La Légende de Mygnopale - Richard Betsch - E-Book

La Légende de Mygnopale E-Book

Richard Betsch

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Beschreibung

Pour fuir la folie de Viahm aux mains d'ogre qui croit dur comme fer à la prophétie du dragon de feu, Dharc et Stël décident de s’exiler. Mais très vite, la chasse est lancée et le temps leur est compté. C’est au prix de tous les sacrifices que le jeune couple devra affronter d’innombrables dangers afin de survivre et d’échapper à la prophétie, dont Stël est l’élément clé.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Auteur et musicien, Richard Betsch vit actuellement dans la Nièvre. Écrivant depuis une vingtaine d'années, il cultive la passion de l'art depuis son adolescence. Auteur de nombreux essais et textes, Richard s'est essayé à l'écriture de fables « écologiques » et d'une pièce de théâtre encensée par la critique.

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Richard Betsch

La légende de

Mygnopale

Roman

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les

Éditions La Grande Vague

Site : www.editions-lagrandevague.fr

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-38460-031-1

Dépôt légal : Mai 2022

Les Éditions La Grande Vague, 2022

Toute ressemblance avec des personnages fictifs, des personnes ou évènements existants ou ayant existé est purement fortuite.

Partie 1

Chapitre 1

La prophétie du dragon de feu

— L’heure est venue, petite sœur.

La jeune femme n’aimait pas que Dharc la surnomme ainsi. Même si à chaque fois qu’il le faisait, c’était pour la taquiner. Un sourire démesuré et des yeux brillants de malice et d’émotion accompagnaient sa phrase. Il fixait sa compagne d’un regard tendre et déterminé. Pour lui, la page était déjà tournée. Enfin l’heure de leur fuite était arrivée.

— Ça ne se voit pas encore. Sommes-nous assez forts ?
— On se prépare depuis plus de sept ans, ma douce, et tu sais très bien que dans quelque temps, il te faudra du repos.

Stël ferma les yeux. En quelques secondes, elle se remémora sa vie passée… Enfin, celle dont elle gardait des souvenirs. Le père de Dharc l’avait recueillie quelque neuf années plus tôt. Pour elle, sa vie avait commencé à l’instant où elle s’était éveillée dans le lit du jeune garçon.

Un des hommes du village l’avait trouvée dans la plaine, gravement blessée à la tête. Elle gisait près de ses parents qui avaient été massacrés, probablement par des vautours à têtes d’ours à en juger par leurs corps lacérés et à demi dévorés. Elle était alors une fillette de dix ans. Viahm aux mains d’ogre l’avait élevée comme sa propre fille. Mais elle comprit le véritable intérêt qu’il lui portait que bien plus tard. Malgré son jeune âge, elle avait rapidement ressenti un puissant amour pour Dharc, son « grand frère », qui le lui rendit aussitôt d’un naturel déconcertant, comme logique. Stël n’avait plus aucun souvenir de sa vie d’avant sa rencontre avec les vautours à têtes d’ours, si bien qu’elle n’avait jamais pleuré la perte ni la mort de ses parents. Pour elle, sa vie avait toujours été partagée avec Dharc aux cheveux d’or. Dans leur village, tous étaient nommés avec un qualificatif distinct de leur apparence. Viahm aux mains d’ogre, qui était son père adoptif et le chef du village, l’avait baptisée Stël aux yeux d’émeraude. La couleur de ses yeux était ce qui rendait impossible l’amour des deux jeunes gens. Mais quand elle l’eut compris, elle répondait sincèrement à l’amour de son père depuis bientôt deux années. Un soir d’hiver, Viahm aux mains d’ogre, qui s’était blessé au genou au cours d’une chasse au porc sauvage, avait bu plus que de raison afin, soi-disant, d’accepter de devoir rester sans sortir pendant plusieurs jours. Il commençait sérieusement à ne plus savoir fixer quoique ce soit distinctement, pourtant il avait parlé des yeux de Stël comme s’il les connaissait mieux que ses propres mains.

— Tes yeux, ma fille…

Ma fille ! Ce souvenir de l’instant précis où son père adoptif lui avait dit ces mots alors que son cœur parlait autrement la fit grimacer de dégoût et de honte.

— Ils sont aussi verts que l’é…meraude et aussi purs que l’eau du Lac aux Nymphes. Je t’ai reconnue dès qu’on t’a ramen…ée chez moi. Tu é…tais telle qu’il é…tait é…crit dans « La Parole Des Anciens ».
— La Parole Des Anciens, avait-elle répété ? Qu’est-ce donc ?

Viahm s’était levé tant bien que mal, il s’était maintenu quelques instants sur le rebord de la table puis il s’était rendu jusqu’à sa petite armoire murale qui lui servait de coffre. Il avait fouillé dans sa chemise en grommelant. Stël se souvint que Dharc s’était décidé à l’assister. Délicatement, il avait sorti une clé que Viahm portait au cou. Ce dernier avait ouvert la porte sans l’aide de son fils, curieux. Tout comme Stël, il ne savait pas ce que renfermait cette armoire. D’ailleurs, il l’avait toujours crue là dans un but décoratif. L’intérieur était plutôt restreint. Viahm y avait plongé la main et en avait sorti un petit parchemin qu’il avait tendu au nez de Dharc toujours près de lui.

— La Parole Des Anciens.

Il avait replacé le parchemin dans la petite armoire murale et s’était retourné vivement. Il titubait sur place, luttant contre des haut-le-cœur. Son eau-de-vie de sureau lui tournait la tête plus qu’il ne pouvait le supporter. Il s’était jeté sur la porte d’entrée et était sorti pour libérer son corps de ce trop-plein d’alcool. Sans hésiter, Dharc s’était emparé du parchemin et s’apprêtait à le dérouler.

— Viens, petite sœur. N’as-tu pas envie de connaître ton secret, avait-il rajouté d’un ton faussement moqueur ?

La fillette de douze ans lui avait souri généreusement en se levant pour le rejoindre. Ils s’accroupirent, se collèrent l’un à l’autre puis ils lurent le contenu de « La Parole Des Anciens ». Stël dût le relire une seconde fois afin de s’assurer qu’elle ne fut pas victime d’hallucination. Il s’agissait d’une sorte de prophétie rédigée ou recopiée par un ancêtre de Viahm, remontant à une dizaine de générations et qui se transmettait depuis de père en fils dans un secret total. Stël s’en souvenait dans les moindres détails.

Pendant qu’elle le relisait une deuxième fois, Dharc l’avait fixée avec une étrange intensité.

— Qu’est-ce que c’est que cette ânerie, avait-elle demandé ?
— Mon père croit fermement à cette cochonnerie et depuis qu’il t’a recueillie, il ne pense qu’à cette stupide prophétie.
— Tu veux dire qu’il compte m’envoyer en sacrifice dans la gueule du dragon de feu ?
— Cette créature n’existe pas.
— Alors, où est le mal ?
— Le volcan des fins fonds existe bien, lui. C’est un lieu dans lequel on ne peut trouver que la mort. Il fera tout pour que tu t’y rendes.
— Mais comment pourrait-il m’y obliger ?
— Ses connaissances en magie peuvent lui donner de grands pouvoirs.
— Tu veux dire comme quand il fait rentrer les chèvres de la vieille Tina à la langue pendue sans bouger ? Comme s’il lui suffisait de le penser très fort ?
— Exactement.
— Mais Dharc, il est notre père…
— Son ambition est très malsaine et je ne veux pas te perdre.

Il avait dit ces mots sans réfléchir mais fut soulagé de les avoir prononcés. Stël se rappelait parfaitement quand le jeune garçon s’était placé face à elle et lui avait délicatement posé les mains sur ses épaules.

— On va fuir, lui avait-il dit. Il nous reste huit ans avant qu’il ne t’envoie au cœur du volcan des fins fonds. Ça nous laisse le temps de bien préparer notre fuite et notre avenir.
— Dharc, que dis-tu là ?
— Ne sens-tu pas comme nous sommes liés ?

La jeune fille avait fermé les yeux.

— Si, je le sens.
— Si on ne s’enfuit pas, Viahm nous séparera et de la plus cruelle façon qui soit.
— Tout ça me dépasse un peu mais je sais que tu as raison, je le sens. Ne me laisse pas Dharc.
— Ils s’étaient enlacés tendrement.
— Je ne te quitterai jamais, petite sœur.

Stël avait relevé légèrement la tête pour plonger son regard hypnotique, que lui seul semblait pouvoir supporter, jusqu’au fond de son âme.

— Je n’aime pas quand tu m’appelles ainsi.

Pour la première fois, ils s’étaient embrassés.

Depuis ce jour, Stël et Dharc consacraient leur vie à préparer leur fuite. Le jeune garçon s’était subitement intéressé à la magie rouge puis à la magie blanche. Son père lui enseigna les rudiments de la première avec fierté, mais c’était par l’étude d’ouvrages spécialisés qu’il se perfectionna dans la seconde. Stël, quant à elle, se lança dans les arts du combat à l’épée.

Heureux de cette passion pour les armes blanches, et convaincu que cela servirait à la jeune fille le jour où elle devrait se rendre dans l’antre du dragon de feu, Viahm l’encouragea dans son désir et lui permit de bénéficier de l’enseignement de différents maîtres d’armes. Il avait dépensé beaucoup d’or dans cette entreprise mais visiblement, il avait toujours été convaincu que l’investissement en valait la chandelle. En sept années, elle était devenue une redoutable combattante. Armée de ses deux cimeterres, elle était capable de désarmer dix hommes sans les blesser et de les tenir à distance.

Dharc était, de son côté, un magicien expert en magie rouge et blanche. Ses connaissances et son talent étaient bien supérieurs à ce qu’il laissait paraître. Il était capable d’influencer les animaux, d’utiliser le pouvoir des arbres, d’agir sur les vents, de détruire ou de préserver. Peu de magiciens de son âge pouvaient se vanter de maîtriser autant de sortilèges.

La seule force qui les avait motivés durant toutes ces années et qui leur permit d’accéder à une telle maîtrise de leur discipline n’était autre que l’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Une force capable de renverser les lois fondamentales de l’univers. Durant sept années, ils s’étaient préparés en secret en vue de leur vie future, et cette vie commençait ce soir-là. Stël rouvrit les yeux.

— Je ne veux pas qu’on nous sépare et je ne veux pas qu’on fasse du mal à notre enfant. Je suis heureuse car, à partir de cet instant, nous n’avons plus à cacher notre amour. Ne perdons pas de temps.

En quelques secondes, la jeune femme avait retrouvé la détermination qui l’avait habitée durant toutes ces années. Sa nouvelle vie commençait en l’instant… Sa troisième. Un frisson la fit hoqueter. Les jeunes gens s’embrassèrent puis ils s’emparèrent de leurs baluchons renfermant le peu d’affaires qu’ils emmenaient avant de s’enfoncer dans la nuit, main dans la main, sans se retourner, sans aucun regret.

Chapitre 2

Cato le farfadet

Dharc savait qu’ils n’auraient que peu de temps avant que son père n’envoie des mercenaires ou tout autre bandit en quête de récompense à leurs trousses. Il savait qu’ils devaient pendant les prochaines heures parcourir le plus de distance possible. Mais en sept années, ils avaient eu plus de temps qu’il n’en fallait pour réfléchir et mettre en place le moyen qui leur semblait le meilleur. La solution dépendait des talents de magie blanche du jeune homme mais une fois ce cap atteint, le reste n’était pas bien compliqué. Stël avait fabriqué une sorte de petite nacelle de bois surmontée d’une toile faite de pétales de roses sauvages. À l’aide d’un sortilège de contrôle des vents, il suffirait à Dharc d’utiliser leur moyen de transport par la voie des airs. Il maîtrisait parfaitement ce sortilège depuis déjà un bout de temps. Il s’était souvent entrainé discrètement en survolant les différentes pièces de leur habitation en créant des courants d’air et en utilisant des chaises ou des tables. Aujourd’hui, il était capable de voler pendant plusieurs heures tout en discutant ou en lisant par exemple. Ils avaient caché leur véhicule à environ cinq kilomètres de leur village, dans les branches d’un érable qui trônait au cœur d’un bosquet.

Dharc et Stël y arrivèrent rapidement. Ils avaient marché d’un pas rapide, sûrs et enjoués. Ils avaient traversé le bosquet sans ralentir grâce à un sortilège majeur de lumière qui enveloppait le jeune couple tout en éclairant les alentours. À l’aide d’un second sortilège, Dharc ramena leur embarcation au sol. Stël l’examina de façon à s’assurer qu’elle n’était pas abîmée puis ils l’emportèrent hors du bosquet afin de prendre leur envol en toute sécurité. Stël s’y installa en tailleur et Dharc resta debout, s’agrippant au bord de la nacelle.

— Ça va aller ? demanda la jeune femme.
— Ne t’inquiète pas. Il n’est pas utile d’aller bien haut. Notre bateau volant peut nous permettre de parcourir une assez longue distance en moins de temps que par un autre moyen et nous permettant de franchir certains obstacles sans avoir à les contourner, ce n’est pas la peine d’essayer de flirter avec les étoiles. Notre première étape est la bibliothèque de Syrhune le magnifique, la cité aux mille couleurs. Nous devrions l’atteindre d’ici six ou sept heures, il faut juste que je ne m’endorme pas.
— Je vais te tenir compagnie.
— Je sais que tu veilles sur moi, ma douce.
— Je sais que tu le sais,… grand frère.

Stël rit de bon cœur sous leur première nuit étoilée de fuite, de liberté et d’amour. Elle sentit la nacelle se soulever lentement, puis filer plein Est en s’enfonçant dans la plaine qu’une lune argentée préservait des ténèbres. Dharc ne ressentait aucune fatigue. Il défia les vents avec une désinvolture presque insultante, si bien qu’ils arrivèrent en vue de Syrhune la magnifique plus d’une heure avant l’aube. Le couple se réfugia dans les rochers qui bordaient la cité aux mille couleurs comme pour la protéger de leur muraille naturelle. Ils s’allongèrent en utilisant leur sac en guise d’oreiller et s’assoupirent face à face, laissant le souffle de leur respiration se mêler délicatement. Ils se ressourcèrent ainsi, immobiles, jusqu’à la moitié de la matinée. Ils distinguaient plus ou moins nettement la cascade de brouhahas qui s’échappaient de la cité. Dharc, qui s’y était rendu à trois reprises afin d’y acheter des grimoires de magie blanche n’en fut que peu étonné, contrairement à Stël qui ne connaissait de Syrhune la magnifique que les descriptions qu’il lui avait fait partager. Souriant devant l’expression de surprise de sa compagne, Dharc lui rappela que la cité était au moins vingt fois plus vaste que leur village et que les rues grouillaient d’échoppes de toute sorte. Des centaines d’habitants et de nombreux voyageurs y effectuaient de multiples activités. Il lui expliqua aussi qu’il était beaucoup plus facile de rester discret dans la foule plutôt que dans la plaine. Stël feignit de s’offusquer.

— Me prends-tu pour une enfant ? Cesse donc de jacasser, on dirait que tu essaies de retarder le plus possible notre entrée dans la cité.

Sans répondre, Dharc lui attrapa la main et l’entraîna hors des rochers en sifflotant. Au détour de l’un d’eux, ils se retrouvèrent nez à nez avec un farfadet, ou plutôt avec son arrière-train. Les jeunes gens crurent d’abord qu’il était à moitié plongé dans le trou d’un rocher pour y trouver de l’eau ou une souris des sables, mais ils comprirent à son postérieur tremblotant qu’il avait tenté de s’y cacher et que dans sa hâte, il avait mal évalué la profondeur du trou ou la taille de son corps.

— Bonjour l’ami, dit Stël gentiment. Étais-tu en train de nous espionner ?
— Mais pas du tout, répondit une petite voix timide, à peine audible, comme si ses mots avaient du mal à sortir de la petite cavité du rocher.
— Est-ce pour cette raison que tu as la délicatesse de me répondre avec ton derrière ?

Il ne se passa rien pendant quelques secondes hormis les gloussements de Dharc. Constatant que le farfadet s’était peut-être endormi, Stël se racla la gorge en guise de rappel. Lentement, le petit être daigna sortir la tête et s’asseoir, adoptant ainsi une position plus décente. Il récupéra son chapeau de cuir resté dans le creux du rocher et retira sans se presser les toiles d’araignées qui s’y étaient accrochées. Les jeunes gens en profitèrent pour l’observer. Il était vêtu tout simplement d’un pantalon trop court et d’une tunique trop longue. Il était chaussé de bottines aux bouts exagérément pointus et recourbés. Stël envia sa chevelure brune généreusement bouclée mais ne s’extasia pas devant son tout petit nez qui accentuait les dimensions du reste de son visage. Enfin, le farfadet, après avoir remis en place son chapeau qui recouvrait à peine le haut de ses cheveux, leva les yeux vers le jeune couple. Une grosse goutte d’eau boueuse perlait sur son front et Dharc dut fournir un violent effort de concentration pour ne pas glousser à nouveau.

Stël jugea bon de gérer la suite des évènements.

— Désolé si nous t’avons fait peur.

Pour toute réponse, le farfadet retroussa son ridicule petit nez jusqu’à ce qu’il se soulage grâce à une suite d’éternuements aussi soudains que risibles. Dharc se plaqua une main sur la bouche et sentit ses yeux larmoyer.

— Exgusez-boi, dit enfin le petit être en reniflant.

Il sortit un mouchoir de la poche de son pantalon et s’apprêtait à se moucher quand une seconde rafale d’éternuements l’en empêcha. C’était trop pour Dharc qui dut se retourner et ouvrir grand la bouche afin de ne pas partir dans un fou rire qu’il avait de plus en plus de mal à contenir. Même Stël se rentrait les lèvres dans la bouche afin de ne pas rire. Après un long moment pendant lequel le farfadet s’était occupé de son tout petit nez, il reprit.

— C’est que ce rocher possède des poussières nauséabondes.
— Dans ce cas, pourquoi vouloir essayer de t’y enfouir ?
— Je fais des recherches, répondit-il fièrement.
— Et qu’y as-tu trouvé à part des toiles d’araignées et une goutte de boue ?

Suivant le regard de la jeune fille, le farfadet se passa une main sur le front, ce qui eut pour conséquence d’étaler un peu plus la tâche d’eau sale et épaisse qui maculait maintenant la moitié de son front. Constatant que sa question l’embarrassait, Stël se ravisa.

— Je suis Stël, et voici Dharc… mon grand frère. Et toi ? Qui es-tu ?

Le petit être sembla hésiter à répondre. Il fronça légèrement les yeux sans parvenir à cacher la suspicion qui émanait de son regard. Finalement, il daigna se présenter. Il écarta les bras en bombant le torse si soudainement que son chapeau trop petit retomba dans le trou duquel il venait d’être retiré. Le farfadet ne parut même pas s’en apercevoir.

— Je suis le maître olfactif, le prince des odeurs, le seigneur des arômes.

Dharc craqua, c’en était trop. Il éclata d’un rire sincère qui provoqua chez le farfadet une réaction logique. Il laissa ses bras retomber mollement le long de son corps et lança un regard noir au jeune homme.

— Ne m’en veux pas, finit-il par dire en s’essuyant les yeux du revers de la manche, je me suis réveillé de très bonne humeur, voilà tout.

Son excuse ne suffit visiblement pas car le petit être accentua son regard en croisant les bras comme le ferait un enfant boudeur.

— Je suis impardonnable, j’aimerais vraiment que tu acceptes mes excuses. As-tu un nom ?

Quelques secondes encore défilèrent sans que le farfadet radoucisse les traits de son visage. Stël crut bon de le solliciter à nouveau.

— Allez l’ami, ne sois pas vexé, reconnais tout de même que nous ne t’avons pas rencontré sous ton meilleur…heu…visage.

Le petit être desserra les bras.

— Mon nom change souvent. J’aime bien changer. En ce moment, je m’appelle Catorinalagivert.
— Dharc et Stël réussirent à se contrôler et restèrent impassibles malgré le prénom ridicule que le farfadet s’était donné.
— Rien que ça ? osa le jeune homme.
— Je sais que les humains ont du mal à prononcer des mots qui ont trop de lettres. Si ça vous arrange, la plupart d’entre eux m’appellent Cato.
— Allons pour Cato.

À cet instant, le farfadet inclina la tête et sembla fixer le néant quelques instants. Stël finit par intervenir prudemment.

— Cato ?
— Je suis là. Je sens une attraction que j’adore et que je ne veux pas rater.
— Une quoi ? Où ça ?
— Dans la cour d’entrée de la cité. Suivez-moi si vous le souhaitez, vous ne le regretterez pas.
— Nous nous rendons à Syrhune la magnifique, nous aussi. Mais de quelle attraction parles-tu ?
— D’un concert des bouches pincées.
— Un concert des… ? On ne connait pas.
— C’est de la musique, répondit Cato agacé, vous savez ce que c’est que la musique tout de même ?
— Bien sûr, répondit Dharc en souriant, mais pas avec ce genre de nom.
— Les bouches pincées ? C’est ainsi qu'on les nomme. Ils sont très forts… Bien sûr, il faut aimer la flûte.

Les jeunes gens acquiescèrent et suivirent le farfadet qui les devançait en trottinant.

Chapitre 3

La révélation de Jana la moche

Viahm s’était réveillé deux ou trois heures après le lever du soleil. Comme à son habitude, il fila directement à l’auberge des Haricots épicés. C’est là que, quotidiennement, il prenait son petit-déjeuner constitué de vin de pissenlit et de haricots épicés. Il ne remarqua donc pas l’absence de ses enfants. Thiamas aux oreilles de tortue (son nom lui venait d’une malformation de naissance qui avait changé ses oreilles en une sorte de feuille de datte séchée), le gérant de l’auberge servit deux plâtrées de haricots et deux cornes de vin et s’installa, comme chaque jour, à la table du chef du village. Thiamas avait la meilleure place pour être au courant de tout ce qui se passait dans le village. Des querelles de voisinage aux ragots quelconques en passant par certaines histoires se passant hors du village. Chaque matin, l’aubergiste lui faisait son rapport. Comme pour contredire son stupide surnom, il aimait à dire qu’il était les oreilles du village et qu’il entendait tout ce qui s’y passait. Lorsqu’il revint chez lui, Viahm remarqua de suite que Dharc et Stël ne s’y trouvaient pas mais il ne s’en inquiéta pas. Il leur arrivait souvent de partir pêcher au nord de la rivière qui alimentait son village.

— Bah ! Qu’ils s’occupent du déjeuner, se dit-il, j’ai à faire.

Après une brève toilette, Viahm s’installa à son bureau. Il étudiait une formule qui pouvait donner à un homme la force lui permettant, telle une fourmi, de soulever des charges cinquante fois supérieures à son poids. Mais il peinait à traduire certains signes de la formule.

— Viahm.

Le chef du village sursauta.

— Je peux entrer ?
— Je travaille. Que veux-tu ?
— T’entretenir d’une chose qui me paraît importante.
— Si c’est pour me parler de tes rhumatismes, j’ai mieux à faire. Je te l’ai dit, je travaille.

La porte s’ouvrit. Sans se soucier de ce que le chef du village pouvait lui dire, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il préféra se taire, une petite femme aussi grosse que large entra en boitant et referma la porte. Elle attrapa une chaise et vint s’assoir près de Viahm qui la suivait du coin de l’œil.

— Encore avec ta foutue magie rouge.

Machinalement, l’apprenti sorcier (depuis trente années qu’il s’intéressait à cette magie, il n’avait jamais été assez sérieux dans ses études pour espérer devenir un jour autre chose qu’un apprenti sorcier) referma son grimoire. Il n’était pas d’humeur à accepter les sarcasmes de l’intruse.

— Qu’est-ce qui t’amène, Jana la moche ?
— Tu les aimes ces surnoms, hein ?

Jana était la seule du village à se permettre de parler ainsi à Viahm. Elle avait été, jadis, la meilleure amie de sa mère. A sa mort, elle avait pris en charge son fils âgé alors de douze ans. Mais depuis, leur relation s’était altérée et Jana ne se cachait jamais de lui faire savoir à quel point il l’avait déçue.

— Je trouve que le tien te va comme un gant.
— Comment va ta fille ?
— Pourquoi cet intérêt ?
— Je vois des choses que tu ne sais pas deviner.
— De quoi parles-tu ? Quelles choses ?
— Des choses que certaines personnes savent lire sur le visage des jeunes filles mais qui dépassent la perception des rustres de ton espèce.
— Qu’essaies-tu de me dire, la moche ? Que ma fille est amoureuse ? Dis-moi plutôt de qui. Stël est trop jeune, je refuse qu’elle s’amourache pour l’instant.

Viahm pointa son index tordu près du nez de Jana.

— Il est hors de question que ça se produise, tu m’entends ? Je l’en empêcherai…
— Ta fille est enceinte.

Viahm s’arrêta net comme s’il venait d’être tranché en deux par la hache d’un troll.

— Qu’as-tu dit ?
— Tu m’as très bien entendue. C’est chose normale. Tu vas être grand-père, tu devrais bondir de joie.
— Tu peux te tromper. Si c’est le cas…
— Je ne me trompe pas, Viahm, Stël attend un enfant.

En un instant, tout s’écroula autour de lui. Il eut l’impression d’être jeté dans le vide. Un vide sans fin, froid et éternel. Si Jana la moche disait vrai, il perdait toutes ses illusions.

— Qui ? souffla-t-il.
— Tu vois moins qu’un aveugle, mon petit.

Viahm se leva d’un bond et l’agrippa par le col de sa chemise.

Sa bouche se tordit au point qu’il eut du mal à se répéter.

— Qui ?

La vieille femme sursauta légèrement. Elle n’avait jamais eu peur de son chef malgré les violentes colères qu’il piquait parfois mais jamais elle ne lui avait vu des yeux aussi rudes et noirs.

— Où est ton fils ? balbutia-t-elle.

Viahm sembla pris d’une sorte de spasme pourtant il ne lâcha la pauvre Jana ni du regard ni de la main qui resserra son étreinte. Soudain, il la fit valdinguer de sa chaise d’une gifle magistrale. Aussi surprise que sonnée, la vieille femme resta là sans bouger, se massant la joue tout en grimaçant de douleur.

— Tu ne peux pas dire vrai. Je ne veux pas que tu dises vrai. Ce que je veux, c’est qu’on les retrouve et qu’on me les ramène.

Viahm sortit sans se soucier une seconde de plus de Jana la moche qui resta immobile encore quelques minutes.

— Pourquoi une telle colère ? Mes pauvres enfants, j’espère que vous êtes loin d’ici.

Viahm se rendit jusqu’à la rivière pour s’assurer que ses enfants n’y étaient pas. Lorsqu’il fut de retour, il était encore plus furieux. Il ne vit rien des passants qui le saluaient. Il se rendait à l’auberge des Haricots épicés où il était sûr de trouver des hommes qu’il pourrait envoyer à leur recherche. Moins de quinze minutes plus tard, onze de ces hommes étaient déjà en route. Il confia au jeune Axas aux dents longues de se rendre dans les villages des alentours et de promettre une forte récompense à celui qui lui ramènerait ses enfants. Avec d’autres hommes, il s’occupa de fouiller les proches environs. A la nuit tombée, il croyait plus que jamais à la véracité des déclarations de la vieille Jana. Sinon, pourquoi se seraient-ils enfuis.

Chapitre 4

Le maître olfactif

Lorsqu’ils pénétrèrent dans la cité, Stël ouvrit de grands yeux émerveillés. À l’instant où ils passèrent entre les deux immenses portes de bronze de Syrhune la magnifique, ils eurent l’impression que des milliers de voix et de bruits divers s’entrechoquaient dans une cohue infernale et, à vrai dire, c’était tout à fait ça. Les remparts qui entouraient la ville gardaient tous ces bruits pour elle. Mais ce qui stupéfia la jeune fille, c’est de constater à quel point la cité aux mille couleurs portait bien son nom. Les maisons étaient faites apparemment de pierres ou de bois mais toutes étaient recouvertes de peintures. Certaines bâtisses étaient d’une seule et même couleur alors que d’autres étaient bariolées ou en dégradé. Même les marchands avaient pris soin de repeindre leur étalage et de se fondre parfaitement dans le décor. Stël avançait sans se rendre compte qu’elle avait les deux mains plaquées contre sa bouche. Dharc constata qu’il avait beau lui avoir décrit ce lieu mais que la flamboyance de la cité avait malgré tout fait son effet. Le farfadet, qui avait demandé à la jeune fille de lui permettre de s’assoir sur son épaule, leur intima de s’arrêter.

— C’est ici, dit-il agité, ça va commencer. Ouh ! J’adore.

Ils se trouvaient au croisement de trois rues qui débouchaient sur une petite place au centre de laquelle trônait une fontaine surplombée d’une statue représentant une femme à demi-nue dont la main droite attrapait un arc-en-ciel. Le jeune couple ne comprit pas l’agitation de Cato, autour d’eux, des passants déambulaient çà et là mais il n’y avait aucune musique. Stël patientait, les yeux rivés sur la fontaine. Sa base était de forme octogonale et chaque côté était peint d’une couleur différente.

En son centre, une colonne jaune vif se dressait comme pour soutenir la femme qui attrapait l’arc-en-ciel.

— Si cette fontaine veut exprimer le fait que l’homme domine les couleurs, se dit la jeune femme en souriant, je ne suis pas certaine que ce soit le cas ici.

L’agitation soudaine du farfadet la sortit de ses rêveries. Quatre hommes, un nain et une petite fille s’étaient arrêtés non loin d’eux. L’un des hommes ouvrit le grand sac de toile qu’il portait sur l’épaule quelques secondes plus tôt. Il en sortit une grosse boîte sculptée. Il l’ouvrit à son tour et chacun alla y piocher un objet. Il s’agissait de flûtes. Chacune était différente et possédait un son propre à elle. Le nain utilisait la plus grosse d‘entre elles. Elle se tordait en divers endroits. La petite fille était prête à souffler dans sa fine flûte de métal qu’elle tenait de ses deux mains en travers de la bouche. L’un des hommes fit un signe de la main et l’orchestre de flûtistes commença à jouer. Cato sautait sur l’épaule de Stël qui dut lui rappeler d’une chiquenaude qu’il se tenait à ses cheveux. Le farfadet s’excusa et se calma.

— Tu aimes ? hurla-t-il à son oreille.

Elle sursauta puis répondit.

— Je ne m’attendais pas à ça. C’est rythmé, c’est joyeux et puis ils ont une sacrée présence.
— Donc, tu aimes.
— Oui, j’aime.
— Et toi Dharc ?
— Pareil. J’avoue qu’ils ont une certaine originalité.
— C’est les meilleurs. Whahou !!!

Après une bonne heure de concert, les musiciens reposèrent leurs instruments et l’un des hommes annonça qu’ils rejoueraient en début d’après-midi.

— Allons manger, proposa Dharc.
— Je peux venir avec vous ?
— Si tu le souhaites, tu nous parleras un peu de toi.
— Pourquoi ?
— Pourquoi pas ? Tu danses sur l’épaule de ma sœur, tu peux en échange nous dire un peu mieux qui tu es. J’imagine qu’il faut un sacré vécu pour devenir le maître olfactif.

Cato hésita entre se vexer et bouder ou bouder directement mais le large sourire jovial du jeune homme l’empêcha de faire l’un ou l’autre. Plus tard, autour d’une table (Cato y étant installé dessus, bien évidemment), le jeune couple et le farfadet faisaient honneur au ragoût de mouton et de navets qu’une demi-elfe venait de leur servir. Cato mangeait goulument tout en jetant des regards de tout côté. Dharc remarqua qu’il fixait étrangement un homme grand et trapu qui s’avançait vers eux. Le farfadet retourna vivement la tête vers son assiette. L’homme passa près d’eux sans les regarder pourtant leur petit compagnon fixait son assiette sans la voir et se mit à trembler. Stël, qui avait aussi remarqué son désarroi, lui caressa le dos gentiment.

— Qu’y a-t-il ? Demanda-t-elle

Cato tourna légèrement la tête pour s’assurer que l’homme continuait son chemin. Après avoir salué un autre client, il sortit de l’auberge sans s’apercevoir qu’on le suivait des yeux.

— C’est cet homme.
— Tu le connais ?
— Non, mais il est mauvais… il est… très mauvais.
— Comment ça ?
— Il dégage une sorte de parfum bien particulier. Je sais que je suis le seul à le sentir, ça s’est toujours passé ainsi. C’est comme ça.
— Il dégage une odeur ? Questionna Dharc qui voulait que le farfadet s’explique mieux.
— Il n’y a pas que les ragoûts de mouton ou les égouts qui ont une odeur. Tout a une odeur mais je crois être le seul à m’en apercevoir. Cet homme qui vient de passer est un tueur cruel et sans émotions, je le sais parce que je l’ai senti.
— Que sens-tu de nous ? Lui demanda le jeune homme

Cato hésita quelques instants mais préféra ne pas répondre.

— Les notes de musique ont un parfum bien à elles. Mais ça ne s’arrête pas là, je sens quand un danger imminent est proche, ce qui m’a certainement évité bien des ennuis, je sens quand une dispute est prête à éclater, quand un homme est gentil ou méchant, quand la nuit tombe ou quand les fleurs renaissent. Je sens aussi…
— Excuse-moi de te couper, Cato, que sens-tu de nous ?

Le farfadet enfourna un demi navet qu’il mâcha lentement. Les jeunes gens attendirent patiemment qu’il décide de répondre ou non. Il finit par tout avaler mais prit le temps de bien tout faire descendre en buvant une longue rasade de cidre.

Puis il se lança.

— Vous dégagez un parfum que je n’avais jamais senti à ce point-là, mais je le reconnais sans difficulté. Un puissant amour émane de vous. Son odeur enveloppe toutes celles qui se dégagent de Syrhune la magnifique. C’est d’ailleurs ce qui m’a attiré dans les rochers. Je suis curieux et je voulais savoir qui était capable de partager autant d’amour.

Le farfadet remarqua que Dharc avait froncé les sourcils. Il reprit.

— J’ignore pourquoi vous vous faites passer pour des frères et sœurs, mais je sais que c’est faux, et puis d’autres odeurs me sont perceptibles, rajouta-t-il en posant son regard sur Stël.

D’un geste de la main, la jeune femme l’invita à poursuivre.

— Tu dégages le parfum d’une vie à venir qui n’est pas la tienne. J’espère ne pas te l’apprendre mais je sais que tu attends un enfant et, par son odeur qui est un mélange des vôtres, je sais que tu es le père.
— C’est dingue, souffla Dharc. Tu as le don de tout savoir sur les gens que tu croises, sur les lieux que tu traverses ou les ambiances qui t’entourent. Ton pouvoir est immense.
— Mon pouvoir… Si je pouvais le maîtriser quand bon me semble, je pense qu’on pourrait le qualifier ainsi, mais il est là en moi, continuellement. Je ne peux jamais me reposer, penser à autre chose, être moi et agir à l’instinct. Mon pouvoir, il appuya ce mot avec agressivité, dirige ma vie et chacune de mes décisions, c’est terrible.
— Je suis désolé, je ne l’avais pas compris comme ça. Je reste malgré tout très impressionné et je te demande amicalement de ne rien dévoiler en ce qui nous concerne.
— Je ne suis pas un traître et puis ce n’est pas dans mon intérêt maintenant que je suis avec vous.
— Qu’entends-tu par-là ?
— Mon « pouvoir » m’empêche de vous quitter. Comment dire ? Cato chercha ses mots quelques secondes. Un étrange parfum m’envahit. Il vient de votre présence ici. C’est difficile à expliquer, c’est comme une destinée à laquelle j’appartiens. Je ne sais pas encore pourquoi mais vous avez besoin de moi et je sens que c’est réciproque.
— N’ayant pas ton don, je ne peux pas te contredire, intervint Stël d’une voix douce, mais notre route risque d’être périlleuse et puis, sans vouloir t’offusquer, elle nous appartient.
— Justement, je sens les dangers et je peux vous aider à les éviter ou à les contourner.

Les jeunes gens se consultèrent du regard puis Dharc prit la parole.

— Soit, je suppose qu’on devrait prendre en compte ce que tu nous dis, alors sois le bienvenu. Réservons une chambre pour ce soir et sortons, nous avons à faire.
— Où allons-nous ?
— Faire quelques repérages. Dès demain matin nous nous rendrons à la bibliothèque, nous avons des recherches à y faire et cela peut nous prendre beaucoup de temps.
— Chouette ! Ça me fait plaisir de ne plus être seul et d’utiliser mon nez pour aider des gens aussi gentils que vous.
— Tu ne sais rien de nous mais tu as l’air sûr de toi.

Cato sourit malicieusement.

— Je le sens.

Chapitre 5

La bibliothèque

— Après avoir passé la nuit à l’auberge Azur écarlate, le jeune couple accompagné de Cato, le farfadet seigneur des parfums, s’engagea dans les rues de Syrhune la magnifique. Conscients qu’ils n’auraient peut-être bientôt plus l’occasion de dormir dans un bon lit, les jeunes gens avaient pleinement profité du confort de leur chambre. Pelotonnés l’un contre l’autre, ils avaient dormi plusieurs heures sans bouger, emmitouflés dans l’épais édredon de plumes qui les enveloppait de sa douceur et de sa chaleur. Même les ronflements de Cato ne les dérangèrent pas bien que Dharc s’était demandé comment il était possible de ronfler aussi fort avec un aussi petit nez. Les murs et les plafonds de leur chambre brillaient d’un rouge écarlate si bien que Stël avait douté de pouvoir s’endormir dans une ambiance aux couleurs aussi agressives. Finalement, ils s’y accommodèrent rapidement. Stël oublia même totalement les extravagances du décor de la pièce quand son bien-aimé l’enveloppa de ses bras. Dans ces moments d’échange et de partage, plus rien ne comptait pour les jeunes gens, ni leurs secrets, ni leur fausse relation avec Viahm aux mains d’ogre, ni même la rudesse de l’hiver ou la canicule des saisons chaudes, alors le choix d’une couleur…

Cato les guida jusqu’à la grande bibliothèque de la cité.

— Qu’allez-vous y faire ? questionna le petit farfadet confortablement assis sur l’épaule de Stël.
— Des recherches, répondit le jeune homme.
— C’est un secret, c’est ça ? Pourquoi vous ne voulez pas m’en confier plus ?

Le jeune couple s’échangea un regard complice, puis Dharc reprit.

— Non, ce n’est pas un secret. Nous espérons trouver des renseignements sur la légendaire forêt de la fraîche eau.
— C’est tout ?
— Oui, c’est tout.
— Pourtant…

Le farfadet ferma les yeux quelques instants comme pour chercher à se concentrer.

— Quoi ?
— C’est une légende.
— C’est ce qui se dit.
— Vous n’y croyez pas ?
— Très bien. Nous souhaitons nous réfugier dans cette forêt.
— Quoi ! Vous cherchez à vous réfugier dans une forêt qui n’existe pas ?

Stël soupira comme si une immense lassitude s’emparait de tout son être.

— Les légendes sont ce qu’on en fait, dit-elle. Nous voulons nous rendre dans un lieu le plus inaccessible possible et nous pensons que cette forêt existe. Si on en fait une légende, c’est qu’elle a déjà été repérée, si quelqu’un l’a trouvée, il en a peut-être retranscrit les indications dans un livre et, si c’est le cas, si ce livre existe, il y a de fortes chances pour qu’on le trouve dans la bibliothèque de cette cité.
— Eh bien ! J’ai le sentiment que vos recherches vont vite se terminer.
— Ton jugement nous importe peu, reprit Dharc, nous avons toutes les raisons de croire que notre avenir doit passer par là. Rien ne t’oblige à nous croire ni même à nous suivre.

Stël s’étonna du ton employé par son compagnon mais elle n’en fit rien voir. Cato fut aussi surpris qu’elle mais lui ne parvint pas à le cacher. Il croisa les bras et plissa sa bouche comme s’il décidait de ne plus jamais l’ouvrir.

— J’ai déjà vu l’immense bâtisse qui abrite la bibliothèque mais je n’y suis jamais entré. La connais-tu un peu mieux ?

Cato hésita à répondre mais en peu de temps, il décida qu’il ne devait pas altérer sa relation avec le jeune couple. Il le sentait.

— Je m’y rends souvent. Rares sont les endroits de la cité respirant autant le calme et la sérénité. J’aime me promener dans ses innombrables allées aménagées sur plusieurs étages.
— Y a-t-il beaucoup de livres ?
— Des dizaines et des dizaines de milliers. Certains sont si vieux qu’ils ne sont consultables que sous certaines conditions. Une mauvaise manipulation pouvant les dégrader irrémédiablement. Mais il arrive de nouveaux ouvrages tous les jours. Tous les murs sont recouverts d’étagères remplies de livres si bien qu’on ne distingue plus les dizaines de dégradés de couleurs qui les recouvrent.

À ces mots, Stël tapota les pieds du farfadet qui retombaient mollement sur le devant de son épaule.

— Si on ne les distingue plus, comment sais-tu que les murs en sont recouverts ?
— Vous avez vraiment du mal à me faire confiance. Si seulement vous pouviez sentir l’air autour de nous, vous sauriez qu’on doit devenir amis ou tout au moins des compagnons de route. En tout cas, pour l’un comme pour l’autre, tout passe par la confiance.
— Mais la confiance ne se donne pas comme on donne une graine à un oiseau. Si toi tu peux le sentir à l’avance, ce n’est pas notre cas. Nous t’avons dit déjà énormément de choses alors qu’on ne t’a rencontré qu’hier. Ne sois pas trop gourmand.

Dharc fut ravi d’écouter les paroles de Stël. Elle avait exprimé exactement ce qu’il pensait et elle l’avait fait avec subtilité et tact, comme seule une fille innocente pouvait le faire. Il l’aimait aussi pour ça. Sur des choses simples de la vie au quotidien, ils se complétaient à merveille. Il repensa aux douleurs et aux fatigues qu’elle allait vivre durant les prochains mois. Il espérait fortement être à la hauteur et surtout acquérir la sagesse nécessaire pour être digne de l’enfant qu’elle protégeait en elle. Pour lui.

Où donc se trouvait cette forêt de la fraîche eau ? Cette forêt oubliée et, l’espérait-il, accueillante. Car s’ils croyaient vraiment à son existence, ils en ignoraient l’emplacement et ce qu’elle y abritait. Il sourit béatement en se remémorant la joie qu’ils avaient eu le jour où, grâce à un sortilège de magie rouge compliqué et difficile à maintenir, il avait recueilli dans l’essence même d’un arbre millénaire, une image très nette de la forêt de la fraîche eau. Des milliers d’arbres aux feuilles très longues et recourbées abritaient des dizaines de petits lacs d’une eau pure et fraîche. Ce jour-là, Stël et Dharc avaient trouvé l’endroit où ils iraient se cacher lorsque le jour de leur fuite arriverait. Un endroit oublié ou évité, un lieu secret qu’on camoufla derrière une légende afin de la préserver. Pourquoi cette forêt aurait-elle un nom correspondant à son image si elle n’avait pas existé ?

—  Stël ! Qu’y a-t-il ?

Dharc sortit brusquement de ses pensées. Stël vacilla et s’appuya sur le muret d’une maison en se portant l’autre main sur le front. Le jeune homme se précipita et appuya sa bien-aimée contre lui.

— Ça va aller, lui souffla-t-elle.
— Assieds-toi un instant.

Cato en profita pour sauter sur l’épaule de Dharc, sa première monture ne lui paraissant plus aussi fiable.

— C’est juste un vertige. Je savais que ça pourrait arriver. J’espérais y échapper… Ne t’inquiète pas, c’est passé.

Un marchand de fruits proposa une pomme à la jeune femme en lui assurant que son jus sucré lui redonnerait de l’énergie. Elle l’accepta de bon cœur.

Un peu plus tard, ils débouchèrent sur une grande place dont le centre était occupé par une grande maison haute de cinq étages. Les peintures de sa façade étaient plus extravagantes que jamais. De chaque côté de cette imposante bâtisse, il y avait une énorme double-porte d’entrée. Tout le tour de la place était animé par des artistes de rue et les divers étalages bariolés qu’on trouvait devant chaque auberge. Beaucoup de gens circulaient se dirigeant dans toutes les directions possibles mais il parut à Dharc qu’ils étaient peu nombreux à entrer ou à sortir de la bibliothèque. Comme s’il avait lu ses pensées, le farfadet s’exclama.

— La cité aux mille couleurs renferme beaucoup moins d’érudits qu’on pourrait le croire. Les hommes préfèrent les auberges et les maisons de femmes à louer. Dans une bibliothèque, il n’y a que des livres.
— Entrons.

Ils se retrouvèrent dans un grand hall haut de plafond d’où pendaient des tentures représentant des scènes de la Guerre de l’Ancien Monde. Sur leur droite se trouvaient les premières marches d’un escalier qui s’enfonçait dans le plafond. De l’autre côté de la pièce, des milliers de livres recouvraient les murs du sol au plafond. Un homme aussi grand qu’il était maigre vint à leur rencontre en leur arborant un large sourire qui n’avait aucun mal à passer d’un côté à l’autre de son visage à l’aspect pointu. Dharc sentit Cato gigoter. Il faisait toujours ça quand il se concentrait pour mieux utiliser son talent olfactif.

— Soyez les bienvenus, puis-je vous aider ?
— Nous venons consulter des livres, lança Stël.

L’homme resta impassible et ne relâcha rien de son sourire ridicule.

— Vous ne pouviez pas mieux tomber. Je peux vous trouver tous les ouvrages que vous désirez en un temps record.
— Cet homme pue, glissa le farfadet à l’oreille de Dharc.

Le jeune homme comprit qu’il fallait s’écarter de cet homme.

— Vous savez, reprit-il, il arrive que des gens recherchent un livre pendant des semaines et repartent sans avoir pu le consulter.
— La bibliothèque de Syrhune est pourtant réputée autant par sa richesse que par son organisation, intervint Dharc.
— Ce sont les hommes qui fabriquent les réputations, la réalité est bien souvent toute autre. Allons, donnez-moi le titre du livre que vous voulez consulter et, pour quelques petites pièces, je veux bien vous rendre cet immense service.
— Merci l’ami, nous avons tout notre temps.

Le grand maigre attrapa sans ménagement l’avant-bras du jeune homme.

— Vous devriez réfléchir avant de vous enfoncer dans ce labyrinthe.

À la vitesse de l’éclair, Stël s’agrippa à lui par la guenille qui lui servait de cape et lui pointa son couteau sur le cœur.

— Et toi, tu devrais réfléchir avant de toucher à mon frère.

Le sourire du grand maigre s’évanouit enfin, dévoilant une dentition aussi laide et ingrate que son faciès.

— Comme tu veux, la frangine, mais vos pièces, je peux les avoir autrement.

Stël appuya sa lame plus fort encore obligeant l’homme à serrer les lèvres. Elle ouvrit de grands yeux coléreux. Devant ce regard d’émeraude, une immense vague de peur déferla dans les yeux du grand maigre.

— Tu me menaces ?

L’homme ne répondit pas. Une grosse goutte de sueur perla jusque sur le bout de son long nez osseux et resta là, en suspend. Stël le relâcha brusquement, faisant tomber la goutte de sueur qui fut en l’instant remplacée par une autre.

— Va t’essuyer et ne croise plus notre chemin.

L’homme ressortit tout penaud par l’une des portes de la bibliothèque.

— Eh ben ça alors ! S’exclama Cato, tu es rapide comme l’éclair.

La jeune femme lui lança un clin d’œil et le toisa d’un air hautain.

— Tu ne l’avais pas senti ?

Puis elle se dirigea vers l’escalier en dandinant exagérément. Cato et Dharc se regardèrent aussi bouche bée l’un que l’autre.

Arrivés au premier étage, ils entrèrent lentement dans l’immense pièce. Des étagères l’entouraient entièrement et des dizaines d’autres étaient disposées en rangées bien parallèles. Çà et là, de petites pancartes donnaient des renseignements sur les différents thèmes que l’on pouvait trouver dans telle ou telle rangée.

— Astrologie et étude du cosmos, ce doit être très intéressant.
— Ne commençons pas à nous égarer, Dharc.
— Je sais ma douce, mais quand même, cet endroit détient une multitude de trésors inestimables, la connaissance…
— Dans quel genre de thème pourrions-nous trouver ce qu’on cherche ?
— Peut-être en cartographie ou en vie des forêts.
— Il n’y a rien à cet étage, dit le farfadet.
— Tu en es sûr ?
— Il y a dans les parages une odeur de grande satisfaction, un parfum de victoire qui nous concerne, mais ça vient de plus haut.
— On te suit.

Le jeune couple se laissa guider par le farfadet jusqu’au quatrième étage puis jusqu’à une rangée précise. Cato soupira de satisfaction.

— C’est ici. Cette allée peut nous apporter un grand bonheur.
— Dharc consulta l’écriteau qui était fixé là : Botanique, la flore et ses hybrides.
— Tu es sûr de toi ?
— Aie confiance pour une fois. Si tu pensais trouver une pancarte Tout sur la forêt de la fraîche eau, troisième livre en haut à gauche, tu es bien naïf.
— Ici, des milliers de livres traitent de fleurs, je ne vois pas le rapport c’est tout.

Cato fixa longuement l’allée longue d’une vingtaine de mètres, et se retourna vers les jeunes gens.

— C’est ici. Quelque part dans ces étagères, il y a quelque chose qui peut nous rendre heureux, si on le trouve.
— Alors cherchons, dit Stël. Avec les échelles, je m’occupe du haut.
— Eh bien, j’espère que quelques semaines nous suffiront.

Ils commencèrent à chercher chacun de leur côté, Dharc leur ayant conseillé de consulter d’abord les sommaires de chaque ouvrage et, éventuellement les résumés que certains écrits possédaient au dos de leur couverture. Cato les aidait comme il pouvait mais les livres étaient souvent trop gros et trop lourds pour lui. Stël, de son côté, remarqua trois énormes livres qui avaient le même titre : Entretenir et aimer son orchidée bleue. Elle se demanda comment on pouvait écrire autant de choses pour une simple fleur. Elle pensa qu’il fallait avoir une vie bien ennuyeuse pour se charger d’un tel travail. Ils cherchèrent durant plusieurs heures. Le farfadet finit par se laisser tomber mollement contre le dos de Les orties et la lune. Il n’avait pas arrêté de sortir les livres, les poser à terre, les ouvrir, les feuilleter et les remettre dans leur emplacement. Il était épuisé…et frustré. Il sentait en permanence cet arome de découverte qui régnait dans cette allée mais les livres étaient trop nombreux et ils ne trouvaient pas leur bonheur.

— J’ai faim, dit-il.

Moi aussi, répondit la jeune femme, ça fait un bon moment que je ne pense qu’à dévorer un énorme morceau de viande. Attendez ! J’ai trouvé quelque chose.

Elle redescendit de l’échelle, Dharc la rejoignit. Quant à Cato, il ne daigna même pas tourner la tête. Stël rouvrit le livre La famille nombreuse des pissenlits. Elle montra à Dharc le titre du dix-huitième chapitre qu’elle avait repéré dans le sommaire : Une variété inconnue ramenée de la forêt de la fraîche eau. Elle tourna les pages jusqu’au dit chapitre. Ils lurent dans leur tête les premières lignes.

—