Le professeur de snobisme - Jacques Boulenger - E-Book

Le professeur de snobisme E-Book

Jacques Boulenger

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Beschreibung

Le professeur de snobisme est une oeuvre écrite par Jacques Boulenger, parue originalement en 1912 Un snob, c'est-à-dire une personne qui fait preuve de snobisme, cherche à se distinguer du commun des mortels. Désireux d'appartenir à une élite, le snob tend à reproduire le comportement d'une classe sociale ou intellectuelle qu'il estime supérieure. Souvent, il imite les signes distinctifs de cette classe, qu'il s'agisse du langage, des goûts, des modes ou des habitudes de vie. Il traite avec mépris ceux qu'il considère comme ses inférieurs. Extrait : Peu avant la guerre, sir Richard Hawcett buvait presque tous les soirs, à partir de minuit, dans un bar que chacun reconnaîtra sans doute quand j'aurai dit qu'il ressemblait au salon de M. Choufleury en raison de ses pendules et de ses candélabres...

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Table des matières

AVANT-PROPOS

DU SNOBISME

DES VISITES

DE LA VRAIE SUPÉRIORITÉ DES ANGLOSAXONS

DU DUEL

DU DINER

DU COSTUME

DU SPORT

DES BÊTES

AVANT-PROPOS

Peu avant la guerre, sir Richard Hawcett buvait presque tous les soirs, à partir de minuit, dans un bar que chacun reconnaîtra sans doute quand j’aurai dit qu’il ressemblait au salon de M. Choufleury en raison de ses pendules et de ses candélabres, qui étaient, pour ainsi parler, sous-préfecture à un point extravagant. Juché sur quelque tabouret et maniant avec grâce un verre brillant que le barman savait emplir aux moments opportuns de quelque luisant liquide, mon noble ami parlait...

Non, ce n’est pas d’un cœur léger que j’entrepris, en 1911, de rapporter les propos de sir Richard! Ce gentleman ne regardait pas les «publicistes» d’un œil favorable, et certes je ne me fusse pas exposé à perdre la confiance qu’il me dispensait, mais qu’il ne me prodiguait point, si ma conscience ne m’eût alors commandé de la façon la plus impérieuse de faire connaître au monde son exemple et ses enseignements: c’est pour-quoi je les publiai en deux brochures qui furent tirées, je pense, à une cinquantaine d’exemplaires pour le moins. Hélas! je vois bien que la guerre a rendu caducs quelques-uns des préjugés auxquels sir Richard était le plus tendrement attaché et qu’il cultivait avec le plus de soin, et l’on m’assure qu’à cette heure, non seulement les nouveaux riches, mais la plus grande partie de nos hardis jeunes gens considèrent comme de pures niaiseries mille nuances de forme, dans tous les ordres d’idées et de sentiments, que nous prenions pour des raffinements. Pourtant, à se trouver justement si démodés, les préjugés de sir Richard auront peut-être gagné une certaine couleur historique et un aspect d’«avant-guerre» qui les auront rendus propres à toucher les curieux. C’est ce que je me suis dit au moment de les confier à M. Henri Martineau. Ai-je bien fait? Saint George Brummell qui de là-haut me regarde, saint Brummell appréciera.

I DU SNOBISME

Un soir que l’entretien languissait un peu, l’un de nous prononça tout à coup ces mots saugrenus:

–Mais pensez-vous donc que l’élégance des habits, chez un homme, ait beaucoup d’importance, mon cher?

Hélas! que sir Richard Hawcett parut souffrir à cette question étourdie!

–Vous ne sauriez croire, répondit-il tristement, à quel point les lieux communs me fatiguent. J’ai jadis songé à faire écrire par mon secrétaire une sorte de recueil des «clichés» les plus répandus dans la conversation. Je n’aurais pas manqué d’y placer, notamment, cette sentence-ci, qu’il se trouvera toujours quelqu’un pour prononcer avec gravité sur mes compatriotes: «Les Anglaises sont généralement laides, mais quand elles se mettent à être jolies... Ah!...»–Ah! ce «Ah!», monsieur...–Et j’aurais également fait inscrire dans mon recueil cette autre sottise dont on nous a si souvent rebattu les oreilles: «Le physique d’un homme n’a aucune importance»...

Heureusement, le barman s’était empressé de verser à sir Richard un grog half and half. Lorsqu’il en eut bu une gorgée, notre ami, un peu remis en apparence, reprit:

–Pas d’importance!... Quelle niaiserie! Comme si l’on ne jugeait pas toujours les gens sur la mine!... Et sur quoi les jugerait-on, je vous prie? Sur ce qu’ils font? Mais il faudrait s’en informer, et ce serait bien long; d’ailleurs, par quel moyen?... Sur ce qu’ils disent? J’avoue qu ’on juge souvent les gens sur leur conversation. Rien de plus injuste. C’est un métier, que de faire la conversation, comme de faire un livre: un sport, si vous voulez, où un esprit peu «entraîné» n’est pas bon; on peut bien être un homme éminent et le plus fade des causeurs. D’ailleurs, il y faut encore des qualités corporelles: combien passent pour gens d’esprit, qui n'ont au juste qu’un sourire fin!... Non, monsieur, on ne dira jamais assez quels avantages procure un physique heureux: une bonne réputation d’abord, sans compter plusieurs autres agréments...

Et c’est pourquoi les hommes attachent à leur propre aspect une importance si grande qu’ils se groupent selon leurs caractères extérieurs et non selon leurs caractères intellectuels. Chacun de nous appartient plus au monde dont il a les façons et le costume qu’à celui dont il a les opinions, et il est plus rare encore de rencontrer une amitié entre un très élégant et un très mal vêtu qu’entre un intellectuel et un boursier, par exemple. Joignez que ceux qui s’habillent sans recherche ne sont pas moins fiers de n'accorder point d’attention à leur mise que les snobs le sont du raffinement de la leur: même, il est difficile de savoir si les seconds méprisent davantage les premiers que les premiers les seconds... Enfin, les hommes se préoccupent prodigieusement de leur figure. Je sais: ils ne l’avouent pas. Quand vous demandez à un barbu pourquoi il porte du poil au menton: «Parce que c’est plus commode!», vous répond-il invariablement. Quelle blague! Il se raserait deux fois par jour s’il estimait que la barbe lui sied mal. Et il en est ainsi à tous les degrés de la société. Le plus négligé des charbonniers sacrifierait sa vie plutôt que sa moustache. C’est qu’il ne veut pas se déclasser, il veut être à la mode des gens de son monde; bref, il est snob. Le snobisme est universel. Et sans lui, que deviendrions-nous, je vous le demande!»

Les questions de sir Richard Hawcett sont ordinairement de fausses questions; j’entends des questions auxquelles il préfère de répondre lui-même. Aussi faut-il se garder de répliquer, et c’est d’ailleurs ce que nous faisons volontiers. Notre ami continua en ces termes:

–On méprise le snobisme. On le méprise parce qu’on suppose que, s’ils n’étaient point snobs, les hommes et les femmes auraient des opinions personnelles et des sentiments sincères... Quelle erreur! Il faut une certaine qualité d’esprit pour éprouver, je ne dis point même des passions, mais seulement des goûts; la plupart des hommes et des femmes n’aiment ni ne détestent réellement rien. Sans le snobisme, comment sauraient-ils ce qu’il convient de sentir, penser et dire? C’est grâce à lui seulement qu’ils font les gestes de ceux qui vivent et qu’on peut les regarder comme des êtres humains.

Ainsi le snobisme est utile. Ajoutons, si vous voulez, qu’il est indispensable: si chacun prétendait à se faire des opinions particulières, où irions-nous, mon Dieu! Il est bon que le vulgaire s’en remette à quelques-uns du soin de déterminer ce qu’il faut qu’il aime ou qu’il haïsse. A vrai dire, ces «quelques-uns», on ne les connaît pas et eux-mêmes ne se rendent pas bien compte de leur influence: en sorte que le catéchisme des snobs, la mode, qui naît de leur collaboration inconsciente, est ordinairement absurde; mais il suffit qu’il produise parfois de bons effets. Il est ridicule, direz-vous, que tous les ans, à 1’ époque du Salon d’automne, les Parisiens se découvrent soudain des âmes délicieusement artistes: snobisme que cet amour soudain de la peinture! Mais c’est lui qui fait vivre les peintres et les expositions. Et nos charmants snobs rendent mille services de ce genre: naguère, au temps des conférences de Jules Lemaître, ceux de la littérature aidaient au triomphe de Racine, comme, lors des premiers succès de Carpentier, ceux du sport favorisaient celui de la boxe; enfin, sans les snobinettes littéraires, où donc dîneraient les gens de lettres, je vous prie?

Notez, au reste, qu’il y a dans l’exercice du snobisme une certaine difficulté, propre à occuper très congrûment une intelligence moyenne. Les fausses modes, si l’on peut dire, sont en nombre incalculable, et il faut beaucoup d’application et même quelque finesse pour discerner parmi elles la Mode, celle qui est à l’usage des gens du meilleur ton; aussi n’est-ce pas du premier coup qu’on devient vraiment un snob d’élite.