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Un auteur dramatique s'enferme dans son bureau pour travailler à la nouvelle pièce qu'il a entreprise. Il en relit le premier acte dont les personnages s'animent devant les yeux des spectateurs. Son thème : suite à la mort accidentelle de Claude (PDG d'une importante entreprise), le notaire procède à la lecture de son testament. Celui-ci frustre largement son fils légitime au profit de celui de sa seconde épouse. Une intrigue qui ne va pas sans rappeler celle de Britannicus. Tout se mêle dans la tête de l'auteur : le scénario de sa pièce, celui de l'oeuvre de Racine, mais aussi les personnages de sa propre vie. Curieux mélange d'humour et de causticité qui lève un voile sur les mystères de la création théâtrale. Une comédie qui n'est pas dépourvue de réflexion.
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Seitenzahl: 118
Veröffentlichungsjahr: 2020
Romans
L’OGRESSE - Publibook 2003
LA COUGAR - BoD 2016
Théâtre
SACRÉ JEAN-FOUTRE – BoD 2017
L’AUTEUR
CLARA, seconde femme de Claude
JULIEN, fils de Claude
GEORGES, fils de Clara
CÉLINE, nièce de Claude
ROBERT, amant de Clara
LE NOTAIRE
LA BONNE, personnage invisible
*
AGRIPPINE jouée par CLARA
BRITANNICUS joué par JULIEN
NÉRON joué par GEORGES
JUNIE jouée par CÉLINE
PALLAS joué par ROBERT
LE MESSAGER joué par LE NOTAIRE
PREMIER ACTE
DEUXIÈME ACTE
TROISIÈME ACTE
QUATRIÈME ACTE
CINQUIÈME ACTE
Le bureau de l’auteur. Mobilier de style, bibliothèque garnie de magnifiques reliures. L’ensemble respire le bon goût et le luxe.
Quand le rideau se lève, la scène est vide.
Entre l’auteur vêtu d’une veste d’intérieur.
L’AUTEUR
Qu’on ne me dérange sous aucun prétexte : je travaille.
Il va s’asseoir à son bureau, très digne. Un instant rêveur, il tapote sur son sous-main. Un bruit de cireuse électrique, dans le couloir, le fait sursauter.
Ah non ! Ça ne va pas commencer.
Il bondit, et crie par la porte qu’il entrouvre :
Arrêtez-moi ça !
Le bruit s’arrête net.
VOIX DE LA BONNE
Mais Monsieur, c’est la cireuse.
L’AUTEUR
Je m’en fous. Aller cirer ailleurs. Aller cirer dans le jardin.
VOIX DE LA BONNE
Dans le jardin ?
L’AUTEURcrie.
Oui. (Il referme la porte et retourne s’asseoir.) Non, mais alors. Jamais moyen d’être tranquille dans cette maison. Un coup c’est la cireuse, un coup c’est le téléphone…
Le téléphone sonne. Il décroche, furieux, et hurle :
Allô! … Non Monsieur, c’est une erreur. D’ailleurs, je n’ai pas le téléphone.
Il raccroche brutalement.
Étonnez-vous que le théâtre contemporain soit si mauvais. Comment voulez-vous travailler dans des conditions pareilles ? Pas étonnant que Molière n’ait pondu que des chefs-d’œuvre. Il n’était pas dérangé toutes les cinq minutes par leurs engins électriques, lui. Ce n’est pas difficile d’écrire de bonnes pièces quand on a la paix. (Il soupire.) L’heureux homme. Il ne connaissait pas son bonheur. Et on appelle ça le progrès. (Il hausse les épaules.) Enfin !
Il ouvre un dossier, fait tourner quelques feuilles volantes déjà remplies, s’arrête à une page vierge et écrit :
Acte deux.
Il repose sa plume et contemple sa feuille.
Bon début.
Il réfléchit un peu et ajoute :
Même décor.
Il repose de nouveau sa plume et réfléchit encore puis commente après un temps :
Évidemment, jusque-là, rien à redire. Seulement ça fait court.
Il s’exclame :
Bon Dieu ! Quelle chierie ce théâtre. Nom d’un chien, j’aurais mieux fait d’écrire des romans. Là, au moins, quand j’étais à court d’idées, une page de description et le tour était joué.
Il soupire, revient aux premières pages de son manuscrit qu’il commence à relire.
La porte s’ouvre. Le notaire introduit Julien, un garçon d’une vingtaine d’années.
LE NOTAIRE, désignant un fauteuil à Julien.
Si vous voulez vous asseoir. Je pense que les autres membres de votre famille ne tarderont plus arriver. J’ai convoqué tout le monde pour dix heures, mais je crois que vous êtes un peu en avance.
JULIEN
C’est une des choses que mon père m’avait apprises : l’exactitude. C’était un de ses grands principes : il était ponctuel.
LE NOTAIRE
C’est exact. Monsieur de la Pétaudière était la ponctualité en personne. (Un temps.) Quelle tristesse cette disparition soudaine. (Encore un temps. Il paraît gêné.) Je voulais vous dire… J’estimais beaucoup monsieur votre père. La nouvelle de sa mort m’a personnellement beaucoup affecté.
JULIEN, ému.
Je vous remercie.
LE NOTAIRE
Il me faisait l’honneur de ne pas me considérer seulement comme son notaire, mais bel et bien comme son ami et je suis de ceux qui savent combien son amitié était précieuse. (Un temps, il ajoute : ) Il vous aimait beaucoup vous savez.
JULIEN
Je sais.
LE NOTAIRE
Bien sûr, il a pu se tromper, mais après tout, qui ne commet pas d’erreurs ?
JULIEN, interloqué.
Quelles erreurs ?
LE NOTAIRE, embarrassé.
Je ne sais pas. Je voulais dire : tout le monde se trompe. Je suppose que cela a dû lui arriver aussi. Mais il est une chose dont je suis certain, c’est qu’il était profondément intègre.
JULIEN, rêveur.
Oui.
LE NOTAIRE
Dire que sans ce soi-disant accident…
JULIEN
Pourquoi « soi-disant » ?
LE NOTAIRE, rectifie aussitôt.
Je veux dire : ce stupide accident.
L’AUTEUR, qui avait dressé l’oreille, lâche, rassuré :
Ah bon !
Un silence.
LE NOTAIREdemande.
Vous comptez vous établir par ici ?
JULIEN
Je ne sais pas encore. Je vais réfléchir.
LE NOTAIRE
Il est vrai que l’Angleterre a ses charmes. Ah ! Vous êtes jeunes. Vous avez l’avenir devant vous. À votre âge on se fait à tout.
L’AUTEUR, rectifie son manuscrit.
On s’habitue à tout.
LE NOTAIREreprend sans sourciller.
À votre âge on s’habitue à tout.
Sonnerie.
L’AUTEURcrie.
Ah non !
LE NOTAIRE, qui ne semble pas l’avoir entendu.
On a sonné, vous m’excusez.
L’AUTEUR, confus.
Oh ! Pardon.
JULIEN, au notaire.
Je vous en prie.
Le notaire sort puis revient immédiatement, introduisant Clara – une cinquantaine d’années, toute de noir vêtue –, Robert – même âge –, Georges – vingt-cinq ans environ – et Céline – une vingtaine d’années –.
LE NOTAIRE
Si vous voulez vous donner la peine d’entrer.
CLARA, tendant les bras à Julien.
Julien. Quelle surprise ! Je vous embrasse mon petit. (Elle le fait.) J’ai craint un moment que vous ne veniez pas, mais je vois que vous avez su où était votre devoir et j’en suis heureuse. (Elle ajoute, pleurnicharde :) Si vous saviez comme je suis malheureuse.
Julien ne répond pas.
GEORGES, tendant la main à Julien tout en prenant une mine de circonstance.
Bonjour. Mes sincères condoléances.
JULIEN
Merci.
CLARA
Je vous présente Robert, un ami. Je pense que vous ne verrez pas d’inconvénient à ce qu’il assiste à la lecture du testament ?
JULIEN, se contentant d’un signe de tête à l’adresse de Robert, l’air indifférent.
Aucun. (Puis se tournant vers Céline.) Bonjour.
CÉLINE, avec un pauvre sourire.
Bonjour Julien.
Un temps.
CLARA
Eh bien, vous ne vous embrassez pas ?
Julien sourit et va embrasser Céline.
CLARA
Comme c’est plaisant de se retrouver ainsi. (Puis changeant de ton :) Quel malheur ! Ce pauvre Claude. Qui aurait pu penser qu’il partirait ainsi, en pleine force de l’âge et presque sans prévenir.
GEORGESa geste désabusé :
La fatalité.
CLARA
Un homme qui était d’une prudence.
ROBERT
Et avec une voiture pratiquement neuve qu’il a fallu mettre à la ferraille.
CLARA
Une Mercedes dont il n’avait jamais passé la troisième tant il roulait prudemment. C’est vraiment incompréhensible.
GEORGES, au notaire :
Vous connaissez la conclusion des experts ?
LE NOTAIRE, froid :
Dérapage sur une plaque de verglas, je crois.
GEORGES
C’est ce que tout le monde avait pensé. Et bien non. Selon eux, il s’agit d’une rupture de la direction.
CLARA
C’est insensé. Ces gens-là disent n’importent quoi.
LE NOTAIRE, désignant les sièges :
Si vous voulez vous asseoir.
CLARA
Merci maître.
Ils s’assoient.
CLARA, à Julien.
Et vos études, à propos ? Terminées ?
JULIEN
Pas tout à fait.
CLARA
Vous vous êtes fait à l’Angleterre ?
JULIEN, poli.
Très bien.
CLARA
Je me demande comment vous vous y êtes pris. Pour ma part, je crois que je n’aurais jamais pu. C’est plein de brouillard, il y pleut tout le temps, on y mange mal, et les gens ont un accent déplorable. Il n’y a vraiment que les Anglais pour aimer ça. Ils ne sont même pas fichus d’avoir un mètre qui mesure plus de quatre-vingt-dix centimètres et ils voudraient nous donner des leçons. (Elle demande :) Il vous reste encore combien de temps à passer là-bas ?
JULIEN
En principe, un an.
CLARA
Je vous souhaite bien du courage. Il est vrai que vous avez eu le temps de vous habituer.
GEORGES
Tu parles anglais couramment ?
JULIEN, esquissant un sourire.
Il faut bien.
GEORGES
Je te félicite. Moi, en huit ans d’anglais, je n’ai pas été fichu d’apprendre autre chose que : « I do not speak english » (il prononce avec un accent déplorable) et encore, quand je dis ça à un Anglais qui m’aborde dans la rue pour me demander un renseignement, la plupart du temps, il ne me comprend pas. À se demander si ces gens-là parlent vraiment anglais.
LE NOTAIRE
Si vous êtes d’accord, nous pourrions passer à la lecture du testament de monsieur de la Pétaudière.
CLARA
Nous sommes tout ouïe Maître.
L’AUTEUR, qui depuis un moment retournait ses papiers sur son bureau et fouillait ses poches s’exclame.
Bon sang, qu’est-ce que j’ai fichu de mes cigarettes ?
Il se lève, de mauvaise humeur et va prendre un paquet dans le tiroir d’une commode.
LE NOTAIREs’installe à son bureau.
Monsieur de la Pétaudière avait déposé entre mes mains, il y a quelques années déjà, un testament. L’enquête à laquelle j’ai procédé m’a permis de m’assurer qu’il n’en avait pas fait d’autres et que par conséquent, celui-ci doit être considéré comme l’expression de ses dernières volontés.
L’auteur après avoir allumé sa cigarette, s’apprête à reprendre sa place, mais s’arrête, stupéfait de voir que le notaire s’en est emparé. Beau joueur, il ne dit rien et se place de côté pour observer la scène.
LE NOTAIRE
Il avait demandé que soient présents pour cette lecture : Madame la Comtesse Clara de la Pétaudière, son épouse en secondes noces, Monsieur le Vicomte Julien de la Pétaudière, son fils légitime, Monsieur Georges Dingue-Reville, fils de Madame la Comtesse de la Pétaudière et Mademoiselle Céline Dupré, sa nièce. Tous sont présents, nous pouvons donc procéder à la lecture de l’acte.
Il chausse ses lunettes et commence à lire.
Nous, Claude de la Pétaudière, sain de corps et d’esprit, déclarons le présent acte être l’expression de nos dernières volontés et chargeons Maître Pindart, notaire à Troulabin, de veiller à son exécution.
L’AUTEURbougonne.
C’est long.
LE NOTAIRE
Plaît-il ?
L’AUTEUR
Je dis c’est long.
LE NOTAIRE
C’est le testament de Monsieur de la Pétaudière.
L’AUTEUR
Ça n’empêche rien. N’oublions pas que c’est du théâtre. Le spectateur qui a payé sa place attend que ça bouge, qu’il se passe quelque chose. Il est venu pour voir se dérouler action, pas pour assister à un cours sur la rédaction testamentaire.
LE NOTAIRE, piqué.
Je fais mon métier.
L’AUTEUR
Peut-être, mais ça n’intéresse personne. Il faut condenser tout ça. C’est une scène d’exposition, ça doit aller vite. Si le spectateur commence à bâiller au premier acte, au troisième il ronflera.
LE NOTAIREhausse les épaules.
Que voulez-vous que j’y fasse ?
L’AUTEUR
Réduire.
LE NOTAIRE, buté.
J’ai un testament, je le lis. J’appartiens à une profession qui a ses règles, je les respecte.
L’AUTEUR
Les règles, les règles... On les accommode.
LE NOTAIRE
Sachez, Monsieur, qu’à y déroger j’encours de graves sanctions de la part de mes pairs.
L’AUTEUR
Je vous garantis l’impunité.
LE NOTAIRE
C’est vite dit. On voit bien que vous n’êtes pas du métier.
L’AUTEUR, que cette discussion commence à visiblement agacer.
Je fais du théâtre. Et au théâtre, ce qui compte c’est qu’il y ait une histoire à laquelle le spectateur soit susceptible de s’intéresser. Le reste on s’en fout, c’est du détail. Depuis Molière nous savons que ce qui est important ce sont les caractères. Et encore, même ceux-là doivent être brossés à grands traits. Terriblement grossis.
LE NOTAIRE, insolent.
Dans ce cas, c’est de la caricature que vous auriez dû faire.
L’AUTEUR, nullement démonté.
Figurez-vous que j’y avais pensé. Seulement comme je n’étais pas très habile à manier le crayon, j’ai fini par faire du théâtre parce que finalement c’est la même chose.
LE NOTAIRE
Alors, en ce qui concerne cette scène, que comptez-vous faire ?
L’AUTEUR
Je ne sais pas. Je trouverai un raccourci quelconque, n’importe quoi.
LE NOTAIRE
Je ne vous le fais pas dire.
L’AUTEUR, sans relever.
L’essentiel est que la situation soit claire. Les rapports des personnages, on les connaît. Ce qu’il reste à exposer c’est le contenu du testament. Pour ça il suffit d’une courte explication. En fait, c’est extrêmement simple. Le fils légitime du défunt (il désigne Julien) est déshérité au profit du fils de la seconde épouse de celui-ci. (Il désigne Georges.)
LE NOTAIRE
On n’a pas le droit de déshériter son propre fils.
L’AUTEUR
Disons qu’il est largement frustré et restons-en là.
LE NOTAIRE
Vous avez des notions de droit qui laisse à penser sur vos conceptions de la justice.
L’AUTEURprend la mouche.
Mon vieux, je ne vous conseille pas de m’entreprendre sur ce terrain. J’aurais effectivement beaucoup à dire.
LE NOTAIRE, narquois.
J’imagine.
L’AUTEUR
Voyons la suite.
CLARA, très collet monté.
Ce testament est d’une délicatesse.
ROBERT
Votre mari était un homme du monde ma chère amie.
CLARA
Il aura tout réussi. Même sa mort. (Elle ajoute, pleurnicharde :) Pauvre Claude. Il était si bon. Qu’est-ce que je vais devenir à présent ? Je crois que je n’aurai plus le goût de vivre. Je n’ai plus qu’à me laisser mourir moi aussi.
ROBERT
Allons allons, calmez-vous chère amie. Il ne faut jamais dire des choses pareilles. Songez plutôt à ceux qui restent. Vous leur êtes si indispensable.
CLARA
Oh ! Sans Claude…
GEORGES
Maman.
ROBERT
Votre mari, là où il est, si c’est bien ce qu’on m’en a dit, ne doit pas s’ennuyer, vous savez. Pensez plutôt aux autres, à nous tous qui avons tellement besoin de vous, à Georges, à Céline, (avantageux :) à moi.
L’AUTEUR
Oh ! Oh ! Vous pourriez amener les choses avec un peu plus de tact mon vieux.
ROBERTle regarde, l’air ahuri.
Vous avez dit vous-même qu’il fallait que ce soit brossé à gros traits.
L’AUTEUR
N’exagérons rien. Même pour la caricature, il ne faut pas sortir de la page. Vous êtes son amant, c’est un fait, maintenant vous vous sentez libres, mais respectons cependant certaines limites. Ce décès ne remonte qu’à quelques jours. Peut-être l’enterrement n’a-t-il pas encore eu lieu. Vous n’allez quand même pas lui chanter le de profundis sur l’air de la marche nuptiale.
ROBERT, vexé.
Évidemment.
L’AUTEUR
De la façon dont vous y prenez, on peut s’attendre à tout.
CLARA, très chatte.
J’espère que vous êtes content mon petit Julien.
JULIEN, raide.
De la mort de papa ?
CLARA, on ne peut plus naturelle.
De ce qu’il vous a laissé.
JULIEN
Je pense qu’il a agi selon sa conscience.
CLARA
Évidemment. Votre père était la conscience même. (Elle soupire.) Pauvre Claude.
GEORGES
Tu es fatiguée, Maman. Je crois que nous ferions bien de rentrer.
CLARA