La Légende du Roi Arthur - Tome 4 - Jacques Boulenger - E-Book

La Légende du Roi Arthur - Tome 4 E-Book

Jacques Boulenger

0,0

Beschreibung

Alors commença la quête du Saint Graal, quête pour laquelle Merlin avait créé la Table ronde. Des chevaliers, parmi les plus preux, les plus courageux, les plus loyaux, quitteront la cour, souvent sans espoir de retour. Mais, ce qui doit être sera, et le Saint Graal sera retrouvé par le meilleur d'entre eux. Ainsi s'achèveront les Temps Merveilleux de la Bretagne Bleue... Puis viendra celui des hommes, le temps de la trahison, du mensonge et de la mort. Mordret, le fils du péché, tuera Arthur, le garant d'un ordre désormais révolu, et le monde reviendra à l'Ennemi et ce, jusqu'au jour du Jugement. Mais non, car Arthur n'est pas mort! Il est en dormition, en l'Ile d'Avalon, sous la garde de la fée Morgane, et les Bretons attendent son retour qui ne saurait maintenant tarder...

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 260

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



La Légende du Roi Arthur - Tome 4

La Légende du Roi Arthur - Tome 4LE SAINT GRAALI. Préambule.II. La venue de Galaad : le Siège périlleux ; passage du Graal ; la haute quête.III. Galaad et la reine.IV. Départ des compagnons de la Table ronde.V. Quête de Galaad : l’écu de Mordrain.VI. Quête de Galaad : Le châtel aux pucelles.VII. Quête de Perceval : le destrier noir.VIII. Quête de Perceval : La recluse.IX. Quête de Perceval : la tentation.X. Quête de Lancelot : la couronne d’orgueil ; la disgrâce.XI. Quête de Lancelot : la confession.XII. Quête de Lancelot : les blancs chevaliers et les noirs chevaliers ; l’eau infranchissable.XIII. Quête de Gauvain : le pécheur endurci ; mort d’Yvain le Grand.XIV. Quête de Bohor : la confession.XV.. Quête de Bohor : Lionel sans secours ; le faux religieux.XVI. Quête de Bohor : la tentation.XVII. Quête de Bohor : la mortification.XVIII. Quête de Bohor : Lionel furieux.XIX. Quête de Galaad : Gauvain abattu.XX. La nef de Salomon : le lit ; l’épée ; les fuseaux.XXI. L’épée aux étranges renges.XXII. Le cerf blanc et les lions.XXIII. La dame lépreuse et la pucelle-qui-jamais-ne-mentit.XXIV. Lancelot et Galaad.XXV. Lancelot au château du Graal.XXVI. Hector au château du Graal.XXVII. Gauvain le meurtrier.XXVIII. Galaad, Perceval et Bohor au château du Graal.XXIX. Le Graal au palais spirituel.XXX. Mort de Galaad. Ravissement du Saint Graal.LA MORT D’ARTHURI. Premier soupçon du roi.II. Le don de la demoiselle d’Escalot.III. Le tournoi de Winchester.IV. Gauvain et la demoiselle d’Escalot.V. Le roi rassuré.VI. La reine jalouse.VII. Passerose amoureuse.VIII. Lancelot et son lignage.IX. Le château de Morgane ; la chambre aux images.X. Cruauté de la reine pour Lancelot.XI. Le fruit empoisonné.XII. La reine appelée trahison.XIII. La nacelle de la pucelle morte.XIV. La reine sans champion.XV. La reine sauvée.XVI. Les amants dénoncés.XVII. Les amants surpris.XVIII. Le jugement et la délivrance de la reine.XIX. Deuil du roi et de monseigneur Gauvain.XX. Parlement.XXI. Les nouveaux compagnons de la Table ronde.XXII. Siège de la Joyeuse Garde : message de Lancelot.XXIII. Siège de la Joyeuse Garde : première bataille.XXIV. Siège de la Joyeuse Garde : deuxième bataille ; courtoisie de Lancelot.XXV. Paix du roi et de la reine.XXVI. Dureté de monseigneur Gauvain.XXVII. Débarquement en Gaule.XXVIII. Siège de Gannes : Lancelot défié par monseigneur Gauvain.XXIX. La trahisons de Mordret.XXX. La reine dans la tour.XXXI. Le combat de Lancelot et de Gauvain.XXXII. Départ pour la Grande Bretagne ; mort de monseigneur Gauvain.XXXIII. Mordret contre le roi Arthur.XXXIV. La reine dans une abbaye de nonnains.XXXV. Enterrement de Gauvain ; la dame de Beloc.XXXVI. Songes du roi et présages.XXXVII. Bataille de Salisbury : le carnage.XXXVIII. Bataille de Salisbury : le fils tué par le père.XXXIX. La mort de Keu, la fin d’Arthur, la mort de Giflet.XL. Bataille de Winchester. La mort des fils de Mordret Conversion de Lancelot.XLI. La mort d’Hector des Mares et de Lancelot.XLII. Adieu.ÉclaircissementsPage de copyright

La Légende du Roi Arthur - Tome 4

Jacques Boulenger

LE SAINT GRAAL

À Joseph Bédier

I. Préambule.

Il y a longtemps que j’ai pris connaissance des merveilleuses aventures et faits étranges dont devise la haute histoire du Saint Graal. J’ai mis à les entendre et rapporter le sens que Nature m’a donné, car ces contes sont plaisants et de grande signifiance, et je pense que les bonnes gens (pourvu qu’ils aient pouvoir et loisir de les lire) s’en réconforteront et, grâce à eux, ôteront de leur cœur divers soucis et lourdes pensées. Certes, si ces récits sont peu prisés, ce sera de ceux qui ne savent pas ce qui a du prix en ce monde, et peu me chaut du blâme de telles gens ! En terre aride le bon grain ne peut pousser.

Aujourd’hui, je veux parler des grandes merveilles que plusieurs prud’hommes, chevaliers célestiels, les meilleurs qui furent jamais, accomplirent dans l’ancien temps. Des bons, on ne saurait jamais trop écrire ; mais, si peu de mal qu’on dise des mauvais, c’est toujours pénible à entendre ; aussi ai-je laissé les mauvais de côté : qu’ils soient loin de moi toujours ! Que Dieu ne permette jamais qu’ils s’en approchent ! Or, écoutez : car pour ce que je vois que le temps est beau et clair, l’air pur, que la grande froidure de l’hiver est partie, et que nous sommes au commencement de la douce saison qu’on nomme printemps, je veux commencer mon livre, au nom de Dieu et de la Sainte Trinité, de la manière que voici :

II. La venue de Galaad : le Siège périlleux ; passage du Graal ; la haute quête.

Le jour de la Pentecôte, le roi Arthur et la reine Guenièvre vêtirent leurs robes royales et posèrent leurs couronnes d’or sur leurs têtes ; et certes le roi était très beau ainsi et il avait bien l’air d’un prud’homme. Comme il sortait de la messe, passée l’heure de tierce, il trouva Lancelot qui revenait, en compagnie de Bohor, de l’abbaye de la forêt où il avait adoubé son fils Galaad, ainsi que le conte l’a rapporté. À tous trois, le roi fit joie, puis il commanda de mettre les tables, car à son avis il était grand temps de manger.

– Sire, dit Keu le sénéchal, nous avons toujours vu qu’aux grandes fêtes vous ne vous asseyiez point à votre haut manger avant qu’une aventure fût advenue en votre maison : à faire autrement, aujourd’hui, vous enfreindriez la coutume.

– Vous dites vrai, Keu. J’ai tant de joie de l’arrivée de Lancelot et de ses cousins qu’il ne me souvenait plus de cette coutume.

Or, tandis qu’ils parlaient ainsi, les chevaliers s’étaient approchés de la Table ronde. Sur chaque siège se trouvait écrit le nom de celui à qui la place appartenait. Mais, sur celui qu’on nommait le Siège périlleux parce qu’aucun homme jamais ne s’y était assis sans être puni par Dieu, on s’aperçut que des lettres d’or nouvellement tracées (on ne sut jamais par qui) disaient ceci :

Quatre cent cinquante-quatre ans après la Passion de Jésus-Christ, le jour de la Pentecôte, ce siège aura son maître.

– En nom Dieu, s’écria Lancelot après avoir répété ces mots à haute voix, qui voudra faire le compte trouvera que c’est aujourd’hui même !

Tous les pairs et les compagnons de la Table ronde demeurèrent ébahis de cette grande merveille et Keu s’écria :

– Par mon chef, sire, vous pouvez maintenant dîner, car l’aventure ne vous a point failli !

– Allons ! dit le roi.

Les nappes mises et l’eau cornée, les chevaliers lavèrent leurs mains dans les bassins d’or, puis le roi s’assit sur son estrade et chacun à sa place ; et, comme les compagnons de la Table ronde étaient tous venus, tous les sièges furent occupés, hormis le Siège périlleux. Mais, au moment qu’on allait servir le premier mets, soudain les portes et les fenêtres se fermèrent d’elles-mêmes ; puis, au milieu de la salle, apparut un vieillard en robe blanche, que nul n’avait vu entrer, et qui tenait par la main un chevalier vêtu d’une armure couleur de feu, mais sans écu.

– La paix soit avec vous ! dit le prud’homme à si haute voix que chacun l’entendit. Roi Arthur, voici le vrai chevalier, le désiré, le promis, sorti du haut lignage du roi Salomon et de Joseph d’Arimathie, celui qui mènera à bien la quête du Saint Graal et achèvera les temps aventureux !

– Bienvenu soit-il, dit le roi en se levant, car nous l’avons longtemps attendu ! Jamais il n’y eut si grande joie que celle que nous lui ferons.

Alors le chevalier ôta son heaume et l’on vit qu’il était tout jeune ; et comme le gerfaut est plus beau que la pie, la rose que l’ortie et l’argent que le plomb, il était plus beau que tous ceux qui étaient là. Le vieillard le désarma et le conduisit par la main au Siège périlleux, où il s’assit sans hésiter, en toute sûreté. Et quand les barons virent ce jouvenceau en cotte rouge et surcot vermeil fourré d’hermine prendre place si simplement au lieu que tant de bons et de vaillants avaient redouté et où étaient advenues déjà de si hautes aventures, il n’est aucun d’eux qui ne le tint pour son maître, car ils pensèrent que cette grâce lui était accordée par la volonté de Notre Sauveur. Mais quelle fut la joie de Lancelot, lorsqu’il reconnut que ce damoisel n’était autre que son fils Galaad !

– Roi, disait le vieillard, aujourd’hui tu obtiendras le plus grand honneur qui ait jamais été accordé à aucun roi de Bretagne : et sais-tu lequel ? Le Saint Graal entrera dans ta maison et rassasiera les compagnons de la Table ronde.

Là-dessus, il sortit par la grande porte qui pourtant était close, et sachez que jamais personne ne le revit plus. Mais, à peine eut-il disparu, un coup de tonnerre éclata, puis un rayon de soleil traversa les verrières, qui fit tout paraître deux fois plus clair dans la salle : ceux qui étaient là en furent illuminés comme de la grâce du Saint Esprit ; toutefois ils sentirent en même temps qu’ils étaient devenus aussi muets que les bêtes. Et voici qu’un vase en forme de calice apparut, caché sous un linge blanc, et qui semblait flotter dans l’air, car nul ne pouvait apercevoir qui le portait. Et aussitôt que ce très saint vase fut entré, le palais s’emplit de parfums, comme si l’on y eût répandu toutes les bonnes épices du monde. Et à mesure qu’il passait devant les tables, celles-ci se trouvaient chargées des viandes les plus exquises ; chacun eut devant soi justement celles qu’il désirait. Puis, quand tout le monde fut servi de la sorte, le vase s’en alla comme il était venu, on n’aurait su dire comment ; alors tous, grands et petits, retrouvèrent la parole et rendirent grâces à Dieu qui avait permis qu’ils eussent la visite du Saint Graal.

– Seigneurs, dit le roi, Notre Sire nous donne certes une haute marque d’amour en venant nous rassasier de Sa grâce en un si haut jour que celui de la Pentecôte !

– Encore y a-t-il autre chose que vous ne savez point, lui répondit messire Gauvain : c’est que chacun a été servi des viandes qu’il souhaitait et désirait ; et cela n’était jamais advenu ailleurs qu’à la cour du roi Pellès, au Château aventureux. Néanmoins il n’a été permis à aucun de nous d’apercevoir le Saint Graal sous l’étoffe qui le cachait. C’est pourquoi je fais vœu d’entrer en quête demain matin et d’y rester un an et un jour, ou davantage s’il le faut ; et, quoi qu’il m’arrive, je ne reviendrai qu’après avoir découvert la vérité du vase très précieux, à moins qu’il ne puisse ou qu’il ne doive pas m’être donné de la connaître : auquel cas je m’en retournerai.

Tous les compagnons de la Table ronde se levèrent et firent le même vœu que messire Gauvain, jurant qu’ils ne cesseraient jamais d’errer avant de s’être assis à la haute table où la douce nourriture était tous les jours servie, si toutefois cela pouvait leur être permis. Mais, à les écouter, le roi sentait un si grand chagrin que l’eau du cœur lui vint aux yeux.

– Gauvain, Gauvain, dit-il, vous m’avez trahi ! Car vous m’avez ôté mes amis, la plus belle compagnie et la plus loyale qui soit. Je sais bien que les compagnons de la Table ronde ne reviendront pas tous de cette quête et qu’il en manquera beaucoup : certes cela ne me peine pas peu ! Je les ai élevés aussi haut que j’ai pu et je les aime comme des fils et des frères…, Ha, je doute beaucoup de les revoir jamais !

– Pour Dieu, sire, que dites-vous ? s’écria Lancelot. Un roi ne doit pas nourrir la crainte en son cœur, mais la hardiesse et l’espoir. Et si nous mourons en cette quête, ce sera la plus belle et la plus honorable des morts.

– Lancelot, Lancelot, c’est le grand amour que j’ai pour vous tous qui me fait parler ainsi ! Et ce qui me chagrine, c’est que je sais bien que vous ne serez pas rassemblés à la table du Graal comme vous l’êtes à celle-ci et que bien peu y seront admis !

À cela Lancelot ni messire Gauvain ne répondirent rien, car ils sentaient que le roi disait vrai et qu’eux-mêmes, peut-être, n’auraient pas place à la haute table du Graal. De façon que messire Gauvain se serait repenti du vœu qu’il avait fait, s’il l’eût osé.

III. Galaad et la reine.

Cependant, tout le monde s’était levé et l’on vit que le Siège périlleux portait maintenant le nom de Galaad, lequel vola de bouche en bouche, et tant qu’il parvint aux tables où la reine mangeait avec ses dames. Ah ! quand elle sut comment Lancelot avait juré, ainsi que ses compagnons, de partir en quête de la vérité du Graal, elle eut tant de chagrin qu’elle en pensa pâmer !

– Hélas ! disait-elle en pleurant, c’est grand dommage, car cette quête ne se terminera pas sans que maint prud’homme y trouve sa mort ! Je m’étonne que messire le roi l’ait permise.

Presque toutes les dames s’étaient mises à pleurer avec elle et ce n’était pas merveille, car la plupart étaient les femmes épousées ou les amies de ceux de la Table ronde. Aussi, quand les tables furent ôtées et qu’elles furent assemblées dans la salle avec les chevaliers, chacune dit à celui qu’elle aimait qu’elle voulait aller avec lui à la quête du Graal. Mais aucun ne consentit, car ils sentaient tous qu’une quête si haute des secrets mêmes de Notre Seigneur ne pouvait être entreprise comme les autres quêtes terriennes qu’ils avaient menées jusqu’à ce jour.

La reine, cependant, était venue s’asseoir auprès de Galaad et elle lui demandait dans quel pays il était né, et de qui. Il lui apprit ce qu’il en savait, mais non qu’il était fils de Lancelot. Pourtant elle le devina à leur ressemblance et pour ce qu’elle avait souvent entendu parler de l’enfant issu de la fille du roi Pellès.

– Ha, sire, lui dit-elle, pourquoi me celez-vous le nom de votre père ? À votre place, je n’aurais pas honte de le nommer, car il est le meilleur et le plus beau chevalier du monde. Et vous lui ressemblez si fort que le plus niais s’en apercevrait.

– Dame, répondit Galaad en rougissant, puisque vous le connaissez si bien, nommez-le.

– En nom Dieu, c’est Lancelot du Lac, le plus gentil et le mieux aimé chevalier qui vive en ce temps.

– Dame, si c’est vrai, on le saura bientôt céans.

Longtemps ils parlèrent ainsi, jusqu’à ce que vînt l’heure du souper. Et, après qu’ils eurent mangé, le roi mena Galaad dans sa propre chambre et le fit coucher, par honneur, dans le lit où il avait coutume de dormir lui-même.

IV. Départ des compagnons de la Table ronde.

Or, la reine pleura toute la nuit. Mais le lendemain, dès qu’il plut à Dieu que les ténèbres disparussent, elle vint avertir son seigneur que les chevaliers l’attendaient pour entendre la messe. Le roi Arthur essuya ses yeux, afin qu’on ne s’aperçût pas du grand deuil qu’il avait mené, lui aussi, à cause du départ de ses amis ; puis il se rendit à l’église avec ceux de la Table ronde, tout armés, hors la tête et les mains.

La messe chantée, les compagnons de la quête se réunirent dans la salle du palais pour prêter serment. Comme maître et seigneur de la Table ronde, Galaad s’agenouilla le premier devant les reliques et jura de ne jamais revenir avant que de savoir la vérité du Graal, s’il pouvait lui être donné de la connaître en aucune manière. Après lui jurèrent Lancelot, messire Gauvain, messire Yvain le grand, Perceval le Gallois, Lionel, Bohor, Hector des Mares, tous les compagnons, au nombre de cent cinquante, dont pas un n’était couard. Ensuite ils déjeunèrent ; puis ils lacèrent leurs heaumes et ceignirent leurs épées.

Cependant la reine s’était retirée dans sa chambre, où elle se laissa choir sur son lit, pleurant si fort, que le plus dur cœur eût eu pitié d’elle. Lancelot vint la voir, mais quand elle l’aperçut tout armé comme il était et prêt à partir, les larmes coulèrent sur son clair visage.

– Ha, dame, dit-il, donnez-moi votre congé !

– Non, vous ne partirez pas avec mon congé. Mais, puisqu’il le faut, allez en la garde de Celui qui se laissa mettre en croix pour nous ! Qu’Il vous conduise où vous irez !

– Dame, Dieu le veuille en Sa sainte miséricorde !

Là-dessus Lancelot quitta la reine et s’en vint dans la cour, où il trouva ses compagnons dont beaucoup étaient déjà à cheval. Le roi, qui arrivait, s’étonna de voir que Galaad ne portait point d’écu.

– Sire, je ferais mal si j’en prenais un ici.

– Que Dieu vous conseille donc ! dit le roi.

Et il monta lui-même sur un palefroi pour faire compagnie aux chevaliers, qu’il escorta, menant grand deuil, jusqu’au château Vagan. Mais là Galaad, messire Gauvain, Lancelot, tous les compagnons ôtèrent leurs heaumes et ils vinrent, l’un après l’autre, lui donner le baiser d’adieu ; après quoi chacun d’eux partit à son aventure, tandis que le roi, plus dolent qu’on ne saurait dire, regagnait Camaaloth.

V. Quête de Galaad : l’écu de Mordrain.

Galaad chevaucha quatre jours sans rien voir qui mérite d’être narré dans un conte. Le cinquième, à vêpres, il parvint à une blanche abbaye où les moines lui firent bel accueil quand ils surent qu’il était chevalier errant, et, après l’avoir désarmé, ils le conduisirent dans une chambre où deux prud’hommes se trouvaient déjà, dont l’un était blessé et couché dans un lit : c’étaient le roi Ydier et messire Yvain. Il courut à eux les bras tendus et s’informa de ce qui était arrivé au roi Ydier.

– Sire, répondit le blessé, il y a dans cette abbaye un écu dont les moines disent que seul pourra le porter sans être tué, ou navré, ou vaincu, le meilleur chevalier du monde. Quand il sut cela, messire Yvain déclara qu’il ne le prendrait jamais ; mais moi, ce matin, je l’ai pendu à mon cou et je suis sorti avec un écuyer que les rendus m’avaient donné. Je n’avais pas fait deux lieues que je vis un chevalier aux armes couleur de neige qui me courait sus aussi vite que son cheval pouvait aller. Je m’élançai à mon tour, mais ma lance se brisa sur son écu, tandis qu’il m’enfonçait la sienne dans l’épaule et me jetait à bas de mon destrier. “Sire chevalier, me dit-il, vous êtes bien fou de vous être servi de cet écu, tout souillé de péchés comme vous êtes ! Notre Sire m’a envoyé pour tirer vengeance de ce méfait. Retournez à l’abbaye, et quand Galaad, le sergent de Jésus-Christ, y sera venu, dites-lui qu’il prenne hardiment le bouclier et qu’il vienne ici : je lui en dirai la signifiance.”

Le lendemain donc, après la messe, un des moines mena Galaad derrière le maître autel et lui montra un bel écu blanc à croix vermeille, qui fleurait une odeur plus douce que celle des roses. Et Galaad le prit, et quand il fut parvenu au lieu où le roi Ydier avait été blessé la veille, il vit accourir le blanc chevalier, qui lui dit :

– Sache que, trente-deux ans après la Passion de Jésus-Christ, Joseph d’Arimathie, le gentil chevalier qui décloua le Sauveur de la croix, vint à Sarras où il convertit un roi sarrasin et mécréant qu’on appelait Evalac le méconnu et qui reçut à son baptême le nom de Mordrain. En partant pour la Bretagne, il lui laissa un écu blanc sur lequel il avait fait peindre une croix en mémoire de Notre Seigneur. Or, il arriva que Joseph et son fils l’évêque Josephé furent emprisonnés par un roi breton nommé Crudel. Mais Mordrain, à son tour, s’embarqua par le commandement de Dieu et vint dans la Bretagne bleue où, avec l’aide de son beau-frère Nascien, il vainquit Crudel et délivra les prisonniers. Après la bataille, ils virent passer un homme qui avait le poing coupé ; l’évêque Josephé l’appela et lui dit de toucher l’écu du roi Mordrain ; et aussitôt que l’homme eut fait cela, il se trouva guéri ; mais la croix disparut de l’écu et demeura marquée sur son bras.

“Peu après, le roi Mordrain commit une grande faute : une nuit, il souhaita si fort de connaître la vérité du Graal qu’il se rendit dans la chambre où le saint vase était gardé, et il venait de soulever la patène, lorsque Dieu lui envoya un ange qui lui perça les deux cuisses d’un coup de lance : depuis lors, il vit quelque part en ce monde, aveugle et paralytique, et ainsi sera-t-il jusqu’à la venue du chevalier qui le délivrera. Quand Josephé fut au point de trépasser du siècle, Mordrain, le roi méhaigné, le supplia de lui laisser quelque souvenir de lui. Alors l’évêque traça de son propre sang une croix sur l’écu et promit au roi méhaigné qu’elle demeurerait fraîche et vermeille tant que l’écu durerait. “Et il ne disparaîtra point de si tôt, ajouta-t-il, car nul ne le pendra à son cou qui ne s’en repentisse, avant celui à qui Dieu le destine. Faites garder cet écu au lieu même où Nascien, votre beau-frère, mourra : le bon chevalier désiré y viendra cinq jours après avoir reçu l’ordre de chevalerie”.

Ainsi parla celui qui portait des armes blanches comme neige neigée ; puis il s’évanouit. Et Galaad reçut de la sorte son écu.

VI. Quête de Galaad : Le châtel aux pucelles.

Quelques jours plus tard, il parvint au sommet d’un coteau. C’était par un matin d’été, quand l’alouette s’amuse à crier à voix pure. Le temps était beau et clair, le jour resplendissait : le chevalier s’arrêta à écouter le merle et la pie, et, comme il regardait la plaine alentour, il aperçut, au pied de la colline, un fort château entouré d’une rivière grosse et rapide. Il se mit en devoir de s’y rendre ; mais, lorsqu’il en approcha, sept demoiselles très bien voilées vinrent à sa rencontre.

– Sire chevalier, dit l’une d’elles, ignorez-vous que cette rivière est l’Averne et cette forteresse le châtel aux Pucelles ? Sachez que toute pitié en est absente. Vous feriez mieux de retourner sur vos pas, car ici vous ne récolteriez que honte.

À cela Galaad ne répondit mot ; mais il s’assura que rien ne manquait à ses armes, et continua d’avancer à grande allure. Alors sept chevaliers sortirent du château.

– Gardez-vous de nous, lui cria l’un d’eux, car mes frères et moi, nous ne vous assurons que de la mort.

– Comment ? Voulez-vous jouter contre moi tous les sept à la fois ?

Déjà ils s’élançaient, et leurs sept lances heurtèrent ensemble son écu sans l’ébranler sur sa selle, mais si rudement qu’ils arrêtèrent net son cheval. Pour lui, il abattit celui auquel il s’était adressé ; puis il fit briller son épée et courut sus aux autres, frappant de telle force qu’il n’était d’armure qui pût garantir de ses coups. Ainsi dura la mêlée, et tant que les sept frères, qui étaient pourtant d’une grande prouesse, se trouvèrent si las et mal en point qu’ils ne pouvaient presque plus se défendre. Galaad, au contraire, était aussi frais qu’en commençant, car l’histoire du Graal témoigne qu’on ne le vit jamais fatigué pour travail de chevalerie qu’il eût fait. En sorte que les sept chevaliers, voyant qu’ils ne pouvaient plus durer contre lui, s’enfuirent.

Et sachez qu’il ne les poursuivit point.

Quand il fut entré dans le château, il y vit errer des pucelles en si grand nombre qu’il n’aurait su les compter. Et, toutes, elles étaient pareillement vêtues de camelot noir et voilées de lin blanc.

– Sire, disaient-elles, soyez le bienvenu, car nous vous avons longtemps attendu ! Dieu soit béni, qui vous a conduit ici ! On doit comparer votre venue à celle de Jésus-Christ, car les prophètes avaient annoncé celle du Sauveur, mais les moines prédisent la vôtre depuis plus de vingt ans.

Cependant, l’une d’elles lui présentait un cor d’ivoire à bandes d’or richement ouvrées, et le priait d’en sonner. Il dit qu’il ne le ferait point avant que de savoir d’où venait la mauvaise coutume du lieu.

– Il y a sept ans, lui répondit-on, les sept frères que vous avez vaincus vinrent s’héberger dans ce château, en compagnie du duc Linor qui en était seigneur. La nuit, ils voulurent prendre de force la fille de leur hôte et, parce qu’il s’y opposait, ils le tuèrent. Puis ils obligèrent tous ceux du pays à leur rendre hommage. “Seigneurs, leur prédit un jour la fille du duc, vous avez gagné cette forteresse à l’occasion d’une femme, mais vous la perdrez de même. Et vous serez vaincus tous sept par le corps d’un seul chevalier.” Dont ils eurent grand dépit : ils jurèrent qu’il ne passerait point une pucelle qu’ils ne retinssent, et cela jusqu’à ce qu’un chevalier les eût menés tous les sept à merci. C’est depuis ce temps qu’on a nommé cette forteresse le châtel aux Pucelles.

Alors Galaad prit le cor d’ivoire et il en sonna si haut qu’on l’entendit bien à dix lieues à la ronde, en sorte que, peu après, les vassaux du château commencèrent d’arriver. Il leur fit rendre hommage à la fille du duc Linor et jurer sur les reliques qu’ils renonceraient à la mauvaise coutume établie par les sept frères. Après quoi les pucelles prisonnières partirent, chacune pour son pays.

Le lendemain, quand il eut entendu la messe, Galaad s’éloigna à son tour. Et bientôt, dans la forêt, il remarqua un chêne, le plus haut, le plus ancien, le plus feuillu qu’il eût jamais vu : à sa cime, l’arbre portait une croix, et sous ses feuilles des oiseaux chantaient si mélodieusement que c’était merveille, tandis que deux petits enfants tout nus, on ne peut plus beaux, âgés de sept ans ou environ, jouaient et couraient de branche en branche. Galaad les conjura au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, de lui dire s’ils étaient de Dieu.

– Doux ami, répondirent-ils, nous sommes de par Dieu ; nous venons de ce Paradis terrestre d’où Adam fut chassé, afin de t’enseigner la signifiance de ce qui t’est advenu. Sache que par le château des Pucelles tu dois entendre l’enfer. Ces pucelles, ce sont les bonnes âmes qui y étaient enfermées à tort avant la venue du Sauveur, et les sept chevaliers sont les sept péchés capitaux qui, alors, régnaient sans droit sur le monde. Tout de même que le Père des cieux envoya son Fils sur terre pour délivrer les bonnes âmes, ainsi il te manda comme son chevalier et sergent pour mettre en liberté ces pucelles, qui sont pures et nettes autant que fleurs de lys qui n’ont senti la chaleur du jour. Maintenant, prends cette route, à droite, devant toi.

Là-dessus, les enfants disparurent, et avec eux le chêne et la croix. Et Galaad se demandait s’il n’avait pas été trompé par l’Ennemi, lorsqu’une grande ombre passa et repassa devant lui plus de sept fois : il se signa, sentant son cheval trembler de peur sous lui, et tout aussitôt une Voix sortit de l’ombre et lui enjoignit de croire les enfants. Alors il prit la route qui lui était assignée.

Mais le conte laisse pour un moment de parler de lui, voulant dire ce qui advint à Perceval le Gallois, après qu’il se fut séparé de ses compagnons à la Croix Vagan.

VII. Quête de Perceval : le destrier noir.

Un jour, son cheval, qui marchait depuis le matin, mit le pied dans un trou et tomba si malheureusement, tant il était recru, qu’il se rompit le cou. Perceval se releva meurtri, mais sans grand mal, et reprit son chemin à pied. Il alla ainsi jusqu’à la nuit, et comme il se sentait très las, et qu’il ne voyait ni abri ni maison, il s’étendit sous un arbre et s’endormit.

Or, à minuit, il s’éveilla : devant lui se tenait une femme, on ne peut plus belle et avenante, qui lui demanda ce qu’il faisait là.

– Ni bien ni mal, répondit-il, mais, si j’avais un cheval, je m’en irai volontiers.

– Qu’à cela ne tienne ! Je vais t’amener le plus beau destrier qui soit.

Perceval accepta, car il était simple de cœur et ne songeait pas à malice : et la femme rentra dans l’ombre, puis en ressortit presque aussitôt, menant en main un grand cheval, le mieux fait et le plus richement harnaché qu’on ait jamais vu ; sachez en effet que le frein et les étriers en étaient de fin or et les arçons d’ivoire tout gemmé de pierreries et émaillé de fleurettes ; mais l’œil luisait comme un charbon ardent et la robe était si finement noire que c’était merveille de la voir.

D’abord qu’il aperçut ce destrier, Perceval éprouva une sorte d’horreur : mais, preux comme il était, il sauta en selle hardiment, piqua des deux et le cheval partit comme un carreau d’arbalète, de manière qu’en peu de temps il fut bien loin de la forêt. La lune luisait claire et Perceval s’ébahissait à voir passer si vite les bois et les champs ; mais, quand il se trouva à l’entrée d’une obscure vallée au fond de laquelle miroitait un lac noir, et qu’il aperçut que le destrier volait droit vers cette eau sur quoi n’était ni pont ni planche, il eut si grand’peur qu’il leva la main et se signa. Aussitôt l’Ennemi, chargé du poids de la Croix qui était trop lourd pour lui, poussa un hurlement épouvantable et jeta son cavalier à terre, puis il sauta dans le lac qui brasilla et d’où jaillirent flammes et étincelles : tel un bûcher ardent où tombe une pierre. Par quoi Perceval le Gallois comprit que c’était le diable qui l’avait emporté.

Il s’écarta de l’eau le plus qu’il put, afin d’échapper aux assauts des démons, s’agenouilla et, tendant les mains vers le ciel, remercia Dieu de bon cœur. Jusqu’à l’aube, il pria de la sorte ; mais, quand le soleil eut fait son tour au firmament et que le jour clair et beau eut abattu la rosée, il se remit en marche vers l’Orient.

VIII. Quête de Perceval : La recluse.

Il chemina tant qu’à vêpres, il arriva près d’une maison forte où il fut très bien hébergé. Le lendemain, il fut entendre la messe, et comme il sortait de la chapelle, il s’entendit appeler par son nom. Il s’approcha d’une petite fenêtre d’où venait la voix et aperçut une recluse : à peine l’eût-on crue vivante, tant elle était maigre et desséchée.

– Perceval, Perceval, lui dit-elle, je sais bien qui vous êtes ! Ne me reconnaissez-vous pas ?

– Non, dame, par ma foi !

– Sachez que je suis votre tante. Jadis j’étais une des riches dames de ce monde, et pourtant cette richesse ne me plaisait point autant que la pauvreté où vous me voyez à cette heure.

Perceval alors lui demanda des nouvelles de sa mère dont il ignorait si elle était morte ou vive, car il ne l’avait pas vue depuis très longtemps.

– Beau neveu, dit la recluse, jamais plus vous ne la rencontrerez, si ce n’est en songe, car elle mourut de chagrin après votre départ pour la cour du roi Arthur.

– Notre Sire ait pitié de son âme ! répondit Perceval. Certes la perte que j’en ai faite me chagrine cruellement. Mais, puisque Dieu l’a voulu, il me la faut souffrir ; ma mère est à présent où il nous faudra tous venir.

Ce disant, des larmes lui tombaient des yeux, très grosses. Au bout d’un moment il ajouta :

– Dame, je suis en quête du Saint Graal qui est chose si célestielle que je voudrais bien le conseil de Dieu : ne m’en pourriez-vous dire quelque chose ?

– Beau neveu, c’est la plus haute quête qui ait jamais été entreprise, et il y aura tant d’honneur pour celui qui la mènera à bonne fin que nul cœur d’homme ne le saurait concevoir. Sachez qu’il y a eu en ce monde trois tables principales. La première fut celle où le Sauveur fit la sainte Cène avec les apôtres, celle qui porta la nourriture du ciel, propre aux âmes comme aux corps, et qui fut établie par l’Agneau sans tache, sacrifié pour notre rédemption.