Le Roi Félon - Magali Raynaud - E-Book

Le Roi Félon E-Book

Magali Raynaud

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Beschreibung

Après son échec à prouver à l'empereur son innocence, Sanya n'a d'autre choix que de continuer la guerre. Les troupes d'Eroll semblent de plus en plus farouches et elle n'a toujours aucune piste sur le Quilyo. Mais alors que le royaume est déjà suffisamment vulnérable, un nouvel acteur entre en jeu. Kalim, le roi Félon de Teyrn, connu pour sa fourberie, souhaite une alliance avec Eredhel, une alliance lourde de conséquences. Sa venue apportant son lot de troubles, Connor n'a de cesse de découvrir les véritables motifs et son rôle dans l'avenir du royaume...

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Veröffentlichungsjahr: 2020

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Du même auteur :

L'Héritier

La guerre des dieux :

1 – Le Maître des Ombres

2 – L'Enlèvement

3- Les Royaumes Oubliés

4- Le Roi Félon

5- Le Talisman des Âmes (à paraître)

Kiwa

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

1

Sanya contemplait la carte du monde étalée devant elle en fronçant les sourcils. Des pions en bois représentant ses propres bataillons ainsi que ceux d'Eroll étaient disposés un peu partout, principalement au nord d'Eredhel. Les stratèges les déplaçaient en fonction des mouvements des troupes ennemis et en fonction de leur propre stratégie. La reine étudiait chaque position avec beaucoup d'attention, réfléchissant aux avantages et aux inconvénients des tactiques.

Depuis la mort de Céodred, soit plus d'un an plus tôt, Eroll ne lui laissait aucun répit et ses troupes ne cessaient de venir à ses frontières pour percer ses défenses. Beaucoup de ses avants postes avaient été attaqués, mais pour le moment, Eredhel gardait la main. Si plusieurs petites batailles avaient éclaté un peu partout au nord de son territoire, la reine gardait l'avantage et ne souffrait d'aucune défaite. Elle craignait cependant que l'empereur ne s'attaque à des convois d'armes ou de nourritures, la privant ainsi de ses ressources et qu'il essaye de lui couper les vivres, mais plus que tout, elle craignait qu'il ne s'attaque aux villages et à ses habitants. On lui avait rapporté que plusieurs villages avaient déjà été pillés et Sanya, malgré tous ses efforts, avait du mal à tous les protéger. Elle craignait pour la sécurité de son peuple.

- Non.

La voix d'Aela la tira de ses pensées et la jeune femme mit un moment à se rappeler de quoi ils parlaient. Fixant la carte, elle se replongea dans la discussion.

- Nous ne pouvons pas lancer nos hommes aux combats ici, expliqua la guerrière. Ce sont eux qui ont l'avantage du terrain, ne l'oublions pas.

- Que proposez-vous ? répliqua un stratège. Le fort ne tiendra pas indéfiniment. Nous avons pas mal d'homme là-bas, nous ne pouvons pas nous permettre de les perdre.

- Je n'envisageais pas de les abandonner. Mais votre attaque est trop prévisible, trop dangereuse. Il faut forcer l'ennemi à se retrancher ici. (Elle pointa du doigt un point sur la carte.) En coinçant l'ennemi dans ce défilé et en plaçant des archers sur les hauteurs, nous pourrions les tuer les uns après les autres.

Sanya hocha la tête. Aela avait raison, s'ils parvenaient à coincer l'ennemi dans ce défilé, c'était gagné pour eux. Encore fallait-il trouver un moyen de les attirer là-bas.

- Il existe une bonne vieille technique, lança l'un de ses hommes. Faisons-leur croire que nous ne sommes pas nombreux, nous attaquons, puis nous fuyons là-bas.

- Non, répliqua Aela. D'où venez-vous, depuis combien de temps n'avez-vous été sur le champ de bataille ? Ils se rendront aussitôt compte de la supercherie. Non, il faut que ce soit eux qui y aillent.

- Une suggestion ? demanda Sanya.

- Peut-être bien. C'est Reva qui m'a donné cette idée. Il faut appliquer la méthode des chasseurs. On les encercle, on les force à se replier. Le défilé apparaîtra comme leur seule issue possible. Ils s'y engouffreront en croyant qu'on les suivra et qu'ils pourront nous avoir à la sortie. Sauf qu'un deuxième groupe les attendra, les piégeant à l'intérieur.

- Et comment les forcer à se replier ? Ils ne sont pas stupides, en voyant le défilé, ils comprendront.

Avec un sourire, la jeune femme désigna plusieurs points sur la carte.

- Peut-être, mais ils n'auront pas d'autre choix que d'y entrer. Placez des hommes, ici, là et là. Nous attaquerons de nuit. Des hommes feront couler de l'huile près du camp, en formant un arc de cercle, comme ceci. Au signal, nous allumerons le feu. Les aurlandiens seront pris comme du gibier, ils devront battre en retraite jusqu'au défilé, ou périr par les flammes. Nos hommes veilleront à ceux que les petits téméraires reculent aussi. Et enfin, du haut des falaises, nos archers pourront s'en donner à cœur joie. Et le reste de nos hommes attendra les aurlandiens à la sortie du défilé. Nul besoin d'être nombreux, il faut juste que les aurlandiens le croient. Ils ne franchiront pas la barrière de feu. C'est une technique qu'utilise les chasseurs pour coincer des bêtes particulièrement dangereuses.

Les stratèges s’observèrent les uns les autres, réfléchissant à ce plan. Ils hochaient la tête en parlant, et l'attente agaça légèrement Aela. Sanya poussa un soupir, elle aussi ennuyée qu'il faille réfléchir des jours pour un plan aussi astucieux.

- Ça me convient à merveille. De plus, les aurlandiens ne sont pas si nombreux que ça, là-bas.

- Alors la question est réglée ! s'exclama un homme. Nous allons sauver cet avant-poste et éliminer une menace.

- Il en reste d'autres, répliqua un autre stratège.

- Chaque chose en son temps, rappela Sanya. Nous avons fait le tour de nos possibilités et agit en conséquence. Patience, ce qu'on ne peut pas faire aujourd'hui, nous le pourrons peut-être demain. Et je ne veux pas me montrer pessimiste, mais lors d'une guerre, nous ne pouvons pas gagner toutes les batailles. Eroll est un fin stratège, il faut s'attendre à subir des défaites. Cela ne nous empêchera pas de gagner la guerre.

- Mais que faisons-nous s'il attaque les convois ? Et les villages ?

- Pour le moment il laisse nos convois tranquilles. Nous allons prendre des mesures de sécurité, mais nous ne pouvons rien faire de plus. Quant aux villages les plus proches des champs de bataille, ils seront sous protection, pour les autres, j'ai le triste regret de dire que nous ne pouvons pas être partout à la fois. Là encore, nous prendrons des mesures de sécurité pour avertir d'une attaque.

- Oui Majesté. Je pense que c'est tout ce que nous pouvons faire aujourd'hui, en attendant les prochains rapports.

- Dans ce cas, vous pouvez disposer messieurs, vous avez beaucoup à faire.

Ses hommes s'inclinèrent devant elle avant de quitter la salle. Seule Aela resta auprès de sa reine. Sanya ne regrettait décidément pas son choix d'avoir offert le poste de stratège et de conseillère de guerre à la jeune femme. Si pour les décisions politiques elle n'était pas très douée, question militaire, elle était une des meilleures.

- Je pense que nous avons la main, lança Aela. Pour le moment, nous maîtrisons bien la situation.

- Mais pour combien de temps ? Eroll ne va pas s'arrêter à ces raids. Il prépare quelque chose, à n'en pas douter.

- Peut-être n'est-ce qu'une diversion. Il faudra garder nos frontières à l’œil. J'ai déjà envoyé bon nombre de mes guerriers patrouiller, s'il y a quelque chose d'anormal, ils le découvriront.

- Merci Aela. Darek a fait de même. Connor est en ce moment même en reconnaissance, s'il y a du nouveau, nous le saurons rapidement. Je lui fais confiance, s'il y a un indice quelconque, il trouvera.

- Alors c'est pour ça que tu es inquiète depuis quelques jours ?

Sanya ne put s'empêcher de sourire alors qu'elle quittait la salle pour remonter à ses appartements. Elle pensait garder ses émotions mieux que ça et Aela venait de lui prouver le contraire.

- Plusieurs de nos éclaireurs ont déjà eu des problèmes, souviens-toi. D'ailleurs, nous avons eu des soucis avec ces raids. Je crains chaque jour qu'il n'arrive quelque chose à Connor. Il est tout ce que j'ai, je ne pourrais pas vivre s'il lui arrivait malheur.

La guerrière posa une main réconfortante sur le bras de son amie.

- Nous parlons de Connor, pas de n'importe qui. Si lui se fait prendre par quelques aurlandiens, alors nous pouvons tous déjà rendre les armes. Il est plus doué que n'importe qui, alors ne t'inquiète pas. Il ne lui arrivera rien.

- Il m'a dit exactement la même chose, avant de partir.

- Alors fais-lui confiance. Ça te dit une balade dans les jardins ? J'ai beaucoup de choses à te raconter.

Les deux femmes remontèrent donc avec empressement pour se promener en toutes quiétudes dans les grandes allées du château. La neige recouvrait tout, le vent était froid, mais le paysage était magnifique. Les deux amies ne s'en laissaient pas, apaisées par le chant du vent, les flocons qui s'écrasaient sur leur manteau et la neige qui crissait sous leurs bottes. En fières nordiques, l'hiver n'était pas une saison qu'elles appréhendaient, au contraire.

Aela profita du calme pour raconter bons nombres de choses à la reine, principalement en rapport avec Reva. La guerrière s'étonna elle-même de sa loquacité, mais cela ne l'arrêta pas et voyant que Sanya s'intéressait à ce qui se passait entre elle et l'homme des clans, elle lui raconta la façon dont il la séduisait avec beaucoup de jovialité. Ravie de cette belle complicité que les unissait, Sanya ne fut pas avare en conseils. Elles parlèrent longuement, amusées de ce qu'elles pouvaient bien s'apprendre mutuellement, avant que la guerrière ne prenne congé pour un rendez-vous avec son prétendant.

- Arrête de t'inquiéter et rentre te mettre au chaud.

Sanya hocha la tête, mais quand son amie eut disparu, elle resserra les pans de son manteau en se dirigeant vers les remparts. Elle s'y accouda et contempla longuement les plaines et les forêts qui bordaient Sohen. Tout semblait paisible, elle avait du mal à imaginer que la guerre avait lieu sur son propre territoire.

La jeune femme songea alors aux paroles d'Aela. L'empereur faisait peut-être effectivement diversion, dans ce cas, le danger surgirait ailleurs et trop accaparée par ces raids, la jeune femme aurait du mal à contrer les attaques. Que pouvait-il bien préparer ? Avait-il découvert une arme qui pouvait changer la donne ? L'attaquerait-il de l'intérieur ? C'était trop de questions et pas assez de réponses. Elle se retrouva alors plongée dans le passé, ayant déjà vécu un événement aussi inquiétant et ça s'était terminé par sa capture. Elle avait ensuite passé deux mois entre les mains de ses bourreaux, lui laissant des cicatrices physiques et morales, probablement jusqu'à la fin de sa vie. Des cauchemars qui hantaient encore ses nuits. Une part de sa raison était restée entre les murs de sa cellule crasseuse.

Refusant de penser à ça pour le moment, Sanya contempla l'horizon. Connor était là-bas, quelque part. Il trouverait bien quelque chose d'intéressant, elle ne doutait pas de lui. De plus, Kalena veillait sur son amant, il ne risquait rien. La jeune louve avait grandi depuis qu'ils étaient revenus des Royaumes Oubliés, elle avait atteint sa taille adulte et serait des plus féroces s'il fallait défendre Connor.

Serrant un peu plus son manteau, la reine attendit de voir revenir le Maître des Ombres. Cela l’énervait elle-même de s'inquiéter autant, hélas, elle ne pouvait rien y faire. Levant les yeux vers le ciel, elle eut un sourire carnassier.

- Ça vous plaît de me voir ainsi. Profitez-en, mes amis, profitezen.

La morsure du froid commença à être douloureuse, pourtant la jeune femme se força à rester là, à attendre. C'était stupide, elle le savait, mais elle trouvait le froid presque vivifiant. Il lui donnait l'impression de l'endurcir.

Deux bras l'emprisonnèrent alors et elle sursauta avant de pousser un soupir de soulagement. Se laissant aller, elle s'appuya contre la poitrine de Connor. Ce dernier lui embrassa les cheveux en la serrant plus fort pour la réchauffer.

- Je ne tiens pas trop à ce que ma femme se change en statue de glace, souffla-t-il.

- Je vais bien. Je t'attendais.

- Pourquoi ne m'attendais-tu pas au chaud, à l'intérieur ?

- Tu sais pourquoi.

Connor soupira en posant son front contre son cou.

- Je ne vois pas ce que tu trouves de réconfortant dans le froid. Moi je donnerais cher pour que l'été revienne. Le climat de Jahama me manque beaucoup.

- Quand je suis inquiète, ça m'aide à aller mieux.

- Tu es bizarre.

Sanya rigola.

- Je sais. Alors, as-tu du nouveau ?

- Pas grand-chose, je le crains. Sanya, je suis frigorifié, j'ai attendu plus d'une heure immobile dans la neige. Mes doigts et mes pieds me font un mal de chien, je crois que je vais les perdre. Si ça ne te dérange pas, je préférerais te raconter tout ça dans un bain bien chaud.

La jeune femme hocha la tête et main dans la main, ils remontèrent jusqu'à leur quartier. Sanya prépara un bain chaud pour son amant tandis qu'il se déshabillait et quand ce fut prêt, il se glissa dedans, d'abord en faisant une grimace de douleur, puis en poussant un long soupir de soulagement. S'agenouillant à côté du bac, Sanya prit les doigts de son compagnon dans ses mains et les frotta pour les réchauffer. Tremblotant, il s’immergea jusqu'au cou.

- J'ai pisté les hommes, ils sont toujours à la même position. Ils ont beaucoup de perte, il sera facile de les éliminer. Ils ont l'intention d'attaquer un convoi sous peu. Ils sont faibles et désorganisés, ils seront faciles à avoir. En revanche, je n'ai rien appris sur leurs manigances. Kalena et moi, nous avons réussi à capturer l'un de ces hommes, mais il n'a pas voulu parler.

- Où est-il ?

- Il s'est tué. Désolé, je n'ai rien pu faire. J'espère que Darek aura eu plus de chance de son côté. Et toi ?

- Nous avons réussi à repousser plusieurs assauts et à libérer l'un de nos avant-postes. Grâce à Aela, nous allons même éliminer une autre menace. Nous avons eu de nouveaux rapports, mais rien de bien nouveaux. Dryll aussi est touché par ces raids et le roi Aldaron n'a pas plus d'explications que moi.

- Eroll doit nous tester, préparer une avance progressive.

- Possible. Avec Aela, nous pensons à une diversion.

- Oui, c'est probable. Ou alors, il attend quelque chose. La façon dont ses hommes restent ici, on dirait qu'ils se préparent, qu'ils attendent.

- Attendre quoi ?

- Je ne sais pas, mais je pense que nous devrions nous méfier de ce qui peut bien se passer à Dryll, Teyrn, Jahama ou Eredhel. Eroll est peut-être en train de manigancer quelque chose ici même, nous devons être prudents.

Attrapant un pain de savon, la jeune femme commença à nettoyer son compagnon. Il se laissa volontiers faire, plongeant un regard intense dans le sien et il ne put s'empêcher de l'embrasser quand elle avança son visage plus près. Sentir ses mains sur lui le rendait fou de joie.

- Tu restes ce soir ? souffla alors Sanya.

- Pour manger, oui.

- Mais pour dormir ?

- Je dois m'entraîner avec Darek, cette nuit. Je ne sais pas à quelle heure je rentrerai, ni même s'il a prévu de me laisser dormir. Et je dois repartir tôt. Mais je peux venir te coucher, si tu veux, ajouta-t-il avec un clin d’œil.

- Pourquoi pas.

Elle l'embrassa doucement.

- Si Darek te monopolise tout le temps, je vais devoir trouver un autre homme pour réchauffer mes draps.

- Personne ne les réchauffe mieux que moi ! plaisanta-t-il.

Sanya lui arrosa le visage.

- Lave-toi, au lieu de parler. J'aimerais aller manger.

- Viens avec moi, supplia-t-il en désignant l'eau.

La jeune femme soupira d'amusement, puis se déshabilla pour se glisser dans les bras de son amant. L'eau était si chaude qu'elle soupira de bien être malgré sa peau rougissante. Tandis que Connor lui lavait les cheveux, elle se frotta avec le savon.

Après s'être habillés et coiffés, ils descendirent dans la salle à manger où les attendaient déjà Damian et Carina, ainsi que les autres conseillers de la reine.

Connor songea que les repas étaient beaucoup plus agréables et conviviaux depuis que la reine avait fait du tri dans ses conseillers. Leurs femmes et leurs enfants étaient des gens calmes et si les plus âgés des fils regardaient Sanya avec envie, aucun d'eux ne lui faisait d'avances déplacées. Seuls les enfants se souvenant encore de l’époque où les gens de bonne naissance uniquement pouvaient manger là, montraient encore du dédain face aux nouveaux membres de ce comité, les jugeant indignes de siégeaient là. Un comportement typique, qui finirait par passer, vu que plus personnes ici présentes n’encourageaient ce comportement. De toute façon, personne n'aurait osé faire la moindre remarque à Connor. Depuis qu'il avait intégré la confrérie, il voyait de la crainte et de l'admiration chez ceux qui le contemplaient. Il ne lui suffisait que d'un seul coup d’œil pour réduire au silence ceux qui insistaient. Connor était parfois surpris de voir avec quelle rapidité la confrérie l'avait transformé, il n'était plus tout à fait le même homme, et ça lui convenait très bien.

Breris, Tamara, Aela, Reva, Faran et Il'ika étaient également là et avoir des amis avec qui manger rendait le repas plus agréable. Tamara se remettait lentement de son deuil et l'amitié que lui portait le général Breris semblait faire plus d'effet que tous les soins imaginables. Il s'était porté garant d'elle, la protégeant et lui apportant tout le soutient dont elle avait besoin. Il passait beaucoup de temps avec elle, essayant de lui redonner goût à la vie et de lui faire oublier son terrible chagrin. Tamara n'était d'ailleurs pas indifférente à ses intentions.

Pour Reva et Aela, où qu'ils soient, ils rayonnaient de joie, ce qui faisait sourire Connor. Quant à Faran, il avait repris son rôle de conseiller avec tant de sérieux qu'on aurait pu croire qu'il avait fait ça toute sa vie. Damian était d'ailleurs ravi de l'avoir à ses côtés et Carina et lui ne cessaient de lui parler. Il'ika ne le quittait jamais, essayant de jouer à sa façon le rôle d'une épouse. Les sentiments réciproques des deux jeunes gens ne faisaient aucun doute et cela peinait Connor de savoir que son frère ne pourrait jamais goûter à tous les plaisirs de l'amour.

La convivialité de ce repas fut néanmoins de courte durée, interrompu par l’arrivée soudaine d’un jeune lieutenant qui tenait dans ses mains un parchemin plié et cacheté.

-Navré de vous déranger de la sorte, Majesté, mais j’ai un message important à vous remettre.

- Vous pouvez approcher lieutenant.

L’homme se retrouva rapidement à sa hauteur, lui tendant le parchemin.

- C’est arrivé à l’instant par messager. Il vient de Teyrn. Mon colonel m’a chargé de vous le remettre dans les plus brefs délais. Nous avons offert un repas et du repos au messager, en attendant vos consignes.

Sanya brisa le cachet et déplia le parchemin. Ses yeux parcoururent les lignes, son front se plissant au fur et à mesure de la lecture. Tous les regardaient avec appréhension, attendant patiemment la fin de sa lecture. Quand elle eut fini, la jeune femme poussa un soupir, ne sachant visiblement quoi penser.

- Le roi Kalim souhaite venir me rencontrer. Il a eu vent des conflits entre Eredhel et l’empire et voudrait passer des accords avec nous.

Un concert de murmures éclata, chacun se demandant ce que pouvait bien vouloir le roi, lui qui d’ordinaire ne se préoccupait pas beaucoup des autres.

Connor sentit Sanya tendue à ses côtés. Posant discrètement une main sur sa cuisse, il lui demanda plus d’informations.

- Quand arriverait Kalim ?

La jeune femme réfléchit.

- Très bientôt, je pense. Il attend ma réponse pour se mettre en route. En comptant le temps que le messager mettra pour arriver et le temps qu’il mettra pour venir, je dirai dans deux mois probablement.

- Comptez-vous le recevoir ? demanda Damian. Il est de notoriété publique que Kalim ne s’intéresse qu’à ce qui peut lui être utile. Il ne fait sûrement pas ça par solidarité.

- Peu importe ses motivations, je ne peux me permettre d’avoir un ennemi en plus. Un allié en revanche, ne serait vraiment pas de refus.

- Moi je pense que c'est ce qu'attend Eroll, laissa tomber Connor. Tous les regards se braquèrent sur lui.

- Ses hommes attendent quelque chose. Et je crois qu'il s'agit du roi Kalim. De son soutien.

- Vous croyez qu'Eroll et Kalim ont passé un accord ? demanda l'un des conseillers nommé Osmund. Que Kalim ne vient ici que pour s'en prendre à la reine Sanya ?

- Ce ne sont que des suppositions, mais je me méfie grandement de lui. Je ne suis pas sûr que ses intentions soient bonnes. Il faudra être très méfiant, le garder à l’œil. (Il se tourna vers Sanya.) Darek est de mon avis.

- Dans ce cas, je verrai avec lui les mesures de sécurité que l'on pourra prendre. Je ne veux pas d'incidents diplomatiques avec Kalim, mais je ne me laisserai pas avoir. Si c'est effectivement la guerre qu'il veut, s'il est de mèche avec Eroll, croyez-moi qu'il s'en mordra les doigts. Mais s'il veut la paix, je mettrai évidemment toutes les chances de mon côté pour vaincre Eroll. Nous n'avons pas besoin de nous battre en plus contre Teyrn.

- Sois sûre que la confrérie fera de ta protection une priorité, affirma Connor.

Sanya ne put s’empêcher de sourire. Elle savait que quoi que dirait Darek, Connor ne la laisserait pas seule avec Kalim.

- Connor, la confrérie n'a-t-elle pas envoyé l'un des vôtres à Teyrn ? Cela fait déjà plus d'un an, se rappela Damian.

-Si, en effet et il est toujours sur place. Malheureusement ses nouvelles se font rares, mais il ne laisse pas penser que le royaume est à craindre, pour le moment.

- Il n'est toujours pas revenu pourtant.

- Non. Teyrn ne doit pas être laissé sans surveillance. Il tient peut-être une piste qui nous éclaira. Soyez assuré que je vous ferai parvenir son prochain rapport.

Damian parut satisfait. Tamara, qui n'avait rien dit jusqu'à présent, intervint finalement :

- Je suis du même avis que Connor. Je connais Eroll, il est astucieux, il faut bien le reconnaître et il privilégie toujours la ruse que la force brute. Je ne serais vraiment pas surprise qu'il ait manigancé quelque chose avec Kalim.

- De toutes façons Majesté, j'ai des hommes postés un peu partout en direction de la frontière de Teyrn, rappela Aela. Si vous acceptez qu’il vienne, je le verrai arriver et surtout, je verrai avec qui il arrive. Soyez sans crainte, si je m’aperçois que ses intentions sont mauvaises, je ne le laisserai pas approcher.

- Que comptez-vous faire s'il arrive avec l'armée ? répliqua Breris.

- Mes hommes sont loin, mais nous savons faire parvenir nos rapports en un temps record, expliqua Aela avec un sourire énigmatique. Je vous garantis que nous serons au courant des agissements de Kalim suffisamment à l'avance pour bien nous organiser.

- Bien, dans ce cas, la question est réglée, conclus Sanya. Je vais accepter sa demande et l’accueillir. Nous verrons bien ce quel est son objectif.

Les autres hochèrent la tête. La reine se tourna vers le lieutenant, qui mains dans le dos, n’avait pas bougé, attendant les ordres.

- Je vais rédiger un message, je vous le ferai parvenir dans les plus brefs délais. Que le messager de Kalim se prépare à repartir rapidement, en attendant, veillez à ce qu’il ne manque de rien.

- Ce sera fait, ma reine.

2

Aela était contente de rentrer chez elle. Comme elle devait rester dans le coin, à attendre les rapports de ces messagers concernant l’arrivée de Kalim, Sanya l'avait dispensé d’être présente au château tous les jours, lui permettant ainsi de passer du temps avec son clan et Reva. La jeune femme lui en était très reconnaissante, rien que pour ça. Elle avait d'abord refusée, car Connor repartait régulièrement s'entraîner avec Darek et elle ne voulait pas laisser son amie seule, mais cette dernière avait réussi à la faire changer d'avis.

Depuis son retour des Royaumes Oubliés, les deux jeunes gens n'avaient pas eu beaucoup de temps à eux, car la présence d'Aela était toujours sollicitée lors des conseils de guerre avec les stratèges. La guerrière était ravie de sa nouvelle importance et tous avaient dû admettre qu'elle était brillante dans ce domaine, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Son clan pouvait jouer un rôle important et elle était heureuse de le mettre au service de Sanya, sa reine et son amie. Elle la considérait comme une sœur et pour elle, elle était prête à renoncer à sa vie privée pour lui permettre de gagner. Sanya avait besoin de soutien en ce moment, la jeune femme ne se serait jamais permise de l'abandonner même si l'envie de rester avec Reva était grande.

Le jeune homme avait donc choisi de la suivre lors de ses déplacements, ne la quittant pratiquement jamais. S'il ne pouvait pas faire grand-chose pour l'aider, au moins sa présence était apaisante et la cours qu'il lui faisait était tout à fait délicieuse. Aela ne regrettait décidément pas de le mettre à l'épreuve.

Ils chevauchaient tous deux en direction de Bourgfier, impatients d'arriver. Aela avait hâte d'être chez elle pour se reposer et se détendre un peu. Peut-être même défierait-elle un de ses vieux amis pour se changer les idées. Ne plus réfléchir sans arrêts à des stratégies pour les quelques jours à venir lui ferait du bien. Au château, il lui arrivait parfois de mal dormir, submergée par à l'inquiétude, l'angoisse et la réflexion. Aela devait bien admettre qu'elle n'avait jamais eu autant de poids sur les épaules et malgré le stoïcisme qu'elle affichait, au fond elle était comme Sanya, elle s'inquiétait sérieusement des choses qui venaient. Plus d'une fois elle avait demandé à Reva s'il voulait bien se balader avec elle pour chasser ses noires pensées, ce que ce dernier acceptait toujours malgré la fatigue, profitant de ses moments d'intimité pour tenter de lui voler quelques baisers...

La neige les ralentissant considérablement, ils mirent plus de temps que prévu. Frigorifié, Reva soufflait sur ses doigts gelés. Il n'avait jamais connu de froid aussi mordant et malgré ses vêtements et ses gants de fourrures, il grelottait sans pouvoir s'arrêter.

- Bouge tes doigts, ne les laisse pas immobiles, lança Aela. Rétablis la circulation sanguine, ça te réchauffera tu verras. Retire tes gants et souffle dedans.

L'homme des clans obéit, retirant maladroitement ses gants. Il avait le bout des doigts bleus et raides. Il souffla dans ses moufles avant de les remettre, bougeant ses doigts en grimaçant.

- Ça va mieux ? demanda la jeune femme après quelques minutes.

- Oui. Mes pieds sont glacés...

- Bouge-les. Nous sommes bientôt arrivés. Tu n'as qu'à marcher, ça te réchauffera.

Reva obéit et marcha aux côtés de sa monture, la tenant par la bride. Les routes étaient plus ou moins dégagées par le passage des gens et des charrettes, c'était au moins ça.

Alors qu'ils arrivaient, ils furent accueillis chaleureusement par le clan des Guerriers qui les escortèrent jusqu'au village. Tous vêtus de cape en fourrures, ils ressemblaient beaucoup aux anciens nordiques qui peuplaient jadis ces terres.

- Aela, nous sommes sacrément contents de te revoir ! s'écria l'un des hommes.

- Quelque chose ne va pas ?

- Au contraire, tout va bien pour le moment, c'est juste que nous devons bien avouer que ton mauvais caractère nous manquait.

Ses camarades s'esclaffèrent et la boutade arracha un sourire à la jeune femme.

- Reva, nous sommes contents de te revoir aussi, jeune ami. Cela faisait un petit moment que nous ne vous avions pas vu tous les deux. Le forgeron sera ravi de récupérer son apprenti ! plaisanta un autre homme.

Reva eut un large sourire. Quand Aela l'avait présenté à son clan la première fois, il s'était tout de suite fait à leurs coutumes, à leur mode de vie et tous l'avaient très vite accepté, le considérant déjà comme un membre du clan. Le jeune homme pouvait prétendre connaître tout le monde et tous semblaient beaucoup l'apprécier. Les enfants venaient toujours le voir pour qu'il vienne leur apprendre quelques petites choses sur son propre clan et les adultes adoraient entendre ses histoires et lui enseigner toutes sortes de choses. Reva avait d'ailleurs soif d'apprendre.

Reva avait rapidement manifesté son envie d'en apprendre plus sur le forgeage et l'armement. Étant lui aussi un guerrier, il avait cette passion commune à Aela des armes et la jeune femme avait passé de longs moments avec lui pour lui montrer tout ce que son clan utilisait. Enfin, n'ayant pas de fils pour prendre sa relève, le forgeron avait accepté de lui enseigner ce qu'il savait. Le jeune homme n'avait pas perdu de temps et chaque fois qu'Aela rentrait chez elle, il filait rejoindre le vieux forgeron.

On prit alors leurs chevaux pour les emmener aux écuries et tous se pressaient déjà autour d'eux, les adultes comme les enfants. Les rues avaient été déneigées et le froid n'empêchait nullement les enfants de gambader partout en se lançant des boules de neige. Certains s'amusaient même à faire chuter des monticules de neige des toits, se poussant au dernier moment en riant aux éclats. Et les moins rapides s'esclaffaient lorsqu'ils étaient recouverts de neige de la tête aux pieds.

- Aela ! s'écria une fillette en fendant la foule pour se jeter dans les bars de la jeune femme. Tu as promis de m'apprendre à me battre à ton retour !

- Bien sûr, Jordis. Dès que j'ai fini avec tous ces hommes ennuyeux, je vais t'apprendre ce que tu veux savoir.

- Alors, je peux me battre avec Reva en attendant ?

Gelé et grelottant, le jeune homme hésita.

- Ça te réchauffera plus qu'un feu, lui assura Aela.

- Je te fais confiance.

Le jeune homme eut un sourire en prenant à son tour la fillette dans ses bras.

- Viens, on va attendre que notre chef ait fini. (Il se tourna alors vers les autres membres du clan.) Ne la harcelez pas trop, elle a affûté sa lame avant de venir, on ne sait jamais ce qu'elle peut faire.

Aela feinta un regard noir qui provoqua l'hilarité des guerriers, mais Reva ne s'y trompa pas : elle lui était reconnaissante d'avoir fait comprendre à tous qu'elle ne désirait pas s'attarder en discussion.

Tandis que son ami se laissait entraîner par la petite fille, le chef entra dans la grande maison qu'elle aimait appeler son palais. Ce n'était qu'une bâtisse en bois, avec un très grand hall et un fauteuil recouvert de fourrure faisant office de trône, mais il avait toujours fait la fierté de la jeune femme. Enlevant la neige de ses vêtements, la chef prit place dessus et attendit que tout ceux de son clan se soient regroupés dans le hall. Un feu brûlait dans l'âtre et une chaleur agréable envahit Aela qui se détendit. Retirant ses gants, elle les coinça dans sa ceinture et ouvrit son manteau avant d'enlever la neige de ses cheveux auburn.

Quand tous les membres les plus importants du clan furent réunis, soit une cinquantaine d'hommes et de femmes, elle ne perdit pas de temps en paroles inutiles et se lança dans le vif du sujet. Ne les ayant pas vu depuis une semaine, elle leur apprit tous ce qui s'était passé. Quand elle eut fini, ce fut au tour des siens de parler, lui faisant leurs rapports habituels.

Vinrent ensuite les nouvelles du clan et Aela fut heureuse d'apprendre que plusieurs de ses amis étaient devenus père ou mère et que certains avaient même décidé de se marier. Ils continuèrent ainsi sur des sujets du quotidiens, commerce, entraînement, avant d'enchaîner sur les petits incidents ayant eu lieu.

Quand ils eurent fait le tour, la jeune femme garda auprès d'elle ses meilleurs guerriers afin de planifier avec eux les prochaines attaques possibles. Elle leur parla en détails des tactiques élaborées, cherchant à savoir s'ils avaient des propositions à apporter. Elle ne sut combien de temps ils restèrent là à débattre, mais quand chacun retourna vaquer à ses occupations, Aela fut heureuse d'avoir un peu de temps pour elle. Fermant les yeux, elle se reposa un instant. Puis elle se leva, voulant voir où Reva en était. Enfin, elle avait surtout envie de le voir, sa présence lui remontait le moral, il l'égayait chaque fois qu'il était avec elle, à lui parler, l'amuser, la courtiser et elle ne pensait plus à ses soucis ni à ses responsabilités. Bien sûr, elle ne lui aurait jamais dit en face, cela allait de soi. Il devait croire qu'il n'avait pas toutes ses chances avec elle, même si c'était déjà perdu d'avance. L'un comme l'autre connaissait la force de leurs sentiments réciproques, même s'ils feignaient de ne pas le savoir.

Une fois dehors, Aela ne mit pas longtemps à trouver son ami. Il se battait avec Jordis, riant de joie, s'amusant à lui piquer les côtes avec un bâton. Concentrée et déterminée, la gamine attaquait avec frénésie, essayant de toutes ses forces de vaincre le grand guerrier. S'appuyant au mur d'une maison, Aela les contempla avec un sourire. Reva veillait à lui laisser ses chances, tout en faisant mine de faire son maximum. Si la fillette n'était pas dupe, cela ne l'empêchait pas de rayonner de joie chaque fois qu'elle le touchait.

Le combat l'avait sûrement réchauffé car son compagnon ne grelottait plus.

- Il semblerait que le prochain mariage soit le tien, lança une voix non loin d'elle.

Aela se tourna pour découvrir une femme d'âge mûr à l'allure de guerrière, grande, les cheveux nattés. La jeune femme serra dans ses bras sa vieille nourrice.

Son père étant mort avant qu'elle naisse, Aela n'avait connu que sa mère, mais celle-ci était souvent débordée, sans cesse appeler à ses obligations de chef, si bien qu'elle avait confié la garde de sa fille à une amie d'enfance, Eola. Aela s'était très vite habituée à cette femme, la considérant comme une seconde mère.

Avec les années, Eola l'avait entraînée aux maniements des armes et la jeune femme s'était rapidement démarquée, battant tout ceux de son âge sans difficulté. Quand elle avait même réussi à vaincre son maître d'arme, il était apparu qu'elle était la digne fille de sa mère et surtout, la future chef du clan.

Ce qu'elle était devenue à la mort de sa mère.

Et depuis ce jour, elle n'avait pas cessé de gagner le respect de tous les membres de son clan. On racontait de nombreuses histoires à son sujet, contant ses prouesses et sa bravoure. Aux yeux de tous, Aela apparaissait comme la plus grande guerrière de son temps, le plus grand chef, une femme sans égale. Et elle en était emplie de fierté.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demanda enfin Aela.

- Beaucoup de choses. Je te connais depuis bien longtemps Aela, je t'ai vu naître, je t'ai vu grandir, je t'ai vu t'élever et triompher de tous les défis. Je t'ai vu devenir chef et gouverner avec le talent des plus grands.

- Et ?

- Je sais quand quelque chose te préoccupe, je sais quand tu es en colère, quand tu es heureuse... Et pour la première fois, je vois dans ton regard un sentiment que je n'avais jamais vu avec une telle intensité.

- Lequel ?

- L'amour. Tu as cette lueur dans les yeux que tu n'avais pas avant. Depuis que tu as ramené ce jeune homme, tu es différente.

- C'est à dire ?

- Tu sembles tellement plus heureuse, comme si tu trouvais enfin ce qui te manquait depuis toujours.

Aela ne répondit pas. C'était bien le cas, elle avait trouvé ce qu'elle n'avait pas jusqu'à présent. Un amour sincère d'un homme formidable.

- Il est probable que je me marie bientôt, en effet.

- Je n'ai nul besoin de te demander ça, car je connais la réponse, mais j'y tiens. Tu l'aimes vraiment, n'est-ce pas ?

- Plus que tout. Plus que la vie elle-même. Il est tout pour moi. Mais ne lui dis pas ! Je ne pourrais plus lui résister.

La vieille femme sourit.

- Il est parfois plaisant d'abandonner.

- C'est le seul combat que je suis heureuse de perdre. Mais je veux attendre encore un peu. Je veux qu'il ne puisse plus tenir, qu'il se consume d'amour pour moi. Ce jour-là, je rendrai les armes, je le laisserai m'avoir pour femme et ce jour-là, je serais la plus heureuse.

Son amie éclata de rire :

- Tu as bien changé depuis ce voyage dans les Royaumes Oubliés ! Et tu n'es que plus respectable. Puisses-tu vivre longtemps et gouverner sagement toute ta vie, puisses-tu engendrer des enfants aussi nobles que toi, qui reprendront ton flambeau, Aela la Guerrière.

L'éclat de rire de Jordis les tira de leur discussion. Elle venait de mettre Reva à terre et se tenait victorieuse sur sa poitrine.

- J'ai gagné, j'ai gagné ! Je serai la plus grande guerrière de tous les temps ! s'exclama la gamine.

Reva éclata de rire, imité par Aela. Darius, le forgeron, mit cependant fin à cette partie de rigolade en débarquant sur la place du village. Grand et robuste, son regard sévère inspirait souvent de la crainte aux enfants. Il devait sortir de la forge, car il n'avait pas de manteau et ses manches étaient remontés sur ses bras enduis de suie.

- Allez coquine, laisse-le donc. J'aimerais reprendre mon apprenti, j'ai des choses à lui montrer.

Reva se redressa en époussetant ses vêtements pour rejoindre le vieil homme. En passant devant Aela, il murmura tout bas :

- Veux-tu venir ?

- Ma foi, pourquoi pas.

Elle suivit donc son ami jusqu'à la forge. Reva trépignait d'impatience bien qu'il cherchait à le cacher, et cela faisait sourire Aela. Darius ne perdit pas un instant et son apprenti commença aussitôt à forger. Avec la guerre, ils ne manquaient pas de travail, ils avaient beaucoup à faire. Le forgeron lui apprit de nouvelles techniques que Reva assimila avec une rapidité surprenante pour un homme n'ayant pas eu l'habitude de manier le métal. Aela le regarda marteler la lame avec son marteau avant de la plonger dans l'eau froide. Elle adorait le voir faire, son air sérieux, l'étincelle de joie dans son regard, les muscles saillants de ses avant-bras...

Se reprenant, la jeune femme sourit. Reva adorait visiblement ce qu'il faisait, il était heureux de manier le fer et d'en faire une arme. Et quand il lui avait montré la première épée qu'il avait forgée lui-même, il rayonnait d'une fierté presque enfantine qui faisait plaisir à voir, comme s'il s'était agi d'une œuvre d'art. Aela avait inspecté l'arme, lançant quelques coups dans le vide pour la tester, avant de hocher la tête, satisfaite. Quelques temps plus tard, Reva était venu la trouver pour qu'elle inspecte une nouvelle épée. Il avait travaillé longtemps dessus et il voulait son avis. La lame était parfaite, puissante mais légère et se maniait avec aisance. Le pommeau, protégé par une lanière de cuir, tenait bien en main. La jeune femme avait été surprise de la qualité de cette arme. C'était le prolongement de son bras. De plus, elle avait été décorée avec soin. Aela n'avait pas pu s'empêcher de jeter un regard surpris à Reva.

- Je l'ai faite pour toi. Cette épée ne servira que toi.

La jeune femme, les larmes aux yeux devant une si belle intention, avait eu du mal à trouver les mots.

Aujourd'hui encore, alors qu'elle observait son ami, elle ne put s'empêcher de caresser le pommeau de l'arme.

Elle resta encore un moment avant d'aller se balader un peu dans son village. Il y avait tellement longtemps qu'elle n'avait pas eu l'occasion de se promener dans ces rues si familières et profiter d'un peu de tranquillité. Elle prit des nouvelles des habitants, discuta avec des amis, puis alla rejoindre les jeunes gens qui s'entraînaient au combat. La neige et le froid ne devaient pas les arrêter, aussi s'entraînaient-ils malgré les pires conditions climatiques. Elle les observa, les évaluant du regard. En tant que chef, c'était son rôle de former de jeunes et valeureux guerriers. Elle s'occupait de l'élite, comme il était coutume.

Voyant que leur chef les observait avec une très grande attention, les jeunes garçons comme les jeunes filles redoublèrent d'ardeur, s'adaptant à la neige glissante pour mieux combattre, tous tellement désireux d'être choisis par leur chef. Aela savait qu'elle avait la réputation d'être la plus grande et la plus terrible guerrière et elle ne faisait rien pour alléger cette réputation. Tous étaient fascinés par elle, à ce qu'on disait et ils rêvaient de la voir un jour se livrer à un véritable combat pour montrer l'étendue de sa force. D'humeur joyeuse, elle offrit quelques conseils à ses futurs guerriers, qui rayonnèrent tous de joie. Elle alla même jusqu'à se battre avec quelques-uns d'entre eux. Bien sûr, personne ne la battit et les plaques de verres glas et la poudreuse ne la gênaient nullement, au contraire, elle s'en servait pour piéger ses adversaires. C'était aussi ce qui faisait la force de ces guerriers. Même en pleine hiver, dans les pires conditions imaginables, ils savaient se battre et utiliser ce qui les entouraient. Rien ne les surprenait. Au contraire, ils devenaient encore plus redoutables. Aela avait d'ailleurs prévenu Sanya que son clan était encore plus efficace en hiver, car tandis que l'ennemi souffrait cruellement du froid et de la neige, eux l'apprivoisaient sans aucune difficulté.

Quand Reva eut terminé son travail du jour, Darius l'autorisa à quitter la forge plus tôt que d'habitude et il s'empressa de rejoindre sa dame. S'éloignant du village pour avoir plus d'intimité, ils se baladèrent sans un mot pour trouver un coin tranquille au bord d'une rivière gelée où s'asseoir et discuter.

- Ta famille ne te manque pas ? murmura soudain Aela.

Quand Reva était songeur, elle craignait sans cesse qu'il ne veuille rentrer chez lui.

- Un peu, parfois. J'aime beaucoup vivre ici, mais mon monde me manque de temps en temps. Je m'inquiète pour mon clan.

- Tu voudrais rentrer ?

La question lui avait échappé. Elle lui brûlait la bouche depuis longtemps. Reva eut un sourire tendre en posant sa main sur la sienne.

- Non. Ici ou ailleurs, tout ce que je veux, c'est être avec toi. Peut-être rentrerais-je un jour, mais uniquement si tu veux bien me suivre.

- Pourquoi pas, quand j'en aurais fini ici.

Reva se pencha alors sur elle et son regard était si intense qu'elle n'arriva pas à se détourner. Elle le laissa s'approcher, fermant les yeux, sentant son souffle chaud sur son visage et attendit avec impatience le contact de ses lèvres sur les siennes. Elle fut alors replongée à leur première nuit ensemble et elle faillit céder et se jeter à son cou pour lui dire qu'elle acceptait de l'épouser.

Reva glissa un bras autour de sa taille avant de le retirer subitement. Aela ouvrit les yeux, surprise et découvrit que son compagnon venait de tourner la tête, la main sur son poignard.

- Quelqu'un approche.

Ils se redressèrent, prêts à se battre, mais à leur grand soulagement, ce fut l'un des hommes d'Aela qui arrivait en courant.

- Aela ! Nous venons de recevoir un message d'un de nos éclaireurs, qui surveillait l'arrivée de Kalim. Le roi arrive, il sera là dans deux semaines, environ.

La jeune femme afficha un air sombre.

- Qui est avec lui ?

- Une escorte seulement. Nous n'avons détecté aucune armée.

- Je vais prévenir la reine de ce pas.

L'homme hocha la tête et repartit en direction du village, Aela et Reva sur les talons. Cela ne pouvait pas plus mal tomber ! Quand elle fut rentrée, la chef s'empressa de trouver la femme chargée de gérer le clan en son absence.

- Je vous ferai parvenir mes ordres si besoin est. Restez sur le pied de guerre. Kalim est un roi félon, ne l'oublions pas. Je serai absente un moment, je me dois de protéger la reine et je ne supporterais pas de me tenir loin du danger.

Quand tout fut prêt, Reva et elle scellèrent leurs chevaux pour partir immédiatement informer la reine. Si Aela était déçue de ne pas avoir quelques jours de tranquillité avec Reva, elle devait bien admettre que le danger et l'action l'excitaient.

Kalim avait tout intérêt à se tenir tranquille.

3

En apprenant la nouvelle, Sanya avait longuement inspiré.

- Je ne l'attendais pas de ci-tôt. Merci Aela. Je dois aller trouver Darek à présent.

La reine aurait pu attendre le retour de Darek et Connor, hélas elle ne savait pas quand ils comptaient rentrer. Elle avait besoin de parler avec eux, de planifier des mesures de sécurité pour l'arrivé de Kalim et elle ne voulait pas attendre. Elle devait donc les trouver elle-même. Plusieurs de ses gardes voulurent l'accompagner, mais la jeune femme ne voulût rien entendre. Avec les Maîtres des Ombres, elle préférait y aller seule. Elle enfila son manteau en fourrure avant de rejoindre les écuries où elle scella son cheval. Elle ne savait pas où trouver Darek et Connor, car le jeune homme ne savait jamais à l'avance où il allait être. En revanche, il y avait quelqu'un qui pouvait le savoir.

Quand les portes furent ouvertes, Sanya galopa jusqu'à Sohen, emmitouflée dans son manteau. Elle grelottait en sentant le froid lui mordre le visage. Pour se changer les idées, elle songea aux regards mécontents de ses soldats à l'idée de la laisser partir seule. Ils n'aimaient pas savoir leur reine si vulnérable, bien que cette dernière fût loin de l'être. Elle n'avait pas besoin d'escorte.

En arrivant en ville, elle fut heureuse de sentir que les bâtiments coupaient le vent et alors qu'elle mettait son cheval au pas, elle retira ses moufles pour souffler et réchauffer ses doigts. Elle confia ensuite sa monture à un garçon d'écurie et se mêla à la foule pour rejoindre la personne qu'elle cherchait. Elle était vêtue simplement, les cheveux noués pour ne pas trop attirer l'attention et elle réussit à se faufiler dans les rues sans éveiller les soupçons. La tête rentrée dans le col de son manteau, sa capuche rabattue sur son visage, personne ne la reconnue et elle en fut soulagée.

Elle parvint enfin à destination et frappa plusieurs coups à la porte. Elle dut attendre plusieurs minutes avant que Kelly ne vienne lui ouvrir. La reine s'en voulut devant son air fatigué, la jeune mère ne devait pas passer des nuits paisibles, en ce moment et elle était fatiguée.

- Kelly je suis navrée de te déranger.

- Tu ne me déranges jamais. Entre, il fait froid dehors.

La Maîtresse des Ombres la fit entrer dans sa maison, lui désignant un fauteuil où s'asseoir. Un feu crépitait dans l'âtre, apportant une chaleur apaisante. Elle s'assit près de son amie.

- Tout se passe bien ? Tu as l'air fatiguée.

- Oh, c'est que Ralof a de l'énergie à revendre, en particulier au moment où je voudrais dormir. Entre lui et Darek qui devient fatiguant quand il est inquiet, j'aurais plusieurs heures de sommeil à rattraper, plaisanta Kelly.

- Ralof est couché ?

- Oui, c'est l'heure de la sieste. Il n'y a que là où je suis réellement tranquille. Alors, que t'arrive-t-il ?

- Le roi Kalim sera là dans deux semaines environ. Je dois voir Darek, pour savoir ce qu'il compte faire à son sujet. Connor ne savait pas où ils iraient aujourd'hui, j'ai pensé que toi tu le saurais.

- Ils sont restés en ville. Passe par le repère, peut-être y sont-ils. Sinon, je suis désolée, mais il va falloir que tu chemines en ville et croiser les doigts pour tomber sur eux. As-tu une escorte ?

- Non, je suis venue seule.

- Ah... je t'aurais bien proposé de te dévoiler au grand publique. L'attroupement n'aurait pas manqué d'attirer Connor, tu peux me croire. Je t'aurais bien accompagné, mais je ne peux pas. Tu ne devrais pas rester seule en ville. Va au repère, ils finiront bien par y passer, je peux te l'assurer.

Sanya sourit.

- Je ne vais pas te déranger plus longtemps. J'espère pouvoir repasser bientôt pour voir Ralof.

- Il grandit tellement vite. Et il ne s'arrête jamais de bouger ! Passe quand tu veux, il sera content de te voir.

- Merci pour tes informations. Connor ne va pas vouloir me quitter tant que Kalim sera là, ton mari va pouvoir s'occuper de toi.

- Il s'occupe déjà bien de moi, ne te fais pas de souci. Quant à toi, je pense que tu ne peux pas rêver meilleur garde du corps que Connor. Je l'ai vu s'entraîner, la dernière fois. Il est plus puissant que je ne l'aurais imaginé. C'est incroyable ! Cet homme est impressionnant.

- Je le sens aussi. Il a beaucoup changé depuis son arrivée dans la confrérie. Je le sens plus sûr de lui, je sens cette puissante, ce pouvoir en lui. Quand je le regarde, il m'arrive de penser que je me tiens devant l'un des hommes le plus importants de ce royaume. Il se comporte comme un véritable Maître des Ombres et je dois bien avouer qu'il me fascine. (Sanya sourit.) Il me rend encore plus folle amoureuse. Je me sens en sécurité près de lui, j'ai l'impression que rien ne peut m'atteindre.

- C'est le cas Sanya. Connor va vite devenir le plus fort d'entre nous, il est déjà puissant, mais quand il s'agit de toi... Il me donne l'impression de ne souffrir d'aucune limite. Tu as rencontré un homme merveilleux, crois-moi, il saura te protéger de Kalim, ou de n'importe qui. Je suis honorée d'être sa formatrice.

La reine hocha la tête. Elle comprenait Kelly, elle-même se sentait honorée d'avoir été choisie par Connor.

Se levant, elle enfila de nouveau son manteau pour sortir dehors et laisser la jeune mère tranquille. Elle chemina un moment, se dirigeant vers le repère des Maîtres des Ombres, observant les alentours à la recherche de Darek ou Connor. Elle savait qu'elle ne les verrait pas, ils étaient bien trop forts pour elle, aussi laissa-t-elle ses sens magiques vagabonder. Si sa magie n'était pas puissante, au moins pouvait-elle espérer les localiser si elle passait près d'eux.

Elle décida de faire un tour en ville malgré les protestations de Kelly. Elle n'était pas une femme sans défense, ses deux dagues étaient cachées dans ses bottes et quiconque lui chercherait des ennuis se frotterait à ses lames. Elle gagna les rues principales et le bourdonnement de la population ne manqua pas de l'atteindre. Elle avait un peu de mal à se réadapter à sa vie et elle se sentait un peu mal à l'aise face à tout ce monde. Après avoir passé des mois à sillonner les Royaumes Oubliés, elle avait perdu l'habitude de côtoyer des gens et elle devait bien admettre que toute cette agitation ne lui avait qu'à moitié manqué.

La reine marcha ainsi un moment, attentif aux personnes qui l'entouraient, espérant que Connor et Darek la verraient, sinon, elle devrait les attendre à leur repère. Et cette idée ne l'enchantait pas beaucoup, elle n'avait pas prévu de torche et ne possédait pas la vue aiguisée des deux hommes.

Finalement, elle eut si froid qu'elle entra dans une taverne pour se réchauffer. On ne la reconnaîtrait pas de et tant pis si ce n'était pas prudent ; elle avait l'impression de perdre ses doigts. Frigorifiée, elle réussit à trouver une table au fond de la salle bondée de monde et s’y installa en soufflant sur ses mains. Oubliant principes et bonnes manières, elle commanda une chope de bière. Personne ne semblait l'avoir remarquée et encore moins reconnue, trop occupé à boire, rire et à parler fort. Les bardes s'accaparaient toute l'attention.