La dynastie des Wookas - Tome 2 - Laurie Alice Dumas - E-Book

La dynastie des Wookas - Tome 2 E-Book

Laurie Alice Dumas

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Beschreibung

Sur la planète Amana, c’est la dernière nuit avant un nouveau cycle, et la continuité de la dynastie Wookas. Ils attendent avec impatience le moment de l’héritage ; que l’énergie de la Mistrakana se rééquilibre. Ainsi la paix et le bon vivre reviendront dans le village, et partout ailleurs.
Mais les embûches continuent de se mettre en travers de la route de Billy : l’enfant doit absolument hériter avant la fin de leur monde. Alors qu’un peuple d’étrangers va faire son apparition sur les terres sacrées… sont-ils une menace ? Et que l’armée de Thorus s’apprête également à envahir Erena : prête à tout pour accomplir sa quête. La dynastie Wookas est plus que jamais soumise à rudes épreuves.

 
À PROPOS DE L'AUTEURE


Laurie Alice Dumas, née le 15 février 1987 à Pontoise, a exercé plusieurs métiers dans différents domaines. La lecture et l'écriture l'ont toujours passionnée et, enfant, elle s'était promis de rédiger un roman. C'est chose faite aujourd'hui avec Irène ou le pouvoir de l'elantana, son premier ouvrage publié.

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Laurie Alice Dumas

 

 

LA DYNASTIE DES WOOKAS

 

 

 

TOME 2

 

 

 

 

 

 

 

Le jour du destin

 

Chapitre 1

 

 

La nuit du jour du destin :

 

Menaces perpétuelles

 

 

L’obscurcissement du ciel approchait sur les terres sacrées. La dernière nuit avant un nouveau cycle, et la continuité de la dynastie Wookas. Ils attendaient avec impatience le moment de l’héritage ; que l’énergie de la Mistrakana se rééquilibre. Ainsi la paix et le bon vivre reviendront dans le village, et partout ailleurs. Les Amanacs pourront à nouveau se nourrir convenablement et boire l’eau pure des nombreuses sources.

Aux environs de Milria, Gorfu et Boon eurent passé un bout de temps devant la maison de leur conseiller.

— J’ai des choses à te révéler, Gorfu, dit Boon.      

— Nous en discuterons ce soir, au temple. Je tiens à ce que Billy sache tout. Mais d’abord, restaurons-nous.

Boon observait Billy qui se trouvait toujours en compagnie des panthères. Tandis que Korto regardait son fils, amusé d'elles.

Le garçonnet blond décida inopinément de monter sur l’une d’elle. La panthère s’accroupit. Il remarqua une particularité que les autres créatures n’avaient pas : une petite tache noire au creux de sa nuque. Billy avait le désir de donner un nom à la panthère. Il se laissa aller à son inspiration.

— Je vais te nommer… Nela.

— Tu lui donnes un nom ? s’étonna son ami.

— Oui, Eon. Elles sont nos amies, répondit-il tout en caressant son large cou musclé.

Le garçonnet brun regarda les autres panthères, désirant en posséder une aussi. Il posa son regard sur l'une d'elles en particulier, mais n’osa pas demander envers l’un des Wookas. Pourtant de son habitude, il en avait l’audace.

Boon appela la panthère sur laquelle il avait voyagé. Et monta délicatement sur son dos tout en caressant un côté de sa large oreille légèrement pointue.

— Tu as trouvé une amie, lança le Wooka.

— Elle est si docile… s’émerveilla-t-il en se penchant vers sa tête pour la remercier.

— Nous allons partir. Venez par ici, demanda Boon envers les panthères.

— Prends garde autour de toi, Boon… lui conseilla Gorfu, par le don de l’esprit.

Boon lui émit un signe de tête pour lui faire comprendre qu’il avait capté. Et demanda par

l’esprit que la panthère se tourne vers son allié. Le maître Wooka était étonné de la voir se diriger vers lui. Son allié prit son chemin vers les sorties du village afin d'éviter les regards curieux aux alentours.

— À plus tard, Billy !

— À plus tard, Eon !

— Profite du voyage !

— Assurément, sourit-il.

Le garçonnet blond leva sa main envers lui. Puis s’éloigna pour rattraper Boon qui se dirigeait vers le quartier Elkrara. Les villageois proches de leurs maisons (qui ne les avaient pas encore vus) les regardaient avec sidération. Immobilisés.

— Qu’est-ce donc ces créatures sur lesquelles ils traversent le village ? se questionna une femme, l'air dérangée.

— Je l'ignore… répondit son compagnon, ébahi. Mais j’ai toute ma confiance envers les Wookas.

— Alors ça… se dit une Erenare, lâchant son panier dont les provisions dégringolèrent.

D’autres exprimèrent la peur.

— Ne vous inquiétez pas. Si le Wooka est sur cette créature, c’est qu’il n’y aucun danger.

Cet homme au crâne à moitié dégarni voulait les rassurer – mais lui-même doutait.

— Je redoute ces créatures… tremblait l'Erenare, en se rapprochant de la porte de sa maison.

L’homme au crâne dégarni ramassa ses provisions, et lui rendit son panier.

Voyager sur une créature était pour eux un phénomène vraiment étrange. Il fallait pouvoir l’assimiler.

Au loin du chemin, Gorfu et Korto les regardaient s’éloigner : émerveillés.

— Qui aurait cru qu’un jour nous puissions côtoyer ce genre de créatures… Et qu’elles se lient d’amitié avec nous, s’ébahit Korto.

— Ebê ké Mistrakana… Yté ebê zlâ irnïa. Rien ne m’étonne.

(C’est la Mistrakana. Elle est toujours bien là.)

— Moi je suis étonné.

— En tant que maître Wooka, j’ai déjà vécu de nombreux événements incroyables.

— … Je sais. Gorfu, fit-il en se tournant vers lui, dînerais-tu en ma compagnie ? J’ai besoin de conversations agréables pour me remettre de mes émotions.

— J’accepte avec grand plaisir.

Peu loin de son père, Eon était frustré de ne pas pouvoir suivre Billy. Il songeait à les rejoindre pour passer la soirée en leur compagnie. Dans le village, il n’avait jamais vraiment eu d’amis – à cause de son caractère particulier. En tant que fils de Korto, il se pensait avoir presque tous les droits, et était souvent imbu de lui-même ; cela agaçait la plupart des enfants. Le jeune Erenar était heureux d’avoir enfin trouvé un ami ; et plus encore, un ami qui vécut sur Terre. Il ignorait ce qu’il pourrait se passer demain… Moïna, de ses paroles étranges, l’avait vraiment inquiété. Ses visions se furent toujours avérées exactes.

La peur ne le quittait plus.

— Père, je voudrais passer la soirée avec Billy.

Alors qu’il s’apprêta à entrer dans sa charmante maisonnette, Korto s'arrêta, l'air étonné.

Son fils fut gêné de le voir ainsi, il n’aimait pas lui soulever une telle émotion.

— Je ne désire pas te laisser traverser seul le village, il va bientôt faire nuit. Tu n’es jamais sorti à cette heure-ci.

Eon inclina son visage tel qu’il portait une pierre sur sa nuque.

Le maître Wooka posa la main sur le bras de son allié :

— Il ne craint rien, des gardes patrouillent toute la nuit. Ton fils pourra se faire accompagner par l’un d’eux.

Korto grimaça quelque peu puis regarda son fils :

— Tu as mon accord. Mais ne rentre pas tard.

Il releva promptement son visage et serra son père. Tandis que le maître Wooka lui émit un discret sourire.

— Tu as ma parole, père ! s'enjoua-t-il.

Aussitôt, Eon fila dans la bâtisse pour chercher son arc qu’il portait la plupart du temps, dehors. Puis enfila une veste traînant sur un fauteuil du salon. La nuit pourrait se rafraîchir après la chaleur.

 

 

*

 

Sur la montagne chacun organisait sa soirée de la manière la plus agréable. Ils savaient que cela serait la dernière nuit avant l’héritage ; eux aussi. Certains organisaient une fête intime et d’autres flânaient dans les ruelles, en couple, seul, ou en famille. Tandis que de courageux Erenars travailleront jusqu’à tard dans la nuit.

Au quartier Neljara, Marianna s’occupait de sa petite fille – confortablement installée dans sa cabane remplie de fleurs et de plantes qui ornaient les murs, le sol et les meubles. La charmante maisonnette était à moitié implantée dans un large tronc d’arbre. Dans le salon, éclairé de bougies et d’une lanterne, l'Erenare avait installé la fillette sous une couverture blanche dans un large landau, que lui avait apporté sa voisine. Eclosee ne cessait de lui dire combien elle était heureuse d’avoir une petite sœur. Observant tout ce que sa mère faisait avec Loïna : un prénom choisi par toutes les deux. Marianna vidait le liquide de la boule d’Ernoga qu’elle versa dans un gobelet rigide, à tétine. Elle s’apprêtait à lui donner son premier repas.

Elle la prit délicatement dans ses bras, et posa sa tête sur le creux de son bras. La fillette se délectait du liquide sucré. Les bébés en raffolaient.

Eclosee dit soudain :

— Maman, une villageoise à Hertiaga te ressemble beaucoup.

Marianna souleva la tête, faisant une étrange moue :

— Qui t’a dit cela ?

— Malkä... Je l’ai rencontrée au quartier Astelhan hier, révéla-t-elle, gênée. Après l'école on a été faire un tour dans le village. Certains voulaient même aller jusqu’à Ganama. J'ai fini par les persuader de ne pas y aller.

— Je t’ai déjà dit de ne pas échanger avec elle, fit-elle d’un ton sérieux. Elle n’attire que les ennuis. Comme son fils Moody.

— J'ai peu parlé avec elle.

— Pourquoi aller te dire qu’une femme me ressemble dans la contrée voisine ?

La fillette souleva les épaules.

— Moïna cherche à nous faire questionner de tracas… fut sûre sa mère.

Loïna qui vint de boire la moitié du gobelet, se mit à pleurer. Marianna la berça en entonnant une douce mélodie qu’elle chantait à Eclosee lorsqu’elle était en bas âge.

— Tout va bien ma petite loïna… rassura l’Erenare, qui l’enroula dans un châle blanc posé sur ses larges épaules.

Eclosee s’assit sur un fauteuil marron à l’aspect de soie, et la regarda la bercer.

— Moïna a souvent dit la vérité, ajouta la fillette, pensive.

— Eclosee, tu veux bien arrêter avec cette histoire ? s’agaça-t-elle.

— Elle m’a dit que tu avais un clone au service de Thorus.

La jeune femme cligna plusieurs fois ses paupières, d’une attitude nerveuse.

— Un clone ? Voyons c’est ridicule.

Elle avait occulté l’existence de son clone, comme tous les autres. Quand Elée vécut sur la montagne, elles grandirent toutes deux enfants, et adolescentes. Puis après son départ à Hertiaga, Marianna finit par l'oublier.

Mais l’Erenare (en cet instant) avait une part d’elle qui croyait aux dires de sa fille. Cela la perturbait.

— Moïna l’a assuré, insista sa fille.

— Ça suffit. Le sujet est clos.

— On pourrait aller la voir toutes les deux, s’empressa-elle.

Après avoir posé Loïna dans son landau, la jeune femme jeta subitement sa colère sur son aînée :

— Qu’est-ce que t’a fait cette femme ? s'enquit-elle en attrapant ses épaules.

Son esprit était soumis aux étranges troubles d’humeur, comme celui d’autres sur la montagne.

Eclosee avait soudain les yeux fixés sur le mur jonché de plantes vertes. Semblant somnolente. Marianna la secoua délicatement. Mais sa fille paraissait toujours telle une loque. Son regard noisette émanait l’absence.

— Eclosee ? se souciait sa mère.

Un instant plus tard, la fillette révéla :

— Je suis... un clone... d’une Amanac qui vit sur Terre. (Elle se réveilla) Dans quelques années, je vais quitter les terres sacrées, prit-elle conscience.

— Voyons Eclosee, se désolait sa mère.

 

De voir les larmes de sa fille, Marianna sentit les siennes monter. Elle enveloppa ses mains

autour de la nuque de sa mère.

— Je suis là, Eclosee, je suis là.

Elle parla avec inquiétude :

— Je ne sais pas ce qui m’est arrivé. Pourquoi j’ai vu ça.

— Ces événements autour des Wookas te perturbent. Il faut t’en préserver, tu es bien trop jeune.

La fillette prit un ton sérieux :

— Je l'ai vu pour une bonne raison.

— Eclosee, je ne souhaite pas échanger là-dessus davantage. Ces dernières années ont chamboulé notre peuple…

— Tu n’en parles jamais.

— Il ne sert à rien. Les choses vont s’arranger en ce jour particulier qui approche.

Marianna caressa ses doux et longs cheveux roux brun puis la prit tendrement.

Elle dissimulait ses craintes, mais était perturbée des aveux de sa fille.

— De plus en plus de villageois réagissent étrangement, maman.

— Je sais…

 

*

 

Au quartier Astelhan, Moïna était cloîtrée dans sa petite cuisine, faisant bouillir des plantes qui empestaient jusque dans la ruelle – sa fenêtre étant entrebâillée. La villageoise élaborait toutes sortes d’infusions mystérieuses, dont elle seule connaissait les vertus.

— Hum… plantes malodorantes, mauvais signe de la nature. Kée nûh deeletha.

(La source s’affaiblit.)

Elle souleva un seau d’eau et sortit de sa maison pour arroser les plantes et fleurs de son petit terrain. À côté se trouvait son voisin, Doobs, qu’elle salua. Il observait ses moindres

faits et gestes, tel qu’il se souciait pour elle.

— Âme attristée… marmonna-t-elle, le regard noir.

Elle vint d’avoir une vision d’Eclosee.

Moïna lorgna l’horizon du quartier, puis rentra subitement en fermant sa porte à clé.

Elle traîna du pied en allant vers la fenêtre du salon pour jeter un coup d’œil dehors.

— De la nature ou des esprits, nous pouvons agir… L’environnement est constamment lié à nous. Nous dépendons de lui, nous devons le respecter, et faire ce qu’il y a de plus juste. Ce que je désire, c’est les aider. Mais ils ne comprennent pas. Grand mal pour eux… émit-elle, de ses mains frottant la vitre avec désespoir.

Depuis longtemps elle apeurait le peuple. Ses visions étaient une façon de se donner de l’importance au sein du village, pensaient-ils. La vieille femme ne semblait apeurée de rien… Mais elle aussi, endurait les troubles liés au dérèglement d’énergie.

Elle songeait au fait que la nature serait piégée du poison qui proliférait à travers le monde.

— Hakitum pourrait en être privé… Comment fera-t-il pour soigner le peuple ? (Ses larmes se soulevèrent) Pourras-tu atténuer l’anxiété ou les maux des Erenars sans ces plantes… Et les Wookas et leurs dons, qui risquent de disparaître.

La vieille femme s’assit sur son large fauteuil en bois, rembourré d’un coussin gris, face à un seau en bois rempli d’eau que lui eurent ramené des habitants du quartier Elkrara.

— Liquide vital et sacré… j’ai conscience de ta richesse, dit-elle d’une voix émue.

 

*

 

Le manoir d’Hakitum était déserté depuis plusieurs heures, maintenant. Les monta-gnards l'ignoraient. Seule Eresia se souciait de lui, elle avait ressenti quelque chose d’inhabituel. Elle n’en avait pas encore parlé à ses alliés.

Alors qu’elle longea une longue ruelle davantage fleurie que les autres, elle vint de rater de peu le passage de Boon et Billy : deux ruelles plus loin. Les villageois se trouvant proches d’elle la saluèrent. Mais elle n’y prêta pas attention, elle ne regardait pas vraiment devant elle.

— Eresia est étrange, dit une villageoise du quartier Neljara. Elle est plongée dans ses pensées, ne semble pas voir ce qui l’entoure.

— La dynastie est sous pression. Le jour du destin approche, rappela son frère.

Ils regardèrent la Wooka prendre une autre ruelle. Dès qu’elle passa l’embranchement de chemins, elle cogna accidentellement un jeune villageois. Ils s’en surprirent tous deux.

—... Pardon Eon. Je suis dissipée.

Elle prit délicatement ses mains dans les siennes. Il lui dit de ne pas se soucier : il ne lui en voulait pas. En cet instant-là, un nuage vision se produisit dans l’air et passa furtivement à travers eux. Ils se regardèrent mutuellement… Et soudain, le paysage changea autour d’eux.

Ils furent plongés dans un brouillard opaque. Puis Gorfu apparut devant eux. Il sourit à Eon, lui prit la main, et l’emmena. Ensuite, ils disparurent sous les yeux d’Eresia, perdue dans le brouillard. Elle le chercha, mais ne pouvait bouger. Il n'y avait rien d'autre autour d'elle que cette matière blanche dont elle ressentait la présence depuis un moment déjà…

Eresia revint sur les terres sacrées. Étendue aux côtés du garçonnet brun.

Elle lui prit vivement le bras et l'aida à se relever.

— Un vel'neria nous a traversés.

— T’as vu la même chose que moi, Eresia ? Gorfu m’a emmené.

C’était la première fois qu’il fut entré dans un de ces nuages.

— Ce n’est qu’illusion.

Cela fit deux fois en une journée qu’elle y plongeait, et dont elle y vit d’étranges choses…

— C’était si étrange de voir apparaître le maître Wooka… rêvassait Eon.

— Nous n’y demeurons que quelques secondes mais cela paraît être bien plus.

— Je ne laisserai pas encore un de ces nuages me traverser, assura-t-il. Je dois y aller. D’âaé Eresia.

— Attends, demanda-t-elle, en levant sa main.

Mais Eon reprit son chemin. Tracassé de tout ce qui passait autour de lui. Or, il n’était pas d’une nature craintive. L’Erenar ne cessait d’entendre la voix de la vieille villageoise lui disant qu’il allait disparaître. Terrifié, le garçonnet accéléra le pas. Il bifurqua dans une ruelle, quand au même moment Grunko passa furtivement devant lui. Il en tomba à terre, se retrouvant face à une maison blanche au toit de chaume marron, éclairée d’une grosse lanterne qui l’incommodait. Grunko ne se fut même pas arrêté pour s'excuser – tel qu’il n’avait eu aucune conscience de son acte. Il courait au loin du chemin en marmonnant des choses étranges.

— Ça va mon garçon ? demanda un villageois, qui lui tendit sa main.

L’homme brun aux yeux noisette, grand et chétif, était d’un âge moyen. Il vivait au quartier Eryavi depuis quelques années maintenant. Eon essuya les manches de sa veste légèrement imprégnée de terre rouge. Puis il replaça correctement son arc sur son épaule.

— Ça va.

— Grunko est encore plus étrange ces derniers jours… suspectait Terrygan.

— Oui, j’ignore pourquoi. Je… je dois y aller, s’excusa-t-il.

L’homme lui demanda d’attendre quelques instants mais il emprunta promptement une ruelle menant vers Elkrara. Elle était étroite et sombre, peu de villageois l'empruntaient.

Terrygan s’aperçut que le jeune Erenar avait oublié deux flèches, tombées de son carquois.

Il les ramassa en se disant qu’il valait mieux les ramener à Korto plutôt que de chercher son fils à travers le village. L’homme prit son chemin en direction de la maison du conseiller Wookas, l’occasion d'échanger un peu avec lui.

Aux environs, les lanternes accrochées aux façades des maisonnettes commencèrent à s’allumer. Donnant plus de clarté aux lieux peu éclairés, de la baisse de lumière naturelle. Au quartier Eryavi, le rouge dominait les façades extérieures des maisons, tandis que d'autres les avaient vert clair ou même mauve. À Astelhan, les bâtisses étaient peintes de beige et de blanc ; certaines gardaient leur bois naturel : dont celle de Moïna. Les jardins et routes étaient fleuris à souhait. Les Erenars consacraient la plupart de leur temps à entretenir la nature de leurs lieux de vie. Hélas, à certains endroits de la montagne, la végétation ne poussait plus. Il n'y avait que de la terre asséchée. Au quartier Elkrara la terre manquait d’herbe, à leur regret. C’était au quartier Neljara que les teintes des bâtisses étaient les plus diversifiées ; rose pastel, rouge, vert foncé, mauve, bleu clair… nombreux aimaient traverser le quartier aux allures féeriques.

 

Eon traversait une partie du quartier Elkrara, seul. Ici, les habitants passaient du temps à construire, fabriquer, rénover, inventer. Ils n’étaient pas souvent à l’extérieur : sauf pour veiller la montagne et les alentours. Le garçonnet brun longeait la route principale à pas modéré. Il regardait chaque cabane qu’il traversait, avec curiosité. Il passa une autre rue et retentirent soudain des tapotements : la grande bâtisse où étaient fabriquées des armes. Un homme à la chevelure légèrement grisonnante était en pleine activité dans la salle de conception d’armes. Huit autres hommes aux bras robustes travaillaient à ses côtés chaque jours. Plus loin vers les maisons du fond de la rue, des hommes fabriquaient : meubles, tables, chaises et toute autre sorte d’objets utiles aux villageois. Une fois leurs travaux achevés, ces hommes les vendaient au commerce du village. Ils étaient suffisamment rémunérés en yêlls, gagnaient bien leur vie. Car leur travail était long et parfois ardu.

Marchant à proximité des maisons, Eon aperçut, au travers d’une fenêtre ouverte, un homme. L’Erenar était assis à sa table, les mains croisées en dessous de son menton, l’air las.

Il devait sûrement ressentir la même chose que lui. L’incertitude et l’appréhension de l’avenir... L’homme se leva, quitta son salon, et monta à sa chambre. « On a tous ce sentiment commun… de tout voir disparaître », s’inquiétait Eon. Le garçonnet continua de longer les cabanes qui se jouxtaient les unes aux autres. Il sentait de ses pieds nus la terre aussi dure que la roche. La forte chaleur avait empiré le dessèchement. Certains végétaux paraissaient flétris en l’espace d’une journée seulement. Eon croisa un groupe de quatre hommes qui ramenaient du matériel ; ils échangeaient de bavardages successifs.

Après la sortie du quartier, se trouvait un grand espace d’herbe fraîche, bordé d’arbres. Eon approchait la cabane de Boon, enfouie dans les frondaisons.

Le garçonnet pressa le pas et les vit au bas du large tronc abritant sa bâtisse. Les panthères étaient à leurs côtés. Discutant vivement ils ne l’entendaient pas arriver.

— Billy ! lança-t-il.

Le garçonnet blond se retourna, étonné. Les longues branches masquaient quelque peu la silhouette d’Eon. Il s’apprêta à le rejoindre mais le jeune Erenar apparut de derrière le branchage.

— Eon, que fais-tu là ? fut-il content de le voir.

— Je voulais passer la soirée avec vous. La dernière avant le jour du destin.

Billy posa la main sur son épaule. Quant à Boon, il sourit de la naissance de leur amitié.

— Tu es le bienvenu. Nous allions bientôt dîner.

— Merci de m’accueillir, Boon.

Le jeune Erenar sortit un sachet au tissu blanc de sa poche de gilet bleu.

— J’ai ramené des biscuits que j’ai faits ce midi.

— Merci, Eon. Ce sera pour le dessert, dit Boon.

Au bas des escaliers se trouvait une large grume de bois faisant office de table. Boon

aimait manger en plein air. Ils installèrent la vaisselle en bois que Boon descendait au fur et à mesure, tout en discutant.

— Nous allons tout disposer sur le tronc, indiqua Boon.

Billy et Eon installèrent les couverts et les assiettes. Puis le Wooka déposa les plats de mets au milieu, et les invita à s’agenouiller : ils prirent chacun une place. Billy appréciait la convivialité de ce lieu unique, Eon aussi.

— Nous pouvons commencer à manger.

— Je suis vraiment heureux d’être avec vous, fit Eon.

— Nous aussi. Sers-toi ce dont tu as envie, l’invita Boon.

Ils entamèrent le dîner sous un calme apaisant, et sous un air légèrement plus frais qu’en journée. Billy admirait longuement le ciel, tel qu’il en était hypnotisé. Il ne faisait pas encore assez noir pour que les étoiles soient visibles. Eon se mit à raconter sa dernière aventure avec les Wols. Il pouvait en parler des heures… Le Wooka le savait.

*

 

Au quartier Milria, Gorfu et Korto mangeaient, accompagnés d’un gobelet en bois contenant de la kroug. De temps en temps, Gorfu aimait en boire. Il conservait un tonneau dans sa cave qui lui durait au moins une année, puisqu’il ne l’utilisait généralement que pour des événements festifs. Un fût valait trois épaisses plumes de yêlls. Peu d’Erenars pouvaient s’en offrir. Certains achetaient quelques bouteilles (pour trois petits yêlls) ou buvaient un verre à la brasserie (un petit yêll).

Ils cognèrent leur pot et les tournèrent deux fois l’un sur l’autre, puis prirent une gorgée.

— Cela revigore ! exclama Korto.

— Dire que la kroug a été fabriqué hasardeusement…

— La plupart ont été hasardeusement trouvés.

Gorfu reprit une gorgée puis posa son pot.

— Mon esprit est loin de la quiétude.

— Le mien aussi.

Ils redoutaient de plus en plus que le jour du destin ne se déroule pas comme il le fallait.

Le tracas rôdait également dans l’esprit de tous les villageois, malgré leur agréable soirée.

Comme toutes les veilles d’héritage, ils pensaient à Amana, aux Amanacs, à cette vie qui pourrait disparaître.

— Le pire est à venir… Après les secousses que nous avons subies, se déclencheront d'effroyables tempêtes…(Gorfu but une gorgée de kroug) Quelle frustration de ne pouvoir invoquer nos dons. J’aurais pu épargner le peuple plus d’une fois.

— Gorfu, tout va bien se passer. L'héritier est revenu. Et les Erenars sont entraînés à repousser nos ennemis.

— Depuis trente années que je suis Wooka, c'est le première fois que je vis une phase de perdition.

— Tu n’es pas invulnérable. Mais ne laisse pas la négativité t’assaillir. Tu as vraiment besoin de toute ta force.

— J'ai certaines blessures émotionnelles, qui ne cicatrisent pas. Mon esprit… ce coffre émotionnel vulnérable.

Malgré les mots encourageants de son conseiller, Gorfu ne se rassurait point.

Il pressentait que demain tout ne se passerait pas comme prévu… Et quand il avait de tels pressentiments, il s’en trompait rarement.

— Il va falloir davantage protéger le village jusqu'au moment de l’héritage. Nous devrons contrer ces déchaînements de la nature et l’attaque probable des troupes de Thorus.

— Je ferai rassembler tout ce dont nous avons besoin. (Korto termina sa dernière gorgée) Il nous faut aller au temple du conseil. Boon et Billy sont sûrement déjà en route.

Il reposa son pot sur la table basse en pierre grisée.

— Ce soir nous allons tout avouer à l'enfant, fit Gorfu, déterminé.

Ils revêtirent leur veste. Korto enfila son épée dans son fourreau. Tandis que Gorfu récupéra son raka, qu’il avait posé sur le fauteuil du salon.

Ils sortirent de la maison, dont Korto scella la porte.

L’ensemble des ruelles étaient obscur mais les lanternes éclairaient suffisamment le centre. Malgré que le village fut pratiquement désert, certaines zones restaient bruyantes. Les alliés longèrent l’une d’elles menant au quartier Astelhan. Les habitants se trouvant chez eux, les virent passer – le regard interrogateur. Les membres de la dynastie traversaient rarement le village si tardivement. Non loin, Eresia se dirigeait vers eux en pressant le pas.

Surpris d'une main posée sur son épaule, Korto se retourna, la main sur son épée. L’Erenare était enveloppée d'une veste bleu foncé qui lui recouvrait également la tête.

— Eresia, fut-il rassuré.

— Désolé de t’avoir effrayé.

— Tu ne l’avais pas prévu.

— Je dois vous faire part de mon inquiétude concernant Hakitum, dit-elle en ôtant légèrement son capuchon.

— … Hakitum ? s’étonna Gorfu.

— Tu n’es pas accompagnée d’un garde ? rétorqua Korto.

— Je devais vous en parler au plus vite.

— Dis-nous, souhaita Gorfu.

— Hier j’ai aperçu Hakitum dans la forêt. Il semblait fuir quelque chose ; il s’en cachait

même.

— Hum… étrange. (Il sembla réfléchir) Boon passera le voir pendant sa garde de la forêt.

Les Wookas ignoraient que le guérisseur avait un clone. Ce serait un élément perturbant au sein des terres sacrées. Eresia ne semblait pas au mieux de sa forme, ressentant qu’elle pourrait vaciller d’un moment à l’autre. Elle n’avait pas pu ingérer sa dernière prise de remède dont les plantes avaient périmé (en un jour à peine). Si elle attendait trop pour la prendre, elle serait encore plus faible.

Korto la regarda, l’air soucieux.

— J’aurais besoin d'autre dose de l'aïra. Si Boon pouvait en ramener du manoir.

— Bien sûr. Dès qu’il arrive au temple, je l’en informerai. Tu as besoin de repos, il vaut mieux vaut que tu rentres, Eresia.

— Oui, Gorfu. Je rentre.

Bien qu’elle aurait aimé être à leurs côtés durant le conseil.

Elle prit tendrement chacun de ses alliés entre ses longs bras. Elle resta dans les bras de Gorfu, qui lui caressa délicatement sa chevelure. En cette fin de soirée, c’était important qu’ils se quittent dans de bonnes conditions.

Soudain, les larmes de la jeune femme montèrent. La lame de l’épée de Korto reluisait de la lumière des lanternes alentours. En inclinant légèrement son visage, Eresia y vit son reflet. Elle se remémora une parole prononcée par Boon, au temple du conseil. Alors qu’elle fut dans l’arrière pièce. Bien qu'éloignée, elle en avait capté quelques bribes de mots : « Les larmes d'un Wooka les font momentanément disparaître. »

Ses pupilles ne disparaissaient point dans le reflet de la lame.

Eresia se détacha en douceur des bras de Gorfu tout en essuyant ses beaux yeux gris.

— Ne fais pas pleurer tes beaux yeux, dit-il ému. Demain, tout se passera bien.

— Kée nûh ôg taktus’ eunti, assura le conseiller.

(La source nous protégera infiniment.)

La Wooka regarda une seconde fois son reflet dans la lame. Gorfu trouva étrange la manière dont elle les regardait, mais il ne fit aucune remarque.

Eresia leva sa main sur son front, et se laissa tomber sur le banc se trouvant derrière elle.

Elle ne s’était jamais regardée dans un miroir lorsqu’elle pleurait…

— Eresia, fit Gorfu. Ça va aller pour le chemin du retour ?

— … Oui. C’est juste que tout cela me bouleverse. Trop d’émotion empire mon état. Allez-y, ne perdez pas de temps.

— Repose-toi ici quelques instants, conseilla Korto, et attends que quelqu’un te raccompagne.

Elle hocha la tête.

Ils lui dirent une dernière parole de réconfort, et prirent route vers Ganama. Les alliés étaient peu rassurés de la laisser seule. Mais ils ne pouvaient pas se permettre de perdre du temps pour la réunion de conseil : la dernière avant l’héritage.

Seule, assise sur le banc de bois, Eresia mirait le ciel clairsemé d’étoiles qui scintillaient tant qu’elles semblaient s’animer. Une magnifique comète passa en trombe, qu’elle regarda avec admiration. Tout comme ceux qui regardaient le ciel en cet instant-là.

Contrariée, elle posa la main sur sa joue.

— Mes pupilles, elles n’ont…

Eresia avait du mal à y croire. Ils n’auraient pu lui raconter de mensonges… Son esprit se brouillait au point qu’elle n’arrivait pas à différencier le vrai du faux.Elle regarda au loin du quartier pour repérer un villageois qui la raccompagnerait. Mais pas le moindre Erenar à l’horizon. Elle frissonnait d’émotion.

— Pourquoi… auraient-ils accepté si je n’étais pas une…

Des moments de sa vie passée lui parurent faussés. Bouleversée, elle fut incapable de réfléchir convenablement. Après un moment à regarder dans le vide, Eresia se décida à retourner chez elle. Elle emprunta un chemin sinueux, un des plus abandonnés et obscurs.

Mais il était le plus rapide pour aller au quartier Elkrara.

Arrivée au bout, elle entendit des bruits de pas derrière elle.

Elle se retourna vivement mais ne vit personne.

Sur sa droite se trouvait une courte rue où elle aperçut un villageois peu grand. Soit un homme qui rentrait de son activité, soit un garde. Sa vision se troublait puisqu’elle n’avait pas pris suffisamment son remède. Cela lui était déjà arrivé. Eresia continua sa route en accélérant le rythme ; elle ne tenait pas à traîner. Elle passa un carrefour qui menait vers le premier lot de bâtisses d’Elkrara. Quand subitement un homme assez grand se mit en travers de son chemin. Il lui attrapa les bras afin qu’elle ne s’échappe pas. Il était caché sous une multitude de vêtements sombres ; de la tête aux pieds. Seuls ses yeux noirs étaient visibles. Il dégageait de lui une légère odeur de souille.

— Gare à vous de vouloir fuir, lui glissa-t-il, à l’oreille.

Sidérée, la jeune femme n’avait encore rien dit.

— Que voulez-vous ? fit-elle soudain.

Eresia ne montra pas sa peur mais elle était pétrifiée.

L’homme l’emmena vivement entre deux cabanes pour se cacher de la place, d’où il pourrait être repéré.

— Pourquoi vous me tenez ainsi ? s’agaça-t-elle.

— Dites-moi où est Moody, ordonna-t-il.

— Moody ? s’étonna-t-elle. Je l’ignore.

— Vous le savez ! Mademoiselle… vous faites partie du conseil… renchérit l’homme, perdant patience.

Elle n’aurait pas dû longer seule les ruelles du village – Gorfu l’avait avertie. Ce fut la première fois qu’elle avait décidé de rentrer sans accompagnant ; et se fut faite piéger. Elle ne pourrait s’en tirer aisément. Il fallait espérer que non loin traînaient un ou des hommes qui pourraient lui venir en aide.

L’homme tendit la lame de son épée face à son visage pâle. Elle ne broncha point.

— Moody n’est pas revenu dans sa cabane depuis hier… Il sait des choses, et vous voulez l’empêcher de parler : vous les Wookas.

Redoutant ses intentions, elle lui demanda de la laisser partir en promettant de ne rien ébruiter. L’assaillant ne voulut point la croire.

— Je vous retiendrai jusqu’à ce que je voie Moody.

— Dans ce cas, il vous faudra être patient, assura-t-elle. Vous outragez un membre de la dynastie, et vous en connaissez les conséquences. Vous serez privé de votre liberté pour un moment.

— Certainement pas.

Furibond, il serra davantage son bras et la força à marcher pour l’emmener au quartier isolé.

— Je ne crains aucuns de vous. Il se dit que vous devez modérer vos invocations…

« Comment peut-il savoir ça… » pensait Eresia, dérangée.

La jeune femme luttait pour se détacher mais l’homme avait bien plus de force qu’elle.

Heureusement, au loin arrivèrent ses chères lucioles. En clignant trois fois des yeux l’Erenare leur demanda d’aller chercher de l’aide dans le quartier. Les lucioles à la lueur verdâtre foncèrent vers les bâtisses et se hissèrent au travers d’une fenêtre ouverte. Ceux qui avaient

l’honneur de les voir furent fort surpris. S’aventurant peu dans la cité de la montagne, peu de villageois pouvaient les approcher. En observant attentivement, ils purent reconnaître la silhouette d’Eresia avec une épée penchée sur elle. Les Erenars comprirent que la Wooka avait besoin d’aide !

— Eresia est en danger, avertit l’un d’eux.

Sitôt les quatre hommes sortirent de la cabane, gardant vision sur les lucioles. Les boules lumineuses tracèrent un chemin précis qu’ils suivirent.

— Elles sont magnifiques… s’émerveilla le plus âgé.

— Dépêchons-nous, je crains le pire pour la Wooka, fit un autre à côté de lui.

Les villageois longeaient les ruelles en restant groupés. Ils portaient une veste foncée aux nombreuses poches, et étaient munis d’une épée. Ils couraient pour rattraper les lucioles qui fusaient dans les airs.

— Dépêchons-nous ! exclama Luns, le plus jeune habitant du quartier.

— Si la Wooka est attaquée, la faute sera jetée sur nous ! émit Nyals, son grand frère.

Deux grands et braves hommes charismatiques. Leur chevelure cuivrée leur arrivait presque aux épaules. Et leurs pupilles d’un vert profond ressortaient de leur peau ivoire, tachetée de discrets grains de rousseur. Les frères étaient convoités pour leur force et leur talent de menuisier. Doués de leurs mains pour la fabrique de divers meubles, qu’ils produisaient beaucoup. Les Wookas les nommaient à chaque mission pour aller en dehors des terres sacrées ou pour la garde de ces terres. Surtout la nuit.

— Mais où est-elle ? Ça fait un moment qu’on marche dans le quartier… s’inquiétait Luns.

— Nous ne sommes plus très loin, regardez le sol. Des empreintes de pas toutes fraîches, remarqua Timoka, le plus vieux d’entre eux.

Il était moins grand que les trois autres. Les cheveux grisés descendant au ras du cou, et la barbichette fournie. L’homme constata que les empreintes avaient été laissées par les semelles de sandales assez longues et moins longues. Les quatre autres s’approchèrent.

— Eresia doit être quelque part ici en compagnie d’un ennemi… chuchota l'ami de Timoka. Il était grand et frêle, le crâne recouvert de fins cheveux dorés. Son teint tacheté de boutons brun clair, ainsi que sur la nuque et les mains. L’homme avait été infecté par des plantes empoisonnées, cueillies au loin des terres sacrées. Malgré les remèdes du guérisseur, ses boutons ne furent jamais partis. Les enfants du village craignaient son apparence, mais il était un homme bon – à l’âme artistique.

— La terre a un aspect étrange, fit soudain Luns. Elle s’assèche beaucoup.

— C’est la Mistrakana qui la rend ainsi, lança soudain Gudka, s’approchant du groupe.

— Gudka ? s’étonna Timoka.

— Je vous ai vu partir du quartier. Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi ne pas m’avoir prévenu ?

De ses longs cheveux épais et hirsutes d’un brun clair, Gudka avait l’apparence d’un homme sorti de sa grotte. Il avait dormi quelques heures avant de monter la garde au bas de la montagne.

— Les lucioles sont venues nous transmettre un message. La Wooka est en danger, expliqua Luns.

Les cinq hommes observèrent autour d’eux, l’air suspicieux.

— Vous n’avez pas idée d’où elle pourrait être, supposa Gudka.

— Il n’y a que ces empreintes. Elles s’arrêtent devant la parcelle d’herbe, pointa Timoka.

Une lueur verte approcha et les entoura. Les lucioles les aveuglèrent quelque peu.

Luns s’éloigna et riva les yeux vers une sombre ruelle au loin de lui.

— Venez, par ici, conseilla-t-il.

Les Erenars mirent leurs mains devant leurs yeux pour traverser l’essaim de lucioles qui envahissait la zone du quartier. Ils marchèrent discrètement vers le lieu où se dirigeait le jeune homme.

Aux alentours, l’assaillant d’Eresia fut de plus en plus menaçant à son égard.

Il l’eut amenée là où il y avait le moins de lumière. Environ trois cents mètres de là où se trouvaient les Erenars.

— Où les Wookas ont-ils enfermé Moody ?

Il pointa l’extrémité de sa lame sous sa gorge. N’ayant aucun remord à menacer une femme – surtout une Wooka. L’Erenar voulait retrouver Moody, c’était tout ce qui lui importait. Il leva sa lame devant les yeux gris d’Eresia. Elle scella ses paupières.

— Je ne sais pas où il est. Je vous prie de me croire.

Elle était incommodée par la lame froide sur sa gorge nouée. L’Erenare n’avait aucun moyen de se défendre : ni don, ni arme.

— Foutaises ! J’ai l’honneur de sacrifier une Wooka… Que se passera-t-il ? Sûrement la tourmente au sein de la dynastie…

— Il ne se passera rien, affirma-t-elle, prête à lui dire la vérité.

Il eut décelé en son ton un désir d’aveu. Cela l’intrigua.

— … Alors, où est-il ? réitéra-t-il.

Soudain un fort rugissement retentit.

L’homme regarda autour de lui tout en maintenant les bras d’Eresia. Méfiant de ce bruit dont il ignorait l’origine, il releva son épée.

— Quelqu’un est à votre rescousse. Mais il ne devrait pas… fit-il froidement.

Peu après surgit de l’obscurité une panthère. Qui approcha lentement, rugissant hargneusement. L’assaillant n’avait jamais vu une telle créature !

— Hors de là ! Va-t’en !

Il leva son épée en l’agitant pour la faire reculer. La panthère rugit si fort qu’elle les assourdit. Elle approcha lentement vers lui, montrant les crocs. L’Erenar lâcha Eresia et s’enfuit en la laissant seule. Il grimpa la façade de la bâtisse voisine à l’aide d’une échelle posée contre le mur. Montant rapidement jusqu’au toit, il réussit à lui échapper de peu. La créature resta au bas de la cabane, toujours les crocs dehors. Eresia n’osait pas fuir. La panthère pourrait lui sauter dessus.

— Aidez-moi ! supplia-t-elle envers son assaillant.

— Je ne descends pas de là !

Pétrifiée, la jeune femme restait plaquée contre la façade. La mâchoire de la panthère était si béante qu’elle voyait toutes ses dents aiguisées.

Quelques instants plus tard, une lanterne jaillit de la cabane voisine. La créature blanche recula afin de rester discrète. L’habitant tout juste sorti n’avait même pas remarqué leur présence ; il rentra aussitôt. Pendant ce temps-là, l’assaillant se fut davantage éloigné en grimpant sur un autre toit (avec agilité). Puis un autre. Et finit par se réfugier dans une cabane abandonnée qu’il eut hasardeusement trouvée. Eresia rouvrit ses paupières. Tandis que la panthère, assagie, s’assit à ses côtés. Étrange qu’elle soit si calme alors qu’elle eut démontré tant d’agressivité… Elle ignorait que la créature soutenait les Wookas. Elle resta à l’observer.

Un moment après, les Erenars arrivèrent dans la ruelle. Ils n’avaient pas encore repéré la panthère couchée sur le côté. Ils étaient rassurés de voir la Wooka saine et sauve. Mais la sentaient chamboulée.

— Mademoiselle Eresia, vous allez bien ? Les lucioles nous ont menés à vous, dit Gudka, lui tendant sa longue main.

Nyals et Luns repérèrent la panthère :

— Qu’est-ce que c’est… 

Ils soulevèrent leur épée.

— Elle est inoffensive, assura Eresia en baissant l’épée de l’homme.

Ils gardèrent leurs armes visées sur elle mais la panthère ne bronchait pas. Les Erenars la scrutèrent dans les moindres détails. Elle fit comme si elle ne les voyait pas, la tête couchée sur ses grosses pattes.

— Baissons nos armes, conseilla Irdama, qui eut rejoint le groupe quelques minutes avant. Qui vous a menacée, mademoiselle ?

Irdama était un des jeunes fabricants de meubles les plus demandés du village. Il avait une belle carrure et la même hauteur que Gudka – il émanait de lui quelqu’un de sûr. Ses cheveux, blonds et épais étaient souvent en bataille, des causes des vents fréquents. Ses yeux noisette s’accordaient avec son teint légèrement mat. Irdama fut né d’Erenars clonés et exilés au village de Thorus. Il avait passé une partie de son adolescence sans eux. Depuis ces quinze dernières années, rares furent les villageois à pouvoir facilement procréer. L’Erenar fut né cinq ans avant le phénomène. Il vivait seul dans une charmante cabane du quartier, qu’il utilisait pour travailler. Ils vendaient divers meubles et objets d’intérieur, et parfois en faisait offrande à ceux qui avaient peu de moyens. Dès qu’il pouvait aider, il le faisait sans hésiter. L’Erenar participait également à la garde des terres sacrées. Défendre le village – qu’il considérait sacré – lui tenait à cœur. 

— Je n’ai pas pu voir son visage, dit-elle, minée. Il voulait absolument savoir où se trouvait Moody.

— … Cet homme vit probablement dans le quartier isolé, présuma Benel, le meilleur ami d’Irdama.

— Possiblement, répondit Irdama. Nous irons enquêter dès demain matin dans ce quartier. Mademoiselle Eresia nous allons vous raccompagner chez vous.

— Il vaut mieux veiller sur elle la nuit, émit Gudka, de son regard d’yeux vert clair, suspect des alentours.

Les deux hommes opinèrent du chef, ils consentaient les paroles du dirigeant d’Elkrara.

La panthère se releva lentement, approcha vers les mains d’Eresia pour les sentir, et se frotta à sa robe. Les hommes appréhendaient. L’Erenare, calme, posa sa main sur le sommet de sa tête, et lui fit une délicate caresse du bout des doigts. Elle avait un pelage si doux… disait-elle aux hommes. Eux, trouvaient ce contact étrange, leurs yeux étaient sidérés.

— Vous osez toucher cette créature… dit Timoka.

— Elle est docile, pouvait-elle constater.

— Nous irons parler de cette découverte animale au maître Wooka, annonça Irdama.

Ces hommes ignoraient qu’elle fut acceptée des hommes sacrés.

— Elle ne semble pas être hostile, émit Gudka. Je suis de garde cette nuit, je vais donc prendre la route pour descendre, annonça-t-il en les saluant. Eresia, faites attention à vous.

Elle hocha la tête.

Timoka, Luns et Nyals annoncèrent qu’ils descendaient aussi pour leur garde.

Gudka n’était pas tranquille de ce qui venait d’arriver à l’Erenare. Son sommeil du petit matin en serait perturbé. Irdama et Benel allaient se charger de raccompagner Eresia. Ils prirent route en se mettant chacun d’un côté d’elle. La panthère se mit à les suivre, les jeunes Erenars restaient méfiants.

 

*

Grunko errait près de la maison de Moïna Skolls. Caché entre deux cabanes il observait la bâtisse depuis un moment, marmonnant d’étranges choses. L'Erenar s’était accoutré d’une longue veste sombre afin de rester discret.

— Je ne dois pas, pas, le, faire... (Il remua la tête) Je, je le dois.

Il approcha lentement de la cabane au bois naturel. Quelques lanternes blanches étaient allumées dans la ruelle, les voisins pourraient l’apercevoir. Mais, s’endormant assez tôt, il y avait peu de risques. Sa présence était parfois redoutée, il avait une attitude étrange qui déroutait certains. Moïna concoctait sa tisane du soir qui l’aidait à dormir. Elle frottait entre ses mains quelques feuilles, qu’elle avait achetées à Hakitum pour un petit yêll de cinq grammes. Puis fit bouillir de l’eau sur la plaque de grinéa, que nombreux villageois avaient chez eux. Le seul contact de leur peau chauffait la pierre, et ce pendant plus d’une heure. L’échange d’énergie entre la pierre et le derme utilisait peu de force. Dans sa cabane, se trouvaient divers objets aussi étranges les uns que les autres, suspendus au plafond et aux murs. Beaucoup de sculptures de bois de formes diverses – formes d’humain ou d’animaux – ainsi que de nombreux colliers de pierres aux couleurs variées. Il y avait également des bouquets de branches blanches, accrochés aux murs ; maintenus par du fil noir. Des pots-pourris de feuilles séchées, dispersés un peu partout sur les meubles – et une table ronde au milieu de la pièce. Il y avait dessus des plantes que Moody ou ses voisins lui amenaient. Proche de son lit recouvert d’une belle couette à carreaux rouge et noir se trouvait une table de nuit beige, où était disposé un large pot de fleurs blanches en forme de cœur - d’un arôme de fruit agréable. Mais également un pot de fleurs noires à côté – à l’apparence fanée. Comme elle sortait peu, elle aimait disposer de la nature tout au long de la journée. La vieille femme pensait que les objets qui l’entouraient pouvaient repousser les mauvais esprits. Elle avait également foi que chacun des Amanacs détenait un don d’énergie, qu’il pouvait utiliser à bon escient. Les Erenars vivant au plus près de la source d’énergie avaient tous quelque chose de particulier... Mais pour la plupart, Moïna divaguait. Elle devenait de plus en plus paranoïaque, semait le trouble dans leur esprit.

Grunko la regardait au travers de la fenêtre, observant ses moindres faits et gestes.

Il ressentait une profonde colère. (Mais pour quelles raisons ?) L’Erenare ne lui avait rien fait, ni même prédit des choses sur lui…

Moïna, assise au bord de son lit, paraissait mélancolique.

— Eresia… a été dupée. Et Boon, est entouré de quelques mensonges… Wookas,na estey n’ergia ô yee nhé namëna.

( Wookas, sans cette énergie si puissante et mortelle.)

Elle se morfondit, presque à pleurer toutes les larmes de son corps. Puis souleva un objet en bois marron ayant la forme d’un homme. Et le serra contre elle.

— Mon amour perdu… un jour nous nous retrouverons.

Grunko se mit soudainement à chercher un caillou au sol. Il rampa discrètement sur l’étendue d’herbe qui bordait la maison. Et finit par trouver un caillou rouge reluisant.

Il était rare de trouver des minéraux de ce genre… Sur la montagne il y en avait quelques-uns disséminés un peu partout. L’Erenar au regard mystérieux lança le caillou sur un des carreaux.

Quand la redoutée villageoise entendit ce retentissement, elle sursauta, en lâchant les dernières plantes dans la bouilloire qui chauffait. Elle s’éloigna de la table sur laquelle elle se fut appuyée. Puis prit sa canne en se retournant vers la fenêtre. L’environnement sombre, l’obligea à sortir. Elle se déplaça lentement vers sa porte en attrapant un châle gris, étendu sur le haut d’une chaise.

Grunko fut recroquevillé juste derrière, se hâtant qu’elle sorte.

— Malkae… d’ee estey kiahüllé, malkae... murmura-t-il.

(Il faut se méfier de cette femme.)

Moïna franchit le bord de son petit terrain, regardant autour d’elle, la main à moitié tremblante sur sa canne.

— Encore des voyous qui s’amusent dans le quartier ! s’outra-t-elle.

Le villageois profita pour se hisser discrètement à l’intérieur. La salle était juste éclairée d’une grosse bougie blanche près du lit. Ne supportant pas la lumière, elle allumait rarement sa lanterne. Grunko se retourna pour vérifier qu’elle ne rentre pas de suite. Puis s’approcha de la bouilloire d’un air malicieux. Il sortit un tissu blanc de sa poche, qui recouvrait une plante quelque peu fanée. Il jeta celle-ci dans l’eau bouillante, elle fondit instantanément.

L’Erenare revenait vers l’intérieur, après avoir entendu du bruit. Grunko fonça se cacher sous la table. Dans le salon se soulevait une odeur de moisi. L’Erenar s’en pinça les narines.

Moïna, de ses pieds chaussés d’une paire de mocassin marron – non loin de Grunko –, resta immobile.

— Moody ? s’inquiétait-elle, en regardant la chambre opposée au salon. Il m’aurait prévenue…

Elle déposa sa canne sur le côté d’un meuble de l’entrée, et s’assit face à la marmite qu’elle ôta de la pierre chaude. La villageoise releva une mèche de ses cheveux détachés, en prononçant des mots amanacs, quelque peu nerveusement. Elle souleva la bouilloire noire sur la table, et versa la tisane dans sa tasse. Mais elle renversa maladroitement le liquide brûlant sur le sol. Grunko souffla silencieusement sur ses mains rougies. Heureusement que la villageoise était légèrement sourde, autrement elle l’aurait déjà repéré.

Confortablement assise sur son fauteuil en rotin – accompagné de douillets coussins marron –, Moïna commença à boire, puis attrapa un livre posé sur une commode beige à côté de son lit. Elle allait lire quelques pages, le temps que la tisane agisse. Son livre relatait de la nature. Elle l’avait acheté à l’himercia pour deux petits yêlls.

Après avoir bu plusieurs gorgées de tisane, elle se sentit étrangement vaseuse.

Moïna mit sa main sur son front et déposa le livre blanc sur ses jambes. Pensant que ça finirait par passer, elle reprit sa lecture. Mais plus elle tentait de lire plus elle voyait flou – l’effet vaseux augmentait.

Son livre tomba lourdement sur le plancher. Une légère poussière en jaillit.

Moïna ne pourrait lutter longtemps contre la mortelle plante qu’avait jetée Grunko dans la bouilloire. Elle finit par s’endormir, les bras ballants et la tête lourde.

Grunko sortit de sous la table et regarda la mystérieuse Moïna.

Il n’avait aucun regret à la voir ainsi.

Un instant plus tard, il sortit de la maison et se dirigea vers le chemin de Ganama, trois ruelles plus loin. Il parlait bas afin que personne ne l’entende :

— Elle ne, ne sera plus une menace, non, plus jamais. Et Moody aussi…

Il en avait fortement voulu à la vieille villageoise… qui n’avait sans doute pas souhaité faire de mal à quiconque. Grunko avait commis un terrible acte qui finira par lui soulever des regrets. Hélas son bon esprit se brouillait contre son gré… Et il n’était pas le seul.

 

*

 

De l’autre côté de la montagne, Boon et les garçons vinrent de finir leur succulent repas.

Le Wooka fut en train de remonter la vaisselle, pour la plonger dans le grand bac en pierre de la cuisine. Les garçonnets l’aidèrent à nettoyer. Ils étaient tous les trois plongés dans leur pensées.

Quand soudain, Eon dit d’un ton posé :

— C’était un bon repas. Et je suis content d'être avec vous. Ça me change.

— Tant mieux, Eon, fit le Wooka.

Il regarda un seau posé sur le plancher, et s’aperçut qu’il n'y avait plus une goutte d'eau.

— On pourrait aller à la source avec Eon et Nela ? Comme ça on vous en ramènerait un seau, proposa Billy.

Le Wooka posa son torchon. Il hésitait à laisser partir les garçons près de la source à une heure si tardive. Mais de son air persuasif, il avait du mal à lui dire non :

— Un aller-retour. Il faudra partir au temple du conseil sans tarder.

Aussitôt Billy alla près de la porte pour avertir Nela, qui se reposait sur le terrain d’herbe. Elle se releva furtivement, les yeux sur lui.

— Ne traînez pas, et n’allez pas plus loin que la source. Ça aurait pu attendre demain pour l’eau…

— Oui Boon, c’est promis.

Le garçonnet semblait de plus en plus à l’aise envers le Wooka. Il appréciait.

Eon se leva avec vivacité, mit convenablement son arc sur ses épaules : qu’il ne lâchait jamais.

— Je suis prêt, fit-il, enjoué.

— À tout de suite, Boon.

— Oui. J’ai confiance en vous.

Lui, allait continuer de ranger la vaisselle, et nettoyer la cuisine.

Les garçons s’éloignèrent de l’arbre sous le regard vigilant de Boon. Tandis que le fils du conseiller guettait autour de lui, tel que le ferait son père. Après avoir dépassé le terrain, ils prirent un chemin en pente, plongé dans l’obscurité. Ce soir, le ciel était tapissé de nombreuses étoiles luisantes.

Billy souleva sa lanterne, qu’il avait prise avant de descendre de la cabane, afin de bien éclairer leur traversée. Il vérifia que Nela les suivait toujours – elle était juste derrière eux. Ce fut la première fois qu’elle s'éloignait de sa tribu. Elle leur avait fait comprendre (par l'esprit) qu’elle partait seule.

Le garçonnet blond se retourna pour la caresser. Elle en ronronnait aussitôt.

— Elle est vraiment belle… On reluit à travers ses grandes pupilles, s’époustouflait Eon.

Bien que tenté de toucher son doux poil blanc, il n’osa pas.

Puis posa lentement sa main sur son abdomen. Rassuré de voir qu’elle ne montrait aucun signe d’agressivité, il souffla discrètement.

— Tu vois, il n’y a pas de raison de craindre.

— Mais je ne craignais pas, Billy ! feignit-il.

Ils traversaient une zone où il n’y avait pas la moindre présence d'Erenars. Les hommes et quelques femmes de gardes se trouvaient de l’autre côté de la montagne. Ils ne reviendront ici qu’au milieu de la nuit ou au petit matin. Les garçons discernaient de petites sources de lumières éparses, au bas de la montagne et aux environs des terres. Les lanternes des veilleurs.

Plus loin, les vallées, petites forêts et sources d'eau étaient plongées dans le noir.

Les yeux de Eon se portèrent sur la forêt sacrée, ses sourcils se soulevèrent :

— C’est étrange. Je ne distingue pas la lumière au loin des arbres.

— Quelle lumière ?

— Celle du manoir du guérisseur.

— Tu peux voir une lumière de là-bas ? s’enquit Billy.

— Il y a toujours un petit point lumineux visible. Une lanterne à la lumière méga

éclairante. Hakitum fait en sorte d’être visible afin de dissuader les ennemis de rôder près de chez lui.

Il était également visible par la fumée de cheminée, presque toujours en activité.

Si Boon voyait qu’aucun point lumineux n’était visible, il trouverait cela suspect.

Inquiet, le jeune Erenar avança plus vite.

Billy voulait le rassurer :

— Si ça se trouve, la lumière s'est éteinte toute seule.

— Les lumières de certaines lanternes sont inépuisables : dont celles de son manoir.

— Mais Hakitum est rusé, dit Billy.

— Il n’a pas de dons pour se défendre.

Il regardait constamment la forêt avec incertitude.

— La forêt protège son manoir, pensa Billy.

— Son pouvoir de protection a diminué.

— Comment sais-tu tout ça ?

— Je suis le fils du conseiller Wookas, rappela-t-il, fier. Mon père a confiance en moi.

Billy quitta ses yeux de la forêt, puis regarda Nela ; semblant lui dire quelque chose.

— Il faut retourner en parler à Boon, Eon.

Il opina.

Avant même qu’ils ne fassent trois pas, un fort bruit retentit du ciel, tel un coup de tonnerre. Mais il n’y avait pas un seul éclair à l’horizon… Sur les terres sacrées, une tempête d’orage se soulevait très rarement. Environ tous les cinquante ans, voire plus.

Surpris de ce bruit inhabituel, ils gardèrent leurs yeux rivés sur le ciel : se rapprochant l’un vers l’autre.

— … Un orage, redoutait Billy.

— Un orage ?! s'intrigua Eon.

Il n’en avait jamais vécu.

Un second coup de tonnerre retentit.

Les garçons se rapprochèrent davantage l’un l’autre, aux aguets du ciel. Ces bruits retentissaient de plus en plus aux environs de la montagne. Ce qui ne tarda pas d’inquiéter une partie du village toujours éveillée. Notamment les gardes.

Dans les hauteurs à l'ouest, Boon fut sorti de sa cabane, l’air préoccupé. Au village, nombreux sortaient de leur maison : leurs yeux rivés sur le ciel. Au quartier Astelhan, Eresia et les deux hommes (proches de sa maison) s’arrêtèrent soudain.

Une bourrasque passa à travers eux. Les volets des cabanes claquèrent violemment contre les façades. Les nombreuses lanternes secouées, prêtes à s’arracher des portiques. Les lumières s’éteignirent les unes après les autres, plongeant les ruelles dans le noir. Au sol les éléments les plus légers se soulevaient dans les airs et incommodaient les marcheurs de nuit. Les bourrasques sifflantes se soulevaient de plus en plus fort et partout à travers les terres sacrées.

Billy et Eon, en plein milieu d'un terrain incliné, devaient se tenir à un arbre. Nela se cala contre un tronc, elle était presque sur le point de s’envoler malgré sa lourdeur.

Le garçonnet blond ôta une de ses mains pour la maintenir, tandis qu’Eon écarquilla les yeux :

— Billy reste accroché !

— Une tempête s'est déclarée sur la montagne !

 

À l’ouest de la montagne, Boon se souciait pour les garçons éloignés de lui. Il ignorait où ils pouvaient être. Il partit sur le champs pour les protéger. Jusqu'à présent, il n’y avait jamais eu ce type de tempête sur les terres sacrées – ce phénomène météorologique était anormal.

Gorfu et Korto qui furent en route vers Ganama, durent se cacher sous un toit de maison du quartier Astelhan. En cette zone et ses abords, le vent était bien plus fort qu’ailleurs… Le maître Wooka observait l’environnement : fort heureusement il n’y avait personne.

— J’espère qu’ils vont tous s’abriter ! exclama-t-il sous le bruit assourdissant du vent.

— Certains voudront sûrement braver le vent ! fit Korto. Nous ne pourrons pas leur venir en aide !

Serrant ses lèvres blanchies par la crainte, Gorfu se doutait de ce qui allait se passer d’ici peu… Certains passages du livre sacré montaient en son esprit. Ce qui se déroulait depuis quelques jours suivait l’ordre des choses.

Les frondaisons s’arrachaient des branches agitées, commençant à envahir la ruelle face à eux – et toutes les autres. Le teint du maître Wooka devenait de plus en plus blême tout comme celui de Korto. Leurs habits et la chevelure du conseiller se faisaient violemment happer. Ils se maintenaient fermement sur une barre en bois qui maintenait une partie de la toiture. Leur visage se faisant face, ils s’encourageaient par des échanges de regards.

À l'opposé de la montagne, Boon bravait le vent autant qu’il le pouvait. Il ne pouvait sauter, autrement il risquerait d'être violemment déporté. Les feuilles et branches volant de partout risquaient à tout moment de le blesser. Le Wooka utilisait son raka pour les repousser. Mais les nombreux projectiles le gênaient pour voir au loin. Heureusement, il n'était plus loin d'eux.

Plongés sous la terrible tempête, Billy et Eon ne pourront bientôt plus tenir… Le garçonnet blond maintenait sa main sur Nela. Eon avait la joue collée au tronc, les deux bras fermement enlacés à lui. Son arc se fut envolé, sûrement dans les pentes.

— Billy, accroche-toi mieux que ça !

— Je ne lâcherai pas Nela !

— Elle peut tenir seule !

Le Wooka continuait sa course : aucunement épuisé. Il ne voyait pas vraiment où il mettait les pieds, le sol jonché de végétation arrachée. Dans les airs se projetaient des lanternes, lampions, chaises, bancs, pots… divers autres éléments, à foison. Les quartiers s’assombrissaient de plus en plus. D’inconscients villageois sortaient de leur maison en s’accrochant aux barrières qui se trouvaient devant leur cabane ; mais elles n’allèrent pas tarder à s’arracher. La terre rouge remuait des vents qui brouillaient davantage l’environnement.

— Je vois un des Wookas ! annonça un villageois d'Elkrara.

— Où va-t-il ? demanda son voisin, Herson, planté devant sa maison à lutter à tenir.

— J’en sais rien !

— Tout va finir par s’arracher ! s’écria la compagne d’Herson, accrochée à sa porte.

Une des quelques villageoises qui vivait au quartier Elkrara.

Il était fort préférable de ne pas sortir. La plupart restèrent sagement dans leur demeure. Certaines maisons étaient masquées par les éléments volant dans les airs.

Au quartier Neljara, dans la cabane à la façade rouge de Marianna – voisine de deux grandes maisons aux murs mauve pastel et au toit pointu orné de paille –, Eclosee ne pouvait s’endormir sous cette agitation. Elle se leva de son lit et rejoignit sa mère posée sur le fauteuil du salon, Eloïna dans ses bras : elle aussi agitée.

— Maman, c’est bientôt la fin d’Amana…

— Eclosee, ce n’est qu’une tempête, dit-elle de sa douce voix. La source peut provoquer ces phénomènes.

Marianna cachait son inquiétude, elle n’avait jamais vécu de tempête.

— Les Wookas parlent peu de la source.

— Ils ne peuvent en parler de trop. Viens t’asseoir près de moi.

La villageoise se plongea au creux de ses bras, inquiète :

— La Mistrakana nous fait tous vivre. Elle nous alimente.

— Eclosee… d’où te vient cette pensée ? La source… a toujours été pour moi, une légende, révéla Marianna. Il est possible que les Wookas s’en servent pour nous diriger. Crois-tu vraiment qu’une source dans une grotte serait à l’origine de nos vies ? Qu’elle impacterait sur le climat, la nature ? …

Eclosee se releva en regardant curieusement sa mère.

Elle n’était pas d’accord.

— Tu viens de dire que la source peut provoquer des tempêtes. (Elle se releva) Et tu as bien vu ce que les Wookas ont fait, hier ! s’outra-t-elle. On est tous devenus invisibles… que pourrait faire ça hormis les dons des Wookas ?

— … Certes. Mais leurs dons ne sont peut-être pas originaires de la soi-disant source.

— Moi j’y crois, renchérît la fillette. J'y crois fort.

Marianna ne pouvait ni donner tort à sa fille ni affirmer ses dires.

« Son esprit se brouille comme celui de certains autres », se minait Eclosee.

Une grosse branche heurta violemment la fenêtre du salon. Elles eurent sursauté, puis la fillette grelotta.

L’Erenare se leva pour aller voir l’extérieur, par sa fenêtre. Le morceau de bois avait causé une fissure sur une partie de la fenêtre, renforcée par des bordures de bois. Mais la bâtisse vibrait par le mistral. Des éléments d’elle allaient bientôt s’arracher. Marianna s’empressa de placer un drap sur la fissure. Le vent passa au travers et produisait un drôle de bruit.

Eclosee prit sa petite sœur dans ses bras afin de la calmer. Le tourment les tenaillait.

Craignant que leur maison soit saccagée. Tout comme de milliers d'Erenars.

*

 

Après avoir vécu la tempête durant près d’une heure, les montagnards furent accablés.

Les bourrasques se calmaient progressivement, laissant place à un temps plus calme mais lourd. Ce qui allait encore plus assécher la végétation. Depuis quelques temps déjà, ils ressentaient que leur monde tournait différemment…

Sûrs que la tempête fut vraiment terminée, plusieurs villageois sortirent pour aller aux nouvelles. Très vite, ils se mirent à déblayer les débris sur les chemins, et près des maisons.

Sur la place de Milria, des Erenars tout juste sortis de leur maison échangèrent sur l’étrange tempête :

— Elle est arrivée inopinément et a semblé s’éterniser… émit une villageoise, troublée.

— Nous avons déjà vécu ça ailleurs : avant d’arriver sur la montagne, rappela son compagnon.

— Nous n’étions pas censés le vivre ici, se désola-t-elle, de ses yeux sombres. Il était dit que ces terres éloignaient la menace, de par les Wookas.

— Nos amis ont supposé, dit Hiatos qui se mit à repousser les débris à l’aide d’un balai. Ailleurs, beaucoup ignorent l’existence de ce village et des Wookas.

— … Détrompe-toi, Hiatos. Je suis certaine que leur existence est connue à dix mille kilomètres, et au-delà.

Le villageois haussa ses sourcils, continuant de balayer.

À côté d’eux se trouvait leur voisin, également perplexe :

— En tout cas, nos maisons ne sont pas trop touchées, se rassura-t-il.

— Heureusement la tempête s’est dissipée à temps, lui répondit-elle.

— Les sols sont envahis de débris, s’outra une autre villageoise.

— J’espère qu’ailleurs il n’y a pas eu trop de dégâts, fit un homme, au regard écarquillé.

Malgré qu’il fut tard, des villageois ramassaient autant qu’ils pouvaient les éléments. Ils se furent assurés que leur bâtisse et celles de leurs voisins n’avaient rien eu de grave.

Vers le chemin de Ganama, Gorfu et Korto marchaient en direction des temples. Bouleversés par l’événement climatique. Ils savaient ce que cela entraînerait par la suite…

— Si nous devons subir pire demain, je crains que le village ne tienne… désespérait Gorfu.

— Nous devons faire face. Nous y arriverons.

— J’espère qu’au village tout le monde est sain et sauf. Nous irons dès notre retour prendre de leurs nouvelles.