Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Coureur cycliste amateur 1ère catégorie de 1967 à 77, Alain Briand a traversé plusieurs générations et a pu voir l’évolution négative du sport cycliste. Il analyse ici les raisons de la baisse du nombre de licenciés dans les clubs et par voie de conséquence de la baisse de pratique du cyclisme de compétition. Il souligne la différence entre les champions d’hier et d’aujourd’hui. Le dopage mis en avant dans le cyclisme en est-il la raison puisse qu’il est tabou dans le football. Pourquoi selon certains, s’ils ne sont plus dopés, les coureurs de Tour de France roulent-ils toujours aussi vite ? Les conséquences du dopage sur la santé. Les magouilles et la fraude technologique plus communément appelé « dopage mécanique ». Les oreillettes sont-elles dangereuses ? Ont-elles tué la course ? Les capteurs de puissance sont-ils utiles ? Le cyclisme est-il devenu « plus dangereux » qu’avant ? Pourquoi le cyclisme est-il devenu souvent pénible à regarder ? Est-ce vraiment la fin de la légende des grands champions ? Le Tour de France peut-il disparaître ?
Alain Briand répond à toutes ces questions avec l’aide d’une série d’articles et quelques passages de livres écrits par des écrivains, journalistes, spécialistes du cyclisme.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 180
Veröffentlichungsjahr: 2022
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Alain BRIAND (Alain-René GEORGES)
La fin de la légende des grands champions cyclistes
Au Tour de France 1938 Gino Bartali dit Gino le Pieux arrive à Briançon avec une avance considérable reléguant le second à dix huit minutes au classement général. Président de la fédération italienne de cyclisme, le Général Antonelli, écarte la foule en s’écriant : « N’y touchez pas, c’est un Dieu ! ».
Avec son rival Fausto Coppi ils séparent l’Italie en deux comme quelques années plus tard Anquetil et Poulidor diviseront la France. Les champions cyclistes sont alors considérés comme des surhommes. Les enfants que nous étions s’identifiaient à ceux dont les journaux décrivaient les exploits. Ils étaient nos idoles. Maintenant, de nos jours, le coureur cycliste ne fait plus rêver petits et grands, plus un seul enfant n’a le désir d’accrocher la photo d’un coureur cycliste dans sa chambre. C’est sans doute pour ça que depuis longtemps les magazines n’éditent plus de poster, à moins que ce soit l’inverse.
Il n’y a pas si longtemps, chaque bourgade avait sa course cycliste si bien que celles-ci étaient nombreuses. Pourtant, comme aux générations précédentes, les coureurs cyclistes professionnels sont toujours issus du milieu amateur où ils ont démontré avoir des qualités physiques et morales hors du commun. D’ailleurs, cela est également valable pour tous les autres sports. Mais si le jeune d’aujourd’hui devient coureur cycliste amateur et ensuite professionnel, c’est bien souvent parce qu’il est né dans une famille de passionnés sinon il se tourne vers d’autres activités sportives, qui sont plus nombreuses qu’auparavant.
Si le dopage permet d’augmenter les performances (en mettant en danger la santé de celui qui en fait usage), il ne peut pas faire d’un coureur moyen un super champion. Il ne devrait pas non plus servir le prétexte pour sous-estimer les performances. Comme dit notamment Bernard Hinault « Le dopage ne permet pas de transformer un bourricot en cheval de course ». Si avec une préparation sérieuse un coureur moyen peut s’améliorer, il ne deviendra pas un super champion en se dopant.
Eddy Merckx, considéré comme étant le plus grand par ceux de sa génération alors que pour la génération précédente le plus grand c’est Fausto Coppi, tandis que Jacques Anquetil, Bernard Hinault ainsi que quelques autres ont été aussi des champions au-dessus du lot, sont-ils irremplaçables ?
Le cyclisme de compétition est devenu scientifique. Le progrès est désormais sur toutes les facettes de la discipline. Du point de vue mécanique, le vélo de course par lui-même est de plus en plus rigide et léger, le cadre est en titane, les rayons (lorsqu’il y en a, car les roues sont parfois lenticulaires) sont également de plus en plus rigides et légers, les pneus sont avec ou sans chambre, ils remplacent les boyaux, les dérailleurs deviennent électriques et les freins à disque, etc. Afin de donner une bonne image de la France au monde entier, pour les épreuves importantes comme le Tour de France, les routes sont refaites à neuf avant le passage des coureurs. La diététique tient le haut du pavé, l’entrainement et les compétitions médicalement assistées avec un service médical permanent pour chaque équipe. La télévision et l’ordinateur sont dans la voiture du directeur sportif lui-même en contact direct avec ces coureurs grâce aux oreillettes, le même directeur sportif dans sa voiture est autorisé à pousser le coureur à la prise des innombrables bidons qui aussitôt pris par le coureur sont jetés dans la nature afin de pouvoir en reprendre d’autres et ainsi bénéficier d’un nouveau relai à l’américaine. Après un arrêt pipi, les coureurs sont autorisés à revenir dans le peloton, protégé par les voitures suiveuses si bien qu’il est désormais moins fatiguant et plus avantageux de trouver un prétexte pour bénéficier de l’aspiration des voitures que de rouler dans le peloton.
C’est bien entendu un secret de polichinelle, « Le suivi médical » organisé par le médecin des équipes permet aux coureurs de dépasser les limites humaines en restant dans les normes légalement permises afin d’être négatifs aux contrôles antidopage qui pourtant sont de plus en plus draconiens.
Tout cela fait qu’il n’y a plus de surprise voire même de coup de théâtre qui nous faisait vibrer dans l’attente d’une arrivée indécise. Nous savons désormais quasiment dès le départ qui sera le vainqueur.
Tout le monde le sait le dit et le pense, le vélo c’est extrêmement dur. Même si au plus haut niveau, c’est désormais un sport d’équipe, le cyclisme reste un sport individuel puisqu’aucun coureur ne pédale à la place de l’autre. Le public ne s’y trompe pas, car en montant sur une bicyclette chacun peut mesurer par comparaison que les champions sont gratifiés de capacités physiques exceptionnelles. Leurs exploits marquent les esprits. On est d’autant plus étonné qu’aux arrivées on les voit frais et dispo, le sourire aux lèvres sans présenter une ombre de fatigue en répondant aussitôt aux questions des journalistes. Bien sûr, ce n’est qu’apparence.
Des journalistes ont tenté à plusieurs reprises de rendre un coureur aussi populaire que le fût Raymond Poulidor mais c’était mission impossible, ce dernier était irremplaçable en raison d’une époque aujourd’hui disparue. Il y a bien eu l’exemple de Richard Virenque, mais en 1998 ce fût l’affaire Festina, qui a cassé la tentative de mythe. D’ailleurs le dopage que l’on sait existant depuis toujours dans tous les sports n’est contrôlé et mis en pleine lumière uniquement dans le vélo semant la suspicion en brisant les rêves des spectateurs et participant au désintérêt, à la démystification de notre sport.
Ainsi, je propose de voir tout cela en détail en comparant le cyclisme d’aujourd’hui avec celui d’hier. Le but de ce pamphlet est de comparer l’évolution du sport depuis ses origines et non de comparer les champions de générations différentes comme on en a parfois la tentation.
De nos jours, dans le cyclisme professionnel de compétition, tout est de nature à supprimer le suspens et les imprévues qui faisaient le charme et la popularité des coureurs d’avant. Si par exemple, après avoir été le favori de tous, Raymond Poulidor (pour ne citer que lui) avait bénéficié des mêmes avantages que les coureurs d’aujourd’hui, il aurait sans doute gagné un ou plusieurs tours de France mais il n’aurait pas autant touché le cœur de français.
Il l’a écrit lui-même dans l’un des nombreux ouvrages qui lui sont consacrés, ayant pour titre : «Mes 50 tours de France » aux Éditions Jacob-Duvernet écris avec la collaboration de Serge Laget et Jean-Paul Vespini à la page 261, on lit ceci1 :
« Aujourd’hui les médecins qui poussent les coureurs à se doper sont très en avance, tout est devenu trop médicalisé, trop scientifique, et le cyclisme y perd la tête. Je suis favorable à un grand coup de marche arrière, à un tour plus humanisé, plus romantique, sans oreillette, sans coureurs autorisés à s’abriter derrière la voiture du directeur sportif pour retourner dans le peloton après un ennui mécanique. À mon époque, les commissaires dressaient le barrage, on luttait seul contre le vent pour revenir et quelquefois on n’y parvenait pas. Et la règle de conduite du peloton ne s’embarrassait pas de préjugés, c’était celle de l’attaque systématique dès qu’un leader était victime d’une crevaison, ou d’une chute… C’était la guerre et c’est ce cyclisme de l’offensive, de douleurs et de courage que j’aime et que je voudrais revoir. Aujourd’hui les cyclistes terminent leur course, ils rejoignent leur hôtel avec leur téléphone portable sans cesse allumé ou leurs écouteurs branchés sur les oreilles et ils ne se parlent même plus entre eux. Ils n’analysent même pas la course, ils sont dans leur monde. Forcément le directeur sportif a tout pensé à leur place et leur donne les ordres dans l’oreillette… »
Jonathan Dupriez 7 juillet 2018 a écrit un article très intéressant que l’on peut lire sur le site internet State.fr intitulé :
Le voici ci-dessous2.
« C’est un vieil adage du peloton professionnel : « un bon coureur est un coureur qui a le nez en l’air». Pour gagner ou servir son équipe, le cycliste doit être animal, ses sens en éveil pour flairer le bon coup ou tirer profit du moindre fait de course pour jouer sa carte. Mais avoir de l’instinct, c’est aussi sentir quand vient le bonjour.
Christophe Riblon, ancien coureur professionnel chez AG2R La Mondiale en sait quelque chose : « Les deux plus grandes victoires de ma carrière j’avais l’impression qu’elles étaient écrites », explique-t-il.
En juillet 2013, il remporte la 18ème étape du Tour de France reliant Gap à l’Alpe d’Huez, une arrivée mythique au sommet.
Au Briefing matinal, son directeur sportif donne comme consigne d’aller chercher la victoire d’étape : « Jean-Christophe Péraud s’était facturé la clavicule la veille au contre la montre entre Embrun et Chorges, on n’avait plus de leader, alors j’étais leur meilleure carte », se remémore-t-il.
Christophe Riblon parvient à se glisser dans la bonne échappée. Il se retrouve aux côtés de dix coureurs, dont Sylvain Chavanel, l’Italien Moreno Moser ou l’américain Tejay Van Garderen, qui lui semble « bien plus fort que lui ».
Pourtant, sur le vélo, le coureur d’AG2R a de bonnes sensations et son flair ne le quitte pas de l’étape. Il analyse ses compagnons d’échappée un à un, et observe « qui va vite en descente, qui grimpe bien, qui a l’air fatigué et qui ne l’est pas du tout en prenant des relais ».
Survient le moment tant attendu : la montée finale de l’Alpe d’Huez et ses vingt-et-un virages. Van Garderen s’envole, tandis que Christophe Riblon est à la peine. À cinq kilomètres de l’arrivée, il se croit bon deuxième lorsqu’il s’aperçoit que Tejay Van Garderen explose. « Il est cuit, il est mort », lui lance à la fenêtre de la voiture son directeur sportif revenu à sa hauteur. Christophe Riblon dépose Van Garderen et lève les bras au sommet.
Obnubilés par les capteurs de puissance
Cette course-là, le coureur d’AG2R l’a faite aux « sensations », et surtout sans rien à son guidon. Car depuis quelques années, le peloton professionnel a vu se généraliser l’utilisation en course des capteurs de puissance. « Cà n’existait qu’à l’entrainement, lorsque j’étais pro » confie le coureur d’AG2R, récemment devenu ambassadeur pour Amaury Sport Organisation (ASO), organisateur du Tour de France.
Ces bijoux d’électronique permettent aux cyclistes d’obtenir en temps réel des statistiques très poussées sur la puissance qu’ils développent au pédalage, le nombre de rotations du pédalier par minute ou encore leur rythme cardiaque. Ils peuvent donc parfaitement savoir où ils en sont physiquement. De l’aveu d’une huile des instances internationales du cyclisme, les coureurs « en sont obnubilés ».
D’anciennes gloires du peloton sortent même de leur silence pour s’élever contre les capteurs en course. « À l’heure actuelle, les coureurs s’empêchent d’attaquer dès lors qu’ils ne voient pas ces indicateurs, pestait Alberto Contador dans les colonnes de Marca, en octobre 2017. Si vous êtes dans un col, que vous savez que vous ne pouvez pas dépasser les 400 watts et que l’équipe Sky mène le peloton à 400 watts, vous n’allez pas attaquer, parce que vous allez exploser les deux kilomètres suivants. »
Pour Olivier Haralambon, ancien cycliste devenu philosophe, « on vit à une époque où les coureurs sont de plus en plus éduqués et compétents ». Pour l’auteur du « Coureur et son ombre », le corps des cyclistes et leur effort sont devenus des « objets de savoir scientifique » très pointus. Un progrès qui s’accompagne toutefois « d’un éloignement de soi-même ».
Olivier Haralambon déplore un nivellement par le bas des courses : « Le fait que toutes les informations soient à la portée de tout le monde, ça rend les courses beaucoup plus prévisibles. C’est devenu très difficile de piéger un leader ».
Échanges codifiés
… cette systématisation de la technologie embarquée fait grincer des dents certaines figures du cyclisme national, qui dénoncent des « dérives ».« On sait que les capteurs de puissance permettent aux coureurs de maîtriser leur effort, mais aussi qu’il y a échanges codifiés entre le capteur et la voiture qui suit ».
Autrement dit, les directeurs sportifs pourraient obtenir en temps réel, dans leur voiture, la télémétrie complète de leurs coureurs et ajuster la stratégie en fonction de leur condition physique…
Championnat de France sans oreillette
Dans le Championnat de France de 2018 à Mantes-la-Jolie, Johan Le Bon rouleur de 27 ans de la formation Vidal Concept Cycling Club, joue le podium. Il parvient à se hisser dans le groupe de tête avec de solides concurrents, Anthony Roux et Arthur Vichot ou encore Waren Barguil, sacré meilleur grimpeur du Tour2017…
Ce jour-là, Johan Le Bon a senti le filon « à la pédale ». Il n’avait de toute façon pas le choix : pour la cinquième année consécutive, la course en ligne des Championnats de France se court sans oreillettes, puisqu’elles sont interdites.
« C’est sûr que ça aide à contrôler les courses, surtout pour ajuster la tactique. La personne dans la voiture donne des indications sur les écarts » remarque le coureur de Vital Concept…
« Il y a un briefing dans le bus, on l’applique et on le fait évoluer en fonction du déroulé de la course, c’est tout », résume Ludovic Sylvestre, vice-président de la Fédération française de Cyclisme (FFC) chargé des épreuves sur route. Les organisateurs se félicitent de retrouver un spectacle qui « reconnait la tactique personnelle des coureurs. Pour Ludovic Sylvestre, l’interdiction de l’oreillette a rendu les courses plus « dynamiques et spontanées », sauf pour certains jeunes biberonnés, qui « se trouvent parfois un peu seuls ce jour-là ».
Et les retours des coureurs semblent très positifs. Lors de l’épreuve en ligne pour le maillot tricolore, le cadre de la fédération note que les coureurs « apprécient leur liberté de manœuvre ».
Les organisateurs du championnat national ne semblent pour le moment pas disposés à revenir sur leur choix, vote conjointement avec la ligue nationale de cyclisme, et majoritairement louée par les directeurs sportifs…
L’ÉQUIPE Vélo magazine
Publié le 12 juillet 2018 mis à jour le 28 novembre 2018lu sur internet3
Auteur GillesComte
Nombreuses sont les chutes en ce début du Tour 2018. Romain Bardet a même perdu un de ses fidèles lieutenants au bout de quatre jours de course. Certains observateurs pointent du doigt les oreillettes qui, au lieu de renforcer la sécurité, rendraient la course plus dangereuse.
C’est Axel Dumont qui a quitté le Tour au bout de quatre jours de course. En cause, une chute à moins de six kilomètres de l’arrivée à Sarzeau, avec pour bilan une fracture de l’os de l’oreille interne et une autre de la clavicule. C’est un équipier de moins pour Romain Bardet. Fâcheux quand on sait que les équipes ont été réduites à huit coureurs, contre neuf les années précédentes. Resté à la maison, l’un des coureurs emblématiques d’AG2R-La mondiale, Samuel Dumoulin, s’est fendu d’un tweet d’où pointait une colère rentrée.« Quand je vois l’état de mon pote Axel Dumont et le nombre de chutes, je propose de supprimer les oreillettes la 1ère semaine du Tour. Vu les scénarios quotidiens, cela n’aura pas une grande influence… »
À bientôt 38 ans, après seize années de carrière, le vaillant Dumoulin ne s’embarrasse pas de circonvolutions, ni de précautions, pour livrer le fond de sa pensée, à l’inverse de beaucoup de coureurs qui n’en pensent pas moins mais qui n’osent jamais livrer une opinion différente de celle exprimée par leurs directeurs sportifs, lesquels sont résolument pour l’oreillette en évoquent les mêmes raisons de sécurité.
Les oreillettes leur assignent un rôle (plus ou moins vrai…) de stratège, leur garantissant influence et importance, et valorisent leur fonction. Bref, elles font d’eux autre chose que de simples conducteurs de voiture au cul d’un peloton, mais pour couper court aux reproches qui les rendent responsables d’une course de plus en plus formatée et prévisible, ils sortent l’argument ultime (et en théorie non discutable) de la sécurité. De fait, ils peuvent se servir du livre de route (le road-book) pour signaler à l’avance les changements de direction et donc les potentiels dangers liés au vent de côté, et surtout, ils peuvent relayer les informations données par Radio Tour, entre autres la présence d’aménagements routiers tels que ralentisseurs, terre-pleins centraux et ronds-points.
Seulement voilà, certains dangers répertoriés incitent les directeurs sportifs à demander à leurs coureurs de remonter au plus vite à l’avant, histoire de ne pas être pénalisés par d’éventuelles cassures, ou de se trouver dans le ventre mou du peloton, réputé (à tort ?) plus exposé aux chutes massives.
C’est la même consigne qui arrive simultanément par cet appendice collé aux oreilles et, fatalement, les flux remontants occasionnent des phénomènes d’entonnoir, donc de chutes. C’est contre ces mouvements téléguidés et irréfléchis que Sam Dumoulin s’insurge. Sans les oreillettes, les coureurs retrouvent des réflexes de… coursiers, comme on les appelle quand on veut mettre en avant l’esprit de compétition et le bagage technique qui va avec. Ils « lisent » le terrain, se fient davantage à leur instinct, flairent les dangers, comptent davantage les uns sur les autres pour signaler les imprévus, notamment par une codification gestuelle.
Les oreillettes, à l’inverse, les enferment dans une bulle auditive, détournent parfois même leur attention. Sans elles, ils réapprennent à écouter. Les bruits « parlent ». Un étrier de frein qui se resserre sur la jante émet un son caractéristique qui agit comme un signal grâce auquel on anticipe et régule son propre freinage. Combien de chutes auraient pu être ainsi évitées si un coureur ne s’était pas retrouvé en situation de bloquer sa roue, faute d’avoir perçu le ralentissement en train de s’opérer ? Alors, oreillettes ou pas ? Le débat n’en finira jamais.
L’express
lisible sur internet
Tour de France : Les oreillettes ont-elles tué la course
Antoine Fillet publié le 7/7/20124
Lancées par Motorola en 1990 et adoptées par l’ensemble du peloton en 1996, les oreillettes ont souvent été accusées de rendre les courses formatées. L’UCI a décidé de les interdire à partir de 2014. Qu’en pensent les coureurs ?
Verrouillée à double tour. La 99ème édition du Tour de France laisse peu de place aux surprises depuis le départ de Liège, le dimanche 1er juillet 2012. Chaque jour, le même scénario : des coureurs échappés depuis plusieurs heures se font rattraper à quelques kilomètres de l’arrivée par un peloton groupé lancé à pleine vitesse vers un sprint final qui fait le bonheur de commentateurs hystériques. Un grand classique.
Et si finalement, tout cela était la faute des oreillettes qui rendraient le cyclisme professionnel plus formaté, plus calculé, moins surprenant et donc moins excitant ? « Il faut rendre la course aux coureurs » assurait Marc Madiot, le manager de la Française des jeux, dans une interview donnée au Figaro il y a quelques mois. « Redonnons le goût de l’initiative. Le coureur intelligent ne doit pas être desservi. »
L’Irlandais Stephen Roche, vainqueur du Tour de France en 1987 et aujourd’hui membre de l’Union Cycliste Internationale, penche lui aussi pour l’interdiction des oreillettes. « Je ne suis pas contre la technologie, mais il y a certaines choses qui n’ont pas leur place dans ce sport populaire, pestait récemment dans un entretien accordé au magazine Bike Radar. Depuis quelques saisons, on dirait que nos cyclistes sont des zombies, sans cervelle, qui donnent tout leur crédit à leurs directeurs sportifs présents à l’arrière. »
Une analyse globalement partagée par Nicolas Vogondy, trois fois champion de France.« Dans leurs voitures, les directeurs sportifs ont la télé, la radio, le GPS. Ils ont toutes les infos et peuvent prévoir le scénario idéal, regrette le Blésois de 34 ans. La course devient calculée. Surtout dans les étapes de plat, où le peloton contrôle les échappées. En montagne, c’est différent : ce sont les jambes qui font avancer le vélo, pas la technologie. »
La technologie au service de la sécurité
Les défenseurs de l’oreillette dans le cyclisme ont un argument choc : la sécurité. « Sur les championnats de France, l’oreillette n’est pas autorisée, explique le sprinteur Romain Feillu. Les directeurs sportifs remontent dans le peloton avec les voitures pour donner leurs consignes. C’est dangereux.
« L’oreillette permet de mieux anticiper les pièges d’un parcours. Avec les oreillettes, on nous prévient s’il ya du sable ou des cailloux sur la chaussée », explique Nicolas Vogondy. « Aujourd’hui, on peut faire avec la technologie alors pourquoi on s’en priverait ? C’est un outil de travail. La communication fait partie de la course », note Christophe Moreau, qui a participé à quinze Tours de France de suite entre 1996 et2010.
Pascal Chanteur, président du syndicat des coureurs français, s’agace quand on le lance sur le sujet. « Moi, j’ai connu avec et sans oreillette. Je préfère avec, insiste-t-il. Aujourd’hui, dans quel sport il n’y a pas d’entraineur au bord du terrain ? Dans le football, le basket-ball, on donne bien des consignes aux joueurs, non ? Pourquoi on s’en prend toujours au cyclisme ? »
« Avoir quelqu’un qui vous hurle dans les oreilles pendant toute la journée peut cependant être pénible. C’est vrai qu’on a parfois envie de les éteindre quand çà gueule trop, avoue Romain Feillu. « Elle est conseillée mais pas obligatoire comme le port du casque ou la ceinture de sécurité, précise Nicolas Vogondy. Bon, après si on l’enlève et qu’on se fait piéger, c’est sûr qu’on va se faire tirer les… oreilles. »
Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions, est mécontent du spectacle proposé pendant le Tour de France. « J’ai constaté qu’à cause des oreillettes, on ne faisait plus la différence entre les coureurs intelligents, courageux, qui montrent du panache et les bravaches et les idiots, expliquait-il en 2009. C’est comme si on demandait à un joueur de foot de ne pas marquer devant le but. On dit que le dopage gâche le Tour, mais ce qui gâche surtout le vélo, c’est çà ! »