La confession d'un enfant du siècle - Alfred de Musset - E-Book

La confession d'un enfant du siècle E-Book

Alfred De Musset

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Beschreibung

Dans son célèbre ouvrage "La confession d'un enfant du siècle", Alfred de Musset explore les thèmes de l'amour, la perte et la désillusion à travers l'histoire d'un jeune homme en proie à des tourments intérieurs. Son style littéraire romantique et lyrique reflète l'époque du Romantisme français, avec des descriptions intenses et des dialogues poignants. Musset offre une vision sombre et introspective de la société de son temps, mettant en lumière les conflits moraux et émotionnels de ses personnages. Cette oeuvre semée de références culturelles offre une réflexion profonde sur les tourments de l'âme humaine. Alfred de Musset, lui-même un écrivain tourmenté, a puisé dans ses propres expériences personnelles pour créer ce chef-d'oeuvre poignant. Sa vie tumultueuse et ses relations amoureuses tumultueuses ont inspiré la profondeur émotionnelle de l'oeuvre, ajoutant une couche de réalisme et d'authenticité à la narration. Musset était connu pour son talent poétique et sa capacité à capturer les émotions humaines avec finesse et sensibilité. Je recommande vivement "La confession d'un enfant du siècle" à tous les lecteurs passionnés par la littérature romantique française. Cette oeuvre emblématique d'Alfred de Musset offre une plongée fascinante dans l'âme humaine et sa quête éternelle de l'amour et du sens.

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Alfred de Musset

La confession d'un enfant du siècle

 
EAN 8596547438687
DigiCat, 2022 Contact: [email protected]

Table des matières

CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE XI
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

Table des matières

Pour écrire l’histoire de sa vie, il faut d’abord avoir vécu: aussi n’est-ce pas la mienne que j’écris.

Ayant été atteint, jeune encore, d’une maladie morale abominable, je raconte ce qui m’est arrivé pendant trois ans. Si j’étais seul malade, je n’en dirais rien; mais, comme il y en a beaucoup d’autres que moi qui souffrent du même mal, j’écris pour ceux-là, sans trop savoir s’ils y feront attention : car, dans le cas.où personne n’y prendrait garde, � j’aurai encore retiré ce fruit de mes paroles, de m’être mieux guéri moi-même, et, comme le renard pris au piège, j’aurai rongé mon pied captif.

CHAPITRE II

Table des matières

Pendant les guerres de l’Empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse. Conçus entre deux batailles, élevés dans les colléges au roulement des tambours, des .milliers d’enfants se regardaient entre eux d’un œil sombre, en essayant leurs muscles chétifs. De temps en temps leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevaient sur leurs poitrines chamarrées d’or, puis les posaient à terre et remontaient à cheval.

Un seul homme était en vie alors en Eu-– rope; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l’air qu’il avait respiré.; Chaque année, la France faisait présent à i cet homme de trois cent mille jeunes gens; c’était l’impôt payé à César, et, s’il n’avait ce troupeau derrière lui, il ne pouvait suivre sa fortune. C’était l’escorte qu’il lui fallait pour qu’il pût traverser le monde, et s’en aller tomber dans une petite vallée d’une île’ déserte, sous un saule pleureur.

Jamais il n’y eut tant de nuits sans sommeil que du temps de cet homme; jamais on ne vit se pencher sur les remparts des villes un tel peuple de mères désolées; jamais il’ n’y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort. Et pourtant jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurss. Jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. Mais il les faisait bien lui-même avec ses canons toujours tonnants, et qui ne laissaient des nuages qu’aux lendemains de ses batailles.

C’était l’air de ce ciel sans tache, où brilait tant de gloire, où resplendissait tant d’acier, que les enfants respiraient alors. Ils savaient bien qu’ils étaient destinés aux écatombes; mais ils croyaient Murat invulérable, et on avait vu passer l’empereur sur un pont où sifflaient tant de balles, qu’on ne savait s’il pouvait mourir. Et quand même on aurait dû mourir, qu’était-ce que cela? La mort elle-même était si belle alors, si grande, si magnifique dans sa pourpre fumante! elle ressemblait si bien à l’espérance, elle fauchait de si verts épis, qu’elle en était comme devenue jeune, et qu’on ne croyait plus à la vieillesse. Tous les berceaux de France étaient des boucliers, tous les cercueils en étaient aussi; il n’y avait vraiment plus de vieillards, il n’y avait que des cadavres ou des demi. dieux.

Cependant l’immortel empereur était un jour sur une colline à regarder sept peuples s’égorger; comme il ne savait pas encore s’il serait le maître du monde ou seulement de la moitié, Azraël passa sur la route, il l’effleura du bout de l’aile, et le poussa dans l’Océan. Au bruit de sa chute, les puissances moribondes se redressèrent sur leurs lits de douleurs, et, avançant leurs pattes crochues, toutes les royales araignées découpèrent l’Europe, et de la pourpre de César se firent un habit d’Arlequin.

De même qu’un voyageur, tant qu’il est sur le chemin, court nuit et jour par la pluie et par le soleil, sans s’apercevoir de ses veilles ni des dangers; mais, dès qu’il est arrivé au milieu de sa famille et qu’il s’asseoit devant le feu, il éprouve une lassitude sans bornes et peut à peine se traîner à son lit: ainsi la France, veuve de César, sentit tout à coup sa blessure. Elle tomba en défaillance, et s’endormit d’un si profond sommeil, que ses vieux rois, la croyant morte, l’enveloppèrent d’un linceul blanc. La vieille armée en cheveux gris rentra épuisée de fatigue, et les foyers des châteaux déserts se rallumèrent tristement.

Alors ces hommes de l’Empire, qui avaient tant couru et tant égorgé, embrassèrent leurs femmes amaigries et parlèrent de leurs premières amours; ils se regardèrent dans les fontaines de leurs prairies natales, et ils s’y virent si vieux, si mutilés, qu’ils se souvinrent de leurs fils, afin qu’on leur fermât tes yeux. Ils demandèrent où ils étaient, les enfants sortirent des colléges, et, ne voyant plus ni sabres, ni cuirasses, ni fantassins, ni cavaliers, ils demandèrent à leur tour où étaient leurs pères. Mais on leur répondit que la guerre était finie, que César était mort, et que les portraits de Wellington et de Blücher étaient suspendus dans les antichambres des consulats et des ambassades, avec ces deux mots au bas: Salvatoribus mundi.

Alors s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang brûlant qui avait inondé la terre; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes; mais on leur avait dit que, par chaque barrière de ces villes, on allait à une capitale d’Europe Ils avaient dans la tête tout un monde; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins: tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain.

De pâles fantômes, couverts de robess noires, traversaient lentement les campagnes; d’autres frappaient aux portes des maisons, et, dès qu’on leur avait ouvert, ils tiraient de leurs poches de grands parchemins tout usés, avec lesquels ils chassaient les habitants. De tous côtés arrivaient des hommes encore tout tremblants de la peur qui leur avait pris à leur départ, vingt ans auparavant. Tous réclamaient, disputaient et criaient; on s’étonnait qu’une seule mort pût appeler tant de corbeaux.

Le roi de France était sur son trône, regardant çà et là s’il ne voyait pas une abeille dans ses tapisseries. Les uns lui tendaient leur chapeau, et il leur donnait de l’argent; les autres lui montraient un crucifix, et il le baisait; d’autres se contentaient de lui crier aux oreilles de grands noms retentissants, et il répondait à ceux-là d’aller dans sa grand’– salle, que les échos en étaient sonores; d’auttres encore lui montraient leurs vieux manteaux, comme ils en avaient bien effacé les abeilles, et à ceux-là il donnait un habit neuf.

Les enfants regardaient tout cela, pensant toujours que l’ombre de César allait débarquer à Cannes et souffler sur ces larves; mais le silence continuait toujours, et l’on ne voyait flotter dans le ciel que la pâleur des lis. Quand les enfants parlaient de gloire, on leur disait: «Faites-vous prêtres!» quand ils parlaient d’ambition: «Faites-vous prêtres!» d’espérance, d’amour, de force, de vie: «Faites-vous prêtres!»

Cependant il monta à la tribune aux harangues un homme qui tenait à la main un contrat entre le roi et le peuple: il commença à dire que la gloire était une belle chose, et l’ambition de la guerre aussi; mais qu’il y en avait une plus belle, qui s’appelait la liberté.

Les enfants relevèrent la tête et se souvinrent de leurs grands-pères, qui en avaient aussi parlé. Ils se souvinrent d’avoir rencontré, dans les coins obscurs de la maison paternelle, des bustes mystérieux avec de longs cheveux de marbre et une inscription romaine; ils se souvinrent d’avoir vu le soir, à la veillée, leurs aïeules branler la tête et parler d’un fleuve de sang bien plus terrible encore que celui de l’empereur. Il y avait pour eux, dans ce mot de liberté, quelque chose qui leur faisait battre le cœur, à la fois comme un lointain et terrible souvenir et comme une chère espérance, plus lointaine encore.

Ils tressaillirent en l’entendant; mais en rentrant au logis ils virent trois paniers qu’on portait à Clamart: c’étaient trois jeunes gens qui avaient prononcé trop haut ce mot de liberté.

Un étrange sourire leur passa sur les lèvres à cette triste vue; mais d’autres harangueurs, montant à la tribune, commencèrent à calculer publiquement ce que coûtait l’ambition, et que la gloire était bien chère; ils firent voir l’horreur de la guerre, et appelèrent boucheries les hécatombes. Et ils parlèrent tant et si longtemps, que toutes les illusions humaines, comme des arbres en automne, tombaient feuille à feuille autour d’eux, et que ceux qui les écoutaient passaient leur main sur leur front, comme des fiévreux qui s’éveillent.

Les uns disaient’. «Ce qui a causé la chute de l’empereur, c’est que le peuple n’en voulait plus;» les autres: «Le peuple voulait le roi; non, la liberté; non, la raison; non, la : religion; non, la constitution anglaise; non, l’absolutisme;» un dernier ajouta: «Non, rien de tout cela, mais le repos.»

Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens: derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir; et entre ces deux mondes. quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.

Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution.

Or, du passé ils n’en voulaient plus, car la foi en rien ne se donne; l’avenir, ils l’aimaient, mais quo! comme Pygmalion Galatée: c’était pour eux comme une amante de marbre, et ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines.

Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule qui n’est ni la nuit ni le jour; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des. égoïstes, et grelottant d’un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié momie et moitié fœtus; ils s’en approchèrent comme le voyageur à qui l’on montre à Strasbourg la fille d’un vieux comte de Saarwerden, embaumée dans sa parure de fiancée: ce squelette enfantin fait frémir, car ses mains fluettes et livides portent l’anneau des épousées, et sa tête tombe en poussière au milieu des fleurs d’oranger.

Comme, à l’approche d’une tempête, il passe dans les forêts un vent terrible qui fait frissonner tous les arbres, à quoi succède un profond silence: ainsi Napoléon avait tout ébranlé en passant sur le monde; les rois avaient senti vaciller leur couronne, et, portant leur main à leur tête, ils n’y avaient trouvé que leurs cheveux hérissés de terreur. Le pape avait fait trois cents lieues pour le bénir au nom de Dieu et lui poser son diadème; mais Napoléon le lui avait pris des mains Ainsi tout avait tremblé dans cette forêt lugubre de la vieille Europe; puis le silence avait succédé.

On dit que, lorsqu’on rencontre un chien furieux, si on a le courage de marcher gravement, sans se retourner, et d’une manière régulière, le chien se contente de vous suivre pendant un certain temps en grommelant entre ses dents; tandis que, si on laisse échapper un geste de terreur, si on fait un pas trop vite, il se jette sur vous et vous dévore; car, une fois la première morsure faite, il n’y a plus moyen de lui échapper.

Or, dans l’histoire européenne, il était arrivé souvent qu’un souverain eût fait ce geste de terreur et que son peuple l’eût dévoré; mais, si un l’avait fait, tous ne l’avaient pas fait en même temps, c’est-à-dire qu’un roi avait disparu, mais non la majesté royale. Devant Napoléon, la majesté royale l’avait fait, ce geste qui perd tout, et non-seulement la majesté, mais la religion, mais la noblesse, mais toute puissance divine et humaine.

Napoléon mort, les puissances divines et humaines étaient bien rétablies de fait, mais la croyance en elles n’existait plus. Il y a un danger terrible à savoir ce qui est possible, car l’esprit va toujours plus loin. Autre chose est de se dire: «Ceci pourrait être,» ou de se dire: «Ceci a été;» c’est la première morsure du chien.

Napoléon despote fut la dernière lueur de la lampe du despotisme; il détruisit et parodia les rois, comme Voltaire les livres saints. Et après lui on entendit un grand bruit: c’était la pierre de Sainte-Hélène qui venait de tomber sur l’ancien monde. Aussitôt parut dans le ciel l’astre glacial de la raison, et ses rayons, pareils à ceux de la froide déesse des nuits, versant de la lumière sans chaleur, enveloppèrent le monde d’un suaire livide.

On avait bien vu jusqu’alors des gens qui haïssaient les nobles, qui déclamaient contre les prêtres, qui conspiraient contre les rois; on avait bien crié contre les abus et les préugés; mais ce fut une grande nouveauté que le voir le peuple en sourire. S’il passait un noble, ou un prêtre, ou un souverain les paysans qui avaient fait la guerre commençaient à hocher la tête et à dire: «Ah! celui-à, nous l’avons vu en temps et lieu; il avait un autre visage.» Et, quand on parlait du trône et de l’autel, ils répondaient: «Ce sont quatre ais de bois; nous les avons cloués 3t décloués.» Et quand on leur disait: «Peuple, tu es revenu des erreurs qui t’avaient égaré; tu as rappelé tes rois et tes prêtres,» ils répondaient: «Ce n’est pas nous, ’ ce sont ces bavards-là.» Et quand on leur disait: «Peuple, oublie le passé, laboure et obéis,» ils se redressaient sur leurs sièges, et on entendait un sourd retentissement. C’était un sabre rouillé et ébréché qui avait remué dans un coin de la chaumière. Alors on ajoutait aussitôt: «Reste en repos du moins; si on ne te nuit pas, ne cherche pas à nuire.» Hélas! ils se contentaient de cela

Mais la jeunesse ne s’en contentait pas Il est certain qu’il y a dans l’homme deux puissances occultes qui combattent jusqu’à la mort: l’une, clairvoyante et froide, s’attache à la réalité, la calcule, ’la pèse, et juge le passé; l’autre a soif de l’avenir et s’élance vers l’inconnu. Quand la passion emporte l’homme, la raison le suit en pleurant et en l’avertissant du danger; mais, dès que l’homme s’est arrêté à la voix de la raison, dès qu’il s’est dit: «C’est vrai, je suis un fou; où allais-je?» la passion lui crie: «Et moi, je vais donc mourir?»

Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les jeunes cœurs. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toute espèce, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. Les plus riches se firent libertins; ceux d’une fortune médiocre prirent un état, et se résignèrent soit à la robe, soit à l’épée; les plus pauvres se jetèrent dans l’enthousiasme à froid, dans les grands mots, lans l’affreuse mer de l’action sans but. Comme la faiblesse humaine cherche l’association et que les hommes sont troupeaux de nature, la politique s’en mêla. On s’allait battre avec les gardes du corps sur les mar-l’hes de la chambre législative, on courait à me pièce de théâtre où Talma portait une perruque qui le faisait ressembler à César, on se ruait à l’enterrement d’un député libéral. Mais des membres des deux partis opposés, il n’en était pas un qui, en rentrant chez lui, ne sentît amèrement le vide de son existence et la pauvreté de ses mains.

En même temps que la vie au dehors était si pâle et si mesquine, la vie intérieure de la société prenait un aspect sombre et silencieux, l’hypocrisie la plus sévère régnait dans les mœurs; les idées anglaises se joignant à la dévotion. la gaieté même avait disparu. Peut-être était-ce la Providence qui préparait déjà ses voies nouvelles, peut-être était-ce l’ange avant-coureur des sociétés futures qui semait déjà dans le cœur des femmes les germes de l’indépendance humaine, que quelque jour elles réclameront. Mais il est certain que tout d’un coup, chose inouïe, dans tous les salons de Paris, les hommes passèrent d’un côté et les femmes de l’autre; et ainsi, les unes vêtues de blaac comme des fiancées, les autres vêtus de noir comme des orphelins, ils commencèrent à se mesurer des yeux

Qu’on ne s’y trompe pas: ce vêtement noir que portent les hommes de notre temps est un symbole terrible; pour en venir là, il a fallu que les armures tombassent pièce à pièce et les broderies fleur à fleur. C’est la raison humaine qui a renversé toutes les illusions; mais elle porte en elle-même le deuil, afin qu’on la console.

Les mœurs des étudiants et des artistes, ces mœurs si libres, si belles, si pleines de jeunesse, se ressentirent du changement universel. Les hommes, en se séparant des femmes, avaient chuchoté un mot qui blesse à mort: le mépris. Ils s’étaient jetés dans le vin et dans les courtisanes. Les étudiants et les artistes s’y jetèrent aussi: l’amour était traité comme la gloire et la religion; c’était une illusion ancienne. On allait donc aux mauvais lieux; la grisette, cette classe si rêveuse, si romanesque, et d’un amour si tendre et si doux, se vit abandonnée aux comptoirs des boutiques. Elle était pauvre, et on ne l’aimait plus; elle voulait avoir des robes et des chapeaux, elle se vendit. O misère! le eune homme qui aurait dû l’aimer, qu’elle aurait aimé elle-même; celui qui la conduisait autrefois aux bois de Verrières et de Romainviile, aux danses sur le gazon, aux soupers sous l’ombrage; çelui qui venait causer e soir sous la lampe, au fond de la boutique, lurant les longues veillées d’hiver: celui qui partageait avec elle son morceau de paix trempé de la sueur de son front, et son amour sublime et pauvre; celui-là, ce même hommes après l’avoir délaissée, la retrouvait quelque soir d’orgie au fond du lupanar, pâle et plom bée, à jamais perdue, avec la faim sur le lèvres et la prostitution dans le cœur!

Or, vers ce temps-là, deux poëtes, les deu plus beaux génies du siècle après Napoléon venaient de consacrer leur vie à rassemble tous les éléments d’angoisse et de douleu épars dans l’univers. Gœthe, le patriarch d’une littérature nouvelle, après avoir pein dans Werther la passion qui mène au suicide avait tracé dans son Faust la plus sombr figure humaine qui eût jamais représenté1 mal et le malheur. Ses écrits commencèren alors à passer d’Allemagne en France. D fond de son cabinet d’étude, entouré de ta bleaux et de statues, riche, heureux et tran quille, il regardait venir à nous son œuvre de ténèbres avec un sourire paternel. Byro lui répondit par un cri de douleur qui fit tres saillir la Grèce, et suspendit Manfred sur le abîmes, comme si le néant eût été le mot d l’énigme hideuse dont il s’enveloppait.

Pardonnez-moi, ô grands poëtes, qui êtes naintenant un peu de cendre et qui reposez ous la terre! pardonnez-moi! vous êtes des demi-dieux, et je ne suis qu’un enfant qui ouffre. Mais, en écrivant tout ceci, je ne puis n’empêcher de vous maudire. Que ne chanegez-vous le parfum des fleurs, les voix de la nature, l’espérance et l’amour, la vigne et le bleil, l’azur et la beauté? Sans doute vous connaissiez la vie, et sans doute vous aviez mffert, et le monde croulait autour de vous, vous pleuriez sur ses ruines, et vous désesériez; et vos maîtresses vous avaient trahis, vos amis calomniés, et vos compatriotes réconnus; et vous aviez le vide dans le cœur, mort devant les yeux, et vous étiez des cosses de douleur. Mais dites-moi, vous, noble ethe, n’y avait-il plus de voix consolatrice dans le murmure religieux de vos vieilles rêts d’Allemagne? Vous pour qui la belle ésie était la sœur de la science, ne pouraient-elles à elles deux trouver dans l’immortelle nature une plante salutaire pour le sieur de leur favori? Vous qui étiez un panant un poëte antique de la Grèce, un tant des formes sacrées, ne pouviez-vous mettre un peu de miel dans ces beaux vasi que vous saviez faire, vous qui n’aviez qu sourire et à laisser les abeilles vous venir sur les lèvres? Et toi, et toi, Byron, n’avais-tu p près de Ravenne, sous tes orangers d’Itali sous ton beau ciel vénitien, près de ta chè Adriatique, n’avais-tu pas ta bien-aimé O Dieu! moi qui te parle, et qui ne suis qu’un faible enfant, j’ai connu peut-être des manque tu n’as pas soufferts; et cependant crois à l’espérance, et cependant je béni Dieu.

Quand les idées anglaises et allemand passèrent ainsi sur nos têtes, ce fut comr un dégoût morne et silencieux, suivi d’u convulsion terrible: car formuler des idées générales, c’est changer le salpêtre en poudre et la cervelle homérique du grand Gœthe av sucé, comme un alambic, toute la liqueur fruit défendu. Ceux qui ne le lurent pas alors crurent n’en rien savoir. Pauvres créature l’explosion les emporta comme des grains poussière dans l’abîme du doute universel. Ce fut comme une dénégation de toute choses du ciel et de la terre, qu’on peut nommer désenchantement, ou, si l’on veut, désespérance; comme si l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls. De même que ce soldat à qui l’on demanda jadis: «A quoi crois-tu?» et qui le premier répondit: «A moi;» ainsi la jeunesse de France, entendant cette question, répondit la première: «A rien.»

1Dès lors il se forma comme deux camps: d’d’une part, les esprits exaltés, souffrants, toutes les âmes expansives qui ont besoin de l’infini, plièrent la tête en pleurant; ils s’enveloppèrent de rêves maladifs, et l’on ne vit plus que de frêles roseaux sur un océan d’amertume. D’une autre part, les hommes de chair restèrent debout, inflexibles, au milieu des jouissances positives, et il ne leur prit d’autre souci que de compter l’argent qu’ils avaient. Ce ne fut qu’un sanglot et un éclat de rire, l’un venant de l’âme, l’autre du corps.

Voici donc ce que disait l’âme:

«Hélas! hélas! la religion s’en va; les nuages du ciel tombent en pluie; nous n’avons plus ni espoir ni attente, pas deux petits morceaux de bois noir en croix devant lesquels tendre les mains. L’astre de l’avenir se lève à peine; il ne peut sortir de l’horizon; il reste enveloppé de nuages, et, comme le soleil en hiver, son disque y apparaît d’un rougu de sang, qu’il a gardé de93. Il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de gloire. Quelle épaisse nuit sur la terre! Et nous serons morts quand il fera jour!»

Voici donc ce que disait le corps: <

«L’homme est ici-bas pour se servir de se sens, il a plus ou moins de morceaux d’un métal jaune ou blanc, avec quoi il a droit à plus ou moins d’estime. Manger, boire e dormir, c’est vivre. Quant aux liens qu existent entre les hommes, l’amitié consiste à prêter de l’argent; mais il est rare d’avoir un ami qu’on puisse aimer assez pour cela. La parenté sert aux héritages; l’amour est un exercice du corps; la seule jouissance intellectuelle est la vanité.»

Pareille à la peste asiatique exhalée des vapeurs du Gange, l’affreuse désespérance marchait à grands pas sur la terre. Déjà Chateaubriand, prince de la poésie, enveloppant l’horrible idole de son manteau de pèlerin, l’avait placée sur un autel de marbre, au milieu des parfums des encensoirs sacrés. Déjà, pleins d’une force désormais inutile, les enfants du siècle roidissaient leurs mains loisives et buvaient dans leur coupe stérile le preuvage empoisonné. Déjà tout s’abîmait, quand les chacals sortirent de terre. Une ittérature cadavéreuse et infecte, qui n’avait que la forme, mais une forme hideuse, commença d’arroser d’un sang fétide tous les nonstres de la nature.

Qui osera jamais raconter ce qui se passait alors dans les colléges? Les hommes doutaient de tout * les jeunes gens nièrent tout. ’es poëtes chantaient le désespoir: les jeunes gens sortirent des écoles avec le front serein, e visage frais et vermeil, et le blasphème à la bouche. D’ailleurs, le caractère français, lui de sa nature est gai et ouvert, prédominant toujours, les cerveaux se remplirent lisément des idées anglaises et allemandes; mais les cœurs, trop légers pour lutter et pour souffrir, se flétrirent comme des fleurs brisées. Ainsi le principe de mort descendit rfroid dement et sans secousse de la tête aux entrailles. Au lieu d’avoir l’enthousiasme du i nal, nous n’eûmes que l’abnégation du bien; au lieu du désespoir, l’insensibilité. Des enfants de quinze ans, assis nonchalamment sous des arbrisseaux en fleur, tenaient pas passe-temps des propos qui auraient fait fre mir d’horreur les bosquets immobiles de Versailles. La communion du Christ, l’hosti ce symbole éternel de l’amour céleste, se vait à cacheter des lettres; les enfants crachaient le pain de Dieu.

Heureux ceux qui échappèrent à ces temp heureux ceux qui passèrent sur les abim en regardant le ciel! Il y en eut sans doute et ceux-là nous plaindront.

Il est malheureusement vrai qu’il y a dans le blasphème une grande déperdition de force qui soulage le cœur trop plein. Lorsqu’u athée, tirant sa montre, donnait un quart d’heure à Dieu pour le foudroyer, il est certain que c’était un quart d’heure de colère et de jouissance atroce qu’il se procurait. C’éta le paroxysme du désespoir, un appel sar nom à toutes les puissances célestes; c’étaj une pauvre et misérable créature se tordan sous le pied qui l’écrase; c’était un grand cr de douleur. Et qui sait? aux yeux de celui qui voit tout, c’était peut-être une prière.

Ainsi les jeunes gens trouvaient un emplo de la force inactive dans l’affectation du dé sespoir. Se railler de la gloire, de la religion, le l’amour, de tout au monde, est une grande ; onsolation pour ceux qui ne savent que faire; ls se moquent par là d’eux-mêmes et se donnent raison tout en se faisant la leçon. Et puis il est doux de se croire malheureux, lorsqu’on n’est que vide et ennuyé. La débauche, en outre, première conclusion des principes de mort, est une terrible meule de pressoir lorsqu’il s’agit de s’énerver.

En sorte que les riches se disaient: «Il n’y a de vrai que la richesse, tout le reste est un rêve; jouissons et mourons.» Ceux d’une fortune médiocre se disaient: «Il n’y a de vrai que l’oubli, tout le reste est un rêve; oublions et mourons. «Et les pauvres disaient: «Il n’y a de vrai que le malheur, tout le reste est un rêve; blasphémons et mourons.»

Ceci est-il trop noir? est-ce exagéré? Qu’en pensez-vous? Suis-je un misanthrope? Qu’on me permette une réflexion.

En lisant l’histoire de la chute de l’empire romain, il est impossible de ne pas s’apercevoir du mal que les chrétiens, si admirables dans le désert, firent à l’État dès qu’ils eurent la puissance. «Quand je pense, dit Montes quieu, à l’ignorance profonde dans laquell le clergé grec plongea les laïques, je ne pui m’empêcher de le comparer à ces Scythes don parle Hérodote, qui crevaient les yeux à leur esclaves, afin que rien ne pût les distraire e les empêcher de battre leur lait.–Aucune affaire d’État, aucune paix, aucune guerre aucune trêve, aucune négociation, aucun ma riage, ne se traitèrent que par le ministère des moines. On ne saurait croire quel mal il en résulta.»

Montesquieu aurait pu ajouter: Le christianisme perdit les empereurs, mais il sauva les peuples. Il ouvrit aux barbares les palais de Constantinople, mais il ouvrit les portes des chaumières aux anges consolateurs du Christ. Il s’agissait bien des grands de la terre! et voilà qui est intéressant que les derniers ràlements d’un empire corrompu jusqu’à la moelle des os, que le sombre galvanisme au moyen duquel s’agitait encore le squelette de la tyrannie sur la tombe d’Héliogabale et de Caracalla! La belle chose à conserver que la momie de Rome embaumée des parfums de Néron, emmaillottée du linseul de Tibère! Il s’agissait, messieurs les ) litiques, d’aller trouver les pauvres et de un dire d’être en paix; il s’agissait de laisser ses vers et les taupes ronger les monuments e honte, mais de tirer des flancs de la moie une vierge aussi belle que la mère du prédempteur, l’espérance, amie des opprimés. Voilà ce que fit le christianisme; et mainnant, depuis tant d’années, qu’ont tait ceux qui l’ont détruit? Ils ont vu que le pauvre se issait opprimer par le riche, le faible par fort, par cette raison qu’ils se disaient: Le riche et le fort m’opprimeront sur la rre; mais, quand ils voudront entrer au .radis, je serai à la porte et je les accuserai tribunal de Dieu.» Ainsi, hélas! ils pre-.ient patience.,

Les antagonistes du Christ ont donc dit au uvre «Tu prends patience jusqu’au jour justice: il n’y a point de justice; tu attends la vie éternelle pour y réclamer ta ngeance: il n’y a point de vie éternelle; tu passes tes larmes et celles de ta famille, les is de tes enfants et les sanglots de ta femme, pour les porter aux pieds de Dieu à l’heure ! ta mort: il n’y a point de Dieu.»

Alors il est certain que le pauvre a séc ses larmes, qu’il a dit à sa femme de se tain à ses enfants de venir avec lui, et qu’il s’en redressé sur la glèbe avec la force d’un ta reau. Il a dit au riche: «Toi qui m’opprime tu n’es qu’un homme;» et au prêtre: «Toi qui m’as consolé, tu en as menti.» C’était justement là ce que voulaient les antag nistes du Christ. Peut-être croyaient-ils fai ainsi le bonheur des hommes, en envoyant pauvre à la conquête de la liberté.

Mais, si le pauvre, ayant bien compris un fois que les prêtres le trompent, que les riches le dérobent, que tous les hommes ont les mêmes droits, que tous les biens sont de ( monde, et que sa misère est impie; si pauvre, croyant à lui et à ses deux bras pour toute croyance, s’est dit un beau jour «Guerre au riche! à moi aussi la jouissan ( ici-bas, puisqu’il n’y en a pas d’autre! à moi la terre, puisque le ciel est vide! à moi et neurs sublimes qui l’avez mené là, que l tous, puisque tous sont égaux!» ô raison direz-vous s’il est vaincu?!

Sans doute vous êtes des philanthrope sans doute vous avez raison pour l’avenir, et le jour viendra où vous serez bénis: mais pas ncore, en vérité, nous ne pouvons pas vous vénir. Lorsqu’autrefois l’oppresseur disait: A moi la terre!–A moi le ciel!» répondait l’opprimé. A présent que répondra-t-il? Toute la maladie du siècle présent vient de leux causes; le peuple qui a passé par93et par1814porte au cœur deux blessures. Tout ce qui était n’est plus; tout ce qui sera n’est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret le nos maux.

Voilà un homme dont la maison tombe en ruine; il l’a démolie pour en bâtir une autre. Les décombres gisent sur son champ, et il attend des pierres nouvelles pour son édifice nouveau. Au moment où le voilà prêt à tailler ; es moellons et à faire son ciment, la pioche en main, lès bras retroussés, on vient lui dire que les pierres manquent, et lui conseiller de reblanchir les vieilles pour en tirer parti. Que voulez-vous qu’il fasse, lui qui ne veut point de ruines pour faire un nid à sa cou vée? La carrière est pourtant profonde, les instruments trop faibles pour en tirer les pierres. «Attendez, lui dit-on, on les tirera peu à peu; espérez, travaillez, avancez, reculez.» Que ne lui dit-on pas? Et pendant ce temp là cet homme, n’ayant plus sa vieille ma son et pas encore sa maison nouvelle, ne sait comment se défendre de la pluie, 1 comment préparer son repas du soir, ni o travailler, ni où reposer, ni où vivre, ni ou mourir, et ses enfants sont nouveau-nés.

Ou je me trompe étrangement, ou nou ressemblons à cet homme. O peuples de siècles futurs! lorsque, par une chaude jour née d’été, vous serez courbés sur vos charrues dans les vertes campagnes de la patrie lorsque vous verrez, sous un soleil pur e sans tache, la terre, votre mère féconde sourire dans sa robe matinale au travailleur, son enfant bien-aimé; lorsque, essuyant sur vos fronts tranquilles le saint baptême de la sueur, vous promènerez vos regards sur votre horizon immense, où il n’y aura pas un épi plus haut que l’autre dans la moisson humaine, mais seulement des bluets et des! marguerites au milieu des blés jaunissants; ô hommes libres! quand alors vous remercierez Dieu d’être nés pour cette récolte, pensez à nous qui n’y serons plus, dites-vous que ne us avons acheté bien cher le repos dont ’ous jouirez, plaignez-nous plus que tous os pères: car nous avons beaucoup des laux qui les rendaient dignes de plainte, et nous avons perdu ce qui les consolait.

CHAPITRE III

Table des matières

J’ai à raconter à quelle occasion je fus pris aabord de la maladie du siècle.

J’étais à table, à un grand souper, après e mascarade. Autour de moi mes amis franchement costumés, de tous côtés des jeunes ens et des femmes, tous étincelantsde beauté de joie; à droite et à gauche, des mets requis, des flacons, des lustres, des fleurs; i-dessus de ma tète un orchestre bruyant, en face de moi ma maîtresse, créature superbe que j’idolâtrais.

J’avais alors dix-neuf ans, je n’avais éprouvé aucun malheur ni aucune maladie; j’étais un caractère à la fois hautain et ouvert, avec toutes les espérances et un cœur débordant. Les vapeurs du vin fermentaient dans les veines c’était un de ces moments d’ivresse où tout ce qu’on voit, tout ce qu’il entend, vous parle de la bien-aimée. La nature entière parait alors comme une pierre précieuse à mille facettes, sur laquelle est gra le nom mystérieux. On embrasserait volontiers tous ceux qu’on voit sourire, et on sent le frère de tout ce qui existe. Ma ma tresse m’avait donné rendez-vous pour nuit, et je portais lentement mon verre à m lèvres en la regardant.

Comme je me retournais pour prendre u assiette, ma fourchette tomba. Je me baiss pour la ramasser, et, ne la trouvant pas d bord, je soulevai la nappe pour voir où elle avait roulé. J’aperçus alors sous la table pied de ma maîtresse qui était posé sur cel d’un jeune homme assis à côté d’elle; leurs jambes étaient croisées et entrelacées, ils les resserraient doucement de temps de temps.

Je me relevai parfaitement calme, dema dai une autre fourchette et continuai à so per. Ma maîtresse et son voisin étaient, de leur côté, très-tranquilles aussi, se parlant peine et ne se regardant pas. Le jeune homn avait les coudes sur la table, et plaisanta vec une autre femme qui lui montrait son collier et ses bracelets. Ma maîtresse était amobile, les yeux fixes et noyés de langueur. Je les observai tous deux tant que dura le pas, et je ne vis ni dans leurs gestes ni sur leurs visages rien qui pût les trahir. A la fin, rsqu’on fut au dessert, je fis glisser ma rviette à terre, et, m’étant baissé de noueau, je les retrouvai dans la même position, roitement liés l’un à l’autre.

J’avais promis à ma maîtresse de la ramer ce soir-là chez elle. Elle était veuve, et r conséquent fort libre, au moyen d’un eux parent qui l’accompagnait et lui serit de chaperon. Comme je traversais le péityle, elle m’appela. «Allons, Octave, me –elle, partons, me voilà.» Je me mis à rire sortis sans répondre. Au bout de quelques s je m’assis sur une borne . Je ne sais à quoi pensais j’étais comme abruti et devenu mot par l’infidélité de cette femme dont je avais jamais été jaloux et sur laquelle je avais jamais conçu un soupçon. Ce que je tenais de voir ne me laissant aucun doute, demeurai comme étourdi d’un coup de mase, et ne me rappelle rien de ce qui s’opéra en moi durant le temps que je restai sur cett borne, sinon que, regardant machinalement le ciel et voyant une étoile filer, je salut cette lueur fugitive, où les poëtes voient un monde détruit, et lui ôtai gravement mon chapeau.

Je rentrai chez moi fort tranquillemen n’éprouvant rien, ne sentant rien, et comn privé de réflexion. Je commençai à me dé habiller, et me mis au lit, mais à peine eu je posé la tête sur le chevet, que les espr de la vengeance me saisirent avec une te force, que je me redressai tout à coup contre la muraille, comme si tous les muscles mon corps fussent devenus de bois. Je d cendis de mon lit en criant, les bras étendu he pouvant marcher que sur les talons, ta les nerfs de mes orteils étaient crispés. passai ainsi près d’une heure, complétem fou et roide comme un squelette. Ce fut premier accès de colère que j’éprouvai.

L’homme que j’avais surpris auprès de1 maîtresse était un de mes amis les plus intimes. J’allai chez lui le lendemain, acco pagné d’un jeune avocat nommé Desgena nous primes des pistolets, un autre témoiet fûmes au bois de Vincennes. Pendant toute la route j’évitai de parler à mon adversaire et même de l’approcher: je résistai ainsi à envie que j’avais de le frapper ou de l’insulter, ces sortes de violences étant toujours hideuses et inutiles, du moment que la loi colère le combat en règle. Mais je ne pus me léfendre d’avoir les yeux fixés sur lui. C’était un de mes camarades d’enfance, et il y avait u entre nous un échange perpétuel de serices depuis nombre d’années. Il connaissait parfaitement mon amour pour ma maîtresse, t m’avait même plusieurs fois fait entendre clairement que ces sortes de liens étaient sarés pour un ami, et qu’il serait incapable de chercher à me supplanter, quand même il imerait la même femme que moi. Enfin j’avais toute sorte de confiance en lui, et je l’avais peut-être jamais serré la main d’une créature humaine plus cordialement que la tenne.

Je regardais curieusement, avidement, cet omme que j’avais entendu parler de l’amitié comme un héros de l’antiquité, et que je veais de voir caressant ma maîtresse. C’était la première fois de ma vie que je voyais unmonstre: je le toisais d’un œil hagard pour obse ver comment il était fait. Lui que j’ava connu à l’àge de dix ans, avec qui j’ava vécu jour par jour dans la plus parfaite et plus étroite amitié, il me semblait que je ne l’avais jamais vu. Je me servirai ici d’un comparaison.

Il y a une pièce espagnole, connue de tous le monde, dans laquelle une statue de pier vient souper chez un débauché, envoyée par la justice céleste. Le débauché fait bonne contenance et s’efforce de paraître indifféren mais la statue lui demande la main, et, de qu’il la lui a donnée, l’homme se sent pr d’un froid mortel et tombe en convulsion.

Or, toutes les fois que, durant ma vie, m’est arrivé d’avoir cru pendant longtem] avec confiance, soit à un ami, soit à une ma tresse, et de découvrir tout d’un coup que j’étais trompé, je ne puis rendre l’effet que cette découverte a produit sur moi qu’en comparant à la poignée de main de la statu C’est véritablement l’impression du marbr comme si la réalité, dans toute sa mortel froideur, me glaçait d’un baiser; c’est le toucher de l’homme de pierre. Hélas! l’affreux convive a frappé plus d’une fois à ma porte; plus d’une fois nous avons soupé ensemble.

Cependant, les arrangements faits, nous nous mimes en ligne, mon adversaire et moi, avançant lentement l’un sur l’autre. Il tira le remier et me blessa au bras droit. Je pris ussitôt mon pistolet de l’autre main; mais je ne pus le soulever, la force me manquant, t je tombai sur un genou

Alors je vis mon ennemi s’avancer précipiimment, d’un air inquiet et le visage très-pâle. Mes témoins accoururent en même emps, voyant que j’étais blessé; mais il les carta et me prit la main de mon bras maide. Il avait les dents serrées et ne pouvait arler. Je vis son angoisse. Il souffrait du plus affreux mal que l’homme puisse éprouver. «Va-t’en! lui criai-je, va-t’en t’essuyer On draps de ***!» Il suffoquait, et moi aussi. On me mit dans un fiacre, où je trouvai un médecin. La blessure ne se trouva pas dangereuse, la balle n’ayant point touché les os; lais j’étais dans un tel état d’excitation, qu’il t impossible de me panser sur-le-champ. u moment où le fiacre partait, je vis à la 1ortière une main tremblante: c’était mon adversaire qui revenait encore, Je secouai la tête pour toute réponse; j’étais dans une telle rage, que j’aurais vainement fait un effort pour lui pardonner, tout en sentant bien qu son repentir était sincère.

Arrivé chez moi, le sang qui coulait abon damment de mon bras me soulagea beau coup; car la faiblesse me délivra de ma co 1ère, qui me faisait plus de mal que ma blessure. Je me couchai avec délices, et je crois que je n’ai jamais rien bu de plus agréa ble que le premier verre d’eau qu’on me donna.

M’étant mis au lit, la fièvre me prit. Ce fu alors que je commençai à verser des larmes Ce que je ne pouvais concevoir, ce n’était pas que ma maîtresse eût cessé de m’aimer, mais c’était qu’elle m’eût trompé. Je ne comprenais pas par quelle raison une femme qu’elle n’est forcée ni par le devoir ni par l’intérêt peut mentir à un homme lorsqu’elle en aima un autre. Je demandais vingt fois par jour à Desgenais comment cela était possible. «Si j’étais son mari, disais-je, ou si je la payaisi je concevrais qu’elle me trompât; mais pourquoi, si elle ne m’aimait plus, ne pas me le lire? pourquoi me tromper?» Je ne concevais pas qu’on pût mentir en amour: j’étais in enfant alors, et j’avoue qu’à présent je nu le comprends pas encore. Toutes les fois que e suis devenu amoureux d’une femme, je le ui ai dit, et toutes les fois que j’ai cessé l’l’aimer une femme, je le lui ai dit de même, avec la même sincérité, ayant toujours pensé que, sur ces sortes de choses, nous ne pouvons rien par notre volonté, et qu’il n’y a de crime qu’au mensonge.

1Desgenais, à tout ce que je disais, me répondait: «C’est une misérable; promettez-moi de ne plus la voir.» Je le lui jurai solennellement. Il me conseilla, en outre, de ne lui point écrire, même pour lui faire des reprohes, et, si elle m’écrivait, de ne pas répon-Ire. Je lui promis tout cela, presque étonné qu’il me le demandât, et indigné de ce qu’il pouvait supposer le contraire.

Cependant la première chose que je fis, dès que je pus me lever et sortir de ma chambre, ut de courir chez ma maîtresse. Je la trouvai seule, assise sur une chaise, dans un coin le sa chambre, le visage abattu et dans le plus grand désordre. Je l’accablai des plus violents reproches; j’étais ivre de désespobq Je criais à faire retentir toute la maison, , en même temps les larmes me coupaient paq fois la parole si violemment, que je tombad sur le lit pour leur donner un libre couru «Ah! infidèle! ah! malheureuse! lui disais-ja’ en pleurant, tu sais que j’en mourrai: cela te fait-il plaisir? que t’ai-je fait?»

Elle se jeta à mon cou, me dit qu’elle avait été séduite, entrainée; que mon rival l’avait enivrée dans ce fatal souper, mais qu’elle n’avait jamais été à lui, qu’elle s’était aban donnée à un moment d’oubli; qu’elle avail commis une faute, mais non pas un crime enfin, qu’elle voyait bien tout le mal qu’elle m’avait fait; mais que, si je ne lui pardonnais, elle en mourrait aussi. Tout ce que le repentir sincère a de larmes, tout ce que la douleur a d’éloquence, elle l’épuisa pour me consoler; pâle et égarée, sa robe entr’ouverte ses cheveux épars sur ses épaules, à genoux au milieu de la chambre, jamais je ne l’avais vue si belle, et je frémissais d’horreur pendant que tous mes sens se soulevaient à ces spectacle.