L'Ordre de Galaad - Gilles Battistuta - E-Book

L'Ordre de Galaad E-Book

Gilles Battistuta

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Beschreibung

Un clan composé de sept dirigeants puisant leur histoire dans la légende Arthurienne, s'est mis en tête de produire une molécule capable d'assurer leur l'immortalité. La découverte d'un processus stoppant la vieillesse et parallèlement la mise au point d'une thérapie cellulaire qui accélère la cicatrisation, par un groupe de chercheurs Ukrainiens les conforte dans leur projet. Mais, un puissant consortium pharmaceutique européen informé des recherches, mandate un groupe de hackers afin de pirater les précieuses données. La situation se complique lorsque le gouvernement Français fait valoir son droit de propriété sur cette découverte prometteuse. S'en suivra alors un imbroglio où l'appât du gain, la raison d'Etat et la philosophie vont s'entrechoquer.7 Qui aura le mot de la fin ? Cette nouvelle aventure de l'agence Leroux et Cie va vous transporter dans un univers où la vie humaine n'a paradoxalement que peu de valeur en regard des objectifs poursuivis.

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Du même auteur :

2015 Le Printemps Ressuscité

2016 On a volé Saint-Nonna

2018 La Dynastie des Douze

2021 Les Suppliciées de Kergaouen

Retrouvez l’auteur sur son site internet :https://www.bit.ly/2KCwQao

Ce roman imaginaire n’est basé sur aucun fait réel. L’actualité brûlante du moment tout autant que l’envie d’aborder de grands thèmes tels que l’immortalité ont guidé l’auteur dans la réalisation de cette histoire rocambolesque.

Toute ressemblance avec des personnes et des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que totalement fortuite.

Remerciements

La photographie originale de la page de couverture réalisée par NickS a été extraite de la bibliothèque Istockphoto.

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

1

Il était seize heures et en cette fin septembre, un soleil de plomb inhabituel écrasait de ses rayons puissants cet antique cimetière laissé à l’abandon quelque part dans la Creuse, non loin de Crozant.

Offrant un spectacle de désolation, les trop nombreuses tombes abandonnées depuis fort longtemps affichaient pour beaucoup d'entre elles un écriteau dérisoire du genre « Concession disponible - voir en mairie ». Un petit muret de pierre haut d’à peine un mètre et envahi par un lierre galopant entourait cet espace fantomatique. A gauche, une chapelle vieille de plusieurs siècles invitait au recueil les rares visiteurs daignant venir rendre un hommage aux occupants perpétuels du lieu.

En ce milieu d'après-midi, debout sur ces gravillons chauffés à blanc, Max Lagardère avait du mal à rester stoïque. Comment pouvait-on mourir par une si belle journée ?

Franck Lacornie avait émis de son vivant la volonté de voir ses cendres déposées sous cette dalle de béton fendue de toutes parts et rachetée il y a quelques semaines seulement, comme s’il savait sa mort imminente. En homme prévoyant, notre défunt ne laissait pas de place au hasard. Tous ses choix avaient un sens, correspondaient à un besoin immédiat ou à venir.

Max Lagardère qui faisait à son insu, partie intégrante du plan final, ne saisissait pas pour l’instant la démarche énigmatique de ce lointain ami. Il pensa surtout qu’être enterré ici vouait ce dernier à un oubli certain.

Mais, au-delà des apparences, quelle était donc la véritable raison de sa présence sur ce bout de terre aride, figé devant ce carré de terre fraîchement remué par la bêche du marbrier sollicité pour la circonstance.

Il y avait là un message qu’il lui fallait déchiffrer. Tous ses sens étaient en alerte, aiguisés au possible. Il devait observer, à défaut de pouvoir comprendre dans l’immédiat.

Cela ne pouvait pas expliquer autrement l’appel insistant de cet homme aux abois et cette promesse arrachée au téléphone sous le signe de l’urgence.

Comme à son habitude, Max avait accepté d’instinct sans trop savoir où son acquiescement le mènerait et aujourd’hui, il assistait dans la plus grande confusion à l’enfouissement des restes calcinés du corps d’un homme dont il ne savait pas grand-chose et qui appartenait à un passé vieux de quelques vingt années.

Dans cette ambiance kafkaïenne où Dieu n’était pas à son avantage, il laissa son esprit vagabonder et se rappela ce garçon frêle et taciturne rencontré dans les couloirs de la Fac de Pau lors de leur inscription en première année de Droit en 1990.

Que ce temps était loin. Il entamait la fin de ses dixneuf ans lorsqu’il fit la connaissance de Franck Lacornie et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux-là s’étaient liés d’amitié d’instinct.

Chacun occupant une chambre d’étudiant, ils se retrouvaient chez l’un ou chez l’autre, souvent entourés d’une bande de copains. À cette époque, l’insouciance régnait en maitre et les études passaient parfois au second plan, mais Max avait réussi à obtenir son diplôme malgré toutes les frasques commises.

Puis, le temps passant, ce dernier avait repris sa route jusqu’à perdre son ami de vue définitivement.

Il se rappela que son correspondant lui avait laissé entendre que sa présence sur le site était cruciale pour la sauvegarde de l’espèce humaine avant que lui-même ne disparaisse à jamais sous cette plaque de peu de valeur rongée par le temps.

Le détective privé s’était exécuté sans se douter un seul instant qu’il venait d’être investi d’une mission de la plus haute importance.

Il sentait bien en son for intérieur que le défunt allait occuper une grande partie de son avenir immédiat,

En fait, Franck Lacornie était un ex-flic spécialisé dans l’espionnage industriel qui avait fait son temps au sein des services spéciaux du Gouvernement. Enfin, « ex », il fallait le dire bien vite. Peut-on si facilement se faire oublier d’un tel Service ? Rien de moins sûr au vu des causes de son décès.

Qu’avait-il découvert d’important pour qu’il soit éliminé de façon si brutale ?

Max ignorait tout de l’environnement professionnel de celui qui sollicitait son aide de façon si impérative.

Ce qu’il savait, c’est que l’intéressé était décédé au volant de sa voiture à Guéret, ce qui justifiait par là-même la crainte que son interlocuteur avait exprimée lors du message téléphonique laissé quelques temps auparavant sur le répondeur de l’agence de recherches quimpéroise « Leroux et Cie ».

Profondément immergé dans ses pensées, Max fut ramené à la réalité lorsque quelques subtils effluves poivrés lui chatouillèrent les narines, senteurs émanant d’un parfum qu’il connaissait bien pour être celui d’Amandine, sa compagne.

Il n’était pas rare qu’il s’évade ainsi : ses absences lui semblaient parfois une éternité alors qu’elles ne duraient que quelques fragments de secondes. Pas plus tard que ce matin, tandis qu’il roulait sur l’autoroute, il avait décroché. Son cerveau était ailleurs alors que ses yeux le guidaient au milieu de la voie sur laquelle son véhicule se déplaçait.

Phénomène assez étrange voire incompréhensible s’il en était. Il n’avait aucune explication bien que cela lui arrivât assez souvent malgré tout.

Effaçant toutes les images que sa mémoire repoussait jusqu’aux abords de son subconscient, il reprit contact avec la réalité.

Étonné, il tourna ostensiblement la tête sur la gauche. Dans son champ de vision apparut alors une jeune femme tout de noir vêtue. Son visage recouvert d’une discrète voilette laissait voir des traits angéliques entourés de cheveux bruns impeccablement taillés au carré. Elle se tenait légèrement en retrait par rapport à lui, figée dans une attitude digne tout en semblant fixer un point lointain situé au milieu des arbres recouvrant l’une des petites collines environnantes.

C’est là qu’il commença seulement à décortiquer le paysage au centre duquel il se trouvait.

Totalement isolé du reste de la commune, ce cimetière fantôme avait été érigé en haut d’un vaste tertre. On y accédait par un étroit chemin empierré, seule voie d’accès possible. D’énormes buissons de ronces hauts de deux mètres pour certains rendaient la fuite impossible sur trois de ses côtés. Le guet-apens idéal en fait dans lequel il s’était jeté tête baissée. On aurait bien pu l’occire à la mitrailleuse que personne n’en aurait rien vu ni entendu.

Curieux, Max suivit la trajectoire du regard de sa charmante voisine.

Au loin, un éclat de lumière intermittent semblait délivrer un incompréhensible message en morse. De multiples explications auraient pu venir éclairer cette vision, mais Max, en expert averti pencha pour le reflet du téléobjectif d’un appareil photo ou pire celui de la lunette d’un fusil pointé dans leur direction.

Tétanisé, il pensa que le soleil qui tapait fort le rendait paranoïaque. Ce scénario était tout simplement impossible, digne d’un mauvais roman.

En tout cas, il n’en voyait pas la raison…

Il regarda à nouveau discrètement la jeune femme qui se tenait face à la sépulture. Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Quarante ans tout au plus et ne semblait pas spécialement peinée, se comportant plus en observatrice polie qu’en veuve éplorée.

Max sentait bien l’anormalité de la situation sans arriver à en déchiffrer les codes. Dans un rapide mouvement d’aller-retour, elle tourna alors la tête vers lui et le fixa brièvement avec dans les yeux, le reflet indéfinissable d’un éclair métallique inquiétant.

Ce qui le frappa d’emblée, c’est cette hétérochromie fascinante. Ses iris de couleurs différentes, oscillaient pour chacun d’entre eux entre le bleu, le gris et le vert.

De quoi la reconnaître entre mille s’il recroisait son chemin.

À partir de cet instant, il sut que le premier pion d’une dangereuse partie d’échec venait d’être poussé vers ses lignes. Renversant la tradition en ne respectant pas l’usage, les noirs venaient de prendre la main, donc l’avantage.

Restait à trouver des raisons de riposter.

Puis, son instinct le poussa à faire une rapide volteface en direction du portail dont les grilles aux gonds rouillés ne servaient plus à grand-chose sinon à rappeler l’âge canonique des lieux.

Il faillit tressaillir sous la violence des palpitations qui venaient de se déclencher dans sa poitrine.

Un homme habillé d’un costume sombre bien taillé et portant des lunettes de soleil ajustées se tenait immobile, nonchalamment appuyé contre l’un des piliers délimitant l’unique voie d’entrée du cimetière.

Bien qu’il ne soit pas vraiment éloigné, Max ne sut lui donner un âge. Son faciès relativement figé lui procurait cet air des gens extrêmement concentrés et prêts à toute éventualité.

Le côté gauche de son veston laissait voir le renflement significatif de la présence d’une arme contenue dans un holster. Personne ne porte ostensiblement un pistolet dans un étui sauf à avoir le droit de s’afficher avec en toutes circonstances, mais le flegme qu’il affichait contrastait avec l’austérité du moment.

Un flic ? Non, bien trop stylé, même pour la circonstance. Les services spéciaux ? Pourquoi pas ! Ça collerait bien au personnage dont les cendres viennent maintenant d’être éparpillées sur la terre meuble de la concession.

On aurait pu se croire dans l’un de ces fameux westerns où la poussière court au ras du sol emmenant avec elle quelques touffes d’herbe séchée. Pas un bruit ne se faisait entendre, pas un mot n’était échangé. Seul le vent et le piaillement de quelques petits oiseaux qui virevoltaient de-ci, de-là venaient rompre le silence qui amplifiait le côté irréel de la situation.

Bien qu’affichant un calme apparent, Max mettait à rude épreuve sa capacité d’analyse. En dehors du marbrier, toutes les personnes présentes avaient forcément une autre raison d’être ici. Si le défunt ne présentait plus guère d’intérêt en l’état, qui était alors la cible ?

Au fil des minutes qui s’écoulaient, la réponse semblait de plus en plus évidente.

La courte cérémonie funèbre avait pris fin après un semblant d’oraison où il fut très succinctement fait référence à la fin de vie brutale du défunt tout autant qu’à son âge inhabituel pour passer de vie à trépas.

Les cendres de feu Franck Lacornie reposaient désormais à jamais en ce lieu, intimement mélangées à cette terre grasse qui ne flirterait plus avec la lumière du jour de sitôt.

C’est tout juste si Max Lagardère entendit la question qui lui était posée :

— Concernant l’urne, vous voulez la garder ?

— L’urne… Quelle urne ? Ah oui ! Et qu’est-ce que vous en faites si je ne la prends pas ?

— Oh, ce n’est qu’une simple boite en plastique sans guère de valeur sentimentale, alors je la dépose dans les poubelles du cimetière en partant.

Max hésita un instant et se rappela les recommandations de son défunt ami :

« Garde tout ce qui pourra servir même les choses les plus insignifiantes ».

— Je vais la conserver. Je m’en débarrasserai très certainement moi-même plus tard, mais bon…

Puis, absorbé par ses réflexions, Max ne s’aperçut pas immédiatement que sa voisine s’était éclipsée. Seul son parfum tenace emplissait encore l’atmosphère laissant derrière elle une trainée olfactive à l’image du mystère qu’elle représentait.

Ne voyant aucun intérêt à prolonger sa présence, il prit congé de son vis-à-vis et emprunta l’allée centrale, unique voie menant vers l’extérieur.

Jetant un coup d’œil circulaire, il constata que l’énigmatique inconnu s’était lui aussi volatilisé. Il se retrouvait seul au milieu d’un paysage désertique et se demanda s’il n’avait tout simplement pas rêvé ce qu’il venait de vivre.

Les empreintes récentes des pneumatiques de deux véhicules garés côte à côte sur le sol enherbé lui ôtèrent tout doute à ce sujet.

Max avait l’impression d’avoir mis les pieds dans une nasse sordide, pris entre une veuve noire dont il ignorait les desseins et un tueur patenté qui jouait à cachecache.

Autant épuisé par sa longue journée, il était parti de Quimper à cinq heures du matin, que par le stress du moment présent, il se laissa tomber sur le siège en cuir beige de sa Jaguar, perturbé par la tournure des évènements dont il ne maîtrisait aucun des contours.

Ce qu’il vivait depuis son arrivée dans la région était tout bonnement surréaliste.

Max ressentait maintenant l’impérieuse nécessité de se raccrocher à la réalité après ce moment déstabilisant passé en compagnie d’inconnus que la logique permettait de cataloguer d’adversaires potentiels.

Il composa fébrilement le numéro de l’agence. La sonnerie s’éternisait. Alors qu’il allait raccrocher déçu, la voix chaude et suave d’Amandine le réconforta aussitôt.

— Ça fait du bien de t’entendre. Je sais au moins que je n’ai pas rêvé ce que je viens de vivre.

— Houlà ! Quand j’entends Max Lagardère s’exprimer comme ça, c’est que quelque chose ne va pas. Comment s’est déroulée ta journée pour que tu sois dans cet état ?

— C’est un peu pour ça que je t’appelle. J’ai l’impression d’être ici depuis une éternité. Je ne sais pas ce qui se passe, mais ma présence a l’air d’intéresser du beau monde. Je pense qu’il va falloir nous montrer vigilants.

— Nous ?

— Oui « Nous ». Si j’en crois les recommandations de notre défunt ami, toute conversation de détail au téléphone semble proscrite. N’utilise pas ton portable pour me joindre et ne m’appelle surtout plus sur le mien. On parlera de tout ça de vive voix à mon retour. En attendant, vérifies si le bureau est clean au niveau des oreilles.

— Tu n’en ferais pas un peu trop ?

— Non. Si mes déductions se confirment, il semble évident que j’ai déjà une balise accrochée à mes basques depuis ce matin. Un mec me suit comme mon ombre alors je reste sur mes gardes.

— Comment ça !?

— En fait, le gars dont je te parle était déjà présent au crématorium. Je ne l’avais pas calculé parce que dans le hall, il y avait une autre cérémonie avec beaucoup de monde et bizarrement, je l’ai retrouvé au cimetière. Moi, les coïncidences, je m’en méfie.

— Je vois. Tu remontes tout de suite ?

— Non, je vais coucher dans le coin et je reprendrais la route demain matin.

— D’accord. En attendant, je vais faire ce que tu m’as demandé. Sois prudent !

2

Quatre mois auparavant,

Le weekend de la Pentecôte était terminé. La classe laborieuse avait repris ses obligations quotidiennes, engorgeant matin et soir aux mêmes heures la rocade qui mène de Pont l’Abbé à Quimper.

Franck Lacornie venait de recevoir un sms sur sa messagerie sécurisée lui enjoignant de se rendre à une adresse non répertoriée dans le bottin de la Poste.

Il connaissait bien Paris pour avoir longtemps séjourné à Levallois-Perret. Même avec un bandeau sur les yeux, il aurait presque pu parcourir l’ensemble des artères qui quadrillaient la ville lumière sans guère se tromper.

Après sa demande de radiation des services de la Dgsi, il avait acheté un manoir dans un bourg éloigné des turbulences de la Capitale. Il avait privilégié le bout du bout de la Terre, à Penmarc’h exactement, village de cinq mille cinq cents habitants, situé au sud-ouest du Finistère.

Ses pérégrinations l’avaient conduit un jour par le plus grand des hasards sur ce bord d’océan et le temps s’était alors figé, comme emprisonné par la magie du tableau qui s’offrit à lui.

Comment ne pas tomber sous le charme d’un tel environnement, ces lieux où la mer rencontre avec fracas ces côtes enrochées de granite amoncelé par la fureur des marées, ce ciel aux couleurs si changeantes passant d’un bleu aux nuances atlantiques à un gris aussi sombre que les grains dévastateurs qu’il engendre. Tout ceci sans compter ses habitants courbant l’échine face au vent sans jamais rompre, à l’image de ce fragile roseau qui fait front aux éléments tumultueux, planté là au milieu des marais de Pont Nignon.

Mais le choix d’une demeure, fut-elle enchanteresse, devait répondre avant tout à des critères de sécurité. Bien qu’il ne soit plus dans la boucle des services secrets, il présentait encore une source d’intérêt non négligeable pour certains opposants de la République.

Alors qu’il parcourait, juché sur son vélo, la rue du château au Guilvinec, il était resté comme hypnotisé devant le manoir de Kergoz, magnifique propriété affublée de deux tours caractéristiques entièrement à restaurer. Si la commune n’en avait pas fait l’acquisition au sortir de la Guerre, il se serait volontiers porté acquéreur de cette merveille.

Puis, il avait fini, à force de recherches assidues, par trouver l’endroit idéal.

La façade principale du bâtiment concerné permettait une vue assez large sur l’environnement immédiat. Un modeste mais bien indispensable portail situé à l‘arrière de la propriété autorisait l’accès à un itinéraire de fuite. Cerise sur le gâteau, un souterrain praticable verrouillé en son extrémité par une lourde porte en bois rongée par le temps débouchait sur une ancienne carrière aujourd’hui recouverte d’ajoncs protégeant son accès.

C’était peut-être là des précautions superflues, mais elles constituaient le garant d’une longévité accrue au vu du milieu dans lequel il évoluait.

Bien intégré dans le tissu social Penmarchais, il aimait aller taquiner le poisson dans son milieu naturel. C’était une passion qu’il avait conservée en lui, issue de ces parties de pêche avec son grand-père natif du Verdon dans le Médoc.

Il se rappelait ce vieux canot en bois, long tout au plus de quatre mètres avec un moteur poussif fixé sur le tableau arrière. « Ave Maria » qu’il l’avait appelé en souvenir de sa femme brutalement décédée d’une rupture d’anévrisme.

Pendant trop longtemps à son goût, il s’était contenté de profiter des invitations lancées de-ci, de-là jusqu’au jour où il décida d’acheter son propre bateau.

Son amitié avec un gars du coin, Pierrot de Rudonge, un type fort sympathique bien introduit dans le milieu de la plaisance lui avait permis de trouver l’embarcation de ses rêves. Leur rencontre tout à fait fortuite à l’occasion d’un concert donné en soutien à l’Ukraine dans l’église Sainte Thumette déboucha sur une grande amitié non démentie à ce jour.

C’est ainsi que l’été venu, il se faisait un plaisir d’aller de temps à autre admirer ce magnifique Beneteau Antarès 700 équipé d’un moteur de 175 cv dans un état quasiment neuf qui flottait, fièrement attaché à la bouée d’un corps-mort à la sortie du petit port de Kérity, à une vingtaine de mètres du bout de la longue estacade qui protégeait l’anse des coups de boutoirs de l’océan.

Lors de ses sorties, il n’allait jamais bien loin et naviguait à vue des côtes, se fiant principalement aux données précieusement enregistrées au fil du temps par son sondeur-GPS.

Il aimait se laisser porter par les mouvements lents de son navire qui dérivait majestueusement au gré des courants.

Ce qui comptait pour lui, c’était surtout le bien-être que lui procuraient ces instants de tranquillité, totalement coupé du reste du monde avec pour seul bruit le sifflement du vent dans les antennes radio et le cri des mouettes qui arrivaient parfois jusqu’à lui.

Après bien sûr, il savait qu’il ne serait jamais d’ici puisqu’il n’y était pas né, mais était-ce vraiment primordial ?

En tous cas, il bénéficiait d’un cadre de vie idéal et de l’estime évidente de ses plus proches voisins, un environnement qu’il avait lui-même mis en place et c’est ce qui comptait réellement à ses yeux.

D’ailleurs, Élise, la vieille dame qui habitait à la droite du manoir venait régulièrement arroser les plantes de son intérieur lorsqu’il s’absentait. Elle gardait religieusement les clés et bénéficiait d’une confiance sans limite du propriétaire des lieux. Elle se montrait aussi attentionnée avec lui qu’elle aurait pu l’être avec ce fils trop tôt disparu en mer lors d’un tragique évènement maritime qui avait irrémédiablement endeuillé la commune.

L’aile droite du bâtiment avait été aménagée en salle de sport. Rien ne manquait : tapis roulant, banc de musculation, rameur, vélo etc. Il est vrai qu’il ne pouvait se permettre le moindre accroc à sa forme physique.

Mais son rêve lui coutait cher, alors de temps en temps, il acceptait une mission tout en souhaitant pouvoir profiter de son havre de paix encore longtemps malgré l’épée de Damoclès qui pesait sur sa tête chaque fois qu’il reprenait du service.

En fait, sachant le risque que son mode de vie lui faisait encourir, il avait pris ses dispositions :

Son père étant décédé et sa mère cachée aux yeux du monde par mesure de précaution, son manoir et tout ce qu’il contenait, reviendrait à une association pour la protection de l’enfance, à la condition de créer dans la bâtisse une colonie de vacances pour les plus défavorisés.

Ainsi, il était en paix avec lui-même, éloigné des turpitudes des nécessités matérielles, s’attachant plutôt à la tranquillité de son âme, prêt ainsi à servir son Pays en toutes circonstances.

Ce jour-là, il avait rejoint Paris à bord du TGV qui partait en gare de Quimper à six heures trente.

Assis dans la voiture de tête en première classe, le dos face à la motrice, il réservait toujours un siège lui permettant d’avoir une vue sur les voyageurs entrant, une vieille manie certainement issue d’une forme de paranoïa due à la nécessité d’être toujours en mesure de repérer une éventuelle filature ou déjouer une tentative de neutralisation.

Les trois heures trente de voyage s’étaient écoulées si rapidement qu’il fut même sorti de son indolence par les haut-parleurs qui venaient d’annoncer l’entrée de la rame en gare de Montparnasse.

Il avait patiemment attendu que son compartiment soit vide pour descendre à son tour.

Maintenant, il marchait au milieu d’une foule dense composée de voyageurs qui s’engouffraient dans le goulot des tourniquets menant aux quais du métro parisien.

Franck Lacornie n’aimait pas se trouver dans une situation où il ne maîtrisait pas son espace vital. Il savait que sa vie n’était pas en danger puisqu’il n’était investi d’aucune mission. Mais, son besoin de sécurité lui dictait de rejoindre au plus vite le parvis extérieur donnant à l’air libre.

Il avait appelé la plateforme Uber tout en marchant vers l’extrémité de l’esplanade. Cinq minutes plus tard, son chauffeur lui ouvrit la porte du véhicule avec un sourire affable.

Il se méfiait viscéralement des taxis parisiens qui pouvaient potentiellement jouer un rôle non négligeable dans la transmission de renseignements tous azimuts, quels que soient les demandeurs.

Il avait par mesure de précaution, exigé qu’on le dépose à quelque distance de sa destination réelle.

Après avoir jeté un coup d’œil circulaire autour de lui, Franck Lacornie s’arrêta devant une lourde porte à deux battants en bois massif réhaussée de heurtoirs en fonte qui ornaient la façade de ce magnifique bâtiment Haussmannien dans le 6ème arrondissement.

Il appuya sur l’unique bouton de l’interphone en cuivre patiné et fut immédiatement accueilli par une voix féminine délivrant un message on ne peut plus incisif.

— Oui ?

Il prononça le code qui annonçait sa visite et pénétra dans la bâtisse, traversa une cour qui portait encore les stigmates d’anciennes écuries, signes de la richesse des propriétaires de l’époque puis gravit lestement la quinzaine de marches d’un escalier en pierre chichement décoré.

Arrivé au premier étage, au milieu du palier, il aperçut enfin sa destination : une porte blindée habilement recouverte de cuir grainé naturellement vieilli de couleur verte.

Lorsque son doigt lâcha le bouton de la sonnette, il entendit à nouveau le déclic caractéristique de la gâche électrique qui libérait son mécanisme d’ouverture, signe qu’il était attendu.

Il entra et salua la secrétaire tout en demandant à voix haute :

— Bonjour Mathilde. « iXe » est là ?

— Il vous attend ! Vous êtes toujours aussi élégant, Phœnix, à ce que je vois !

— Je vous retourne le compliment. J’ai toujours un grand plaisir à vous revoir. Il faudra quand même qu’on dîne ensemble un de ces soirs.

— Vous savez bien que je ne peux pas accepter. Et puis, je sais trop comment ça finirait…

Sur ces bons mots, Franck Lacornie parcourut sans autre formalisme le petit hall à la décoration désuète et abaissa la poignée de la porte capitonnée qui lui faisait face.

Au fond d’une grande pièce aux fenêtres lumineuses donnant sur une rue adjacente à l’avenue de l’Opéra, un imposant bureau napoléon III en noyer datant de la fin du 19ème semblait occuper tout l’espace.

Derrière ce monument de bois massif, assis dans un fauteuil Second Empire d’un autre âge, un homme à la stature imposante regarda d’un œil glacial celui qui venait de pénétrer sans autorisation préalable dans cet univers hors du temps.

— Un vrai parcours du combattant pour arriver jusqu’à vous !

— On n’est jamais trop prudent. Prenez place, prononça son interlocuteur d’une voix laconique qui ne souffrait pas la contradiction tout en désignant de la main le seul fauteuil disponible.

Avant même que Franck Lacornie ait fini de s’asseoir, il avait poussé devant lui un épais classeur cartonné sur la couverture duquel était écrit au feutre noir et en majuscule, un seul mot : « GALAAD ».

— Oui ? répondit le visiteur en guise de questionnement.

Ce flegme affiché avait le don d’irriter le responsable de la sous-direction « K », service spécialisé dans la lutte contre l’ingérence économique sur le territoire Français.

— On a là un dossier délicat. Il ne s’agit pas seulement d’une affaire d’espionnage comme celles que vous avez l’habitude de traiter. On est à deux doigts d’un scandale qui pourrait impacter l’Etat. Autant vous dire qu’il est urgent de désamorcer cette bombe à retardement. Vous allez avoir l’occasion de mettre en œuvre vos talents de scientifique.

— Enfin ! Pas plus tard qu’hier, je me demandais encore si mes compétences dans ce domaine seraient un jour reconnues !

Celui qui lui faisait face faillit l’envoyer bouler, mais il connaissait son bonhomme. Derrière un humour fallacieux se cachait un expert d’un grand professionnalisme. Il continua simplement son monologue, imperturbable.

— On vous a concocté une couverture à toute épreuve. Dorénavant, vous vous appelez Philippe Delavault. Vous possédez un diplôme d’études et de recherche en biologie humaine. Vous avez exercé pendant cinq ans dans un centre bien connu de Lyon et votre profil vient d’être retenu pour une embauche à l’Institut de Virologie Brevixia à Guéret. Vous commencez à la fin du mois. Ça vous laissera le temps de vous préparer.

— Je vois !

— Non, vous ne voyez pas ! Vous allez mettre les pieds dans un véritable panier de crabes et ça m’embêterait de perdre un consultant de valeur. Aujourd’hui, votre but est simple : neutraliser une opération d’espionnage économique qui se déroulerait au préjudice de Brevixia, et d’autre part « récupérer » les données scientifiques qui intéressent au plus haut sommet de l’Etat tout en court-circuitant les commanditaires. Me suis-je bien fait comprendre ?

— En fait, vous me demandez tout simplement de nettoyer la place et de mettre sur pied une opération d’espionnage « légale » au bénéfice du Gouvernement. C’est tout à fait limpide !

— J’en suis fort aise. Vous trouverez dans le dossier toutes les informations qui vous seront utiles pour mener à bien votre mission. Bien entendu, rien ne sort d’ici. Vous mémorisez tous les détails puis vous passez la totalité des feuillets dans la déchiqueteuse, j’insiste. Je vous conseille d’accorder à ce dernier point une grande vigilance. C’est le garant de votre sécurité future. Vous avez des questions ?

— Oui. Pourquoi « Galaad » ?

— Je n’en ai aucune idée ! L’information est arrivée sur mon bureau par hasard au milieu de centaines d’autres sans qu’on en sache plus. A vous de découvrir ce qui se cache derrière ce foutu nom, mais il n’est pas interdit de penser que vous pourriez croiser la route d’une caste puissante dont nous soupçonnons l’existence sans préjuger qu’elle existe vraiment, une sorte de « Deep State1 » en quelque sorte préjudiciable au bon fonctionnement de notre société. Autant vous dire que « Nous » attendons énormément des résultats de votre intervention.

Après s’être levé, il ajouta avant de s’éclipser :

— Vous êtes tout seul sur ce coup-là, Franck. Soyez prudent, face à vous, il y a des pointures. Si je vous ai choisi, c’est parce que je sais que vous êtes de taille à mener à bien cette mission. Une chose encore. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Faites remonter les informations par la voie habituelle. Bonne chance !

Lorsque la porte se referma derrière son commanditaire, il y eut un instant de flottement. Malgré ses années d’expérience, Franck Lacornie sentait que cette affaire était différente de toutes celles qu’il avait pu traiter jusqu’à là.

Et puis cette pièce ! Totalement vide et impersonnelle. Si on enlevait le peu de mobilier présent, on pouvait croire cet appartement inoccupé.

De là à penser qu’aucun entretien ne s’y était jamais déroulé, il n’y avait qu’un pas.

Balayant d’un mouvement de bras ces réflexions parasites, il contourna le bureau et prit place à son tour dans le vieux fauteuil à l’assise ridée.

Après quelques secondes d’hésitation, il ramena à lui l’épais document et en ouvrit la première page.

Le titre faisant une large place à la mythologie était déjà tout un programme à lui seul.

Pensant presque à voix haute, il tenta de puiser dans ses souvenirs.

— Galaad… Galaad ! Ça me dit bien quelque chose, mais quoi ?

Il se plongea alors dans une lecture assidue revenant souvent en arrière, mémorisant une photo, un nom ou un détail capital.

Tout un faisceau d’informations absconses pour le moment lui embrouillait le cerveau. Il lui fallait impérativement structurer sa méthode, créer des associations d’idées, lire à voix basse jusqu’à enregistrer la musique des mots et mettre en application ce qui lui avait été enseigné.

Puis, à force de solliciter ses neurones, une résurgence surgie de ses préceptes fit jaillir à l’orée de sa mémoire un flot de souvenirs.

Il se rappela l’histoire de ce jeune chevalier, fils de Lancelot du Lac et d’Ellan qui fut invité à s’asseoir autour de la table ronde, sur le fameux siège périlleux.

Ce pan de la légende Arthurienne avait marqué son esprit non seulement à cause du récit fabuleux développé entre autres par Chrétien de Troyes qui entoure le destin du héros au cœur pur, mais aussi par cette quête du Graal qui causera sa perte : « regarder dans la coupe et y perdre la vie sans pouvoir rien en dire ».

On y était... Franck Lacornie venait peut-être de faire la relation avec l’un de ses adversaires potentiels.

Dans le dossier qu’il consultait avec minutie, une nébuleuse non identifiée, peut-être la fameuse « Galaad » semblait piloter les recherches d’un institut de biologie ne figurant pas dans la liste des établissements particulièrement réputés pour leurs résultats scientifiques.

Quelle était la signification de ce rapprochement avec la mythologie Celte ? Et pourquoi ces mêmes données intéressaient t’elles également au plus haut sommet de l’Etat ?

Il commençait à entrevoir les raisons qui avaient poussé son correspondant à recourir à un consultant extérieur plutôt qu’à un fonctionnaire en service qui impliquerait le Gouvernement si l’affaire tournait mal.

Ce n’était pas la première fois que la Sécurité Intérieure faisait appel à lui pour des affaires délicates.

Lorsqu’il fut convaincu d’avoir analysé les moindres recoins de ce dossier, il décida de détruire l’ensemble des feuillets comme les règles les plus élémentaires de sécurité l’exigeaient.

Le hall d’accueil était aussi désert que le bureau qu’il venait de quitter. Une table de travail, une chaise et un téléphone sans tonalité constituaient l’essentiel du mobilier.

Mais point de Mathilde !

Il y avait surtout cette déchiqueteuse de grosse capacité avec un sac poubelle vide à l’intérieur.

D’un niveau de sécurité P-7, elle réduisait les documents qu’elle avalait à de petits bouts de papier de trois millimètres sur un, contenant tout au plus trois caractères, rendant toute reconstitution de texte impossible.

Pour plus de sureté, le visiteur mélangea à la main le gros tas de confettis afin de brouiller un peu plus une éventuelle tentative de reconstitution du dossier.

Bien qu’il ait l’habitude d’agir en freelance, pour le coup, il se sentit bien seul, ce qui n’était pas forcément de très bon augure. Quand un employeur s’évertue à effacer avec une telle volonté de passer inaperçu toute trace de son passage, on peut mesurer la montagne de difficultés qui risque de se dresser devant vous.

Pourtant, Franck Lacornie n’était pas homme à se laisser abattre par la première difficulté venue.

Physiquement déjà, il mesurait un mètre quatrevingt-cinq pour quatre-vingt-dix kilos de muscles tout en souplesse. Formé aux techniques de combat à mains nues, il maniait l’arme de poing tout aussi bien que le couteau. Doté d’un intellect supérieur à la moyenne, il avait même tenu tête à un célèbre joueur mondial d’échecs alors qu’il se trouvait pour une mission en Croatie jusqu’à l’instant où il avait finalement dû se plier à la puissance de jeu de son rival.

C’est dire que notre homme ne baissait pas sa garde facilement.

Il quitta furtivement son lieu de rendez-vous.

Lorsqu’il claqua derrière lui la lourde porte de bois qui donnait sur le monde extérieur, il sut que la mission qui l’attendait allait faire appel à toutes ses capacités d’adaptation.

1 Il s'agit d'un Etat dans l'Etat qui détiendrait le vrai pouvoir de décision.

3

Max venait de quitter le cimetière. Il roulait à allure modérée sur ces petites routes à l’asphalte rugueux et en mauvais état.

Les journées raccourcissaient à vue d’œil et la chaleur du début d’après-midi laissait maintenant la place à une légère brume blanche arasant le sol.

Tout en conduisant, il jeta un coup d’œil sur la belle montre de marque qui ornait son poignet gauche depuis ce matin. Les aiguilles dorées à l’or fin lui indiquaient qu’il était déjà dix-sept heures quarante. Il avait accordé plus de temps que prévu aux obsèques de Franck Lacornie et décida de chercher un hôtel au plus près.

Songeur, il se projeta deux semaines en arrière et se remémora la conversation qui l’avait décidé à répondre à la sollicitation de son correspondant.

Il se revit garer sa Jaguar sur le parking de la Tour d’Auvergne et parcourir à pied la rue Laennec pour rejoindre Amandine. Il faisait trente-deux degrés, une température assez inhabituelle pour une ville comme Quimper.

Ce jour-là, il ne trouva du réconfort que lorsqu’il eut refermé derrière lui la porte du grand bureau climatisé que l’agence de recherche « Leroux et Cie » occupait dans cette bâtisse stratégiquement placée au centre de la capitale Cornouaillaise.

— Eh bien, tu en as mis du temps. Il y a eu un problème ?

La jeune femme qui s’exprimait sur un ton autoritaire n’était autre que la créatrice de l’agence et compagne de notre homme.

— Ne m’en parle pas, je suis éreinté. La convocation des témoins à la barre du Tribunal n’en finissait pas. J’ai bien cru y passer la journée. À part ça, qu’est-ce qu’il y a de nouveau ?

— J’ai finalisé les dossiers Le Corre et Faou. Autrement, rien de spécial. Ah si ! Il y a un appel sur le répondeur. Le correspondant semble te connaître. Je n’ai pas trop compris, mais ça m’a l’air important.

Max Lagardère saisit le combiné du téléphone et composa le code de la boite vocale.

Une voix qu’il ne connaissait pas, au ton grave et posée en contradiction totale avec les mots prononcés résonna dans le haut-parleur :

« Bonjour Max, c’est Franck Lacornie, ton vieux copain de la Fac de Pau… Ça fait longtemps, n‘est-ce pas ! Je te contacte aujourd’hui parce que j’ai un problème que toi seul peut résoudre. C’est sérieux alors rappellemoi rapidement ».

— Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Amandine lorsqu’il eut raccroché.

Max était encore en train de réfléchir lorsqu’il répondit :

— J’ai connu ce gars lorsque j’étais encore étudiant. Comme il dit, ça fait longtemps. Le seul moyen de savoir ce qu’il veut, c’est de le rappeler, mais mon instinct me dit que c’est encore une de ces affaires foireuses, comme on aime bien les cumuler à nos risques et périls. Allez, on va battre le fer tant qu’il est chaud… dit-il en recomposant le numéro qui s’affichait sur l’écran.

Une conversation irréelle s’engagea aussitôt.

— Bonjour Max, Je suis content de t’avoir au bout du fil. Tu te souviens de moi ?

— Parfaitement ! Mais c’est bien loin tout ça !

— En effet et c’est justement la raison pour laquelle je fais appel à toi. Bon, je n’ai pas beaucoup de temps alors je vais aller à l’essentiel. J’ai travaillé pendant quelques années pour la Dgsi2. Puis la limite d’âge obligeant dans ce genre d’emploi, j’ai rejoint le privé. Je suis sur une affaire sensible et ma couverture a volé en éclat, ce qui signe mon éventuelle neutralisation.

Dans le monde des polices parallèles, le terme « neutralisation » prenait bien souvent un aspect définitif pour celui qui en était la cible.

— Tu y vas fort quand même !

— Non, je suis simplement lucide au vu de la détermination de mes adversaires. Enregistre bien ce que je vais te dire. Ce sera mon unique appel. Dès que tu auras vent de ma disparition, récupère mes affaires au crématorium de Guéret.

— Et comment je saurai ?

— Je travaille sur le secteur. Si quelque chose doit se passer, ce sera là-bas. Les Pompes Funèbres prendront contact avec toi. Je leur ai laissé des directives très précises avec bien sûr ton numéro de téléphone. Pour en revenir à notre conversation, après ton départ du crématorium, conserve précieusement mon stylo et ma montre. Cette dernière possède en elle une valeur inestimable… Beaucoup plus de valeur que tu ne le penses, dit-il en insistant sur les derniers mots. Je te demande aussi d’être présent au cimetière lors du dépôt des cendres dans la tombe. C’est important, très important. N’évoque jamais notre conversation au téléphone… Jamais. Je t’offre un cadeau empoisonné, mais qui peut te procurer beaucoup d’avantages si tu sais trouver la clé. Un dernier conseil : tes alliés ne seront pas forcément tes amis !

Max avait écouté son correspondant avec un étonnement grandissant dans les mêmes proportions que son énervement.

— Mais enfin, ça ne rime à rien, ce genre de conversation après toutes ces années ! grogna-t-il, prêt à raccrocher.

— Calme-toi ! Je conçois ta surprise, mais ne cherche pas à comprendre pour l’instant. Tu es suffisamment éloigné de moi pour brouiller les cartes. Tu vas recevoir un message précisant tout ce que tu as besoin de savoir. Décortique-le tranquillement, ne note rien et efface-le définitivement. Je te laisse, notre entretien n’a que trop duré. Je compte sur toi.

Max n’était pas sûr d’avoir fait le bon choix en acceptant cette improbable mission.

Amandine s’y était farouchement opposée comme à chaque fois que les contours d’une affaire semblaient nébuleux. Ses arguments typiquement féminins avaient du sens, mais piqué à vif par le virus de la curiosité, son associé n’écoutait déjà plus.

Maintenant, notre détective se trouvait au centre de l’action. Se défiler n’était plus une option, il le savait. L’étrange épisode du cimetière venait de le plonger au cœur d’une situation dont il ne maîtrisait aucun détail.

Un gigantesque halo de lumière rouge entourant la sphère lumineuse fuyante du soleil annonçait le crépuscule naissant. Max n’aimait pas rouler la nuit sauf si les circonstances l’exigeaient.

Là, ce n’était pas le cas et puis, en enquêteur chevronné, il se dit qu’une halte sur place pouvait tout aussi bien réserver son lot de surprise.

Il ne croyait pas si bien dire.

Les environs de Crozant offraient des hébergements de qualité et il sut qu’il venait de trouver ce qu’il cherchait quand il s’arrêta devant la façade d’un vieux bâtiment recouvert de lierre où une inscription en rouge, lisible mais quelque peu défraichie laissait comprendre qu’il s’agissait d’une pension de famille.

Il se dégageait de cet endroit une sensation de sérénité qui envahissait irrémédiablement le visiteur. Était-ce cette vue époustouflante donnant sur les méandres de la Creuse qui coulait sagement plusieurs dizaines de mètres plus bas ou bien alors cette végétation luxuriante envahissant l’espace ?

Toujours est-il que Max, porté par la quiétude du lieu décida de lâcher prise pour la soirée. Maintenant garé sur le petit parking situé en contrebas de la route principale, il ouvrit le coffre de la Jaguar, en extirpa un petit sac de voyage et se rendit tranquillement jusqu’à l’accueil.

Quand il poussa la porte, il se retrouva instantanément plongé dans une ambiance atypique. Une longue pièce au plafond rampant dont les murs de pierres surmontés d’une vieille charpente aux poutres apparentes usées par le temps étaient éclairés par de larges baies vitrées laissant entrer un flot de lumière des plus reposants constituait l’essentiel de la salle à manger.

Un agencement de mobilier contemporain accompagnait un interminable comptoir en inox aux lignes résolument modernes.

— Bonjour. Je cherche une chambre. Avez-vous encore des disponibilités ?

L’homme à qui il venait de s’adresser était un personnage jovial à la bonhomie communicative. Sa tenue vestimentaire et un embonpoint naissant le désignaient comme un homme du cru, simple, mais accueillant.

— Oui bien sûr. Pour combien de temps ?

— Juste pour ce soir.

— Et vous dinerez ici ?

— Avec plaisir. J’ai jeté un coup d’œil sur la carte en entrant et ça m’a l’air très bien.

Un éclair de satisfaction éclaira le visage de l’hôtelier. L’homme aimait son métier, tout en lui le démontrait. Le simple fait qu’on lui montra qu’on appréciait ses efforts pour offrir des menus à la hauteur de la réputation de la cuisine locale le récompensait largement de ses investissements personnels.

— Vous ne serez pas déçu. Ma femme ne cuisine que des produits du terroir. Tenez, voici vos clés. Vous avez la Trois.

Max tendit le bras par-dessus le comptoir tout en demandant :

— Quand servez-vous le diner ?

— A partir de dix-neuf heures quarante-cinq.

— Parfait. J’ai hâte de goûter aux bons petits plats de votre épouse. Je monte me prendre une bonne douche et je reviens boire un verre avant le repas. A tout à l’heure ! Et il fila directement dans sa chambre.