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Lorsque, par nécessité, il débarrasse le pavillon qu'occupait sa mère récemment décédée, Lilian découvre dans le grenier des coupures de journaux de l'année 1981. On y évoque l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand, mais aussi la mystérieuse disparition d'une lycéenne de seize ans : Mélanie Lambert. Journaliste, récemment sorti de l'école de formation de Lille, le jeune homme se passionne pour ce fait divers dont il va tenter, vingt-cinq ans après, de percer le mystère : une enquête qui lui réservera bien des surprises.
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Seitenzahl: 266
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Romans
L’OGRESSE – Publibook 2003
LA COUGAR – BoD 2016
Théâtre
SACRÉ JEAN-FOUTRE – BoD 2017
VOUS RÊVEZ, MAÎTRE – BoD 2020
LE CONDITIONNEL – BoD 2021
courriel : [email protected]
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Samedi 11 mars 2006
Une turbulence secoua l'avion, tirant Lilian de son sommeil. Combien de temps avait-il dormi ? Avait-il seulement somnolé ou plongé plus profondément ? Il aurait été bien incapable de le dire.
Il jeta un coup d’œil à travers le hublot. Dehors il faisait grand jour. À son extrémité, l'aile de l'appareil tremblait frénétiquement. Des nuages épars permettaient d'entrevoir l'océan en contrebas. On n'avait donc pas encore atteint les côtes françaises. Par réflexe, il consulta sa montre. Elle marquait quatre heures quarante-huit, mais c'était l'heure de New York. Il était par conséquent dix heures quarante-huit en France. Il en modifia le réglage.
Il avait quitté les États-Unis précipitamment sans savoir quand il serait de retour. Alison lui avait fait promettre de revenir très vite. Voyant les larmes perler à ses yeux, il avait juré, mais pourrait-il être fidèle à sa parole ?
Les quatre mois et demi qu'il venait de passer outre-Atlantique avaient été si intenses, lui avaient procuré tant de sensations et de bonheur que ce départ soudain engendrait une profonde tristesse, d'autant plus qu'il avait conscience d'aborder une période d'incertitudes.
À vingt-quatre ans, après avoir obtenu brillamment son diplôme de l’ESJ1 de Lille, il avait décroché un stage de six mois au New York daily news, le prestigieux quotidien américain. Son sérieux, sa méticulosité, son sens de l'analyse et de la synthèse ainsi que sa pratique courante de l'anglais et de l'espagnol lui avaient rapidement valu de gagner la confiance de ses supérieurs et chacun s'accordait à penser qu'il était promis à un brillant avenir.
Deux semaines après le début de son stage, il avait fait la connaissance d'une pigiste avec laquelle il allait dorénavant collaborer.
Tout juste âgée de vingt-deux ans, la jeune fille, qui mesurait à peine un mètre soixante, était pétulante et pleine de dynamisme. Sûre d'elle et dotée d'un solide caractère, elle avait d’abord incité Lilian à garder quelque distance. Son tempérament calme le poussait davantage à apprécier les gens posés, mais très vite Alison avait su le faire changer d'avis. Son sourire enjôleur, son éternel optimisme avaient eu raison de la réserve du garçon si bien que les jeunes gens avaient progressivement noué des relations qui n'étaient plus seulement professionnelles.
Dès lors, Lilian s'était mis à rêver. Pourquoi pas, à l’issue de son stage, intégrer un emploi aux États-Unis. Peu lui importait qu'il s'agisse de presse écrite, parlée, ou télévisuelle : tout l'intéressait. À moins que ce ne soit Alison qui vienne en France sous le statut d'envoyée spéciale d’un des nombreux tabloïds américains. Un désir commun animait l'un et l'autre : faire leur vie ensemble.
Déjà ils ne se quittaient plus, mais un événement imprévu vint contrarier cette idylle naissante. Il intervint sous la forme d’un courriel adressé par Françoise : « Ta maman est très mal. Les médecins ne cachent pas leur inquiétude. Je ne sais que faire. Je crois ta présence nécessaire. »
Françoise était, de longue date, une fidèle amie de sa mère. À vrai dire, sa seule véritable amie. Lorsqu'il était enfant, elle avait été la nourrice de Lilian. Il gardait de cette période le souvenir d'une vraie complicité. Il l'aimait beaucoup et savait pouvoir compter sur elle. Lorsque, pour la première fois, quelques mois auparavant, il avait quitté sa mère pour une durée plus importante que d’habitude, assortie d’un éloignement conséquent, savoir que Maman pourrait compter sur la présence d’une amie sincère avait apaisé les inquiétudes du garçon.
À de multiples reprises, ces dernières semaines, il avait pu vérifier que sa confiance était bien placée.
Le jour où sa mère avait eu un préoccupant problème de santé, Françoise l'en avait immédiatement averti.
Prise de nausées et de vomissements, Maman s'était plainte de violents maux de tête. Le médecin avait prescrit des médicaments qui, malheureusement, s’étaient révélés peu efficaces. Quarante-huit heures de traitement n'ayant apporté aucune amélioration et sa température demeurant élevée, il avait fallu l’hospitaliser. Aussitôt, la nourrice avait adressé un courriel à Lilian pour l'en informer, faisant en sorte de ne pas l'alarmer exagérément. Le garçon lui avait téléphoné à de nombreuses reprises et, chaque fois, elle s'était efforcée, en raison de la distance, de minimiser autant que possible les motifs d’inquiétude.
Le verdict tomba après que la patiente eut été soumise à de nombreux examens. Elle était atteinte d'une forme de méningite nécessitant un traitement lourd. Les médecins assuraient que les chances d'enrayer la maladie étaient réelles. Il sembla, dans les premiers temps, que les soins prodigués avaient un effet bénéfique. Les céphalées étaient moins violentes et la fièvre diminuait. Cette rémission fut de courte durée. Au bout de quelques jours, la situation s'aggrava jusqu'à ce que la malade sombre dans le coma.
Les médecins refusèrent désormais d'avancer le moindre pronostic. Ils préconisaient une nouvelle thérapie, mais sans oser garantir un résultat.
Françoise estima qu'il n'était plus possible de tenir Lilian dans l’ignorance de la réalité, d'où le message alarmiste qui l'incita à sauter dans le premier avion.
Il refusait d’envisager le pire. Sa mère, quadragénaire, était comme on dit dans la force de l'âge. Elle n'avait jamais eu d’importants problèmes de santé et, bien que menue, avait une bonne constitution. Aussi se persuadait-il qu'elle se remettrait rapidement de cette mauvaise affection.
Jusqu'à présent, il avait gardé secrète sa relation avec Alison, estimant cette révélation prématurée. Et puis à distance…
Aujourd'hui, il était décidé, en face à face, à tout lui dire. Naturellement, il attendrait qu'elle soit en état de recevoir ses confidences dont il ne doutait pas qu'elles seraient accueillies avec bienveillance et enthousiasme. Parfois, il se plaisait à imaginer le jour où il reviendrait en France accompagné de sa fiancée. Alison manifestait une telle envie de découvrir Paris : il serait son guide. Mais son plus grand fantasme concernait la rencontre des deux femmes de sa vie. Il les voyait déjà tomber dans les bras l'une de l'autre. Nul doute qu'elles s'accorderaient. Mieux encore, elles deviendraient complices…
L'heure n'était pas encore à ces réjouissances. Cela viendrait en son temps. Ils auraient tellement de choses à se dire, même s’ils étaient restés en constante relation, par courriel, par téléphone et aussi grâce à ce nouveau système dénommé « skype » qui, depuis deux ans, tendait à se développer sur internet et permettait non seulement de se parler, mais aussi de se voir. Ce n'était pas parfaitement au point et l'application avait quelquefois tendance à boguer, comme disent les spécialistes, mais elle présentait un évident progrès dans la communication. Nul doute qu'elle serait appelée à se développer et se perfectionner au fil des années.
La voix du commandant de bord, dans les haut-parleurs, tira Lilian de ses pensées.
Un épais brouillard enveloppait par intermittence l'avion qui, ayant amorcé sa descente, traversait des masses nuageuses. L’hôtesse enjoignit aux passagers d’attacher leur ceinture.
Quelques minutes plus tard, accédant au contrôle de sortie dans le hall de l'aéroport, Lilian aperçut Françoise parmi les nombreuses personnes venues accueillir les voyageurs. Elle agitait le bras pour attirer son attention. Il lui répondit d’un grand geste, affichant un large sourire.
Durant le trajet jusqu'au domicile de sa mère, Nanou, comme il l'appelait affectueusement, lui narra avec force détails l’enchaînement des événements qui l'avait conduite à suggérer au jeune homme de revenir rapidement en France. Bien que n'étant qu'une amie, elle avait pu obtenir de certains médecins et infirmières des explications franches sur l'état de la patiente. Ceux-ci ne cachaient pas leur inquiétude.
Ces deux derniers jours, elle n'était pas retournée à l'hôpital. À quoi bon puisque Marie n'avait plus sa connaissance. Elle s'était seulement tenue informée par téléphone : la situation semblait figée.
— Veux-tu venir déjeuner avec nous ce midi, demanda-t-elle ?
Lilian déclina l'invitation, préférant se réinstaller tranquillement dans la maison qu'il avait quittée quelques mois auparavant, y reprendre ses marques, se doucher et se reposer aussi, avant d'aller voir sa mère à l'hôpital. Il viendrait plutôt dîner.
Vers quatorze heures, il prit, au volant de la Clio de Maman, la direction du CHU2 Henri-Mondor de Créteil.
Arrivé à destination, il lui fallut vingt bonnes minutes pour trouver une place de stationnement. Il en éprouva un agacement mêlé à une angoisse qui l'envahissait progressivement. Dans quel état allait-il la trouver ? Sa visite surprise aurait-elle un effet bénéfique ? Alors que jusqu'ici il s'était obligé à demeurer optimiste, une indéfinissable appréhension l'assaillait à présent. La réponse à toutes ses questions était au bout de ce long couloir.
Il pénétra à pas feutrés dans la chambre où reposait la malade. Vers son corps inerte convergeaient toutes sortes de tuyaux et fils électriques. Elle était sous perfusion, sous assistance respiratoire, subissait électrocardiogramme et électro-encéphalogramme permanents…
Lilian l'approcha avec précaution comme s'il craignait de la réveiller. Elle était pâle et amaigrie. Il avait quitté une femme fringante et en retrouvait une autre, sans âge, décharnée. Comment avait-elle pu changer à ce point ? Était-ce vraiment sa mère ?
— C'est moi, Maman, murmura-t-il en déposant un baiser sur son front.
Que dire d'autre ? Que faire ? Il s'assit sur le bord du lit et lui prit la main. Elle était glacée. Il observa le visage de celle qui l'avait mis au monde. C'est à peine si elle respirait. Machinalement, il enserra sa main entre les siennes pour la réchauffer. Une larme roula sur son visage. Il était totalement désemparé.
Il demeura ainsi longuement.
Sa mère, c'était toute son enfance, toute sa jeunesse, pour ne pas dire toute sa vie. Elle l'avait élevé seule, son père étant décédé alors qu'il avait à peine deux ans. Elle n'avait pas refait sa vie. Rares étaient les hommes qu'elle avait fréquentés et, si elle avait connu quelques aventures, celles-ci avaient été tout à fait éphémères. En somme, ils avaient vécu un peu en reclus avec une relation mère-fils excessivement fusionnelle.
En cette heure difficile, dans cette atmosphère pesante marquée par l'odeur des produits aseptiques, il ne voulait plus se souvenir que des bons moments passés avec celle qui s'était entièrement consacrée à lui, qui l'avait tant aimé et que lui aussi aimait tellement.
Combien de temps durèrent ses rêveries ?
Un sifflement le surprit subitement. Une note aiguë, stridente, continue. Il se précipita vers le couloir, mais déjà deux infirmières arrivaient en courant. Sur l'écran affichant l'électrocardiogramme, le tracé était dorénavant parfaitement rectiligne. Un interne surgit à son tour. Il pria Lilian de quitter la chambre.
Que se passa-t-il ensuite ? Ce ne fut que l'affaire de quelques minutes, mais elles parurent au garçon une éternité. Le médecin ressortit de la pièce et Lilian, à la vue de son masque, comprit instantanément ce qu'il en était.
— C'est fini. Nous n'avons rien pu faire.
À quelques heures près, il avait été présent pour assister au décès de sa mère, lui avait tenu la main lors de son passage dans l'autre monde : une bien mince consolation.
1 École Supérieure de Journalisme
2 Centre Hospitalier Universitaire
Les jours qui suivirent le décès de sa mère, Lilian fut tellement occupé qu'il n'eut guère le temps de s'abandonner à son chagrin.
La préparation des obsèques, les nombreuses et indispensables démarches auprès d'administrations et organismes divers occupèrent son esprit et la plus grande partie de ses journées. Françoise et son mari Jacques lui apportèrent une aide et un soutien précieux.
Mercredi 15 mars 2006
Lilian s’est réveillé de bonne heure. Machinalement, en préparant son café, il allume la radio. Un journaliste égrène et commente les informations du jour.
La principale d’entre elles concerne la grève des universités.
En matière de politique internationale, le rapatriement à Belgrade de la dépouille Slobodan Milošević, décédé quatre jours plus tôt aux Pays-Bas, suscite de nombreux commentaires. L’ancien président de la République de Yougoslavie, accusé de crime contre l’humanité, était détenu à La Haye où il devait être jugé par le tribunal pénal international. Sa mort a mis fin à son procès : il ne sera jamais condamné.
Un problème, touchant à la santé, vient aussi créer de nouvelles préoccupations : la grippe aviaire, qui a fait son apparition principalement dans l’Ain, contraignant à un abattage massif de volailles.
À vrai dire, Lilian n’écoute pas vraiment. En d’autres temps, il aurait été attentif, concentré, mais aujourd’hui…
Par la fenêtre de la cuisine, tout en buvant sa tasse, il laisse aller son regard sur le petit carré de jardin que sa mère entretenait méticuleusement. Les plates-bandes ont été soigneusement nettoyées, préparées en perspective des floraisons du printemps et de l’été. Le cerisier, au milieu de la pelouse, est encore tout décharné, laissant tout juste pointer les premiers bourgeons. Le portique avec sa balançoire, ses anneaux, son trapèze et sa corde à nœuds est toujours à la même place, près de la cabane à outils, bien qu’il n’ait plus servi depuis des années. Ç’avait été son cadeau de Noël vers dix ou onze ans. Il n’a pas oublié l’amusement intense que lui avait procuré ce jeu. Combien d’heures a-t-il passées, pendu aux agrès, s’imaginant acrobate de cirque ou gymnaste. Maman venait quelquefois le rejoindre. Il l’incitait à s’asseoir sur l’escarpolette pour avoir le plaisir de la pousser. « Pas trop vite », implorait-elle, mais lui s’en donnait à cœur joie et, plus elle criait plus il accélérait le mouvement. Ils riaient tous les deux jusqu’à ce que, épuisés, ils mettent fin à cette partie de détente. Maman l’enserrait dans ses bras et déposait dix baisers, vingt baisers, sur son front, sur ses joues… Ils étaient heureux. Il était insouciant.
Aujourd’hui, le ciel est gris et le jardin bien morne. Maman est partie. Son rire chaleureux ne résonnera plus dans la maison. Pourtant il l’entend encore.
Peu après neuf heures, il prend la route de Créteil pour se rendre à la morgue du CHU. Nanou et Jacques l’y rejoindront plus tard pour la cérémonie des obsèques. Ils auraient pu faire la route ensemble, mais Lilian a préféré partir en avance pour se recueillir seul devant la dépouille. Il éprouve le besoin intense de profiter d’un dernier instant d’intimité avec celle qui ne sera plus que cendres tout à l’heure.
Le cercueil ouvert a été posé sur des tréteaux masqués par un velours noir dans une salle propice à la méditation. Les traits du visage de Marie sont détendus. Comme elle a l’air apaisée. Elle donne presque l’impression de sourire. C’est elle sans être tout à fait elle. Son teint blafard, presque jaunâtre a quelque chose d’un peu faux.
Lilian dépose délicatement un baiser sur son front glacé. S’il éprouve un immense malaise, il n’a pas la force de pleurer. Il demeure là, raide, tendu, les yeux rivés sur cette figure qui va disparaître définitivement. Ce n’est pas l’image qu’il a envie d’en garder, pourtant il ne peut en détacher son regard comme pour l’imprimer de manière indélébile dans son cerveau de crainte qu’elle s’efface avec le temps.
Un peu avant dix heures arrivent Françoise et Jacques. Ils se recueillent à leur tour devant la défunte sans prononcer une parole. Que dire en pareille circonstance ? Les mots sont dérisoires. Les hommes des pompes funèbres entrent dans la pièce. Le maître de cérémonie annonce qu’ils vont procéder à la fermeture du cercueil. Lilian embrasse une dernière fois sa mère puis on met en place le couvercle, on le visse et le scelle à la cire.
Quelques minutes plus tard, le corbillard prend la direction de Limeil-Brévannes où une cérémonie religieuse a lieu en l’église Sainte-Madeleine.
Nanou a fait en sorte que quelques voisins et aussi des collègues de travail de la défunte soient présents à la cérémonie. Ils sont peu nombreux à s’être déplacés pour lui rendre un dernier hommage : à peine une vingtaine, dispersés dans la nef. L’impression de vide et d’abandon rend la célébration encore plus funèbre.
Sortant de l’église, Lilian, qui jusque-là a gardé réserve et dignité, fond en larmes. Nanou, les yeux rougis, elle aussi, le serre contre elle, lui témoignant toute sa compassion à défaut de pouvoir le consoler.
La plupart des fidèles s’éloignent après avoir présenté leurs condoléances et ils ne sont plus que cinq à se rendre au crématorium pour l’incinération.
Quand la porte du four s’ouvre et que le cercueil roule vers l’intérieur, le garçon, les yeux baignés de larmes, laisse aller sa tête sur l’épaule de Françoise. Cette fois c’est fini, bien fini.
Il ressort au bras de la plus fidèle amie de sa mère, soutenu de l’autre côté par Jacques. Il marche comme un automate.
Jeudi 16 mars 2006
Parmi les décisions importantes que doit prendre Lilian, l'une d'elles, et non des moindres, concerne le pavillon dans lequel ils ont vécu, sa mère et lui, pendant plus de quinze ans à Limeil-Brévannes. Elle en était locataire. Plus rien ne retient dorénavant le garçon en France et il n'aspire, à vrai dire, qu'à regagner New York afin d’y retrouver Alison et d’envisager avec elle leur avenir commun.
À terme, son retour en France n'est pas exclu, mais il ne constitue pas non plus une certitude. Est-il sage, dans ces conditions de continuer à payer le loyer ainsi que les charges afférentes à l'habitation ? S'il opte pour cette solution, il devra de toute façon contracter un nouveau bail avec le propriétaire. Cela suppose des démarches, mais aussi des dépenses possiblement inutiles. Bref, l'intérêt est incertain. Après réflexion, ayant entendu différents avis, pesé le pour et le contre, il opte finalement pour le renoncement à la location : une solution qui ne va pas sans contraintes. Il va falloir vider le pavillon avant de le restituer dans un délai raisonnable qu’il évalue à plusieurs semaines.
Pour plus de commodité, il faudra stocker l’essentiel de son contenu en garde-meuble, mais cela exigera un tri important de toutes sortes d'objets et documents entassés au fil des années. Il va devoir, en particulier, décider de ce qu’il convient de jeter ou de préserver. Des heures de travail en perspective, des jours plutôt.
S'il lui arrive d'hésiter avant de prendre une décision importante, son choix effectué, Lilian revient rarement en arrière. Cette fois encore il en est ainsi. Aussi se met-il dare-dare au travail.
Maman était particulièrement ordonnée. Les documents qu'elle conservait étaient soigneusement classés. Ce besoin d'ordre, qui tournait à la maniaquerie, lui avait souvent valu des taquineries de la part de son fils qui avait, malgré tout, hérité en partie de ces qualités. En la circonstance, cela va lui faciliter la tâche. Il élimine quantité de papiers accumulés au fil des années : quittances de loyer, factures d'eau, de gaz, d'électricité, de téléphone, fiches de paie, documents bancaires, déclarations et avis d'imposition, contrats d'assurance et règlements de cotisations… Il remplit des sacs-poubelle entiers, ne conservant que les éléments les plus récents qu'il juge prudent d’archiver.
Il entreprend aussi de vider le grenier, soupente dans laquelle il s'est rarement aventuré et où sa mère conservait tout un bric-à-brac. Bien des choses accumulées pêle-mêle, entassées dans des cartons ou des caisses, font remonter à la surface des réminiscences de son enfance. Train électrique hors d'usage, automobiles miniatures à la peinture écaillée, peluches borgnes, vieux tricycle, déguisements dépareillés... tout cela réveille des souvenirs anciens, ravive la nostalgie de périodes insouciantes. Il retient quelquefois difficilement ses larmes, se rappelant les jours heureux.
Son attention est attirée par des piles de journaux au papier jauni par le temps, soigneusement rangées et ficelées. La curiosité le pousse à en examiner le contenu. Il y a là des exemplaires de quotidiens tels le Figaro, le Parisien libéré, Libération, France-soir, l'Aurore, ou encore d'hebdomadaires comme le Point, VSD, Paris-Match et quelques autres.
Ils datent de 1981 et évoquent, entre autres, le bouleversement politique que constitua l'arrivée de la gauche au pouvoir suite à l'élection de François Mitterrand. Le jeune journaliste, qu'il est depuis peu, ne peut qu'être intéressé par la relation que la presse faisait de l'événement et par les différentes analyses des chroniqueurs.
Oubliant provisoirement la tâche qu'il s'est assignée, à savoir le tri et l’élimination de tout ce qui est superflu dans le grenier, Lilian se passionne pour la lecture de ces journaux d'autrefois. Il les feuillette avidement, passe de l'un à l'autre, suit les péripéties de l’actualité du printemps 1981.
Si tous ces articles le captivent, il s'étonne que sa mère ait collecté ce type de documents. Elle ne s'intéressait que peu à la politique et il se demande bien ce qui a pu la pousser à conserver toutes ces coupures de journaux.
Il remarque aussi que nombre d'articles ont trait à un fait divers qui semble avoir mobilisé l'opinion. Il concerne la disparition d'une jeune fille de seize ans prénommée Mélanie.
De nombreux titres évoquent cette affaire : « Une jeune fille de seize ans disparaît », « Mélanie n'a plus donné signe de vie depuis plus d'une semaine », « Mélanie : fugue ou enlèvement ? », « Toujours pas la moindre trace de Mélanie », « Disparition de Mélanie : l'enquête piétine » … Lilian plonge dans la lecture de cette affaire comme il le ferait pour un roman policier.
Mercredi 29 avril 1981
Il est un peu plus d'une heure du matin lorsque Jean-Louis arrive à son domicile. La lumière du salon filtre à travers les vitres dépolies de la porte d'entrée. D’habitude, à pareille heure, Éliane, son épouse, est couchée. Il la trouve généralement endormie, parfois occupée à lire. Quelle raison l'a poussée à veiller si tard ?
Il pénètre dans le pavillon. À peine en a-t-il franchi la porte, qu’elle se précipite à sa rencontre.
— Mélanie n'est pas rentrée, lance-t-elle sans même prendre le temps de l’embrasser.
Elle est de toute évidence excitée autant qu'oppressée et rongée par l'inquiétude.
— J'ai tenté de t'appeler à plusieurs reprises, mais je suis tombée chaque fois sur ton répondeur. Tu n'étais pas à ton bureau ?
Jean-Louis a une imperceptible hésitation.
— Si, bien sûr. Tu sais bien que je suis obligé de vérifier que toute la comptabilité est en ordre à cause des polyvalents. Je n'ai pas cessé de bosser. J'avais coupé la sonnerie du téléphone pour être tranquille.
— Je t'ai laissé plusieurs messages.
— Je n'ai pas vérifié le répondeur. À quoi bon ? Je fais cela le matin en arrivant.
Il enchaîne :
— Qu'est-ce qu'il se passe avec Mélanie ?
— Je ne sais pas. Elle n'est pas rentrée après sa journée de cours au lycée. Je ne me suis pas tout de suite inquiétée pensant qu'elle était allée travailler chez Violaine comme elle le fait régulièrement. Vers vingt heures, ne la voyant toujours pas arriver, j'ai commencé à me poser des questions. J'ai appelé les parents de Violaine : elle n'était pas chez eux. Elle n'y est pas allée du tout. Violaine dit qu'elles se sont quittées en sortant du lycée et qu'elle n'a aucune idée de ce que Mélanie a pu faire ensuite.
— Elle commence à sérieusement nous emmerder cette gamine, explose Jean-Louis. Il va falloir qu'elle se mette au pas parce que sa crise d'ado je commence en avoir par-dessus la tête.
L'homme est d'un tempérament sanguin. Il a des réactions brutales, souvent excessives ce qui n’empêche pas que sa fille le rend heureux et fait sa fierté. Il l'a longtemps hissée sur un piédestal, l'a surprotégée, a tissé avec elle des liens de complicité dont la mère était en grande partie exclue. Au moins en fut-il ainsi tant qu'elle était enfant. Avec l'adolescence, la situation s'est sensiblement modifiée. Comme beaucoup de jeunes de son âge, aspirant à s'arracher de l'emprise familiale, elle est progressivement entrée en opposition avec ses parents, sa mère comprise. Seule, la crainte lui a dicté une attitude prudente face à son père, même si, d'évidence, leur relation se pose de plus en plus en rapport de forces. Jean-Louis sent sa fille lui échapper et il le vit mal.
— J'ai appelé chez plusieurs de ses camarades, reprend Éliane, personne ne l'a vue dans la soirée. Je me suis même demandé si je ne devais pas avertir la police, je ne savais que faire.
— Alerter la police ? Je n’ai aucune envie de me couvrir de ridicule pour une gamine qui fait sa crise.
— Si elle a été enlevée ?
— Enlevée ? Par qui ? Pourquoi ? Mademoiselle veut une fois de plus affirmer son indépendance et montrer qu'elle n'en fait qu'à sa mode. Seulement ça ne se passera pas comme ça. Je te jure que je vais y remédier.
— Où a-t-elle pu aller ?
— Est-ce que je sais ? Elle aura trouvé un copain ou une copine pour l'héberger une nuit. Ils sont toujours prêts à se serrer les coudes pour faire des conneries ces ados.
— Elle n'a jamais fugué.
— Ça ne signifie pas qu'elle n'en ait pas eu la tentation. Il y a un début à tout.
L'homme refuse perpétuellement d’envisager le pire. Il se veut pragmatique et entrevoit toujours des solutions, quelles que soient les circonstances.
La quarantaine déjà bien avancée, il a acquis une maturité qui, liée à ses qualités naturelles d'autorité, fait de lui un personnage respecté sinon redouté. Il mesure un peu plus d'un mètre quatre-vingt. Solidement charpenté, mais dépourvu d'embonpoint, il est bel homme. Son visage buriné, sa peau mate, sa chevelure poivre et sel légèrement ondulée, son regard bleu acier, cela, associé à une allure distinguée et une démarche élégante, font de lui un séducteur qui ne se prive pas d'user de ses charmes.
En affaires, il est particulièrement intraitable ce qui lui vaut, il faut bien le reconnaître, quelques inimitiés.
Après s'être forgé une solide expérience dans le domaine commercial, il a créé, il y a une bonne dizaine d'années, sa propre entreprise : une agence immobilière qui, outre l’achat et la vente de biens, gère la location de pavillons et d’appartements et opère comme syndic de copropriétés. L’affaire fonctionne bien et compte une dizaine d’employés.
L'appât du gain et le désir de s'imposer peuvent le conduire à commettre des irrégularités dans des montages financiers, ce qui n’est pas exceptionnel, mais induit des risques en regard de la législation.
Avisé d'un prochain contrôle fiscal, sans céder à la panique, il s'est attelé à faire en sorte de masquer tout ce qui pourrait être contestable ou répréhensible. Il consacre pour cela une part importante de son temps et de son énergie à la vérification des principaux éléments comptables de la société, aux mises à jour nécessaires, à la destruction des documents inutiles ou litigieux, bref son souci : ne pas risquer une sanction financière qui pourrait être lourde de conséquences.
Il organise dans ce but nombre de réunions avec ses collaborateurs et, le soir, travaille tard à son bureau. Il n'est pas rare qu'il rentre bien après minuit. Éliane en a pris l'habitude.
Ce jour-là, elle a attendu son retour avec impatience. La réaction de son mari n’est pas vraiment en mesure de la rassurer, mais au moins l'apaise-t-elle quelque peu. S’il avait raison ? Sa nature inquiète la pousse à se tourmenter même si cela n'est pas toujours justifié. Ne s’est-elle pas trop vite affolée ? Elle veut encore croire que demain matin, en se réveillant, elle aura l'impression de sortir d'un mauvais rêve. Sa fille de retour, elle ne manquera pas de lui exprimer son mécontentement, mais elle le fera en douceur. Elle ne lui cachera pas la soirée d'horreur qu'elle a vécue et à quel point elle a été rongée par l'anxiété. Il ne faudra pas non plus la braquer, l'inciter à la révolte. Derrière son apparente assurance, Mélanie cache une effective fragilité. À ce sujet, Éliane redoute la riposte de Jean-Louis. Il n'est pas toujours diplomate ni pédagogue et il y a lieu de craindre sa réaction. S'il entre dans une de ses terribles colères, cela n'arrangera rien, bien au contraire.
Ils vont se coucher sans autre commentaire. Chacun doit ressasser de son côté, mais ni l'un ni l'autre ne se sent le courage ou l'envie de relancer la discussion. À quoi bon ? Ils sont partagés entre espoir et inquiétude, colère et mansuétude. Tous deux dorment très mal cette nuit-là sans oser se l'avouer. Éliane garde le silence pour ne pas s'effondrer, ne pas se mettre à pleurer et aussi ne pas déclencher une réaction imprévisible de son mari. Lui s'enferme dans le mutisme par orgueil. Il ne veut pas montrer de signe de faiblesse, ne veut pas avouer qu'il est meurtri, qu'il a peur, qu'il redoute, sans trop savoir laquelle, une issue dramatique.
Levés de bonne heure, ils prennent ensemble un café sur la table de la cuisine. L'atmosphère est lourde. Ils éprouvent la sensation de s'être réveillés avec la gueule de bois. Éliane finit par rompre le silence.
— Qu'est-ce qu’on fait ? On ne peut pas rester comme ça les bras croisés.
— À quelle heure a-t-elle cours aujourd'hui ?
— Huit heures.
— Attends huit heures et demie puis téléphone au lycée pour savoir si elle est présente.
— Et si elle ne l'est pas ?
— N'anticipe pas la réponse. Il sera toujours temps d’aviser lorsque nous saurons.
La conversation se limite à ce bref échange.
Plus que jamais le temps s’écoule interminablement. Éliane tente de s'interdire de surveiller l'heure. Elle se fixe une tâche et, tant que celle-ci n’est pas intégralement accomplie, elle ne doit pas regarder l’horloge. Mais l'impatience est la plus forte et elle ne résiste pas à la tentation. Ces maudites aiguilles n'avancent pas. Elles semblent freinées par on ne sait quel caprice de la mécanique.
Jean-Louis, contrairement à son habitude, ne se rend pas, dès qu'il est prêt, à l'agence où, quasi quotidiennement, il arrive le premier. Il appelle sa secrétaire pour l'informer qu'il viendra plus tard dans la matinée sans pour autant fournir d'explication. Il s'enferme dans son bureau afin de se pencher sur quelques dossiers, mais ne parvient guère à fixer son attention.
Au fur et à mesure que l'heure fatidique approche, Éliane est de plus en plus fébrile. À huit heures trente pile, pas une minute de plus, elle téléphonera au lycée... C'est au moins ce qu'elle s'est promis. Elle a posé à côté de l'appareil un post-it sur lequel elle a noté le numéro de l’établissement.
Elle fixe la grande aiguille de la pendule de la cuisine qui semble rivée puis saute brusquement d'un cran après chaque interminable minute.
Huit heures vingt-huit. À quoi bon attendre pour si peu ? Elle compose le numéro.
On lui passe le conseiller principal d'éducation auquel elle explique, sans donner trop de détails, qu'il y a eu un problème à la maison et qu'elle souhaite s'assurer que sa fille est bien présente.
— Je n'ai pas encore les fiches d'appel de toutes les classes. Retéléphonez d'ici un quart d'heure ou, si vous préférez, c’est moi qui le ferai.
— Je rappellerai, décide-t-elle.
Elle n'a pas envie d'attendre des heures pour savoir ce qu'il en est. L'homme a beaucoup d'occupations et elle craint qu'il oublie sa promesse. Elle raccroche. Elle s'est rarement sentie à ce point angoissée. Elle étouffe, a envie de pleurer, mais aucune larme ne vient.
Jean-Louis la rejoint dans la cuisine.
— Tu as appelé le lycée ?
— Ils ne savent pas encore. Je dois rappeler d'ici un quart d'heure.
Elle n'ajoute rien de plus. Il ne pose pas d’autre question.
À peine cinq minutes se sont écoulées que le téléphone sonne. Éliane se précipite.
— Madame Lambert ?... Monsieur Derville, CPE du lycée Marcelin-Berthelot. La fiche d'appel de la classe de première C vient de me parvenir. Votre fille est pointée absente.