L'ultime héritier - Gilles Battistuta - E-Book

L'ultime héritier E-Book

Gilles Battistuta

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Beschreibung

Grégori de la Rochemote, passionné depuis son enfance par la recherche d'indices est aujourd'hui un officier de police respecté oeuvrant au sein d'une Brigade Criminelle renommée. Il n'aurait jamais imaginé qu'au retour d'une partie de pêche, il puisse se retrouver mêlé à à une enquête des plus étranges se rapportant à un homicide perpétré cent-cinquante-cinq ans auparavant. Au fil des investigations, il apprendra à ses dépends que son existence même est au coeur de l'intrigue. Prisonnier d'un lien immatériel qui le prive de son libre arbitre, il comprendra très vite que son futur ne saurait exister sans que ce passé qui le poursuit ne soit exhumé. Pour résoudre cette énigme hors du commun, Grégori de la Rochemote devra dépasser ses propres appréhensions afin de redorer le blason familial terni par les agissements criminels d'un assassin sans scrupule.

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Du même auteur :

2015 Le Printemps ressuscité

2016 On a volé Saint-Nonna

2018 La Dynastie des Douze

2021 Les Suppliciées de Kergaouen

2023 L’Ordre de Galaad

2024 L’Ultime Héritier

Retrouvez l’auteur sur son site internet :https://gbatlitterature.wixsite.com/lesmotsdulivre

Ce roman est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé, des faits similaires serait totalement fortuite.

Ce roman d’aventure policière a été écrit d’après une idée originale de Daniel Battistuta.

Peut-on vraiment envisager que l’esprit ait la capacité de se transporter dans l’espace et le temps ?

Voici une histoire qui laissera le lecteur perplexe quant aux réponses à apporter à cette épineuse question.

Remerciements

Je remercie Denis Cosquer pour sa participation enthousiaste à la diffusion du système généalogique, ainsi que toutes les personnes qui ont contribué à la bonne réalisation de ce roman.

La photo de couverture est l’œuvre de Mads Schmidt Rasmussen.

Préface

Assis sur un vieux banc de bois posé aux abords de l’allée centrale menant au manoir du domaine du bois de la Rochebrisée, celui-là même où il avait trouvé refuge lors de sa première visite, Grégori de la Rochemote se remémorait les péripéties de l’année qui venait de s’achever.

Que de découvertes et de secrets dévoilés !

Comment expliquer cette étrange sensation survenue le jour où ce panneau en bois insolite sur lequel était écrit d’une main malhabile : « Maison à vendre », se dévoila à sa vue.

Quelle force l’avait donc poussé vers ce majestueux portail en fer forgé, rongé par la rouille ?

La réponse à cette puissante énigme ne sera certainement jamais dévoilée. Il y a trop de rationalité dans l’esprit humain pour accepter une vision qui ne soit pas cartésienne.

C’est en fouillant dans l’histoire de son propre passé que par le plus grand des hasards, notre personnage va découvrir un terrible secret qui allait changer le cours de sa vie pour toujours.

Il est en fait le dernier représentant adulte d’une lignée de nobles dont le fil a été interrompu en fin du 19ème siècle, par les agissements machiavéliques d’un assassin sans scrupule.

Ce n’est qu’à l’issue d’une longue et complexe enquête policière que la vérité a pu émerger des ténèbres où elle avait été soigneusement enfouie pendant sept générations.

A l’heure où s’écrivent ces lignes, chaque chose a enfin retrouvé la place qui était la sienne.

Le blason familial trône maintenant fièrement sur le fronton du patio de l’antique demeure dont il est aujourd’hui le propriétaire légitime et son nouveau rang social brille en lettres callipyges sur sa carte de visite.

Mais laissez-moi vous conter cette stupéfiante histoire.

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Postscriptum

1

Grégori de la Rochemote commençait toujours sa journée en parcourant aux aurores, les rues de cette petite bourgade située au centre du Périgord noir, où tout paraissait si paisible.

Sentir l’odeur des vieux murs de ces demeures séculaires, admirer les fleurs multicolores suspendues aux rebords des fenêtres, parcourir ces venelles, et parfois s’asseoir sur un vieux banc à l’assise en bois usée lui procuraient un plaisir sans nul autre pareil.

Ce jogging rituel lui permettait d’accumuler suffisamment d’énergie pour compenser journellement les aspects parfois sordides de son métier.

Alors qu’en fin de parcours, il déambulait tranquillement dans la rue centrale, perdu dans ses pensées du moment, il entendit une voix familière l’interpeller.

— Hé Grégori, qu’est-ce que tu fous dehors à cette heure-ci ?

Comme s’il ne le savait pas !

C’était Jawen dit « la Boulange » qui lui tendait à bout de bras un sachet de papier rendu translucide par la chaleur de son contenu.

— Je t’ai vu passer il y a vingt minutes. Je commence à connaître tes habitudes à force ! Je me doutais bien que tu ne pourrais pas rentrer à la maison sans venir chercher mes croissants tout chauds pour ta famille. Tiens prends, et fais mes amitiés à madame !

— Merci ! Tu es un père pour moi. Qu’est-ce que je ferais sans toi !

Son interlocuteur marqua un temps d’arrêt, comme pour mieux savourer sa réponse ironique.

— Sans moi ? Ton déjeuner serait bien fade ! dit-il, satisfait de son trait d’humour matinal.

Jawen était un homme incontournable, tant par son charisme que par le fait qu’il habitait un ancien fournil réhabilité par ses soins jusque dans le moindre détail.

Entre autres choses, son plaisir consistait à mouler ces précieuses baguettes et ces croissants si particuliers dont la qualité et le goût avaient vite parcouru les rues du village.

Il mettait volontiers ses compétences au service de ses congénères à condition qu’on lui apporta la matière première, une sorte d’échange participatif.

Son prénom issu de l’ancien Breton et du Gallois « Gwen », se traduisait par « sourire ». Cela lui allait si bien !

Du haut de ses un mètre quatre-vingt-dix pour centdix kilos, il affichait une bonhommie rieuse contrastant avec le faciès buriné des siens restés au pays Bigouden, cette contrée aux côtes forgées par les tempêtes rendant la vie des hommes parfois insupportable. Il faut dire que la dernière en date, prénommée « Ciaran » avait été particulièrement violente, laissant sur son passage plusieurs centaines de milliers de sinistrés.

Maintenant, Grégori de la Rochemote roulait sur la Nationale 67 en direction de Périgueux. Il lui fallait environ trente minutes pour atteindre sa destination.

Il n’aimait pas plus que cela les débuts de semaine, toujours chargés des affaires pas forcément intéressantes du weekend.

Arrivé à bon port, il coupa le contact de sa prestigieuse Ford et jeta un œil furtif sur la façade de l’hôtel de police qui attendait sa venue.

Les murs austères parsemés de fenêtres en aluminium noir ne présumaient d’aucune façon l’activité parfois intense qui régnait à l’intérieur de ce bâtiment vieillot et inadapté aux contraintes grandissantes.

Quelques minutes plus tard, il avait traversé le sas de sécurité débouchant sur le hall d’entrée, « Vigipirate urgence attentats » oblige.

Après un rapide salut fraternel adressé au collègue de permanence à l’accueil du rez-de-chaussée, il gravit avec souplesse les quelques marches qui menaient aux locaux de la Brigade Criminelle où il exerçait les fonctions d’adjoint depuis bientôt trois années consécutives.

Il était neuf heures pile lorsqu’il poussa la porte de son bureau. Il déclamait souvent à l’instar de Louis XVIII, que « l’exactitude était la politesse des rois », tant il est vrai que la précision était l’une de ses incontournables manies.

A son arrivée, il lança un bonjour sonore qui tomba dans le vide, et pour cause. Les lieux étaient inhabituellement désertiques. Le Commandant de police connaissait bien les raisons possibles d’une telle situation.

Cela signifiait la plupart du temps qu’un évènement mobilisait en ce moment même les forces vives de l’unité.

Seul Julien, son fidèle coéquipier l’attendait, une tasse de café à la main.

— Salut Baron ! Tu m’as l’air en forme. Prêt pour aller guerroyer ?

Ses collègues l’appelaient ainsi à cause de la particule de son nom de famille, un peu par dérision amicale d’abord, et aussi parce qu’il roulait jusqu’à hier encore, avec cette Jaguar d’un autre âge qui forçait le respect.

— Tu peux me dire où ça se passe ? demanda l’Officier en désignant de façon explicite l’absence de ses collègues.

— Dans la maison de campagne d’un fabricant de cloisons, du côté de Champcevinel sur la D8. Apparemment, les premières constatations semblent faire pencher la balance vers le suicide du maître des lieux, mais un détail cloche dans le décor sans que la patronne qui est déjà sur place ne puisse définir avec précision ce qui la dérange. Elle veut que l’on vienne jeter un coup d’œil. L’Identification Criminelle nous a devancé d’une petite demi-heure.

— Qui est de permanence chez eux ?

— Georges et Martial, je crois.

— J’aime bien ces deux gars-là. Ils forment une équipe diabolique quand il s’agit de traquer la moindre preuve invisible aux yeux de l’enquêteur lambda. Tu as l’adresse ?

— Forcément !

— Bon, alors on fonce. Ariane nous en dira plus en cours de route.

Ariane dirigeait d’une main de maître la Brigade Criminelle. Elle avait l’art et la manière malgré une apparence de femme fragile, mais il ne fallait pas s’y tromper.

Des cheveux châtains coupés en un carré parfait lui conféraient un air dynamique. Un maquillage minimaliste mettait en valeur son visage dont la fraîcheur se passait aisément d’artifices.

Il est vrai que de l’autorité, il lui en fallait d’autant que tous les personnels sous ses ordres étaient des hommes dont certains affichaient un caractère bien trempé.

Toute jeune, elle avait choisi d’emprunter cette voie particulière afin d’honorer la mémoire d’une amie tombée dans les griffes impitoyables d’un obsédé sexuel récidiviste.

A la regarder partir ainsi en enquête, harnachée de son gilet pare-balles, et portant sur le côté gauche son arme de service presque trop grosse pour elle, on aurait pu penser à un garçon manqué. Elle n’en restait pas moins une femme distinguée et attirante.

Arrivé sur le parking, Julien faillit s’étouffer d’indignation feinte.

— Mazette. On ne se refuse rien dans la famille de la Rochemote ! Une Ford Mustang Mach-E, rien que ça !

— Je sais. Cela peut paraître excessif au regard de mes émoluments mensuels, mais je ne me voyais pas remplacer ma vieille Jag par une vulgaire citadine sans cachet, quand même ! Je n’avais pas d’idée préconçue, mais quand ce petit bijou est tombé sous mon regard dans le hall de la concession, j’ai su que c’était celle-là et pas une autre. En plus, elle s’inscrit dans l’air du temps : deux moteurs électriques qui développent 351 chevaux. Pas mal, non ?

Julien ajouta, l’air dubitatif :

— C’est le moins qu’on puisse dire ! Et pour quelle autonomie ?

Sentant dans la question posée, une provocation sous-jacente, Grégori préféra ne pas répondre, se contentant d’un sourire évasif.

La conversation allait bon train dans la voiture, portant naturellement sur les équipements de la Mustang, mais pas que… La patronne leur avait donné quelques bribes de renseignements, suffisamment en tous cas pour qu’ils aient une vue élargie de l’affaire dès leur arrivée sur la scène de crime puisqu’il semblerait que cela puisse en être un.

Arrivés à destination, ils se retrouvèrent bloqués au pied d’un impressionnant portail en fer forgé, flambant neuf.

Julien sortit de la voiture, ébahi :

— Il a les moyens, le gars ! dit-il sur un ton laconique en scrutant le fond de la propriété.

— Conjugue-ça plutôt à l’imparfait !

— C’est vrai. Tu as raison. Se suicider, quelle idée ! Il avait tout pour lui, cet homme-là… du moins apparemment !

— Signale notre présence au lieu de faire de la prose, ajouta le conducteur à l’intention de son binôme, en désignant l’interphone équipé d’une caméra fixée sur le pilier droit.

Quelques instants plus tard, le portail s’ouvrit silencieusement malgré un poids impressionnant.

Julien, avec le grand sérieux dont il se montrait capable dans les situations les plus tendues, n’était pas le dernier à plaisanter. Se courbant devant le conducteur tout en lui faisant signe de passer, il prononça de sa voix de stentor !

— Après vous, Monseigneur !

Celui qui faisait ainsi le pitre savait qu’il pouvait se permettre quelques privautés de langage.

Les deux hommes issus de la promotion 06/02 avaient suivi un cursus professionnel similaire sans jamais se perdre de vue. Par le plus grand des hasards, ils s’étaient retrouvés à la Brigade Criminelle de Périgueux, celle au sein de laquelle ils œuvraient aujourd’hui.

Même formation, même méthode de travail ! Il n’en fallait pas plus pour qu’ils constituent un duo équilibré, qui plus est lorsqu’une amitié indéfectible les liait depuis déjà de nombreuses années : Julien était le témoin de mariage de Grégori et de Claire, son épouse.

Ses cheveux bruns toujours impeccablement coiffés et son faciès méditerranéen rehaussé par un costume trois pièces à la coupe moderne ne laissaient pas la gent féminine insensible. Marié depuis peu avec Sylvie, une charmante jeune femme, il en jouait parfois avec exagération, et cela lui réussissait bien.

Le portail venait de se refermer derrière la Mustang avec un claquement métallique sourd. Julien était remonté dans la voiture.

Devant eux, une longue allée couverte de majestueux bambous multicolores serpentait jusqu’au pied d’une imposante bâtisse aux murs de pierre partiellement couverts de lierre. Sous cet angle avec le ciel bleu en arrière-plan, on eut dit une carte postale où les parterres de fleurs aux couleurs chatoyantes rivalisaient avec ces petits bosquets d’arbustes décoratifs plantés çà et là, de façon harmonieuse.

Grégori, nous l’appellerons ainsi dorénavant, ne put s’empêcher une grimace de déconvenue. Cette maison correspondait à ses rêves les plus enfouis.

Il se promit de déterrer ce vieux projet qui lui tenait tant à cœur sans savoir que le destin allait répondre à ses vœux sous une forme pour le moins assez inattendue.

Ariane les attendait sur le perron pour leur ouvrir le chemin.

— Toujours aussi ravissante notre patronne ! dit Julien, avec un petit clin d’œil.

Elle les interpella de loin.

— Bonjour les gars. La semaine débute en fanfare. Les Tps1 sont en plein boulot. On a balisé les lieux pour protéger les indices. Pour l’instant, personne ne piétine la scène. On attend le feu vert, mais il n’empêche. Il y a quelque chose qui me dérange dans le tableau, je ne peux pas dire quoi, un détail indéfinissable… J’ai besoin de votre avis éclairé.

Ils entrèrent tous les trois dans la maison. Il régnait dans cet endroit une atmosphère de sérénité où le temps et les passions semblaient hors d’atteinte des perturbations extérieures. On remarquait les fleurs fraiches, les plantes vertes choisies avec goût, les fuseaux de lavande aux poignées des portes.

Tout cela sentait bon la joie de vivre… jusqu’à ce matin tragique.

— Qui a découvert le corps ? demanda Grégori.

— Son épouse ! Elle dormait quand elle a entendu un claquement sec qui l’a réveillée. Elle est descendue en petite tenue tout en appelant son mari, et elle l’a découvert par terre, la tête dans une flaque de sang.

— Elle se trouve où actuellement ?

— Je l’ai consignée dans sa chambre avec interdiction d’en sortir. J’ai mis un gardien devant sa porte pour empêcher toute velléité de sa part, rajouta Ariane. Il n’est pas inutile de conserver son témoignage intact, des fois que des incohérences apparaitraient lors de son audition.

— Sage précaution, on ne sait jamais ! Je peux aller lui parler ?

— Bien sûr. Première porte à droite, en haut de l’escalier.

— Elle a mis un vêtement plus décent, j’espère. Je n’aimerais pas être accusé de harcèlement. C’est bien à la mode en ce moment si tu vois ce que je veux dire…

Dix minutes plus tard, le Commandant de la Rochemote redescendit, l’air aussi indécis que celui de sa patronne.

— Alors ? demanda Ariane.

— Certainement la même impression que toi ! Il y a un truc qui ne colle pas dans son attitude de veuve éplorée. On en est où ?

Dans l’autre partie de la maison, tout un monde de spécialistes œuvrait dans la plus grande discrétion.

Alors même que le médecin légiste examinait en détail le corps de la victime, les techniciens passèrent leur crimescope2 à l’intérieur de la surface de travail neutralisée. Mais, leurs investigations ne s’arrêtaient pas là. La projection de bluestar leur avait permis de constater l’existence de traces de sang grossièrement nettoyées. Il s’agissait maintenant d’être sûr que ces projections appartenaient bien à un humain et non pas un animal. La pulvérisation d’Exagon OBTI, vint les conforter dans leur hypothèse initiale.

Selon une technique parfaitement rodée, ils avaient déposé au fur et à mesure de leur progression, des cavaliers numérotés qui permettraient de dresser un plan précis de la scène aux fins d’une éventuelle reconstitution.

— C’est bon, le terrain est libre. La pièce a été passée au peigne fin, dit Arianne qui venait d’échanger avec les hommes en blanc.

— Je ne veux pas empiéter sur tes prérogatives, mais si tu n’y vois pas d’inconvénient, je vais aller discuter avec les collègues de la Scientifique un petit moment, histoire de recueillir à chaud leur intime conviction. Leur conversation est toujours très enrichissante.

Les techniciens venaient d’ôter leurs équipements de protection qui les faisaient ressembler à des chirurgiens sortant du bloc opératoire : combinaison polyéthylène à usage unique, lunettes, charlotte, surchaussures et gants. Selon un protocole bien rodé, ils avaient déposé un infime prélèvement de leurs vêtements et de leurs propres cheveux dans plusieurs petits flacons aussitôt identifiés pour comparaison éventuelle avec les indices recueillis sur place.

— Salut les gars. La pêche a été bonne ?

— Plus que tu ne le penses, Baron, plus que tu ne le penses….

— On en discute ?

— Alors, voilà…

Quinze minutes venaient de s’écouler lorsque l’officier de police rejoignit ses deux collègues.

Il se mit à examiner avec minutie le lieu où le drame s’était joué, se baissant parfois jusqu’au sol, se relevant ensuite pour finir par exprimer des « bien sûr », « forcément », « ils ont raison ».

— Pourrait-on savoir ce que le grand maître a découvert ? l’interrompit Julien.

— Je pense avoir l’explication du détail qui te troublait tant, dit-il à sa patronne.

Grégori avait un profond respect pour cette dernière, d’abord parce que la compétence professionnelle de la jeune femme n’était aucunement à mettre en doute, mais aussi parce qu’elle affichait cette classe naturelle qui la plaçait indéniablement au-dessus du lot de ses semblables.

— Pouvez-vous me suivre jusqu’au corps de notre hôte, sans vous commander bien sûr !

L’homme qui gisait à terre était habillé d’un pyjama surmonté d’un peignoir au tissu raffiné. Sa carte d’identité indiquait qu’il s’agissait de Thierry Latourneuve, quarante-six ans. Entrepreneur marié sans enfant, il faisait face à d’énormes difficultés financières, sa société ayant mal traversé la crise de la Covid.

Ariane, s’approcha si près de son adjoint qu’il pouvait sentir son parfum chargé d’effluves poivrés enivrants.

Un instant déstabilisé par cette attitude inhabituelle, il reprit.

— Il est évident que si l’on tient compte du contexte général, le suicide ne fait aucun doute, mais l’ensemble des indices recueillis indique tout autre chose. Je vous explique.

— Mon intuition ne m’a donc pas trompée !

— Exact. Il semble, au vu des constatations faites par les techniciens, que notre bonhomme ne soit pas mort à l’endroit où il se trouve actuellement.

— Décidemment, je dois être bouchée ce matin. Je ne vois rien !

— On va commencer par le début. En fait, notre gars est décédé dehors sur la terrasse. Il était vraisemblablement assis sur l’une des chaises en osier que l’on voit. Deuxièmement, il n’y a aucune projection de sang autour du cadavre qui est allongé par terre dans le salon, à part la flaque sous la tête.

Plus petite que son interlocuteur, Ariane regardait son adjoint les yeux levés, avec une admiration non feinte et toujours étonnée par son esprit de déduction très cartésien.

Puis, elle s’écarta brusquement, s’apercevant tout à coup que leur rapprochement pouvait prêter à confusion, comportement qui n’était pas passé inaperçu aux yeux inquisiteurs de Julien.

— Examinez l’impact. Le bonhomme a été refroidi avec une munition de petit calibre tirée avec ce pistolet trouvé à côté du défunt.

Ce faisant, il désignait un sachet fermé par un sceau de cire rouge, contenant un Mauser 1910 Cal. 6.35 Browning.

— C’est du matériel de la dernière guerre, ce truc ! précisa Julien.

— Tu as raison, mais à bout touchant, ça fait des ravages, la preuve ! L’autopsie nous en dira plus. Maintenant, pour conforter ma théorie, nous allons examiner la trajectoire supposée de la balle. Regardez bien, rajouta Grégori en montrant du doigt le petit trou entouré de cheveux brûlés par la flamme dégagée par la bouche du canon de l’arme.

— L’ogive est entrée derrière l’oreille gauche pour aller exploser la paroi orbitale droite et ce, de façon parfaitement horizontale. Non seulement le tueur était derrière sa victime, mais il est gaucher.

— Gaucher ! s’exclama Julien.

— Oui, l’axe du tir le prouve. A l’inverse, on se retrouverait avec un axe opposé, et la plaie d’entrée serait donc de l’autre côté.

— C’est une bonne déduction, ajouta Ariane.

— Notre victime est droitière, tout le prouve. Le clic de sa souris est celui de gauche, son stylo et son téléphone se trouvent à droite de l’écran de son portable. J’ai constaté que son épouse est également droitière, ce qui l’élimine d’office de la liste des tueurs potentiels, pour l’instant. Alors, il y a forcément une troisième personne. Le problème sera d’identifier le gaucher en question. Et puis entre nous, franchement, il faudrait avoir un bras sacrément articulé pour aller se tirer une balle dans la tête de cette façon ! Techniquement impossible, ça clôture donc le débat du suicide.

— Bon, c’est déjà une hypothèse en moins à vérifier, proclama Ariane. Autant de temps gagné !

— Tout autant, je ne m’explique pas la raison pour laquelle le corps a été déplacé de la terrasse au salon. Notre bonhomme pèse au moins cent kilos. Il n’est pas impossible qu’ils aient voulu l’emmener ailleurs, ou alors l’enterrer sur place. La propriété est grande, et ce n’est pas la place qui manque. Mais, vu le poids du mort, ils ont dû abandonner l’idée en cours de route et construire un scénario à la va-vite.

— Qu’est-ce qui te fait supposer ça ? demanda Julien. Je ne vois pas l’intérêt de la manœuvre.

— Moi non plus, mais est-ce que tu as remarqué que le salon communique avec le garage, où il y a un gros pickup avec un plateau facile d’accès derrière la cabine ?

— Je vois où tu veux en venir !

— Cela sent l’amateurisme à plein nez, avec un manque de préparation évident. Ils ont dû être surpris par la gravité de leur acte. On ne s’improvise pas tueur à gage comme ça, par la seule volonté de nuire à autrui. Encore faut-il en avoir l’envergure…

Ariane écoutait silencieusement ses fins limiers aller de déduction en déduction.

— J’ai toutefois une question, suggéra cette dernière. Tu as employé le pluriel tout à l’heure en parlant de « ceux » qui ont déplacé la victime.

— C’est exact. En fait, je me demandais simplement si l’épouse modèle ne serait pas dans le coup.

Le médecin légiste venait de repartir.

Une heure plus tard, l’ambulance avait évacué le corps à destination du service de médecine légale. La demeure, placée sous scellés après que la veuve eut récupéré ce qui lui était nécessaire, semblait maintenant abandonnée à son sort.

Placée en garde-à-vue après la notification de ses droits, la maîtresse de maison avait été transportée jusqu’aux locaux de la « Criminelle » aux fins d’interrogatoire.

Ariane, accompagnée d’un jeune policier détaché à la Brigade, était rentrée directement au bureau.

Julien regarda sa montre. Il était treize heures.

— Je commence à avoir faim. Pas toi Baron ?

— Si. Ça fait beaucoup de perturbations pour un début de semaine. On va manger chez Marysa ?

— D’accord. C’est bon pour moi !

 

1 Tpts : Technicien de Police Technique et Scientifique

2 Crimescope : Lampe monochromatique qui permet de voir ce qui est invisible à l’œil humain.

2

Samedi 02 mars 2024, 07 heures du matin,

C’est au bord de la Vézère, dans un cingle3 de cette rivière qui s’écoule paisiblement autour du bourg de Saint-Léon-sur-Vézère que cette histoire va prendre forme.

Pour Grégori de la Rochemote, cette partie de pêche s’inscrivait comme un intermède indispensable entre une semaine de travail chargée et le besoin de faire une coupure radicale avec son quotidien.

Il aimait cet instant, lorsque le jour se levant à peine, pas un bruit n’était audible dans la campagne. Le rituel était toujours le même : il arrivait en marchant précautionneusement sans s’approcher du bord de l’eau, montait sa canne, choisissait avec soin son esche, puis regardait longuement la rivière tel un soldat jaugeant sa zone de combat.

Ce jour-là, une demi-heure avant le lever du soleil prévu à 07h28, équipé de cuissardes et de sa canne télescopique en carbone, notre homme lança son appât à l’eau.

Il réalisait là une vieille envie, comblant ainsi une absence de plusieurs années pendant lesquelles son matériel remisé dans un coin de son habitat, se couvrait progressivement d’une épaisse couche de poussière à force de n’être plus utilisé.

Maintenant euphorique, Grégori remontait doucement le courant, à la recherche de la prise hors du commun, celle que l’on a envie de brandir aux yeux de tous, comme un trophée à faire pâlir de jalousie les passionnés de la truite arc-en-ciel ou sa concurrente la Fario, particulièrement recherchées pour leur aspect combatif.

Chemin faisant, il se souvenait avec nostalgie de sa première canne à pêche au coup. Elle était en acier à quatre brins d’une longueur de cinq mètres. Il l’avait trouvée un soir au bord de l’eau, l’oubli d’un pêcheur, allez savoir !

Un violent mouvement du scion le ramena à la réalité. La canne s’était courbée comme un arc, à la limite de sa résistance.

Il n’avait rien vu venir, mais une telle tension le persuada instantanément qu’il pouvait s’agir d’une prise exceptionnelle.

Sous le coup de l’exaltation, il ne put s’empêcher de parler tout haut :

— Toi, ma belle, je te tiens ! A nous deux.

Prenant garde à ne pas trébucher, marchant tantôt dans le lit de la rivière, tantôt sur la berge lorsque la profondeur de l’eau l’empêchait de progresser, il sortit son épuisette pour enfin remonter avec mille précautions sa prise.

C’était un magnifique spécimen de trente centimètres, mais aux flancs si maigres qu’on aurait dit un hareng-saur. Elle avait dû passer l’hiver sans grande nourriture, vivant sur ses réserves.

Le combat avait duré près de vingt minutes. Il avait décidé d’utiliser un bas de ligne en fluorocarbone de 12 centièmes, ce qui rendait l’exercice assez périlleux.

Cette tension l’avait épuisé, et ce cadeau de la nature lui suffisait pour aujourd’hui.

Il décida de rentrer.

Lorsqu’il mit enfin le pied sur la berge, il s’aperçut qu’il s’était sacrément éloigné de son point de départ. La végétation des alentours avait changé et il se trouvait maintenant dans un secteur boisé qu‘il ne connaissait pas, n’ayant jamais poussé son exploration du bourg aussi loin.

D’un pas alerte, il emprunta le chemin carrossable censé le ramener à sa voiture.

Alors qu’il progressait tranquillement, satisfait de sa première sortie, il aperçut plus qu’il ne vit sur sa gauche, un panneau grossièrement cloué sur un piquet de bois rudimentaire, et qui en jouxtait un autre indiquant de façon plus formelle le nom du lieu-dit : « L’Oustal4 ».

Il se rapprocha et le redressa instinctivement. En y regardant de plus près, on voyait que les pointes étaient récentes et la peinture pas si vieille que cela.

Une courte inscription en lettres blanches tracées à la va-vite sur un fond vert foncé mentionnait :

« Maison à vendre ».

La végétation environnante ayant envahi le bord du chemin, ce n’est que par un concours de circonstances qu’il avait pu entrevoir cet affichage.

Il jeta un coup d’œil circulaire. Pas la moindre construction à l’horizon !

Sa curiosité naturelle en fut tout à coup aiguisée.

Maintenant, il était lui aussi piqué au vif, comme accroché à une furieuse envie de savoir où menait cette allée transversale enherbée, et marquée de traces de roues récentes incrustées dans la terre meuble.

Sa bourriche en bandoulière, sa canne repliée tenue de la main droite, il accéléra le pas comme attiré par une force incontrôlable qui semblait le dominer.

Au fur et à mesure de sa progression, des sensations étranges, loin de ses préoccupations du moment se bousculaient dans sa tête. Des images diffuses pleines d’harmonie se mêlaient à un sentiment d’oppression. Même si un vieux rêve couvait en lui, un achat immobilier n’était pas d’actualité. Grégori et sa petite famille occupaient une confortable maison de village héritée des parents de Claire. Cela satisfaisait amplement leur besoin du moment.

Il avait parcouru une trentaine de pas lorsqu’après un léger virage sur la droite, il tomba en arrêt devant deux grosses pierres érigées tels des menhirs. Placées de chaque côté du chemin, elles matérialisaient clairement l’entrée d’une propriété. Sur le monolithe de droite, plus haut que son jumeau, une plaque en cuivre épais fixée sur un méplat taillé au burin dans la masse, indiquait le nom du lieu :

« Domaine du bois de la Rochebrisée »

Ce nom évocateur qui laissait une large place à l’imagination mit Grégori de la Rochemote mal à l’aise sans qu’il ne sache vraiment expliquer ce soudain ressenti.

L’attrait du mystérieux, peut-être !

Envahi par les ronces et la mauvaise herbe, un grand portail en fer forgé rouillait tranquillement sur ses gonds, les deux lourds battants ouverts de chaque côté du chemin.

Son instinct reprenant le dessus, il enjamba la grosse chaine qui interdisait l’accès aux véhicules, et sans qu’il en eût conscience, continua à marcher vers son destin.

Après avoir traversé un petit bosquet clairsemé qui débouchait sur un vaste espace où l’herbe fraîchement fauchée exhalait cette odeur si caractéristique de foins coupés, il eut vite fait de rejoindre ce vieux banc en bois, scellé en marge de l’allée centrale gravillonnée d’où on pouvait apercevoir une partie de cet immense domaine. A peine installé sur l’assise vermoulue où tant d’autres propriétaires avaient dû poser leur auguste fessier, il fut saisi d’une intense paix intérieure, comme s’il retrouvait la place qui était la sienne avec ce sentiment paradoxal de faire partie intégrante du tableau qui s’affichait sous ses yeux.

D’abord, il s’en émut. Puis il chassa d’un mouvement de tête ces idées étranges, se promettant de trouver une explication rationnelle à ces ressentis pour le moins inhabituels.

Cartésien dans l’âme, il n’admettait pas ces manifestations qui relevaient de l’extraordinaire.

Il s’arracha alors littéralement du banc pour d’abord disperser ces idées qui lui semblaient incongrues, et ensuite partir à la découverte de cette imposante construction typique du Périgord noir.

Le constat se montra sans appel. Le domaine manquait cruellement d’entretien. La bâtisse, entourée d’arbres centenaires commençait à être envahie par un léger lierre grimpant. Un airial parsemé de petites fleurs sauvages s’étalait devant la maison. Le bâtiment comptait un étage avec de nombreuses fenêtres en façade. Une énorme tour carrée accolée au côté gauche s’imposait par sa majesté. Cet élégant ensemble de pierres blondes avait été construit à proximité immédiate d’une colline apparemment percée de trois cavités souterraines, rajoutant à l’ensemble une indéniable note de charme.

L’examen attentif de cette vaste maison lui prit une bonne demi-heure. En fait, il avait perdu la notion du temps au moment même où il avait commencé à fouler le sol de cette intrigante propriété.

Satisfait de sa visite, il s’éloigna dans l’idée de reprendre son chemin pour rejoindre enfin sa voiture. Une trentaine de mètres plus loin, il se retourna, et contempla à nouveau le domaine avec toujours en toile de fond, cette impression persistante de le connaître alors que l’endroit lui était totalement étranger, une heure auparavant.

Ce tableau digne d’une peinture champêtre avait déjà envahi plusieurs fois ses rêves. Quelle invraisemblable similitude avec la réalité qui s’affichait devant ses yeux !

Il laissa son esprit vagabonder. Que faisait-il donc là au juste ?

Il est vrai que parfois, nos attirances nous entrainent sur les chemins inexplorés de notre subconscient. Nous croyons être maîtres de nos décisions. En sommes-nous certains ?

Lorsqu’il y réfléchissait, il lui paraissait évident que le hasard avait forcément sa part d’influence, comment pouvait-il en être autrement ?

Qui donc aurait pu prévoir qu’il s’extirperait du lit de la Vézère à proximité immédiate du domaine du bois de la Rochebrisée ? Oui... Qui donc ?

C’est justement la question centrale qui restera en suspend jusqu’à ce que la réponse lui parvienne par étapes.

Pas après pas, il avait rejoint le chemin de halage en direction de la sortie du bourg. Tout en marchant, il attrapa son portable avec l’intention d’appeler sa compagne.

Il laissa un instant sa main dans sa poche lorsqu’il se rendit compte de l’incongruité de la situation. Vouloir plus que ce qu’il avait déjà n’était pas forcément une bonne chose, mais il ne semblait plus avoir le choix de sa décision.

Pourtant, la demeure qu’ils occupaient depuis quelques années était une belle maison de village comprenant un étage surplombé par un confortable toit terrasse sans vis-à-vis. C’est à cet endroit qu’en plein été, ils passaient souvent des nuits à regarder les étoiles filantes tout en construisant des châteaux en Espagne. Combien de lessives avaient-ils étendues ici, sans oublier ces longues soirées passées avec les parents de Claire, Henri et Madeleine lorsque cette dernière était encore de ce monde.

L’intérieur de la bâtisse, lumineux et cosy sentait la lavande et le romarin. Dans la cuisine, des chapelets de piments d’Espelette étaient suspendus à des petits crochets. Des rideaux de boules en bois pendaient aux portes, créant ainsi une barrière virtuelle avec le monde environnant.

Alors, pourquoi en changer ?

Son existence semblait harmonieuse. Il la partageait avec son épouse et sa fille Gaëlle, qui occupaient une place prépondérante dans sa vie, ce qu’il ne regrettait pas.

Il faut dire que Claire était l’archétype de la femme moderne. Elle soignait son apparence, trop consciente qu’il s’agissait là d’un atout indéniable. Dame Nature avait été généreuse avec elle dès sa naissance. Fille de bonne famille, elle affichait avec insolence une taille d’un mètre soixante-dix pour cinquante kilos. La blondeur de ses cheveux coupés au carré qui lui arrivaient au menton n‘avait d’égale que la couleur impressionnante de ses yeux gris qui vous transperçaient de part en part au moindre regard. Dynamique et intelligente, elle possédait un diplôme de professeur de droit et enseignait à l’université de Bordeaux.

Toujours habillée de jupes courtes, il se dégageait de sa personnalité une sensualité qui ne laissait personne indifférent. Elle en jouait, mais fidèle dans l’âme, elle n’avait jamais cédé aux sirènes de l’adultère.

Grégori se remémora leur premier contact :

« « « Notre rencontre fut fortuite, et plutôt accidentelle, je dois le reconnaitre. Je venais de quitter la préfecture où j’avais déposé un dossier délicat.

Pour me changer les esprits, je m’étais dirigé vers le jardin botanique à la recherche d’un banc à l’ombre. J’aimais cet endroit, véritable poumon vert au cœur de la ville. Avec ses allées ombragées, et son île au milieu du lac, il n’était pas rare de croiser d’étranges personnages, sortis on ne sait de quel imaginaire.

Perdu dans mes pensées comme cela arrivait souvent, j’avançais la tête baissée, une canette de soda dans la main gauche, et dans celle de droite, un sac en papier contenant les restes d’un repas trop vite avalé.

Tout à coup, un cri me fit sursauter. Je venais de percuter une jeune femme accompagnée d’une amie. Dans un élan de surprise, le contenu de la canette se répandit sur son chemisier. Confus, je commençais à bredouiller des excuses incompréhensibles lorsque je la vis sourire.

Reprenant un peu d’assurance, je lui demandai :

— Je ne sais trop comment me faire pardonner. Je suis si maladroit à mes heures. Vraiment désolé…

Elle recula alors d’un pas, me jaugea, puis me regardant droit dans les yeux, me dit :

— Je crois que j’ai une idée. Le coût d’un nettoyage à sec dans un pressing vaut bien un repas dans un endroit sympathique, non ?

C’est comme cela que tout a commencé.

A cette époque, nous habitions tous les deux à Bordeaux. Notre attirance réciproque était telle que chaque séparation même courte, nous précipitait dans des tourments insupportables jusqu’au jour où vint le moment de vivre ensemble. » » »

Ces absences momentanées revenaient très souvent. Elles avaient en fait l’avantage de replacer la réalité au centre de ses rêveries.

Il composa alors le numéro qu’il avait laissé en attente.

— Tu ne devineras jamais où je suis ?

— Toujours à Saint-Léon-sur-Vézère, je présume ? répondit Claire.

— Exact, mais pas à l’endroit où tu penserais me trouver. Je me suis écarté de la piste menant à la voiture et je suis tombé sur une propriété à vendre. Je ne saurais trop dire pourquoi, mais elle me plait. Elle m’attire d’une façon incroyable, peut-être la particularité du lieu… ou autre chose. Je pensais depuis un moment déjà à un espace plus grand que celui de notre maison de village, mais de là à envisager la propriété qui s’est imposée à moi, il y a une marge qui pourrait se révéler infranchissable.

Claire, peu réceptive à ce que Grégori venait de lui dire, changea brusquement de sujet.

— Et comment s’est déroulée ta partie de pêche ?

— J’ai réussi à piquer une grosse truite, mais je l’ai remise à l’eau.

Grégori entendit son épouse rire à gorge déployée.

— Pourquoi te moques-tu ?

— Bah, tu connais le dicton : « dix pêcheurs et dix chasseurs font vingt menteurs. »

Tout de même légèrement vexé, il répliqua :

— Je savais bien qu’on m’opposerait cet argument. Alors j’ai pris les devants en photographiant la bestiole avec mon mètre à ruban en arrière-plan. Comme ça, pas d’ambiguïté !

— Alors pourquoi l’avoir relâchée ?

— Tu aurais dû la voir ! Magnifique spécimen, mais si maigre que j’ai eu pitié d’elle ! Je ne lui ai pas rendu sa liberté sans lui avoir donné rendez-vous dans un mois ou deux, histoire qu’elle se refasse une santé.

Reprenant tout à coup le cours de leur conversation initiale, Claire demanda :

— Et où se trouve cette maison ?

— Légèrement en dehors du bourg, un kilomètre tout au plus. Nous ne sommes jamais allés nous promener par là-bas. L’endroit est ravissant.

Claire devint curieuse.

— Tu ne peux pas m’en dire plus ?

— Attends ce soir.

— Non, Greg ! Dis-m’en plus maintenant. Tu attises ma curiosité, et puis tu me laisses sur ma faim. C’est pas gentil. A quoi ressemble-t-elle ?