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Des rats, et puis des rats, et encore des rats ! Des rats par-ci, des rats par-là, des rats là-haut, des rats là-bas ! Des rats partout, des rats, des rattes et des ratons, des familles de rats, des hordes de rats, toutes sortes de rats, par centaines, par milliers, par millions ! Imaginez tous ces rats qui sortiraient des égouts de Paris pour se montrer au grand jour. Imaginez qu'ils formeraient alors la gigantesque armée d'un royaume conquérant. Imaginez des humains qui les combattraient, tandis que d'autres voudraient leur donner l'intelligence et le pouvoir. Imaginez ensuite tout ce que cela pourrait faire si les rats s'en prenaient à nous et aux lieux où nous vivons. Imaginez enfin des rats mutants qui grossiraient jusqu'à devenir vraiment énormes et qui partiraient à la conquête du monde. Si vous imaginez tout cela, vous imaginez la conspiration des rats, une conspiration aussi surprenante que multiforme.
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Seitenzahl: 135
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Rats des villes, et rats des champs,
vous l'attendiez depuis longtemps,
c'est l'heure du rassemblement,
car il est temps, il est grand temps !
Rats des égouts, sortez des trous,
quittez le monde du dessous,
fuyez le froid et puis la boue,
car maintenant tout est à vous !
Rats des greniers, rats des terriers,
vous les guerriers, soyez altiers,
car vous qui êtes les derniers,
vous allez être les premiers !
I Les faits
II Une version complotiste
III Une autre version complotiste
IV Encore une autre version complotiste
V Le rêve des rats ou le cauchemar des humains
Appendice : La saga des rats
Des rats, et puis des rats, et encore des rats ! Des rats par-ci, des rats par-là, des rats là-haut, des rats là-bas ! Des rats partout, des rats, des rates et des ratons, des familles de rats, des hordes de rats, toutes sortes de rats, par centaines, par milliers, par millions !
C'était la grève générale chez les éboueurs de Paris, et les rats en profitaient. Toutes ces tonnes de déchets dans toutes les rues : comment ne pas avoir envie d'en profiter quand on est un rat, et d'en profiter tout de suite, pourquoi eût-il fallu attendre la nuit pour se remplir la panse ? C'était en vérité le buffet à volonté permanent, de quoi se nourrir à satiété, se gaver tant et plus, et même au besoin faire des réserves pour des jours moins fastes. C'était la liberté, l'abondance, c'était Byzance ! Nul besoin de se cacher, le nombre faisant la force, les humains n'avaient qu'à changer de trottoir s'ils avaient peur ! Et puis d'ailleurs, la peur avait changé de camp : elle n'était plus chez les rats, ces petits mammifères habituellement craintifs qui attendaient jusqu'alors la nuit pour sortir de leurs cachettes, afin de tenter d'attraper de la nourriture ici et là, dans les logements ou dans les rues, dans les commerces de bouche ou dans les poubelles. Non, désormais la chasse pouvait se faire en plein jour, il y avait tellement d'ordures qui traînaient que nul n'était trop surpris de voir des rats s'aventurer au vu et au su des humains. Ceux-ci pouvaient certes être choqués, effrayés, mais surpris, plus tellement, non !
Les rats prolifèrent donc. N'ayant plus de soucis de nourriture, on put croire aussi qu'ils se sentirent plus libres de s'adonner à la bagatelle. Cela copula effectivement à qui mieux mieux à tous les coins de rue, de jour comme de nuit, sans compter tout ce que l'on ne voyait pas. Bouffe et sexe : quel programme ! De quoi s'empiffrer à volonté et se livrer à la luxure sans compter ! De quoi oublier les vaches maigres... Dans les temps de disette, les rats peuvent se manger entre eux. Même quand ils sont repus, d'ailleurs : c'est chez eux un instinct de manger un autre rat s'il est blessé, mort ou mourant, ou de manger à l'occasion leurs propres ratons si la surpopulation menace. Mais avec toutes ces ordures, ils étaient trop occupés pour se manger entre eux, ce qui les fit proliférer encore plus.
Les Parisiens, tant les personnes habitant à Paris que celles ne faisant qu'y travailler, n'en pouvaient plus. Ils pressaient les autorités d'intervenir, de trouver des solutions. Les éboueurs grévistes eux-mêmes furent pris à partie, ce qui ne fit que les renforcer dans leur mouvement. Les négociations traînaient et les esprits s'échauffaient. Tout semblait tourner en rond, comme dans un rond-point sans sortie, par un jour sans fin. L'armée dut être appelée pour venir appuyer les forces de l'ordre quelque peu dépassées par les évènements. Il faut dire que beaucoup de personnes n'étaient pas rassurées : outre que les rats faisaient peur, des malfrats profitaient de l'occasion pour pénétrer dans les logements que leurs occupants fuyaient quand ils découvraient qu'il y avait d'autres occupants qui se faufilaient partout, comme s'ils étaient chez eux. Et puis, même dans la rue, ces malfrats profitaient de la peur de certaines personnes, de leur effroi, de leur panique, pour les agresser. C'était la psychose, la peur des rats se conjuguant à celle des malfrats. En outre, on commençait de plus en plus à parler de maladies transmises par les rats, voire même du retour de la peste, cela avait de quoi effrayer encore plus une population déjà apeurée, d'autant plus que l'on signalait aussi des disparitions mystérieuses et inquiétantes.
Les rats semblaient sortir de partout, des égouts, du moindre trou, du plus petit interstice, de mille cachettes connues d'eux seuls. Il faut dire que pour un rat, le monde n'est pas tel que nous le voyons. Là où nous voyons, par exemple, un simple bâtiment, le rat découvre, lui, des canalisations, des bouches d'aération, tout un univers à explorer et à occuper, pour lui et pour les siens. En temps normal, Paris regorge déjà de plus de rats que d'habitants. Mais là, ils étaient nettement beaucoup plus nombreux : Paris était devenu leur ville, la Ville Lumière était devenue celle du peuple de l'ombre, de la nuit, celle des rats.
Cependant, les meilleures choses ont une fin. La grève des éboueurs cessa et, le temps de ramasser tout ce qui traînait, tout redevint bientôt comme avant. Enfin, pas tout à fait. Car les rats étaient décidément devenus très nombreux, trop nombreux. Si les Parisiens ne l'avaient pas encore compris, ils le comprirent vite. Toujours de plus en plus nombreux, les rats avaient moins à manger. Et ils avaient faim, une faim de loup, si l'on peut dire. Ils se mirent alors à grignoter tout ce qu'ils rencontraient, y compris, faute de mieux, des câbles électriques et des canalisations. Cela entraîna quelques incendies et inondations quand ils rongèrent les uns et les autres, ainsi que des explosions dues à des fuites de gaz. Comme si cela ne suffisait pas, on attribua l'effondrement de quelques habitations aux galeries creusées par les rats dans leur sous-sol ‒ galeries qui les auraient fragilisées.
On a d'ailleurs à l'époque beaucoup prêté aux rats. Comme de s'attaquer aux personnes lors de leur sommeil. Il est vrai qu'il y eut des doutes dans quelques cas, surtout ceux concernant des personnes fragilisées ou handicapées. Certes, les rats n'avaient plus peur de l'homme, mais de là à l'attaquer de front, certains récits étaient sans doute exagérés. Les rats se mirent-ils vraiment à grignoter les pieds de certaines personnes ? Cauchemar ou réalité ? Affabulation ou constatation ? Qui sait ? Par contre, des rats commencèrent effectivement à dévorer quelques personnes mortes dont on n'avait pas encore découvert les corps ou que l'on avait laissés sans surveillance. C'est que les rats avaient le don de pénétrer partout, même dans les endroits les plus incongrus où nul ne les aurait attendus, alors même qu'à cause de leur prolifération, chacun s'était accoutumé à les attendre quasiment partout.
Les racontars allaient bon train. On parlait d'un complot, d'une manipulation, d'un chef des rats appelé le roi des rats. C'était ignorer l'organisation sociale des rats : ils n'ont pas un roi, mais des milliers de petits chefs locaux. En fait, les rats vivent un peu comme nos lointains ancêtres, en petits groupes, toujours dans la peur, risquant sans cesse leur vie à la recherche d'une quelconque nourriture. Ils se battent et se dévorent entre clans, dans un monde dur et sans pitié. Et puis, en ville, il y a l'homme, leur seul véritable prédateur. Face à lui, ils préfèrent prendre la fuite, sans demander leur reste, car ils sont plus peureux, ou du moins méfiants, que téméraires.
Pour contrer leur prolifération, le nouveau maire de Paris décida tout de go de les exterminer. Rien de moins : la solution finale, sans autre discussion, ni concertation avec l'opposition. Certes, les écologistes et les défenseurs des animaux protestèrent, tant pour la protection de la nature qu'à l'égard de l'utilité des rats en tant qu'éboueurs adjoints pour la municipalité ‒ car les rats parisiens, mine de rien, en se nourrissant dans les égouts et les canalisations, contribuent à éviter l'engorgement de ceux-ci. Mais rien n'y fit : le maire s'obstina dans son sombre projet. Les Parisiens étaient divisés. Certes, ce ne fut pas la guerre civile, mais enfin, il y eut les pour et les contre, ceux qui collaborèrent avec la mairie dans la recherche et l'extermination des rats, et ceux qui s'érigèrent en partisans pour défendre la survie d'une espèce animale menacée.
Comme jadis, des primes furent offertes à ceux qui ramenaient des rats morts. Comme jadis, des petits malins décidèrent alors d'élever des rats pour les tuer et empocher les primes. Les plus pauvres, les sans-abris se saisirent de l'occasion pour se faire quelques sous : c'était autant de gagné. Pendant ce temps-là, les militaires continuaient de courir après les rats, avec l'aide des policiers et des CRS, mais leur chasse urbaine paraissait vaine, le nombre de rats ne semblant pas diminuer, bien au contraire.
Cependant le monde est ainsi fait que l'actualité est impitoyable : un évènement en éclipse rapidement un autre s'il est plus médiatique. Ce fut le cas à Paris, d'autres évènements prirent le dessus, et la guerre contre les rats passa vite au second plan, puis au troisième, au quatrième, et elle ne fut bientôt qu'un lointain souvenir. Peu à peu, on en revint à la situation antérieure aux grèves, à savoir celle d'une cohabitation plus ou moins sereine entre les humains et les rats. On finit aussi par se rendre compte que l'on avait sans doute exagéré les méfaits des rats et que tout ne s'était pas passé forcément comme on l'avait raconté. La dératisation intégrale voulue par la mairie fut abandonnée, et les esprits se calmèrent de tous côtés. L'éradication des rats ne fut plus d'actualité, les rats étaient sauvés.
Fin de l'épisode ? Non, au contraire ! De nombreuses légendes commencèrent alors à courir à qui mieux mieux sur les rats et leur prétendue conquête de Paris. L'histoire ne faisait en fait que commencer.
Les Parisiens l'appellent le roi des rats, ou plus simplement le roi Rat. C'est selon eux le chef incontesté des millions de rats qui peuplent Paris. Le roi Rat, tel le dieu Râ de l'ancienne Égypte, est au-dessus du commun des mortels, tous les rats lui sont soumis et s'inclinent devant lui. On le soupçonne d'être quasi immortel ou, à tout le moins, d'avoir plusieurs vies, d'avoir plusieurs fois vaincu la mort. Comme tout bon monarque qui se respecte, il est perçu par les Parisiens comme gros, grand et gras. Loin d'être vu comme un roi fainéant, on le perçoit plutôt comme un roi terroriste, puisque ses troupes sèment la terreur dans Paris et qu'il est assurément contre l'ordre établi ‒ du moins s'il n'est pas établi par lui-même, tel celui des humains. On raconte aussi que c'est un mutant, sans expliquer l'origine de sa mutation, naturelle ou non. On le dit enfin tyrannique et cruel, tyrannique envers les autres rats qu'il commande avec mépris, et cruel envers les humains qu'il exècre. Il serait envers ceux-ci assoiffé d'un désir de vengeance, peut-être à la suite d'un mauvais tour qu'ils lui auraient joué, nul ne sait. En tous les cas, le roi Rat inspire la peur, voire l'effroi.
C'est le roi de la nuit et des ténèbres. Il vit dans les profondeurs de la terre. Où donc ? Certains ont voulu mettre son trône au cœur des Catacombes, parmi tous les ossements des millions de Parisiens qui sont empilés là. Mais ce n'est qu'une pure légende : le lieu est trop fréquenté par les touristes pour constituer une bonne cachette, sauf peut-être la nuit. Non, le roi Rat dirige son monde depuis un autre espace souterrain tenu secret, bien à l'écart des touristes, des aventuriers du sous-sol parisien et des égoutiers. Nul humain n'a jamais pu pénétrer en son royaume. Sa cour est pléthorique : comment pourrait-il en être autrement puisqu'il a des millions de sujets qui le vénèrent ? Mais le roi Rat n'est pas accessible à tous ses sujets : seuls ses principaux conseillers et ses éminences grises ont accès à lui dans son palais secret. Les autres doivent attendre à l'extérieur qu'il daigne se montrer.
Ce fut là qu'il décida de la guerre ultime contre les humains. Il avait été informé de la grève des éboueurs et des tonnes de déchets qui s'accumulaient dans les rues de Paris. Après une mûre et royale réflexion, il avait convoqué son Premier ministre :
‒ Écoutez, j'ai décidé que le grand jour est enfin venu : nous devons attaquer maintenant, tant que notre grand ennemi est faible, tout empêtré qu'il est dans ses ordures. Convoquez immédiatement les principaux chefs locaux pour organiser en ma présence une réunion préparatoire à l'offensive. Chacun devra savoir ce qu'il aura à faire. S'en prendre aux ordures ne suffit pas. Je veux que les rats s'introduisent dans toutes les habitations, qu'ils dévorent tout, qu'ils rongent tout, qu'ils s'empiffrent de tout ! Tout doit y passer, je veux une orgie générale ! Je veux aussi qu'on n'oublie ni les chats ni les chiens ! Eux aussi, il faudra s'en occuper !
‒ Majesté, vous voulez que tous ces rats viennent ici ? demanda, surpris, le Premier ministre.
‒ Absolument ! Telle est ma royale décision ! ‒ À vos ordres, majesté ! répliqua son Premier ministre.
‒ Préparez-moi cette réunion pour demain. Il ne faut pas perdre de temps !
‒ Oui, majesté !
‒ Car tel est mon bon plaisir ! ajouta malicieusement le roi Rat, d'un sourire narquois.
Le premier ministre fit la révérence et se retira à reculons, selon les usages de la cour. Il avait lui-même quelques jours plus tôt suggéré humblement au roi de songer à passer à l'offensive. La décision royale lui convenait donc. Mais de là à inviter au palais tous les chefs locaux, tous ces rats qui n'avaient pas les mêmes quartiers de noblesse que lui-même, c'était presque mander les manants à la cour. Mais enfin, la volonté royale ne se discute pas. Que Sa majesté condescendît ainsi à convoquer de tels rats montrait sans doute l'importance qu'elle voulait conférer à cette assemblée.
Bien sûr, ce n'est là qu'une interprétation de ce qui se tint ce jour-là au palais royal. Il n'y eut aucun témoin et, de plus, les deux rats ne communiquaient que comme des rats, par leur langage corporel, par leurs phéromones, par des gazouillis et grincements, ainsi que par des vocalisations ultrasoniques. Mais nul doute que ce qui a été rapporté correspond bien à la réalité des faits.
Le lendemain, ils étaient tous là. Outre les habitués de la cour, il y avait des centaines et des centaines de rats, quelque peu impressionnés de se retrouver en ce lieu, le saint des saints, en présence de de Sa majesté ellemême.
‒ Taisez-vous ! Sa majesté va parler ! clama le Premier ministre.
Le roi Rat attendit que tout le monde fît silence, puis il se redressa sur son trône (en fait, une cuvette de toilette égarée là, mais les humains eux-mêmes appellent cela un trône), et regarda l'assemblée d'un air dubitatif. Il n'y avait là que les chefs, des rats de type alpha comme lui, les rats les plus gros et les plus rusés, les plus intelligents donc, et non des rats de type bêta, ces rats moyens en tout, à peine au-dessus des rats de type oméga, la piétaille, la lie de la société. Ils étaient tous de sa horde, sans doute la plus importante de Paris (contrairement à la flatteuse légende humaine, il savait bien, lui, que son royaume ne couvrait pas tout Paris). Cependant il doutait quand même de se trouver en face de la crème de la crème. Ils étaient si nombreux : comment pourraient-ils tous avoir les mêmes qualités que lui, sa grandeur, son intelligence, sa noblesse ? Certes, en l'occurrence, c'était surtout l'efficacité qui était à rechercher, mais quand même...
‒ Peuple des rats, écoutez ! clama-t-il enfin. Si j'ai daigné vous convoquer ici, c'est pour vous dire l'importance que j'attache à l'offensive que nous allons