LA DYNASTIE DES DOUZE - Gilles Battistuta - E-Book

LA DYNASTIE DES DOUZE E-Book

Gilles Battistuta

0,0

Beschreibung

Une affaire hors du commun va transporter Max Lagardère dans un univers irrationnel dont il aura bien du mal à s'extraire. Noël 1561 : Les Huguenots sont entrés dans la ville. Bazas baigne dans l'horreur. La cathédrale Saint-Jean-Baptiste est saccagée. Les prêtres sont mutilés au nom d'une autre foi. Cinq siècles plus tard, lorsque Théophraste Le Gall, archéologue, quitte son Finistère natal pour le sud-Gironde, il n'imagine pas devoir exhumer un pan obscur de l'histoire d'un notable Bazadais. En découvrant cette grille dissimulée dans l'épaisseur des remparts de la cité, il ouvrira une faille énigmatique dans la mémoire du passé de Richard de la Malde. Loin de là, en Bretagne, perché sur le toit du Menez-Hom, sommet emblématique des monts d'Arrée, Max Lagardère médite, debout face à l'infini. Saisi d'une violente prémonition surgie de ce lieu hautement symbolique, il se retrouve dès lors prisonnier de cette pulsion mystique. Il deviendra, le temps d'un voyage dans le Sud-Ouest, le catalyseur de la destinée de deux êtres que tout oppose depuis quatre cent cinquante-cinq ans.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 292

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Du même auteur :

Le Printemps Ressuscité 2015

On a volé Saint-Nonna 2016

Retrouvez l’auteur sur son site internet :

https://ecrireinfo33.wix.com/lesmotsdulivre

Cette histoire troublante

tout droit sortie de l’imagination de l’auteur fait le grand

écart entre le cœur de la Bretagne situé au pied des monts

d’Arrée et le sud de la Gironde, à l’orée des portes des

Landes.

Toute ressemblance

avec des personnes et des situations

existantes ou ayant existé ne saurait être

que totalement fortuite.

Remerciements

La photographie originale

de la page de couverture

a été réalisée par Monika Schnabel.

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

1

Théophraste Le Gall habitait dans le Finistère, aux alentours des monts d’Arrée, à Brennilis exactement. Il s’ennuyait ferme dans cette commune peuplée de quatre cent soixante-dix âmes.

Étalé le long de la départementale 36 qui mène jusqu’à Châteauneuf du Faou, le bourg n’offrait pas grande distraction. Une église, une mairie, une supérette, une école, une bibliothèque, un centre médical et quelques restaurants. Bref, pas vraiment de quoi retenir une jeunesse avide d’autre chose.

Les seules allées et venues habituelles étaient celles des propriétaires de résidences secondaires qui repeuplaient le village, le temps d’un weekend.

Il y avait aussi ces nombreux touristes qui cherchaient à s’approcher du site maintenant bien connu de la centrale nucléaire en phase de démontage depuis 1985, visiter les alentours du réservoir d’eau ou se promener dans la réserve naturelle du Venec.

Lorsqu’il opposait cet argument à son entourage, on lui répondait invariablement :

— Mais Brennilis, ce n’est pas que cela, enfin ! Brennilis appartient à ce pays de légende, le Yeun Elez, cette vaste région où les Celtes situaient les portes de l’au-delà. Les conteurs d’aujourd’hui nous enchantent encore avec l’histoire du gouffre du Youdig dans les eaux glauques duquel l’exorciste conduisait les âmes damnées métamorphosées en loup noir ou celle de l’Eured Ven, cette noce moqueuse transformée en mariage de pierre. C’est aussi là que se croisaient l’Ankou, les korrigans, les fées et bien d’autres personnages liés à l’imagination collective.

— Tu devrais essayer de te trouver une femme pendant qu’il est encore temps. J’aimerais bien voir mes petits-enfants avant de mourir ! lui répétait inlassablement sa vieille mère avec qui il vivait dans la maison familiale, une de ces anciennes bâtisses restaurées avec goût dans l’un des nombreux hameaux construits à la lisière de ces grandes étendues mystiques.

— Mais tu sais bien que c’est impossible. Un jour, peut-être, répondait-il invariablement.

Il avait trente-cinq ans. Elle, quatre-vingts et était veuve depuis bien longtemps, trop longtemps. La seule attache qui lui restait était ce fils qui ne pouvait se résoudre à la laisser seule. Si cela arrivait, elle en mourrait, c’est certain.

En même temps, il foutait sa vie en l’air. Il le savait. Mais, avait-il le choix ?

Les années passaient et il lui semblait fort improbable qu’il puisse un jour, trouver une compagne censée qui accepterait de venir vivre ici, loin de tout.

La seule fois où il s’y était tenté avait abouti à un échec retentissant. Il se souvenait comme si c’était hier de cet insupportable affront.

Alors en compagnie d’une jolie voisine qu’il se voyait déjà conduire jusqu’à l’autel, il avait pour la toute première fois, osé retirer sa chemise au cours d’un moment d’intimité.

Voyant la grimace de stupéfaction qu’elle affichait en le regardant, il fit aussitôt volte-face et se réfugia dans le dressing pour se réajuster, à la fois blessé dans son amour-propre et touché dans ce qu’il avait de plus fragile : sa pudeur excessive.

Il maugréait à voix basse, maudissant la Terre entière :

— Punaise, c’est pas possible ! Qu’est-ce qu’ils ont tous à me pourrir la vie comme ça ?

À son retour dans la chambre, il avait changé et celle qui lui faisait face maintenant n’avait déjà plus d’intérêt à ses yeux.

— Pourquoi tu fais cette tête ? demanda-t-il avec une pointe d’agressivité dans la voix.

— Mais, c’est quoi, là… sur ton épaule ?

— Ça ne te plait pas ? Pourtant, celle qui m’a fait ce tatouage est une artiste reconnue et ma foi, assez douée. Regarde ces couleurs et ce dessin parfaitement équilibré.

— J’aime pas du tout. Tu veux que je fasse des cauchemars chaque fois que tu vas te déshabiller ! Deux serpents enroulés autour d’une tige. Mais qu’est-ce qui est passé par ta tête pour faire un truc pareil ?

Devant tant de dépit affiché, il se contenta d’une explication brève et cassante :

— Il y a trois ans, à l’entrée de Châteauneuf-du-Faou, j’ai eu un accident de moto assez grave. Un fourgon m’a coupé la route à une intersection. Je n’avais pas trop de solutions pour cacher cette vilaine cicatrice. On m’a conseillé de prendre contact avec Cécilia Marsal qui tient un salon à Brest. J’avais trouvé le motif dans une revue historique à laquelle je suis abonné.

— N’empêche. J’aime pas !

La soirée s’était terminée dans une ambiance tendue puis leur relation avait tourné court. Ils ne s’étaient jamais revus.

Théophraste Le Gall avait mal accepté d’être repoussé pour une raison aussi futile. Comme la déception qu’il avait éprouvée était à la hauteur de son investissement personnel dans cette relation nouvelle, il ne tenta plus jamais l’expérience, par peur de l’échec certainement.

Peut-être se trompait-il !

Pourtant, il était intelligent et avait l’esprit vif. Loin d’être disgracieux, c’était un gaillard d’un mètre quatre-vingt, peut-être un peu moins, vêtu avec recherche, loin des codes vestimentaires de la campagne où il évoluait quotidiennement.

Solitaire, on ne lui connaissait aucun ami. Cette timidité latente qui le rendait maladroit, la maladie de sa vieille mère diminuée physiquement tout autant que l’entretien de cette vaste propriété ne laissaient que peu de place aux loisirs.

Alors, pour meubler ces quelques moments où il pouvait s’accorder du temps, il lisait.

Il lisait pour combler cette soif irrépressible de savoir. Peut-être sa façon à lui de prévoir sa revanche sur la vie.

Sa bibliothèque personnelle, aménagée dans une aile de cette demeure à l’architecture traditionnelle bretonne, regorgeait d’ouvrages tous plus étonnants, les uns que les autres.

Sur des rayonnages bien agencés, on pouvait trouver de nombreux livres aux thèmes traitant autant de la métaphysique que de la théologie, de la vie des templiers, de l’Égypte ou des phénomènes inexpliqués.

Archéologue de formation, il avait rajouté, deux ans auparavant, une corde à son arc en suivant des études de géologie.

Puis, une nuit d’hiver, la vieille dame passa de vie à trépas. Une mauvaise grippe dont elle ne s’était jamais remise avait vu son état se dégrader au fil des jours sans que ce fils aimant n’y puisse grand-chose.

Le docteur Lemagne était venu plusieurs fois, jusqu’à cette nuit fatidique où il lui avait dit :

— Bon, écoute Théo. Il faut qu’on parle. Fañchon est arrivée au bout de son chemin. Je crains qu’elle ne nous quitte rapidement. Toi et moi, on a fait tout ce qu’on a pu. Ne sois pas triste. Elle a bien vécu et a eu du bonheur dans son existence, je le sais.

— Je comprends, Doc, je comprends. Mais, c’est difficile… Elle va me manquer ! répondit ce dernier, un sanglot à demi étouffé dans la voix.

Au petit matin, quelques heures avant l’aube, celle qui avait passé sa vie à transmettre ses propres valeurs à son seul héritier rendit son dernier souffle.

Théophraste Le Gall était resté là longtemps à côté d’elle, assis sur le bord du lit tout en lui tenant la main. Perdu dans ce désert affectif soudain, il regardait fixement à travers la fenêtre aux carreaux embués, les yeux levés vers le ciel parsemé d’étoiles brillantes.

Il mesurait l’injustice qui lui était faite. La vie continuait normalement pour le reste du Monde, mais sa propre existence venait de basculer vers un abime dont il ne se relèverait peut-être jamais.

Il pleurait en silence avec cette discrétion qu’on affiche lorsqu’on peine à montrer sa douleur. Puis, il se mit à lui parler à voix basse, dans une bienveillante attitude où transparaissait tout l’amour qu’un fils peut ressentir dans un tel moment de chagrin :

— Qu’est-ce que je vais devenir sans toi ? Qu’est-ce qui va m’arriver de bien maintenant ? Mais, je te promets, la mère. Un jour, là-haut, tu seras fière de moi.

Il se rappelait tous ces bons moments passés à ses côtés, ceux de son enfance, ce chocolat chaud avec ces tartines beurrées qui l’attendaient à son retour d’école, ces fous rires devant les mimiques de son père qui faisait le pitre pour l’amuser.

Et puis cette anecdote ancrée à jamais dans ses souvenirs.

Tous les matins d’hiver jusqu’à l’âge de dix ans environ, lorsqu’il devait aller aider pour le bois ou autre tâche dans le froid, elle lui préparait une mixture certainement héritée d’un autre âge, ce fameux remède contre le rhume : un verre de vin vieux dans lequel elle battait un jaune d’œuf après avoir ajouté une petite cuillère de sucre. Au final, le mélange était violet, bizarre, mais il aimait tellement ça, à l’époque.

Son enterrement fut à la hauteur de la vie qu’elle avait menée : simple et insignifiant.

Quelques voisins et connaissances s’étaient joints par empathie au cortège, suivant Théophraste Le Gall jusqu’au cimetière, là où son père reposait également à l’abri d’une petite tombe modeste à l’image de leur humble existence.

Lorsque la dernière pelletée de terre avait recouvert le bois verni du cercueil, une lumière s’était définitivement éteinte au fond de cet éternel enfant.

Depuis, il souffrait, en silence, de l’absence de cette mère qui avait compté.

Maintenant qu’il se trouvait en première ligne, il assumait avec difficulté ce nouveau rang familial, celui qui vous rapproche inexorablement d’un terme qu’on voudrait le plus éloigné possible.

En plus, il était le seul garçon de la famille sur trois générations. Il n’y avait plus rien derrière lui et lorsqu’il se retournait, son avenir lui paraissait bien creux.

La lignée des « Le Gall » brennilisiens risquait de s’éteindre pour de bon s’il ne s’employait pas bien vite à rompre sa solitude.

Au cours des mois qui avaient suivi, il s’était retrouvé, errant dans cette bâtisse devenue trop grande, perdu dans ce silence insupportable. Il ressentait de façon intense le besoin de s’évader, de fuir son quotidien ennuyeux.

Rester ici n’avait plus de sens. Sortir de sa Bretagne natale pour aller au-devant d’autres traditions, voir d’autres façons d’appréhender le quotidien étaient devenus comme autant de raisons de justifier ce départ qu’il envisageait si ardemment jusqu’au fond de lui-même. Pour forcer la main du destin, il avait répondu à de nombreuses offres d’emploi.

Depuis, tous les matins, il observait le même rituel : d’abord, il déjeunait tout en écoutant les informations diffusées par le vieux téléviseur posé en équilibre sur un petit meuble branlant, au milieu de la pièce.

Au moindre bruit de voiture, il courait jusqu’à la boite aux lettres… souvent vide.

Sa déception augmentait dans la même proportion que son désarroi jusqu’à ce fameux jour où la réponse tant attendue arriva.

Avec une ferveur toute religieuse comme s’il tenait entre les mains un trésor inestimable, il avait déposé cette enveloppe blanche où figurait un logo bleu, sur la table de la cuisine.

Très ému, comme obéissant à une sorte de rituel, il s’était resservi un café chaud.

Puis, au bout d’un long moment, le dos calé contre le fond de sa chaise, les pieds bien à plat sur le sol, il avait saisi le document et parcouru sans vraiment y croire les lignes qui allaient changer le cours de sa vie.

Une société d’expertise basée à Paris acceptait de miser sur ses compétences et lui confiait une mission à la hauteur de ses attentes. Le libellé apparaissait de façon claire et concise en fin de page : « déterminer les causes de l’effondrement des remparts construits au pied de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste… d’un bourg situé dans l’ouest de la France », tâche complexe s’il en était.

Se rendant compte qu’il s’agissait peut-être là de la chance tant attendue, il avait sauté sur l’opportunité et accepté le contrat.

En même temps, il savait qu’il allait lui falloir enfouir ses souvenirs, fermer la porte de cette grande maison, partir sans regarder derrière et abandonner provisoirement une partie de lui-même pour pouvoir enfin assumer sa vie d’adulte.

Mais, il n’y avait pas que cela. Il fallait qu’il trouve un métayer. La propriété était grande et ne pouvait rester sans entretien trop longtemps. En fait, il ne savait pas vraiment combien de temps il allait s’absenter.

Reviendrait-il seulement ?

Pour l’heure, il fallait qu’il s’occupe, qu’il trouve un but afin d’attendre le moment du grand départ. Il restait deux longs mois. Et deux mois d’hiver à Brennilis, ça n’était pas rien.

Il avait donc passé du temps, beaucoup de temps à rassembler un maximum de renseignements sur ce village emblématique.

Cette démarche lui était nécessaire. En fait, s’il aimait s’imaginer partant à l’aventure, conquérant le Monde, il préférait baliser sa route de ses propres repères, ce qui rassurait ce grand inquiet.

C’est ainsi qu’il s’était plongé avec passion dans l’histoire de Bazas, commencée il y a vraisemblablement, deux mille cinq cents ans. Datant du premier Âge de Fer, « Cossium » fut mis en lumière par l’invasion romaine au travers de l’arrivée des troupes de Jules César, commandées par un jeune lieutenant nommé Crassus qui attaqua le bourg, à la tête d’une armée forte de plusieurs dizaines de milliers de légionnaires.

Souvent convoitée, la cité des Vasâtes, du nom des Francs qui occupaient la zone de vie fortifiée, eut à subir les assauts en 414 des Visigoths puis des Vascons, des sarrasins et bien d’autres.

Mais, entre toutes ces choses importantes, la découverte de sarcophages mérovingiens datant des Ve et VIe siècles à l’intérieur du périmètre d’une église disparue l’avait intéressé au plus haut point. Voilà qui touchait là tout ce qu’il affectionnait.

Théophraste Le Gall avait toujours été attiré par le caractère ésotérique de ce type de fouilles qui mettait au grand jour des objets aux origines incertaines.

La métaphysique, c’était son truc et sa faiblesse en même temps. Il était facilement impressionnable malgré un degré d’instruction assez poussé.

Mais il aimait ça.

Il était arrivé dans cette charmante contrée située entre les portes des Landes et le département du Lot-et-Garonne, le dimanche vingt-huit mai, le jour de la fête des Mères.

Il avait choisi cette date comme un symbole, regroupant en un même acte, l’amour pour sa vieille mère et son départ vers la réussite sociale.

Sans qu’il en eût une quelconque conscience, la vie de Théophraste Le Gall allait se cadencer, au fil du temps, autour de ce nombre qui allait marquer sa destinée.

Mais, le saviez-vous ? Il existe vingt-huit os dans le crâne humain, tout autant dans les mains qui contiennent vingt-huit phalanges. Vingt-huit, c’est aussi la somme des sept premiers chiffres. Le zodiaque chinois compte vingt-huit animaux et l’on pourrait en rajouter.

Coïncidences, me direz-vous. Hum !

C’était aussi la température qui régnait dans cette partie du Pays. Le thermomètre avait-il seulement, en cette même période, grimpé aussi haut à Brennilis ?

Mais bon, il n’en mourrait pas. Cela correspondait complètement au changement qu’il attendait dans son for intérieur.

La mission dont il était chargé durerait deux semaines, peut-être plus. Pour l’instant, sa priorité était de trouver un logement.

Pas un hôtel, non. Plutôt un gîte ou une chambre d’hôte et pourquoi pas chez l’habitant, un peu à la campagne, mais pas trop loin tout de même.

C’est ainsi qu’il s’était retrouvé sur les coteaux jouxtant la promenade de la Brèche, dans une propriété appartenant à une jeune et fort jolie veuve, madame Laetitia Aubert.

La maison, imposante, possédait deux étages. La façade aux volets d’un rouge délavé et quasiment recouverte de lierre faisait penser à ces vieilles demeures que l’on peut encore rencontrer dans les bocages vendéens.

Roulant à allure lente, il venait de franchir le seuil du domaine. Le gravier crissait sous les pneus de sa voiture, une vieille Alfa Roméo GT1300 Junior « Scalino » série II datant de 1970. Il l’avait achetée dans une vente aux enchères à Brest. Bien qu’elle affiche cent quatre-vingt mille kilomètres, elle marchait comme au premier jour. Un véritable régal pour un amoureux des belles mécaniques.

Il s’était garé sur cet accueillant parking ombragé où des lauriers roses côtoyaient des photinias et des claitonies donnant aux haies des couleurs chatoyantes de toute beauté.

Pour l’heure, le ciel était menaçant. Quelques grosses gouttes de pluie frappaient de temps à autre la carrosserie avec un bruit mat et roulaient sur la tôle poussiéreuse en formant d’étranges figures fractales.

Théophraste Le Gall marcha d’un pas nerveux jusqu’à la porte d’entrée. Il n’aimait décidément pas les situations nouvelles sur lesquelles il n’avait pas d’emprise.

Après avoir frappé deux petits coups à l’aide du marteau fixé sur le bois, il manœuvra la poignée avec précaution.

Avant de pénétrer dans les lieux, il avait jeté un coup œil furtif à l’intérieur de ce vaste hall qui accueillait le visiteur.

Le décor était conforme avec l’idée que l’on s’en faisait en arrivant : beaucoup de boiseries vernies, des tapisseries aux couleurs chaudes tirant sur le vert, des fauteuils Chesterfield et Battersea en cuir fauve.

Les fenêtres étroites ornées de rideaux aux motifs dentelés tamisaient la lumière, laissant le nouvel arrivant étonné par cette ambiance mystérieuse et paisible à la fois.

Laetitia Aubert l’attendait. Après un contact chaleureux et poli, elle l’accompagna jusqu’au bout du couloir.

— Vous avez la chambre numéro trois, la plus spacieuse. La mienne est juste à côté... Vous verrez, je pense que vous serez bien installé. Voici la clé ! Je vous laisse maintenant, avait ajouté son hôtesse d’une voix douce tout en se dirigeant vers le hall de réception.

« La mienne est juste à côté »... Théophraste Le Gall n’avait pas compris le sens de cette phrase, si tant est qu’il y eût quelque chose à comprendre.

Sans qu’il y porte attention, son regard s’était posé sur une partie harmonieuse de l’anatomie de la jeune femme qui lui tournait le dos. Vêtue d’une robe épousant ses formes, sa silhouette était d’autant mieux mise en valeur qu’elle se découpait en ombre chinoise dans la lueur du contre-jour.

Il chassa bien vite les idées qui envahissaient subrepticement son cerveau, manœuvra la serrure et se précipita dans son nouvel environnement.

Il avait refermé la porte presque brusquement, manœuvré la clé comme pour se protéger du monde extérieur et s’était laissé envahir par l’ambiance chaleureuse de la pièce, décorée dans le même esprit que le reste de la maison : un grand bureau double anglais en acajou, posé devant la porte-fenêtre permettait de travailler en toute quiétude. Assis sur cette chaise Regency style Armchair, il admirait la cathédrale Saint-Jean-Baptiste qui se dessinait au loin.

Si ce n’avait pas été cette barrière d’arbres longeant le ruisseau, il aurait même pu apercevoir les remparts de soutènement, objet de sa présence dans cette région, l’immergeant ainsi un peu plus dans cette atmosphère particulière, ce qui n’était pas pour lui déplaire.

Théophraste Le Gall avait déballé son matériel et étalé devant lui l’arsenal complet qui devrait lui permettre de mener sa mission à bien : un appareil photo numérique miniaturisé, un ordinateur intégrant un logiciel professionnel, des cartes d’état-major, des comptes rendus de tous bords, divers outils spécifiques...

Il jeta un coup d’œil circulaire. Oui, tout y était. Il poussa un soupir de soulagement.

Après avoir dîné, il s’était couché, fébrile, la tête pleine des évènements qu’il venait de traverser, un véritable maelström à cause duquel il avait mal dormi.

Il s’était revu quittant Brennilis, arrivant aux portes de Bazas après ce long trajet qui n’en finissait pas.

Préférant les voies secondaires de la rive droite de la Garonne, moins fréquentées aux routes encombrées de la métropole Bordelaise, il avait ainsi traversé quelques villages emblématiques de l’entre-deux mers et fait une halte dans cette bourgade bien connue, implantée au cœur d’un vignoble réputé bénéficiant d’un label AOC.

Cadillac, véritable place forte essentielle à la défense de Bordeaux le valait bien. Et puis, cela lui permettait surtout de faire une coupure, de se préparer psychologiquement. Il ne lui restait qu’une quarantaine de kilomètres à parcourir.

Pendant son voyage, il s’était laissé bercer par ses envies de renouveau. Mais maintenant que son rêve prenait corps, il ressentait le besoin de se ressaisir afin de contenir son appréhension grandissante. Cette longue marche jusqu’au pied de ce majestueux château d’apparat construit au début du XVIe siècle lui avait permis d’évacuer son trop-plein de tensions.

Et cette rencontre avec la propriétaire du domaine où il allait résider quelque temps ! Une femme à la personnalité singulière, envoutante. Lui qui s’était promis de ne plus se laisser prendre au piège de l’amour, éprouvait pour elle une attirance incontrôlable. Tout allait vite, trop vite peut-être pour quelqu’un habitué à mener une existence routinière.

Il fallait impérativement qu’il prenne ses marques pour se sentir en phase avec sa mission.

Demain, il irait à la découverte de son nouvel environnement.

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsqu’il réussit à s’arracher des bras de Morphée. Malgré cette peur de l’inconnu qui le hantait en permanence, il s’était levé de bonne humeur, bien décidé à visiter les environs. Sa montre affichait dix heures lorsque l’Alfa Roméo entama ses premiers tours de roue.

Il avait roulé comme ça, sans but défini pendant une centaine de kilomètres sur la nationale 111, appréciant platoniquement le paysage.

Laetitia Aubert lui avait vaguement parlé de Casteljaloux, un bourg qui marquait la transition entre le département du Lot-et-Garonne et celui de la Gironde. Il décida donc de s’y rendre.

Arrivé sur le parking du centre de thalassothérapie, il s’était juré en son for intérieur, d’en goûter les délices le plus tôt possible puis avait poussé jusqu’au lac de Clarens creusé sur l’axe routier qui mène à Mont-de-Marsan.

Cette étendue d’eau aménagée pour la baignade et le nautisme était un lieu de villégiature incontournable. De là, il suffisait de traverser la route pour se retrouver dans l’enceinte du golf. Bien qu’il n’ait jamais touché un club, Théophraste Le Gall était allé boire un verre au pool house, histoire de se montrer dans un endroit branché.

Il agissait tel un automate, sans envie, sans but précis, par réflexe comme si ce qu’il faisait devait être fait.

Cette longue balade lui avait malgré tout permis d’évacuer ses appréhensions et de se faire une idée de la région dans laquelle il allait évoluer.

Mais, il fallait maintenant qu’il rentre. L’après-midi touchait à sa fin et il s’était promis de consulter l’ensemble des documents que lui avait fourni son employeur afin d’être en phase avec sa mission.

Bien qu’il possède une excellente connaissance de son métier, il n’avait pas l’expérience dont il s’était revendiqué dans son curriculum vitae. Sa conscience professionnelle lui dictait de compenser cette carence par une parfaite maîtrise du dossier.

Laetitia Aubert entendit la voiture arriver plus qu’elle ne la vit. Il est vrai que l’Alfa Roméo faisait un bruit reconnaissable entre mille. Les deux doubles carburateurs équipés de kits d’admission d’air spéciaux et une ligne d’échappement inox y étaient peut-être pour beaucoup.

Dès qu’il eut franchi le seuil de la maison, elle se précipita vers lui tout en lui demandant :

— Vous voilà ! J’espère que votre périple dans notre accueillante région vous aura fait découvrir de jolies choses. Je m’apprêtais à prendre un café. Voulez-vous me tenir compagnie ?

Théophraste Le Gall, quelque peu décontenancé, avait accepté. Il avait eu l’impression, l’espace d’un court instant, que par son attitude engageante, la jeune femme qui lui faisait face lui tendait une perche qu’il ne sut pas saisir. Il répondit :

— Si cela ne vous dérange pas, je prendrais plutôt une boisson fraîche. J’ai eu très chaud et j’ai vraiment soif.

Ces deux-là éprouvaient, l’un pour l’autre, une empathie qu’un observateur extérieur aurait immédiatement remarquée tant leur comportement était gauche, empreint de retenue et de prudence.

Après avoir discuté de choses et d’autres, Théophraste le Gall se leva et prit poliment congé.

— Vous m’excuserez, mais je dois préparer ma journée de travail. Il faut vraiment que j’y aille. Et merci pour ce sympathique moment.

Le lendemain matin, sa première démarche fut de se rendre à la Mairie. On l’avait rapidement dirigé vers son interlocuteur. Il s’agissait de Richard de la Malde.

Ce dernier, outre le fait d’être conseiller municipal en charge du patrimoine, vivait de placements financiers et exerçait également ses talents de trader pour son propre compte.

Ces renseignements-là, il n’aurait pu les deviner si Laetitia Aubert ne lui avait pas dressé, avec une ferveur étonnante, un portrait flatteur de celui qu’il devait rencontrer.

C’était un homme affichant un charisme certain. Paraissant un peu hautain au premier abord, il était habillé d’une chemise de flanelle rehaussée d’un élégant foulard de satin gris orné de petits carreaux bordeaux ce qui le classait, du moins d’un point de vue vestimentaire, immédiatement dans la catégorie de la bourgeoisie locale.

En fait, il appartenait réellement à une riche famille Bazadaise prenant ses racines aux alentours du XVIe siècle.

Quand il n’était pas à pied, il se déplaçait à bord d’une Jaguar Mk2 de 1968 avec une carrosserie de couleur cream white et un intérieur cuir Connelly de toute beauté.

Il n’en fallait pas plus pour que les mauvaises langues laissent entendre à qui voulait bien écouter que la fortune dont semblait jouir notre homme aurait été bien mal acquise par ses lointains ancêtres.

Lorsque Théophraste Le Gall l’avait aperçu, assis derrière ce grand bureau, il avait été impressionné au point de bégayer en se présentant.

— Bonjour. Je… Je suis monsieur Le Gall. Nous… Nous avons rendez-vous.

Son vis-à-vis avait constaté sa gêne, s’était levé et avait rapidement fait le tour de la pièce afin de rompre le malaise qui s’installait. Il tendit à son visiteur une main franche et directe, aux antipodes de l’impression que sa personnalité dégageait.

— Bonjour monsieur Le Gall. Je vous attendais. Ravi de faire votre connaissance. Avez-vous trouvé de quoi vous loger ?

— Oui. Je suis installé au Grand Clos.

— Chez la charmante Laetitia Aubert ?

— C’est ça !

— Vous serez bien. Parce qu’en plus d’accueillir les gens de la meilleure des façons, il s’avère qu’elle est un véritable cordon bleu. Vous verrez par vous-même.

Malgré les apparences, ce premier entretien s’était vite révélé chaleureux. Les deux hommes que tout semblait opposer venaient peut-être à leur insu, de trouver un terrain d’entente, prémisse d’une relation aux contours encore indéfinis.

— Bien. Venez avec moi. Nous allons faire le tour du propriétaire. Cela vous donnera un aperçu du site que vous aurez à analyser, lui avait déclaré Richard de la Malde, sur un ton péremptoire, mais empli de sympathie.

— J’allais justement vous le demander. J’ai besoin de me rendre compte de ce qui m’attend et vous êtes certainement le mieux placé pour me fournir cet éclairage.

Arrivés au rez-de-chaussée, le conseiller avait lancé à la jeune femme assise derrière le comptoir de l’accueil :

— Maryse, si on nous cherche, je suis sur le site avec monsieur Le Gall. J’en ai jusqu’à midi. Donc, pas de rendez-vous avant quatorze heures, d’accord !

Ils avaient parcouru à pied une bonne partie du bourg, ce qui leur avait pris le reste de la matinée. Son guide n’avait rien épargné à Théophraste Le Gall.

Tout y était passé : l’hôtel de ville, le chapitre et ses vestiges, le jardin du Sultan avec sa roseraie, la porte du Gisquet, la place de la République comprenant la cathédrale Saint-Jean-Baptiste inscrite au patrimoine mondial de l’humanité et bien sûr, la poterne de la Brèche pour finir par les remparts de la rue Saint-Martin.

La municipalité, au nom du principe de précaution, avait mis en place des grillages de protection, empêchant l’accès du public à la partie jugée dangereuse du parcours.

Là, notre spécialiste avait pu constater l’ampleur de l’effondrement qui s’étendait sur une trentaine de mètres. Des blocs de pierre énormes occupaient le sol de leur présence monstrueuse. La muraille s’était écroulée de toute la hauteur de ses vingt mètres.

Puis, regardant vers le haut, il s’exclama :

— Je vois qu’il y a eu des dommages collatéraux. Il n’est pas impossible que d’autres propriétés privées puissent être un jour concernées elles aussi.

— Je pense comme vous. Justement, je vais vous montrer. On va aller voir un peu plus loin.

Midi sonnant, les deux hommes s’étaient rapprochés du centre-ville.

— Je vous invite à déjeuner. Il y a chez nous quelques bonnes tables à découvrir.

— C’est aimable à vous, mais ça me…

Richard de la Malde lui coupa la parole tout en le prenant par l’épaule.

— Allons donc. Pour ce premier contact, c’est la Mairie qui régale. Alors, laissez-vous faire.

Ils s’étaient retrouvés assis au premier étage d’un restaurant faisant face à l’entrée de la ville. Au rez-de-chaussée, un immense grill assurait la convivialité du lieu. Maintenant attablés devant une immense côte de bœuf à l’os, ils avaient fait plus ample connaissance.

Son interlocuteur ne tarissait pas d’éloges sur le Sud-Ouest, vantant la région Bazadaise comme si elle était à vendre.

Il avait appris beaucoup au cours de ce plaidoyer enflammé.

L’ambiance s’était révélée bon-enfant. Le Maire était venu les saluer en coup de vent, profitant de l’occasion pour asseoir son point de vue sur la finalité de la mission d’expertise.

Sitôt le repas terminé, Théophraste Le Gall avait chaleureusement remercié le conseiller puis était parti flâner du côté de ces magnifiques sarcophages couchés dans l’enceinte du chapitre.

Ce côté de la cathédrale dégageait une impression particulière, envoutante. Les gargouilles aux têtes inquiétantes qui crachaient une eau sale par temps de pluie, les sculptures aux personnages tourmentés tout autant que la noirceur des murs concouraient à cette ambiance qui ne laissait pas le visiteur indifférent.

Il était encore un peu tôt pour se lancer à l’assaut de cette ceinture de pierre. Assis sur un banc, regardant les aménagements du jardin, Théophraste Le Gall imaginait la présence de ces chanoines qui avaient osé défier l’évêque sur la répartition de la dîme, l’existence de tous les ordres qui s’étaient succédé en ces lieux, des cordeliers aux capucins sans oublier les barnabites et les ursulines, mais aussi l’autorité des Jurats qui possédaient les clés du pouvoir judiciaire, fiscal et administratif sur la ville. Jugeant au civil et au pénal, ils pouvaient contrôler les marchés, réglementer la gestion des bois et encadrer les festivités locales.

Bref, un passé bien riche en faits historiques.

Puis, il était redescendu sur la promenade de la Brèche. Bouillant d’impatience, il tenait à effectuer une première analyse des remparts de soutènement sur toute leur longueur. L’ouvrage était majestueux et la mission à la hauteur de ses espérances. Il sentait monter en lui les balbutiements d’une grande satisfaction. Tout en marchant les yeux levés vers le ciel, il repensa à celle qui reposait désormais dans le petit cimetière de Brennilis et lui adressa un message post-mortem :

— Tu vois la mère, je t’avais promis. J’y suis arrivé.

Puis, d’un pas décidé, il commença son inspection.

C’est là que sa destinée prendra un chemin qu’il n’aurait pas souhaité pour lui-même s’il en avait connu l’aboutissement.

2

Un mois plus tard exactement, le jeudi vingt-huit juin, quelque part, non loin de Bazas.

En ce début d’après-midi, il faisait bon se promener sur ce petit sentier qui traversait les sous-bois odorants longeant « Le Ciron », dans la commune de Préchac.

Max Lagardère aimait cette contrée dans laquelle il avait passé une grande partie de son existence pleine de tumultes.

Depuis cette enquête qui les avait conduits jusqu’au sud de la Gironde, en limite du Lot-et-Garonne, il s’était promis de revenir, mais uniquement pour le plaisir, rien que pour le plaisir d’être dans une région verdoyante au climat tempéré et agréable.

Ce cours d’eau qui se jetait dans la Garonne après un parcours sinueux d’une centaine de kilomètres constituait une biodiversité hors du commun, car abritant une faune et une flore hautes en couleur, preuve de la pureté de l’élément qui s’écoulait paisiblement devant eux.

Assise nonchalamment sur la grosse branche d’un arbre tombé en travers du chemin, Amandine murmura du bout des lèvres :

— J’aime bien cet endroit. On se croirait dans la forêt de Brocéliande, immergé au centre de la légende arthurienne ! J’ai toujours l’impression que je vais voir surgir, sortis de nulle part, un gentil Korrigan ou peut-être même une fée.

Tout semblait si magique et tranquille que, par réflexe, elle avait baissé la voix par peur de mettre en péril ce fragile équilibre.

De son côté, Max s’était agenouillé pour examiner un tapis de lichen poussant sur une roche, à l’ombre d’une souche pourrie puis était rapidement venu la rejoindre sur ce banc improvisé.

— Je n’avais jamais fait le rapprochement, mais c’est vrai… L’ambiance est la même. Regarde ces petites bulles dans l’eau au pied de cette roche, on dirait la margelle de Barenton. Il ne manque plus que nos chers druides et leurs serpettes d’or pour que l’illusion soit parfaite ! répondit-il avec un sourire malicieux et provocateur.

— C’est ça ! Moque-toi ! En attendant, moi, ça me rappelle de bons vieux souvenirs !

— Allez. Ne te vexe pas. Je t’aime, rajouta-t-il gentiment en déposant un baiser au creux de la main de sa compagne. Pour tout te dire, je trouve cette rivière tellement envoutante qu’un jour, j’ai même poussé la curiosité jusqu’à essayer de découvrir sa source et...

Max marqua un temps d’arrêt, histoire de se ménager un semblant de suspens. Il savait qu’Amandine n’aimait pas, mais il avait envie de la taquiner. Cette dernière ne tarda pas à réagir, légèrement tendue :

— Et alors ? Oh, j’ai horreur quand tu fais ça !

— Je l’ai trouvée ! Cachée au cœur d’une ancienne lagune asséchée de la commune de Lubbon, dans les Landes.

— C’est loin ? demanda-t-elle, tout à coup intéressée par la possibilité de voir quelque chose d’inhabituel.

— Pas vraiment. Ce village se trouve sur la route qui relie Casteljaloux à Mont-de-Marsan, à environ une petite cinquantaine de kilomètres. Tu situes ?

— Pas du tout. Je ne suis pas d’ici, « Moi » !

Max fit celui qui n’avait pas saisi la provocation sous-jacente et continua son explication.

— Mais bon. J’étais allé là-bas juste pour le fun, car il n’y a pas grand-chose à découvrir, en fait. On t’emmène voir un truc extraordinaire et sur place, il faut souvent une bonne dose d’imagination pour penser qu’un si mince filet d’eau peut venir alimenter de façon significative un fleuve aussi important que celui qui se jette dans l’estuaire de la Gironde. Malheureusement, ce bel équilibre risque d’être bientôt rompu. Je ne te ferai pas l’affront de t’infliger un cours de géopolitique sur ce vaste secteur, mais il y a aujourd’hui des tensions sérieuses à cause de la ligne à grande vitesse qui doit passer dans le coin.