L'énigme de la Plage de l'Art - Guy Raynaud - E-Book

L'énigme de la Plage de l'Art E-Book

Guy Raynaud

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11 juin 2012 – Saint-Cyprien « La Plage de l’Art » « Au-dessus de l’armoire métallique que le policier connaissait déjà, un grand morceau de polystyrène souple est descendu avec précaution. Il est étalé sur le carrelage du garage. Dans la pénombre de la pièce, le couple d’enquêteurs observe avec appréhension le spécialiste de la scientifique qui déplie lentement et consciencieusement le revêtement plastifié. Personne ne parle. Tous retiennent leur souffle. — M... ! Pourtant plus expérimenté, le lieutenant n’a pu se retenir. Christelle Limière déglutit avec difficulté. Une vague de frissons parcourt sa colonne vertébrale, donnant naissance à un début de tremblement. Elle en est sûre : cette sordide affaire fera la " une " des journaux régionaux. »

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Mes plus sincères remerciements à Lauraline L., Gilou G., et Bernard A., ainsi qu’à Loïc Le Marrec (Rankiland) pour leur aide précieuse.

Sommaire

Prologue

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Épilogue

Prologue

Dans ce quartier prisé de Saint-Cyprien Plage, les réfugiés possèdent tout de même de bien belles maisons !

Non, pas ces familles de réfugiés, baluchon sur l’épaule, qui fuient une guerre ou une dictature ! Mais plutôt ces couples d’exilés en retraite qui délaissent les villes surpeuplées du nord de la France, embrumées par un climat humide et maussade, pour un agréable souffle marin qui leur apporte santé et longévité.

Le lundi 11 juin 2012, en milieu d’après-midi, les premiers touristes allongés sur le sable de la Plage de l’Art profitent déjà de la douceur de la température et du soleil radieux.

Mais aujourd’hui, une activité surprenante trouble ce secteur recherché qui accueille beaucoup de voitures garées sur les trottoirs ; elles encombrent une petite rue et gênent la circulation. Les riverains n’iront pas se plaindre. Ils préfèrent se cacher derrière les rideaux de leur fenêtre.

Deux gendarmes repoussent quelques badauds téméraires s’approchant trop près du cordon de Rubalise.

D’habitude si calme, cette voie de circulation montre une grande animation : des personnages, habillés de blanc de la tête aux pieds, transportent des cartons et explorent consciencieusement le jardinet sur le côté d’une maison dont tous les volets resteront fermés.

Devant l’habitation, une camionnette expose fièrement son logo : « Police technique et scientifique ».

À l’intérieur, règne une atmosphère bien étrange dans ce demi-jour angoissant. Des techniciens circulent et se croisent en murmurant à voix basse. Dans les ténèbres d’une salle de bains, une femme en jean, aux courts cheveux bruns, gantée, est appelée par un homme :

— Regardez, capitaine !

— Oh !

Les yeux exorbités, elle ne peut retenir son étonnement : la luminescence du produit présente de larges traces de sang dans la baignoire et le « luminol matche », comme ils disent. Des taches bleutées maculent l’ensemble du sanitaire, comme un firmament à portée de main. Le ciel vient de lui tomber sur la tête.

Plus tard, les techniciens signalent des marques de couleur qui s’étirent du carrelage de la salle de bains jusqu’à celui du garage, en passant par le couloir. Elles s’arrêtent à l’arrière de la voiture.

Dans l’obscurité des pièces, cette traînée couleur azur ressemble aux empreintes laissées par le passage d’une créature surnaturelle sortie d’un film fantastique. Malheureusement, nous sommes bien dans la réalité !

La propriétaire, comme étrangère à ce qui se passe autour d’elle, regarde, éberluée, tout ce remue-ménage dans sa maison. La bouche et les yeux grands ouverts, elle s’étonne et ne comprend pas. Elle semble perdue, son regard à mille lieues du présent.

Son esprit s’enlise dans un questionnement sans fin.

Le coffre du véhicule est ouvert. Une nappe de couleur sombre souille la moquette.

— Fouillez le garage ! ordonne la policière.

La voix est cassée, abîmée par le trouble de cette trouvaille surprenante et macabre.

Un lieutenant participe à l’opération. Ils ne mettront que cinq minutes pour trouver ce qu’ils cherchent. Ou plutôt ce qu’ils ne s’attendaient pas à découvrir !

Du dessus de l’armoire métallique que le policier connaissait déjà, un grand morceau de polystyrène souple est descendu avec précaution. Il est étalé sur le carrelage du garage.

Dans la pénombre de la pièce, le couple d’enquêteurs observe avec appréhension le spécialiste de la scientifique qui déplie lentement et consciencieusement le revêtement plastifié.

Personne ne parle. Tous retiennent leur souffle.

— M … !

Pourtant plus expérimenté, le lieutenant n’a pu se retenir.

La capitaine déglutit avec difficulté. Une vague de frissons parcourt sa colonne vertébrale, donnant naissance à un début de tremblement.

Elle en est sûre : cette sordide affaire fera la Une des journaux régionaux.

Chapitre I

Cette semaine à Toulouse avait été plus bénéfique qu’agréable. Chez Michel, les deux sœurs Huguette et Germaine avaient profité des petits-enfants de cette dernière. Toute la famille avait d’ailleurs projeté de venir quelques jours cet été sur la Plage de l’Art.

Une météo clémente les avait accompagnés dans la Ville Rose durant cette escapade, contrairement aux régions du nord de la France, beaucoup trop arrosées. Ce séjour aurait pu être plus chaleureux et convivial si le caractère difficile, voire acariâtre d’Huguette, n’avait pas contrarié quelques soirées familiales enjouées. Les mômes l’avaient senti et ils s’étaient tournés vers leur grand-mère.

Depuis l’accident, elle était devenue irritable et méchante. Et la façon dont elle traitait son mari scandalisait son entourage.

De son côté, Georges était ravi de se retrouver seul à la maison. Les vacances, elles étaient surtout pour lui !

Le vendredi 8 juin 2012, dans la voiture qui les ramène à Saint-Cyprien, la passagère téléphone à son mari pour la préparation du dîner. Elle n’obtient que son répondeur, mais elle s’en doutait un peu :

— Cuisine-nous un bon repas, Jojo ! Pas comme l’autre dimanche où le poulet était trop cuit ! Bouge-toi le popotin, fainéant ! Et j’espère que la maison sera impeccable. N’oublie pas de laver le carrelage de la cuisine !

Elle appuie sur une touche de son portable et part dans un grand éclat de rire. Puis elle se calme, mais un rictus mystérieux continue de déformer sa bouche.

Proche d’elle, la conductrice ne sourit pas. En arrivant à Narbonne, Germaine fait une remarque sur son comportement menaçant et agressif. Huguette répond par un haussement d’épaules :

— De toute façon, tu le sais, cette maison, c’est la mienne ! S’il n’est pas content, il peut partir !

Comment peut-on traiter son mari de la sorte ?

Germaine est la plus âgée, mais elle paraît en bien meilleure santé. Depuis la mort de son mari, il y a cinq ans, elle s’est inscrite à une association de marche et à des cours de gymnastique. Le sport et la fréquentation assidue de la médiathèque municipale de Rivesaltes semblent être ses deux principales occupations.

À Toulouse, pendant que Germaine dévorait un roman dans leur chambre, Huguette passait son temps devant le petit écran, regardant des séries américaines « à l’eau de rose » dans lesquelles elle citait les noms et les prénoms de tous les personnages. Elle connaissait l’histoire sentimentale de chacun.

Depuis longtemps, Germaine avait compris que sa sœur « portait la culotte » dans le couple. Sous les ordres de sa femme, le pauvre Georges s’activait tous les matins : les courses à la supérette, le repassage et l’aspirateur qu’il utilisait trop souvent ; il faisait même la cuisine quand elle regardait une série télévisée dans laquelle les dialogues manifestaient une naïveté déroutante.

Au moins une fois par semaine, il l’amenait chez le médecin : mal aux jambes, mal au dos et bien d’autres contrariétés qui l’obligeaient à rester assise dans un fauteuil l’hiver, devant le petit écran bien sûr, ou allongée sur le sable l’été.

Heureusement, les après-midi, Georges partait se détendre à la Pétanque maritime, et il en avait bien besoin. Son ami Louison lui répétait souvent :

— T’es trop bon, Jojo !

Saint-Cyprien Plage est en vue et Germaine gare sa voiture devant la maison d’Huguette. Celle-ci appuie longuement sur la sonnette du petit pavillon afin que son mari se charge des bagages.

Mais deux minutes plus tard, personne n’arrive !

— Qu’est-ce qu’il fait, ce con ? crie-t-elle.

Des rideaux s’écartent aux fenêtres alentour : cela faisait longtemps que ses voisins ne s’étonnaient plus de ses écarts de langage !

Derrière la sienne, Jean-Pierre Bulot affiche un sourire de circonstance.

Contrariée, Huguette secoue la tête et sort ses clés. Les deux femmes pénètrent dans le petit jardin, puis dans l’habitation.

Pas de Georges ! Aucun mot sur la table de la cuisine ! Pourtant, la Scénic est bien là.

— Il a dû s’absenter en urgence pour dépanner un copain ou un voisin, émet Huguette.

— Je préfère ne pas rentrer tout de suite à Rivesaltes et attendre son retour.

— Reste dîner ! Je vais faire une omelette.

Germaine pense de nouveau à Georges.

À écouter sa femme, il n’a que des défauts. Pourtant il possède quelques qualités et l’une d’elles est très appréciée de ses relations : le bricolage. C’est un réparateur de génie : les moteurs des voitures, les machines à laver et les réfrigérateurs américains n’ont pas de secret pour lui. Et toujours avec un grand sourire.

Quand un dépanneur professionnel conseillait le renouvellement du matériel, Jojo le restaurait en un tour de main.

Combien de fois s’était-il précipité chez des amis pour les dépanner ? Un lave-vaisselle qui fuit ou un compteur électrique qui saute au domicile d’un voisin, Georges avait toujours une solution.

Il n’était pas meilleur technicien qu’un autre, mais il possédait cette patience et cette logique que beaucoup lui enviaient. Il était doté d’un incomparable pragmatisme raisonné qui résolvait toutes les pannes et tous les incidents.

Plus tard, dans la cuisine, les deux sœurs se restaurent. La propriétaire ne parle pas ; elle bougonne.

À 20 h 30, l’homme n’est toujours pas rentré.

Au dessert, Germaine montre une certaine lassitude et, ne voulant pas laisser Huguette seule, elle lui demande si elle peut passer la nuit chez elle.

La chambre d’amis est préparée.

L’invitée veillera une partie de la soirée à se poser des questions.

§

Après ce pénible et interminable travail sur le terrain, l’homme se précipite dans le local occupé par une photocopieuse, une machine à café et surtout une fontaine à eau.

Grand sportif, il y vient au moins dix fois par jour.

Son bras appuyé sur le haut de l’appareil, le polo Lacoste a involontairement découvert des abdominaux magnifiquement dessinés. Depuis plus de douze ans, pratiquement tous les jours, il fréquente assidûment les salles de musculation. Là où ces « sectateurs du muscle » façonnent leur silhouette en transpirant à grosses gouttes !

Cette fois, elle l’a suivi jusqu’ici et il ne l’a pas entendue entrer dans cette pièce de détente.

Elle murmure quelques mots d’admiration devant une telle sculpture d’athlète. Il a conscience que ces éloges ne sont que des signes de séduction.

Selon son habitude, elle s’approche un peu trop près de lui, à le toucher. Le contact de sa cuisse et les paroles plaisantes : elle continue ses approches répétées et ses attaques inconvenantes à caractère sexuel.

Quand elle se penche pour attraper un gobelet, il remarque le premier bouton dégrafé de sa robe légère laissant apparaître un soutien-gorge pigeonnant noir et son contenu. Son geste, très bien étudié, avait été exécuté d’une manière lente, comme un ralenti de télévision.

Plus bas, il aperçoit les deux derniers boutons défaits de sa robe montrant des jambes dorées. Ce matin, elle n’avait pas cette tenue aguicheuse. Les yeux de l’homme s’étonnent tant ces tentatives de harcèlement sont de plus en plus fréquentes et gênantes, car il s’agit tout de même de sa supérieure.

Il avait rejoint le service depuis quelques mois. Les regards langoureux et les sourires forcés de sa collègue ne lui avaient pas échappé. Ses confrères avaient avoué qu’il avait beaucoup de chance de s’attirer les égards de la responsable du service.

« C’est bon pour ton avancement ! » avaient-ils lancé.

Il ne voyait pas les choses ainsi et ces pressions sexuelles qu’elle lui imposait tous les jours le perturbaient. Tous ces appas dévoilés et ces propos dithyrambiques ne lui convenaient pas : il n’était pas un produit de consommation.

À son bureau, lors de leur premier entretien, il avait peut-être trop insisté sur son ambition personnelle, son désir de briguer un poste à responsabilités : elle avait saisi cette occasion pour poser quelques conditions.

Il voyait bien qu’elle se comportait différemment avec les autres hommes du service, mais ils étaient tous mariés et plus âgés.

Avait-il montré un comportement trop souriant ou trop familier ? Non, il avait toujours été le même, naturel et plaisant, sans excès.

Dans un contexte différent, cette approche l’aurait fait sourire, ou peut-être ravi. Mais là, face à cette femme qui devait le juger et le noter dans ses missions, il était dépourvu de solution.

Il avait appris qu’elle avait seize ans de plus que lui ; même si une longue chevelure brune et un maquillage prononcé la rajeunissaient, quelques kilos en trop, des ridules au coin des yeux et des cernes qu’elle essayait de masquer la ramenaient à la réalité du temps qui passe.

§

À Saint-Cyprien Plage, derrière sa fenêtre de cuisine, Jean-Pierre Bulot avait assisté à l’arrivée des deux retraitées.

Pour leur semaine à Toulouse chez le fiston, il savait. Pour les mauvais traitements qu’elle imposait tous les jours à son mari, il savait aussi. Georges le méritait.

Toutes les commères alentour le tenaient régulièrement informé de la vie des habitants du quartier, et de celle des Ménard en particulier.

Ce n’est pas à lui qu’une femme aurait fait ça ! Il en avait maté plus d’une !

Jean-Pierre Bulot n’avait pas beaucoup de considération pour son vis-à-vis : pas de remerciement les rares fois où il avait eu besoin de ses talents de réparateur, même pas l’offrande d’une boisson fraîche l’été ou d’un café l’hiver !

Par contre, il n’y a pas si longtemps, il lui avait montré les dégâts occasionnés par sa négligence. Comment a-t-il pu oublier cette clé à molette dans son lave-linge ? Et forcément, à grande vitesse, le tambour n’avait pas résisté.

— Je n’ai pas fait exprès, avait lancé le responsable d’un ton résigné. Je vais te réparer ça !

La violence du retraité solitaire était connue dans tout le quartier, mais Georges fut tout de même surpris quand l’homme l’empoigna par le col de sa chemisette :

— Il faut m’en acheter un neuf ! T’as compris, Jojo ?

— Mais, ton lave-linge a plus de quinze ans !

— Ça, ce n’est pas ton problème ! Je t’ai fait venir pour une réparation, pas pour que tu casses ma machine à laver.

Il avait lâché le réparateur qui secouait la tête :

— Après le frigo américain que j’ai réparé, tu me ferais payer mon oubli ?

— Bien sûr, Jojo, tu vas m’en acheter un tout neuf. Et regarde bien le modèle, je veux le même fabricant ! Si tu ne viens pas m’apporter l’argent, j’irai le chercher moi-même et je ne viendrai pas les mains vides, crois-moi ! avait-il lancé sur un ton agressif.

« Les faibles, ils sont là pour payer ! » pensait-il.

Le pauvre Georges avait secoué la tête et avait tourné les talons sous les menaces de son voisin hargneux et violent :

— T’as compris, Jojo ! Nous nous reverrons bientôt !

Chapitre II

Le lendemain matin, devant leur bol de café, les deux sœurs s’inquiètent.

Elles décident de signaler la disparition de Georges à la gendarmerie de Saint-Cyprien Village. Dans sa voiture, Germaine emmène Huguette.

Là, un adjudant leur indique le « service des personnes disparues » du commissariat de Perpignan.

Elles s’y rendent.

§

Ce samedi matin, la capitaine Christelle Limière est de service. À son bureau, elle se remémore sa difficile enquête de l’année dernière1.

Séduisante femme aux courts cheveux bruns, âgée de 30 ans, la policière n’avait jamais rencontré une affaire aussi complexe et insolite. Elle avait même payé de sa personne.

Toutefois, une satisfaction intime avait égayé ses investigations : sa rencontre avec Émilie Ingrat, journaliste à L’Indépendant.

Malgré leur profession si prenante et si enrichissante, les deux femmes passaient beaucoup de temps ensemble. Elles partageaient aussi des loisirs et des distractions communes, comme les séances de natation, à la piscine de Canet-en-Roussillon l’hiver ou à la mer l’été.

Beaucoup de discrétion entourait leur relation, mais elles savaient que tôt ou tard, leurs sentiments apparaîtraient au grand jour.

La maman de l’enquêtrice, si proche d’elle, avait deviné une liaison brûlante :

« Alors, quand nous présentes-tu ce garçon ? »

La question avait un peu refroidi la jeune femme qui n’avait pas osé ouvrir son cœur.

De temps en temps, elle communiquait des informations précieuses à la chroniqueuse, qui n’en abusait pas.

Elle l’avait initiée à la morphopsychologie, cette science qui consiste à deviner le caractère et la psychologie d’une personne par les seuls traits de son visage. L’étude est complexe et se poursuit bien au-delà des deux catégories que sont les « dilatés » et les « rétractés ». Beaucoup d’autres éléments doivent être pris en compte.

Au commissariat, avant d’entendre un suspect, Christelle Limière prenait une photographie de son visage afin de mieux appréhender ses aspirations et ses tendances. Bien sûr, cet acquis ne lui permettait pas de découvrir le coupable d’un crime, mais il confirmait ses soupçons ou venait troubler ses suppositions. Évidemment, elle tenait toujours compte d’un point capital à ses yeux : chaque individu comporte sa part de mystère.

Sous ses ordres, le lieutenant Jacques Louche, homme d’expérience et de respect, lui donne entière satisfaction. Depuis l’arrivée de la jeune femme en terre catalane en janvier 2011, ils entretiennent une excellente relation professionnelle. De vingt ans son aîné, d’une corpulence bien au-dessus de la moyenne, l’homme appartient à la vieille école : de la provocation et de la violence contenue dans ses interrogatoires, des propos menaçants afin de déstabiliser les suspects, mais beaucoup de considération pour sa hiérarchie et une application stricte des consignes. Fort de son expérience et de sa stature, il joue aussi un rôle de protecteur.

Le samedi 9 juin 2012, au commissariat de Perpignan, Christelle Limière reçoit un appel interne. Le gardien à l’accueil signale que deux femmes souhaitent déclarer une disparition inquiétante.

En l’absence de Véra Weber, nommée depuis peu responsable du service des personnes disparues, elle décide de la remplacer et les accueille à son bureau.

La capitaine demande leur carte d’identité aux deux plaignantes âgées assises en face d’elle et prend le temps de les observer.

Puis elle active son magnétophone et présente la séance.

— Quel est votre lien de parenté ?

— Nous sommes sœurs.

— Je vous écoute.

Huguette Ménard, petite femme à l’accoutrement triste, aux cheveux grisâtres et au corps rond, prend la parole. Le bâti de son visage fermé montre un modelé aux formes anguleuses. Ses lèvres pincées et ses petits yeux gris lui donnent une sévérité manifeste. L’enquêtrice la classe dans la catégorie des rétractées.

Elle explique la disparition de son mari Georges, absent à leur retour de quelques jours à Toulouse chez Michel, le fils de Germaine.

— Donc la dernière fois que vous l’avez vu, c’était le jour de votre départ ?

— Oui, le lundi 4 juin.

— Quand l’avez-vous eu au téléphone pour la dernière fois ?

— Je l’ai appelé sur le chemin du retour, mais il n’a pas répondu.

— Et durant la semaine ?

— Je ne lui ai pas téléphoné de la semaine.

— Ah !

La réponse surprend la policière. À côté, sa sœur fait la moue.

— Est-il dépressif ou a-t-il des ennuis de santé ?

— Non.

— Vous vous entendez bien ?

— Oui.

Christelle Limière discerne une grimace sur le visage de Germaine et enregistre qu’elle devra approfondir ce sujet.

Elle souhaite en savoir davantage sur le disparu :

— Parlez-moi de Georges ! Que fait-il de ses journées ?

— Le matin, il va à la supérette. Il s’occupe un peu à la maison et bricole dans le garage ou chez des amis.

L’enquêtrice écrit quelques mots sur son carnet et, proche de la locution « occupation de la matinée », elle dessine un gros point d’interrogation.

— Et l’après-midi ?

— Il joue aux boules à la Pétanque maritime.

— Tous les jours ?

— Oui, pratiquement.

Une visite à cette association s’impose. Elle demande l’adresse de ce club et le nom de ses partenaires habituels ; le surnom de Louison lui est communiqué.

— Je vous ai apporté deux photos, lance Huguette en les tendant à la jeune femme.

Sur la première, l’homme apparaît en pied. Il semble plutôt svelte, voire frêle, la soixantaine. Il paraît raide et contracté face à l’objectif.

Sur l’autre cliché, pris de plus près, le visage de Georges Ménard montre des petits yeux mi-clos derrière des lunettes de vue et une bouche sans lèvres. De courts cheveux encore bruns et le trait d’une fine moustache sous le nez accentuent la maigreur de son visage.

La capitaine en est sûre : le disparu est aussi un rétracté.

Sans demander l’accord d’Huguette, elle place les photos dans son dossier. Elle consulte ses écrits :

— Vous m’avez dit tout à l’heure « qu’il faisait les courses le matin et s’occupait à la maison ». Et vous, que faites-vous ?

— Je ne peux pas l’accompagner car j’ai des douleurs dans le dos.

Christelle Limière se souvient des paroles de son médecin : « s’il y a des souffrances que l’on ne peut jamais vérifier, c’est au dos ! »

— Vous suivez un traitement ?

— Je vais en cure deux fois par an pour me soulager, répond-elle tristement.

— Les trajets en voiture ne vous sont pas interdits ?

— Non.

Elle éprouve des doutes sur ces douleurs et un sourire sur le visage de Germaine confirme son questionnement.

— Vous êtes sûre qu’il n’avait pas une compétition de pétanque, ce week-end ?

— Non, il me l’aurait dit.

— De la famille ou des amis chez qui il aurait pu se rendre ?

— Non, je ne crois pas.

La capitaine sort son portable et fait une photo du visage d’Huguette.

— C’est pour notre dossier. Nous allons attendre jusqu’à lundi matin. Téléphonez tout de même à votre entourage ! S’il n’est pas rentré à 8 h, appelez-moi à ce numéro ! propose-t-elle en lui présentant une carte.

Les deux retraitées quittent le commissariat ; Germaine déposera sa sœur à son domicile et rentrera à Rivesaltes.

§

Il est encore là.

Elle se recule un peu pour se cacher derrière le pilier et l’observe. De larges baies vitrées éclairent cette immense salle de musculation où les adhérents du club peuvent admirer le jardin méditerranéen agrémenté de fleurs multicolores et éclairé par des projecteurs.

Proche d’un appareil, il converse avec un autre sportif, beaucoup moins musclé que lui. Il est assis sur le banc, sa série doit donc être terminée. Son débardeur échancré met en valeur ses larges épaules, ses volumineux biceps et ses imposants pectoraux. C’est vraiment le plus bel athlète de cette salle !

« Quel bel homme ! » pense-t-elle.

La blondeur de ses cheveux le classe irrémédiablement dans la catégorie des apollons.

Madeleine Courag s’est renseignée : une enfance et des études à Lille, puis l’école de police et une première affectation aux « stups » de Perpignan. Elle le sent peu sûr de lui, plutôt timide, voire naïf : il porte bien son nom. Dans le service, il est très apprécié par ses collègues et ne compte pas ses heures.

Elle a appris qu’il vit seul et passe son temps libre dans cette salle. Il n’a pas dû connaître beaucoup de femmes. Elle deviendra son professeur d’amour.

À leur première rencontre, il avait confié son ambition professionnelle et il le prouve tous les soirs en quittant très tard son poste. Vers 19 h, il vient directement ici, comme aujourd’hui.

Une proie facile pour une dominatrice comme elle !

Elle doit tout de même mettre en place une stratégie : faire des compliments répétés sur son physique de gladiateur, provoquer des contacts apparemment involontaires pour l’exciter, exposer des dessous coquins et le tutoyer d’emblée afin de favoriser le rapprochement. Elle veut aussi montrer le monde dans lequel elle vit, plein de luxe et de paillettes. Elle lui achètera une belle voiture de sport décapotable et, ensemble, ils profiteront de la vie et de ses plaisirs.

Elle devra le brusquer. D’un caractère réservé, il ne prendra aucune initiative. Ce sera à elle de le faire. Elle a l’expérience de ces situations. Et s’il y a un domaine où elle excelle, c’est celui de la séduction !

Dans sa dernière affectation, le jeune gringalet ramené de la boîte de nuit n’a pas tenu la distance : il s’est arrêté après la première épreuve alors qu’elle en redemandait ! Là, elle devra prendre des dispositions et elle a déjà son idée en tête.

En sa compagnie, elle restera plus tard un soir et elle l’invitera à dîner chez elle. Son plan est prêt.

À travers la vitre, il s’active maintenant sur un banc et soulève une lourde barre chargée de plusieurs poids sous les regards admiratifs des autres sportifs de ce club.

Elle en est sûre : il sera bientôt dans son lit.

1 Guy Raynaud, Les cailloux du Racou

Chapitre III

Le dimanche 10 juin 2012, comme souvent avant les fortes chaleurs, Christelle Limière et son amie Émilie Ingrat se retrouvent à la piscine de Canet-en-Roussillon.

La pratique de ce sport les a rapprochées encore davantage. Elles nagent pendant plus d’une heure et la capitaine constate que sa blessure par balle à la cuisse, séquelle d’une agression l’année dernière à La Jonquera, ne la fait plus souffrir2, même si une fine cicatrice lui rappelle cet épisode douloureux.

Vers 13 h, comme souvent, elles vont se restaurer à Collioure, sur la terrasse d’un restaurant charmant et réputé, Le Neptune, dont la cuisine et l’accueil les ravissent.

Le lendemain, en début de matinée, Christelle Limière reçoit un appel téléphonique d’Huguette Ménard.

Tout de suite, elle tente de joindre Véra Weber sur son poste, mais personne ne répond. Elle téléphone à son supérieur. Accompagnée du lieutenant Louche, elle se rend à son bureau.

La jeune femme affectionne l’esprit méthodique de Roger Croussard : pas de décision hâtive et beaucoup de temps pour l’analyse et la réflexion.

L’homme, la quarantaine, glabre, apprécie le travail et l’efficacité de son adjointe. Il a une totale confiance en elle et il lui laisse conduire ses enquêtes à sa guise. Et jusque-là, elle ne l’a pas déçu.

« Son inventivité et l’efficacité de ses interrogatoires la propulseront bientôt au panthéon des flics ! » pense-t-il.

Il les reçoit à son bureau.

Le commissaire appelle l’accueil et ils apprennent que Véra Weber sera absente toute la journée.

La capitaine sort son carnet et parle du disparu. Elle narre ses premières impressions suite à son entretien de samedi dernier et propose de commencer son enquête par une entrevue avec Louison, son équipier à la Pétanque maritime, à Saint-Cyprien Plage.

§

Aux alentours de 9 h 30, proche du promenoir où quelques sportifs pédalent et courent, l’agréable espace de cette association de boulistes a été aménagé pour accueillir l’été les touristes, plus attirés par l’activité délassante des jeux de boules que par des heures de farniente sur le sable.

Un soleil lumineux accompagne le couple d’enquêteurs qui remarque les casquettes et les paires de lunettes de soleil protégeant les sportifs sur l’aire de jeu.

Christelle Limière, suivie de Jacques Louche, pousse le petit portillon et demande à s’entretenir avec Louison. Une femme d’un certain âge montre un joueur corpulent, la soixantaine passée, qui effectue des tirs pointés, entouré de quelques amis.

Le lieutenant s’avance et lui parle à l’oreille. L’homme se retourne et observe la policière restée en retrait ; il pose ses boules à terre et s’approche de la jeune femme.

Puis tous les trois se dirigent vers la Laguna garée à proximité. En marchant, elle explique la raison de leur visite.

Louison est un retraité enrobé, de corps et de visage. Il essaie de rabattre les quelques mèches de cheveux qui lui restent sur le sommet de son crâne.

Elle l’installe à l’avant, à la place du passager.

— Afin d’éviter de prendre des notes, je vais enregistrer cet entretien informel et faire une photographie de votre visage pour notre dossier. Elle ouvre son portable. Un petit magnétophone est activé et elle le pose sur le tableau de bord. Elle nomme les personnes présentes, le lieu, la date, l’heure et commence l’interrogatoire :

— Quand avez-vous vu Georges Ménard pour la dernière fois ?

Louison réfléchit quelques secondes.

— Le vendredi 1er juin, nous avons joué tout l’après-midi ensemble.

Nous devions nous revoir le lendemain, mais il n’est pas venu.

— Et depuis, plus de nouvelles ?

— Aucune.

Le joueur de boules paraît inquiet et bouge sur son siège. La capitaine ignore si cette confrontation face aux policiers en est la cause, ou peut-être la disparition de son ami. Sa voix est pourtant calme et posée, mais les mouvements de ses mains montrent une anxiété surprenante. Il a dû s’angoisser car le ton est plein de désolation.

— Depuis quand le connaissez-vous ?

— Depuis son arrivée à Saint-Cyprien, il y a trois ans.

— Et vous jouez toujours ensemble à la pétanque ?

Elle se demande si elle n’aurait pas une autre personne à entendre, comme le responsable de l’association.

— Oui, nous faisons équipe.

— Qui est le tireur ?

— Georges.

— Que savez-vous de lui ?

— C’est un bricoleur de génie, toujours prêt à rendre service, un excellent nageur et un bon joueur de boules, très adroit.

Louison s’exprime sans accent. Beaucoup d’expatriés passent une retraite tranquille dans ce havre de paix.

— Ça, c’est le bon côté ! Et l’autre ?

— Sa relation avec sa femme est désastreuse !

— C’est-à-dire ?

Il regarde son vis-à-vis et patiente. Il paraît gêné de parler de son ami.

— Comme je vous l’ai dit, sa disparition a été signalée et votre déposition est importante. Parlez-moi de sa relation avec sa femme !

— Georges, c’est un faible ! Elle commande à la maison et il obéit. Il sert de bonne à tout faire : les courses, le ménage, le repassage et souvent la cuisine. Et ça, tous les matins, même les dimanches !

La capitaine se souvient du sourire de Germaine au commissariat ; elle n’avait pas approuvé le commentaire de sa sœur, sans oser la contredire.

— Ça n’allait pas au-delà ?

— Si. Elle le tyrannisait.

— C’est-à-dire ?

La jeune femme se rend compte que Georges s’était confié à son ami.

— Il avait compris qu’elle se plaignait tout le temps d’un mal de dos, sans vraiment souffrir. Elle avait trouvé ce prétexte pour se reposer pendant qu’il accomplissait toutes les tâches domestiques. Il me disait qu’elle ne s’occupait que du lavage des vêtements, et de temps en temps de la cuisine.

— Il ne se rebellait pas ?

— Il l’a peut-être fait au début, à sa manière. Il est bien élevé et respecte les autres. Il me disait que son père lui répétait souvent : « Ne lève jamais la main sur une femme ! » Quand je l’ai rencontré il y a trois ans, il était souriant et jovial. Petit à petit, sa femme a altéré sa bonne humeur. Cet abâtardissement l’a profondément changé.

Louison fait une pause et secoue la tête.

— Et ?

— Ah oui ! Il a inscrit sur un cahier qu’il cache dans son garage toutes les brimades et les insultes qu’elle lui lance tous les jours.

Petit à petit, les confidences du joueur de boules dévoilent les relations déplorables du couple Ménard et la capitaine comprend mieux l’absence d’appels téléphoniques entre eux durant le séjour d’Huguette à Toulouse. Georges a dû apprécier ces quelques jours de tranquillité.

« Il s’est peut-être tout simplement enfui du domicile, ou plutôt de sa prison conjugale ! » imagine Christelle Limière.

Elle se retourne et constate la mine désappointée du lieutenant.

— Où dans son garage ? demande celui-ci.

— Probablement dans son armoire métallique où il range ses outils et sa perceuse. Dernièrement, il m’a avoué qu’elle avait menacé de le tuer.

— Ah ! Quand ?

— Il y a environ un mois.

— Elle le battait ?

— Oui, je crois. Il ne s’en vantait pas, bien sûr. L’année dernière, en novembre, il est arrivé avec des lunettes de soleil pour cacher un œil enflé. Et récemment, j’ai vu une marque rouge sur sa joue. Vous savez, j’en étais malade pour lui !

L’homme semble de plus en plus mal à l’aise.

— Je ne savais que faire !

— Dans ce cas-là, il est difficile d’intervenir, remarque la jeune femme, compatissante.

— Mireille le connaît bien !

— Qui est Mireille ?

— La caissière de la supérette où il va.

— Notez-moi l’adresse sur mon carnet ! Inscrivez aussi la vôtre et votre numéro de portable !

Louison se saisit du stylo qu’on lui tend.

— Merci pour ces informations ! Si vous souhaitez bénéficier de renseignements ou si vous vous souvenez d’autre chose, téléphonez-moi ! dit-elle en lui remettant une carte.

La capitaine le remercie et le joueur de boules quitte le véhicule, la tête basse.

Elle décide de rendre visite à Mireille.

Ils ne la verront pas car elle commence son travail à 14 h.

Forts de toutes les confidences de Louison, ils se dirigent vers le domicile d’Huguette.

§

En arrivant devant la maison du couple Ménard, dans ce quartier recherché de la Plage de l’Art, Christelle Limière observe attentivement la façade et ne voit pas de sirène extérieure.

À une fenêtre, de l’autre côté de la rue, elle aperçoit un rideau qui bouge.

Dans son salon, la femme du disparu les accueille, vêtue d’une robe surannée. Elle semble plus détendue que samedi dernier au commissariat.

La policière observe la pièce. La décoration est sobre, sans beaucoup de fantaisie ni de couleur. La propriétaire fait signe au couple d’enquêteurs de s’installer dans des fauteuils d’une autre époque.

— Souhaitez-vous un café ?

— Oui, avec plaisir.

Huguette Ménard part à la cuisine.