIATIONS

ANNEXE 2 - NUMÉROTATION DES PSAUMES

ANNEXE 3 - TABLEAU CHRONOLOGIQUE

ANNEXE 4 - BIBLIOGRAPHIE

Introduction

Rappel du tome précédent

Le tome 1 de La Bible au-delà de la religionporte sur les cinq premiers livres de la Bible, appelés la Torah chez les Juifs ou Pentateuque chez les Chrétiens.

Avec le livre de la Genèse, nous avons lu les récits mythiques de la création du cosmos, la naissance des premiers groupes humains et la violence qui a recouvert la surface de la terre au grand dam du créateur. Récits dont nous avons souligné la remarquable pertinence anthropologique.

L’histoire d’Abraham, originaire d’Our en Chaldée - partie sud de la Mésopotamie -, nous fait entrer dans des récits protohistoriques qui s’inscrivent dans une époque trop lointaine pour que l’on puisse qualifier d’historique les faits rapportés.

Abraham a entendu cette parole : « Va pour toi1, de ta terre, de ton enfantement, de la maison de ton père, vers la terre que je te ferai voir » (Gn 12,1- traduction d’André Chouraqui).

L’injonction est assortie d’une promesse inouïe pour un homme dont la femme est stérile : Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai grand ton nom (Gn 12,1).

Alors que son père Terah avait émigré du sud au nord de la Mésopotamie, d’Our à Harran, lui quitte Harran, repart vers le sud mais du côté ouest du croissant fertile. Il arrive au pays de Canaan et là, Yhwh2, lui promet que cette terre sera donnée en héritage à ses descendants et qu’elle sera leur royaume.

Son itinérance géographique s’accompagne d’un chemin spirituel qui le libère de ses attachements psychiques afin qu’il devienne fécond et engendre avec Sara, un fils, Isaac qui à son tour avec Rebecca sera père des jumeaux, Esaü et Jacob. Jacob, par un stratagème de sa mère qui le préfère à Esaü, hérite de la promesse de devenir une grande nation, provoquant l’hostilité de son frère. Rebecca, pour le protéger, l’incite à quitter Canaan afin d’échapper aux menaces de mort d’Esaü. Il remonte alors à Harran chez son oncle Laban qui le prend à son service. Amoureux de Rachel, fille cadette de Laban, il doit d’abord épouser Léa, l’aînée, et ce n’est qu’après sept ans de service supplémentaire que Rachel devient sa seconde épouse. Après la rivalité mortifère entre les deux frères, la rivalité entre les deux soeurs se traduit par une sorte de compétition pour donner la vie. C’est à celle qui donnera le plus d’enfants à Jacob, et elles n’hésitent pas à mobiliser leurs servantes à cet effet. Rachel, la préférée, est la moins féconde. Après les dix garçons de Léa et des deux servantes, elle donne naissance à Joseph et plus tard à un petit dernier, Benjamin. C’est ainsi que naissent les douze fils qui sont les ancêtres des douze tribus d’Israël3. Jacob, en manifestant clairement sa préférence pour Joseph, attise la jalousie de ses frères qui tentent de le tuer. Finalement il est vendu comme esclave en Egypte où il connaît un destin extraordinaire. Devenu gouverneur de l’empire Egyptien, il sauve toute sa famille menacée par la famine et la fait venir en Egypte.

Le livre de l’Exode reprend des générations plus tard l’histoire de la descendance de cette famille très féconde devenue esclave du Pharaon. La prolificité de cette tribu fait peur au Pharaon qui cherche alors à en stopper le développement. Il en a cependant bien besoin pour construire les pyramides. Le livre raconte comment elle est libérée de la tutelle de l’Egypte par Moïse, personnage central du livre. Arrachée à sa condition d’esclave, cette tribu sans attache profonde, à laquelle s’est joint un ramassis de gens (Ex 12,37), se retrouve perdue dans le désert. Moïse reçoit alors de Yhwh des directives pour structurer le groupe autour d’un projet, celui de partir s’installer dans un pays ruisselant de lait et de miel (Ex 3,8), et d’un enseignement, les dix commandements ou dix paroles (Ex 20), qui engagent le peuple dans une profonde révolution religieuse et l’exigence d’une éthique.

Le livre du Lévitique centré sur des directives cultuelles amorce la métamorphose du sacré4 (Lv 19,2). Le culte rendu à Yhwh, épuré de toute superstition, opère un glissement du sacré vers la sainteté5. La relation à Dieu implique que la relation des hommes entre eux soit libérée de la violence et qu’ils portent leur attention sur les plus pauvres. Le livre des Nombres rapporte les résistances et les difficultés du peuple à entrer dans cette métamorphose, à rompre avec les pratiques ancestrales du sacré, et à se fier à la promesse transmise par Moïse.

Enfin le livre du Deutéronome développe les instructions données à Moïse. L’éthique sur laquelle repose la Loi ne sera possible qu’avec le développement d’une relation confiante et personnelle de l’homme avec Yhwh, son créateur.

Arrière-plan historique

Les livres que nous allons étudier dans ce deuxième tome, s’inscrivent dans une période historique très large, depuis l’entrée en terre promise, que les historiens situent autour du 13è siècle, jusqu’au dernier siècle avant l’ère chrétienne.

Cet ensemble d’écrits a vu le jour au sein d’un petit peuple qui a pris racine lors du second millénaire sur une bande de terre entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain appelée pays de Canaan, terre qui est le passage obligé entre deux grandes zones géographiques, la Mésopotamie au Nord-est et l’Egypte au sud-Ouest, berceaux de civilisations qui tiennent une place centrale dans l’évolution de l’histoire humaine. Elles sont à l’origine de cités-états, qui, avec la création d’une administration, la mise en place d’institutions politiques et religieuses, la découverte de la métallurgie et de l’agriculture, la pratique du commerce, donneront naissance à des empires. C’est aussi en Mésopotamie que les archéologues situent, autour du troisième millénaire, la naissance du premier système d’écriture, l’écriture cunéiforme6.

À l’aube du premier millénaire, époque où les tribus des Hébreux mettent à leur tête un roi pour constituer une nation, l’Assyrie avec sa capitale Ninive7 est maître d’un empire sans équivalent aux époques antérieures. L’empire assyrien connaît son apogée territorial au 8è siècle après ses victoires en Perse au sud-est et sur l’Egypte, couvrant ainsi la majeure partie du Moyen-Orient.

Quelques décennies plus tard, cet empire est déstabilisé par la récurrence de crises successorales et son incapacité à dominer durablement des populations d’un territoire aussi vaste et tout particulièrement celles de la région de Babylone, farouchement indépendantiste. Profitant d’une guerre civile entre Assyriens, un pouvoir autonome se constitue à Babylone avec à sa tête Nabuchodonosor. Avec l’appui des Mèdes, celui-ci envahit l’Assyrie et détruit Ninive en 612. Babylone étend alors sa domination sur toutes les anciennes provinces de l’Assyrie et devient le nouvel empire.

Mais en 539, le roi Perse Cyrus, s’empare de Babylone. Toute la région est alors dominée pendant près de deux cents ans par ce troisième empire.

En 334, Alexandre le Grand, roi de macédoine, débarque en Asie Mineure, traverse la Mésopotamie, conquiert Babylone et pousse son armée jusqu’au fleuve Indus, il meurt à Babylone en 323. Ses principaux généraux se partagent cet immense territoire. La Palestine est rattachée à Ptolémée, la dynastie des Lagides, puis en 200, après la défaite des Lagides face aux Séleucides, elle tombe sous la coupe de ces derniers. Enfin, en 63, le général romain Pompée prend Jérusalem et toute la région devient province romaine.

La logique impériale

Depuis toujours, le but ultime de tout empire est la conquête du monde connu et sa mise en ordre. Cet objectif a une dimension quasi cosmique et donc sacrée, car il est justifié par la volonté de combattre le chaos et d’établir l’ordre dans l’univers.

La multitude des peuples aux marges de l’empire est perçue comme inférieure, mal organisée et leur diversité symbolise le désordre du monde que l’empereur a pour mission de combattre.

La fonction avouée de la construction d’un empire est d’unifier le monde. Les évolutions sur le plan religieux suivent la même dynamique, remise en ordre des cultes, limitation et hiérarchisation des dieux. C’est ainsi que dans chaque empire, il y a une divinité suprême, Assur pour les Assyriens, Mardouk pour les Babyloniens, Ahura Mazda pour les Perses, Zeus pour les Grecs. L’empereur occupe une position à part parmi les humains, sa fonction est sacrée, il est l’élu des dieux et ses actions pour rétablir l’ordre et la paix reflètent les volontés divines.

Il faut reconnaître que cet objectif impérial a permis les grands développements de la civilisation : l’organisation du territoire, la construction de capitales, la constitution de provinces, l’organisation de réseaux de communication. Mais tout cela au prix d’une emprise souvent violente sur les populations, sous forme de taxes et de corvées. Les peuples qui ne sont pas simplement annexés sont mis sous tutelle et doivent payer un lourd tribut. Quant aux populations récalcitrantes, elles peuvent être déportées.

Avec le temps, ces empires sont minés, de l’intérieur par les rivalités liées aux successions et par la résistance des populations assujetties, de l’extérieur par les guerres contre d’autres empires qui ont aussi une visée hégémonique. Force est de constater qu’historiquement toute construction politique fondée sur une approche impériale est incapable d’atteindre son objectif de paix et de stabilité.

Face à la logique impériale, l’enseignement de la Torah

Dans l’objectif de la construction d’un peuple, la Torah raconte une tout autre approche. Le contraste entre la logique impériale et l’enseignement biblique est saisissant.

Dans le récit de la tour de Babel (Gn 11)8, nous avons relevé la peur des hommes face à la diversité des populations de la terre. La volonté d’uniformiser qui s’ensuit déplaît à Yhwh. Il s’y oppose par la création de langues différentes qui sauvegardent la diversité au risque de semer la confusion.

Plus tard, avant la sortie d’Egypte, nous avons noté que le gouvernement du Pharaon incarnait les forces de mort alors que Yhwh proposait un projet de vie en créant un peuple nouveau, libéré de la logique impériale, avec le don de la Torah et la promesse d’une terre nouvelle.

Les termes de l’alliance que sont les dix commandements (Ex 20), coeur de la Torah, engagent une mutation profonde dans la perception du sacré en donnant le jour à une éthique.

L’existence d’un lien des empereurs avec leurs dieux dont ils tirent légitimité et puissance est vigoureusement dénoncée. Il n’y a qu’un seul Dieu, Yhwh, nom qui ne doit pas être prononcé, Dieu insaisissable par les puissants, Dieu attentif aux populations les plus fragiles qui vivent à la marge de la société : Car c’est Yhwh votre Dieu qui est le Dieu des dieux et Yhwh des seigneurs, le Dieu grand, puissant et redoutable, l’impartial et l’incorruptible, qui rend justice à l’orphelin et à la veuve, et qui aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau. Vous aimerez l’émigré, car au pays d’Égypte vous étiez des émigrés (Dt 10,17-19).

L’éthique des dix commandements est développée tout au long de la Torah : Tu n’exploiteras ni n’opprimeras l’émigré, car vous avez été des émigrés au pays d’Egypte. Vous ne maltraiterez aucune veuve ni aucun orphelin. Si tu le maltraites, et s’il crie vers moi, j’entendrai son cri, ma colère s’enflammera, (…) Si tu prêtes de l’argent à mon peuple, au malheureux qui est avec toi, tu n’agiras pas avec lui comme un usurier ; vous ne lui imposerez pas d’intérêt (Ex 22,20+).

Elle est la condition pour habiter une terre nouvelle, la terre promise :

Tu écouteras, Israël, et tu veilleras à les mettre en pratique : ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l’a promis Yhwh, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel (Dt 6,3).

Cependant on a vu les difficultés du peuple à appliquer la Torah face à la puissance des empires. Une fois installé, le peuple est confronté au prestige de leur culture et à la force de leurs armées. La Torah l’a mis en garde, il ne devra pas convoiter leurs richesses. Tu ne te laisseras pas prendre au piège par l’envie de garder pour toi leur revêtement d’argent et d’or, car c’est une abomination pour Yhwh ton Dieu (Dt 7,25).

Il ne doit pas chercher à les imiter. Tu ne te feras pas de dieux en forme de statue (Ex 34,17). Vous ne suivrez pas d’autres dieux parmi ceux des peuples qui vous entourent (Dt 6,14). Yhwh avertit aussi le peuple qu’une fois bien installé dans ce territoire où coulent le lait et le miel, la richesse pourrait être un piège. Si tu manges à satiété, si tu te construis de belles maisons pour y habiter, si tu as beaucoup de gros et de petit bétail, beaucoup d’argent et d’or, beaucoup de biens de toute sorte, ne va pas devenir orgueilleux et oublier Yhwh ton Dieu. (…) Ne va pas te dire : « C’est à la force du poignet que je suis arrivé à cette prospérité », mais souviens-toi que c’est Yhwh ton Dieu qui t’aura donné la force d’arriver à la prospérité (…) (Dt 8,13-17).

L’antidote à la tentation impériale, à toute velléité d’appropriation, est l’humilité et la reconnaissance du don reçu. Après avoir pris possession du territoire promis, le peuple ne doit pas se considérer comme supérieur aux autres peuples, il ne doit pas tomber dans l’arrogance du propriétaire, il doit reconnaître que cette terre est un don de Yhwh : Reconnais que ce n’est pas parce que tu es juste que Yhwh ton Dieu te donne ce bon pays en possession, car tu es un peuple à la nuque raide (Dt 9,6).

La période au désert avait cet objectif d’éducation à l’humilité afin de rester réceptif à sa Parole : Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche de Yhwh. Ton manteau ne s’est pas usé sur toi, ton pied n’a pas enflé depuis quarante ans, et tu reconnais, à la réflexion, que Yhwh ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils (Dt 8,3-5).

La pérennité du peuple ne réside pas dans la puissance et la domination des autres peuples, mais dans la transformation intérieure du coeur de chacun par l’écoute de la parole : Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur, pour que tu la mettes en pratique. Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer Yhwh ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Alors tu vivras, tu deviendras nombreux, et Yhwh ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession (Dt 30,14-16). Alors, paradoxalement et de façon contre-intuitive, le peuple n’a pas à craindre la domination des empires. S’il écoute la parole de Yhwh, s’il reste humble, il subsistera et verra s’écrouler devant lui les uns après les autres les empires orgueilleux : Car si vous gardez vraiment tout ce commandement que je vous ordonne de mettre en pratique, en aimant Yhwh votre Dieu, en suivant tous ses chemins et en vous attachant à lui, Yhwh dépossédera toutes ces nations devant vous, si bien que vous déposséderez des nations plus grandes et plus puissantes que vous (Dt 11,22-23).

Trois groupes de livres pour s’arracher aux forces de la violence

Après les récits mythiques puis légendaires de la naissance de ce peuple, examinés dans le premier tome, nous suivrons maintenant pendant plus d’un millénaire sa longue et douloureuse histoire pour s’arracher aux forces de la violence, inhérente à la logique impériale, et de tenter de donner le jour à une société régie par la justice et la liberté.

Nous verrons comment avec le développement d’écrits de genres littéraires différents, la pédagogie divine pendant ce millénaire se déploie inlassablement au sein de l’histoire de ce peuple pour tenter de faire aboutir ce projet.

Tous ces écrits bibliques, en effet, mettent en lumière la nécessité pour l’homme de se démarquer des illusions du sacré primitif et de lutter concrètement contre toutes les formes de domination et d’injustice, sources de la violence. Un tel projet, assez décalé par rapport aux réalités du monde où les puissants l’emportent sur les plus faibles, ne pourra aboutir sans l’humble écoute de ces messages pour changer en profondeur le coeur de l’homme et lui ouvrir ainsi la perspective de la création d’un peuple nouveau guidé par la justice.

Ces écrits sont classés traditionnellement en trois groupes9 : les historiographes, les prophètes-écrivains, et un troisième groupe qui rassemble d’autres écrits.

Ce tome II de la Bible au-delà de la religion reprend le découpage des Bibles chrétiennes en trois parties correspondant à ces trois catégories d’auteurs.

La première partie rapporte l’histoire du peuple, depuis l’installation en terre de Canaan (~1200 à 1000 av. J.-C.) et le passage d’une organisation tribale à la monarchie (~ 1000 av. J.-C.), jusqu’à la destruction de Jérusalem, la captivité et l’exil d’une partie de la population, et la fin du royaume (585 av. J.-C.).

L’objectif de ces historiographes est moins de transcrire les faits historiquesavecexactitude,qued’apporterunenseignementenutilisant parfois des récits populaires, plus ou moins légendaires, porteurs de sens. Ils décrivent les résistances des autorités à cet enseignement.

De fait, le peuple succombe cycliquement aux charmes de la puissance et se tourne vers les dieux locaux. Il connaîtra alors le sort de tous les petits peuples défaits par les grands empires.

Dans la deuxième partie, nous étudierons les prophètes-écrivains (~ de 750 à ~ 500 av. J.-C.) qui surgissent au temps de la monarchie pour dénoncer les pouvoirs politiques et religieux en place, leur reprochant de s’écarter de l’enseignement de Moïse, de retomber dans des pratiques cultuelles traditionnelles et politiquement de rester dans la logique de la puissance au détriment de la justice. Les prophètes transmettent la parole de Dieu dans un contexte précis de l’histoire. Ils annoncent les catastrophes à venir, conséquences de l’infidélité du peuple à la Parole10, mais aussi promettent l’avènement, pour un reste11, d’une ère nouvelle et l’avènement d’un nouveau type de royauté porté par un messie12.

Le troisième groupe rassemble les « autres écrits ». Ce sont des oeuvres d’auteurs multiples plus tardifs, nées dans un contexte politique et culturel bien différent : il n’y a plus de roi en Israël, l’influence de la première religion monothéiste, le zoroastrisme, est important, puis à partir du 4è siècle avant notre ère la culture grecque s’impose. Cette période qualifiée traditionnellement de « postexilique » voit naître des livres de sagesse, de conte, de prière, et même plus surprenant un long poème d’amour, le cantique des cantiques. Enfin dans les deux derniers siècles avant Jésus Christ, un nouveau genre littéraire apparaît, les écrits apocalyptiques13. Cette littérature, par l’usage d’un langage symbolique, porte un regard critique sur les puissances du monde. Elle révèle, au travers des catastrophes qui s’annoncent, le sens de l’histoire humaine et l’imminence d’un monde nouveau.

1 - Va pour toi ou « Va vers toi » - voir les réflexions de Marie Balmary dans son livre : « le sacrifice interdit », l’appel d’Abraham.

2 - Yhwh, nom ineffable, composé de 4 lettres hébraïques, je suis qui je serai (Ex 3,14), nommé Adonai, Kurios, Dominus, Seigneur, l’Eternel, selon les Bibles.

3 - En Gn 32, 29, Dieu lutte avec Jacob puis lui donne le nom d’Israël signifiant « tu as lutté avec Dieu ». Le peuple constitué de ses descendants porte ce nom d’Israël.

4 - Le sacré primitif est le domaine intouchable et inquestionable de la relation aux dieux (cf. tome I p 261).

5 - Le sens premier du mot saint est « séparé » (cf. tome I p 263).

6 - Cf. La découverte en 1901 de notre ère, à Suse, d’une stèle du Code juridique Hammourabi daté de 1750 av. J.-C. (musée du Louvre).

7 - Les ruines de Ninive sont recouvertes à certains endroits par les nouvelles banlieues de Mossoul (Irak).

8 - cf. tome 1 p 93.

9 - Dans la Bible hébraïque, les livres historiques et les livres des prophètes sont regroupés sous le nom de Nevi’im.

10 - Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur, pour que tu la mettes en pratique (Dt 30,14), cf. tome 1 p 43.

11 - Le terme de reste très utilisé par les prophètes représente un petit nombre de survivants ou rescapés du peuple.

12 - Le mot messie (messiah en hébreu) ou christ (christos en grec), signifie « oint », celui qui a reçu l’onction divine.

13 - Relatif à l’Apocalypse, du grec Ἀποκάλυψις, signifiant « Révélation ».

Première partie

LIVRES HISTORIQUES

Oui, sois fort et très courageux ;

veille à agir selon toute la Loi que t’a prescrite Moïse, mon serviteur.

Ne t’en écarte ni à droite ni à gauche afin de réussir partout où tu iras.

Ce livre de la Loi ne s’éloignera pas de ta bouche ;

tu le murmureras jour et nuit afin de veiller à agir selon tout ce qui s’y trouve écrit,

car alors tu rendras tes voies prospères, alors tu réussiras. (...)

Ne tremble pas, ne te laisse pas abattre,

car Yhwh, ton Dieu, sera avec toi partout où tu iras (Jos 1,7-9).

Introduction

L’ensemble des livres regroupés sous ce vocable d’« historique » sont les livres de Josué, des Juges, de Samuel I et II et des Rois I et II. Ce sont des chroniques1 qui couvrent une période très large de plus de sept cents ans entre l’installation en terre de Canaan vers le 12è siècle et la chute de Jérusalem en 585 avant notre ère.

Ces livres sont qualifiés d’historique en ce sens qu’ils rapportent des évènements qui s’inscrivent dans la chronologie de l’histoire, mais l’historicité des faits rapportés mérite d’être questionnée à la lumière de l’acception moderne de ce terme qui sous-tend la quête d’une vérité objective des événements dans l’espace et dans le temps de l’histoire. Si certains récits peuvent être qualifiés au moins partiellement d’historiques dans la mesure où ils rapportent des événements datés en des lieux donnés, corroborés par les études archéologiques, d’autres passages relèvent clairement du genre épique ou légendaire. Ces auteurs n’ont pas le souci de l’exactitude factuelle de nos historiens, ils apportent un enseignement.

Néanmoins cet enseignement passe souvent par une analyse critique des événements et une description de leurs conséquences historiques. Il s’agit là, à l’aube de l’histoire de l’écriture, d’une approche inédite. À cette époque, la pratique de l’écrit était si onéreuse qu’elle était, de fait, réservée aux cours royales pour vanter les exploits du prince. La Bible rompt avec l’approche apologétique des premiers écrits de l’histoire de l’humanité, en donnant une grande place à des écrivains qui dénoncent les agissements et la politique des gouvernants. ils en analysent les conséquences. Ils peuvent, à ce titre, être considérés comme les premiers historiens. Reste une énigme, comment ces auteurs indépendants des pouvoirs établis ont-ils pu rassembler les moyens nécessaires à la réalisation très onéreuse d’une masse si importante d’écrits, souvent d’une grande qualité littéraire ? On peut supposer qu’ils ont trouvé, en particulier en la personne des prophètes, un écho dans les profondeurs de la société qui a fait naître en son sein, un développement intellectuel et spirituel exceptionnel.

Nous touchons là, avec la rédaction de ces écrits bibliques, un phénomène unique dans l’histoire de l’écriture. En effet, il se dégage de ce continuum de récits mythiques, légendaires, historiques relevant de genres littéraires très différents, s’étalant sur plusieurs siècles, une cohérence d’ensemble remarquable, portée par la nature des enseignements de tous ces auteurs.

Les deux premiers livres « historiques », ceux de Josué et des Juges couvrent la période de la conquête du pays par les tribus de Jacob et leur implantation entre les années 1250 et 1050 environ av. J.-C. Puis les deux livres de Samuel relatent les difficultés de ces tribus à subsister face aux tribus voisines d’où leur désir de passer à un autre mode de gouvernance. Finalement, autour de 1050, elles s’entendent pour se rassembler sous la bannière d’un roi et former une nation qui prend pour capitale Jérusalem. Cette belle entente ne dure pas. Dans les livres des Rois qui suivent, à la succession du roi Salomon, les tribus du Nord se séparent des tribus du Sud et forment un royaume indépendant, le royaume d’Israël qui prend pour capitale Samarie. Après une période relativement florissante, la pression assyrienne se fait de plus en plus menaçante et en 722, la ville de Samarie est prise, la population est déportée au nord, dans les villes de l’Assyrie. Suite à la disparition du royaume du Nord, nous assistons à une lente agonie du royaume du Sud qui est finalement anéanti par Nabuchodonosor en 585.

1 - Il existe dans la Bible, deux livres nommés « livres des chroniques », placés après les livres d’Esdras et Néhémie, dans les Ketouvim, ou autres écrits. Ils sont une reprise de ces livres historiques par des prêtres, les lévites.

JOSUÉ

Appui indéfectible de Yhwh

Le livre débute par l’investiture de Josué qui succède à Moïse. Nous avons déjà rencontré Josué dans le livre de l’EXODE où il apparaît comme un lieutenant militaire de Moïse (Ex 17,8-10), puis son auxiliaire (Ex 24,13). Ce nom de Josué qui signifie « Yhwh sauve » fut donné par Moïse à un certain Hoshéa, fils de Noun (Nb 13,16), marquant ainsi sa vocation. A noter que le nom de « Jésus » dérive de Josué.

Josué reçoit de Yhwh la mission de conduire le peuple libéré de l’esclavage jusqu’à la terre promise, ce territoire où les patriarches Abraham, Isaac et Jacob ont séjourné autrefois et qui fut l’objet de la promesse de Yhwh, promesse renouvelée à chaque génération : C’est là le pays que Yhwh a promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob en leur disant : « C’est à ta descendance que je le donne » (Dt 34,4).

Ce don de la terre implique de la part du peuple - et cela peut paraître contradictoire - la volonté de la conquérir. L’association du don et d’une conquête sera source de tension, riche d’enseignement spirituel, tout au long de l’histoire. L’opération, prévient Yhwh, sera difficile, il lui faudra s’armer de courage, mais il pourra toujours compter sur son appui indéfectible : « Moïse, mon serviteur, est mort ; maintenant donc, lève-toi, passe le Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays que je leur donne - aux fils d’Israël (…). Comme j’étais avec Moïse, je serai avec toi ; je ne te délaisserai pas, je ne t’abandonnerai pas. Sois fort et courageux, car c’est toi qui donneras comme patrimoine à ce peuple le pays que j’ai juré à leurs pères de leur donner » (Jos 1, 2-6).

La conquête du territoire

Le territoire à conquérir, il faut le souligner, est bien délimité : Depuis le désert et le Liban que voici jusqu’au grand fleuve, l’Euphrate, tout le pays des Hittites, et jusqu’à la Grande Mer, au soleil couchant, tel sera votre territoire (Jos 1, 4). Il ne s’agit donc pas de construire un empire, qui lui, par principe, ne connaît pas de frontière.

Après avoir donné ses instructions au peuple en vue de cette marche vers la terre promise, Josué envoie deux espions reconnaître le territoire. Arrivés à Jéricho, les deux hommes trouvent asile chez une prostituée du nom de Rahab ( Jos 2,1). Le roi de Jéricho apprend l’intrusion de ces deux personnes, s’en méfie et demande à Rahab de les lui livrer. Mais cette femme a eu la révélation de l’importance de leur mission, elle les cache et feint, devant les émissaires du roi, de les avoir vus repartir. Avant qu’ils ne se retirent, Rahab leur demande de se souvenir d’elle lors de la conquête à venir. Quand les poursuites furent abandonnées, les deux hommes redescendirent de la montagne ; ils traversèrent et vinrent auprès de Josué, fils de Noun, et ils lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient trouvé. Ils dirent à Josué : « Vraiment Yhwh a livré tout le pays entre nos mains et même tous les habitants du pays ont tremblé devant nous » (Jos 2,22).

Suit la description de la traversée du Jourdain (Jos 3) et de l’entrée en terre de Canaan qui semblent relever plus d’une procession liturgique que d’une manoeuvre militaire. L’arche d’alliance2 est portée par les prêtres et au moment où ils mettent les pieds dans l’eau du Jourdain, le fleuve s’arrête de couler pour permettre au peuple de passer à pied sec (Jos 3,16). C’est évidemment un « remake » de la traversée de la mer rouge (Ex 14,29). Yhwh après les avoir sortis de l’esclavage, leur ouvre la porte d’un monde nouveau.

Circoncision des israélites

Après la sortie d’Egypte et les quarante ans au désert, une fois le jourdain franchi, Yhwh dit à Josué : « Fais-toi des couteaux de silex3et remets-toi une nouvelle fois à circoncire les fils d’Israël ». Josué se fit des couteaux de silex et circoncit les fils d’Israël sur la colline des Prépuces. (...) Josué circoncit tous ceux du peuple qui étaient nés dans le désert, car ils étaient incirconcis puisqu’on ne les avait pas circoncis en chemin. Or, lorsqu’on eut achevé de circoncire toute la nation, ils demeurèrent sur place dans le camp jusqu’à leur guérison. Et Yhwh dit à Josué : « Aujourd’hui, j’ai roulé loin de vous l’opprobre d’Egypte » (Jos 5, 2-9). Et la manne cessa le lendemain de la première Pâque en Canaan quand ils eurent mangé des produits du pays (Jos 5,12).

Le peuple a franchi le Jourdain, est entré en terre promise, s’est fait circoncire, il est sevré de la manne telle un nourrisson qui doit passer à une autre nourriture. Il devient responsable de sa subsistance. Une nouvelle étape de la vie d’Israël commence.

Les trompettes de Jéricho

Le caractère liturgique de la conquête est souligné par toute une série d’actions préalables à caractère religieux : construction d’un autel ( Jos 4,20), circoncision des hommes ( Jos 5,1), célébration de la Pâque ( Jos 5,10), avant d’attaquer la ville de Jéricho ( Jos 6).

Le siège de la ville elle-même prend un caractère cultuel. Chaque jour, pendant six jours, tout le peuple doit en procession faire le tour complet des murailles de la ville. Le septième jour, il fait sept fois le tour, puis le peuple poussa la clameur, et on sonna du cor4.

Lorsque le peuple entendit le son du cor, il poussa une grande clameur, et le rempart s’écroula sur place ; le peuple monta vers la ville, chacun droit devant soi, et ils s’emparèrent de la ville (Jos 6,20).

Cette célèbre légende des « trompettes de Jéricho » laisse bien entendre que c’est Yhwh, et non la force militaire, qui donne la victoire. Il y a cependant une contrepartie à ce soutien de Yhwh : le peuple ne doit pas se mélanger aux populations locales, elles sont « vouées à l’interdit », personne ne doit s’approprier leurs biens : Prenez bien garde à l’interdit de peur que vous ne convoitiez et ne preniez de ce qui est interdit, que vous ne rendiez interdit le camp d’Israël et que vous ne lui portiez malheur. Tout l’argent, l’or et les objets de bronze et de fer, tout cela sera consacré à Yhwh et entrera dans le trésor de Yhwh (Jos 6,18-19).

Les conséquences de cet interdit sont à nos yeux beaucoup moins merveilleuses : Ils vouèrent à l’interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien l’homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le mouton et l’âne, les passant tous au tranchant de l’épée (Jos 6,21).

Seules Rahab et sa famille sont épargnées !

Infidélité de Akan

Après cette victoire sur Jéricho, Josué doit s’attaquer à la ville d’Aï, beaucoup plus petite. À sa grande surprise, il est battu ! Mais alors que fait Yhwh ? Josué le supplie de s’expliquer.

Yhwh lui répond : « Israël a péché ; oui, ils ont transgressé mon alliance, celle que je leur avais prescrite ; oui, ils ont pris de ce qui était interdit, ils en ont même volé, camouflé, mis dans leurs affaires » (Jos 7,11).

Le coupable, un certain Akan, reconnaît sa faute : « En vérité, c’est moi qui ai péché contre Yhwh, Dieu d’Israël, et voici de quelle manière j’ai agi. J’avais vu dans le butin une cape de Shinéar d’une beauté unique, deux cents sicles d’argent et un lingot d’or d’un poids de cinquante sicles ; je les ai convoités et je les ai pris ; les voici dissimulés dans la terre au milieu de ma tente et l’argent est dessous » (Jos 7, 20-21).

Akan est lapidé, puis le peuple repart à l’assaut d’Aï et cette fois la ville tombe entre leurs mains : Tout Israël revint vers Aï et la passa au tranchant de l’épée. Le total de ceux qui tombèrent ce jour-là, hommes et femmes, fut de douze mille, tous gens de Aï (Jos 8,24).

Les récits de victoires s’enchaînent ( Jos 7-11) et finalement tous les territoires sont conquis et le peuple connaît la paix : Josué prit tout le pays selon tout ce que Yhwh avait dit à Moïse et il le donna comme patrimoine à Israël en le répartissant selon les tribus. Et le pays fut en repos, sans guerre (Jos 11,23).

Victoire et répartition des territoires

Au chapitre 12, tous les territoires conquis sont listés, trente et un au total. Josué les répartit entre chacune des tribus ( Jos 12-14), puis le texte nous donne une longue liste, très détaillée, avec le nom de chaque ville et l’affectation aux onze tribus correspondant aux fils de Jacob ( Jos 15-19).

Il y a deux curiosités dans cette répartition du territoire. La première est la création de six villes de refuge, destinées à donner un abri provisoire à un meurtrier afin de le mettre à l’abri d’une vengeance en attendant son jugement ( Jos 20,9).

La seconde particularité concerne la tribu de Lévi qui est destinée exclusivement au service du culte ( Jos 14,3). Elle ne reçoit pas de territoire en propre, mais seulement quelques villes de résidence, au sein des territoires de chacune des tribus ( Jos 21).

Ces deux particularités illustrent l’amorce d’une mise en place d’instances, juridiques pour la première, cultuelles pour la seconde, qui relient l’ensemble des tribus afin de leur donner une identité spécifique commune.

Un autel est construit près du Jourdain en mémoire de leur volonté de se rattacher tous à Yhwh, malgré les risques de tensions qui affleurent déjà entre les tribus de Cisjordanie et celles de Gad et Ruben en Transjordanie ( Jos 22).

Le livre se termine par un long discours de Josué qui, avant de mourir, rappelle les bienfaits de Yhwh auxquels le peuple doit le repos dans ce bon territoire : Je vous ai donné un pays où tu n’avais pas peiné, des villes que vous n’aviez pas bâties et dans lesquelles vous habitez, des vignes et des oliviers que vous n’aviez pas plantés et vous en mangez les fruits ! (Jos 24,13).

Josué leur demande d’affirmer, explicitement et solennellement, leur désir de maintenir le lien avec Yhwh en écartant toutes les formes de culte aux dieux locaux. Le peuple répondit : « Quelle abomination ce serait pour nous d’abandonner Yhwh pour servir d’autres dieux ! » (Jos 24,16). Le peuple s’y engage, une stèle est dressée à Sichem5 pour témoigner de cette alliance avec Yhwh ( Jos 24,27).

Historicité du Livre de Josué

Alors que ces événements datent du 12è siècle av. J.-C., on situe la rédaction des documents épars qui ont été compilés pour donner ce livre, autour du 8è siècle av. J.-C.. Ce décalage de plusieurs siècles incite à la plus grande prudence quant à l’historicité de ces événements.

L’image véhiculée par ce livre d’une conquête éclair et totale du pays de Canaan, ne résiste pas à la critique historique moderne. Il est écrit dans le livre suivant, le livre des Juges, que la conquête fut loin d’être totale. Plus probablement, il y eut cohabitation, les Cananéens laissant aux Hébreux des terrains montagneux très peu habités et se gardant les plaines plus fertiles.

Les études archéologiques d’aujourd’hui, qui tentent de retrouver la genèse du peuple d’Israël, évoquent une imbrication de peuplades, plutôt qu’une conquête venue de l’extérieur. Des luttes, probablement limitées et ponctuelles, entre peuplades qui globalement vivaient ensemble de façon pacifique, ont été transcrites sous un mode épique pour transmettre un message : l’identité du peuple d’Israël, son unicité, tient dans sa relation avec Yhwh et l’assurance de son soutien.

Questions sur la violence

des « guerres de Yhwh »

Ceci étant, la violence qui se dégage de cette lecture de la conquête, avec l’image de Yhwh en chef de guerre, est pour nous choquante et nous interpelle. Comment lire par exemple ce passage extrêmement dur sur la nécessité de vouer à l’interdit (ou anathème) les autres nations ?

Yhwh avait décidé d’endurcir leur coeur à engager la guerre avec Israël, afin de les vouer à l’interdit en sorte qu’il ne leur soit pas fait grâce et qu’on puisse les exterminer comme l’avait prescrit Yhwh à Moïse (Jos 11,20).

Cette phrase et bien d’autres de ce type dans ce livre et dans le livre des Juges qui suit, donne une image de Dieu difficilement supportable et apparemment en parfaite contradiction avec le Dieu miséricordieux qui se révélera de plus en plus clairement le long de l’histoire biblique.

On peut comprendre la position d’un certain Marcion qui, au 2è siècle de notre ère, estimant ces textes par trop en contradiction avec la révélation évangélique, a voulu séparer radicalement la foi chrétienne de ses sources juives.

Tel ne fut pas l’avis des pères de l’Église de cette époque. Les positions de Marcion furent condamnées comme hérétiques. L’enracinement de l’Évangile dans le judaïsme et ses écrits fut alors énergiquement affirmé (144 ap. J.-C.).

La question reste donc entière, comment lire ces textes qui semblent justifier la violence guerrière et l’élimination des ennemis ? Ces textes ne donnent-ils pas de l’eau au moulin de ceux qui considèrent que la violence est liée aux religions monothéistes ?

Pour les comprendre nous devons, dans un premier temps, les situer dans leur contexte socio-historique, puis voir comment une lecture, sur différents plans, anthropologique, théologique et spirituel, nous apporte un enseignement qui nous concerne individuellement et collectivement aujourd’hui.

Le contexte historique

À cette époque - au 12è siècle av. J.-C. - on est encore très loin du monothéisme chaque peuple avait son dieu attaché à un lieu donné. Les guerres entre les peuples, guerres inéluctables pour tout simplement subsister ou se développer, étaient intrinsèquement sacrées ou plutôt sacrales en ce sens que le dieu de chacun des protagonistes était impliqué.

L’engagement de Yhwh dans la guerre et ses massacres qui nous scandalisent aujourd’hui, non seulement ne choquait pas les esprits de l’époque, mais l’absence de soutien de Yhwh était inimaginable, car une fonction essentielle du dieu associé à un peuple était justement de le défendre.

On ne peut qualifier les guerres de Yhwh de guerre de religions en ce sens qu’il ne s’agissait pas d’imposer sa religion ou son dieu aux autres - chacun avait légitimement le sien - mais plutôt de prendre le dessus sur ses rivaux, grâce à l’aide de son dieu. Le culte aux dieux tenait une place déterminante dans toute action politique et militaire. Il n’y avait pas de frontières étanches entre ces différents plans. L’image d’un dieu guerrier était partagée par toutes les cultures du Proche-Orient de cette époque, à l’instar du dieu assyrien luttant au côté du roi son « lieutenant ». La religion juive qui naît à cette époque ne pouvait échapper à cette représentation primitive de Dieu. Nous suivrons tout au long de l’histoire biblique, les étapes de la métamorphose de la représentation de Dieu. La révélation progressive du dessein de Yhwh s’enracine dans le terreau commun de l’histoire de l’humanité et c’est à partir de ses racines et non pas en étant déconnectée d’elles que la pédagogie biblique pourra se déployer et orienter l’évolution sociale et spirituelle du peuple juif d’abord, puis de toute l’humanité.

Néanmoins, au-delà de ce contexte historique que l’on peut comprendre, que peuvent nous apporter ces récits censés procurer un enseignementaulecteur ?Nouspouvonsappréhendercetenseignement, par une analyse de la violence à plusieurs niveaux.

Lecture anthropologique de la violence et du développement psychique.

La philosophie depuis Spinoza utilise le terme de « conatus » pour exprimer la force déployée par tout être pour subsister. Cette force s’exprime dès la naissance par les cris du nouveau-né avant qu’il ne « dévore » le sein de sa mère. Plus tard, l’enfant est naturellement « tyrannique » avec ses parents. À l’aube de sa vie, il doit s’affirmer et il ne pose son « moi » qu’en s’opposant. La force de son premier « non ! » dégage une certaine violence, sans qu’il faille y voir au stade des premières années de la vie, une quelconque connotation péjorative et morale et encore moins provoquer une réaction de rejet. Puis lors de son entrée en société, l’enfant comme on peut le constater dans les cours de récréation, est amené à se battre, toujours d’après lui pour se défendre contre un autre, « c’est lui qui a commencé ! ». Cette violence primaire est liée au jeu du désir mimétique6 et à l’adoption d’un modèle. Si la présence d’un modèle participe activement au développement de la personne, le besoin de s’affirmer en vient à transformer le modèle en rival et la force du « conatus » pour subsister, mute en violence pour dominer.

Le premier récit du livre de la GENÈSE illustre, dans cette volonté d’être « le tout » (le péché originel), la perte de la relation avec Yhwh d’une part, mais aussi entre les hommes, perte illustrée par le meurtre d’Abel par Caïn. Face à la violence généralisée de l’humanité qui en découle, Yhwh a voulu effacer sa création par un déluge. Suite à cette catastrophe, Yhwh part dans une nouvelle création. Il fait alliance avec Noé – souvenez-vous de l’arc-en-ciel (Gn 9,16) -. Il prend acte de la violence structurelle de l’homme en lui permettant d’être carnivore, alors que dans le jardin d’Eden il était végétarien. Il promet de ne plus détruire l’humanité (Gn 8,21). Le rejet pur et simple de la violence est impossible, car cela reviendrait à rejeter tous les hommes et à détruire la création.

Nous retrouvons cette fonction ambivalente du modèle-obstacle où la violence et l’amour sont imbriqués dans toutes les étapes de la croissance de l’individu. On sait en particulier que beaucoup de drames liés à la violence entre personnes ont pour arrière-plan une relation amoureuse. Cette imbrication de l’amour et de la violence n’est pas toujours perçue. Pour illustrer ce déni, Lacan7 a raillé « le déluge d’amour » versé par certains milieux chrétiens.

Ce débordement verbal, cette emphase sur l’amour peut traduire une expression idéologique plutôt que des sentiments réels ressentis. Les paroles d’amour ont alors pour fonction inconsciente de voiler opportunément des violences intérieures moins avouables. Ceci explique que chez certaines personnes fortement investies dans des milieux idéologiquement très marqués, chez certains religieux de toute obédience ou au sein même de courants non-violents, peuvent surgir d’une façon surprenante des violences très primaires, en parfaite contradiction avec l’idéal dont ils sont porteurs. L’inconscient se venge brutalement du déni de cette ambivalence « amour-violence ».

L’enjeu de l’éducation est de permettre à chacun de conjuguer l’affirmation de soi avec la nécessaire construction d’une relation à l’autre non violente. Vaste programme !

La Bible s’y emploie par l’éducation d’un peuple mis à part, séparé des autres peuples et relié à Yhwh par la parole. Nos connaissances du psychisme ne disent pas autre chose : le chemin qui permet à l’enfant de se développer passe par une séparation physique d’avec ses parents et la construction d’un lien avec eux d’un nouveau type : la parole.

La séparation (Gn 1,1) est une étape incontournable dans la construction de la personne. La fonction de l’inter-dit est de sortir de la fusion et de la confusion8 pour créer un espace où la parole pourra se déployer.

Le peuple d’Israël, qui est ici dans les premières phases de son existence, doit s’affirmer. Les guerres de Yhwh sont pour le peuple d’Israël l’affirmation de son « moi », de son destin spécifique. Elles sont associées dans ce livre à un certain nombre d’interdits, nommés anathèmes, qui ont pour but de séparer le peuple d’Israël des autres peuples. Sans cette séparation, plus de distance entre ce peuple et son environnement, et l’identité spécifique de ce peuple ne pourrait voir le jour.

Il ne faut donc pas trop s’étonner de la violence qui suinte du livre de Josué et du suivant, les Juges. Ils décrivent la genèse et l’enfance de ce peuple. Yhwh est même prêt à voir la violence de son peuple mise sur son dos ( Jos 6,21). Plus tard Jésus lui-même assume cette fonction de la séparation et des violences qui peuvent s’en suivre. « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive. Oui, je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa maison. » (Mt 10,34)

La Bible ne surplombe pas la violence des hommes, elle la prend à bras-le-corps, elle est l’histoire de cette désintrication progressive, laborieuse, de l’amour et de la violence. Elle nous permet de suivre le cheminement d’un peuple, avec lequel Yhwh a conclu une alliance pour le libérer et l’introduire dans une terre promise, où coulent le lait et le miel (Ex 3-8). Sur ce chemin difficile, la pédagogie biblique nous amène à prendre acte de la violence, à la regarder en face, à la porter plutôt qu’à la rejeter, pour progressivement la transformer, la retourner en force d’amour.

Caractéristiques des guerres de Yhwh

L’objectif de la conquête est de construire un peuple porteur d’une identité propre, fondée sur son alliance avec Yhwh et de le protéger des risques de dissolution de cette alliance par le contact quotidien avec d’autres peuples. L’ampleur de la violence rapportée par les auteurs du livre qui écrivent plusieurs siècles après les faits est probablement plus théorique que réelle. Elle s’explique par l’expérience du danger mortel pour Israël, dans les siècles suivants, que l’abandon de la Loi et la persistance de l’idolâtrie ont constitué.

C’est l’expression crainte de Yhwh, dont nous avons développé toute la richesse dans le tome précédent9, qui cristallise cette identité.

Une prostituée cananéenne Rahab, une étrangère mue par la crainte de Yhwh est rattachée au peuple d’Israël ( Jos 2 et 6,22).

La conquête n’est pas une guerre nationaliste. Yhwh ne soutient pas son peuple inconditionnellement, il peut même se retourner contre lui, comme nous le voyons avec la défaite devant la ville d’Aï. L’absence de la crainte de Yhwh chez un seul membre du peuple, tel Akan qui a profité de la guerre pour s’enrichir personnellement, fait courir un grave danger à tout le peuple et explique l’échec militaire ( Jos 7).

Les guerres de Yhwh, symbole du combat spirituel

Les récits guerriers qui nous heurtent dans ce livre sont porteurs de symboles riches d’enseignements. La première leçon est assez paradoxale, elle nous enseigne que la conquête est un don. Certes nous sommes acteurs de cette conquête de la terre promise - du « royaume des cieux » dira-t-on plus tard - mais nos efforts et nos mérites ne nous donnent pas un droit de propriété sur la terre. Cette terre est donnée pour construire un royaume nouveau, dans une relation étroite avec Yhwh et la réalisation de son dessein. Hors de cette relation, ce don n’a plus de sens, l’humanité s’enfonce dans l’idolâtrie et la violence, la terre elle-même sera détruite.

Une autre leçon nous est donnée dans l’épisode de Rahab, cette femme qui ouvre à Israël la porte de la terre promise. Cette porte n’est pas ouverte pas des hommes forts et respectables, mais par une femme étrangère et prostituée de surcroit. Il n’y a pas de personnes ou de groupes spécifiques attitrés à recevoir, en exclusivité, la force de l’esprit de Yhwh. Le vent souffle où il veut10, dira plus tard Jésus.

Par ailleurs symboliquement, ces récits nous avertissent que le cheminement spirituel n’est pas un long fleuve tranquille, il est un combat (cf. le combat de Jacob11). Ce combat peut prendre des formes très diverses, suivant l’histoire et le charisme de chacun.

Les guerres contre les peuples idolâtres symbolisent les combats à mener dans le champ politique, social ou professionnel, combats pour la justice, pour la défense de la veuve, du pauvre et de l’orphelin (Ex 22,21).

Au-delà des formes d’actions militantes très concrètes pour rétablir la justice, ces guerres symbolisent aussi nos combats intérieurs pour faire tomber nos propres défenses, à l’instar des murailles de Jéricho. Murailles qui nous enferment dans le désir d’un toujours plus de l’avoir, du pouvoir, du savoir : ces idoles qui nous rendent esclaves de l’argent et de la notoriété.

Les murailles dissimulent nos démons intérieurs. Comment faire tomber la violence que l’on cache, les jalousies que l’on refoule, les ressentiments que l’on cultive ? Le cortège qui tourne avec persévérance autourdesmuraillesdeJéricho,pendantsixjours,pourqu’elless’écroulent (Jos 6,20), représente le long combat à mener individuellement, mais aussi collectivement, par les cris de la prière, pour faire tomber les obstacles à l’advenue du royaume.

N’ayons pas peur

Pour mener ce combat, ce livre est un appel à l’audace, au courage, à surmonter la peur par la confiance en la parole de Yhwh.

Toute la Bible est parsemée de chants de combat et pas uniquement dans le premier Testament. Dans son cantique, la « douce » Marie12, enceinte de Jésus, se félicite du combat de Yhwh contre les puissants : Le Seigneur est intervenu de toute la force de son bras ; Il a dispersé les orgueilleux ; Il a jeté les puissants à bas de leur trône et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides (Lc 1,51-53).