La dynastie des Wookas - Tome 1 - Laurie Alice Dumas - E-Book

La dynastie des Wookas - Tome 1 E-Book

Laurie Alice Dumas

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Beschreibung

Dans l’Univers existait une source d’énergie particulière, qui avait fait apparaître la vie, la végétation, l'eau et les êtres vivants sur la planète Amana. Elle protégeait de toutes sortes de catastrophes naturelles, les plus dangereuses et dévastatrices. Convoitée par les Wookas, ses éléments essentiels auxquels elle donnait des dons, elle fournissait en permanence de l’énergie sur cette vaste planète. Par cette énergie, elle rendait ce monde invisible et offrait ainsi une protection à ses habitants. Nul autre être vivant de l’Univers n’en avait cependant connaissance.
Un jour, un enfant de ce monde fut déporté sur Terre par un homme voulant diriger les terres d'Amana. Il l’éloigna de sa destinée, craignant qu’il fût celui qui l'empêcherait de régner. Mais, depuis son départ, la source diminuait de plus en plus en énergie et la planète en subissait aussi les conséquences. Cet homme ignorait tout de cette énergie sacrée ainsi que de l’influence que l’enfant pourrait avoir pour leur monde…


À PROPOS DE L'AUTEURE


Laurie Alice Dumas, née le 15 février 1987 à Pontoise, a exercé plusieurs métiers dans différents domaines. La lecture et l'écriture l'ont toujours passionnée et, enfant, elle s'était promis de rédiger un roman. C'est chose faite aujourd'hui avec Irène ou le pouvoir de l'elantana, son premier ouvrage publié.

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Laurie Alice Dumas

 

 

 

LA DYNASTIE DES WOOKAS

 

 

 

TOME 1

 

 

Billy

 

Prologue

 

 

 

 

 

Dans l’Univers existait une source d’énergie particulière, qui avait fait apparaître la vie, la végétation, l'eau et les êtres vivants sur la planète Amana. Elle protégeait de toutes sortes de catastrophes naturelles, les plus dangereuses et dévastatrices. Convoitée par les Wookas, ses éléments essentiels auxquels elle donnait des dons, elle fournissait en permanence de l’énergie sur cette vaste planète. Par cette énergie, elle rendait ce monde invisible et offrait ainsi une protection à ses habitants. Nul autre être vivant de l’Univers n’en avait cependant connaissance.

Un jour, un enfant de ce monde fut déporté sur Terre par un homme voulant diriger les terres d'Amana. Il l’éloigna de sa destinée, craignant qu’il fût celui qui l'empêcherait de régner. Mais, depuis son départ, la source diminuait de plus en plus en énergie et la planète en subissait aussi les conséquences. Cet homme ignorait tout de cette énergie sacrée ainsi quede l’influence que l’enfant pourrait avoir pour leur monde.

L’enfant fût envoyé dans une région du Canada. Seul, en pleine nature, près d'un champ de blé jouxtant quelques maisons éparses. Enfoui dans une couverture noire, brodée en or de son prénom : Billy. Peu de temps après son arrivée sur Terre, l’enfant fût repéré par une villageoise errant au hasard d’un chemin. Il fallut bien se résoudre à emmener Billy à l’unique orphelinat de la ville... Il fut ensuite présenté à des couples, et encore d’autres, qui le trouvèrent tous si attendrissant... Mais, hélas ! Aucun ne souhaita adopter cet enfant venu de nulle part, qu’on imagina issu de la nature...

Les jours suivants, cependant, une villageoise résidant dans une maisonnette en bois, bien éloignée de la ville, alla déposer un mystérieux colis à l’orphelinat…

 

 

 

Chapitre 1

 

 

 

Billy

 

Au début d’une journée de pluie abondante, Jane, de ses bottines marron clair, légèrement usées, longeait une rue piétonne de Tripsoterra : ville principale de la région. Le long de la rue se jouxtait de boutiques aux vitrines exposant des vêtements, des chaussures, des confiseries… Au bout de cette rue se trouvait l’unique orphelinat de la ville, sis entre deux immeubles étroits. C'était une spacieuse bâtisse en briques rouges, faite de plusieurs fenêtres à carreaux aux bordures blanches. Elle comportait quelques étages. Ces derniers temps, on y comptait malheureusement davantage d’enfants abandonnés.

Malgré les lumières de la ville souvent animée, la pluie engendrait un aspect sombre dans les environs. Les lanternes des commerçants restaient allumées pour les citadins qui traversaient abondement la rue de tous les côtés.

Jane, qui portait un colis blanc sous l’un de ses bras, entra promptement dans l’orphelinat. Elle put enfin échapper à l’incessante pluie. Elle déposa le paquet sur une commode blanche, près de l’entrée : le rangement de chaussures des enfants. L'endroit était éclairé de deux lampes à pétrole, disposées dans un large corridor orné de plantes vertes, dans des gros pots noirs posés au sol. Un tapis rouge velouté longeait une partir de ce corridor. Et les hauts murs étaient peints de blanc perlé. Tout était ordonné telle que l’était celle qui gouvernait cet orphelinat.

D'un pas hésitant, Jane emprunta le couloir et tourna vers la première pièce à sa droite. De légers braillements d’enfants retentissaient. Au fond de la salle s’imposait un large âtre de pierre claire, où de grandes flammes s'animaient. Elles chauffaient convenablement la pièce.

La villageoise observait les enfants, occupés à jouer aux cartes sur un plancher de bois sombre. Aucun n’avait vraiment cependant le sourire aux lèvres.

Puis Jane regarda sur sa droite, et aperçut un large landau, non loin de la porte d’entrée.

Elle s’approcha et découvrit l’enfant dont la voix l’avait incitée à entrer. Ses grands yeux oscillaient d’un vert-jaune à un bleu-gris. Ils illuminaient son joli minois.

Jane pencha la tête vers lui. L’enfant était souriant et calme. Elle caressa son visage d’ange, le regardait avec tendresse. Elle en était émue. Ceci ne lui était jamais arrivé.

Soudain, elle eut une étrange vision...

Elle était dans une grotte, éclairée d’une lueur blanche aveuglante. Elle distinguait à peine – au travers d’une dense fumée –, des personnes qui l’entouraient. Ils parlaient dans une langue qui lui était inconnue. Puis elle vit le visage d’une jeune femme, qui la regardait, assise, les jambes en tailleur. Elle avait de longs cheveux ondulés, blonds foncés, descendant jusqu’au sol. Elle portait un bébé dans ses bras. Et semblait préoccupée… ses yeux restaient constamment grands ouverts. Ses mains étaient posées sur une couverture noire dont s’emmitouflait l'enfant. Elle avait sa chevelure autour de lui, comme pour le protéger. Les trois hommes présents à ses côtés, vêtus de vestes noires à capuchon, parlaient toujours dans cette langue inconnue. Jane voulait leur parler mais ils ne pourraient l’entendre… Soudain, une vive lumière reluisit dans la grotte.

  — Madame O'haras, quelle est la raison de votre venue ?

Jane vit une dame aux cheveux grisâtres et aux grands yeux bleus. Son visage pâle laissait découvrir quelques rides sous les yeux et le front. Elle avait l’air inquisitrice.

Perturbée, la villageoise resta silencieuse quelques secondes.

Puis répondit :

— Je suis venue déposer un colis.

— Bien. Mais que faites-vous encore là ? reprit-elle, le regard mauvais.

Celle qui se trouvait face à Jane était la directrice de l’orphelinat : Mme Grelle. Line Grelle. Une femme souvent aigrie. Elle était vêtue d’une longue robe bleue safre, et d’une ceinture noire qui marquait sa taille avec délicatesse. Elle portait un impeccable chignon serré, et une paire de bottines noires, soigneusement cirées.

Line tapa du pied sur le plancher du couloir, les bras croisés.

Jane ne comprenait pas sa nervosité. Elle lui demanda, intimidée :

— Cet enfant, personne ne l’a adopté ?

— Aucune famille ne désire l’adopter, assura-t-elle. Il y a une semaine de cela, une employée de l’orphelinat l’a amené ici. Quand elle a vu l’enfant posé sur un tas de feuillages, elle dit avoir senti la présence d’un être invisible, qui l'incita à prendre l’enfant. Il s’appelle Billy : c’était brodé sur sa couverture.

— Billy… ce prénom lui sied.

Jane avait un sourire radieux. Elle n’avait d’yeux que pour ce bébé, ne voulait point le quitter. Elle n’avait jamais songé à avoir un enfant. Mais elle ressentait qu’il avait besoin d’elle, et qu’elle aussi avait besoin de lui.

— Notre employée a un esprit perturbé, récrimina la directrice. Un être invisible… quelle sordide chose.

Jane ne prêtait pas attention à ce que la directrice disait.

— Mme O’haras ? Mme O 'haras ? s'impatientait Line.

— Je voudrais l’adopter, dit-elle inopinément.

Jane étreignit le landau, espérant que la femme au dur regard donne son accord.

— Vous êtes un peu âgée, lui rétorqua-t-elle, emplie d’impolitesse.

La villageoise s’insurgea :

— L’âge a peu d’importance, je prendrai soin de lui !

L’austère Line avait cet air mesquin qui incommodait tant Jane. Elle était considérée comme une femme sans cœur à l’égard des gens de la ville. Elle ne tarda pas à intimer de se taire aux enfants qui jouaient au fond de la pièce. Ils s'attristèrent mais n’auraient jamais osé songer à désobéir. Ils avaient cependant bien entendu que Jane voulait adopter l’enfant dans le landau.

L’un d’eux marmonna :

— Jamais l’un de nous n’a été adopté aussi vite.

Les autres acquiescèrent de dépit.

— Il a de la chance, enchérit une fillette.

Ils s’imaginaient à la place de Billy, éloignés de l’orphelinat pour de bon.

Line s’approcha du landau en fixant l’enfant. Puis releva énergiquement une mèche tombée de son chignon en faisant des manières.

Line se tourna à nouveau vers Jane, lui offrant même un sourire presque trop poussé.

— Bien, dans ce cas, prenez-le ! Mais ne revenez pas pour nous le rapporter : après il sera trop tard !

Deux garçons bruns et une fillette aux nattes rousses – résidant depuis trois années ici –, s’étonnèrent. Mais ne chuchotèrent plus un seul mot en la présence de Line. Ils se regardèrent discrètement, le bord des yeux humides.

Jane O’haras eut un moment d’absence.

Quant à la directrice, elle se questionna de son comportement.

Elle lui tapota l’épaule en se plaignant de son impolitesse :

— Madame O’haras, je n’ai pas toute la journée !

Jane fit face à la directrice. Les seuls bruits que l’on percevait étaient le craquement du plancher en bois et les gouttes de pluie qui giflaient quelques fenêtres.

— Maintenant ? réagit Jane. Et les papiers à signer ? 

La patronne des lieux était toujours longue à donner son accord envers ceux qui désiraient adopter. Tout le monde disait qu’elle faisait exprès de faire attendre, par esprit de contrariété. Elle avait étrangement accepté une adoption sans papiers signés : ce qui était illégal et étrange.

— Pas besoin de cela. Occupez-vous de lui au mieux. Les orphelins ont besoin d’attention !

— Cet enfant aura la meilleure des vies que nous puissions lui donner, assura Jane de sa douce voix.

Elle prit délicatement le bébé, en maintenant la soyeuse couverture. Puis sortit vite du salon avant que Line ne change d’avis.

La directrice regarda Jane avancer vers la porte qui menait vers la sortie :

— Je ne n’aurais pu garder cet enfant plus longtemps… fit-elle d’un regard dur et froid.

Les orphelins la méprisèrent du regard. Ils ressentaient son dédain.

Quand elle se tourna vers eux, elle s'emporta avec véhémence :

— Qu’est-ce que vous regardez ?! Profitez de jouer, c’est bientôt l’heure de remonter dans vos chambres ! Vilains garnements…

Line sortit de la pièce, et se dirigea vers un large escalier qui se trouvait au fond du grand couloir.

Une frêle jeune femme, celle-là même qui avait trouvé Billy, était recroquevillée dans un coin de ce couloir. Elle avait les yeux noisette et les cheveux dorés, noués d’un chignon. Elle portait une longue robe beige et un court gilet blanc : tenue vestimentaire de toutes les employées de l’orphelinat. Quand la directrice passa devant elle, elle la salua poliment.

Line ignora Mary, et prit les escaliers en soulevant sa robe avec indélicatesse. Depuis qu’elle avait raconté les étranges faits à propos de Billy, Mary redoutait sa supérieure. Et les autres employées la considéraient comme folle. Elle avait du mal à se faire une place parmi ses collègues. Mais elle ne déniera jamais que lors de son retour vers sa maison, en plein milieu des champs, un être invisible lui avait bel et bien parlé. 

Mary avança discrètement vers la pièce de jeux des enfants, en veillant à ne pas être repérée. Elle n’avait pas la permission de se promener dans l’orphelinat à certaines heures de la journée.

Grand fut son étonnement quand elle vit que Billy n’était plus dans le landau. Chaque fois qu’elle le pouvait, elle venait le voir. Elle l’eut aimé dès la première seconde où elle l’eut pris dans ses bras. Si Mary ne l’avait pas ramené à l’orphelinat, Billy n’aurait jamais croisé le chemin de Jane… Diverses tristes expressions oscillaient sur le visage de la jeune femme. Les trois enfants, toujours présents dans la pièce, l'observaient.

— Un jour cela sera votre tour… assura-t-elle, en se forçant à sourire.

Les enfants acquiescèrent. Hélas, ils ne croyaient plus vraiment en leur adoption.

Billy était adopté, lui ! Quel chanceux, pensaient-ils. Mais si Line avait cédé l’adoption de Billy, cela ne fut pas pour ravir Jane : il fallait se débarrasser de l’enfant venu de nulle part. Cela nuisait à la réputation de l'orphelinat. De nombreux villageois avaient refusé d'adopter un enfant depuis que Billy avait surgit du néant. Ces derniers jours, elle eut songé à envoyer Billy dans un autre établissement.

Jane, sans le savoir, avait sauvé l’avenir du garçon aux boucles blondes.

Mary, la larme à l’œil, s’avança devant une des grandes fenêtres. Dehors tombaient désormais de fines gouttes. Elle frotta le carreau embué avec la manche de sa robe, et aperçut Jane qui marchait vers la sortie de la ville.

— Au revoir cher Billy… Tu seras bien avec elle.

Mary fut la première terrienne à avoir découvert le garçon. Il fut l’une ses plus belles rencontres : elle ne pourra jamais l’oublier. 

 

 

*

 

 

Dans la ville au sol couvert de flaques d’eau et de terre boueuse, Jane enlaçait Billy pour ne pas qu’il prenne froid. Elle était trempée des pieds à la tête, mais elle était habituée : il pleuvait souvent dans la région. Billy était lové dans sa couverture. Mais ses jolies petites boucles s’affaissaient de l’humidité incessante. Jane portait une longue veste écrue, et un chapeau marron orné d’un ruban blanc. Sous sa veste, elle avait une robe rouge cerise – sans fantaisies. Jane concevait ses vêtements elle-même. Elle avait une apparence fragile – petite et menue –, des traits de visage fins, parsemés de quelques rides autour des yeux et des lèvres. Mais ce n’était que son apparence qui reflétait cette fragilité, puisqu’elle avait fort caractère.

La villageoise longeait à vive allure un long chemin sinueux aux plaines verdoyantes. Les arbres, éparses, ne parvenaient pas à rompre la monotonie des lieux. Sa maison se trouvait dans un village nommé Andana, distant de cinq kilomètres de la ville. Près de sa demeure, s’offraient, à perte de vue, des vastes champs de blé et de multiples jolis bois, que Jane appréciait plus que tout. Le chemin qu'elle traversait rejoignait la vaste forêt d’Andana. À l’orée de ce bois – lieu de traverse des villages alentours –, il fallait y longer une grande partie pour atteindre les autres terres. Et cette sylve n’était pas toujours l’endroit le plus sûr, les bêtes sauvages y rôdaient souvent. Mais Jane, et les autres villageois, n’avaient d’autre choix que de passer par-là. Jane n'avait pas de moyen de transport : tels que voiturettes ou autres engins que les gens au moyens aisés pouvaient se payer. Elle et son mari avaient un chariot, qu’ils n’utilisaient que pour transporter de lourdes marchandises. Autrement, ils marchaient. Et cela n’était pas pour déplaire à Jane. La nature était trop belle et délicate pour que les humains ne soient pas en contact avec elle.

Jane commençait à longer un chemin de la forêt. Abritée par les arbres les plus fournis de végétation, notamment des chênes. Il fallait espérer que la pluie cesse à sa sortie des bois.

Non loin d'elle, elle aperçut soudain deux personnes qui attendaient la fin de la pluie. Il s’agissait d’un couple : les voisins les plus proches des O’haras. Il y eut une semaine, seulement, que leur enfant naquit.

— Jane ! Que faites-vous là par un temps pareil ? claironna la jeune femme.

La villageoise fit demi-tour et les rejoignit.

— Je rentre chez moi, répondit-elle.

La jeune femme, grande et imposante, baissa les yeux sur Billy :

— … Qui est cet enfant ? s’étonna Any.

Elle avait les cheveux auburn et les yeux marron. Un grand manteau en laine d’un rouge sombre la couvrait. Elle vivait dans une grande maison de pierre, de l’autre côté de la plaine des O’haras. Son mari, Hagane, n’était guère grand et plutôt fluet. Ses cheveux étaient noir corbeau et ses yeux d’un bleu profond. C'était l'agriculteur le plus réputé de la région.

— C'est mon fils, fit Jane d'une voix émue.

Les Haze furent étonnés de la nouvelle. Ils savaient que Jane n'avait jamais désiré d’enfant. Et puis, elle approchait la cinquantaine.

Mais ils lui sourirent par politesse.

— Jane, quel bel enfant… mes félicitations.

Any découvrit le visage de son enfant enveloppé sous une épaisse couverture en coton blanc. Il était déjà bien portant.

— Nous avons accueilli Larry, fit-elle d’un tendre sourire. Notre premier.

— Il a une bouille si adorable … se ravit Jane.

— Oh oui ! s’exclama la mère. Je ne cesse de lui donner des bisous.

Hagane était discret, au contraire de sa femme dont la présence était rarement discrète.

La naissance de son fils augmentait sa joie. Le bébé ressemblait à son père, pensait Jane. Il bâillait souvent comme si la vie l’épuisait déjà.

— La pluie a cessé de tomber : nous ferions mieux de reprendre la route ! dit Any.

Ils se saluèrent et se promirent de se revoir prochainement pour fêter la venue de leurs enfants.

 

 

*

 

Jane, enthousiaste, arriva vers la porte de sa maison. Elle regardait la belle frimousse de Billy. Un rayon de soleil soudain traversa la maison, il y avait une agréable chaleur.

Jane vit son mari agenouillé sur le plancher du salon. Leur cheminée au fond du salon dégageait agréablement de la chaleur. Des bûches brûlaient depuis ce matin. Le villageois, marteau à la main, était en train de fabriquer un meuble pour une des chambres.

— Tu es en plein travail, fit-elle.

Tom souleva les yeux, l'air effarouché.

— Qui est cet enfant ?

— Notre fils, Tom.

Tom en fit maladroitement tomber son marteau. Il s’approcha en regardant attentivement l’enfant. Et caressa du bout des doigts sa douce chevelure.

Un moment après, il serra Jane dans ses bras.

— Notre fils…

Il demanda à le prendre dans ses bras. C’était la première fois qu’il tenait un bébé : il s’en émut.

— D’où vient-il ?

— De l’orphelinat. Dès que je l’ai vu, j’ai ressenti que nous devions être ses parents.

Jane fut rassurée de l’enthousiasme de son mari. Les O'haras tombèrent spontanément d’amour pour Billy. Ils étaient choisis pour veiller sur lui. C’était indéniable.

Tom s’assit sur un grand fauteuil, situé en face de la cheminée animée, dans le petit salon.

Un chaton aux poils gris luisants – récemment adopté par Jane – vint vers lui. Tom ne cessait de regarder Billy et lui caressait le front. L’enfant dormait paisiblement.

Quand soudainement, il eut une vision. La même que Jane dans la grotte…

— Jane !

— Qu’est-ce qui se passe, Tom ? 

— J’ai eu une étrange vision… C'était une grotte éclairée d’une lueur blanche, et des gens inconnus…

Elle s'abasourdit.

— J’ai vu la même chose, Tom !

Auparavant, Tom avait été confronté à d’étranges phénomènes. 

Billy se réveilla soudain, et se mit à pleurer. Peu après, les O'haras remarquèrent quelque chose d’anormal... Ses pupilles devenaient transparentes. Outrés, ils posèrent l’enfant sur leur confortable canapé beige. Le chérubin hurla encore plus. Jane ne supportait pas de le voir ainsi. Elle le souleva et le berça.

Quand Billy eut cessé de pleurer, ses pupilles redevinrent visibles. Il sourit et papota des mots incompréhensibles.

Jane se questionna de ce phénomène… Quant à Tom, il pensait avoir rêvé, comme parfois cela lui arrivait.

— Tom… il ne faut rien dire à personne.

Il doutait de devoir garder cela secret. Mais que pourrait-il arriver à l’enfant ?

— Bien sûr. On ne dira jamais rien.

Le grand homme, médusé, s'assit sur son fauteuil.

Jane songea à préparer du lait pour Billy. Il avait grand besoin d’être nourri.

— Je vais lui chauffer du lait, convenu-t-elle avec entrain.

— On ne dira jamais rien… murmura Tom, le regard ailleurs.

« On doit protéger ce petit, coûte que coûte. »

 

 

*

 

Les années déroulèrent à Andana. Billy entrait sereinement dans sa cinquième année. Les O'haras lui eurent appris beaucoup de choses. Ce qu’il préférait par-dessus tout c’était les livres. Il avait appris à lire à deux ans. Sa culture prématurée venait en partie de ses parents adoptifs. Aux alentours, les villageois enviaient Jane et Tom du brillant garçon qu’ils avaient. Mais ils se questionnaient de l’enfant venu de nulle part. Tout le monde le savait. À l’école, ses camarades se frustraient de ne pas être aussi intelligents que lui. Mais Billy n’avait pas toujours de bonnes notes. Et lui aussi, ressentait de la jalousie envers ses camarades. Eux, avaient leurs vrais parents. Plus le garçonnet grandissait et plus il voulait connaître son passé…

 

 

Chapitre 2

 

 

Andana

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Billy avait neuf ans, et vivait toujours dans son monde littéraire. Il avait tellement de livres que sa chambre ressemblait à une bibliothèque. Certains ouvrages étaient encore rangés dans des malles, entreposées dans une petite cabane, à côté de la maison des O’haras. Elle servait de rangement pour les matériaux de jardinerie de Tom. Billy avait une peau de pêche – douce et claire –, et un petit nez rond. Et une chevelure blonde épaisse ondulée.

Il grandissait au milieu des champs de blé, de bois, de fermes et animaux : la tranquillité de la campagne. Il y avait ces petits charmants villages éparses, où tous se connaissaient. Mais Billy désirait en découvrir d’autres. Il avait lu des histoires concernant les pays et régions de la Terre : il pensait que ces écrivains les eurent sortis de leur imagination. Le garçon n’avait jamais été plus loin que les villages alentours. Tom et Jane passaient pour sauvages, parce qu’ils allaient rarement plus que loin que les terres de leur cabane. Et parlaient peu avec les gens. De l’étrange phénomène lacrymal de leur fils, les O’haras voulaient rester discrets.

Personne ne devait savoir que ses pupilles disparaissaient quand il pleurait.

Le garçon, lui, s’interrogeait aussi de sa particularité…

Les O’haras avaient toujours ressenti qu’il n’était pas un garçon ordinaire.

Comment expliquer ce mystérieux phénomène oculaire ?

Et d’où venait-il ? Qui étaient ses parents ?

Des villageois l’eurent déjà interrogé sur son origine – mais il ne révéla rien. C’était les conseils de son père, qu’il appelaitTom. Billy ne les avait jamais appelés père ou mère. Les O’haras n’eurent jamais contesté.

Tom était de très grande taille, et mince. Mais il avait une légère bedaine. Il portait une moustache blanche, accordée à sa chevelure souvent ébouriffée. Ses yeux étaient d’un bleu clair pour l’un et bleu foncé pour l’autre. Son nez assez élargi, et son front bien grand.

Il avait grandi à Tripsoterra, en pleine ville. Le villageois était d’un caractère gentil. Il était généreux et drôle ; pas rancunier pour un sou. Il portait souvent des salopettes et chemises à carreaux : quelque peu usées. Jane lui conseillait de s’acheter des vêtements avec les sous qu’ils mettaient de côté, mais Tom s’en indifférait. Il s’achetait rarement quelque chose pour lui, préférant acheter pour ses proches. Jane, elle, s’habillait de longues robes aux belles couleurs printanières ou hivernales, selon la saison. Ce qui allait bien à son teint clair et ses yeux marron. Ses cheveux grisés étaient souvent attachés d’un chignon au bas de sa nuque. Elle adorait cuisiner et surtout jardiner autour de leur maison en bois, que Tom avait entièrement construite de ses mains.

Les O’haras avaient élevé leur fils sous une certaine rigueur. Alors, quand il se plongeait dans ses livres, cela le divertissait. Et puis, il oubliait ses tourments... À l’école, certains camarades le titillaient. Plus qu’il ne fallait. Des fois les larmes lui montaient. Mais il les retenait : personne ne devait voir ses pupilles disparaître.

C'était dans sa chambre qu'il se sentait le mieux. Il gardait un carnet intime rangé dans une boîte fermée à clé et disposée dans son armoire blanche. Il notait tout ce qui lui passait à l’esprit ; frustrations, interrogations, colères, joies… Billy aimait aussi traîner dans le jardin verdoyant.

La conviviale maisonnette des O’haras était faite de bois. Il y avait un long toit de chaume et une cheminée qui dégageait souvent sa fumée. C’était un mois d'avril frais. Des rideaux blancs lisses ornaient les fenêtres au-devant de la maison. À l’intérieur, la salle et la cuisine étaient ouvertes, composant un grand espace. Un tapis aux poils longs et blancs ornait une partie du plancher de la salle. Dans le salon, à droite de l'entrée, étaient disposés deux fauteuils beiges. Le félin les affectionnait. Mistou avait grandi avec Billy. Il l’appréciait tant… Chaque fois qu’il rentrait de l’école, Mistou le suivait partout en se frottant contre lui.

À l'entrée de la maison trônait une commode en pin, fabriquée par Tom. Un peu plus loin à gauche, dix marches en bois menaient à un couloir. À droite du corridor se trouvait la chambre de Billy. Puis un peu plus loin à gauche : celle de Tom et Jane. Tandis qu’au fond s’y trouvaient la salle de bain et les toilettes ainsi qu'une pièce à débarras. Billy ne l'affectionnait pas. Il croyait y entendre des bruits étranges, mais ne s’y trouvaient que des objets bien inertes.

Tom avait bâti la maison de sorte à ce qu’elle convienne à sa chère et tendre. Et ce fut le cas. Une femme devait se sentir bien dans sa maison pour apprécier y passer du temps, disait-elle souvent. Jane travaillait à la ville pour subvenir convenablement aux besoins de sa famille. Elle était guichetière à la poste de Tripsoterra : elle aimait son travail. Grâce à lui, elle avait pu croiser le chemin de Billy… Sa fonction lui faisait pressentir que d’autres opportunités pourraient lui arriver. Et puis l’argent qu’elle gagnait contribuait à l’amélioration de leur maisonnette, qui fut devenue au fil du temps charmante à souhait.

Par la fenêtre de la cuisine de la maison, isolée au milieu des terres, il y avait une vue des champs de blé doré, qui donnait l’impression d’une immense mer cuivrée. Quand le soleil tapait dessus, les champs étaient encore plus éblouissants. Et quand jaillissait le vent, reflétaient des vagues mouvementées, divines.

La chambre de Billy était bien ordonnée – surtout grâce à Jane. Il ne rangeait pas au moindre objet déplacé. Souvent, il aimait regarder par sa fenêtre. Surtout à la tombée de la nuit, il pouvait contempler les astres lumineux. Un bureau marron, où étaient posées une lampe à pétrole et une boîte à stylo, faisait face à son lit, au cadre de bois clair. Au-dessus de son oreiller, était suspendu un tableau : peint d’une montagne aux monts verdoyants. Ses parents le lui eurent offert à ses huit ans.

Il l’eut repéré dans une petite boutique d'art à la ville, une des seules fois où il s'y fut rendu. Billy, attiré par ce tableau, voulut absolument l'acquérir. Il eut l'impression de ressentir quelque chose de familier, dans ce paysage peint et signé : K. Avant d’être mis en vente, la toile avait été trouvée par terre, dans une ruelle de la ville où le monde déambulait chaque jour. Jane et Tom hésitèrent, peu emballés par le fait que leur enfant dépense son argent d’anniversaire pour un tableau trouvé dans la rue. Mais ils eurent fini par abdiquer.  

À gauche de son lit, était disposée son armoire où étaient rangés de nombreux livres.

Quand il revenait de l'école, il fonçait vers ce rangement pour en prendre un ouvrage. Et il lisait au moins deux bonnes heures. Jane n'appréciait pas toujours qu'il s’isole dans son monde imaginaire. Tom approuvait que Billy ait un univers à lui, ce qui offusquait sa compagne.

Que Tom contredise ses avis la dérangeait. Mais ils finissaient toujours par être en accord.

 

 

*

 

C’était le printemps. Les fleurs bourgeonnaient à souhait dans les champs et les jardins, elles en dégageaient une odeur enivrante. Après un hiver glacial, Billy fut heureux du retour de la belle saison. Le temps doux était plus agréable pour se rendre à l’école. Sans risquer de tomber malade. Mais Billy n’avait jamais attrapé de rhume ou autres maladies hivernales. Ce qui rassurait Tom et Jane, bien qu’ils trouvaient cela étrange.

Cette matinée, les rayons du soleil dardaient à travers la maison des O'haras. Billy n'était pas encore sorti de son sommeil. Son réveil mécanique, qui retentissait à faire vibrer les tympans, n’avait pas sonné.

Ce furent les lueurs solaires, passant au travers de sa fenêtre, qui le réveillèrent. Il ouvrit ses paupières, les essuya délicatement, puis commença à poser pied à terre. Il regarda son réveil. Malheureusement, il lui indiquait qu’il avait déjà quelques minutes de retard.

— Huit heures ! fit sa douce voix d'enfant.

Il se précipita vers son armoire pour prendre ses vêtements prévus pour l’école. Une veste bleu marine par-dessus une chemisette blanche, ainsi qu’un pantalon assorti à la veste qui lui arrivait en haut des chevilles. Il portait des chaussettes blanches jusqu’aux mollets, accompagnées de chaussures noires cirées. Quant à sa coiffure, il passait un bref coup de brosse dans ses boucles. Ses cheveux étant épais, il en avait quelques fois des nœuds s’il ne les coiffait pas suffisamment. Ces épaisses boucles blondes, tombant le long de son front et de ses paupières, masquaient souvent ses jolis yeux. Billy insistait pour les garder ainsi car il se sentait protégé : une sorte de carapace.

Il se répandait dans la maison une odeur de pain grillé et de café, qui plaisait tant au couple O’haras. Jane était matinale car elle aimait concocter le petit déjeuner. Tom fut déjà préparé : prêt à aller dans sa cabane d’activités. Il aurait de quoi pouvoir fabriquer un château avec tous les outils qu’il possédait. Le villageois était menuisier depuis quarante ans. Ils gagnaient quelques sous grâce à ses fabrications. Enfant, il avait confectionné des petits objets de bois pour les offrir aux fêtes. Tom savait faire beaucoup d’autres choses : ce qui permettait de leur économiser de l’argent. Ne pas payer une fortune un homme pour un travail possiblement mal fait, le satisfaisait. Après avoir fini ses tâches quotidiennes, partagées avec Tom, Jane, elle, s’apprêtait à aller travailler à la ville : bien trop animée à son goût. Elle s’incommodait des citadins qui marchaient dans les rues, sans vraiment regarder autour. Ils étaient aussi pressés les uns que les autres pour gagner leur rente. Empruntant tous les jours les mêmes chemins, à même allure.

Billy descendit les dix marches de l’étage, et s’arrêta. Tom mangeait son œuf brouillé tout en lisant le journal du matin. Jane terminait de servir le petit-déjeuner tout en faisant la vaisselle. Elle avait le tic de remuer énergiquement ses paupières quand elle était concentrée. Les deux hommes de la maison ne devaient surtout pas la déranger.

Billy n'osa pas aller s'asseoir, soucieux des causes de son retard.

— Bonjour Billy, fit Jane. Dépêche-toi de déjeuner, ça va refroidir.

— Oui.

Elle ne lui avait pas fait de remontrance.

— Bonjour, mon petit, dit Tom en se grattant sa courte barbe : geste qu’il faisait plusieurs fois par jour.

— Bonjour, dit Billy, en lui donnant un baiser sur la joue.

Le garçon se posa sur une chaise blanche dont le dossier était en osier. Il leva discrètement ses yeux vers Jane.

— Mon réveil n'a pas sonné, s’excusa-t-il.

Il appréhendait les mots de Jane. Mais elle n'allait pas le punir.

— Tu te rattraperas sur le chemin, suggéra-t-elle.

— Bien sûr ! Je marcherai vite.

Elle sourit. Jane paraissait étrangement joviale.

Tom et Billy se regardèrent du coin de l’œil. Le grand villageois caressa sa moustache, l'air de réfléchir.

— Jane, quelque chose en particulier qui te rend heureuse ?

Elle posa son torchon, et se tourna :

— Oui, Tom. Le printemps me rend toujours heureuse, fit-elle en s'asseyant avec eux.

Billy but une gorgée de lait d’avoine (son préféré), tout en mangeant rapidement sa tartine de confiture. Il attendait vivement une explication de Jane.

— Je sais bien, Jane. Mais il y a autre chose, n'est-ce pas ? insista Tom.

Il la regardait d’une moue questionneuse, et caressa à nouveau sa barbe.

— Grand-père Paul et grand-mèreRose viennent nous voir pour une semaine.

Il retroussa ses sourcils tandis que Jane gardait son sourire radieux.

Billy, lui, fit de grands yeux.

— Tom ? Pourquoi fais-tu ce visage ? s'enquit-elle.

— Tu sais que j’apprécie peu leur présence…

Billy sentait que Tom allait commencer sa sérénade. Le villageois n’avait jamais apprécié les parents de Jane. Eux non plus.

— Ils vont traverser des kilomètres, tout de même ! Ils précisent dans leur lettre qu’ils veulent absolument revoir leur petit-fils. Ils ne l’ont vu que deux fois…

— Eh bien ! J'irai dormir dans la cabane à côté. Mais ils ne… (Tom se retint).

C’était tout de même les parents de sa chère et tendre. Il ne pouvait pas se permettre de leur manquer de respect.

— Tom… ils se languissent de voir Billy.

Jane sourit affectueusement envers son fils, et il lui renvoya.

— Hum, ce qu'ils veulent, c'est nous acheter, dit Tom.

Déçue, elle se leva de table et reprit son torchon pour essuyer la vaisselle.

— Ils arrivent quand ? demanda Billy.

— Je ne sais pas, mais ils sont en route. Je leur dois beaucoup... Ils m’ont adoptée comme je t’ai adopté Billy. À l’époque, ils vivaient sur nos terres.

Le garçon débarrassa son bol, puis alla étreindre la taille de Jane.

— Tu es heureuse qu’ils viennent.

— Ça oui ! s’enjoua-t-elle.

Tom, agacé, enfila son chapeau marron (toujours posé sur la commode d’entrée) puis s’apprêta à sortir.

Il se retourna vivement :

— Mes parents ne sont pas partis vivre à des kilomètres, moi !

— Pourquoi on ne va jamais les voir ? Ils n'habitent qu’à trois villages d’ici, dit Billy.

Jane, silencieuse, termina d’essuyer les bols en grés blanc et les rangea dans le placard.

Les parents de Tom (lui aussi adopté) avaient contesté l’arrivée de Billy au sein de leur foyer. Parce qu’ils les jugèrent peu jeunes pour élever un enfant. Jane ne leur eut jamais pardonné. Ils eurent donc cessé d’aller rendre visite à ses parents ou qu’ils viennent ici.

Jane se retourna vers la table de la cuisine :

— Billy, il est l'heure de partir à l'école.

Il se leva furtivement de sa chaise, et monta à sa chambre. Puis fouilla dans son armoire en énumérant brièvement les titres de ses livres :

— L'homme mystérieux... L'armure unique... Le clan des loups... oui !

Une fois le livre illustré d'images mis dans son sac à dos, il passa embrasser Jane, puis se dirigea vers la porte d'entrée.

— À ce soir, mon garçon.

— À ce soir, Jane.

Alors qu’il longeait la petite allée de pierre du jardin, Jane claironna :

— Ton repas !

Il la remercia, puis rangea ses pains garnis dans son sac. Jane enveloppait les pains dans une serviette blanche, scellée par une cordelette.

Billy passa près de Tom qui déracinait les mauvaises herbes. Il le salua d’une vive main.

— Bonne journée !

— Bonne journée, mon petit !

Le villageois souleva sa main pleine de terre, puis reprit son travail en ronchonnant :

— Grand-père Paul et grand-mère Rose… y manquait plus que ça...

Ils l’agaçaient déjà de par leurs gestes retenus, qui démontraient qu'ils étaient aisés.

Le couple ne l'était que moyennement. Rose était assez prétentieuse, voulait toujours faire mieux que tout le monde. Tout ce qu'elle disait était la vérité, les autres avaient forcément tort. Paul, lui, était près de ses sous. Et rancunier sur les bords. Rose achetait beaucoup de choses pour Billy. Elle voulait surtout acheter son esprit, pensait son beau-fils. De plus, elle ne supportait pas les chats : Mistou l'insupportera.

— J’espère que notre félin la fera fuir pour de bon, marmonna-t-il en arrachant vivement un brin.

 

Billy, sur la route de l’école, avait longé un chemin caillouteux.

Il se trouvait sur une plaine humide, clairsemée d’herbe, où se dressait une grange abandonnée. Une bâtisse vétuste qui lui soulevait la chair de poule chaque fois qu’il passait devant. Comme nombreux villageois de la région. Une rumeur avait laissé entendre qu'elle fût hantée…

Il y eut quelques mois, Billy se fut approché de la bâtisse. Il avait repéré quelque chose, à terre, tout près d’elle. Un livre, sous de la paille encrassée de boue. La couverture parut comme neuve. Il l’eut inspecté : aucune page n’en fut écorchée. Malgré qu'il eut traîné là des jours (sûrement), le garçon fut intrigué à lire, mais des bruits de pas se furent soulevés... Il eut vite déguerpi les lieux.

Suffisamment loin de la grange, Billy reprit l’observation du livre. Il lut le titre à haute voix : « Amana ». Intéressé, il l’avait vivement rangé dans son sac. Le soir venu, il avait commencé à le lire sous sa couette. Au fur et à mesure de sa lecture, il en avait ressenti quelque chose d’étrange…. Ce que raconta ce livre lui parut familier, comme du déjà vu…

L’histoire fut si captivante qu’il le considéra comme son meilleur livre.

L’environnement ensoleillé était paisible, et les oiseaux gazouillaient à souhait.

Billy pénétra dans la forêt connue pour abriter quelques arbres géants. Il aimait aller près d’eux, et s’asseoir à leur tronc. Quelques temps après, le garçon emprunta un chemin caillouteux qui menait à l'entrée de l'école. Malgré son retard il lisait en marchant. Sans se soucier de le rallonger… Connaissant le chemin par cœur, il n’avait pas besoin de lever les yeux pour suivre sa route.

Après quelques minutes de traversée, Billy approchait de l’école.

Il rangea promptement son livre dans son sac. Puis accéléra le pas.

Soudain, il ressentit une chaleur particulière… Elle le frôlait telle qu’elle lui caressait le visage avec douceur.

— Qu’est-ce que c’est ?!

Billy secoua sa main dans toutes les directions. Mais, la chaleur ne partait pas.

Il pensait imaginer ce qu’il ressentait… Des faits étranges lui furent déjà arrivés.

La chaleur s’agita autour de lui.

— Qui êtes-vous ? fit-il.

Cette chaleur agréable était forcément liée à un être.

Billy observa attentivement les environs. Mais se rendit compte que le temps passait. Il reprit se route sous un esprit chamboulé.

À peine fut-il remis de ses émotions, que l'école (assez petite) se découvrait à trente mètres de là. La bâtisse était faite de rondin de bois et d’un toit en tuiles rouges, muni d’une cheminée qui fumait. Elle jouxtait la forêt d’Andana, isolée des habitations, ce qui était agréable. Étudier en pleine nature, au calme, ne pouvait qu’être bénéfique pour les enfants.

Le bâtiment était bordé de barrières blanches. À quelques mètres d’elle, se trouvait le réfectoire des enfants. Une vaste bâtisse de bois foncé.

Billy avança vers le portail où l’attendait Mr Goug. C’était le gardien de l'école depuis une décennie. Un homme enrobé, peu grand, le crâne dégarni de cheveux. Il lui restait cependant un soupçon de cheveux clairs sur le côté des tempes. Il portait de petites lunettes rouges dont les carreaux lui faisaient de petits yeux. Goug était peu sympathique, surtout envers les enfants. Il haussait de trop la voix à la moindre occasion. Les enfants eurent souhaité plus d'une fois le voir renvoyé. En vain. Il faisait bien son travail. Pourquoi serait-il viré ?

Billy l’épiait du coin de l’œil. Redoutant qu’il le sermonne de son retard. Quand Goug pestait, il dégageait des postillons s'expulsant sur le visage de celui ou celle qui était proche.

— Bonjour, monsieur.

Le gardien inspira puis le fixa de ses yeux clairs :

— Tu as du retard, garçon, fit-il d’un ton sec.

Goug, immobile, avait un regard noir. C'était mauvais signe, pensait Billy.

L’homme ouvrit lentement le portail pour le laisser entrer. Billy évita de passer trop près de lui.

— Pas de retard demain, fit-il. Discipline, discipline, discipline !

L’homme, de sa mâchoire crispée, montrait légèrement ses dents mal alignées au bas.

« Il exagère… » pensait Billy, qui continua son chemin.

Le gardien tourna légèrement de l’œil sur lui. À ronchonner des mots.

Les élèves jouaient toujours dans la cour : la maîtresse avait du retard. Tant mieux, se rassurait Billy. Il se dirigea vers un banc éloigné de la bâtisse. Un endroit dont il était souvent le seul à s’y asseoir. Puis sortit son livre avant que MademoiselleOlly ne sonne la cloche. C’était l'enseignante de l'école. Jugée souvent bien trop sévère envers ses élèves, aucun ne l'appréciait. Elle était surnommée, Miss Tignasse. Dû à son étrange coiffure... Un chignon tel une tour, droit, sur le sommet de sa tête. Mademoiselle Olly avait les cheveux blonds et les yeux vert foncé. Sa jeunesse se distinguait de son visage angulaire. Elle était de grande taille et frêle. Durant son enfance, elle eut été surnommée feuille de papier. Maintenant, elle se vengeait sûrement sur ses élèves, pensaient-ils.

Perchée en haut des escaliers de bois, Mademoiselle Olly s’apprêtait à faire retentir fermement la cloche. Elle portait une longue robe beige en lin et d’épaisses boucles d’oreilles rondes, pendant lourdement de ses lobes. Elles devaient au moins peser un kilo sur chaque oreille ! L'enseignante observait la cour en faisant vivement remuer ses sourcils. Ses élèves chahutaient un peu trop à son goût…

Billy ne pouvait se concentrer dans sa lecture depuis qu'il avait ouvert son livre.

Deux camarades (des frères) allèrent davantage l’incommoder…

— Tiens, l'orphelin… lança Ralph, l'air mesquin.

Ralph était une vermine, comme son frère, Sam. Les Magola étaient enfants d'un héritier de nombreux magasins à Tripsoterra. Tous deux avaient les cheveux blond clair, le teint pâle, des yeux bleu clair ; et quelques taches de rousseur parsemées sur leurs joues rondes. Ils étaient les perturbateurs de la classe. Ils moquaient et taquinaient leurs camarades.

Ralph avait une fois de plus blessé Billy d'une chose qui le rendait penaud.

— Le p’tit orphelin des champs... fit Sam, en pouffant de rire.

Billy leva ses yeux sur les frères. Ils avaient tous deux l’air si idiots…

— Je voudrais lire tranquillement, dit-il en baissant les yeux.

Il sentait les larmes monter, mais il devait se retenir : « Personne ne devait voir ses yeux ».

Heureusement, les Magola décidèrent de rejoindre un groupe de garçons qui jouaient près des arbres.

Le petit O’haras inspira de soulagement. Il souleva les yeux de son livre, afin d’être sûr qu’ils ne reviennent pas.

Peu après une voix d’enfant fit :

— Salut Billy.

Billy sourit.

— Salut, Larry.

— Je pensais être en retard, mais je vois que non. Ouf !

Billy se leva du banc :

— Mademoiselle Olly va sonner.

Billy se garda de dire qu’il avait eu du retard lui aussi.

Ils allèrent vers les escaliers. Larry sortit son premier bonbon de la journée, et le goba aussitôt. Il avait souvent quelque chose dans la bouche : des bonbons et autres gourmandises que sa mère préparait pour lui. Il était le meilleur ami de Billy : celui avec lequel il pouvait parler de tout. Quand ils se furent croisés pour la première fois, ce fut le fameux jour où Jane eut ramené Billy de l'orphelinat. Le villageois était légèrement rondouillard, et avait un visage aux vifs yeux bleus. On ne voyait presque qu’eux. Sa chevelure brune était souvent plaquée sur un côté de sa tempe : ce qui n'arrangeait pas la rondeur de ses joues.

Larry ressentait l’humeur maussade de son ami.

— J’ai vu les frères Magola te parler. Fais pas attention à ces imbéciles. Au pire, j’irai les voir.

Ce garçon ne semblait avoir peu de rien.

Les Magola complotaient pour gagner des billes à leurs amis, en trichant. Ils avaient des gestes maniérés, démontrant leur appartenance à une famille aisée.

— Je fais en sorte de ne pas les regarder, précisa Billy.

S’il pouvait les remettre à leur place une bonne fois pour toute, il en serait heureux. Seulement, il avait bien trop peur pour oser faire cela.

— Ils te jalousent. Car tu es plus intelligent qu’eux.

Billy se retenait de sourire. Larry trouvait toujours la bonne parole au moment convenu.

— … Pas forcément, répondit-il, en rangeant son livre.

— Si, Billy. Tu l’es !

Mademoiselle Olly fit enfin retentir la cloche blanche suspendue à l’entrée. Elle avait tardé à appeler ses élèves afin de les observer plus insidieusement.

Une fillettequi se tenait près d’un gros chêne au tronc large, salua Billy de sa main. Il en fit de même à son égard. Léonie vivait dans une famille nombreuse, aux moyens limités.

Les frères Magola la surnommaient, la pauvresse. Elle, n’en avait que faire.

Sa taille était inférieure à celles des autres filles. Ses cheveux brun clair étaient clairsemés de mèches cuivrées : cela faisait ressortir ses grands yeux noisette. Depuis son arrivée dans la cour, elle étudiait les écorces d'arbres, pour un exposé. Elle notait tout sur un petit carnet qu’elle tenait précieusement dans sa main. Léonie faisait le tour des troncs d’arbres, à la recherche d’écorces spéciales. La jeune fille aimait étudier la nature, et était douée pour trouver ce qui était rare. Elle souhaitait s’orienter vers des études scientifiques. Mais sa famille la poussait à devenir fermière ou nourrice. Léonie s’occupait de ses frères et sœurs – elle y passait la plupart de son temps. Et s’en lassait… Non pas qu’elle n’appréciait pas les enfants, mais elle préférerait consacrer son temps à étudier.

Léonie rangea son carnet et son crayon dans une bandoulière marron. Puis se rapprocha des escaliers.

Billy et Larry attendaient leur tour pour monter. Les Magola étaient juste devant eux…

Larry lui fit un signe : il était prêt à prendre sa défense.

— Allez, dépêchez-vous ! exclama la voix aiguë de l'enseignante.

Les enfants accélérèrent leur montée. Il ne valait mieux pas contrarier la maîtresse acariâtre. Larry, en gourmand qu’il était, mangeait un moelleux gâteau qu'il avait entamé au bas des marches.

Mademoiselle Olly, dont le regard était partout, le lui confisqua en le jetant au sol.

— Je ne veux pas de gâteau dans la classe, sermonna-t-elle sévèrement.

C’était tout de même de la nourriture qu’elle venait de jeter sans scrupule.

Larry mit promptement dans sa bouche l’autre gâteau qu’il avait dans sa main, et mastiqua longuement, caché de sa manche.

Quant à Léonie, elle s’apprêta à passer la porte d'entrée. Mais une camarade (plus grande qu’elle) la repoussa brusquement :

— Laisse-moi passer, modeste campagnarde !

Malicia était une fillette assez vantarde et moqueuse : proche des frères Magola.

Elle avait les cheveux blonds lisses, les yeux clairs ; et un joli visage. Elle voulait toujours être la mieux vue et le faisait ressentir : surtout à ses amies. Celles-ci étaient aussi étroites d'esprit qu'elle et la suivaient comme des chiens auprès de leur maître.

Léonie céda une fois de plus aux caprices de Malicia.

Elle se poussa sans dire mot.

L’enseignante était déjà à son bureau, constata-t-elle en entrant dans la pièce.

Billy et Larry avaient vu la scène entre elles.

— Cette fille m'agace, grogna Larry.

— Malicia l’a brusquement poussée… la pauvre.

Billy en était fâché. Mais il se retenait de le montrer.

Les élèves furent tous rentrés dans la classe. Billy et Larry étaient assis l'un à côté de l'autre, près du gros poêle en fonte blanc, vers l’entrée. Les autres jalousaient qu’ils aient pris le meilleur endroit. Ils pouvaient parler, chantonner, mastiquer... mademoiselle Olly ne s’en rendait pas forcément compte. Et puis, l’hiver, le froid glacial n’était pas agréable. Billy n’était pas spécialement frileux, mais ici, il pouvait lire tranquillement. Larry, lui, pouvait manger à sa guise. Mademoiselle Olly ne l’avait jamais pris en flagrant délit de ses délectations sucrées. Sa première année d’école, Larry fut assis à la place devant le bureau de l’enseignante : la place la plus détestée.

Le garçonnet brun sortit un petit sac en lin, rempli de bonbons multicolores, et en tendit à Billy :

— Tiens ! chuchota-t-il. Miss tignasse ne regarde pas vers nous.

— Merci, fit-il en le prenant discrètement.

Larry pouffait discrètement de rire, ce qui embarrassait Billy qui ne voulait pas se faire remarquer.

Mademoiselle Olly se leva de sa chaise en annonçant :

— Sortez votre livre d’algèbre.

Elle tourna son regard sévère vers la table du fond.

— Que se passe-t-il par là-bas ? interrogea-t-elle, en remettant convenablement ses lunettes sur son nez.

— Rien mademoiselle Olly, s’empressa Billy, rougissant.

Heureusement pour eux, elle baissa les yeux sur une feuille de son bureau.

Larry, l’air rieur, dissimula sa bouche derrière son large col de chemise.

— Qu’est-ce qui te fait rire ? s’enquit Billy.

— Je viens de lire une blague sur le papier de mon bonbon. Trop idiote.

Quelques tables en avant, Ralph les épiait. Il frottait machinalement la manche de sa chemise blanche. Les filles portaient aussi une chemise blanche. Et une longue jupe bleu marine accompagnée de collants blancs. Sur leur tête se trouvait un épais serre-tête blanc. Dont certaines se plaignaient du serrement enduré à la fin de journée. Mais Mademoiselle Olly s’insupportait de voir des cheveux qui pendouillaient devant leurs yeux. Ces jeunes filles ne pourraient ainsi lire ou écrire convenablement. Aux pieds, elles portaient des chaussures – aux petits talons – noires à lanières, qui devaient toujours luire.

Ralph ne lâchait pas son mauvais regard sur Billy.

— Pourquoi il me regarde de la sorte… s’agaçait le blondinet.

Larry mangeait bonbon sur bonbon, il ne faisait donc pas attention. Le sucre égayait son esprit.

— Qui ? fit-il soudain, avalant goulûment sa dragée rose.

Il se fut tellement pressé d’avaler qu’il manqua de s’étouffer. Larry toussait si fort que tout le monde se retourna sur lui. Son teint commençait à virer au rouge.

Mademoiselle Olly s’empressa de venir à son aide, alors que Billy lui tapotait le dos.

Mais le bonbon restait coincé dans sa trachée nouée. Larry tapait sur le bas de sa gorge en continuant de tousser. La dragée commençait à dégager, il sentait qu’il allait tout renvoyer.

Puis Mademoiselle Olly tapa un coup adroit sur son dos.

La dragée s’éjecta tout droit dans son haut chignon – collante et remplie de bave…

Elle avait sûrement une conscience puisqu’elle se fut dirigée tout droit là où il fallut.

— Vous m’avez fait peur Larry, fit-elle, stoïque.

Elle reprenait tout juste ses esprits. Les regards ahuris de ses élèves étaient rivés sur elle.

Ils ne pouvaient détacher leurs yeux d’elle.

— Pourquoi faites-vous de pareil visage ? fit-elle.

Elle leva les mains pour replacer son chignon légèrement déformé de ses gestes vifs. Et sentit une matière collante.

— Mais, qu’est-ce que… (Elle écarquilla les yeux) Cette dragée est dans ma chevelure !

Elle plongea ses doigts à l’intérieur de son chignon. Et voulait la retirer si vivement que ses cheveux s’emmêlèrent. Son chignon s’affaissait. Mademoiselle Olly ne voulait pas être vue décoiffée ! Quelle honte ce serait devant ses élèves.

Larry n’osait pas la regarder : il la redoutait. Son caractère tempétueux pouvait être tellement imprévisible.

Les autres enfants retournèrent sagement à leur place.

Billy se tenait immobile face à elle. Il n’osait pas s’asseoir.

— Pourriez-vous me retirer cette chose dégoûtante de la tête, garçon ? fit-elle d'un ton sec.

— Euh, oui mais je ne peux…

— Pas quoi ? le coupa-t-elle.

— Atteindre votre tête.

— Montez sur votre chaise, voyons…

— Bien sûr, Mademoiselle Olly.  

Elle aurait pu pencher la tête à sa hauteur, pensait-il.

Billy monta sur sa chaise en bois, ses mains tremblaient légèrement. Il craignait de toucher ne serait-ce qu’un seul de ses cheveux. S’il lui faisait mal, il allait en avoir des remontrances… Un élève allait toucher la chevelure sacrée de Mademoiselle Olly… songeaient-ils tous, intrigués.

Trois tables plus loin, Léonie ressentait de l’embarras pour Billy.

Le garçonnet glissa sa main, mais la dragée était rudement collée dans la touffe emmêlée.

— Vous y arrivez ? s’impatientait-elle.

— Ma, ma…

— Quoi, ma ?

— Mes doigts sont collés à vos cheveux, avoua-t-il. C’est comme de la glue !

Elle en écarquilla les yeux :

— Larry ! Où avez-vous trouvé ce fichu bonbon ?! Enlevez-moi çaaaaa !

Le cri dégagé de ses cordes vocales fut tellement fort qu’ils en sursautèrent.

Mademoiselle Olly tentait de l’ôter, mais en vain. La dragée était comme un élastique emmêlé dont on ne pouvait se défaire. Elle se plaignait sans discontinuer. Au moment où Larry baissa les yeux sur sa table, une idée lui vint à l’esprit.

Le garçon extirpa son ciseau de sa trousse et le tendit discrètement :

— Billy, coupe-lui les cheveux…

— Pourquoi moi ? redoutait-il.

— Fais-le, Billy.

Mademoiselle Olly ignorait ce que Billy allait lui faire…

Quand elle pencha la tête et remarqua le ciseau, son visage changea d’expression.

Ses paupières se soulevèrent lentement.

— Vous voulez me couper les cheveux ? 

— Euh non, c’est à dire que…

— Que quoi ? (Elle sembla se calmer) Allez-y, faites-le.

Elle ne pouvait envisager de passer elle-même les lames du ciseau dans sa chevelure adorée.

Billy hésitait à procéder. Mais elle le lui avait intimé.

— Faites-le, Billy !

— D’acc… d’accord.

— Je n’ai pas le choix, sa navra-t-elle de douceur.

Une douceur inhabituelle. Les enfants se regardaient de sidération. Jamais elle n’avait parlé de la sorte.

Billy commença à couper des mèches agglutinées – de l’aspect bleu de la dragée. Il hésitait à poursuivre. Les regards de ses camarades étaient si intrigués. Quelques secondes passèrent, il coupa une bonne poignée de cheveux. Et fit tomber la touffe sur le plancher.

Mademoiselle Olly caressa un moment sa chevelure. Et constata qu’une bonne partie en fut retirée.

Morose, elle retourna vers son bureau, les yeux fixés sur le mur. Ses élèves trouvaient son comportement étrange.

Elle n'avait même pas sanctionné Larry...

À quoi fut dû son indulgence soudaine ?

Billy, lui, s’interrogeait plus que les autres.

L’enseignante s'assit, et reprit :

— Mettez-vous au travail. Il y a deux pages d’exercices à faire.

— Elle n'a pas donné de punition à Larry ! s’outra discrètement Ralph. Qu’est-ce qui lui prend ?

— Elle est bizarre, reconnaissait son frère. Peut-être que c'est dû à ses cheveux coupés.

— Miss Tignasse gronde si fort d’habitude… fit remarquer Malicia à la table voisine.

— Quand on vit une contrariété, nos pensées peuvent être chamboulées, dit Léonie.

— Avec ce qui s’est passé, je pensais qu’elle renverrait le gourmand chez lui, rétorqua Ralph.

Mademoiselle Olly souleva les yeux de son bureau.

Ils se turent sur le champ. Ils ne voulaient pas qu’elle passe sa colère refoulée sur eux.

Chacun plongea les yeux dans son cahier. Au fond de la classe, Billy et Larry n'arrivaient pas à se concentrer. Billy songeait à ces romans imaginaires : c'était moins ennuyant que l’arithmétique. Il n’avait pas la moindre envie de travailler. Son ami, non plus.

— Tu te rends compte, j’ai pas eu de punition, murmura-t-il à Billy.

— Oui… c’est bien étrange.

 

Deux heures plus tard, Mademoiselle Olly avait toujours les yeux plongés dans ses cours ; elle pouvait y passer des heures. Quand l'heure de midi arriva, les enfants se pressèrent pour aller se sustenter au réfectoire. À peine quelques secondes écoulées qu'ils furent tous en dehors. Hormis Larry. Il tenait à s’excuser envers son enseignante. Billy était à ses côtés par solidarité.

— Miss Tign… Mademoiselle Olly, je regrette ce qu’il s’est passé.

— Ce qu’il s’est passé ? répondit-elle, ôtant ses lunettes de son nez.

— Oui, pour la dragée dans vos cheveux.

— La dragée dans mes cheveux… ?

Stoïque, elle caressa ses cheveux tout en observant les garçons, pantois.

Ils se concertèrent du regard, ne comprenant pas son ignorance.

— Une dragée se trouvait dans mes cheveux ? dit-elle, étonnée.

Larry ignorait si elle faisait exprès.

Mais, il songeait à inventer quelque chose...

— Ralph vous a lancé un bonbon dans les cheveux.

Billy redoutait son mensonge. Si Ralph apprenait cela, il se vengerait.

— Alors Ralph fait des siennes, et vous venez vous excuser à sa place ? C'est héroïque de votre part. Je donnerai à Ralph une sévère punition. Allez : allez manger !

— Oui mademoiselle Olly, acquiescèrent-ils.

Le garçonnet brun, qui se dirigeait vers la sortie, souriait de son mensonge tombé à pic. Cette vengeance était pour Billy ! se satisfaisait-il.

Ils furent sortis, et descendirent les escaliers. Larry pouvait se lâcher de rire. Mais, Billy gardait son sérieux. Il n’aimait pas le mensonge.

— Je suis doué, non ? se targua Larry.

— … On dirait que Mademoiselle Olly a perdu la tête.

— Oui, et j’ai pu en profiter !

— Si Ralph apprend que t’as inventé ça, il va se venger. (Billy se tourna sur lui) Je redoute pour toi Larry : tu es mon ami.

— Ne t’inquiète pas. Il ne saura pas. (Larry massa énergiquement son ventre) J’ai une faim d’ogre, dépêche-toi !

Ils coururent jusqu’au réfectoire où le gardien les attendait. Il les dardait telles des cibles. Les garçons gardaient leurs yeux rivés vers le sol caillouteux. Les Magola, eux, attendaient leur tour pour rentrer dans le réfectoire. Ils s’apprêtaient à titiller Mr Goug.

— Il a des tomates à la place des joues, chuchota Ralph à l'oreille de Sam.

Goug avait souvent les joues rouges – qu’il soit énervé ou calme.

Les frères se mirent à rire si fort qu’il en fut interpellé. Ils ne semblèrent pas vouloir arrêter. Ce qui commençait à agacer le gardien.

Goug gonfla ses poumons d'air jusqu’à leur limite, et pesta :

— Si vous continuez comme ça, vous serez privés de repas, petites vermines !

Ses micros postillons s’éjectèrent tout droit sur leur visage. Billy et Larry s'esclaffèrent discrètement. Les frères, dégoûtés, s'empressèrent de se frotter avec leur manche. Ils maugréèrent sur le gardien. Lui, avait les yeux sur eux.

Il se pencha sur les frères :

— C'est moi qui surveille cette école, ne l’oubliez pas… Aux moindres faux pas, plus de repas !

Les frères eurent sursauté de son exclamation.

Soudainement, ils se tinrent à carreaux.

Le groupe d’enfants amassés avait hâte de rentrer pour se nourrir. Goug donna son autorisation pour qu’ils arrivent. Dans la bâtisse de bois, il y avait huit longues tables bordées de bancs clairs. Les enfants s’empressèrent d’aller vers le comptoir où les repas étaient distribués.

— Du calme, les enfants, demanda calmement Ginnie.

Ginnie passait la matinée à mitonner, dans la cuisine espacée de la salle. C’était une petite femme à la silhouette légèrement boudinée, les cheveux très clairs et les yeux bleus : souvent rieurs. La villageoise portait un chignon serré, maintenu par plusieurs épingles.

Les enfants se hâtaient, gesticulaient, ce qui agaçait Mr Goug. (L'homme était souvent vite agacé par ces esprits vifs) Il restait vers l’entrée de la bâtisse pour repérer la moindre incartade. Ses fines lèvres remuaient au gré de ses émotions.

Devant le long comptoir en bois foncé, Larry demanda :

— Je voudrais du poulet, des pâtes, des pommes de terre, deux pains et deux crèmes à la framboise.

Il se léchait les babines devant les choses appétissantes devant lui.

— Larry, tu ne peux prendre qu'un élément à la fois, rappela Ginnie.

S’il y avait bien une chose qu’il détestait, c'était qu’on l’empêche de manger ce qu’il désirait.

— Bon… je vais me contenter d’un de chaque.

Il ne pouvait s’empêcher de montrer grise mine.

— Et toi mon garçon ? s’adressa-t-elle à Billy. Que désires-tu ?

Le garçonnet souleva sa serviette de pains garnis :

— Seulement une crème à la framboise. J’ai déjà mon repas.

Elle lui adressa un clin d’œil.

Billy était le seul à amener son repas. Jane tenait à ce qu’il mange ce qu’elle lui avait préparé.

Autrement, il pourrait attraper une intoxication alimentaire avec la nourriture du réfectoire. Mais sa crainte était irrationnelle, pensait-il.

Billy et Larry se dirigèrent vers une table (la plus vide) du fond de la salle. Ils évitaient de s’approcher trop de Ralph et Sam. Ils étaient tout aussi turbulents durant le moment du repas.

Les frères jetaient parfois de la nourriture à leurs camarades, dès que Goug avait le regard ailleurs.

Larry entama son repas telle une flèche.

— Tu vas avoir mal au ventre se souciait Léonie, qui arrivait pour s’asseoir.

Lui n’en avait que faire, il dévorait avec plaisir.

Elle posa son plateau près de Larry, et commença à trier ses aliments.

— Tu manges si vite… réitéra la jeune fille aux yeux écarquillés.

— Mon ventre résiste !

Le garçon n'avait pas honte de sa corpulence peu dans les normes : il s'en vantait même. La plupart des gens l’appréciait ainsi. Il était drôle et généreux. C'était ce qui ressortait le plus de lui.

Léonie lorgna Billy qui mangeait, l'air évasif.

— Billy, ça va ?

Le garçonnet se réveilla de ses songes. Son morceau de pomme de terre tomba de sa fourchette. Il s’essuya poliment la bouche.

— Oui, Léonie. Ça va.

La fillette, rassurée, esquissa un sourire. Ses gestes étaient toujours délicats.

Autour, les enfants discutaient entre eux, accompagné de rires – parfois soudain.

Puis Raph se tourna vers la table de Billy, d’un regard inquisiteur.

Billy fut gêné de ce regard insistant, il parla discrètement :

— Ralph a les yeux dans notre direction.

— Ignorons-le, dit Léonie, dégustant sa crème aux framboises.

— Tu verras tout à l’heure, on va bien rigoler… se réjouit Larry.

Billy ne se sentait guère tranquille. Mais il n'était fautif de rien.

 

 

 

*

 

Leur estomac repu, les enfants s’amusaient dans la cour par petits groupes.

Puis la cloche retentit de la main ferme du gardien. Les enfants, disciplinés, montaient les escaliers. Mais ce n'était pas toujours le cas…

Devant son bureau, Mademoiselle Olly corrigeait des feuilles, soupirant du bruit des enfants qui augmentait.

— Installez-vous en silence, lança-t-elle, sévère.

Puis, d'un regard méprisant, elle fixa Ralph. Elle se préparait à la houspiller. Elle tenait à lui donner la punition la plus sévère.

Alors qu’il commençait à s’asseoir, elle intima :

— Ralph Magola, veuillez venir à mon bureau.

Il trouva cela étrange. Que pouvait-elle bien lui vouloir ?

Mademoiselle Olly redressa ses épaules, et plaça ses mains derrière elle.

Ralph était loin d’envisager une punition…

Il ne répliquait pas, mais s’avançait d’une dégaine étrange. Il ressentait la colère qui se dégageait de l'enseignante. Elle avait un reproche à lui faire : il en ignorait la raison.

Ralph n’osait pas la regarder dans les yeux. Il fixa le plancher, en se retenant de rire de nervosité. Honteux d’être regardé de la sorte par ses camarades.

— Soulevez les yeux vers moi ! tonna-t-elle.

Il eut sursauté, ainsi que les autres enfants.

Au fond de la salle, Larry commençait à avoir des remords. Il cachait son visage derrière un grand livre. Billy, lui, était stoïque.

Mademoiselle Olly ouvrit grands les yeux :

— Ralph, m’avez-vous jeté un bonbon dans les cheveux ?

Les yeux de l’effronté garçon exprimèrent la stupeur. Il se défendit :

— Quoi ?! Je n’ai rien fait ! C’est…

— Ça suffit ! l'interrompit-elle. Plus vous répondrez et plus la punition sera dure !

Ralph gardait ses dents serrées. « La punition… la punition… » songeait-il. Ses mains commençaient à suinter. Les regards sur lui augmentaient son agacement.

Larry regrettait qu’il fût puni à sa place. Mais il se ravissait que Ralph sache ce qu'était l’injustice.