Le Printemps Ressuscité - Gilles Battistuta - E-Book

Le Printemps Ressuscité E-Book

Gilles Battistuta

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Beschreibung

Max Lagardère vit en Gironde avec sa compagne Clotilde et leur fils Alexis. Le comportement déviant de cette dernière va les mener sur des chemins parsemés d'embuches, de souffrance et de démélés judiciaires. Entre manipulations, mensonges et tromperies, il s'en suivra une longue descente jusque dans les méandres de la folie humaine. Incapable de donner du sens à sa vie, Max s'enfonce inexorablement dans une spirale infernale de laquelle aucune issue heureuse ne semble pouvoir émerger. Le destin décidera pour lui et mettra sur sa route une jolie trentenaire, Cynthia. Cette dernière l'accompagnera alors dans des tribulations insensées le mêlant ainsi à des mondes dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Et si tout cela n'était en réalité qu'un mauvais rêve !

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Du même auteur :

- On a volé Saint-Nonna

- La Dynastie des douze

À Cynthia, qui se reconnaîtra

Retrouvez l’auteur sur son site internet :https://ecrireinfo33.wix.com/lesmotsdulivre

Cette histoire troublante qui mêle la réalité à l'imaginaire permet aussi de relier ces deux belles régions que sont la Nouvelle Aquitaine et la Bretagne.

Toute ressemblance avec des personnes et des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que totalement fortuite.

Sommaire

Avant-propos

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Avant-propos

Aujourd’hui, un peu plus de cent millions de personnes dans le monde vivent dans un état dépressif latent dont environ cinq millions en France.

C’est la maladie psychique la plus banale, la plus répandue. La bipolarité ou maniaco-dépression en est l’une des formes sévères. Décrire cette dernière affection au travers de la perception du malade lui-même n’amènerait rien de nouveau.

Raconter la détresse morale, cette attente d’une guérison qui ne viendra pas, cette peur viscérale des comportements incontrôlables, la souffrance d’un mari, d’un père, le jugement des autres au travers de leur regard et surtout la volonté de rebondir, de ne pas accepter la fatalité et de voir, ailleurs, enfin, si un nouvel équilibre est possible, cela permet d’effleurer la pudeur des réactions, de se frotter à la morale des comportements.

Rechercher une solution inavouable à une situation que l’on ne maîtrise plus et fuir son quotidien sont les multiples facéties qui, dans cet ouvrage, permettront au personnage central de conserver, au bout du compte, un semblant d’intégrité mentale.

Ce livre est un roman où tout n’est que construction fictive raccrochée à des fragments récoltés de-ci, de-là au gré de discussions passionnées ou de témoignages parfois tragiques et toujours poignants qui mêlent l’imaginaire aux désirs enfouis dans le subconscient des êtres constituant l’entourage immédiat de ces malades parfois irrémédiablement atteints.

1

Première parenthèse au milieu d'un rêve.

Amélie Traquet était une femme charmante et lui donner un âge relevait du défi tant elle était coquette et raffinée. Soixante-dix ans peut-être, bien qu’aucune ride ne marqua son visage. Toujours souriante et gaie, elle traversait les épreuves que la vie lui infligeait avec bonne humeur et décontraction.

Ce jour-là, fidèle à son habitude, elle avait noué son tablier autour de sa taille. Elle le trouvait bien pratique avec cette grande poche sur le devant pour y mettre son sécateur et d’autres petites bricoles.

Elle avait tiré ses cheveux en arrière qu’elle attachait avec son chouchou préféré puis enfilé ses gants. « On pouvait travailler au jardin et être élégante en même temps », se plaisait-elle à dire à ses voisins.

Un jour par semaine, elle s’accordait un instant de détente pour tailler ses rosiers, désherber de-ci, de-là et entretenir ainsi tout au long de l’année la petite propriété qu’elle avait gardée après le décès de Victor, son mari.

Plantée devant un bouquet de roses trémières, elle observait depuis un moment déjà ce grand gaillard qui marchait tête baissée, scrutant l’asphalte tout en arpentait la chaussée d’un côté, puis de l’autre.

La curiosité la poussant, elle partit à la rencontre de cet homme, non sans avoir remis un peu d’ordre dans sa tenue.

Max était revenu à Saint-Tropez, car il n’arrivait pas à se faire à l’idée que son fils avait disparu de façon aussi brutale. La version officielle, celle du malencontreux accident dû au hasard de la route avancée par les autorités locales, ne lui semblait pas suffisamment réaliste.

Il sentait, sans qu'aucune certitude ne vienne étayer cette impression, que derrière ce tragique évènement se cachait autre chose de moins banal.

Il avait refait une première fois, à la même heure, une bonne partie du chemin qu’avait emprunté Alexis lorsqu’il avait quitté la paillote sur la plage de Ramatuelle où il venait de manger avec Julien, un bon copain.

Max cherchait en fait le moindre indice pouvant lui permettre de renforcer sa conviction profonde et il se fichait pas mal de la beauté du site dans lequel il évoluait, du bleu azur du ciel ou de la proximité de ces magnifiques étendues de sable jaune.

Arrivée à la hauteur de l’inconnu, Amélie Traquet se racla la gorge et s’adressa à lui d’une voix hésitante :

— Bonjour monsieur. Vous avez perdu quelque chose, je peux vous être utile ?

Comme elle n’obtenait pas de réponse, elle rajouta en souriant malicieusement :

— Excusez-moi, mais je crois que vous allez attraper mal, comme ça, sans chapeau sous ce soleil de plomb !

Il était quatorze heures trente. C'est vrai qu’il faisait sacrément chaud en ce début juillet et les trente-huit degrés affichés sous abri n’auguraient rien de bon. Même les semelles de ses chaussures s’enfonçaient dans le bitume, laissant derrière lui une preuve de son passage sur ces lieux chargés d’émotion.

Surpris, Max se retourna, se demandant d’où venait cette belle femme presque mondaine. Il ne l’avait pas entendue arriver, perdu dans ses pensées et son observation assidue. Il la regarda et sut instinctivement que sa présence ne pouvait constituer qu’un heureux présage dans sa quête de la vérité.

— Mon fils est m… heu, a eu un problème à cet endroit, il y a un mois. J’aimerais simplement comprendre.

Pensive, son interlocutrice réfléchissait tout en dodelinant lentement de la tête. Plusieurs accidents s’étaient déjà produits sur cette portion de nationale en travaux depuis de nombreuses semaines.

— Il y a un mois, dites-vous ?

Après un instant de réflexion, son visage s’éclaira. Elle lança alors :

— Oui, je m’en souviens ! Un jeune homme d’une vingtaine d’années. Deux pompiers se sont trouvés sur place tout de suite après l’impact. Ils n’ont rien pu faire. Il était trop tard. Depuis, je fais souvent des cauchemars.

Sur le coup, la confirmation de ce qu’il savait déjà le laissa sans voix. Être confronté à une réalité qu’on réfute n’est pas la chose la plus facile.

Plus par lassitude que par conviction, il s’entendit demander :

— Permettez-moi une question ! Vous avez assisté à la collision ?

— La collision, heu oui... Ou plutôt non ! Enfin, pas directement. Mais, c’est surtout ce qui s’est passé avant qui m’a choquée.

Cette réponse arrivait comme une éclaircie dans le ciel assombri de ses suppositions.

— Alors là, vous m’intéressez fortement ! Qu'est-il donc arrivé de si grave pour que vous soyez dans cet état ? s’inquiéta soudainement Max dont le pouls s’était accéléré.

— Eh bien, je… Je ne voudrais pas que ça me retombe dessus. Je n’ai rien dit aux gendarmes. Je n’étais pas sûre, vous comprenez… Et j’avais peur. Quand on est témoin de ce qu’on n’aurait pas dû voir, parfois il vaut mieux se taire. On ne sait jamais.

— Ne craignez rien, Madame. Vous pouvez avoir confiance. Ce n’est certainement pas moi qui irai répéter un seul mot de notre conversation.

Amélie Traquet paraissait inquiète à l’idée d’en dire trop. Elle regardait à droite et à gauche comme si elle cherchait de l’aide, comme si on avait pu l’entendre.

On lisait sur son visage toute la perplexité de ses pensées. D’un autre côté, son secret la rongeait et l’empêchait souvent de dormir. Finalement, elle se dit que ce serait peut-être le moment d’évacuer ce souvenir qui la hantait en se confiant à cet homme.

Elle regarda Max et prit sa décision.

— Bon, entendu. Je vais tout vous raconter, mais vous me promettez de garder ce que je vais dire pour vous, n’est-ce pas ?

— Oh, vous savez. Trahir ma parole serait insulter la mémoire de mon fils. Alors, je crois que vous pouvez avoir confiance, dit Max sur un ton rassurant.

A ces mots, son interlocutrice poussa un soupir de soulagement et entama un long monologue :

— Je me trouvais dans mon jardin, à une trentaine de mètres de la route. Là-bas, vous voyez, juste derrière la haie ?

En lui parlant, elle lui montrait un trou dans le feuillage qui permettait une vue directe sur la route nationale.

— Au moment où cela s’est produit, la circulation était quasiment inexistante. J’ai vu arriver la voiture de votre fils. Derrière, presque contre son pare-chocs, il y avait un gros véhicule noir qui klaxonnait furieusement. Il a doublé et j’ai très bien vu le geste du passager. Il a passé son doigt sous sa gorge en direction du conducteur de la décapotable. Vous savez, c’était une menace sans ambiguïté.

Avec un air horrifié, elle imita le geste du passager au ralenti.

— Vous êtes certaine de ce que vous avancez ?

— Complètement. J’étais là, à trembler sur mes jambes qui ne me portaient plus. Ils se sont plaqués contre la voiture de votre fils. Il a quitté la chaussée sur sa droite et j’ai entendu un grand bruit. Il est rentré dans le gros arbre là-bas, sans même avoir ralenti, je pense. Mais tout s’est déroulé tellement vite. Après coup, je n’étais plus aussi sûre de ce que j’avais vu.

— Et la voiture ! Vous savez qu’elle était la marque de la voiture ?

— Vous en avez de ces questions, vous ! Non, je ne sais pas. Mais, il y a une dizaine de jours, je suis allée en ville avec mon petit-fils. J’avais pris rendez-vous chez mon coiffeur. Et sur le port, à côté du bar « le gorille », elle était là, garée sur le trottoir. Elle est facilement reconnaissable parce que des voitures comme ça, on n’en voit pas beaucoup.

— Oui, mais… La marque ? s’impatientait Max.

— Attendez, je l’ai notée quelque part. Je reviens.

Elle trottina jusqu’à chez elle et en ressortit assez rapidement, tenant à bout de bras un morceau de papier rose comme on brandit un trophée.

— Je l’avais collé sur la porte de mon frigo pour ne pas le perdre. Je savais bien qu’il fallait que je le garde.

Tout en fouillant dans ses poches, elle rajouta :

— Une seconde, je mets mes lunettes. Voilà… C’est une jeep Commander avec quatre portes. C’est mon petit-fils qui me l’a dit. Une voiture magnifique d’ailleurs. Elle a un gros tube chromé à l’avant.

— Un gros tube ? Un pare-buffle, quoi !

— Oui, c’est ça, un pare-buffle.

— Vous êtes très observatrice, dites-moi !

— Oh, je n’ai pas de mérite. J’étais aux premières loges. J’ai noté l’immatriculation. Je me suis dit que ça servirait peut-être.

— Non ! Pas possible ! Vous avez relevé le numéro de la plaque ! J’ai envie de vous embrasser, dit Max en s’approchant d’elle pour la prendre dans ses bras.

— Hé là, bas les pattes, s’offusqua-t-elle en reculant brusquement.

Notre homme se rendit compte qu’il fallait manoeu-vrer avec beaucoup plus de finesse s’il voulait obtenir davantage de renseignements de son interlocutrice.

— Ne vous en faites pas, je plaisantais. Mais bon, franchement, vous le méritez. Je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse… Les passagers du 4x4, vous les avez vus, eux ?

— J’ai seulement aperçu celui qui a fait le signe. Il est sorti rapidement. Il m’a semblé qu’il a lancé un objet dans la voiture. Il est remonté à toute vitesse puis ils ont accéléré en faisant crisser les pneus sur le bitume. J’ai vu sa tête. Je pense que c’était un Arabe très typé, cheveux courts, pas rasé. Après, je me suis baissée pour ne pas me faire voir, au cas où.

— Je vous remercie beaucoup. Ce que vous venez de me dire va faire avancer mon enquête de façon fulgurante.

— Votre enquête ! Mon dieu… Vous m’avez menti. Vous êtes de la Police !

— De la Pol… Non, non, pas du tout, rassurez-vous ! Je cherche simplement une explication au décès de mon fils et je pense l’avoir trouvée. Je vous remercie du fond du coeur, vraiment. Au revoir.

Max repartit en direction de la Jaguar qu’il avait laissée à une centaine de mètres, garée à l’ombre d’un large pin parasol.

La rencontre avec Amélie Traquet s’était révélée capitale.

Même dans ses espoirs les plus fous, il n’aurait pas rêvé pareille aubaine. Il était content d’avoir douté.

Restait maintenant la partie la plus aventureuse de sa démarche : retrouver cette fameuse Jeep.

Il actionna le démarreur et resta quelques minutes à écouter le ronronnement rauque du moteur, encore stupéfait par ce qu’il venait d’apprendre.

Il roulait en direction de Saint-Tropez lorsqu’il aperçut un grand panneau annonçant le garage automobile qu’il recherchait.

Il mit son clignotant et bifurqua, empruntant sur sa droite un chemin au parcours accidenté qui le mena jusqu’à un bâtiment vieillot à la façade défraîchie et dont on devinait l’enseigne plus qu’on ne la lisait :

« Société Lucas et fils »

Il se gara sur le parking poussiéreux et marcha jus-qu’au bureau. Il frappa deux petits coups sur la vitre puis entra sans attendre la réponse.

Il y avait là, une jeune femme bien de sa personne qui devait être la secrétaire. À l’intérieur, sans climatisation, l’air était quasiment irrespirable.

Son chemisier était ouvert sur une poitrine généreuse offrant au regard bien plus que ce que la décence permettait. Elle semblait vraiment souffrir de cette chaleur étouffante.

Après avoir rapidement refermé la porte derrière lui, il s’adressa à elle sur un ton agréable, mais empreint de nervosité :

— Bonjour. Vous avez en gardiennage le véhicule de mon fils, une 206 blanche avec une capote rouge. Vous pouvez me dire où elle se trouve ?

Levant la tête, la jeune femme détailla non sans intérêt, le nouvel arrivant avec un air interrogateur.

Gêné, Max se rappela qu’il ne s’était pas présenté.

— Je suis Monsieur Lagardère. Max Lagardère. Vous voulez peut-être voir ma carte d’identité ?

— Non, je vous en prie. Je vous fais confiance. La voiture est au fond du parc, cinquième allée sur votre droite. Vous ne pouvez pas la manquer, lui répondit-elle avec un charmant sourire.

Il la remercia, ressortit sans lui accorder plus d'attention et se dirigea à pied, vers l’endroit où le cabriolet avait été déposé dans l’attente d’une expertise.

Plus il avançait, plus il appréhendait de se retrouver face au drame dans lequel il évoluait depuis le décès de son fils. Ses pieds se faisaient de plus en plus lourds et il avait du mal à marcher.

Arrivé à la hauteur de la Peugeot, il s’arrêta un court instant, paralysé par l’appréhension. Son coeur battait fort dans sa poitrine, à tel point que sa respiration en était presque coupée.

Dans une grimace muette, il repensa aux détails fournis par Amélie Traquet.

Lorsqu’il eut réussi à se calmer, Max se pencha enfin pour examiner le côté gauche de la carrosserie. À la jonction de l’aile avant et sur la moitié de la longueur de la portière du conducteur, il trouva ce qu’il cherchait instinctivement : des éraflures de couleur noire.

Le puzzle commençait à se mettre tout doucement en place.

Méthodiquement, comme s’il avait toujours fait ça, il déchira une feuille de son calepin avec laquelle il forma une petite enveloppe. Il prit son canif qui ne le quittait jamais et gratta alors la carrosserie, faisant tomber des fragments de peinture dans le petit sac dédié à cet effet. Il referma soigneusement la feuille qu’il déposa entre deux pages du livre qu’il avait amené avec lui pour se distraire au cas où.

Fouillant dans son sac à dos, il en sortit un appareil photo numérique avec lequel il prit plusieurs clichés des traces de frottement, de loin tout d’abord puis en gros plan. Il mesura la hauteur du point de contact par rapport au sol : « cinquante-deux centimètres, tout rond » dit-il à voix haute.

Il nota ce chiffre, pensant que ça pourrait toujours servir puis se releva péniblement.

Son genou droit lui jouait encore des tours.

Il y a un an, il avait fait une mauvaise chute et la douleur se réveillait de temps à autre.

Avant de partir, il avait furtivement regardé à l’intérieur de l’habitacle et ce qu’il y avait vu resterait certainement à jamais gravé dans sa mémoire.

Il quitta les lieux très vite, comme s’il voulait fuir cette réalité devenue tout à coup trop pesante.

Assis derrière son volant, Max eut du mal à retenir les quelques larmes qui coulaient maintenant sur son visage. Il jugeait sa démarche indispensable, mais elle le mettait devant un fait accompli : il ne reverrait plus jamais son fils.

Il resta comme ça, un long moment, oscillant entre tristesse et colère. Puis, estimant qu’il ne pouvait pas mieux faire pour l’instant, il repartit en direction du port de Saint-Tropez où il avait laissé sa bien-aimée, attablée à la terrasse de l’un des bars, face à la mer.

Perdu dans ses pensées, il avait oublié de lui de- mander où elle s’installerait. Ce n’était très pas grave. Une jolie femme comme elle se remarquait. Il la trouverait facilement.

Sur le chemin du retour, un détail, un petit rien, quelque chose d’insignifiant trottait dans sa tête.

Amélie Traquet lui avait parlé d’un véhicule noir, un gros 4x4. Or, la description qu’elle lui en avait faite lui rappelait vaguement un lieu, une situation qu’il avait vécue sans qu’il puisse définir avec précision de quoi il s’agissait. Mais bon, il ne doutait pas que ça lui revienne un jour.

Cynthia qui l’avait vu de loin dans la foule, lui faisait de grands signes des deux bras et lui dit lorsqu’il fut enfin à sa portée :

— Enfin, te voilà. Je commençais à désespérer !

— Oui, je sais. J’ai été un peu long, mais je n’ai pas perdu mon temps, crois-moi.

— Alors, qu’as-tu appris d’intéressant ? lui demanda-t-elle en lui prenant le bras pour l’entraîner en direction du seul et unique gigantesque parking situé à l’entrée du bourg.

— Attends. J’ai eu très chaud là-bas. Un bon rafraîchissement ne sera pas un luxe, répondit Max en l’obligeant gentiment à faire machine arrière jusqu’au bar.

Il se laissa tomber dans l’un des canapés blancs qui faisaient face aux bateaux tous plus majestueux les uns que les autres et commanda une demi pression.

— Tu veux boire quelque chose avec moi ?

— Non, je te remercie. J’ai eu le temps de vider la réserve du bar depuis le temps que je t’attends.

Il sourit. Il savait que la remarque de Cynthia n’avait rien d’agressif. Il se sentait mieux, un peu soulagé par le déroulement de ce début d’après-midi.

Après s’être désaltéré, il lui raconta dans le détail sa rencontre inattendue, les constatations qu’il avait faites sur la voiture d’Alexis qui corroboraient les dires d’Amélie Traquet.

Il commanda un deuxième demi puis se figea, s’arrêtant soudainement de parler.

À son corps défendant, l’esprit tout à coup ailleurs, il imaginait malgré lui la scène de l’accident, le choc de la voiture contre cet arbre, le corps sans vie de son fils…

La voix cristalline de Cynthia le ramena à la réalité :

— Et que comptes-tu faire maintenant ?

Sortant de sa torpeur, Max s’aperçut qu’il transpirait abondamment. Sa chemise en lin lui collait à la peau.

Son regard fixait sans but précis le haut du mat d’un voilier amarré devant lui et battant pavillon anglais. Il répondit :

— Je n’ai pas assez d’éléments pour aller jusqu’au bout de ma théorie. Il va falloir que j’essaye de retrouver cette maudite Jeep.

Cynthia s’emporta instantanément :

— Mais pour quoi faire ? Tu ne te rends pas compte. C’est dangereux ! Si ce sont vraiment des sales types, tu prends de gros risques !

— Je veux savoir si cette voiture présente vraiment des traces de contact avec celle d’Alexis. Tu sais, j’ai réfléchi. Il ne s’agissait peut-être que d’une tentative d’intimidation qui aurait mal tourné, pas d’un meurtre froidement calculé.

— Oui, et bien tout ça ne me rassure quand même pas du tout. Tu ne veux pas laisser tomber pour aujourd’hui ? Il fait beau. On pourrait profiter de la plage.

Max regarda Cynthia et il se dit qu’elle avait raison.

À moins d’un gros coup de chance, il ne ferait rien de plus cet après-midi. Il décida de profiter du moment présent.

— Allez, c’est d’accord. On va pousser jusqu’à Grimaud comme ça, on sera sur le chemin de l’hôtel avant le grand retour de fin d’après-midi.

Après une heure de farniente sur la plage, Cynthia commença à éprouver de la difficulté à rester allongée sur le sable. Ils avaient oublié le parasol à l’hôtel et la chaleur devenait insupportable. Il était difficile de marcher pieds nus et l’eau, à température ambiante n’incitait pas à la baignade.

À seize heures, n’y tenant plus, elle dit à Max :

— Bon, ce n’est plus possible. Il fait vraiment trop chaud. Si on rentrait ? Je crois qu’on sera mieux au bord de la piscine.

— Tu as raison, répondit ce dernier en se levant. Il ramassa prestement sa serviette et rajouta, désabusé :

— De toute façon, je n’arrive pas à me décontracter. J’ai l’esprit accaparé par tout ce que j’ai vu et entendu à Ramatuelle. Tu sais, en y regardant de plus près, je me dis que, contrairement à ce que je croyais au départ, il y a de fortes chances pour que Clotilde n’ait pas de lien avec le décès d’Alexis parce que ça ne colle pas avec les renseignements que j’ai maintenant en ma possession.

— Franchement, Max ! Cette hypothèse est farfelue. Personnellement, j’ai toujours été persuadée que sa mère n’avait rien à voir avec toute cette histoire. D’accord, elle débloque de plus en plus depuis son internement, mais pas au point de vouloir la mort de son fils, tout de même !

— Oui, enfin, j’espère ! Tu sais, avant qu’elle disparaisse dans la nature sans laisser de trace, elle m’a fait vivre tellement de choses dépassant l’entendement que plus rien ne me surprendrait.

— D'accord, mais moi, je suis là vois-tu ! Et si on passait à autre chose ? susurra Cynthia, les poings sur les hanches, montrant une impatience grandissante. Je voudrais vraiment pouvoir profiter de cette fin d’après-midi avec toi !

— Profiter de moi ! Hum… Pourquoi pas ! J’aime bien l’idée…

À leur retour sur le parking, ils jetèrent immédiatement leurs serviettes encore humides sur les sièges avant en cuir brûlant de la voiture. Trente minutes plus tard, ils arrivaient à leur hôtel.

Après une douche glacée, ils se retrouvèrent sur le lit.

La fraîcheur et la pénombre de leur chambre aidant, ils oublièrent bien vite dans les bras l’un de l’autre leur envie de farniente au bord de la piscine.

2

Quelques mois auparavant, dans une réalité beaucoup plus chaotique,

Ils venaient de quitter l’autoroute et longeaient les quais de la Garonne à Bordeaux depuis quelques minutes. Clotilde somnolait paisiblement, bercée par le ronronnement des six cylindres de la Jaguar S-Type.

Ce bain chaud lui avait fait du bien et l’excitation de la journée avait fait place à la fatigue.

Songeur, Max conduisait en silence. L'obscurité de la voiture seulement troublée par l'éclairage du tableau de bord était propice à la réflexion.

Il avait appris à reconnaître les différentes phases par lesquelles elle passait. À ce moment précis, il savait intuitivement que la soirée serait calme.

Alors qu’ils arrivaient devant la place de la Bourse, Clotilde fut réveillée par les lumières du boulevard Lyautey. Maintenant parfaitement en forme, elle venait d’abaisser son pare-soleil et entreprit de se refaire une beauté.

Un peu de rouge carmin sur les lèvres, un coup de brosse dans les cheveux pour démêler quelques mèches rebelles qui avaient pris un mauvais pli lors de son sommeil et elle fut à nouveau resplendissante.

Tout en se rapprochant de Max, elle demanda alors d’une voix fraîche et suave :

— On est bientôt arrivés ? Ça me tarde maintenant. Pour une fois qu’on sort en société !

Max la regarda, marqua un temps d’arrêt et prit le parti de ne pas rétorquer. Cette remarque était trop chargée de sous-entendus et, somme toute, il préférait rester spectateur du comportement de sa femme que d’en être l’acteur prisonnier et malheureux. C’était sa façon à lui de se protéger. Il répondit tout de même :

— Tu connais le quartier comme moi, n’est-ce pas ? Ici, pour trouver une place de stationnement, ça va être coton…

Il regarda la montre du tableau de bord. Il était déjà vingt heures quinze et la nuit était déjà tombée !

La circulation n’était pas dense pourtant il tourna un bon moment, de la place des Quinconces aux allées de Tourny.

En désespoir de cause, il se dit que s’ils ne voulaient pas se heurter aux portes verrouillées du Grand Opéra de Bordeaux, il fallait prendre une décision rapidement. En effet, par tradition, dès le début de la séance, les portes étaient fermées afin de ne pas perturber le spectacle. Les retardataires en étaient quittes pour s’installer dans une loge d’attente, et ce jusqu’au premier entracte.

Il s’engouffra alors dans le parking souterrain de la bourse et s’arrêta enfin au troisième sous-sol. Clotilde n’aimait pas cet environnement bétonné et oppressant. L’endroit quasi désertique où la moindre parole résonnait, alimentait ses angoisses continuellement à fleur de peau. Elle n’avait qu’une envie, celle de fuir ce lieu le plus rapidement possible.

— Je ne me sens pas en sécurité ici. C’est lugubre, dit-elle à Max, tout en lui agrippant fermement le bras pour qu’il se hâte.

— Nous serons là-haut dans une minute, répondit-il d’une voix grave qui se voulait rassurante.

Cette fragilité la rendait plus attachante encore. Max avait envie de la prendre dans ses bras pour la protéger, mais il se garda bien de suivre ses instincts.

Il savait qu’il ne fallait pas.

Il se pencha une nouvelle fois dans l’habitacle de son véhicule, vérifia d’un coup d’oeil rapide qu’aucun objet pouvant attirer la convoitise d’un quelconque rôdeur ne traînait sur les sièges et verrouilla les portières.

Max aimait les belles voitures. Il appréciait le comportement de cette routière qui, sans être un pur produit de la marque, en offrait toutefois toutes les garanties de confort et de fabrication.

Ils se dirigèrent rapidement vers le sas de sortie. Quelques instants plus tard, l’ascenseur les remontait jusqu’à la surface.

Clotilde prit une grande respiration, comme si l’air, en bas, lui avait manqué. Il ne pleuvait pas, mais on sentait bien que le ciel, noir et lugubre, était lourdement chargé. Derrière eux, dans un silence surprenant, le tramway avec son look futuriste déversait méthodiquement ses passagers à quelques enjambées du miroir d’eau. La place de la bourse, avec ses éclairages aux nuances chaudes et orangées qui donnaient un air grandiose et solennel à l’ensemble des bâtiments, était l’un des fleurons de Bordeaux.

— Je suis gelée !

— Ah bon ! répondit Max, légèrement ironique. Ce n’est pas ta robe en dentelle qui va te tenir chaud. Quelle idée aussi. Allez, serre-toi contre moi.

L’air glacial et les bourrasques de vent leur cinglaient le visage.

Ils parcoururent la distance qui les séparait du Grand Théâtre au pas de course, blottis l’un contre l’autre, au plus près des immeubles du cours du Chapeau-Rouge pour se préserver du froid et se protéger de l’arrivée d’une improbable averse, car la robe de Clotilde n’aurait pas supporté l’épreuve de l’eau.

Dès lors qu’ils furent à l’abri dans le hall majestueux de ce temple gréco-romain qui abrite l’Opéra de Bordeaux, Max prit le temps de détailler le lieu où ils se trouvaient, autant pour se réchauffer un peu que pour se mettre dans l’ambiance de la soirée.

Le magnifique escalier central de pierre blanche en forme de T en haut duquel on pouvait voir deux cariatides entourant la double porte qui permettait l’accès aux places orchestre se dressait devant eux.

L’hôtesse le sortit de sa contemplation, les conduisit jusqu’au premier balcon et leur ouvrit la porte de la loge. De là, ils avaient une vue d’ensemble sur toute la surface de la scène qui occupait un bon quart de la salle.

— Je vous souhaite une bonne soirée, dit la jeune femme en leur indiquant leurs places.

Max lui adressa son plus beau sourire. Clotilde, elle, ne la vit même pas.

C’est là qu’ils rencontrèrent pour la toute première fois Norbert et Cynthia, un couple bon chic bon genre. Ces derniers occupaient deux des fauteuils disponibles de la rangée de gauche. Ils se placèrent donc derrière eux, légèrement en hauteur.

Une fois bien calé dans un siège confortable, Max se laissa aller, ferma les yeux et se rappela ce qui les avait amenés en ce lieu, aujourd’hui.

…Depuis un moment déjà, elle le poursuivait jusque dans ses derniers retranchements pour qu’il la suive enfin jusqu’au Grand Théâtre, ce magnifique édifice qui offrait ce soir un opéra en quatre actes de Verdi, le célèbre « Othello », car elle admettait mal qu’il ne partageât pas sa soif de contact social.

Cette éventualité ne l’enchantait guère, mais si cela pouvait apporter un peu de sérénité dans leur quotidien, il était prêt à faire des concessions.

Il avait donc en toute discrétion acheté sur internet, deux billets pour le soir même. Dehors, le temps était maussade et de gros nuages noirs envahissaient peu à peu le ciel, annonciateurs d’un temps d’hiver comme seuls les mois de janvier savent en promettre et il n’avait pas eu envie de rouler jusqu’à Bordeaux, mais il lui avait promis.

Max, sans être bourru, se satisfaisait facilement de la solitude d’un instant de lecture, d’une partie de golf ou d’une soirée entre amis. Cela contrebalançait totalement les moments de stress qu’il vivait tout au long de ces journées pendant lesquelles il devait se garder de la provoquer, d’exacerber ses sentiments d’autodestruction pour qu’elle recommence, chaque fois, à revivre normalement sans qu’il éprouve le besoin de se méfier de ses gestes insensés.

Ce qu’il ne savait pas encore ce jour-là, c’est que son altruisme envers Clotilde allait bouleverser sa vie au-delà même de ce qu’il aurait pu imaginer.

Ce matin, comme à son habitude, elle était encore partie. Il ne savait jamais où elle allait. Elle-même ne le savait pas non plus lorsqu’elle s’installait au volant de sa voiture. Chaque journée était une épreuve supplémentaire. Elle se mettait en danger par ses rencontres d’un moment.

Souvent, elle revenait salie dans son corps et dans sa tête, mais il ne fallait rien dire. C’était comme ça. C’était plus fort qu’elle.

Pourtant, il ne ménageait pas sa peine. Il allait même jusqu’à sacrifier ses propres loisirs pour être avec elle le plus souvent possible et cela ne suffisait pas.

Ça faisait maintenant bientôt deux ans qu’ils avaient aménagés dans cette belle demeure de maître située au coeur du bourg de Bazas, aux portes des Landes girondines. Il pensait que leur vie serait plus agréable, plus équilibrée. Or, il n’en était rien, bien au contraire.

Max avait choisi de rester à la maison, bien décidé pour une fois, à faire avancer son roman. Il était d’abord allé faire quelques courses sur le coup de onze heures. Il avait ses habitudes lui aussi.

D’abord, il faisait un brin de causette avec la boulangère, toujours souriante et agréable dont le commerce était situé tout à côté du petit Huit-à-huit, juste en face de son coiffeur. Ensuite, il allait acheter son journal dans la librairie de la rue piétonne. Cela lui permettait d’être en contact permanent avec le monde du livre.