La disparue d'Eus - guy raynaud - E-Book

La disparue d'Eus E-Book

Guy Raynaud

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Beschreibung

En mai 2015, dans un village des PO classé "Plus beau village de France", l'homicide d'une étudiante entraîne la commandante Limière dans une enquête longue et difficile. Il lui faudra beaucoup de pragmatisme, d'imagination, de malice et d'audace pour conduire ses investigations. Saura-t-elle résoudre cette énigme semée de péripéties surprenantes ? Toutefois, elle pourra compter sur une aide précieuse et inattendue.

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www.guyraynaud-romanspoliciers.fr

Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre I

Mardi 12 mai 2015

Dans le lancinant tintamarre des rails, Mireille Dubois, assise près d’une fenêtre, les yeux mi-clos, ne parvient pas à trouver le sommeil. Si la température extérieure reste trop élevée, dans le wagon, une douceur agréable enveloppe les usagers.

Responsable de deux agences immobilières à Perpignan, cette femme ambitieuse consacre beaucoup de temps et d’énergie à la réussite de son entreprise. Pas de compagnon, pas d’enfant, pas de distraction sportive ou culturelle, peu d’amies.

Cette vie monacale ne lui semble pourtant pas monotone. Après des études dans la vente et une première expérience de directrice commerciale, elle a trouvé sa voie en appliquant des principes professionnels stricts : beaucoup de diplomatie et d’honnêteté dans la conduite de ses affaires, un brin de fermeté dans ses relations avec les commerciaux et des sourires charmeurs pour la mise en confiance des clients.

À la gare de Toulouse-Matabiau, à demi endormie, elle l’a entrevu s’installer face à elle, plier sa haute silhouette et frôler son genou découvert. Vêtu sobrement d’un jean et d’un tee-shirt, il a d’abord posé ses deux bagages à proximité de son siège.

« Bel homme », se dit-elle.

Lui, les cheveux bruns et courts, présente un visage séduisant, mais ses yeux noirs trahissent de l’inquiétude. D’un œil amusé, il dévisage la passagère devant lui, élégante femme à la belle chevelure rousse, habillée d’une courte robe imprimée de couleur claire. Il remarque ses jambes dorées.

En cet après-midi ensoleillé, par la fenêtre, défilent les vergers fleuris et les plants de vigne. Mais quelle région française ne possède pas de vignoble ?

Par la fente de ses paupières entrouvertes, Mireille Dubois surveille toujours le nouveau venu, avec plus de concupiscence que de philanthropie.

« Et si je testais sa libido ! » imagine-t-elle.

D’un geste qu’elle veut naturel, elle décroise et croise à nouveau ses jambes en remontant sa robe de façon à les découvrir un peu plus. Mais elle a mal calculé son mouvement, exhibant maintenant le haut de ses cuisses hâlées.

Auparavant, elle n’avait jamais utilisé ce stratagème comme moyen de séduction, plus amusant que vulgaire. Peut-être que l’austérité des chiffres entendus durant ces deux jours de stage à Bordeaux avait libéré en elle un regain de légèreté et de fantaisie !

« Non ! Là, c’est trop ! » pense-t-elle.

Derrière ses yeux mi-clos, elle aperçoit, de l’autre côté de l’allée, un retraité qui ajuste ses lunettes de vue. Elle bouge un peu la tête et constate le sourire en coin et les yeux pétillants de son vis-à-vis qui mate durant quelques secondes ses jambes entièrement dénudées.

Puis il se tourne et regarde par la fenêtre.

Plus tard, la passagère fait mine de se réveiller et arrange sa robe.

L’homme semble un peu surpris quand elle engage la conversation. En exorde, des banalités sur la météo et les pics de chaleur enregistrés dans le sud de la France depuis plusieurs jours. Puis, petit à petit, la discussion devient cordiale, et enfin complice entrecoupée de sourires : la glace se brise.

Elle commente le marché de l’immobilier à Perpignan et parle de ses responsabilités grandissantes. Il écoute, relance la conversation de temps en temps et comprend qu’elle vit seule. Pour l’homme, ces confidences sur sa vie personnelle correspondent à des signes de séduction. Toutes ces révélations la trahissent.

De temps en temps, nerveusement, elle remet en place une mèche de sa toison flamboyante.

De son côté, le voyageur est plus secret. Il ne dévoile que son prénom, Arsène, et son intention de prendre quelques jours de repos dans les Pyrénées-Orientales.

Tout à coup, le portable de Mireille Dubois sonne. Elle se lève afin de s’isoler dans l’emplacement des bagages, là où, malheureusement, la sonorité des rails ne facilite pas un dialogue discret. Elle y reste bien quinze minutes.

À son retour, elle descend sa sacoche noire du compartiment à bagages proche d’elle et s’assoit pour prendre quelques notes.

Un peu plus tard, dans l’allée, elle éprouve beaucoup de difficultés à ranger son attaché-case. Mais lever longtemps les deux bras occasionne une remontée de sa robe jusqu’à mi-cuisse. Spectacle émoustillant que le retraité n’aurait manqué pour rien au monde !

Enfin, elle se rassoit.

L’échange amical avec Arsène continue, et il remarque qu’elle ne cesse de le fixer avec insistance. Sur chaque visage, il y a des récepteurs sensoriels où les émotions éclatent au grand jour : ce sont les yeux. Et les siens sont très expressifs.

À côté d’eux, les places restent vacantes ce qui favorise leur tête-à-tête, même si elle devine l’indiscrétion du vieil homme de l’autre côté de l’allée.

Ils poursuivent leur conversation jusqu’à la gare de Perpignan.

§

À Prades, dans la maison de retraite médicalisée Les jours heureux, Catherine Déroute occupe depuis quinze ans la fonction d’infirmière.

Divorcée, elle élève seule sa fille. Son fils aîné a quitté le domicile familial d’Eus à vingt ans.

Aujourd’hui, durant toute la matinée, elle a essayé de joindre Laura. Sans succès. Où peut-elle bien être ?

Sa fille est inscrite à la faculté de droit de Perpignan. Elle ne la voit pas souvent réviser ses cours, pourtant les examens approchent. Mais ce sont surtout ses fréquentations malsaines et son insouciance infantile qui l’inquiètent.

Elle repense à sa séparation avec Jean-Pierre Tranche. Que s’est-il réellement passé entre eux ? C’était un bon parti. Ils avaient pourtant l’air de parfaitement s’entendre.

Catherine Déroute avait compris que le stage de quinze jours chez son futur beau-père ne s’était pas déroulé comme prévu. Les magistrats montrent beaucoup de rigueur dans leur travail et les procédures administratives doivent être scrupuleusement respectées.

L’infirmière connaît le caractère primesautier et dissipé de Laura. Celle-ci ne lui avait pas donné la vraie raison qui l’avait amenée à écourter cette formation pratique.

« Elle a vingt-trois ans, mais elle a encore beaucoup à apprendre », se dit-elle.

Où peut-elle bien être ? Elle a appelé son amie d’enfance Mélanie : aucune nouvelle de Laura depuis six jours.

Des coups sont frappés à la porte de son bureau.

— Entrez !

— Bonjour, Catherine.

— Bonjour, madame Bettenlong.

La pensionnaire soigne toujours son apparence, et son dressing est rempli de vêtements de marque.

La conversation s’engage entre les deux femmes. La résidente, dont l’âge fleurte avec les quatre-vingt-dix printemps et dont la déshérence est connue de tous, vient souvent chercher du réconfort et de l’attention auprès de l’infirmière.

Alors que les autres pensionnaires affichent jalousie et moquerie, les paroles suaves et les sourires indulgents de Catherine Déroute aident Viviane Bettenlong à passer d’agréables moments.

Plus tard, elle la raccompagne jusqu’à sa luxueuse chambre, sous les regards pleins de malveillance de ses voisines.

Mais aujourd’hui, son esprit est ailleurs.

L’absence de sa fille l’angoisse.

§

Je m’appelle Pilou et je suis un chat de hasard de huit ans, doté d’une belle robe rousse tigrée. Je sais que quatre-vingts pour cent de mes congénères roux sont des mâles. Je suis joueur, indépendant et avide de tendresse, même si certains humains me qualifient de « félin de caractère ».

Il y a quelques années, cherchant un lieu de vie confortable et rassurant, mon choix s’est porté sur Germaine, retraitée attentionnée et affectueuse. À Eus, dans sa petite maison située carrer de l’Ajuntement, j’évolue dans une atmosphère paisible et j’apprécie le caractère accommodant de ma maîtresse.

Je connais tous les habitants d’Eus, et ce village n’a plus de secret pour moi : ses petites venelles pavées aux montées abruptes bordées d’habitations serrées les unes contre les autres, ses charmants citoyens trop heureux de vivre dans ce site d’exception, son église Saint-Vincent-du-Haut agrémentée d’un retable du XIIIe siècle, ses layons qui s’éparpillent sur la montagne alentour, sa plaça de la Republic ornée d’un magnifique bougainvillier, et son célèbre et typique restaurant Des goûts et des couleurs. Souvent je viens me frotter aux jambes d’Alexia qui me sert un mets de choix qu’un touriste peu gourmand a laissé dans son assiette.

Faisant partie du décor, les passants ne s’aperçoivent plus de ma présence. Mais moi, je vois tout et suis au courant de tout : les anecdotes locales plus ou moins sérieuses ou amusantes, les relations amoureuses cachées et les petits délits.

Je possède cet instinct naturel qui m’oriente tout de suite vers une personne qui me caressera le dos et m’offrira un morceau de viande.

Ce matin, comme tous les jours, j’ai croisé Mme Thérèse, habillée de noir, qui se dirigeait vers la remarquable église Saint-Vincent-du-Haut. Elle y passera une grande partie de la journée à prier pour son mari décédé l’année dernière.

Le mardi 12 mai, à la recherche de musaraignes ou de souris, je prends de la hauteur et m’installe au soleil sur un muret, proche de la route de Prades, derrière des habitations.

Tout en sommeillant, je surveille deux employés municipaux qui remplissent la benne d’un petit camion. Cette décharge sauvage a été signalée au maire par des habitants.

— Demain matin, nous enlèverons ce tas de terre, ordonne le plus grand.

— D’accord.

— Vois-tu ta copine ce soir ? demande Paulo sèchement.

— Oui, elle m’a invité à l’apéritif.

Depuis quelques mois, Jef fréquente Madison, une anglaise de vingt ans son aînée. Elle aime le bon vin, la bonne chère et apprécie la présence de Jean-François. Paul Sanchez sait comment la soirée se terminera.

Appuyés contre la ridelle, les deux hommes discutent encore un peu, même si Jef ressent encore le comportement ombrageux de son voisin. Puis il conduit le camion au dépôt municipal tandis que Paulo rentre chez lui à pied.

Moi aussi, je me dirige vers la maison de Germaine. Ma maîtresse n’est plus toute jeune, mais elle me gâte avec des caresses et des croquettes. Que demander de plus ?

Je m’arrête carrer del Canigo, regarde à droite, à gauche, et hume les parfums des fleurs du mois de mai.

À Eus, la vie paisible s’écoule. Cette tranquillité me paraît pesante et surprenante. C’est un peu inquiétant !

« Est-ce le calme avant la tempête ? »

Nous, les animaux, nous possédons cette faculté à prédire les événements tragiques. Combien de catastrophes météorologiques ont vu les bêtes fuir les lieux la veille du drame ?

Et nous avons aussi un sens très développé : l’ouïe. Mais je me demande si le mien n’est pas défaillant. Hier, je n’ai pas entendu arriver une voiture et j’ai failli me faire écraser. À moins que les humains aient inventé des véhicules sans moteur thermique ! Et pourquoi pas bientôt des hommes volants ?

Je pense qu’ils ne sont pas assez attentifs à nos habitudes et à notre comportement prémonitoire.

§

Pendant ce temps, dans la célèbre gare de Perpignan si joliment mise en valeur par Salvador Dali, le train en provenance de Bordeaux arrive à destination.

Arsène se lève le premier et tend aimablement une sacoche noire à Mireille Dubois. Elle le remercie.

— Peut-être nous reverrons-nous ? Quelquefois, le hasard s’en mêle ! avance-t-il, énigmatique.

— Pourquoi pas ! répond-elle en osant un large sourire.

Il la regarde s’éloigner dans la file des voyageurs et se rassoit, même s’il est arrivé à destination.

À la descente des usagers de ce wagon, la responsable immobilière croise un couple, et un homme de la sécurité de la SNCF, qui la dévisagent. La femme, la trentaine, élancée, brune aux cheveux courts, est vêtue d’un jean et d’un chemisier. Son voisin, grand et corpulent, doit être âgé d’environ cinquante ans. « On dirait des flics ! » imagine-t-elle.

Puis tous les trois montent dans le wagon.

Tout de suite, la commandante Christelle Limière le repère. Le seul passager restant semble grand. Il est immobile et patiente, comme s’il les attendait.

De son côté, Arsène observe calmement, sans aucune appréhension, les nouveaux venus qui s’approchent.

L’homme de la sécurité l’interpelle :

— Votre billet, s’il vous plaît !

— Voilà.

— Arsène Déroute, lit le préposé. Où sont vos bagages ?

— Là, rétorque le voyageur en montrant une valise métallique bleue et une mallette noire.

— Restez assis ! impose le lieutenant Jacques Louche.

La femme saisit la sacoche et, dans un grand silence, l’ouvre délicatement.

Rien.

Le couple de policiers et l’employé de la SNCF s’étonnent, ouvrent de grands yeux et se dévisagent.

— Vous transportez toujours des bagages vides ? ironise-t-elle.

— Oui. Pourquoi, c’est interdit ?

— Non. Vous allez venir avec nous au commissariat, exige la commandante.

Arsène se lève et les suit.

« Tout se passe comme prévu », pense-t-il.

Une demi-heure plus tard, ses paquetages sont fouillés et passés au microscope. Aucune trace suspecte de drogue ou autres produits illicites n’est détectée, aussi bien dans sa valise que dans son attaché-case.

Christelle Limière n’a pas cru bon de l’interroger. Elle demande au technicien Matthieu Trac de glisser une puce émettrice dans un pli de ses bagages. Il doit être surveillé.

La sacoche vide la surprend. Pourtant, le commissaire de Toulouse qui l’a informée en début d’après-midi paraissait sûr de lui. Elle l’a joint à nouveau tout à l’heure : il était vraiment déçu du résultat de la fouille. Il l’avait pourtant identifié sur les vidéos de surveillance autour de la banque. Il avait dû se tromper.

Sans grief avéré, elle ne peut le garder.

Bien sûr, Matthieu photographie sa carte d’identité et son permis de conduire. Ses derniers appels téléphoniques ont été analysés, mais aucun ne justifie des recherches complémentaires.

Arsène Déroute sort donc libre du commissariat central de Perpignan une heure et demie plus tard. Il regarde sa montre : 20 h 30. Trop tard pour louer un véhicule.

Il se dirige vers un hôtel. Sur son chemin, il passe à proximité de grands containers à déchets. Il y jette sa mallette vide, sachant qu’elle doit contenir un micro ou une puce.

L’homme est prudent.

§

À peu près au même moment, Mireille Dubois pénètre dans son appartement. Fatiguée par ce long voyage en train, elle se laisse tomber sur son canapé.

Avant de dîner, elle souhaite relire ses notes et ouvre sa sacoche noire.

« Oh ! » Elle pousse un cri d’étonnement. Des billets de banque. Son attaché-case est rempli de liasses de cinquante euros, bien rangées.

Un petit mot, écrit d’une main hésitante, apparaît :

« Ne préviens pas la police, sinon je te tue ! »

La bouche et les yeux grands ouverts, la responsable immobilière met plusieurs minutes à réagir. Et ses soupçons se portent sur Arsène, son compagnon de voyage.

Qui d’autre que lui aurait pu profiter d’un instant d’inattention ?

La peur s’installe.

Elle repense à leur conversation. L’homme n’a pas été très loquace sur ses distractions et son métier. Elle songe à ses notes professionnelles ramenées des réunions. Elle signalera le vol de sa mallette.

L’avertissement violent présage une suite délicate. Il voudra probablement reprendre son argent, mais il ne dispose pas de son adresse. Mireille Dubois a tellement parlé d’elle et de sa profession qu’elle se sent en danger.

Que faire ?

Elle passe la nuit à se poser des questions…

Chapitre II

Le mercredi 13 mai 2015, Mireille Dubois arrive à l’agence à 9 heures, horaire habituel d’ouverture. Son assistante remarque tout de suite son air soucieux.

La responsable immobilière a pris une grande décision : elle a décrété… de ne rien faire. Si Arsène est vraiment l’auteur de l’écrit, elle imagine qu’il voulait uniquement lui faire peur afin de récupérer son argent. Elle ne l’a pas senti suffisamment agressif et violent pour mettre sa menace à exécution.

Voleur : peut-être. Meurtrier : sûrement pas.

À peine assise derrière son bureau, la porte s’ouvre. Damien.

Son jeune et beau vendeur compte beaucoup sur son physique avantageux et sur son sourire aguicheur pour convaincre ses clients potentiels et surtout envoûter sa patronne.

De son côté, Mireille devine souvent son regard appuyé sur ses formes. En sa compagnie, le commercial paraît toujours en mode séduction.

Il s’assoit et lui tend aimablement un gobelet de café sans sucre, comme il en a l’habitude. Tout de suite, quelques plis sur le front de sa directrice le surprennent. Il essaie d’en savoir plus, mais elle reste discrète.

Adroitement, il l’invite à dîner ce soir pour effacer cette inquiétude qui semble la ronger. Une fois de plus elle refuse, prétextant qu’il ne faut pas mélanger travail et existence personnelle. Un de ses principes de vie.

Afin de ramener la conversation vers ses objectifs commerciaux, elle le questionne sur son rendez-vous d’hier soir. A-t-il senti le couple de clients convaincu par l’appartement ? Le prix du bien a-t-il fait l’objet de discussion ou de négociation, souvent naissance d’espoir chez le vendeur ?

Non, pas encore.

Il promet de les rappeler ce matin pour les décider, prétextant la présence d’autres clients imaginaires très intéressés. Il réfléchit à la meilleure stratégie à adopter.

Il rejoint son bureau, un peu déçu tout de même.

§

À Eus, vers 9 h 30, la température est déjà agréable. Quelques traces de cirrocumulus apparaissent dans un ciel bleu sans vent. La matinée s’annonce douce.

Sur le muret, route de Prades, je suis allongé, la tête entre mes pattes de devant, et, comme hier, j’observe d’un œil distrait les deux employés municipaux qui s’activent. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai, car c’est toujours le même qui travaille : Jef, le plus petit.

Je remarque son visage fatigué. Il a sûrement éprouvé beaucoup de mal à se lever ce matin. Il a probablement abusé de vin rosé hier soir au domicile de Madison. Et il a dû passer la nuit chez son amie anglaise.

Sur ce chemin de terre longeant les jardins et les potagers de quelques maisons, je le vois manœuvrer la pelleteuse de la commune avec dextérité. Après deux ans d’utilisation, l’engin n’a plus de secret pour cet homme de vingt-cinq ans.

Paulo tourne les talons et se dirige vers sa voiture.

Des personnes sans scrupule ont abandonné de la terre, des végétaux et des bouteilles en plastique contre la séparation en parpaings qui retient cette décharge sauvage. Le tas de détritus s’étale sur six à sept mètres. La déchetterie de Prades n’est pourtant pas très loin.

Derrière le mur, je reconnais l’arrière de la maison de Jean-Pierre Tranche.

À l’aide de la pelleteuse, Jef a presque rempli le camion benne.

Tout à coup, il arrête sa manœuvre, car il a senti une résistance contre le godet de l’engin. Il recule et essaie à nouveau. Même constat. Il descend de son poste de conduite et s’approche par curiosité, laissant le moteur tourner.

Je me redresse sur mes pattes, m’étire longuement en faisant le dos rond, tout en observant la scène, flairant un gros problème.

Le bloc de terre récalcitrant possède une forme allongée. Muni de ses gants, l’employé municipal en décrotte une extrémité et découvre un sac blanc en polypropylène tissé d’où s’échappe une odeur pestilentielle.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? lance-t-il.

Mon odorat, beaucoup plus développé que le sien, a déjà deviné son contenu.

Jef se pince le nez et s’attaque à l’autre extrémité. Sous la terre accumulée, ce qu’il découvre le glace !

Sortant du sac, deux pieds blancs apparaissent.

Il pousse un cri et se recule instinctivement.

Une sensation de vide le submerge. Durant quelques secondes, il ne pense à rien et fixe intensément les orteils terreux aux ongles teintés de rouge. Il déglutit avec difficulté.

Moi aussi, je ne peux détacher mes yeux perçants de cette apparition macabre. Peu curieux et inhibé par cette découverte inattendue, l’employé municipal ne pense pas une seconde à ouvrir davantage le sac.

Derrière lui, Paulo s’avance.

Je l’entends brailler :

— Touche à rien !

Puis il sort son portable et appelle le maire du village.

§

Aux alentours de 10 h 30, au commissariat central de Perpignan, tous les enquêteurs de l’équipe de Roger Croussard sont installés autour de la grande table de réunion : la commandante Christelle Limière, la brigadière major Véra Weber, le lieutenant Jacques Louche et le technicien Matthieu Trac.

Ils travaillent ensemble depuis plusieurs années et forment un groupe uni par du respect et de l’amitié.

En janvier dernier, Véra a accouché d’un petit garçon. Matthieu, le père, a souhaité l’appeler Lucas. Sa sœur Léa est ravie et ne pense qu’à le pouponner. Ils s’étaient tous retrouvés à la maternité, les bras chargés et le sourire aux lèvres. L’équipe s’était soudée un peu plus.

Aujourd’hui, dans le bureau du commissaire, les policiers observent le juge d’instruction Paul Tranche, assis en bout de table, le visage grave et l’air soucieux. Le magistrat a toujours soutenu et aidé les limiers de Roger Croussard.

La commandante comprend que le procureur de la République a demandé l’ouverture d’une information judiciaire, procédure qui le dessaisit automatiquement du dossier au profit d’un juge. Tout ceci est le signe d’une infraction sérieuse, probablement un homicide.

« Il vient nous confier l’affaire », pense-t-elle, dans l’attente de sa déclaration liminaire.

— Ce matin, j’ai reçu un appel du procureur. Le maire d’Eus l’a prévenu de la découverte d’un sac par les employés de sa mairie, contenant le corps d’une femme. Je vais vous délivrer une commission rogatoire afin de vous autoriser à entreprendre tous les actes nécessaires à vos investigations. J’ai pris l’initiative de prévenir la scientifique et le médecin légiste, qui seront sur place vers 14 heures. Comme d’habitude, ils vous attendront pour commencer leur travail. Les gendarmes de Prades ont « gelé » la scène de crime. Je propose que l’on se retrouve là-bas en début d’après-midi.

— Commandante ? questionne Roger Croussard en se tournant vers son adjointe.

— Nous irons tous les trois. Matthieu restera ici afin de nous informer s’il y a des recherches à effectuer.

— Vous connaissez les médias. Pas d’indiscrétion ! avertit le commissaire.

Le juge d’instruction Tranche se lève, comme pour signifier la fin de la réunion.

Les policiers se dévisagent. Tous savent que la journée sera longue.

§

Ce même jour, vers 13 h 30, Catherine Déroute, après plusieurs appels sur le portable de sa fille Laura restés sans réponse, se décide enfin et se déplace à la gendarmerie de Prades pour signaler sa disparition.

À peine entrée dans le bâtiment, elle constate une ambiance étrange et une grande effervescence : des femmes et des hommes s’entretiennent à voix basse. Ces conciliabules l’inquiètent.

Quand elle apprend la découverte funèbre d’Eus, elle s’effondre sur une chaise et, la tête dans les mains, pleure. Attentif à la scène, un gendarme lui conseille de se rendre sur place.

§

De la route nationale 116, Christelle Limière remarque sur sa droite ce majestueux village dressé sur une butte. En son centre, tel un décor de carte postale, l’Église Saint-Vincent-du-Haut s’élance et capte tous les regards.

À Eus, route de Prades, la commandante a apprécié la présence d’un gendarme pour les guider jusqu’au lieu du drame.

Le couple de techniciens de la scientifique, vêtu d’une combinaison blanche, le médecin légiste et le juge d’instruction Tranche attendent leur arrivée, derrière le cordon de rubalise.

Quelques correspondants locaux et journalistes sont déjà à pied d’œuvre. Les informations circulent vite. Des habitantes d’Eus vivant à proximité, attirées par tous ces va-et-vient, forment un petit groupe à l’écart.

Ensemble, les intervenants passent sous le ruban et marchent vers un long sac blanc partiellement couvert de terre, d’où s’échappent deux pieds qui attirent les regards et les objectifs.

Des femmes trop curieuses s’avancent et sont repoussées par les gendarmes.

Sur un muret surplombant les lieux, un chat tabby, assis sur son train arrière, observe la scène. L’animal roux est peut-être le seul à avoir vu l’assassin.

Se bouchant le nez, le thérapeute et le technicien s’accroupissent. L’homme en blanc ouvre délicatement le contenant pendant que quelques crépitements de photos s’entendent, faisant fi de la gravité de l’instant. Secondes poignantes pendant lesquelles les protagonistes retiennent leur souffle.

Le visage cendreux d’une belle jeune fille apparaît : longs cheveux blonds et lèvres pulpeuses.

Derrière le ruban protecteur, le cri d’une personne rompt le silence. Christelle Limière murmure quelques mots à l’oreille de sa voisine et la brigadière major se dirige vers une femme d’un certain âge en pleurs, soutenue par deux amies.

Pendant ce temps, le légiste, ganté lui aussi, tâte le cou de la victime et se redresse.

— Apparemment, elle a subi une torsion du cou qui a brisé ses cervicales.

— À quand remonte la mort ?

La commandante avait devancé Paul Tranche : elle voulait lui montrer qu’elle était la seule responsable de l’enquête. Jacques Louche grimace : il connaît le caractère affirmé de sa supérieure.

— À première vue, entre un et trois jours. Je vous préciserai le jour exact et l’heure approximative lors de l’autopsie, à laquelle vous êtes bien sûr invités.

Puis, s’adressant au technicien de la scientifique, la policière conseille :

— Relevez les empreintes sur ses habits et sur le sac blanc, ainsi que les traces ADN ! Nous vérifierons si elles « matchent » avec celles du fichier national.

— Bien sûr.

La femme en blanc prend des photographies du corps dans son linceul, et son collègue inspecte les lieux à proximité.

Véra Weber revient vers sa responsable :

— Elle s’appelle Laura Déroute, vingt-trois ans, étudiante en droit à Perpignan et elle habitait avec sa mère à Eus.

— Je la connais, avoue le juge d’instruction.

— Ah ! émet Christelle Limière, qui note que l’homme ne s’était pas manifesté plus tôt, à l’apparition du visage de la victime.

— Laura a fait un stage dans mon service en mars 2014.

— Ah !

— Elle… elle a été l’amie de mon fils Jean-Pierre.

— Qui habite ?

— Là ! désigne l’homme en montrant le jardin qui jouxte la scène de crime.

Les policiers s’observent : voilà qui va compliquer l’enquête.

Paul Tranche regarde ses chaussures :

— Je vais demander au procureur de me dessaisir de l’affaire.

La commandante comprend sa position délicate. Elle apprécie le magistrat, son objectivité face aux éléments à charge et à décharge, son indépendance devant le caractère contradictoire des instructions et la reconnaissance de son travail. Elle le regrette déjà.

Il serait trop impliqué dans l’enquête pour montrer une indispensable neutralité.

Un gendarme tapote sur l’épaule de Christelle Limière :

— Le maire d’Eus veut vous voir.

— J’arrive, mais il faut d’abord que je parle à la mère de la victime.

Sa conversation avec Catherine Déroute sera courte et pénible.

Après ses sincères condoléances, l’enquêtrice lui fixe un rendez-vous demain matin aux alentours de 9 heures chez elle. La commandante pourra ainsi connaître l’environnement dans lequel vivait Laura. Elle note son adresse.

Puis elle se dirige vers M. le maire d’Eus, qui lui demande beaucoup de discrétion. Il lui promet de l’aider si elle le souhaite. De son côté, elle lui propose une rencontre le lendemain en fin de matinée, en compagnie des deux employés municipaux qui ont découvert le corps. L’élu rejoint sa voiture la tête basse. Lui aussi connaissait l’étudiante.

Le couple de la scientifique continue leurs investigations pendant que Catherine Déroute, un mouchoir devant la bouche, prend la direction de la maison de retraite afin de prévenir son employeur du malheur qui la frappe.

Le juge d’instruction Tranche, le regard dans le vague, salue les enquêteurs et monte dans sa voiture.

Sur le muret, le chat roux fait le dos rond et s’étire avant de se diriger vers la maison de sa maîtresse.

Pilou avait raison : un drame est arrivé.

Progressivement, le secteur retrouve son calme. Mais ce soir et durant les jours à venir, les ragots occuperont les conversations dans les foyers d’Eus et des environs. La mort violente de Laura Déroute incitera ses habitants à fermer à double tour la porte de leur demeure. La peur va s’installer dans ce petit village d’habitude si tranquille et, la nuit venue, les venelles seront désertes.

La commandante observe les alentours. Elle ne voit pas d’éclairage municipal à cet endroit. Derrière le muret, elle aperçoit la demeure de Jean-Pierre Tranche, grand bâtiment à un étage. À côté, une maison basse la côtoie. Longeant les jardins à l’arrière de ces habitations, après le dégagement où le corps a été découvert, un chemin entouré de feuillage semble descendre vers une route. Elle pense le suivre mais se ravise. Il y a plus urgent.

Machinalement, elle regarde sa montre : 15 h 25. Elle décide de rentrer au commissariat.

En voiture, elle réfléchit à ce début d’enquête.

« Les cervicales brisées », avait conclu le légiste. La victime était étudiante. Elle était jeune et belle et habitait Eus. C’est à peu près tout ce qu’elle avait appris.

S’appuyant sur son entourage, elle devra reconstituer l’emploi du temps de Laura le jour de sa mort, rencontrer ses amis et ses relations moins proches, découvrir ses centres d’intérêt. Demain, la fouille de sa chambre lui apportera probablement quelques informations sur sa personnalité et ses occupations.

Elle comprend aussi qu’elle devra répondre à une question qui l’obsède : est-ce un hasard si elle a été retrouvée derrière la maison de son ex-compagnon ? Ou est-ce pour orienter volontairement les soupçons vers le fils du juge Tranche ?

Elle sait qu’une enquête commence réellement lorsque les rapports de la scientifique et du légiste sont portés à la connaissance des enquêteurs.

Tout à coup, son portable sonne. Émilie.

Elle a dû apprendre l’homicide et vient se renseigner. En voiture, en compagnie de Véra Weber et Jacques Louche, difficile d’engager une conversation !

— Je t’appellerai ce soir, bises.

Dans son rétroviseur, elle constate le sourire du lieutenant, qui connaît sa relation avec la journaliste.

§

Mireille Dubois quitte son agence vers 18 h 30. Toute la journée, elle n’a cessé de se poser des questions : est-ce que j’ai fait le bon choix ? Le petit mot de menace, est-il d’Arsène ? Est-ce son argent personnel ou est-il un voleur ?

Mettre autant de billets de banque dans une mallette n’est pas courant ! Elle se rend compte que, sous l’effet de la surprise, elle n’a même pas évalué la somme.

Après avoir déposé des dossiers cartonnés à son appartement, elle saisit un sac et sort de sa résidence afin d’effectuer quelques achats dans une supérette à proximité.

Une heure plus tard, perdue dans ses pensées, elle pousse la porte d’entrée de son logement.

Elle a à peine le temps de la refermer qu’elle est plaquée contre la cloison du couloir et qu’une main puissante contre sa bouche l’empêche de crier. Arsène.

Interloquée, les yeux grands ouverts de surprise, elle lâche son sac de provisions. La rapidité de l’agression la surprend. Elle ne connaît pas bien l’homme, et ses intentions lui échappent encore.

Il est collé contre son corps, leurs visages à quelques centimètres l’un de l’autre. Il ne porte pas d’arme. Moment angoissant dans un silence oppressant.

Arsène devine que, progressivement, la respiration de Mireille est de moins en moins saccadée et il ne laisse que son index sur sa bouche. L’intention de la femme n’était pas de hurler. S’il avait voulu être violent, il l’aurait déjà été.

Elle entend : « Chut. »

Le doigt de l’intrus descend jusqu’à son menton qu’il caresse. Il sourit.

Elle remarque ses yeux brillants, et la bouche d’Arsène s’approche de la sienne. Surprise, elle tourne légèrement la tête, pas suffisamment pour éviter le baiser de l’homme aux commissures de ses lèvres. Elle sait qu’elle ne va pas résister longtemps. Peut-être qu’inconsciemment, elle attendait ce moment.

La main gauche de Mireille tire ses cheveux et éloigne un peu le visage de son agresseur. Le couple s’observe durant quelques secondes.