La fragilité de la démocratie - Jean-Yves Duthel - E-Book

La fragilité de la démocratie E-Book

Jean-Yves Duthel

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David Payne a eu une vie exceptionnelle. Parti de Grande-Bretagne dans les années soixante-dix, il arrive au Québec après un détour religieux par Rome pendant plusieurs années. Cet anglophone prend ensuite fait et cause pour un Québec indépendant. Dès lors, il est au centre du pouvoir au Parti Québécois pendant trente ans. Ses interventions se multiplient dans divers pays parmi lesquels le Kosovo, Haïti, la Somalie, l’Arménie, l’Irak et l’Afghanistan. Entre guerres et spoliation, misère et religion, mais aussi entre désir de démocratie et de liberté, David établit les bases légales et constitutionnelles de pays sortis du chaos et également de ceux qui, après avoir goûté à la liberté, sont retombés sous le joug des dictateurs.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Il y a cinquante ans, Jean-Yves Duthel émigrait au Québec. Diplômé en Sciences Po, il a d’abord été journaliste au Québec puis a accompagné dans son combat politique le Parti Québécois. Membre du cabinet du ministre Bernard Landry, ce dernier le nomme, lorsqu’il devient Premier ministre, secrétaire général adjoint au conseil exécutif du Gouvernement du Québec. Après 2004, Jean-Yves Duthel agit en tant que consultant indépendant en matières gouvernementales et stratégiques. Il est l’auteur de Deux hommes et trois couffins paru en 2012 aux éditions Louise Courteau, Québec solidaire, à vendre publié en 2017 par les éditions Les Intouchables et Bernard Landry, L’héritage d’un Patriote conduit en 2019 par les éditions Librex.


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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Jean-Yves Duthel

La fragilité de la démocratie

David Payne ou l’homme aux trois vies

© Lys Bleu Éditions – Jean-Yves Duthel

ISBN : 979-10-377-7406-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À la mémoire de Li Wei.

Pour Emily et Sarah Payne.

Prologue

Il y a des vies exceptionnelles, et il arrive que ceux qui la vivent n’en aient même pas conscience. Celle de David Payne répond à l’exception. Comment expliquer autrement que, par un hasard incroyable, ou une destinée tout aussi rare, un homme, d’origine irlandaise, citoyen britannique par naissance, et catholique – donc minoritaire dans son propre pays –, se retrouve au Québec, partisan et acteur de l’indépendance de cette terre francophone ? Comment un anglophone immigré devient-il un des personnages qui font de la Loi 101 la base de la reconquête de leur identité par les Québécois dans les années 70 du siècle passé ? Comment arrive-t-on à ce que ce même individu se consacre, en tant qu’élu du peuple, à toute la dialectique constitutionnelle d’un Québec entre espérance et résiliation ? Puis le rendez-vous historique des Québécois avec leur destin scellé, même temporairement, par une défaite, si mince, mais défaite néanmoins, pourquoi et comment David Payne deviendra-t-il ce missionnaire d’agences internationales dévouées à l’aide au développement pendant plus de quinze ans ? Et, si hasard il y a, ou destinée il peut y avoir, avouons qu’ils ont œuvré d’une façon prodigieuse en ce qui le concerne. Ce voyageur de la démocratie, cet avocat de la souveraineté des peuples, a été présent et maître d’œuvre aux moments les plus cruciaux dans des pays déchirés par des guerres civiles, soit des catastrophes naturelles, ou encore héritiers d’une histoire inachevée. De Haïti à la Somalie, en passant par le Kosovo, l’Irak, l’Afghanistan, l’Arménie, la Côte d’Ivoire ou le Pakistan, il a été un acteur avec comme unique arme sa foi en la justice et en la loi.

Cette obsession du droit des peuples à leur souveraineté aura été le seul fil conducteur de toute sa vie. Et c’est au Québec qu’il a bâti sa conviction. Peu de Québécois connaissent son existence, encore moins ses actions. Lorsqu’un peuple est à la recherche de ses héros, il lui suffirait souvent de simplement regarder vers ses propres enfants, et il arrive aussi qu’ils ne soient pas nés dans le pays qu’ils ont choisi comme patrie.

C’est cette vie exceptionnelle, celle de David Payne, que ce livre veut honorer.

Première partie

Devenir Québécois

Chapitre 1

Tous les chemins mènent à Rome… et à Montréal

Le 30 octobre 1971, David Payne débarque de l’avion à Dorval avec un permis de séjour valable et 400 $ en poche. Il vient passer, selon lui, une année sabbatique. À Manchester, en Angleterre, quelques mois auparavant, il s’était adressé au consulat du Canada (le Québec n’avait pas encore de bureaux d’immigration à l’étranger, hors Paris).

« L’agent d’immigration, auquel j’avais dit que je voulais aller au Québec, me dit, en anglais bien sûr :

— Que voulez-vous faire au Québec, on y parle français !

— C’est justement pour cette raison, je veux parfaire ma connaissance de cette langue.

— Vous êtes sûr de vous ? Vous seriez mieux ailleurs, tout le reste du Canada est anglophone. »

Il obtient ses papiers et peut partir pour le Québec. En arrivant à Dorval, le Service d’accueil des voyageurs étrangers (SAVI, inexistant aujourd’hui) lui trouve une chambre dans une maison sur la rue Sherbrooke au coin de Berri. À l’extérieur de l’aéroport, il voit un autobus dont le panneau annonce « Sherbrooke ». Il y embarque sans savoir que ce bus allait vers la ville de Sherbrooke, en Estrie. David, qui avait étudié le plan de Montréal, se rend compte que le véhicule traverse le fleuve Saint-Laurent. En s’adressant au chauffeur et en lui montrant l’adresse écrite de sa destination, il se rend compte de son erreur. Le chauffeur le fait débarquer à Longueuil.

« J’ai donc bien compris qu’il y avait une ville du nom de Sherbrooke et la rue Sherbrooke à Montréal ! »

Bien avant son arrivée au Québec, David Payne avait, à Rome, rencontré un psychiatre québécois déjà prestigieux, du nom de Camille Laurin. À cette époque, 1968-1969, notre personnage étudiait à l’Université pontificale.

Issu d’une famille britannique d’origine irlandaise et, bien entendu, catholique, David montre des facultés brillantes à l’école de Middlesbrough, une ville industrielle du nord Yorkshire en Angleterre. Il poursuit ses études primaires à l’école de sa ville et les études secondaires dans un lycée catholique, le St Mary’s College. À 15 ans, il part au Collège Ushaw, à une centaine de kilomètres de chez lui. Cette institution n’accueillant que les meilleurs. Ce Collège est aussi le Petit Séminaire catholique pour la région. Et, étant donné ses performances, ses études lui sont offertes gratuitement. On se doute bien que les Pères catholiques ont en tête de former de futurs prêtres dans leur collège. Il est assez intéressant de constater que dans les sociétés catholiques de l’époque survivait, au Québec comme en Angleterre, cette tradition que, dans une famille nombreuse, l’un des garçons devenait prêtre et, souvent, l’une des filles, sinon plus, devenait religieuse. C’est exactement le schéma chez les Payne. Une des sœurs de David deviendra religieuse dans la mouvance de mère Térésa et servira au Kenya notamment. Mais au Collège, David se plaît. Il aime les études et le sport. Ailier avant-droit dans l’équipe de soccer, champion de boxe qui se rend jusqu’aux quarts de finales européennes à Londres alors qu’il n’a que quinze ans, le jeune homme brille sur tous les fronts. Le sport restera un élément essentiel de son équilibre personnel, toute sa vie d’ailleurs. Comme marathonien, il brillera longtemps.

« J’étais boursier, choisi par l’évêque de notre diocèse, et j’étudiais avec quatre cents autres garçons en résidence. Latin, grec ancien, hébreu, sciences pures, beaucoup de sport et une discipline de fer, voilà le quotidien. »

Du collège, il passa directement à l’Université Grégorienne, à Rome. Là, il eut son premier contact avec des professeurs québécois de réputation internationale : les professeurs René Latourelle et Bernard Lonegan, entre autres.

David Payne arrive à Rome en 1963, avec un de ses amis maintenant cardinal anglais, Vincent Nichols. Ce n’était pas son premier voyage sur le continent puisqu’il avait participé à plusieurs échanges d’étudiants en France où sa famille avait tissé des liens avec une famille française dans le Lyonnais. C’est ainsi qu’il avait passé plusieurs étés en France, mais jamais il n’était allé en Italie. C’était pour sept ans.

« La première année, j’étais pas mal nostalgique de l’Angleterre. En Italie, le style de vie et les mentalités sont si différents de mon pays natal, mais j’adorais mes études pour ma maîtrise en philosophie. »

Pour un Anglais du nord du pays, l’Italie c’est la chaleur, le ciel bleu et la désinvolture. Déjà, partir du Royaume-Uni en train jusqu’à Rome était une aventure en soi. Les paysages sont si différents lorsqu’on traverse la France, puis les Alpes, et enfin l’Italie. À l’Université, chaque étudiant a sa propre chambre, la participation au cours est laissée à la liberté de chacun, ils peuvent aller et venir à leur guise en ville. Le couvre-feu du soir est très aléatoire, mais il ne faut pas exagérer, évidemment. Les études se font uniquement en latin la première année. Les étudiants étrangers étaient répartis dans des collèges nationaux : le collège français, américain, canadien, etc. L’enseignement y était essentiellement donné par les Jésuites. L’Université pontificale de Rome, que l’on soit croyant ou non, est une des meilleures au monde, et la réputation des Jésuites dans l’enseignement n’est plus à faire. En dépit du fait que ce soit un enseignement chrétien, à la base, on y expose toutes les idées qui parcourent l’Histoire et le monde. Même le marxisme y est débattu ! C’est dans ce milieu que notre homme a fréquenté de futurs cardinaux.

« J’étais, à l’époque, et à la suite du Concile Vatican II, initié par le pape Jean XXIII, persuadé que ma génération pouvait changer l’Église, la moderniser quoi ! »

Il soufflait effectivement, au début des années soixante, un vent de quasi-révolution dans l’Église catholique. On mettait sur la table, au Concile comme dans les synodes, tous les sujets contentieux : célibat des prêtres, progressisme de l’Église avec les prêtres-ouvriers en Amérique latine, prosélytisme, œcuménisme, etc. Les études, c’était aussi le sport, « mens sana in corpore sano » selon l’adage latin connu : foot et cricket pour David. Théâtre, activités culturelles multiples, Rome s’offrait comme un joyau, et quoi de mieux pour profiter de cette ville que de faire comme les jeunes Italiens : se procurer un scooter. Ce qu’il fit. En même temps, chaque étudiant devant remplir une tâche, il est aussi le chauffeur du Cardinal William Heard, un Écossais qui, lui, vivait dans un palais, évidemment. L’italien devient bien vite la seconde langue du jeune étudiant, mais il sera toujours en mesure de discuter en latin, jusqu’à aujourd’hui. Une, parfois deux fois par année, les étudiants partaient visiter une région d’Italie. Ainsi, David s’est familiarisé tant avec Florence que Venise ou Capri !

« J’avoue que j’avais certaines réserves avec l’idée de l’abstinence ! Mais je n’étais pas encore prêtre », de se remémorer David. Mais à ce sujet, pas moyen de lui tirer des confidences.

En 1969, David devient secrétaire général du Synode des évêques de Grande-Bretagne. Créé par Paul VI, ce genre d’assemblée devait en fait conseiller le souverain Pontife. Et à ce titre, David devait souvent rencontrer Paul VI.

« Le Pape, se remémore notre sujet, était foncièrement un homme bon. Pur produit du catholicisme italien élitiste, ancien archevêque de Milan, secrétaire d’État sous la papauté précédente, c’était un homme à l’esprit ouvert et très compatissant. Brillant intellectuel, discuter avec lui, répondre à ses questions, était un commerce agréable. Nullement enclin à quelque attitude de supériorité, mes rencontres avec lui restent un de mes meilleurs souvenirs. »

Pourtant, dans ce microcosme du Vatican, véritable théocratie, les forces conservatrices que Jean XXIII avait affaiblies reprenaient lentement le dessus. Qu’un Pape, comme le fit Paul VI, puisse offrir la tiare papale au profit d’organisations luttant contre la pauvreté était le parfait exemple de ce qui pouvait choquer les conservateurs, gardiens du temple traditionnel du pouvoir de l’Église. Déjà, un certain cardinal polonais, Carol Wojtyla, alors archevêque de Cracovie, était un personnage avec beaucoup d’ascendant dans ce que les vaticanistes appelaient « l’aile conservatrice ». Son secrétaire personnel était, d’ailleurs, le supérieur hiérarchique de David Payne.

Peu de temps après son arrivée à Rome, David Payne fait la connaissance d’une famille juive de Boston.

« Jules Kadish était vice-président de Ratheon, une grande compagnie électronique américaine, et il était posté en Italie. Son épouse, Faigie, était psychiatre et travaillait pour la Croix-Rouge basée à Genève. C’était un couple exceptionnel, accueillant. Tous les deux étaient brillants et discuter avec eux, de n’importe quoi, était une aventure enrichissante. »

C’est à travers son amitié avec le poète irlandais, Desmond O’Grady, rencontré à Rome, et ami du très connu poète américain Ezra Pound, que le lien s’est créé avec les Kadish.

« À Spoleto, à l’occasion du festival international, j’ai accompagné Desmond. C’est là qu’il m’a présenté Faigie et Jules. Une de leurs filles, d’ailleurs, me plaisait pas mal ! » À partir de ce jour s’est noué une amitié forte, interrompue seulement par le décès du couple il y a quelques années. La maison et la table des Kadish à Rome étaient toujours remplies d’intellectuels du monde entier. Un jour, un dénommé Camille Laurin, psychiatre québécois, était là. Le Dr Laurin et Faigie Kadish étaient des amis depuis leurs études communes à l’université de Boston, dans les années cinquante. À l’époque, la psychiatrie n’avait pas bonne presse dans les universités québécoises encore dominées par l’Église catholique. Et comme beaucoup de Québécoises et de Québécois de sa génération, dont plusieurs seront de grands indépendantistes, Camille Laurin est parti étudier à l’étranger. Ce dernier, très croyant du reste, mais déjà partisan d’une société laïque, était également un homme de vaste culture, comme ses amis de Boston.

« La rencontre avec cet homme fut déterminante dans ma vie, de dire David. Dès le moment où nous avons échangé dans cet appartement du Trastevere, ce fut un choc intellectuel majeur pour moi, et tout cela en anglais, car le Dr Laurin parlait excellemment cette langue, et qu’à l’époque, mon français était balbutiant. »

Selon les souvenirs de David, ce premier échange s’est poursuivi pendant trois jours, alors que Rome était submergée par des manifestations monstres.

« Nous étions dans l’après-mai 68 et, pour nous, le monde devait changer. Je me retrouvais sur la même longueur d’onde que le Doc. Évidemment, c’est alors qu’il m’a parlé du Québec et de son indépendantisme. Je n’avais jamais su plus que le fait qu’une des provinces du Canada était francophone et surtout très catholique. La question québécoise était fascinante. Qui plus est, exposée par un psychiatre catholique croyant ! »

Toutes ces soirées bien arrosées étaient aussi enfumées, car à peu près tout le monde s’y mettait. Camille Laurin a transmis à David une invitation à venir au Québec. Il allait néanmoins se passer trois années avant qu’il y réponde.

Le cursus de David devait l’emmener vers la prêtrise. Licence en philosophie et en théologie, en 1969, il est prêt.

« Je suis ordonné prêtre le jour même où les Américains ont marché sur la lune, le 21 juillet 1969. »

L’ordination se passe dans sa ville natale en Angleterre, où il va passer quelques jours avant de revenir à Rome.

Pendant ce temps, au Vatican, l’Église s’enlise et retourne peu à peu vers sa tradition conservatrice. Cela va radicalement changer les perspectives de David Payne.

« À Rome, au cœur de la machine pontificale – et c’est une énorme machine ! – l’on sent nettement le retour du bâton. Il y a une régression des positions de l’Église dans le domaine social et institutionnel. Le Vatican redevient un camp retranché pour lequel il n’y a que deux ennemis : le communisme et la libéralisation des mœurs. Jean XXIII, en ouvrant le concile Vatican II, avait employé une métaphore : “Ouvrons les fenêtres et laissons entrer l’air.” Nous étions loin de cela dans les années 70. »

Il lui faut changer d’air. Qui plus est, ses supérieurs le poussaient fortement à embrasser la carrière diplomatique vaticane. Après mûre réflexion, David se refusait à emprunter cette voie. Toutes les idées qui avaient parcouru le monde dans le sillage des événements de mai 68 en France, puis ailleurs, trouvaient leur écho chez le jeune licencié. Il ne s’était d’ailleurs pas gêné de participer à toutes les manifestations d’étudiants qui avaient aussi marqué l’Italie à cette époque.

Il était de la génération montante. Son parcours jusqu’à ce jour était plutôt traditionnel pour un garçon issu d’une famille d’origine irlandaise, mais vivant, en minorité, dans un pays anglican. Il avait bénéficié d’un milieu familial plein d’amour et de solidarité. Troisième enfant d’une fratrie de dix, David était né en 1944, alors que l’Angleterre était encore en pleine Seconde Guerre mondiale. Son père, Edward, dont les grands-parents étaient venus d’Irlande, était directeur d’une école catholique irlandaise. Avec son épouse, Maureen, bien sûr Irlandaise d’origine comme lui, et enseignante de surcroît, la famille Payne s’est forgée sur les valeurs du travail, de l’amour et de la foi. Sa mère élevait cette famille nombreuse tout en enseignant. C’est dire combien dans cette famille l’éducation tenait une place centrale. Comme enfant, il a vécu dans un environnement d’après-guerre, sans luxe, mais sans contingences dramatiques. Le boom économique, avec le Plan Marshall américain, allait redonner à la Grande-Bretagne une économie en pleine progression. Et l’arrivée au pouvoir du Parti travailliste devait orienter ce pays vers une plus large justice sociale.

« Je ne suis pas un enfant du baby-boom, mais une génération juste avant. Nous devions vivre dans un monde sans guerre, un monde plus juste et dans un réveil technologique inimaginable. Je suis toujours resté très lié à ma famille, reconnaissant de tous les efforts consentis par mes parents pour tous leurs enfants. »

Mais en revenant en Angleterre en 1970, le jeune prêtre est vite déçu :

« J’ai réalisé que les avancées de Vatican II étaient les choses du passé. J’ai trouvé une Angleterre, au niveau de ma religion, cloîtrée, enfermée dans des traditions vieillottes et rétrogrades. J’avais toujours la foi, mais l’institution catholique me déplaisait. »

Avant d’accepter un poste dans le clergé, il décide de prendre une bonne année sabbatique. Avec son bagage intellectuel acquis à Rome, David Payne était très sûrement destiné à être nommé évêque.

« C’était effectivement la voie qui m’attendait », dit-il. Et l’on peut imaginer que, comme plusieurs de ses amis et condisciples d’alors, nous aurions aujourd’hui un monseigneur Payne officiant dans une des grandes villes anglophones du monde !

« En arrivant à Montréal, avais-je le sentiment de commencer une autre vie ? Non, dans ma tête j’allais passer une année sabbatique et après on verrait bien. »

Le destin, lui, avait déjà décidé !

Chapitre 2

Le chemin de l’intégration

En 1966, il avait passé quelques semaines aux États-Unis. Il enseignait dans un camp d’été à Poughkeepsie, dans les Castkills au nord de New York, mais il n’avait pas fait le saut vers le Québec alors. Il découvre Montréal et y rencontre des Québécoises et des Québécois de sa génération, qui lui font découvrir la vie culturelle québécoise : boîtes à chansons, spectacles, bars. Il aime s’imprégner de cette vie et fait la découverte de Paul Piché, Charlebois, Diane Dufresne et bien d’autres. Il survit pendant quelques mois grâce à de petits travaux. Vendeur dans un magasin de ski sur la rue Cathcart à Montréal, son patron lui fait vite comprendre que ce n’était pas sa tasse de thé.

« C’est la première fois de ma vie que je me suis fait mettre dehors d’un travail. Mon premier congédiement ! On était début décembre et je commençais à affronter l’hiver québécois pour la première fois. »

Après une seconde épreuve, dans une librairie, il reprend contact avec un de ses amis de Rome, Peter Jones, un Britannique. Ce dernier enseigne à l’Université Loyola (future Université Concordia) et deviendra, des années plus tard, recteur de l’Université de Colombie-Britannique. Il donne des cours à Loyola, mais n’est pas accrédité comme professeur. Finalement, il finit par se faire embaucher comme prof d’anglais à la Commission MacDonnald-Cartier sur la rive sud.

« J’avais un salaire, un travail. J’étais fou de joie. Je devais y rester un an. Pendant tout cet hiver, je n’ai pas pris contact avec Camille Laurin. Je ne voulais dépendre de personne. C’est le genre de fierté qui peut être nuisible, mais elle me retenait de faire appel à qui que ce soit. »

Au printemps de 1973, David est allé chez le Doc Laurin. Le merveilleux contact né à Rome reprenait vie.

« Nous nous voyions régulièrement et parlions de l’actualité politique québécoise. C’était la période post-crise d’octobre 70. Le Doc était déjà membre du Comité exécutif du Parti Québécois et très présent sur la place publique. J’étais attiré par ce parti social-démocrate et indépendantiste, mais je n’y prendrai ma carte de membre qu’en 1975. »

À l’automne 1973, il décroche un poste de prof de sciences humaines au Collège Vanier. Il devient rapidement président du syndicat des profs de l’institution. Il y rencontre Henry Milner, également prof, et déjà très impliqué dans le syndicalisme et le PQ. Il se nouera une amitié qui dure toujours entre ces deux anglophones atypiques dans le cénacle politique québécois.

Chapitre 3

Le collaborateur du docteur Laurin

En 1973, en vue des élections à la mairie de Montréal, un nouveau parti politique voit le jour : le Rassemblement des Citoyens de Montréal (RCM). David en est, bien entendu. Ce parti se veut rassembleur de tous les progressistes et réussit d’ailleurs à la faire puisqu’anglophones et francophones y militent. La candidature du père jésuite, Jacques Couture (qui en 1976 sera élu sous la bannière du PQ à l’Assemblée nationale), rallie tout ce beau monde. Jacques Couture, tout en étant battu par l’inamovible maire Drapeau, réussit à faire entrer 18 conseillers, sur 52, à l’Hôtel de Ville de Montréal. C’est une première !

David Payne commet un article choc dans le Montréal Star, la bible des anglophones progressistes de Montréal : Enough is enough! Ce texte s’attaque au fédéralisme canadien au nom des droits du peuple québécois. Il réclame un nouveau statut constitutionnel basé sur un régime d’États fédérés. Son texte fait l’effet d’une bombe du côté des deux solitudes. Côté anglophone, il va marquer la rupture de David avec beaucoup de ténors progressistes qui, en aucun cas, ne veulent franchir le pas du nationalisme québécois, mais du côté francophone, la notoriété sympathique de notre personnage est acquise.

Lorsque David part à Québec, au printemps 1975, avec quelques amis, pour aller écouter une prestation de la chanteuse Diane Dufresne, il va vivre sa Pentecôte péquiste. René Lévesque parle ce soir-là et, en l’écoutant, David se sent en accord avec cet homme.

« C’est quelques jours après, dit-il, que je suis devenu membre du Parti Québécois. »

Durant les années 74-76, Faigie Kadish, lorsqu’elle venait à Montréal, habitait chez David, à Notre-Dame-de-Grâce, et Camille Laurin y venait lors de soupers mémorables. L’année 1976 débutait et « ça sentait les élections au Québec ».

Très rapidement, engagé dans le militantisme syndical et politique québécois, notre sujet devient un personnage particulier. En effet, au Parti Québécois, les anglophones sont une denrée rare, et pour cause ! Quelques individus émergent dans le milieu syndical proche du PQ, à la FTQ, notamment avec Bob Dean, mais ils se comptaient sur les cinq doigts de la main.

« Avec Henry Milner, nous sommes un peu devenus les Anglos de service, dit-il sans s’offusquer. Les médias anglophones ne nous faisaient pas de cadeaux et les francophones nous regardaient comme de drôles de zigotos. »

Le parti l’envoie sur toutes les tribunes de langue anglaise.

À l’approche de la campagne électorale de 1976, le régime Bourassa baignait dans une odeur de scandales de patronage, David est, à plusieurs reprises, sollicité par Camille Laurin, puis par René Lévesque lui-même. Ce dernier disait de lui : « We don’t see many folks like you round here! » Monsieur Lévesque a toujours parlé anglais à David Payne. Les relations avec le chef du PQ ont toujours été marquées par un grand respect des deux côtés, mais il n’y eut pas vraiment une fréquentation qui aurait amené David dans le premier cercle autour de Lévesque.