Les Suppliciées de Kergaouen - Gilles Battistuta - E-Book

Les Suppliciées de Kergaouen E-Book

Gilles Battistuta

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Beschreibung

S'il en est un parmi ceux qui possèdent ce don si rare de nous faire rêver en contant de mystérieuses légendes bretonnes, c'est bien Anselme le Brun surnommé l'Ankou, personnage nocturne qui puise ses sources au delà de la Porte du temps. Les marais de Pont Nignon qui entourent le manoir Kerlang où il demeure avec Joran son fidèle compagnon, vont être le théâtre de plusieurs disparitions inexpliquées. Fugues, enlèvements crapuleux ou simples farces en ces fêtes d'Halloween. Toutes les hypothèses sont désormais envisageables. Soupçonné d'être le tueur en série qui sévit sur cette partie de la côte finistérienne, notre homme ne devra son salut qu'à la rencontre d'un couple de détectives quimpérois dont les méthodes atypiques sont parfois désarmantes. Leur association improbable va permettre de révéler au grand jour une machination diabolique dont les ramifications s'étendent bien au-delà des apparences.

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Du même auteur :

2015 Le Printemps Ressuscité

2016 On a volé Saint-Nonna

2018 La Dynastie des Douze

Sommaire

Préambule

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Préambule

Relier la légende de l’Ankou aux marais de pont Nignon n’est pas une hérésie en soi, question d’ambiance.

Ces vastes étendues désertées par les humains et parsemées d’herbe spongieuse, roseaux et autre broussaille, jadis recouvertes d’eau salée lorsque les tempêtes et les grandes marées submergeaient le trait côtier provoquent encore aujourd’hui une étrange impression pour peu qu’on prenne le temps de s’arrêter à leur abord.

L’imagination collective prête à ces sols instables la présence d’esprits malins qui la nuit venue, hantent ces lieux à la recherche d’une âme en peine.

Rapprocher ces superstitions ancestrales du Monde méconnu des druides pratiquant des cérémonies spirituelles au cœur de la forêt de Brocéliande, il n’y a là qu’un pas que l’auteur s’est empressé de franchir.

Il n’en fallait pas plus pour construire un roman mettant en scène ce morceau de Terre situé au sud-ouest du Pays bigouden créant pour l’occasion des personnages atypiques gravitant au sein d’une histoire fantastique.

Toute ressemblance avec des personnes et des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que totalement fortuite.

Retrouvez l’auteur sur son site internet :

https://ecrireinfo33.wix.com/lesmotsdulivre

Remerciements

L’auteur remercie les nombreuses

personnes qui ont amené leur

contribution matérielle

ou leur savoir régional

et sans qui ce roman n’aurait pas

la même résonnance.

1

L’atmosphère qui régnait sur les marais de Pont Nignon était pesante. Les lourds nuages aux formes torturées obscurcissant l’horizon semblaient fuir à toute allure une menace invisible. La pression du vent venant de la mer s’était renforcée annonçant l’arrivée imminente d’un grain redoutable.

Dans cette pénombre angoissante pour qui n’est pas d’ici, on pouvait apercevoir au beau milieu de la route, une silhouette inquiétante qui se découpait en ombre chinoise au gré des zébrures lumineuses qui déchiraient le ciel lorsque les éclairs jaillissaient du néant.

S’aidant de la main gauche, celui qui marchait arc-bouté sur un long bâton qu’il plantait dans l’asphalte comme il l’aurait fait dans un vulgaire chemin de terre, s’évertuait non sans mal à maintenir sur sa tête un large couvre-chef de cuir patiné qui ne demandait qu’à rejoindre les tourbillons de la tourmente.

La grande cape de tissu imperméabilisé luisant d’avoir été tant porté qu’il avait négligemment jetée sur ses épaules afin de protéger son corps puissamment musclé des intempéries, virevoltait au gré des violentes bourrasques.

En des temps plus reculés, sans la crainte du blasphème, on aurait publiquement juré avoir aperçu l’archange de la Mort errant dans la campagne à la recherche d’une âme perdue.

Mais sur ce chemin goudronné qui relie le bourg de Penmarc’h à Saint-Pierre, il n’y avait là point de Dieu ni de sorcellerie, juste un homme qui luttait contre les éléments pour rejoindre cette petite maison construite à l’entrée du hameau dont l’une des deux baies laissait voir la lueur tremblotante d’une lampe à pétrole déposée sur la grande table qui occupait la pièce principale.

Il faut dire que quelque temps auparavant, un vieux poteau électrique en bois rongé par la vermine et les embruns s‘était couché au sol, laissant le quartier sans lumière.

Anselme Le Brun aimait se déplacer à pied, à l’ancienne comme il se plaisait à le proclamer. Il avançait posément avec l’assurance des gens du pays habitués à la violence des éléments et au rythme de cette nature dont il foulait le sol comme s’il voulait éviter de laisser derrière lui jusqu’à l’empreinte même de son existence.

Et puis, somme toute, ces quelques exercices physiques lui permettaient d’entretenir le mystère qu’il cultivait afin de mener à bien son activité favorite.

Conteur de métier, il déclamait avec fougue et passion des histoires fantastiques, décortiquait des légendes offrant au spectateur en haleine, une image de lui-même savamment entretenue, celle d’un personnage hors du temps, inaccessible à celui pour qui les mystères de la Cornouaille restent une énigme trop opaque pour être assimilée.

Comme tous les soirs, la vieille dame qui habitait cette modeste demeure construite entre les deux grandes guerres attendait avec une patience non contenue l'arrivée de celui qui illuminait sa vie par sa présence quotidienne.

Viendra-t-il seulement ? Elle détestait ces moments d’incertitude qui lui rappelaient une période pénible. Elle était si désemparée depuis le décès de son mari, il y a vingt-cinq ans maintenant.

Une mauvaise vague avait renversé son vieux canot ventru. Les casiers avaient été retrouvés dérivants, toujours attachés à leurs bouées, emmêlés dans les filets déchirés. Un morceau du plat-bord tribord encore relié à quelques planches du bordé et du tableau supportant l’inscription « Kristine II » flottait à mi- eau.

L’océan avait gardé le corps du pêcheur pour l’éternité certainement.

Et ce mauvais temps qui décidément n’arrangeait pas les choses ! Elle s’était promis de patienter quelques instants encore avant d’aller rejoindre sa chambre, celle dans laquelle elle s’allongeait tous les soirs depuis soixante-cinq ans.

La tapisserie aux grandes fleurs à la couleur délavée par le temps et la lumière avait été posée par un artisan dont le nom ne lui évoquait plus qu’un vague souvenir. Ils avaient été amants, l’espace d’un jour sur un coup de tête justifié par la solitude d’une femme souvent délaissée, pour combler un manque, retrouver un peu de chaleur humaine, se sentir désirable. Plusieurs cadres en bois dorés à l’or fin la représentant aux côtés de son mari et son fils trônaient au centre d’une grande commode faisant face au lit.

Sur l’un des chevets, un vieux réveil en fer blanc aux aiguilles figées à l’heure du décès du patriarche de la famille rappelait que sa vie de couple s’était brutalement arrêtée à l’aube du trois octobre d’une année sombre.

Elle ne dormait plus beaucoup, quatre ou cinq heures peut-être, mais elle restait couchée, sans rêve, sans but. Encore six anniversaires à souffler l’unique bougie qui décorait le gâteau traditionnel et elle rejoindrait la liste des centenaires du Pays bigouden.

Alors qu’aurait-elle fait debout au milieu de la nuit ? Ses jambes ne la portaient plus vraiment, mais elle arrivait à marcher, à son rythme bien sûr, un pas après l’autre tout ceci avec l’aide de cette canne qui avait servi à sa propre mère. Cette dernière, elle-même femme de marin, une tradition dans la famille, était décédée à l’âge canonique de cent-deux ans.

Ah, si cette badine pouvait parler, elle en dirait des choses ! Jour après jour, elle avait tenu le coup, mais là, elle était à bout de souffle. Sa frêle tige de ronce vernie et décorée au fil du temps par des motifs taillés à la pointe du couteau était parsemée de trous de vers et prête à rompre à tout instant. Elle savait qu’elle finirait certainement sa vie en deux morceaux et jetée dans l’âtre de la cheminée où cinquante ans de souvenirs partiraient en fumée sous le gémissement du bois se tordant dans la braise. Mais c’était son destin.

Le médecin de famille, l’ancien du moins qui n’exerçait plus depuis belle lurette avait prescrit à la vieille dame un déambulateur. Par amour propre ou pour ne pas admettre sa déchéance physique, elle ne s’en était jamais servi. Remisé tout au fond d’un placard telle une antiquité qu’on ne voulait plus voir, il n’avait même jamais quitté son carton d’emballage.

Il n’était pas rare qu’on la trouvât sur le pas de la porte à regarder les quelques voitures qui circulaient à allure lente à cet endroit.

Heureusement, ses journées étaient rythmées par le passage d’une charmante infirmière répondant au doux prénom d’Alice. Il y avait aussi Victorine qui lui amenait ses repas et faisait un peu de ménage…

Victorine ! Trente-deux ans tout au plus, elle virevoltait dans la maison tel un papillon, un chiffon à la main et était si bavarde qu’elle pouvait, sans même cesser d’astiquer ou de préparer le repas du moment, rapporter les « conchenous1 » du quartier avec une précision diabolique, donnant des nouvelles de la santé de Tante Yvette, de Maria, de Margot ou tant d’autres personnes qui avaient fait la jeunesse de Kristine Le Brun.

— Mais pourquoi portez-vous toujours ces mêmes vêtements ? Votre petit dressing est plein de si belles choses. Je suis sûre que ça vous irait très bien !

Ce à quoi la vieille dame répondait bien souvent avec une grande lassitude dans la voix :

— Tu sais Victorine, à mon âge, tout ça n’a plus guère d’importance. J’aime bien de temps à autre, contempler ces chiffonnades que j’ai portées quand j’étais encore une jolie femme. Mais je suis réaliste. Là-dedans, ça sent le renfermé et aussi la naphtaline. En plus, l’humidité abîme tous les tissus. Un jour, tu m’aideras, il faudra qu’on déblaie ces vieilleries. Tu n’auras qu’à prendre ce qui est encore bon pour le Secours Populaire. Le reste servira à faire des chiffons.

— Allez, madame Le Brun, vous dites ça ! Moi, je sais bien que vous n’en pensez pas un mot.

Le visiteur poussa la porte d’entrée sans même frapper. À quoi bon ? Avec ce crachin persistant qui vous pénétrait de toute part, les convenances perdaient leur sens.

Après s’être défait avec application de ses vêtements ruisselants, il s’adressa à celle qui lui faisait face :

— Bonjour la Mère, comment vas-tu depuis hier soir ? Je te trouve toute pâlotte. Est-ce que tu as mangé, au moins ? Alice est passée pour les soins ?

— Lannig, c’est toi enfin ! Que de questions, à peine arrivé ! Embrasse-moi plutôt, tiens. Et puis, quand te décideras-tu à t’habiller autrement ? Tu me fais peur à chaque fois que tu entres dans cette maison. On dirait le Diab...

Anselme Le Brun l’interrompit en lui posant délicatement l’index sur la bouche et ajouta malicieusement à voix basse :

— Chut. N’invoque pas les Ténèbres. Elles sont déjà dehors ! Manquerait plus qu'elles entrent.

Mathilde Le Brun eut une moue agacée, tourna la tête pour écarter le doigt moqueur et répliqua sur un ton désapprobateur :

— Et puis cette barbe. Quelle horreur, tu pourrais la tailler autrement quand même. Si ton père te voyait !

Anselme Le Brun bondit, comme piqué au vif.

— Oui, s’il me voyait… Mais il n’est plus là. Il doit déjà avoir bien du mal à gérer son séjour en Enfer. Alors, je dois être le cadet de ses soucis.

C’est ainsi qu’il évoquait le souvenir de l’individu sous le joug sadique duquel il avait vécu son enfance. Il admettait d’autant moins l’indulgence de cette mère au regard de ce qu’elle-même avait subi. Il lui en voulait inconsciemment d’avoir laissé faire, de ne pas s’être dressée quand il le fallait contre l’injustice patriarcale et ne manquait jamais de le lui rappeler.

Dans ces moments-là, elle l’invectivait avec colère.

— Tu ne pourras jamais comprendre. Vivre au jour le jour avec quelqu’un qui te brutalise physiquement et psychologiquement est une chose. Souhaiter sa mort en est une autre, mais être seule tout le temps, vieillir comme ça, sans amour, sans avoir quelqu’un à qui parler, à qui confier ses joies ou sa peine, c’est dur, très dur voire insupportable par moment et même si insupportable qu’on se dit que cela n’a plus de sens de continuer, qu’on souhaite que ça s’arrête… définitivement. Alors oui, je regrette l’absence de ton père. C’est le seul homme que j’ai vraiment eu dans mon existence. Aujourd’hui, je suis trop âgée et puis je n’ai pas voulu reconstruire mon quotidien avec quelqu’un d’autre, par crainte de retomber dans le même piège. À l’époque, je pensais que les marins avaient tous autant qu’ils étaient, une tendance prononcée pour l’alcool et je ne voulais pas être à nouveau malheureuse. Maintenant, avec le recul, je sais que je me trompais.

Anselme Le Brun ému par cette tirade aux accents de désespoir l'avait prise dans ses bras. Dans cette étreinte, on sentait la chaleureuse affection d’un fils, mais aussi l’envie de redonner à sa vieille mère le souvenir d’un vrai contact humain.

Cela ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps, mais il venait de comprendre que la vie est ainsi faite, que tout et son contraire constituent un ensemble souvent indissociable et que l’amour d’une femme, d’une mère est si indéfinissable et si inaccessible à l’homme en général que ce dernier préfère l’ignorer, s’en éloigner de peur de se faire mal, de paraître incapable d’assumer ou de rivaliser avec cette puissance qui l’inquiète tant.

Il ressentit alors une peine immense mesurant l’ampleur du gâchis, d’une vie passée dans la douleur et la tristesse d’un amour qui ne demandait qu’à éclore et offrir de la joie.

Pour cet homme solitaire, une telle démonstration de sentiment était un paradoxe.

En fait, le jour lui convenait mal. Souvent cloîtré dans son bureau aux épais rideaux filtrant la lumière, il passait le plus clair de son temps à coucher sur le papier des histoires à dormir debout, des contes à effrayer les enfants, mais pas seulement, puisant son inspiration au-delà de la porte du temps dont il ne pouvait parler.

Né avec les oreilles déformées et légèrement taillées en pointe, Anselme Le Brun eut à subir des années durant les moqueries de ses petits camarades tout autant que le rejet de son père à qui il faisait honte.

Mais ces brimades permanentes l’avaient aidé à s’endurcir, à se créer un bouclier qui le mettait hors d’atteinte des quolibets.

S’appuyant sur cette infirmité relative, il allait accentuer au fil du temps cet aspect de sa physionomie au risque d’effacer sa propre personnalité.

Aujourd’hui, Anselme Le Brun était un phénomène à l’apparence atypique. Il s’affublait en permanence d’une grande cape qui lui arrivait à mi-mollet, d’un large chapeau plat avec deux rubans de velours toujours si présent sur sa tête qu’on aurait pu penser qu’il faisait partie intégrante de sa personne et portait effectivement une barbe à la forme bien particulière : taillée en deux boucs distincts de chaque côté de son menton, elle lui procurait un air au mieux indéfinissable sinon mystérieux.

Et puis, il y avait cet accessoire non moins original qui venait ajouter une touche mystique au personnage qu’il s’était forgé et trouvé au hasard de ses errances dans des lieux toujours décalés :

… Ce jour-là, il avait décidé d’explorer une fois de plus les alentours de la chapelle Saint-Trémeur au Guilvinec. Après avoir parcouru cette longue ligne de résineux bordant la route, il s’était arrêté devant le four à pain qu’il visitait comme s’il le découvrait pour la première fois. Il aimait imaginer les gens qui naguère s’affairaient autour du boulanger qui cuisait à tour de bras les pâtes pétries qui lui étaient confiées.

Puis il continua en arpentant la lande, enjambant les genêts jusqu’à ce plateau de granite où il s’émerveillait devant ces trous en forme de cercle qui avaient été creusés à même la matière. L’un de ses amis lui avait appris que leurs ancêtres, après maintes manipulations, en extrayaient des cylindres devant servir de meule à grain ou utilisés pour maintenir aujourd’hui les croix de pierre que l’on peut encore trouver de-ci, de-là, à la croisée de certaines voies après la christianisation des Celtes.

Il venait de quitter les chemins battus et s’était engagé dans un petit sentier herbeux débouchant sur un sous-bois aux mille couleurs enchanteresses. Maintenant seul au milieu de cet environnement où le moindre bruit prenait toute son importance, ses pas le menèrent au pied d’un arbre dont la physionomie semblait tout droit sortie de la forêt de Brocéliande.

La quasi-totalité de ses branches emprisonnées par de fines lianes qui l’asphyxiaient lentement formait une voûte d’une rare densité. Ses racines, pour la plupart apparentes, couraient sur le sol laissant la bizarre impression à l’observateur de ce tableau que ce majestueux eucalyptus n’était point rattaché à la Terre qui le nourrissait, mais simplement posé sur le tapis de mousse qui l’entourait.

Du fait de sa forme particulière, il invitait le promeneur à poursuivre son chemin vers une hypothétique destinée légendaire, mettait en émoi les sens et éveillait l’esprit au point d’en arriver à penser que cet arbre fut vivant pour peu qu’une brise subtile vînt à faire bruisser ses feuilles l’espace d’un instant.

Avec une infinie précaution pour ne pas défigurer ce chef-d’œuvre de la nature qui s’imposait à lui, il avait prélevé un long morceau de bois bien rectiligne.

Taillé, déformé et poli de la plus belle des façons, il avait ainsi obtenu un bâton de marche qui le dépassait d’un demi-pied et terminé en forme de crosse d’évêque imitant à s’y méprendre la gueule d’un reptile aux mauvaises intentions.

On le croise toujours aujourd’hui, souvent le soir à la nuit tombante, semblant errer tel Alas-tor à la recherche d’un verdict à assumer.

N’eusse été sa taille, un mètre quatre-vingt-dix pensez donc, on pouvait aisément se convaincre en le voyant, de se trouver devant la réincarnation de l’Ankou tout droit sorti de l’imagination collective du vingt-et-unième siècle ou peut-être quelque chose de plus maléfique…

C’était en tout cas l’image qu’il voulait donner de lui-même et il y réussissait parfaitement.

1 Ragots

2

Dans un autre présent à Quimper,

Le centre de la capitale cornouaillaise fourmillait de monde à cette heure avancée de la matinée. La proximité de la place abritant la cathédrale Saint-Corentin y était certainement pour beaucoup.

À quelques enjambées de là, l’agence d’investigations « Leroux et cie » avait installé ses bureaux dans la rue Laënnec, non loin de ce petit bar-brasserie sympathique dont le seul nom vous transportait dans une ambiance d’autrefois.

Ce choix n’avait rien du hasard. Le quartier était facile d’accès et il y régnait une sérénité palpable que l’on devait aux axes piétonniers quadrillant le secteur.

Dans cette artère traversante, la foule affichait aujourd’hui une densité étonnante. Peut-être était-ce dû à ce timide ciel bleu pâle qui avait remplacé la grisaille des derniers jours. Un observateur averti aurait vite remarqué que les femmes représentaient l’écrasante majorité de ce flot mouvant. Nombre d’entre elles étaient certainement de simples passantes se rendant en centre-ville. D’autres, plus pressées se frayaient un chemin à grand coup de « pardon », « excusez-moi ». Habillées de tenues sobres, tailleurs gris ou jupes droites arrivant au genou et portant à bout de bras un cartable ou un attaché-case, elles défiaient du haut de leur standing ces jeunes oisives qui déambulaient autour d’elles sans but précis.

Jurant étrangement dans cette foule massivement féminine, un couple d’un certain âge marchait de façon chaotique tout en se tenant par la main. Cheminant au plus près des façades, ils s’arrêtaient systématiquement pour une fraction de seconde devant chaque entrée en scrutant rapidement les numéros affichés.

À les voir ainsi déambuler, leurs faciès aux traits typiquement armoricains et leur look légèrement décalé n’auraient pas déplu à Paul Gauguin, amoureux inconditionnel de cette Terre du bout du Monde.

Stoppant leur progression, ils se figèrent devant une grande porte cochère en bois massif parsemée de gros clous rouillés et patinés par le temps. La femme leva doucement les yeux vers la plaque signalétique en cuivre tout en broyant de façon spasmodique le bras de son mari. Ses lèvres pincées ne s’entrouvrirent que pour prononcer dans un souffle presque inaudible seulement deux mots : « C’est là ».

Lorsque le lourd battant se referma derrière eux dans un claquement sourd largement amplifié par les grands murs de cette cour intérieure, ils se retrouvèrent projetés dans un monde étrange. Le brouhaha de la rue ne leur arrivait plus que de façon feutrée. Le seul bruit vraiment perceptible émanait du feulement du vent traversant les hautes branches tortueuses de ce grand sophora du Japon qui dépassait les toits environnants.

Après avoir gravi avec peine cet immense escalier de pierre blanche qui menait à l’étage de cette vaste demeure, le couple de quinquagénaires hésita quelques secondes, impressionné par le luxe de ce palier aux allures d’un palais de marbre.

Ils savaient que leur démarche était celle de la dernière chance, l’ultime possibilité de recouvrer le bonheur et le fragile équilibre rompu de leur famille.

Leur quotidien fait de tristesse et de larmes les minait jusqu’au plus profond de leur chair. Pour eux, le temps s’était arrêté, comme suspendu au plus léger signe du destin.

Aucune chose n’avait autant d’importance que le but qu’ils poursuivaient aujourd’hui. L’incompréhension et la révolte venaient de les conduire jusqu’à cette porte capitonnée qui les reliait à l’espoir.

De l’autre côté, les deux associés les plus en vue dans le monde quimpérois très fermé de la recherche privée étaient occupés à faire le point des dossiers en cours. Bien que leur chiffre d’affaires soit satisfaisant, il y avait des périodes où l’activité était moindre. Dans ces moments-là, ils souhaitaient toujours qu’un client eût la bonne idée de venir leur confier le contrat de l’année.

— Je n’aime pas cette période. À croire que l’adultère s’arrête pendant l’hiver et que les escroqueries et autres joyeusetés qui font notre pain quotidien attendent le printemps pour éclore.

— Sois patiente. Tout peut encore arriver ! Essaye de voir le bon côté des choses. C’est comme si on était un peu en vacances et…

Avant même qu’il ne finisse sa phrase, la porte du bureau s’ouvrit en silence sur les deux personnes qui allaient devenir leur principal centre d’intérêt pendant les six mois à venir.

Ils aimaient l’aventure, vivre dans le suspens permanent, vibrer au contact de l’in-connu, résoudre les intrigues les plus incongrues et gagner ainsi leurs lettres de noblesse sur la place Quimpéroise.

La conjoncture leur offrait sur un plateau le meilleur du moment… ou peut-être le pire !

Max se souvient comme si c’était hier de cette visite. Leurs visages, leur attitude affichaient un tel désarroi qu’un seul regard suffisait à mesurer le degré du malheur qui les frappait.

Ils semblaient dépassés, comme perdus dans un univers auquel ils étaient étrangers, immobiles et serrés l’un contre l’autre à l’aune de cette grande pièce moquettée au décor spartiate.

Ici, point de murs croulant sous les photos de personnes disparues, de victimes ou de plans et cartes en tous genres tels que l’on peut en voir dans les séries télévisées.

L’environnement taillé au cutter avec des parois blanches supportant des tableaux aux couleurs flamboyantes renvoyait au visiteur une étonnante impression d’austérité moderne.

Le mobilier aux reflets gris acier accentuait l’aspect incisif qui se dégageait de la décoration et l’ambiance aurait pu être des plus glaciales si elle n’avait pas été compensée par une attitude résolument chaleureuse des occupants des lieux.

Il revenait souvent à Amandine la tâche d’accueillir les clients potentiels. Ils avaient convenu qu’un premier contact féminin était moins intrusif et mettait davantage les gens en confiance pour la suite de l’entreprise.

Ce jour-là, ne dérogeant pas à leur habitude, elle se leva pour aller au-devant de ce couple qui venait d’entrer sans s’être annoncé.

— Bonjour, dit-elle en leur tendant une main bienveillante. Nous sommes honorés de votre visite. Je m’appelle Amandine Leroux. Je suis la directrice de l’agence et voici mon associé, Max Lagardère.

Après avoir soigneusement refermé les dossiers qui s’empilaient sur son bureau, ce dernier se leva pour aller saluer à son tour les nouveaux arrivants. Quelques secondes d’observation et son flair légendaire lui suffirent pour le convaincre qu’ils tenaient là quelque chose d’inhabituel.

— Enchanté de faire votre connaissance. Vous paraissez très soucieux. Je ne sais pas quel est votre problème, dit-il en les regardant fixement, mais il m’a l’air de vous toucher particulièrement. Voulez-vous nous accompagner jusqu’au salon, vous serez plus à l’aise pour nous exposer les raisons de votre venue ! leur dit-il en les précédant.

Dans un angle judicieusement choisi, ils avaient aménagé un espace détente où trônaient quatre fauteuils club en cuir pleine fleur qui entouraient une table basse au design résolument contemporain, le tout reposant sur un grand tapis en laine aux formes géométriques tirant sur un rouge criard.

Lorsqu’ils furent confortablement installés, Amandine amorça rapidement le dialogue pour éviter que le silence lourd de sens qui commençait à plomber l’ambiance ne rende la communication plus difficile.

— Nous pouvons vous offrir quelque chose… un café peut-être ?

— Oui, un café, ce sera bien, répondit sur un ton las celle qui leur faisait face.

Ses traits étaient si marqués qu’on lui aurait donné bien plus que l’âge qu’elle avait réellement. Habillée de vêtements aux couleurs neutres, assise sur le bord du siège, les jambes serrées dans une jupe à la coupe austère et les mains jointes sur ses genoux en une prière invisible, elle semblait comme dévorée par les affres de la souffrance.

Son mari affichait une attitude moins tourmentée, mais ce calme apparent était largement trahi par la fixité inquiétante de son regard et la crispation de ses mâchoires qui roulaient sous la peau de son visage. Il avait avalé sa tasse d’un trait avec un geste ample révélant un caractère bien trempé et sans même se soucier de la température extrême du breuvage fumant.

Lorsqu’il prit la parole, ses mots étaient à l’image de son accablement : durs, froids et vidés de leur humanité.

La suite du monologue s’était montrée édifiante.

Alexandre Riou leur avait expliqué avec beaucoup d’émotion dans la voix la disparition de leur fille Axelle. Elle était partie un mercredi matin de Corniguel où ils habitent pour un entretien d’embauche et ne s'était plus jamais manifestée. Ça, c’était il y a trois mois.

— Un signalement au Commissariat de Quimper pour recherche dans l’intérêt des familles n’a absolument rien donné. Nous avons diffusé des annonces sur les réseaux sociaux, fait imprimer des affiches que nous avons placardées partout. Rien, aucun retour. Nous nous sommes entourés des services d’un avocat qui a déclenché une procédure pour disparition inquiétante. Idem, rien n’a bougé. Nous sommes désespérés.

On sentait qu’il ne voulait pas trop en dire, certainement pour protéger son épouse dont les larmes inondaient silencieusement le visage.

Cette dernière, à l’évocation de tous ces détails qui la mettaient face à une réalité insupportable, s’était recroquevillée sur elle-même. Toute son attitude semblait supplier qu’on l’épargne, que l’on parle d’Axelle au présent, qu’on lui dise qu’elle allait bientôt revenir, qu’elle était derrière la porte à attendre qu’on la prenne dans les bras comme avant.

Comme avant… C’était bien là tout le drame. Ces deux mots résumaient à eux seuls la nécessité de leur présence dans ce grand bureau.

— Mais en quoi pouvons-nous vous aider ? L’essentiel me semble avoir été fait ! demanda Max avec une émotion contenue dans la voix.

— Oui, l’essentiel, ajouta-t-il d’un ton las. Mais uniquement l’essentiel et ça ne suffit pas puisque notre fille est introuvable. Nous craignons le pire. Elle n’avait aucune raison logique de se volatiliser ainsi sans ne plus jamais se manifester. Nous avons toujours entretenu d’excellentes relations et elle savait que nous serions derrière pour la soutenir, quel que soit son problème. Elle n’était ni hétéro ni lesbienne plutôt opportuniste. Elle avait plein d’amis de tous bords. Sportive de haut niveau en natation, elle cherchait un emploi dans le tourisme et la jeunesse. C’est pour le moins inquiétant. Sa voiture est restée sur le parking avec un sandwich emballé qu’elle a acheté à la boulangerie sur le port, son ordinateur est introuvable. Son téléphone a cessé d’émettre et son cordon était encore branché sur l’allumecigare. Vous en connaissez des jeunes qui prennent la fuite sans leur câble pour recharger leur appareil ?

— Je vous avoue qu’il y a effectivement de quoi se poser des questions, en effet.

— Votre réputation de « jusqu’au-boutiste » nous est parvenue. Vous êtes notre dernière chance de la retrouver. Alors, quelle est votre décision ?

La demande avait été émise de façon brutale, sans détour, tel un ultimatum qui sonne comme une supplication.

— A priori, il n’y a pas de raison que nous refusions, mais nous devons d’abord procéder à une étude de faisabilité et établir un devis approximatif du coût de l’opération.

— Et ça prendra combien de temps tout ça ?

— Vous aurez notre réponse demain.

Les époux Riou étaient repartis avec la promesse d’un possible résultat. L’éclat de leurs yeux avait recouvré un semblant de vie.

— Qu’en penses-tu ? demanda Max quand ils se furent retrouvés seuls.

— On a déjà traité des affaires similaires. C’est délicat. On ne sait jamais où on met les pieds. Disparition provisoire ou définitive, enlèvement, séquestration, j’en passe et des meilleures… Te rappelles-tu le cas Faouec ?

— Vaguement…

— Mais si ! On avait localisé l’épouse qui avait tout abandonné et reconstruit sa vie au fin fond de l’Espagne. C’est lorsqu’on a retrouvé sa trace qu’on a su qu’elle cohabitait maritalement avec une femme. On s’était fait agresser par les deux parties en fait. L’une qui nous reprochait de l’avoir plongée dans une réalité qu’elle ne voulait pas admettre, l’autre qui avait vu son secret dévoilé et sa tranquillité bouleversée.

Max et Amandine avaient accepté le contrat non sans se douter qu’ils allaient certainement encore au-devant de bien des tracasseries.

À se demander s’ils n’avaient pas une propension naturelle à s’approprier les situations compliquées.

— Bon, je te propose de régler nos affaires courantes le plus rapidement possible puis on s’attelle à cette nouvelle enquête. D’après ce que nous a dit notre client, c’est le Commissariat de Quimper qui a enregistré leur démarche, c’est donc par là qu’il faut commencer.

— Tu as raison. En plus, ce sera l’occasion de faire enfin la connaissance du nouveau patron de la Crim, répliqua Amandine sur un ton équivoque.

— Ouais, ne t’emballe pas trop à l’avance, hein. Si ça se trouve, il est vieux et moche.

— Oh, Max Lagardère serait-il jaloux ? répondit-elle, campée sur ses deux jambes, les poings sur les hanches, l’air moqueur.

— Tu parles. Je te connais suffisamment pour savoir ce qui te passe par la tête. Trêve de plaisanterie, tu peux les appeler pour prendre rendez-vous ? De mon côté, je vais aller au siège du « Télégramme » et demander à consulter les articles de presse de l’année dernière pour voir ce que je peux déjà trouver.

Une heure plus tard, Amandine composa le numéro de son coéquipier qui décrocha aussitôt.

— Nous sommes attendus après-demain en fin de matinée. J’ai fait en fonction de mon agenda. Mais toi, est-ce que tu es disponible ?

— Je regarde…

Prenant le temps de vérifier, il rajouta :

— Oui, c’est bon pour moi aussi. »

En ce mercredi de début février, sur le coup de onze heures, nos deux compères s’étaient retrouvés face au capitaine Lenormand, digne successeur du commandant Jacques Pinel, leur fidèle ami muté à Brest dans le cadre d’une promotion.

Un seul pion avait bougé et tout était différent. Parcourir les locaux du commissariat ne leur procurait plus le même plaisir.

L’homme assis de l’autre côté du bureau les observait d’un air étonné et légèrement inquisiteur.

— Ainsi, voilà l’agence en vogue à Quimper ! Les fameux détectives Max Lagardère et Amandine Leroux.

Tout en regardant fixement cette dernière, il rajouta :

— Jacques ne m’a pas menti. Il m’a fait de vous une description assez flatteuse, mais la réalité dépasse de loin l’image que j’avais en tête.

Il vit que Max commençait à se fermer, ne goûtant sans doute pas que l’on complimente sa compagne aussi ouvertement en sa présence.

Il eut alors un geste apaisant à son encontre et précisa avec un sourire amical :

— Ne vous formalisez pas, mon vieux. C’était juste platonique. Permettez-moi de me présenter. Je suis le capitaine Lenormand, Jean-Claude Lenormand. J’arrive d’Eysines en Gironde. Pinel et moi sommes de la même promo, alors ! Venons-en plutôt à l’objet de votre visite. Qu'est-ce qui vous amène exactement ?

Les deux hommes s’étaient affrontés du regard quelques secondes, se jaugeant mutuellement.

— Nous sommes ravis de faire enfin votre connaissance. Il est vrai que nous entretenons avec votre prédécesseur des relations de qualité. Je dirai même que nous sommes devenus des amis. Nous avons aujourd’hui en commun une affaire assez particulière. Il y a trois mois maintenant, une jeune femme a disparu corps et âme à Penmarc’h. Ses parents sont venus signaler les faits et rien ne semble avoir bougé depuis. Bon, il n’est pas dans notre intention d’interférer dans votre enquête. Je dirais même que si nous pouvons vous donner un coup de main, ce sera avec plaisir, mais il nous faut quelques renseignements pour pouvoir démarrer les investigations de notre côté.

Son interlocuteur attendit une fraction de seconde avant de répondre d’un ton faussement agacé, ménageant ainsi son effet.

— En fait, ce que vous me demandez, ce n’est ni plus ni moins de vous communiquer des fragments confidentiels du dossier !

Max et Amandine se regardèrent, légèrement décontenancés par la réplique, prêts à écourter la conversation.

Le capitaine Lenormand les arrêta d’un geste.

— Je n’ai jamais insinué que j’étais contre. Je veux simplement m’assurer que vous ferez un bon usage des informations que je vais vous donner. Comment dites-vous qu’elle s’appelle cette jeune femme ?

— Axelle Riou.

— Voyons ce que j’ai sur mon ordinateur. Axelle Riou… Oui, c’est bien ça. Procédure de disparition inquiétante d’une personne majeure en novembre, le 28 exactement. Ce n’est pas vraiment de mon ressort sauf à savoir qu’il s’agisse de faits criminels.

Puis, décrochant son téléphone, il demanda :

— Roland, est-ce que tu peux m’apporter le dossier n° 14785/2019... Oui, maintenant, si c’est possible !

— Vous avez l’air de prendre cette affaire à la légère, lui dit Max légèrement offusqué.

— Pas tant que ça. Mais, voyez-vous, des adultes qui disparaissent dans la nature, il y en a beaucoup plus qu’on ne le pense et c’est souvent volontaire, quelles qu’en soient les raisons. Les proches sont étonnés, ne comprennent pas, mais pourtant la réalité est bien là. Alors, je vous concède que, dans le lot, il y a aussi les enlèvements, les séquestrations et tous les aspects mortifères qui vont avec. Une inscription aux F.P.R2 a été établie. De toute façon, l’information a été transmise aux gendarmes du Guilvinec parce que le port de Kérity se situe dans leur zone de compétence et non dans la mienne. Par contre, je peux faire quelque chose pour vous. Le Major Jean-Yves Delluc qui commande la brigade est un ami de longue date. Je peux l’appeler, lui expliquer votre démarche et votre degré de fiabilité.

— Vous feriez ça ? s’étonna Amandine.

— Je vais même faire mieux, dit le capitaine Lenormand en décrochant à nouveau son combiné.

Quelques instants plus tard, il eut une longue conversation avec son homologue de la Gendarmerie.

— Il vous propose une rencontre demain en fin d’après-midi, à dix-sept heures exactement. Est-ce que cela vous convient ?

— Pour nous, c’est parfait, lança Max satisfait par la tournure que prenaient les évènements.

Après avoir raccroché, l’officier précisa :

— Soyez ponctuels. Chez les militaires, l’heure, c’est l’heure. Et je ne plaisante même pas ! Vous verrez… Un gars un brin tatillon, mais qui connait son boulot. Il vous aidera.

L’entretien se termina par une poignée de main courtoise et les formules de politesse de circonstances.

Lorsqu’ils quittèrent l’hôtel de police, le ciel s’était timidement éclairci et le soleil dardait de ses faibles rayons les toits de la ville en haut desquels on apercevait des volutes de chaleur qui se dégageaient des ardoises.

L’atmosphère qui se réchauffait doucement chassait les idées maussades.

Ils étaient venus à pied se disant qu’un peu de marche ne leur ferait pas de mal. Il est vrai qu’en coupant en diagonale au travers de la place Saint-Corentin, il n’y avait pas grande distance de leur bureau au commissariat.

— Je t’offre un café ?

— Bonne idée. On va où ?

— Comme d’habitude… C’est bien, non ?

Dès lors qu’ils eurent traversé le pont Sainte-Catherine, ils prirent le temps de s’attabler à la terrasse d’un petit bistrot face à l’Odet qui coulait paisiblement dans son lit. Le fond de l’air était encore un peu frais, mais ils n’en avaient cure. Ils aimaient bien ces endroits typiques et il n’était pas rare qu’ils prennent dans ces moments-là des décisions souvent stratégiques.

— Alors, qu’est-ce que tu penses de notre nouvel associé ? demanda Max avec l’air détaché de celui qui ne veut pas paraître impliqué par la réponse.

— Ma foi, il est charmant et il a la tête bien pleine. Pas facile de passer comme ça d’un capitaine à l’autre, hein ! Mais, l’humour à froid reste le même. Ça doit être une marque de fabrique. On devrait pouvoir s’entendre sur le long terme.

— Oh, je te sens venir. Il va falloir que je sois sur mes gardes. J’ai bien vu que tu ne lui étais pas indifférente. Je me trompe ?

Amandine se mit à rire comme elle savait si bien le faire. Un rire plein de malice, provocateur qui vous laisse les nerfs à fleur de peau.

— Allez, va ! Depuis qu’on se connait, tu devrais être habitué maintenant. Et tu en profites, non ! Tu m’aimes tant que ça pour te montrer aussi jaloux ?

— Ouais, bon passons, répondit Max, l’air bougon. Je crois qu’une visite à Penmarc’h s’impose, histoire de se mettre dans l’ambiance. J’ai entendu parler d’un gars dont la réputation dépasse les frontières du Pays bigouden sud.

— Et qu’est-ce qu’il fait ton bonhomme ?

— Il s’agit d’un conteur. J’aimerais voir ce qu’il propose. On pourrait manger sur le port de Kérity et rejoindre le bar où il se produit à Saint-Guénolé. Qu’en penses-tu ?

— Excellente idée, je suis partante. Ça te rappellera de vieux souvenirs, non... Du temps où tu hantais toi-même les auberges de l’Aubrac à raconter les histoires terrifiantes de la bête du Gévaudan. En fait, c’est de la curiosité mal placée. Tu veux juste voir s’il est meilleur que toi.

— Je te trouve bien taquine. C’est l’effet « Lenormand » ou quoi ? Mais, tu te trompes. J’ai seulement envie de joindre l’utile à l’agréable. On profite dans un premier temps et on se renseigne ensuite ou inversement, comme bon te semblera. Et puis, ça fait un sacré moment qu’on n’est pas allé vérifier si le phare d’Eckmühl reposait toujours sur ses fondations.