La guerre des dieux - Magali Raynaud - E-Book

La guerre des dieux E-Book

Magali Raynaud

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Beschreibung

Le plan d'Eroll est toujours en marche. Sanya est en danger, et rien ne semble pouvoir la protéger. Quand il parvint à la capturer pour l'enfermer et la torturer, Connor sait qu'il n'a plus le choix. Bien que tout semble voué à l'échec, il se lance dans une dangereuse entreprise pour sauver sa bien-aimée des mains de ses bourreaux, au sein même du fief de l'empereur, où il risque bien de ne jamais en ressortir entier. Et sans reine, le royaume est en danger.

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Veröffentlichungsjahr: 2017

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Du même auteur :

L'Héritier

La guerre des dieux :

1 – Le Maître des Ombres

2 – L'Enlèvement

3- Les Royaumes Oubliés (À paraître)

Kiwa

https://www.facebook.com/Magali-Raynaud-221397698212053/

http://magaliraynaud.com

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que se soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Carte du monde

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

1

Baldr contemplait le monde fade des humains à travers son miroir d'eau, comme à son habitude. Il surveillait Eroll. Un stratège remarquable. Un grand chercheur. Grâce à lui, à son ingéniosité, il aurait bientôt le moyen de renverser son frère ! Lysendra avait commis une erreur en partageant ce monde entre eux deux, et il allait rectifier le tire.

On frappa à la porte, et un autre dieu entra.

- Comment les choses évoluent-elles, sur terre ?

Baldr lui fit signe d'approcher, et lui désigna le miroir, au mur, dont la surface se mouvait comme de l'eau.

- L'attaque avance, expliqua Baldr. Eroll s'en sort bien. Remarquablement bien, contrairement à tous ses ancêtres.

- Notre heure est-elle enfin venue ?

- Oui, Kolac, elle est là. Bientôt, Abel et les siens ne seront plus qu'un pâle souvenir. Ces derniers siècles ont été riches en découvertes... Nos guerres durent depuis des millénaires, sans succès, mais cette fois-ci, mon frère n'a plus aucune chance. Oh ! je l'ai laissé gagner, il y a quarante ans. Quand l'empire a été repoussé, il croyait s'être débarrassé de moi pendant un moment, mais c'était un leurre. Je l'ai laissé faire, pour qu'Aurlandia entre dans une colère noire. Maintenant que l'empire est décidé à faire disparaître le culte d'Abel, et que j'ai les moyens de le faire, mon cher frère n'en a plus pour longtemps. J'ai beaucoup... d'armes, à ma disposition.

- Et pour Sanya, que faisons-nous ?

- Sanya ?

Baldr éclata d'un rire franc, qui aurait pu être envoûtant sans cette intonation maléfique.

- Cette pauvre enfant ne peut plus rien contre nous !

- Eh bien... même humaine, elle peut nous causer de gros problèmes. Avec ou sans pouvoir, elle est toujours aussi terrible.

- Je ne crois pas, non. Que veux-tu qu'elle nous fasse ?

- Baldr, nous nous servons des humains pour affaiblir Abel et les siens. Sanya est en train de faire de même sur terre. À la tête d'Eredhel, je crains qu'elle réussisse à nous affaiblir suffisamment pour laisser à Abel une chance de nous tuer.

- Kolac, tu la surestimes. D’abord, elle ne vaincra pas l'empire, c'est une certitude. De plus, pourquoi voudrait-elle aider Abel, après ce qu'il lui a fait ?

- Sa famille est toujours auprès d'Abel. Bannie ou pas, elle fait partie d'Ysthar, il est normal qu'elle se batte pour eux. Et elle ne nous porte pas dans son cœur. Nous devrions l'éliminer, tout de suite. Abel ne lèvera pas le petit doigt pour elle. C'est notre chance ! Après tout ce qu'elle nous a fait...

Baldr chassa l'air de sa main.

- Oui, oui, je sais tout ça. Kolac, tu te fais du souci pour rien. Eroll a concocté quelque chose, spécialement pour elle. Dans peu de temps, Sanya ne sera plus un problème.

- Lui faites-vous confiance ?

- Je ne fais pas confiance aux humains, mais celui-là est malin. Un bon stratège, très talentueux. Et manipulable. Il pense être mon Élu, il ferait n'importe quoi pour moi. Sans parler de sa soif de conquête... Il n'est pas comme ses ancêtres, avec lui, nous vaincrons les royaumes d'Abel. C'est une certitude.

- Baldr... Sanya est une bonne stratège, elle aussi...

- Je t'ai dit que nous n'aurions bientôt plus rien à craindre d'elle !

- Oui, mais... Elle possède le plus puissant des quatre royaumes, elle peut prendre possession de toutes les armées ! Et elle a avec elle ces Maîtres des Ombres...

- Je sais tout cela. Écoute Kolac, Sanya est peut-être une reine, mais elle ne peut pas dominer tout le monde aussi facilement. Arrête de t'inquiéter. Pour ce qui est des Maîtres des Ombres, j'ai juré de les anéantir, et les sorciers d'Aurlandia s'en chargeront pour moi. Ils en seront ravis. Ces êtres infâmes ne méritent pas de vivre, ils devraient être morts depuis bien longtemps. Je veillerai à ce que nos erreurs passées soient réparées.

- Eroll a-t-il vraiment un plan pour Sanya ?

- Oui. Il est en marche. Sanya va rapidement se faire prendre dans ses filets, ça, tu peux me croire. Comme je te l'ai dit, elle ne sera bientôt plus qu'un simple souvenir.

2

- Ça va ? demanda Darek.

- Oui.

- C'est bien. Entrer dans une des planques de la guilde des voleurs n'est pas chose facile, et voler ce qu'ils gardent jalousement l'est encore moins. Loin de moi l'idée de te mettre la pression.

- Allons, la pierre n'est pas gardée si jalousement, puisqu'ils l'ont confiée à une recrue, pour qu'elle fasse ses preuves en effectuant la livraison, répliqua Connor avec un sourire.

- Tu marques un point. Sois prudent, et que les ombres te protègent.

- Que les ombres te protègent également, répondit le jeune homme en se redressant.

Les deux hommes avaient quitté Sohen depuis deux semaines pour continuer l'entraînement de Connor dans une autre ville. De plus, les Maîtres des Ombres avaient quelques comptes à rendre ici même à Griseroche ; Darek en profitait donc pour se décharger de ses tâches sur son apprenti.

Il pouvait enfin commencer les leçons sérieuses. Connor travaillait surtout sa furtivité, en s'infiltrant, traquant et espionnant les cibles choisies avec soin par Darek. Parfois, il devait se battre, mettant ainsi en application tout ce qu'il avait appris.

Kelly continuerait ses entraînements d'assouplissement, de lancer de poignard et de crochetage de serrure dès son retour. Connor regrettait que la jeune femme ne soit pas partie avec lui, sa présence l'égayait plus que celle de Darek.

Alors qu'il redescendait souplement du toit où ils s'étaient postés pour avoir une meilleure vue, Darek et lui, Connor songea de nouveau à ce que ses entraînements lui avaient apporté.

Il lui semblait enfin pouvoir laisser libre cours au pouvoir qui logeait en lui. Ses progrès étaient fulgurants dans tous les domaines. Il était confiant, et dans l'art de la discrétion, il devenait de jour en jour plus performant. Une véritable ombre...

Et un guerrier digne de ce nom.

Même s'il n'était pas encore capable d'écouter l'Onde, Connor devenait plus fort et redoutable.

Une fois de retour dans les rues de la ville, Connor se dirigea vers l'auberge L'Hydre farceuse, en réalité une des neuf planques des voleurs.

Quand le jeune homme fut arrivé, le vacarme provenant de l'intérieur était si fort qu'il renonça très vite à entrer. Il préféra donc faire le tour du bâtiment et entra dans l'arrière-cour sans un bruit. La porte qui menait aux cuisines était entrouverte, mais les serveuses et cuisiniers étaient légion.

S'assurant que personne ne l'observait, il grimpa au mur avec souplesse, sans un bruit, et observa entre les lattes des volets de la première fenêtre qu'il rencontra. Ne voyant rien d'intéressant, il passa à la suivante.

Il découvrit enfin ce qu'il cherchait. En plissant les yeux pour mieux voir, il vit trois hommes assis sur une table, discutant à voix basse. La fenêtre ne laissait passer aucun son, et étant bien incapable de lire sur les lèvres, il ne sut quel était le sujet de la discussion. Deux femmes étaient également là, chacune assise sur les genoux d'un homme. Ces derniers les caressaient et les embrassaient tout en discutant avec le troisième homme, indifférent aux femmes.

Se postant sous la fenêtre de la chambre d'à côté, Connor vérifia que la pièce était vide. Puis il tira un couteau de sa brassière et le glissa entre les battants des volets. Les ouvrir fut facile, mais la fenêtre se montra plus coriace.

Quand ce fut fait, il se glissa dans la chambre, son couteau toujours en main.

Il avança en silence, faisant très attention à ce qui jonchait le sol. Le lit était vide, mais défait. Connor se préparait à se cacher au moindre signe suspect. Alors qu'il portait la main à la poignée de la porte, un ronflement le fit sursauter. Faisant volte-face, prêt à frapper, le jeune homme fouilla les ténèbres du regard. La chambre n'était en réalité pas vide ! L'homme qui l'occupait dormait d'un sommeil profond, couché par terre, une chope de bière à la main. Apparemment, il n'avait pas réussi à atteindre son lit. Dans l'état où il était, Connor n'avait rien à craindre de lui.

Sans un bruit, le jeune homme tourna la poignée et passa la tête dans le couloir. Ne voyant personne, il sortit de la chambre et colla son oreille à la porte de la suivante.

- ...m'a demandé de le faire ce soir..., souffla une voix.

- Tu es fou.... peux pas..., répliqua une autre.

- … entendu les nouvelles ? demanda une troisième.

- Comment ça ?

- J'ai entendu un garde... les Maîtres des Ombres seraient là...

- Les Maîtres des Ombres ?! s'écria la première voix.

Connor se concentra davantage pour ne pas rater la conversation, plaquant son oreille contre le trou de serrure. Les ronronnements des femmes, les grincements du bois et les verres que l'on pose bruyamment sur la table l'empêchaient d'entendre tout ce qui se disait.

- Des foutaises..., grogna la première voix. Les gardes inventent toujours ces histoires... les Maîtres des Ombres ne sont pas là.

- … ferais gaffe, si j'étais toi.

- J'ai pas peur... je ferais ma mission...

- … connais mal... Maîtres des Ombres...

Il y eut un raclement de chaise et Connor jeta un coup d’œil par la serrure. L'un des trois hommes fourrait une bourse dans sa poche, sans doute lourde et ne contenant pas d'or. Il semblait furieux, mais digne devant ces avertissements.

Le voyant venir par ici, Connor s'empressa de rejoindre sa chambre et de fermer la porte, attendant que l'homme fasse son apparition. Ce dernier ne fut pas long. Même sans savoir, Connor n'aurait eu aucun mal à définir cet homme comme un petit nouveau. Il entendait faire ses preuves aux autres voleurs, cela se voyait, et il avait cette assurance typique de ceux qui se sentaient soudain puissants.

Connor repassa par la fenêtre et s'empressa de descendre dans l'arrière-cour. Sans perdre de temps, il retourna à l'entrée de l'auberge et se posta dans l'ombre en attendant sa cible.

Quand l'homme fut dehors, il jeta des coups d’œil autour de lui, s'assurant que personne ne l’épiait. Puis il s'engagea dans les rues de la ville, une main sur le pommeau de sa dague. Connor le suivit, se glissant d'ombre en ombre sans se faire repérer.

Le voleur ne se doutait pas le moins du monde qu'il était pris en filature. Faisant de temps en temps les poches de quelques passants, il avançait d'un pas résolu, fouillant néanmoins les lieux du regard. Même s'il était confiant, il était prudent, et étudiait tous ceux qui l'entouraient, habitué à devoir déceler un éventuel ennemi. Bien entendu, il ne vit pas Connor.

Il tourna soudain à gauche dans une ruelle sombre et inspecta chaque porte en grognant. Caché dans l'ombre, le jeune homme sourit en découvrant l'impasse. Sa proie s'était piégée elle-même.

- J'étais pourtant sûr... Bon sang, je me suis encore trompé !

Le voleur s'apprêtait à faire demi-tour quand un homme encapuchonné surgit de nulle part, juste devant lui. Il sursauta violemment, faisant un pas en arrière. Il lui était impossible de voir le visage de l'inconnu.

Se ressaisissant, il bomba le torse pour faire face.

- Laisse-moi passer ! rugit-il.

- Je ne crois pas, non, répondit calmement Connor.

- Moi, je crois que si ! Et d'ailleurs, qui es-tu imbécile, pour oser me menacer ?

- Oh, mais tu sais qui je suis.

Le voleur se décomposa.

- Vous... un... un Maître des Ombres...

- Tu as quelque chose qui m'appartient, continua Connor sur le même ton tranquille.

L'homme porta la main à sa bourse.

- Ce n'est pas à toi crétin, essaye donc de me la prendre !

Il tira sa dague et la pointa sur Connor.

- Je te déconseille vivement de jouer à ça.

Connor tira à son tour une des deux dagues qui pendaient dans son dos avec lenteur. Le bruit métallique fit tressaillir le voleur. Plus que l'arme elle-même, qui brillait sous l'éclat des lunes, c'était le calme déstabilisant, et cette voix sans émotion du Maître des Ombres qui terrorisaient l'homme.

- Donne-moi cette pierre, et je te laisse la vie.

- Jamais !

- Ne joue pas avec ta vie. C'est mon dernier avertissement. J'en ai tué des plus coriaces que toi, tu sais ? Je repends tes tripes sur le sol en deux secondes, si ça me chante. Alors, ne me tente pas. C'est mon dernier avertissement. Donne-moi la pierre, et je te laisse la vie.

Le voleur était blanc comme un linge. Tout, dans la posture et la voix de Connor, laissait entendre qu'il ne le vaincrait pas. Et qu'il ne mentait pas. C'était un Maître des Ombres, un homme à ne pas prendre à la légère !

- Ma patience s'épuise, soupira le jeune homme. Si tu ne me donnes pas cette pierre dans les trois secondes qui suivent, je te tue sur-le-champ.

Le voleur hésitait.

- Un...

De grosses gouttes de sueur apparurent sur son front.

- Deux...

- La voilà.

Il décrocha sa bourse et s'approcha de Connor pour la lui donner. Alors qu'il la déposait dans sa main, son couteau fusa au niveau de son ventre, rapide et précis. Un coup bien calculé qui aurait dû éviscérer le jeune homme.

Connor l'évita en se décalant légèrement sur le côté. Il saisit le poignet du voleur, et le retourna sans douceur dans son dos. L'homme hurla de douleur en lâchant son arme.

- Je t'avais prévenu, souffla Connor d'une voix sans âme.

- Non, non ! Pitié, je vous en prie ! Je vous en prie ! Morvath allait me tuer si je me faisais prendre la pierre.

- Tu n'as plus rien à craindre de lui puisque c'est moi qui te tuerai.

- Non ! Je vous en prie !

Connor plongea son regard glacé dans celui du voleur, tordant toujours son poignet. Le pauvre homme était terrorisé. Il n'avait jamais dû frôler la mort d'aussi près.

- Que je ne te revois plus, souffla Connor à son oreille. Essaye de me retrouver et tu es un homme mort, est-ce clair ?

Le voleur hocha vivement la tête, et quand le Maître des Ombres le relâcha, il s'enfuit sans demander son reste, manquant de trébucher. Connor eut un sourire satisfait.

Le jeune homme baissa alors les yeux sur la bourse fraîchement gagnée et l'ouvrit pour voir ce qu'elle contenait. À l'intérieur, il y avait une pierre, orange et noire, d'une rondeur parfaite qui faisait la taille d'un petit poing. Connor n'en avait jamais vu de semblable. Elle était magnifique !

- Toi !

Le Maître des Ombres fit volte-face pour découvrir un homme d'une carrure impressionnante au bout de la rue. Nul doute qu'il savait se battre et qu'il devait semer la terreur partout où il passait. Il portait une cape et une panoplie d'armes était visible dessous. Il semblait avoir un œil crevé. Un sourire cruel fendait son visage, laissant apparaître quelques dents jaunâtres.

- Alors ce qu'on racontait était vrai, lança-t-il. Il y a bien des Maîtres des Ombres dans ma ville.

De nouveau impassible, Connor vint lui faire face, rangeant sa bourse avec des gestes lents. L'homme fronça les sourcils, scrutant le visage du jeune homme sous son capuchon.

- Il ne me semble pas avoir déjà eu affaire à toi, je me trompe ? Tu es sûrement un petit nouveau. Alors je vais être gentil. Donne-moi la pierre, et je te laisse la vie.

Connor éclata d'un rire franc.

- Tu dois être Morvath, le chef des voleurs. Aussi grande que soit ta réputation, tu crois vraiment m'impressionner ? Ton petit jeu d'intimidation ne marchera pas avec moi.

L'homme tira sa dague. Tout sourire s'était envolé de son visage.

- Donne-moi la pierre, ou je te troue la peau.

- Tu n'as jamais eu affaire à des Maîtres des Ombres, n'est-ce pas ?

- Oh que si ! Mais toi, tu es nouveau, tu n'es pas encore fort. Je te tue en quelques secondes.

- Essaye seulement. Je te laisse trois essais avant de répliquer. Un conseil d'ami, Morvath. (Sa voix redevint froide comme la mort.) Ne me loupe pas, parce que moi, je ne te louperai pas. Si tu tiens à la vie, ne joue pas avec moi.

- Avorton, crois-tu que tu m'effraies ?!

Sans crier gare, Morvath passa à l'attaque. Brandissant sa dague, il se décala sur le côté avant de faire revenir sa lame au niveau du ventre de Connor. Calme et serein, le jeune homme se contenta de l'éviter, un sourire aux lèvres.

- Un.

Dans le même mouvement, Morvath repassa à l'assaut. Si rapide que fût son geste, Connor l'évita une seconde fois.

- Deux.

Alors que Morvath armait son bras et lui bondissait dessus une dernière fois, son bras gauche se détendit. Un couteau apparut dans sa main, fusant vers les côtes de Connor... qui n'était déjà plus là.

- Et trois. À mon tour maintenant.

Ébahi, le voleur n'eut pas le temps de réagir. Connor lui attrapa un bras et le tordit violemment dans le dos. L'homme se dégagea, s'apprêtant à le frapper de sa dague, mais son adversaire intercepta son bras au vol, se servant de son élan pour le lui briser.

Morvath poussa un cri déchirant, rapidement étouffé par le poing du jeune homme qui s'abattait sous son menton. Il s'écroula de tout son long, sonné. Connor aurait pu le tuer, mais il en décida autrement. Aucune mort inutile. D'ailleurs, du coin de l’œil, il avait repéré Darek, perché sur un toit au-dessus d'eux.

- Je suis de bonne humeur, alors je te laisse la vie, souffla le Maître des Ombres. Essaye de te venger sur ceux de ma confrérie, et je te retrouverai. Et je te tuerai.

Le voleur ne put que grogner à cause de sa mâchoire brisée, essayant de se lever laborieusement. Quand il leva de nouveau les yeux vers le jeune homme, celui-ci avait disparu.

3

Depuis sa victoire contre Morvath, les voleurs n'avaient rien tenté contre Connor, mais Darek n'en avait pas fini avec ses entraînements pour autant. Le Maître des Ombres qui l'accompagnait pour affaire, Phil, avait accepté de faire la cible que Connor devait prendre en filature. Traquer un Maître des Ombres sans se faire repérer s'était avéré beaucoup plus compliqué que de suivre un simple voleur. Mais le jeune homme s'en sortait bien, et Darek était fier de lui.

Profitant également que Griseroche soit une ville sombre, Darek lui avait appris à mieux se servir de l'ombre, et d'en faire une alliée digne de ce nom. Là encore, le jeune homme faisait de gros progrès, et même sans l'Onde, il était déjà très fort.

Il suivait également des entraînements plus basiques, comme des heures de course à pied et des séances de renforcements musculaires. Darek lui faisait également travailler ses aptitudes à se battre sans aucune arme, juste à la force de ses bras.

Enfin, tous les matins, ils s'enfermaient dans leur chambre et Darek apprenait à son apprenti à sentir l'Onde en lui.

- Sens ce pouvoir qui coule en toi, lui disait-il. Ressens-la à travers chaque fibre de ton corps. Laisse-toi envahir.

- Ce sont de beaux mots, Darek, mais ils ne m'aident pas du tout.

- Parce que tu t’obstines à ressentir l'Onde par la raison, Connor. Tu la cherches avec ta tête. Par conséquent, tu t'empêches toi-même de la ressentir.

- Comment dois-je faire, alors ?

- Avec ton cœur. Sens-la avec ton cœur.

- Darek, c'est impossible. C’est très poétique, mais on ne peut pas ressentir quelque chose en soi de cette manière.

Darek avait ouvert un œil pour contempler son élève qui avait les yeux rivés sur lui. Assis en tailleur l'un en face de l'autre, ils s'étudiaient sans bouger.

- Bien. Dans ce cas, dis-moi, aimes-tu Sanya avec ta tête ou ton cœur ?

- C'est complètement différent !

- Réponds à ma question.

- Avec mon cœur, évidemment.

- Alors aime l'Onde de la même manière que tu aimes Sanya.

- C'est impossible.

- Tant que tu n'auras pas changé ta vision des choses, tant que tu t’obstineras à sentir l'Onde avec ta tête, et non avec ton cœur, alors oui, ce sera impossible.

Décidément, sentir l'Onde s'avérait bien plus compliqué qu'il ne le penser. De plus, songea-t-il, Kelly était bien plus pédagogue que Darek.

- Rappelle-toi la sensation que tu as éprouvée, lorsque tu as ressenti l'Onde pour la première fois. Ce n'était pas avec ta tête que tu la sentais, mais bien avec ton cœur. Tu étais bien, en harmonie avec toi-même. Retrouve cette sensation de paix.

Et comme toujours, Connor n'avait pas réussi. Il doutait qu'un jour il puisse y arriver, mais la chose ne devait pas lui paraître impossible. Il devait persévérer.

Un jour, pour se changer les idées après des heures d'entraînements sans succès, le jeune homme avait demandé à Darek s'il pouvait lui montrer le tatouage des Maîtres des Ombres. Pour toute réponse, l'homme avait retiré ses épaulières, puis sa tunique, exposant son torse musclé. Sur le pectoral et l'épaule droits étaient dessinés des symboles mystérieux à l'encre noire. Des lignes et des formes formant un ensemble de dessins complexes dont la signification était inconnue au jeune homme.

- Des symboles mystérieux pour nous aussi, expliqua Darek. Les Maîtres des Ombres se les tatouent depuis mille ans, sans savoir pourquoi. Tous sont attirés par ces dessins, comme si notre inconscient savait ce qu'ils veulent dire. Comme s'ils faisaient partie de nous. Tu ne feras pas exception à la règle, et quand tu arboreras ces dessins, tu auras l'impression... qu'ils font partie de ta nature profonde. Il y a tant de secrets, sur notre confrérie, qu'il reste encore à percer...

Darek n'avait pas reparlé des tatouages. Connor repensa à la prophétie, qui disait qu'il apporterait la connaissance. Il espérait de tout cœur pouvoir l’accomplir et percer les secrets de la confrérie.

Durant cette excursion, Darek lui avait également montré ce que les aigles pouvaient faire pour les Maîtres des Ombres. Sandre avait pris son envol, et sur les ordres de son maître, l'avait guidé jusqu'à une personne bien précise, avait dérobé un objet, livré des messages, et protégé son maître lors de combat.

- Comment pouvez-vous dresser un animal de cette façon ? s'était enthousiasmé Connor.

- Nous ne les dressons pas, pour tout dire. Nous nous lions à eux. Avec l'Onde.

- Comment ça ?

- C'est une sensation que je ne peux pas te décrire. Tu dois la ressentir toi-même. Le moment venu, tu comprendras.

Perché sur l'épaule de Darek, Sandre avait jeté un long regard à Connor. Il y avait une sorte d’intelligence, à l'intérieur, qu'il n'avait jamais vu chez aucun autre animal. Comme si l'Onde le parcourait également. L'Onde de Darek.

Les entraînements avaient duré de la sorte des jours et des jours, jusqu'à ce que Darek soit satisfait. Connor avait fait beaucoup de progrès, il était temps pour lui de suivre les enseignements de Kelly. Le jeune homme avait hâte de la revoir, mais plus encore, il était heureux de rentrer à Sohen pour voir Sanya, qui lui avait tant manqué.

Ils arrivèrent à Sohen un après-midi et bien que Connor aurait voulu faire un saut en premier au château, Darek le lui avait refusé.

- Nous irons ensemble plus tard, j'ai moi aussi à m'entretenir avec la reine.

Le jeune homme n'avait pas cherché à polémiquer jusqu'à leur arrivée au repère de la confrérie, de toute façon, rien n'aurait pu faire changer d'avis son intraitable formateur. Ce fut Kelly qui les accueillit, un grand sourire aux lèvres, rayonnante de joie.

- Enfin vous revoilà, s'écria-t-elle. Je me demandais si les voleurs n'avaient pas eu raison de vous et s'il fallait que j'aille là-bas ramasser vos restes.

- Ils ont tous mordu la poussière, s'amusa Darek. Et toi, comment vas-tu ? Pas trop de soucis ?

Kelly posa une main sur son bras en rigolant :

- Bien, arrête de t'inquiéter !

- Je ne m'inquiétais pas.

La jeune femme haussa les épaules et se tourna vers Connor.

- Alors, comment ça s'est passé ?

- Très bien.

Il lui raconta brièvement ce qu'il avait vécu, insistant particulièrement sur les coups bas de Darek, qui ne pouvait s'empêcher de sourire. Kelly avait le don de le faire parler, et encore une fois, il n'échappa pas à ce magnétisme qui se dégageait d'elle.

- J'ai hâte de te voir à l’œuvre, répondit-elle quand il eut fini. (Elle se tourna ensuite vers Darek :) Les autres ne sont pas encore rentrés.

Suivant l’initiative de Darek, d'autres Maîtres des Ombres avaient emmené leurs apprentis parfaire leur formation ailleurs, et seule Mia avait dû rester à Sohen, sous la charge de Kelly.

Quand il entra, Phil s'empressa de saluer Kelly avant de se lancer à la recherche de la jeune fille. Darek devint alors très sérieux. Kelly fronçait les sourcils, attendant visiblement qu'il parle.

- Des nouvelles pour Lylia et Odge ?

Kelly soupira.

- Odge n'a encore rien trouvé d'alarmant à Teyrn, mais ses nouvelles se font rares. Quant à Lylia, les magiciens lui causent du fil à retordre. Les ailes privées du Fort ne lui sont pas accessibles, elle ne peut donc rien entendre d'intéressant et les soldats ne sont au courant de rien. Même les généraux. Eroll est très prudent.

Darek serra les poings.

- Qu'elle laisse tomber et qu'elle rentre immédiatement.

- Elle ne va pas apprécier.

- Je m'en fiche. Je ne la laisserai pas plus longtemps seule avec ces sorciers ! Fais-la revenir.

Une haine sans nom brûlait dans son regard. Il se détourna finalement. Kelly se contenta d’acquiescer.

- J'ai deux trois trucs à régler, avant de partir, reprit-il. Connor, attends-moi, je ne serais pas long.

- Mais...

- Il n'y a pas de « mais ».

Il n'avait pas élevé la voix, mais faisait preuve d'une implacable autorité. Le jeune homme sut qu'il ne devait surtout pas le contredire, même s'il répugnait à se faire commander ainsi comme un gamin. Darek oubliait trop souvent qu'ils avaient le même âge. Sans un mot de plus, le Maître des Ombres quitta la salle.

- Bah ! ne fais pas attention à lui, quand il est de mauvaise humeur, il n'entend rien, le réconforta Kelly. Il ne veut pas te faire attendre plus longtemps, il a juste peur que tu la monopolises.

- Ce n'est pas faux, concéda Connor. Mais sa réaction quand tu as parlé des magiciens... Il a un problème avec eux ?

Kelly le prit alors par le bras.

- Viens avec moi, je vais t'expliquer.

Elle lui fit quitter la salle et le mena à travers le sombre dédale en silence pour le faire entrer dans la bibliothèque. Certains ouvrages, sans doute très précieux, étaient protégés par des vitrines, ainsi que des objets d'une valeur inestimable. Des reliques, pour la plupart, que Connor n'avait jamais vues ni entendu parler. Des tables étaient également disposées pour travailler.

- Installe-toi, je reviens.

Tandis que Connor s'asseyait, Kelly parcourut les livres des yeux, le front plissé, jusqu'à tomber sur celui qu'elle cherchait. Elle souffla dessus pour chasser la poussière et le posa devant Connor.

La couverture représentait deux hommes en relief. L'un tenait un long bâton, entouré de flammes, tandis que le deuxième était vêtu de noir, un capuchon cachant son visage, une dague blanche en main. Connor toucha les dessins comme s'il s'attendait à sentir la vie palpiter sous ses doigts.

- Ce livre parle de l'histoire entre magiciens et Maîtres des Ombres.

Elle s'assit à côté de lui et le feuilleta en silence.

- Voilà.

Elle lui désigna une peinture, représentant une bataille entre magiciens et Maîtres des Ombres. Les combattants se déchaînaient avec une hargne sans nom, malgré leurs blessures et la fatigue. Des couteaux semblaient fuser, décapitant tout, des langues de feu se propulsaient dans les airs pour embraser des malheureux comme des torches. Les corps à corps étaient épouvantables, mais les attaques à distance ne semblaient pas moins dévastatrices. Par terre gisaient des cadavres, les membres arrachés, les os brisés, les yeux ouverts emplis de terreur, baignant dans une marre de sang et de lambeaux d'intestin. Une véritable boucherie, il n'y avait pas d'autre mot. Connor pouvait presque entendre les cris d'agonie. La vision de la bataille qu'il avait menée, quelque temps plus tôt, lui revint en mémoire, et il ferma les yeux pour oublier. L'odeur du sang et de la mort lui retourna l'estomac.

- Darek a toujours cette image en tête. Chaque jour qui passe, il ne l'oublie jamais.

- Pourquoi ?

- Tu connais un peu l'histoire des magiciens ?

- Oui. Ils ont fondé un ordre qui a mal tourné. Les dieux les ont tués et privés du droit de se rassembler.

- Exact. Mais avant que le châtiment ne tombe, les magiciens ont eu le temps de commettre beaucoup d'atrocité. Et les Maîtres des Ombres ont été les principales victimes. Quand l'Ordre des magiciens a plongé dans la folie, la confrérie s'est révélée être le seul espoir de la population, la seule chose capable de vaincre les sorciers. Commença une guerre sanglante, pour mettre à terme à leurs agissements. Une guerre des plus horribles, qui n'a pas son pareil dans toute l'Histoire, surnommée la guerre du Sang, à cause de toutes les horreurs inimaginables qui ont eu lieu. Des choses sans nom, qui glacent encore les gens à leur simple mention.

» Tu dois savoir que les magiciens sont les seuls que les Maîtres des Ombres craignent. Parce qu'ils peuvent nous sentir avec leur magie, et lancer sur nous des attaques que nous ne pouvons pas éviter. Des ennemis naturels, si on peut dire. Les seuls capables de nous vaincre. À l'inverse, les Maîtres des Ombres sont ceux qui peuvent les battre avec le plus de facilité, les seuls que les magiciens craignent vraiment.

» Cette guerre a duré des années, et ce fut un massacre. Les affrontements étaient terribles, les morts toutes plus horribles les unes que les autres. Les prisonniers étaient torturés, d'une manière que tu ne peux même pas t'imaginer. Beaucoup de rescapés sont devenus fous à la suite de ça. Les familles furent également touchées, torturées, abattues de sang-froid. Un village entier a même été massacré ! L'odeur du sang planait dans l'air. Une époque atroce pour les deux camps. Magiciens traqués par les Maîtres des Ombres. Maîtres des Ombres traqués par les magiciens. Ça n'en finissait pas, ils s’entre-déchiraient, s’entretuaient sans état d'âme. Les nuits étaient promesse de mort.

» Puis les dieux sont enfin intervenus. Ils ont tué beaucoup de magiciens, avant de les priver du droit de se rassembler. Les Maîtres des Ombres ont pu enfin respirer, essayer d'oublier tant d'horreurs vues en si peu de temps, se remettre des morts tragiques. Mais ils ont souffert d'une autre façon. À l'époque, ils étaient très nombreux. Et après la guerre, ils n'étaient même plus qu'une poignée. La plupart mort au combat. Les autres... (Kelly eut du mal à trouver les mots.) Les sorciers ont créé un terrible artefact pour nous torturer. Un artefact destructeur, qui aujourd'hui a disparu, fort heureusement. Cette... chose nous dépossédait de l'Onde.

- Comment ça ? Ils nous retiraient l'Onde ?

- En gros, oui. La plupart ont subi ce sort. Une souffrance sans nom avant de perdre tout ce qui leur était le plus cher. Perdre leur essence même. C'est indescriptible. Mais les dégâts ne se sont pas arrêtés là. À cause de cet artefact, le pouvoir qui brûle en nous s'est fait très rare, et malgré les efforts pour reconstruire la confrérie, l'Onde avait du mal à franchir le cap des générations. Si aujourd'hui les Maîtres des Ombres sont très peu, c'est à cause des magiciens et de leur fichue arme.

» Ces derniers ont continué de nous haïr avec le temps. Pour eux, c'est à cause de nous que les dieux les ont bannis. À cause de nous qu'ils ont soufferts. Ils nous ont mis toutes les responsabilités sur le dos. Aujourd'hui encore, la haine entre nous est forte, quand nous croisons des magiciens, nous nous entre-tuons.

Connor devint livide.

- Tous ?

- Non, bien sûr. Parmi eux, il y a des gens très bien, et nous le savons. Ceux-là, nous ne leur faisons rien. Et nous sommes même désolés de leur sort. Condamnés à être détestés à cause de leurs ancêtres. Et d'autres ne savent même pas qui ils sont. C'est malheureux. Pourtant, il y en a encore qui rêverait de restaurer la gloire de l'Ordre des magiciens, persuadés d'être meilleurs. Ils sont surtout concentrés à Aurlandia, et pour cause... les gens sont tellement faciles à manipuler là-bas.

- Alors, c'est à cause de tout ça que Darek déteste les magiciens ?

- Oui. Il n'a pas vécu cette guerre, elle s'est déroulée il y a une bonne centaine d'années, au moins, mais il se sent impliqué. Trop impliqué, même. La confrérie est toute sa vie, et savoir ce que des gens ont osé lui faire subir le met dans une rage pas possible. Mais il n'y a pas que ça. Sa famille a été tuée par eux, quand il était petit. Un massacre, m'a-t-il dit. Ses parents n'ont pas pu se défendre, les sorciers les ont tués, violé sa sœur avant de brûler la maison. Il a tout vu, tout entendu, sans rien pouvoir faire, mort de peur, meurtris. Il a réussi à s'enfuir, par un incroyable miracle. Il avait dix ans... Parfois il fait des cauchemars, au point de le faire crier, et je soupçonne qu'il ait perdu une part de sa raison, ce jour-là... À cause de certains sorciers qui prônait le retour de l'Ordre, il a grandi orphelin, et a assisté au massacre de sa famille. C'est la véritable cause. Il les hait, tous. C'est dommage, car certains sont des gens très bien. Mais lui ne les voit pas ainsi. Il ne voit que les meurtriers qui ont tué ses parents, et il est décidé à tous les éliminer. J'ai bien essayé de le raisonner, mais il ne veut rien entendre. D'ailleurs, la pierre qu'il t’a chargé de récupérer appartenait à sa mère.

- Je le comprends.

- Oui, moi aussi, mais il y a des gens bien, ils ne méritent pas qu'on les haïsse à cause de certains des leurs.

- Tu en connais ?

Kelly lui fit un clin d’œil complice.

- Je crois que nous connaissons la même.

Connor poussa un soupir de soulagement. Au moins Kelly n'en avait pas après Sanya.

- Darek ignore la vérité sur elle. Sanya aurait voulu lui en parler, mais je lui ai dit de ne rien faire. On ne sait jamais avec lui... Je ne sais pas comment il pourrait réagir.

Le jeune homme hocha la tête.

- Quand tu sauras lire, lis ce livre. Il est triste, saisissant et dur, mais il est très bien. Et je t'en montrerai un autre, qui raconte l'histoire de Nahele et des Maîtres des Ombres. Tu verras, ça te plaira.

Elle referma l'ouvrage et le reposa à sa place.

- Allez, file, Darek doit t'attendre. Mais ne lui parle pas de ça.

- Promis.

Alors qu'il se levait, Connor remarqua que Kelly était différente. Elle semblait plus calme, plus posée, plus douce. Plus maternelle. Et elle avait pris quelques kilos. Juste au niveau du ventre.

- Kelly ? Ne serais-tu pas enceinte ?

La jeune femme sourit, ravie, et posa une main tendre sur son ventre.

- Deux mois, annonça-t-elle fièrement. Je suis contente que tu l'aies remarqué !

- Félicitation !

- Merci. Je suis tellement heureuse.

- Je ne savais pas que tu étais mariée.

- Nous ne le sommes pas encore, mais ça ne serait tarder.

- Et sans indiscrétion, qui est le père ?

La jeune femme éclata de rire.

- Je pensais que tu aurais déjà deviné !

- Attends... c'est un Maître des Ombres ?

Elle hocha la tête. Le jeune homme n'eut pas besoin de réfléchir plus longtemps tellement l'évidence lui sautait à présent aux yeux.

- Darek est le père !

- Oui.

- Le cachottier ! Depuis combien de temps êtes-vous ensemble ?

- Un peu plus de trois ans. Officiellement, j’entends. Sous ses grands airs, il est très timide. Je l'aimais dès que je suis arrivée ici, mais il ne l'a jamais compris. Quand enfin il a compris, il a beaucoup hésité, on se voyait de temps en temps, mais ce n'était pas très sérieux... Jusqu'au jour où ma patience s'est épuisée, ajouta-t-elle avec un sourire.

Connor sourit. Certaines choses se comprenaient mieux, à présent.

- Allez file ! Je croyais que tu avais hâte de voir Sanya ?

4

Durant le trajet, Connor n'avait pas manqué de charrier un peu le futur père.

- Je ne pensais pas qu'avoir un enfant pouvait être une véritable source de bonheur, avait finalement avoué son mentor. Kelly m'a vraiment apporté le bonheur.

- Heureusement qu'elle a plus de courage que toi, le taquina le jeune homme.

- Eh bien... je suis de ton avis. Si elle n'était pas si entêtée, nous ne serions peut-être pas ensemble.

- Réjouis-toi de l'avoir, je doute que tu puisses trouver une femme capable de te supporter.

Pour toute réponse, un sourire naquit au coin des lèvres du Maître des Ombres.

Quand Connor et Darek arrivèrent dans les jardins du château, ils furent accueillis par Faran qui venait déjà à leur rencontre, Il'ika sur l'épaule. L'herboriste portait une très belle tunique de noble, et en le voyant ainsi, personne n'aurait pu se douter qu'il n'était qu'un simple paysan. Il rayonnait de joie et de bien-être, ce qui faisait plaisir à voir.

- Connor ! Je suis heureux de te revoir mon frère.

Le jeune homme lui donna une accolade avant de lui donner une tape amicale sur l'épaule. Il était si heureux de le revoir ! Puis il prit Il'ika dans ses mains, qui s'empressa de le saluer joyeusement.

- Moi aussi, j'ai plein de choses à te dire. On parlera plus tard, d'accord ?

La fée hocha vivement la tête et laissa son ami tranquille, retournant se lover sur l'épaule de l'herboriste.

- Vous voulez voir Sanya, non ? demanda ce dernier.

- En effet, si elle n'est pas occupée, répondit Darek.

- Vous l'avez ratée de peu, elle vient de descendre en salle du trône. Des affaires à régler.

- Nous l'attendrons ici. Connor, si tu veux en profiter pour parler un peu avec ton frère, je te laisse tranquille.

- Merci Darek.

Il disparut sans un bruit, comme à son habitude.

Prenant Il'ika sur son épaule, Connor suivit son frère qui le mena aux créneaux pour observer l'océan qui s'étendait devant eux. Ils restèrent un moment silencieux, admirant cette fantastique vue, écoutant le bruit apaisant des vagues, jusqu'à ce que Faran brise le silence.

- Alors, comment se sont passés tes entraînements ?

Le jeune homme lui raconta tout dans les détails, ne tarissant pas sur les mots.

- Un programme chargé à ce que je vois, s'amusa Faran.

- Je ne te le fais pas dire, je suis épuisé. Et ce n'est pas fini.

- As-tu réussi à sentir l'Onde ?

- Non, pas encore. Pour tout dire, je ne vois pas comment faire, comment m'y prendre, même avec les conseils de Darek et Kelly.

Faran posa une main sur son épaule.

- Ça ne doit pas être chose facile, mais je sais que tu es capable de tout. Et pour l'histoire des Maîtres des Ombres ? As-tu appris des choses intéressantes ?

Connor lui expliqua ce que Kelly lui avait révélé quelque temps plus tôt. Faran ne douta pas un instant que la confrérie ait une histoire très riche et intéressante, et il regretta amèrement de ne pas pouvoir l'étudier.

- Maintenant que nous sommes rentrés, Kelly a dit qu'elle allait m'apprendre à lire.

C'était effectivement le programme de la semaine. Connor ayant fait beaucoup de progrès, il avait droit à un peu de repos, et Kelly avait l'intention de l'instruire sur leur histoire. Mais cela ne le dispensait pas de ses autres leçons, et le jeune homme s'en réjouissait. Il aimait bien travailler avec Kelly.

- Et toi, comment ça se passe ici ?

- J'ai enfin pu étudier ! La bibliothèque du château est formidable, je ne me lasse pas de toutes ces lectures ! Mais les choses sont un peu tendues en ce moment. Comme tu le sais, des missionnaires, venus d'Aurlandia, ont réussi à s'infiltrer dans le royaume, et tentent de convertir les villages. Ils essayent d'imposer leur religion, leurs lois, en prônant le bien de leur mode de vie. Sanya a envoyé des hommes les éliminer, mais ils restent insaisissables.

- Darek a bien envoyé des hommes, mais apparemment, il y aurait des magiciens dans le lot. Nous ne pouvons rien faire.

- Sanya le sait, et c'est ce qui l'inquiète. Beaucoup de gens viennent la voir, pour lui demander de l'aide, mais elle ne peut rien faire pour eux. Personne n'a réussi à attraper ses missionnaires, qui continuent d'inquiéter grandement la population. Certains habitants qui ont de la famille ailleurs commencent même à partir vers Jahama ou Dryll. Ils ont peur, tous, et ils préfèrent fuir avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'ils ne soient pris au piège. Tout le royaume est tendu, les gens ont peur, et des temps sombres s'annoncent. De plus, les espions n'ont toujours rien trouvé, contre l'assaut d'Aurlandia, il y a quelque temps. Aucun indice, rien du tout. Nous ne savons toujours pas ce que prépare Eroll. Nous sommes dans le flou total, aveugle, incapable de nous défendre. Le danger approche, et nous ne pouvons rien faire. Nul doute qu'il fera mal, quand il frappera.

- Et le prisonnier ?

- Il est mort il y a deux jours. Il n'a rien révélé, hormis que l'heure de Sanya venait de sonner. Elle allait très bientôt découvrir les plans d'Eroll, mais il serait trop tard.

Connor serra les poings.

- On ne peut pas laisser faire, il faut trouver ce qui ne va pas.

- Je sais, Sanya fait son maximum.

- Comment encaisse-t-elle les choses ?

L'herboriste soupira et Il'ika jeta un coup d’œil compatissant à Connor.

- Elle est sur les nerfs. Elle ne le montre pas, mais elle est épuisée, physiquement et moralement. Les révélations du prisonnier lui font peur. Elle est vraiment inquiète, elle craint de ne pas pouvoir repousser Eroll, elle craint que son peuple soit condamné. Un gros danger arrive, et elle ne peut rien faire, elle ne peut même pas le voir. Elle ne peut qu'attendre qu'il s'abatte sur eux. Après tout ce qu'elle a subi, elle est très sensible.

Connor savait que la jeune femme avait fini par révéler son identité à son frère, tous deux pouvaient donc comprendre l'accablement de la reine.

- Elle s'inquiète trop, concéda-t-il. Et elle panique rapidement, même si elle ne le montre pas.

- Ça lui fera du bien de te revoir, tu sais. Tu lui as manqué, et elle a vraiment besoin d'un peu de soutien. Je l'aide autant que possible, bien sûr, d'ailleurs, il s'est avéré que je ferais un très bon conseiller, mais c'est de toi dont elle a besoin.

- Je veillerai à ce qu'elle décompresse un peu. Mais je m'inquiète tout autant. S'il devait lui arriver quelque chose... J'ai peur pour elle.

- Nous trouverons vite ce que prépare Eroll, je te le promets.

- Oui... Et avec les conseillers et leur petite famille, comment ça se passe ?

- Plus ou moins bien. Les conseillers et leurs épouses ne semblent pas vraiment ravis de ma présence parmi eux, mais ils ne me font rien. Quand Sanya et moi sommes obligés de manger avec eux, il y a les bardes et les artistes, alors ils ne s'intéressent pas trop à moi. En revanche, les enfants sont exécrables.

- Ça, je ne te le fais pas dire...

- D'ailleurs, méfie-toi. Il y en a un qui traîne souvent autour de Sanya et ne cesse de lui faire la cour. Une vingtaine d'années, je pense. Ce morveux ne te porte pas dans son cœur, et ta mort ne le dérangerait pas, bien au contraire...

Les mâchoires de Connor se crispèrent.

- Je vais m'en occuper. Qu'il ne s'imagine pas que son statut lui donne tous les droits sur moi. Ces gens m'exaspèrent, du haut de leur vingt ans, ils croient déjà dominer le monde, qu'ils valent mieux que nous. S'ils avaient vécu le quart de ce que nous avons enduré, ils la ramèneraient moins.

Décidée à détendre un peu l'atmosphère qui s'alourdissait, Il'ika se posa dans les mains de Connor, lui racontant tout ce qu'elle avait fait pendant ces semaines d'absence. Le jeune homme ne put s'empêcher d'éclater de rire.

- Pauvre Faran, elle t'a malmené !

L'herboriste sourit tendrement.

Ils restèrent longuement là, à contempler l'océan, essayant de faire passer leurs préoccupations qui pesaient sur leurs épaules. Darek n'était pas en vue, ils étaient enfin seuls, ce qui n'était pas arrivé depuis leur départ d'Ebènel. Le temps où ils vivaient simplement, dans leur petite maison de campagne leur paraissait très loin...

Ils entendirent alors des voix et se retournèrent. Deux conseillers marchaient en direction du bâtiment résidentiel, encadrant Sanya. En la voyant, le cœur de Connor fit un bon dans sa poitrine. Vêtue d'une belle robe, les cheveux tressés, la jeune femme était resplendissante de beauté. Une véritable déesse, il n'y avait pas d'autres mots.

- Votre Majesté ! l'interpella Connor.

En reconnaissant cette voix qu'elle aimait tant, Sanya se tourna et son visage s'illumina lorsqu'elle découvrit son bien-aimé. Elle ne put cacher son sourire de ravissement et fit rapidement signe à ses conseillers de partir sans elle, avant de se précipiter vers son amant.

S'ils ne pouvaient se permettre de s'embrasser ou de s’enlacer en public pour ne pas dévoiler leur relation, leur regard débordant d'amour aurait tout aussi bien pu les trahir. Connor caressa discrètement le visage de la jeune femme.

- Tu m'as manqué, souffla-t-il.

- Oh toi aussi, si tu savais.

Que n'auraient-ils pas donné pour se serrer l'un contre l'autre, mais ils devaient encore patienter.

Faran les rejoignit, Il'ika sur son épaule, et Darek ne fut pas long à apparaître, sortant de nulle part comme d'habitude.

- Majesté, salua-t-il en s'inclinant.

- Darek, c'est un plaisir de vous revoir. Qu'est-ce qui vous amène ici ?

- Je voulais prendre des nouvelles de la situation.

Sanya s'assombrit.

- Dans ce cas, venez avec moi, nous serons mieux à l'intérieur pour parler.

Elle les fit monter dans son salon privé, où elle demanda que personne ne vienne les déranger. Un garde prit son poste devant la porte. Depuis que le danger planait sur Sanya, les soldats étaient en alertes, et la sécurité avait augmenté. La jeune femme ne pouvait aller nulle part sans qu'un garde ne le sache.

S'installant près de Connor, elle fit signe à Darek et Faran de s'asseoir en face d'eux.

- Je crains de ne pas avoir grand-chose à vous révéler, soupira la jeune femme. Depuis votre départ, la situation est la même. Les missionnaires sévissent, et nous ne pouvons rien faire. Ils sont introuvables, il n'y a aucune trace de leur passage, et ils disparaissent toujours avant que les soldats n'arrivent. Vos hommes ont dû vous prévenir qu'il y a sûrement un magicien dans le lot.

- En effet, ils m'ont prévenu.

- Nos espions n'ont rien trouvé non plus sur les plans d'Eroll, et notre prisonnier vient de mourir, il y a deux jours.

- Quel dommage. Vous a-t-il révélé autre chose, en mon absence ?

- Rien de nouveau, hormis que mon heure est arrivée. Eroll va bientôt frapper, et nous ne pourrons rien faire. Nous sommes complètement aveugles face au danger, nous le sentons arriver, mais nous ne pouvons rien faire...

- Majesté, même si nous ne pouvons pas attraper les missionnaires, mes hommes continuent de patrouiller et d'interroger. Ils finiront bien par trouver quelque chose, c'est certain.

- Merci Darek.

- En revanche, je vais devoir rappeler celui qui se trouve actuellement en Aurlandia. Il y a des sorciers, c'est trop dangereux.

- Je comprends. Il n'y a rien de nouveau, je regrette.

- Dans ce cas, je ne vais pas vous déranger plus longtemps, Majesté, annonça Darek en se levant. Si vous avez besoin de moi, vous savez où me trouver.

Et il s'en fut sans un bruit. Faran se leva à son tour, se sentant de trop, et adressant un sourire à son frère, il le laissa en compagnie de sa bien-aimée.

Quand la porte fut refermée, les deux jeunes gens se jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Connor se perdit dans le parfum de Sanya en la serrant très fort contre lui.

- Mon amour, je suis heureux de te revoir, souffla-t-il.

- Moi aussi. Je me demandais quand je te reverrais.

- Je suis tout à toi à présent.

Ils se contemplèrent un moment d'un regard débordant d'amour, avant de s'embrasser langoureusement. Connor se sentit transporté de joie. Retrouver enfin sa bien-aimée lui fit oublier tous les problèmes qu'ils avaient sur le dos.

Puis Sanya s'appuya contre son amant, enfouissant sa tête contre son cou, et elle l'écouta raconter tout ce qu'il avait vécu loin d'elle. Le jeune homme se fit un plaisir de lui conter ses aventures.

- Tu deviens un véritable Maître des Ombres !

- Il me reste encore beaucoup de choses à apprendre. Je n'arrive pas à ressentir l'Onde.

Sanya se redressa et caressa son visage d'une main douce.

- Ça ne fait que deux mois que tu es dans la confrérie, c'est normal.

- Je sais. Mais je ne vois pas où aller, comment chercher.

- Ça viendra avec le temps, j'en suis sûre.

Sanya l'embrassa pour l'apaiser et un sourire se dessina sur ses lèvres quand il glissa une main dans ses cheveux pour faire des tortillons.

- Laisse le temps faire ce qu'il a à faire. Il faudra peut-être un déclic, mais un jour, tu y arriveras. Tu es un Maître des Ombres, je le sens.

- J'en ai moi aussi conscience. Pour tout dire, j'ai parfois l'impression de ne plus me reconnaître, de ne plus être le même. Mon existence à Ebènel me semble si loin et si flou, comme un rêve qui s'efface au réveil. J'ai un peu l'impression d'avoir vieilli d'un seul coup.

- Laisse-toi pousser la barbe alors, le taquina Sanya.

- Tu n'aimes pas.

- Non, en effet. Tu piques de trop. La dernière fois, j'avais la peau irritée à mon réveil. Maintenant, serre-moi dans tes bras et embrasse-moi. Tu m'as tant manqué.

Avec un sourire, le jeune homme obéit.

- Un bon bain chaud, seuls tous les deux, ça te tente ? souffla Sanya contre ses lèvres.

Connor sourit.

- Comment vous le refuser, ma reine ?

- Les gardes surveillent les couloirs de mes quartiers. Si je les occupe un peu, crois-tu pouvoir passer ?

- Pour une belle femme comme vous, un jeu d'enfant.

- Alors, viens.

Elle ne fut pas longue à duper les gardes habilement. Tandis que l'un s'empressait d'aller chercher ce qu'elle lui avait demandé, l'autre répondait avec joie à toutes les questions qu'elle lui posait. Il ne vit rien, il ne sentit rien, mais quand Sanya mit fin à la conversation, Connor s'était déjà réfugié dans la salle de bain depuis longtemps.

La reine le contempla longuement avant de se déshabiller de manière tentatrice. Nue, elle défila devant lui, terriblement désirable, et fit couler dans le bac une eau encore fumante, avant de l'arroser avec des herbes odorantes. Elle se glissa dedans en soupirant.

- Eh bien, tu vas rester longtemps planté comme ça ? s'amusa-telle en découvrant que Connor s'était perdu dans sa contemplation.

- À qui la faute ? répliqua-t-il avec un sourire narquois.

Il se déshabilla à son tour et sourit en lisant du désir dans le regard de sa compagne. Il ne la fit pas attendre davantage et se glissa dans l'eau tiède pour qu'elle vienne se blottir contre lui.

Heureux de pouvoir enfin se retrouver seuls et de laisser libre cours à leur passion, ils firent l'amour en silence.

Quand ils furent rassasiés et haletants, ils se blottirent l'un contre l'autre dans l'eau chaude, se lavant mutuellement avec un pain de savon.

- Sanya ? demanda soudain Connor.

- Oui ?

- Tu sais, quand nous sommes arrivés à Sohen la première fois, tu as dit qu'Eredhel avait été un jour divisé en plusieurs royaumes. Et que les falaises de Rocrouge portaient ce nom à cause de légendes, prétendant qu'il y eut d'autres civilisations, avant nous, je me trompe ?

- Non.