La Grande Armée de 1813 - Camille Rousset - E-Book

La Grande Armée de 1813 E-Book

Camille Rousset

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Extrait: "Le 8 janvier 1813, le maréchal Davout, commandant le premier corps de la Grande armée, écrivait de Thorn, sur la Vistule, au prince Berthier, major général : « Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Altesse Sérénissime un état numérique et par grade des officiers, sous-officiers et soldats du premier corps. Il est fait sur un état nominatif que chaque régiment a adressé à l'inspecteur aux revues."

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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 216

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Avant-propos

La Grande Armée de 1813 est une suite, ou, plus exactement, un pendant aux Volontaires. C’est une seconde enquête dont l’objet, la méthode et les résultats confirment, par analogie, les conclusions de la première.

Entre les deux cependant il y a une différence capitale, déjà marquée, aux yeux du lecteur, par l’opposition des sujets, par la seule énonciation des noms et des dates sous lesquels ils se produisent. Peut-il y avoir un terrain commun pour les Volontaires de 1792 et pour la Grande Armée de 1813 ? Celle-ci n’est-elle pas située précisément aux antipodes de ceux-là ?

En effet, les deux enquêtes ont des points de départ absolument opposés, et l’on ne peut imaginer rien de plus dissemblable que les personnages dont il faut, à vingt ans d’intervalle, examiner les actes.

D’un côté, ce sont des révolutionnaires qui, à propos des institutions militaires comme de toutes les autres, suppriment lois, règlements, usages, traditions, exemples, qui, en deux mots, effacent le passé et font du présent table rase. Pour eux, l’élan démocratique remplace tout, suffit à tout, triomphe de tout ; le sublime de la guerre c’est la levée en masse ; et quoique leur idéal n’ait point de succès, quoique les faits donnent de continuels démentis à leurs visions, ils tiennent ferme, ils égarent l’opinion, ils faussent la vérité, ils créent la légende.

D’autre part, c’est l’Empereur, c’est l’homme qui a mis fin à cette anarchie, à cette fantasmagorie, à ce mirage ; c’est l’homme qui, des épaves recueillies de l’ancienne société, a refait en grande partie la société nouvelle ; c’est l’homme qui, dans les choses militaires surtout, a remis l’ordre, l’autorité, la subordination, la discipline, les grandes traditions de l’art et du métier de la guerre.

Les situations ne peuvent donc pas être plus différentes ; mais voici des incidents qui vont rapprocher des procédés révolutionnaires l’adversaire de la révolution.

L’armée qui a fait en Russie la campagne de 1812 a péri ; le peu qui a survécu ne peut pas être compté. La France n’a plus d’anciens soldats ; elle n’a qu’un reste d’hommes faits ; sa jeunesse est déjà décimée ; elle ne possède plus en nombre que des adolescents, des enfants, c’est le mot même de l’Empereur. Ces adolescents, la nécessité force l’Empereur à les prendre ; tout manque cependant pour les équiper, pour les organiser, pour les instruire ; le temps, l’argent, les officiers, tout manque. On fabrique à la hâte des cadres d’aventure ajustés tant bien que mal à des conscrits de quinze jours. On improvise une apparence d’organisation qui fait pour un moment illusion à la France et à l’Europe même.

On entre en campagne. L’ascendant moral que l’Empereur exerce sur l’ennemi comme sur les siens lui donne d’abord des succès inespérés ; mais au lieu de saisir ce retour de fortune et de s’arrêter, l’ambition l’emporte, il persiste à combattre, et, pour parer aux défauts de ses jeunes troupes, il les fait tous les jours plus nombreuses. Cependant vient l’heure où les vices d’origine, qui avaient été dissimulés d’abord et couverts par l’éclat des premiers succès, ne peuvent plus être ignorés ; le génie du grand capitaine ne suffit plus à réparer les fautes, volontaires ou forcées, de l’organisateur. Les échecs se succèdent, l’armée s’abîme dans une épouvantable catastrophe, et le grand vaincu de Leipzig s’éloigne en murmurant : « Il me faut des hommes et non des enfants… Il faut des hommes pour défendre la France. »

Ainsi l’Empereur Napoléon a échoué comme ont échoué les révolutionnaires, et de ce double exemple résulte cette commune conclusion, qui est la vérité même : On n’improvise pas des soldats ; on n’improvise pas des armées.

L’étude attentive et le rapprochement des témoignages les plus considérables sur la formation, les aptitudes physiques et morales, les qualités et les défauts, l’action même et la ruine de l’armée improvisée après 1812, tel est, en résumé, le seul objet de ce livre. Il n’a pas la prétention d’être une histoire de la campagne de 1813.

Août 1871.

I Débris de la Grande armée de 1812

Le 8 janvier 1813, le maréchal Davout, commandant le premier corps de la Grande armée, écrivait de Thorn, sur la Vistule, au prince Berthier, major général : « Monseigneur, j’ai l’honneur d’adresser à Votre Altesse Sérénissime un état numérique et par grade des officiers, sous-officiers et soldats du premier corps. Il est fait sur un état nominatif que chaque régiment a adressé à l’inspecteur aux revues. Je ne présume pas qu’il nous rentrera encore beaucoup de monde, et si, en totalité, tout le premier corps reçoit cinq cents hommes en plus, je serai bien surpris… Je pense, monseigneur, que pour remplir l’intention de l’Empereur de renvoyer les cadres en France, on devrait conserver dans chaque régiment les soldats en état de faire un service actif, ce qui formerait une ou deux compagnies, et renvoyer le reste au dépôt des régiments. »

Des trente-six régiments français, d’infanterie de ligne ou d’infanterie légère, qui avaient poussé jusqu’à Moscou la fortune de la Grande armée, seize, la moitié à deux près, faisaient partie du premier corps. Un seul de ces régiments était formé à quatre bataillons ; chacun des autres en avait cinq. Neuf jours avant le passage du Niémen, au 15 juin 1812, l’effectif des soixante-dix-neuf bataillons français commandés par le maréchal Davout était de 66 345 officiers, sous-officiers et soldats : il était de 3 019 au 8 janvier 1813. En défalquant les malades, les infirmes, tout ce qui était ce jour-là ou pour jamais hors de service, il restait 674 officiers, 1 607 sous-officiers et soldats, en tout 2 281 hommes capables de faire la guerre.

Tel était l’état numérique du premier corps, le mieux commandé, le mieux surveillé, le mieux gouverné de tous, sous un chef dont la sévérité intelligente s’entendait le mieux à conserver les hommes par la discipline ; mais aussi c’était celui qui, pendant les premières épreuves de la retraite, avait le plus souffert pour le salut commun.

Trois semaines plus tard, dans une lettre adressée, le 1er février, de Posen, à l’Empereur, le prince Eugène achevait, avec la même exactitude, l’attristante esquisse dont le maréchal Davout avait envoyé les premiers traits : 1 600 hommes du premier corps, 1 900 du deuxième, 1 000 du troisième, 1 900 du quatrième, 6 400 combattants, c’était tout ce qui restait de trente-six régiments, de cent cinquante-six bataillons, de plus de 125 000 hommes d’infanterie exclusivement française.

Lorsqu’il avait quitté l’armée à Smorgoni, le 5 décembre 1812, l’Empereur était bien loin de connaître, de soupçonner même toute l’horreur de cette ruine. Il n’en soupçonnait rien encore à Paris, le 30 décembre ; car, ce jour-là, il s’occupait de réorganiser la Grande armée avec ses éléments propres, s’imaginant calculer largement les pertes à la moitié environ de l’effectif, de telle sorte que, les cadres de deux bataillons par régiment étant renvoyés en France, il en resterait encore trois d’une force très respectable sur la Vistule. Enfin la lumière se fit, les illusions cédèrent, et la réalité apparut si lugubre que l’Empereur eût voulu être seul à en contenir le secret. Dans un conseil tenu à Fontainebleau, après avoir ordonné qu’on dressât un état comparé des forces militaires de l’Empire au mois de janvier 1812 et au mois de janvier 1813 : « Pour ce dernier, ajoutait-il expressément, on peut se dispenser de mettre la Grande armée ; je m’en charge. »

Le prince Eugène n’avait jamais pu songer à conserver trois bataillons ni même un seul bataillon par régiment des quatre premiers corps ; le peu d’hommes qui lui restait suffisait à peine à la formation d’une compagnie, de deux compagnies tout au plus. À cette minime exception près, il reçut l’ordre de renvoyer en France tous les cadres. Cependant l’Empereur lui écrivait encore le 27 janvier : « Le premier corps qui se trouvera à Stettin est très fort et pourra observer la Poméranie. » Dernière illusion ! le premier corps, au témoignage du prince Eugène, était réduit, le 1er février, à 1 600 hommes en état de servir.

Enfermés dans les places de l’Oder, les quatre anciens corps n’y auraient fourni que des garnisons beaucoup trop faibles, si on ne s’était hâté de leur envoyer en renfort ce qu’on appelait les garnisons des vaisseaux ; c’était un certain nombre de compagnies tirées des bataillons de dépôt et que l’armée de terre avait autrefois prêtées à la marine pour garder les vaisseaux de haut bord retenus dans les grands ports militaires de l’Empire. Déjà l’Empereur avait envoyé de Moscou, le 5 octobre 1812, l’ordre de les rappeler et de les diriger sur la Grande armée, qui avait besoin d’anciens soldats pour réparer ses cadres : « Car, disait l’Empereur, avec une justesse d’expression que l’épreuve de 1813 allait rendre d’autant plus frappante, il y a une bien grande économie à employer des hommes faits dans une guerre aussi lointaine. » De la garde des vaisseaux, ces compagnies, par la nouvelle destination qui leur fut assignée, passèrent à la garde des places de l’Oder ; leur effectif, au mois de novembre 1812, était de 7 300 hommes. À la fin de janvier 1813, les seuls détachements de l’Escaut et du Texel étaient arrivés, l’un à Spandau, l’autre à Custrin ; ceux de Toulon, Rochefort, Brest et Cherbourg ne devaient pas atteindre, avant le mois de mars, leur destination.

Après avoir pourvu de tout son possible à la sûreté des places de l’Oder, le prince Eugène n’aurait plus eu une seule troupe à tenir en campagne, s’il n’avait trouvé en Allemagne la division Lagrange, du onzième corps, et la division Grenier, qui arrivait d’Italie si complète que l’Empereur avait prescrit de la dédoubler. L’une et l’autre comptaient ensemble trente-six bataillons avec lesquels le prince Eugène avait ordre de former un corps d’avant-garde. Une avant-garde suppose un corps de bataille : où était celui-ci ? « Mon fils, écrivait l’Empereur au prince vice-roi d’Italie, le 27 janvier 1813, je n’ai pas encore des idées bien nettes sur la manière dont l’armée doit se réorganiser… J’attends pour cela de nouveaux renseignements. »

Réorganiser ne suffisait plus, la matière même de l’ancienne organisation étant détruite ; il fallait, sous le prestige d’un nom glorieux qui subsistait seul, créer une Grande armée neuve. Ce n’était là d’ailleurs qu’une question de forme, et les hésitations de l’Empereur n’étaient qu’apparentes ; refaire d’une manière ou d’une autre l’état militaire de l’Empire, c’était l’essentiel. Depuis son retour, l’Empereur n’avait pas cessé d’y appliquer l’activité incomparable de son génie.

II Ressources pour refaire l’armée – Restes de la conscription de 1812 – Conscription de 1813

Quelles étaient les ressources dont pouvait immédiatement disposer l’Empereur ?

Des 120 000 conscrits de 1812 il ne restait à peu près rien dans les dépôts où s’alimentait depuis huit mois sans cesse une sorte de colonne sans fin, toujours en marche, du Rhin à la Vistule, jusqu’aux réserves de la Grande armée. C’était de ces conscrits qu’étaient faites les divisions du neuvième et du onzième corps qui, envoyées au-devant de leurs camarades revenant de Moscou, s’étaient, en essayant de les sauver, sacrifiées et ruinées elles-mêmes dans une diversion généreuse, mais au-dessus de leurs forces ; c’était de ces conscrits qu’était faite également la division Durutte, appelée du onzième corps au septième, destinée à combattre lorsque les autres ne combattaient plus ou ne combattaient pas encore, et dont le général Reynier disait, après l’affaire de Kalisch, véritable trait d’union entre la campagne de 1812 et celle de 1813 : « Les récompenses demandées par le général Durutte me paraissent méritées. La composition de cette division, dont les soldats étaient trop jeunes et hors d’état de soutenir les fatigues, a exigé beaucoup plus de soin des officiers, et ceux qui ont conservé plus d’hommes, et qui se sont en même temps distingués dans les combats, méritent des récompenses. »

Après ce témoignage dont il importe de tenir grand compte, le général Reynier ajoutait : « La division Durutte est faible dans ce moment, mais il y a plus de 10 000 hommes dans les dépôts des régiments qui la composent. » Si, dans cette observation, le général Reynier entendait parler de la conscription de 1813, son calcul était déjà inexact, car cette division se composait de détachements empruntés à plus de trente régiments dont la principale portion ou la masse, employée ailleurs, devait nécessairement attirer à elle la plus grande partie des recrues ; mais s’il entendait parler de la conscription de 1812, il était tout à fait dans l’erreur.

Au mois d’octobre, l’Empereur avait envoyé de Moscou au ministre de la guerre l’ordre de faire passer des revues de rigueur dans tous les dépôts, soit des régiments de la Grande armée, soit même des régiments dont les bataillons étaient partagés entre la Russie et l’Espagne, de faire visiter aussi les hôpitaux, et de tout diriger, disponibles et convalescents, sur Mayence. L’ordre exécuté rigoureusement, il se trouva 4 547 malades dont on attendait le rétablissement plus ou moins prochain pour les mettre en route, et seulement 1 822 hommes en état de partir. Voilà tout ce qui restait, pour la Grande armée, de la conscription de 1812 et même des conscriptions antérieures. Aussi bien y avait-il dans un pareil résultat quelque chose qui pût, non pas assurément satisfaire l’Empereur, mais seulement l’étonner beaucoup ?

Quoi qu’il en soit, la première de ses grandes ressources était dans la conscription de 1813, dont le fonds, de 120 000 hommes en apparence, lui en donnait 137 000 en réalité. En effet, le décret de Moscou du 22 septembre 1812, réformant le sénatus-consulte du 1er du même mois qui assignait au complément d’une troupe spéciale les cohortes, dont on va parler plus longuement tout à l’heure, 17 000 conscrits à prendre sur la levée de 1813, avait formellement décidé que cette levée générale et complète aurait lieu sans préjudice des 17 000 hommes spécialement destinés aux cohortes.

Les dernières formalités du recrutement s’étaient prolongées au moins jusqu’à la fin d’octobre ; de tous les dépôts, un seul, celui du 74e de ligne, avait reçu au 15 novembre le tiers des conscrits qui lui étaient dus. Sur les 105 000 hommes attribués à l’infanterie de ligne et à l’infanterie légère, la majeure partie était enfin arrivée dans les derniers jours de décembre ; cependant, au 15 janvier 1813, il y en avait environ vingt mille que les dépôts attendaient encore, de sorte qu’en dépit de leurs cadres qui étaient excellents, l’instruction de cette masse de conscrits était à peine ébauchée ou même tout à fait nulle.

III Les cohortes – Organisation – Effectif – Mobilisation régiments de cohortes

Il en était tout autrement des cohortes dont le fonds, malgré de mauvais cadres, était de beaucoup supérieur à celui de 1813, sinon par le nombre, du moins par l’âge, la qualité et l’instruction des hommes qui avaient neuf mois de présence au corps. C’était en effet du mois de mars 1812 que datait la création des cohortes.

Avant de s’engager, à l’autre extrémité de l’Europe, dans l’inconnu d’une région et d’une guerre nouvelles, l’Empereur avait voulu laisser derrière lui, en réserve, une force nationale capable de garder le territoire de l’Empire, et en même temps si peu différente de l’armée qu’elle pût, en cas de besoin, y trouver facilement sa place. Une dénomination un peu bizarre, mais sonore et rappelant les souvenirs de la vieille Rome, avait été choisie à dessein pour distinguer cette force intermédiaire ; ce n’était déjà plus la garde nationale, ce n’était pas encore la troupe de ligne, c’était les cohortes.

Il était bon que cette réserve fût composée d’hommes faits. L’Empereur avait d’abord eu l’idée d’en prendre 120 000 sur les quatre classes de 1809 à 1812, puis il lui avait paru préférable de réduire le contingent et d’avoir des hommes plus forts en comprenant dans la levée deux classes plus anciennes. Le 13 mars 1812, un sénatus-consulte avait réglé le service et la division de la garde nationale en trois bans ; le premier ban se composait des hommes de vingt à vingt-six ans, des classes de 1807 à 1812, n’ayant point été appelés à l’armée active, lorsque ces classes avaient fourni leur contingent ; le deuxième et le troisième étaient formés des hommes valides de vingt-six à quarante ans et de quarante ans à soixante. Le premier ban se renouvelait chaque année par sixième ; pour la première fois seulement et par exception, les classes de 1807 et 1808 ne devaient sortir qu’ensemble et non pas avant l’année 1814. Le service n’était obligé que dans les limites de l’Empire. Enfin un appel de cent cohortes était fait sur les six classes du premier ban. Cependant, le lendemain, 14 mars, un décret impérial réduisait à quatre-vingt-huit le nombre des cohortes appelées ; il n’y en eut jamais davantage.

L’organisation devait se faire dans les divers chefs-lieux des divisions militaires. La cohorte, essentiellement départementale, portait, avec un numéro d’ordre, le nom de son département ou des départements voisins dont les contingents réunis contribuaient à sa formation. Elle se composait de six compagnies de fusiliers à 140 hommes, d’une compagnie de dépôt et d’une compagnie d’artillerie à 100 hommes chacune. L’uniforme était celui de l’infanterie de ligne ; les officiers et sous-officiers pouvaient être pris, soit parmi les anciens militaire en retraite ou en réforme, soit parmi les hommes de la garde nationale ayant servi dans les bataillons actifs.

Malgré l’adoucissement apporté par le décret à la teneur du sénatus-consulte, malgré la réduction du nombre des cohortes, et bien que ce rappel, cette levée supplémentaire sur des classes qui avaient déjà satisfait à la loi, ne fût plus une nouveauté sans précédents, il n’y en eut pas moins, dans plusieurs des grandes villes de l’Empire, une agitation de quelques jours. Toutefois les opérations du recrutement et de l’organisation des cohortes se firent plus facilement qu’on n’aurait pu s’y attendre, et, après quelques semaines, toute trace de mécontentement avait disparu.

L’effectif des quatre-vingt-huit cohortes qui aurait dû se rapprocher du complet, c’est-à-dire de 91 520 hommes, ne s’éleva jamais, en 1812, au-dessus de 78 000, mais ne descendit jamais beaucoup au-dessous. On a déjà vu qu’un sénatus-consulte du 1er septembre et un décret impérial du 22 avaient affecté 17 000 conscrits de 1813 au recrutement des cohortes ; la mesure, toutefois, ne reçut son exécution que dans les premiers jours de 1813 ; au 15 janvier, 6 937 hommes de cette levée spéciale venaient d’arriver dans les dépôts.

L’heure était venue où, cédant à l’attraction des aventures guerrières, cette institution d’une réserve intérieure allait disparaître ; l’armée active était au moment d’absorber les cohortes. Plus ou moins volontaire, plus ou moins provoqué, le vœu de faire campagne s’était produit dans leurs rangs. Ce fut une cohorte de l’extrême Hollande, la 87e, qui, l’une des premières, en fit parvenir l’expression jusqu’à l’Empereur. D’autres suivirent : l’Empereur voulut que leurs adresses fussent publiées dans le Moniteur ; dès lors, le mouvement devint plus vif. Enfin, le 11 janvier 1813, parut un sénatus-consulte dont l’article 2 était ainsi conçu : « Les cent cohortes du premier ban cesseront de faire partie de la garde nationale et feront partie de l’armée active. » Aussitôt l’ordre fut porté par des estafettes extraordinaires aux quatre-vingt-huit cohortes, seules existantes, de se mettre en marche vingt-quatre heures après la dépêche reçue, les unes pour Paris et Lyon, les autres pour Mayence, Wesel, Hambourg, Osnabrück, Vérone et Puycerda, afin d’y être réunies quatre par quatre en vingt-deux régiments de ligne qui prenaient les numéros de 135 à 156.

Chaque régiment était composé de quatre bataillons de guerre à six compagnies de 140 hommes, et d’un bataillon de dépôt formé des quatre anciennes compagnies de dépôt des cohortes rassemblées désormais en un même corps ; ainsi le complet du régiment devait être de 3 920 hommes, et celui des vingt-deux régiments de 86 240. Ce chiffre atteint, le surplus des conscrits récemment affectés au recrutement des cohortes devenait disponible et pouvait être versé dans les dépôts d’autres corps moins bien pourvus. Ce changement de destination n’avait, d’ailleurs, rien d’exceptionnel dans cette fièvre d’organisation où les projets étaient modifiés du jour au lendemain, de sorte qu’il y avait, non seulement entre les corps de même arme, mais même entre ceux d’armes différentes, un roulement perpétuel.

Devenues troupes de ligne, les cohortes perdaient leurs compagnies d’artillerie, qui n’avaient d’ailleurs jamais eu avec elles qu’une attache nominale. L’artillerie de l’armée y gagna 8 000 hommes d’un bon choix et déjà instruits. Cependant l’Empereur décida qu’une de ces compagnies serait détachée auprès de chacun des vingt-deux nouveaux corps ; et, des autres, il forma trois régiments à la suite de l’arme.

IV Appel de 250 000 hommes – Ressources diverses – Régiments de marine

Ce n’était pas à la transformation des cohortes que se bornait le sénatus-consulte du 11 janvier 1813. Sa plus grande importance était dans un double appel, l’un de 100 000 hommes qui était, pour mieux dire, un rappel itératif sur les classes de 1809 à 1812, l’autre, de 150 000 sur la classe de 1814. La levée de 100 000 hommes ou des quatre classes, – c’est le nom qu’on lui donna, – fut faite immédiatement et d’urgence ; l’autre devait suivre dans le courant du mois de février. « Il faut, disait l’Empereur, que les conscrits de 1814 ne soient dérangés et remués que lorsque les autres partiront. Il y aurait de l’inconvénient à armer tant de conscrits à la fois. »

En même temps, l’Empereur se faisait offrir par les départements et les villes des cavaliers équipés et montés autant que possible ; au mois de février, les offres s’élevaient au chiffre de 15 000 hommes et de 20 000 chevaux ; mais sur ce fonds volontaire, plus encore que sur les appels obligatoires, il y eut beaucoup de mécompte et de déchet.

Il n’y avait pas si petite ressource dont l’Empereur dédaignât de faire usage. La garde municipale de Paris avait deux bataillons forts ensemble de 1 050 hommes : ils furent dirigés sur Erfurt pour constituer le fonds d’un nouveau régiment, le 134e de ligne. Chaque chef-lieu de département entretenait une compagnie de réserve qui y faisait à peu près le même service que la garde municipale à Paris : cent seize de ces compagnies durent contribuer par des détachements, jusqu’à concurrence de 4 000 hommes, à la formation d’un 37e régiment d’infanterie légère.

Une ressource plus importante et que l’Empereur ne pouvait pas négliger, c’était le corps d’artillerie de la marine, composé de quatre régiments, et qui restait inactif dans les ports fermés de l’Empire. « Je viens, écrivait le 23 janvier l’Empereur au ministre de la guerre, je viens de rendre un décret par lequel je mets à la disposition de votre ministère les douze bataillons de la marine, et comme il y a là beaucoup de vieux soldats, j’ai pris le parti de doubler ces bataillons, et, au lieu de douze, d’en former vingt-quatre. Ces bataillons, à 840 hommes, me formeront un complet de 20 000 hommes. Or il n’y en a aujourd’hui que 16 000 ; c’est donc 4 000 hommes qu’il me faudra encore ; de ces 4 000 hommes, je désire en faire fournir 2 000 sur la conscription des 100 000 hommes, et 2 000 sur la conscription de 1814. »

Assurément il serait bien difficile de contester les chiffres donnés par l’Empereur, si l’on n’avait pas à opposer l’autorité de l’Empereur à elle-même. En arrivant à Mayence pour prendre le commandement du deuxième corps d’observation du Rhin, le maréchal Marmont avait trouvé l’effectif des canonniers de marine, qui étaient mis sous ses ordres, de beaucoup inférieur à celui que promettaient les états fournis par le ministre de la guerre, et il s’en était plaint à l’Empereur, qui lui répondit : « Vous deviez avoir vingt bataillons formant 16 000 hommes ; il paraît que, pour le moment, ils ne formeront que 10 000 hommes, puisqu’il faudra beaucoup de temps pour que les détachements qui sont en route arrivent à leurs régiments. »

Le fait est que la marine avait réclamé et obtenu de conserver, pour la garde des arsenaux et le service des batteries des ports, une partie de ses canonniers, et que les états du ministre de la guerre avaient enflé le reste. « Les bataillons des régiments de marine sont trop faibles, écrivait, le 7 avril, l’Empereur au maréchal Marmont ; vous laisserez à Mayence six cadres de bataillons de ces régiments, de sorte que vous porterez les bataillons que vous garderez à 600 hommes chacun. » Une situation originale du deuxième corps du Rhin, dressée le 15 avril, avant l’exécution de cet ordre, donne aux vingt bataillons de marine ensemble un effectif de 12 080 hommes, dont 4 000 au moins étaient des conscrits de l’armée ; c’est donc exactement à 8 000, c’est-à-dire à la moitié du chiffre allégué d’abord par l’Empereur, qu’il faut réduire le nombre vrai des anciens canonniers-marins.

On n’insiste sur ce détail que pour montrer combien on doit se défier de ces excès de chiffres, de ces effectifs fictifs qu’un zèle maladroit ou une complaisance bien dangereuse osait présenter trop souvent à l’Empereur. Ce n’est pas que, lorsqu’il le voulait bien, l’Empereur ne s’en défiât lui-même. « Je vois tant de variantes dans les états qui me sont soumis que je ne sais à quoi m’en tenir, disait-il un jour devant ses ministres ; je demande qu’on me prouve comment, en juin 1812, j’avais 413 000 hommes dans l’intérieur. » Une autre fois, il écrivait au prince Eugène : « Je vois dans les lettres du prince d’Eckmühl que le corps du général Reynier n’est que de 2 000 hommes : j’ai toujours supposé ce corps de 12 000 hommes. Je vois aussi dans ces lettres que le corps de Dombrowski n’est que de 300 hommes : j’avais toujours supposé, par vos états de situation, que ce corps était de 3 000 hommes. Je ne puis pas trop comprendre comment vous n’avez pas de renseignements précis sur tout cela. »