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La cour d'assises a condamné Mado, surnommée "la cougar", à dix-huit années d'emprisonnement. Comment cette presque septuagénaire en est-elle arrivée là, elle qui n'avait eu pour seul souci toute sa vie que de paraître, de susciter l'empathie, de se faire apprécier du plus grand nombre, d'être admirée, considérée et pourquoi pas enviée ? Elle n'avait pas ménagé ses efforts pour tenter de rassembler autour d'elle une véritable "cour". Pourtant un jour tout a basculé jusqu'à la conduire derrière les barreaux. La nuit qui suit le verdict, mélange de rêves et de cauchemars, nuit interminable, des flashes de sa vie lui reviennent en mémoire, depuis sa jeunesse jusqu'à sa descente aux enfers.
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Seitenzahl: 122
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Epilogue
- Madame, s'il vous plaît ?
Debout dans le box des accusés, le regard perdu, Mado tendit machinalement ses mains au gendarme qui s'adressait à elle. Il lui passa les menottes et elle se laissa faire. C'était devenu un geste habituel, presque banal.
La salle d'audience se vidait lentement dans un brouhaha feutré, les uns commentant à voix basse le verdict qu'ils venaient d'entendre, d'autres gardant un silence qu'ils jugeaient de circonstance. Mado jeta un dernier coup d’œil vers la sortie. Julien s'éloignait. Il s'apprêtait à franchir la porte. Elle espéra qu'il allait se retourner, lui adresser un dernier regard mais il n'en fut rien. Il disparut sans qu'elle put apercevoir une dernière fois son visage.
Quelle attitude avait-il eu pendant le prononcé du jugement par la présidente de la cour d'assises ?
Hypnotisée par la femme en toge rouge exposant la conclusion de ces cinq journées de procès, elle en avait oublié de guetter sa réaction. Longtemps elle regretterait cette distraction. Longtemps elle se demanderait si Julien avait eu pour elle un regard de tendresse, d'amour ou même de compassion. Pourquoi son attention avait-elle été captée par la lecture des attendus de la cour plutôt que par le comportement de celui qui, elle en était convaincue, lui devait tellement qu'il ne pourrait se passer d'elle bien longtemps ? Bien sûr il lui reviendrait. Il se savait redevable. A cette heure, il comptait pour elle plus que tout au monde et la réciproque était évidente. Pourtant, elle l'avait négligé un instant, un court instant, justement celui qui n'aurait pas dû lui échapper. Elle n'avait pas fini de se le reprocher.
Elle suivit le gendarme chargé de la reconduire jusqu'au véhicule qui devait la ramener à la prison. Ils descendirent les marches en direction des sous-sols du palais de justice, parcoururent les longs couloirs froids qu'elle connaissait dorénavant parfaitement puis monta dans le fourgon cellulaire comme elle l'avait fait chacun des jours précédents. Cette fois, cependant, la sensation était différente. Elle ne reviendrait plus en ces lieux. Hier, avant-hier et tous les jours précédents, durant le trajet, elle s'était chaque fois remémoré les événements de la journée, les interprétant à sa façon, c'est à dire de la manière la plus favorable, s'obligeant même, sans vraiment y croire, à imaginer que sa liberté était au bout de ces interminables journées de procès.
Aujourd'hui, tout avait basculé. Dix-huit ans d'emprisonnement assortis d'une peine de sûreté de douze ans. Le jury n'avait eu aucune pitié. Machinalement elle fit le calcul : elle venait d'avoir soixante-neuf ans et ne sortirait donc au plus tôt qu'à quatre-vingt-un ans. Une éternité. Dans quel état physique mais aussi moral serait-elle alors ?
Quelle heure pouvait-il bien être ? Elle n'en avait aucune idée. La nuit était tombée et il pleuvait. Une pluie fine, de celles qui mouillent abondamment parce qu'elles durent. A travers la vitre grillagée du fourgon, elle pouvait apercevoir les trottoirs trempés dans lesquels miroitaient les éclairages publics ainsi que les enseignes de magasins ou les fenêtres éclairées des habitations.
Un fol espoir traversa son esprit : celui d'apercevoir Julien. Elle détaillait chaque groupe de passants dans les rues avoisinant le palais de justice mais il n'en fut rien. Au fur et à mesure que le véhicule roulait, les chances de réalisation de son rêve s'amenuisaient jusqu'à devenir inexistantes.
Elle l'imagina marchant dans la nuit. A quoi pensait-il ?
Pas demain, ni même les jours prochains, mais plus tard, dans quelques semaines peut-être, quelques mois tout au plus, il viendrait la visiter au parloir. Ils se remémoreraient alors les bons moments de leur histoire. Bien sûr, il ne serait plus question de projets d'avenir mais l'entretien des souvenirs qui n'appartenaient qu'à eux seuls serait précieux pour l'aider à maîtriser le temps, ce temps interminable qu'elle allait devoir affronter.
Le véhicule accélérait progressivement et les arrêts imposés par les feux rouges ou par la circulation devenaient de moins en moins fréquents. On s'éloignait de la ville. Mado ne regardait plus vers l'extérieur. L'espoir, nourri un moment, avait disparu et par voie de conséquence, ce qui se passait à l'extérieur ne l'intéressait plus. Elle laissa vagabonder son esprit sans parvenir à ordonner ses pensées.
Diverses séquences des différentes audiences lui revenaient en mémoire : le défilé des témoins, les analyses des experts, les interrogatoires de la présidente, les interventions de l'avocat général. Tous ces accusateurs n'avaient rien compris. D'ailleurs ils ne pouvaient pas comprendre. Elle seule et Julien étaient aptes mais... Puis soudain elle se projetait dans l'avenir ou revenait au passé. Tout se bousculait dans sa tête, occupait son esprit si bien que le trajet lui parut plus court que d'habitude.
Comme chaque fois, une surveillante la prit en charge à la descente du fourgon pour la ramener au quartier des femmes.
Elle la suivit de sa démarche pataude sans même lui adresser un mot.
Les longs couloirs qui menaient à sa cellule, le claquement des grilles et des serrures qu'on ouvrait puis refermait à chaque franchissement, les cris de détenues résonnant dans la nuit, tout ce qui au début de sa détention l'avait si horriblement impressionnée ne l'étonnait plus. Tout n'était dorénavant que routine. Comme chacune des prisonnières, elle avait fini par s'habituer.
La porte de sa cellule se referma et elle se retrouva enfin seule. Elle avait obtenu la faveur de cet isolement pour la durée de son procès et, quelques jours encore, elle continuerait à bénéficier de ce privilège. Après, il faudrait bien s'en remettre au quotidien de la prison et subir de nouveau la promiscuité. Il n'était d'ailleurs pas impossible que, sa condamnation étant définitive, elle soit transférée dans un nouvel établissement pénitentiaire. Tout cela n'avait pour elle qu'une importance relative au moment présent. Elle avait perdu toute notion du réel. Demain, très certainement, le réveil serait difficile.
Elle n'eut même pas le courage de se déshabiller, se contenta d'ôter ses chaussures et se glissa tel quel sous la lourde couverture. Elle était si épuisée qu'elle sombra rapidement dans un sommeil profond.
Toute sa vie, Mado avait aspiré à être reconnue, considérée, voire admirée.
Dès sa plus tendre enfance, à l'école primaire ou peut-être même déjà à l'école maternelle, son souci permanent avait été de se démarquer de ses camarades. A défaut de briller scolairement, elle se singularisait par son indiscipline. Le moyen qu'elle avait trouvé pour s'attirer les sympathies consistait à se livrer à moult excentricités qui, certes, lui valaient nombre de remontrances de la part des adultes, mais lui permettaient de briller auprès de fillettes qui enviaient son audace alors qu'elles n'auraient jamais osé se laisser aller à pareilles insolences.
Certes, l'engouement qu'elle suscitait ne pouvait être éternel, mais elle se plaisait à le croire.
Même à un âge avancé, bien au-delà de la soixantaine, bravant le ridicule, elle persistait dans ses excès à la limite de l'hystérie, s'adonnant à toutes sortes de frasques tout juste dignes d'une préadolescente, persuadée qu'elle était de provoquer l'émerveillement de son public. Comme dit un proverbe juif : « les tonneaux vides sont ceux qui font le plus de bruit ».
Les rires complaisants, histoire de donner le change, de ceux qui étaient témoins de ses exubérances, la confortait dans l'idée qu'elle forçait leur admiration. Si elle avait pu entendre les commentaires en aparté... A vrai dire, elle préférait les ignorer.
Était-elle consciente du discrédit qu'elle jetait sur elle-même ? C'est peu probable. Que n'aurait-elle pas fait pour capter l'attention de ses semblables ?
Il est vrai que, dans un premier temps, son système fonctionnait. Se montrant avenante, elle attirait assez vite les sympathies. Pour ne pas effaroucher ses proies, elle se tenait provisoirement sur la réserve mais ce n'était qu'artificiel et éphémère. Le naturel revenant au galop, ceux qui d'emblée lui avaient accordé quelque considération révisaient assez vite leur jugement.
Issue d'un milieu, que d'aucuns qualifieraient d'ordinaire, elle s'était jurée de parvenir à intégrer une certaine bourgeoisie. Il n'en fut rien, et pour cause, mais cela ne l'empêcha pas de proclamer un peu partout sa réussite en ce domaine.
Elle prétendait aussi, sans le moindre complexe, être du monde intellectuel ce qui était pour le moins vaniteux.
N'ayant guère de goût pour les études, et surtout manquant d'acharnement, elle avait, comme bien des collégiens, intégré le lycée. Hélas, faute de travail, cela avait été un fiasco. Aussi avait-elle rapidement renoncé à la poursuite du cursus classique, assurée qu'elle était de ne jamais obtenir un baccalauréat qui d'ailleurs ne lui aurait été d'aucune utilité. Qu'aurait-elle fait de ce diplôme ? Elle n'imaginait pas entrer à l'université. Bien entendu, posséder de larges connaissances qui lui auraient permis de briller en société ne lui aurait pas déplu mais, le travail indispensable pour aboutir à ce résultat lui paraissait au-dessus de ses forces et surtout de sa volonté. Ah ! S'il avait été possible d'avoir « la science infuse » !...
Sa sœur aînée, Mariette, pour laquelle elle éprouvait un mélange d'admiration et de jalousie, ayant cédé à la vocation d'infirmière, elle entreprit de suivre le même chemin. A l'époque, le recrutement se faisait au niveau de la classe de première et la formation se limitait à deux années, ce qui lui paraissait amplement suffisant. Elle aspirait à se trouver rapidement en situation de quitter le cocon familial, d'autant plus que la relation avec sa mère et son beau-père, ainsi qu'avec ses frères et sœurs (demi-frère ou demi-sœur pour certains) n'était pas des plus sereine. Mariette seule faisait exception.
C'était l'époque que l'économiste Jean Fourastié dénomma plus tard « les trente glorieuses ». Les villes nouvelles se développaient. L'activité dans tous les domaines était intense. Les infrastructures de toutes natures se multipliaient. Parmi celles-ci, il y avait, entre autres, les hôpitaux. On recrutait en masse. Aussi avait-elle pu accéder, comme nombre de jeunes filles, à une formation qu'elle n'avait choisie que par défaut.
Plus tard, à ceux qui l'interrogèrent sur son passé professionnel, elle prétendit avoir été infirmière, précisant cependant avoir peu exercé afin de se consacrer principalement à l'éducation de ses enfants, ce qui était un doux euphémisme.
Le propos aurait mérité d'être nuancé.
N'ayant pas terminé ses études, elle n'obtint jamais, contrairement à Mariette ainsi qu'une autre de ses sœurs, le fameux diplôme qui lui aurait permis de se prévaloir du titre qu'elle s'arrogeait.
L'interruption de sa formation professionnelle – aubaine et soulagement – avait été motivée par son mariage précipité avec Léon dont elle était enceinte.
En cette année 1965, soit trois ans avant la révolution estudiantine qui allait singulièrement faire évoluer les mœurs, la majorité bien pensante considérait encore comme parfaitement immorale toute relation sexuelle hors mariage. Aussi la nouvelle de son état avait-elle été fort mal accueillie par ses parents soucieux avant tout du « qu'en dira-t-on ». Sa mère n'avait pas manqué de l'invectiver véhémentement, la qualifiant de traînée et affirmant qu'elle était la honte de la famille.
Si ces propos avait quelque caractère excessif, il n'en demeurait pas moins que ses expériences sexuelles dores et déjà accumulées laissaient pressentir une certaine forme de dépravation que l'avenir ne ferait que confirmer.
Décidément, elle ne serait jamais comme ses frères et sœurs mais elle assurait qu'elle aurait un jour sa revanche.
Pourquoi Mariette, en particulier, était-elle si différente ? D'où lui venait cette distinction naturelle, cette discrétion, cette finesse que Mado enviait tellement, jalousait, mais dont elle tirait paradoxalement une certaine fierté.
La nature ne l'avait pas gâtée : elle allait en jouer.
Comprenant qu'elle ne serait jamais en mesure de rivaliser avec son aînée, elle se composerait un personnage à l'opposé dont elle jurait qu'il ne laisserait personne indifférent.
Elle n'était pas belle, mais pas non plus excessivement laide : elle était quelconque. Sa démarche de pachyderme, les pieds tournés vers l'intérieur, le buste penché en avant, donnait l'impression que, même chaussée d'escarpins, elle traînait des godillots. Sa chevelure négligée, d'apparence toujours crasseuse, lui donnait une allure de paysanne des années mille neuf cent cinquante.
Les choses ne s'arrangèrent pas avec l'âge et, si l'affirmation de Léonard de Vinci : « on est responsable de son visage après quarante ans » recèle un fond de vérité, elle avait quelque raison de s'en vouloir.
Par son habillement, elle ne cherchait nullement à corriger cette apparence. Elle portait le plus souvent des vêtements élimés et pas très nets, de couleurs sombres, aux teintes passées, soit parfaitement démodés, soit tout à fait excentriques.
Si elle se maquillait, en de rares circonstances, le rouge qu'elle utilisait pour colorer ses lèvres minces la rendait encore plus vulgaire si c'était possible.
Fallait-il voir dans ce comportement, alors qu'elle avait dépassé la soixantaine, un désintérêt pour sa personne, on pouvait en douter ? C'était son moyen de se singulariser, sa manière à elle d'exister.
Sa crainte de vieillir la poussait à la caricature.
Elle imaginait, en cultivant une apparence de décontraction excessive, être adoptée par le monde des jeunes, dont il serait inexact de dire qu'elle se sentait proche, mais qu'elle désirait pénétrer dans l'espoir de le dominer. Elle usait pour cela du subterfuge de mimétisme.
Ses aspirations à la reconnaissance la poussait à jeter systématiquement son dévolu sur tous ceux, qu'en raison de leur faiblesse, elle pourrait aisément tenir à sa merci.
Différentes catégories répondaient à cette exigence : les jeunes, les vieux, ou alors ceux qu'elle avait la certitude de dominer intellectuellement.
Aux premiers, elle s'imposait grâce au privilège de l'âge mais surtout, et ce n'était pas le moins vicieux, par le biais de certaines formes de corruption.
Les très jeunes enfants n'échappaient pas à son désir de conquête. Elle les apprivoisait en leur offrant des bonbons ou quelques pièces selon l'occasion, ou encore en s'efforçant de les amuser avec toutes sortes de plaisanteries, de singeries pour lesquelles ils se montraient bon public. Elle, qui ne cessait de répéter combien elle éprouvait le besoin d'être aimée, croyait ainsi forcer leurs sentiments. Davantage de lucidité lui aurait laissé entrevoir que la recherche de menus profits par ces gamins expliquait bien mieux leur attitude flatteuse. Mais comme toujours, Mado préférait ignorer la réalité qui ne lui seyait pas pour y substituer celle qu'elle se plaisait à rêver.
S'agissant des plus âgés : adolescents ou jeunes adultes, la démarche pour se les aliéner