L'Affaire Shakespeare - Jacques Boulenger - E-Book

L'Affaire Shakespeare E-Book

Jacques Boulenger

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Beschreibung

L'Affaire Shakespeare écrite par Jacques Boulenger est publié en 1919. William Shakespeare est un dramaturge, poète et acteur anglais. Il est considéré comme le plus grand écrivain de la culture anglo-saxonne. Il est réputé pour sa maîtrise des formes poétiques et littéraires ; sa capacité à représenter les aspects de la nature humaine est souvent mise en avant par ses admirateurs. Il y a une « affaire Shakespeare ». Depuis soixante-dix ans que le consul britannique Jo. C. Hart l'a ouverte, elle a suscité assez de volumes, d'études, d'articles pour emplir une bibliothèque publique. Ce n'est pas une querelle philosophique sur le sens, la valeur, la portée de l'oeuvre ; c'est plutôt un problème à la façon d'Edgar Poë : il s'agit de savoir si Shakespeare est ou non l'auteur des ouvrages de Shakespeare. Sherlock Holmes, à défaut de M. Dupin, serait bien utile pour résoudre cette question difficile.

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Sommaire

EXPOSÉ.

RÉPONSE À DES OBJECTIONS.

I.

EXPOSÉ.

Il y a une « affaire Shakespeare ». Depuis soixante-dix ans que le consul britannique Jo. C. Hart l’a ouverte, elle a suscité assez de volumes, d’études, d’articles pour emplir une bibliothèque publique. Ce n’est pas une querelle philosophique sur le sens, la valeur, la portée de l’œuvre ; c’est plutôt un problème à la façon d’Edgar Poë : il s’agit de savoir si Shakespeare est ou non l’auteur des ouvrages de Shakespeare. Sherlock Holmes, à défaut de M. Dupin, serait bien utile pour résoudre cette question difficile.

« Comme un fanal, dans la nuit, brille au milieu des airs sans laisser apercevoir ce qui le soutient, a écrit M. Guizot un jour qu’il se trouvait en humeur de poésie, de même l’esprit de Shakespeare nous apparaît dans ses œuvres isolé, pour ainsi dire, de sa personne. » Comprenez que tout ce que nous pouvons imaginer du poète d’après son œuvre, non seulement ne concorde pas avec ce que nous savons de l’homme qu’il fut, mais s’y oppose parfaitement. « La chronique, constate Emerson, nous apprend quels furent sa parenté, sa naissance, son lieu de naissance, son éducation, ses camarades, l’argent qu’il a gagné, son mariage, la publication de ses livres, sa célébrité, sa mort, et quand nous sommes au bout de ce commérage, aucun rapport n’apparaît entre tout cela et ce fils de la déesse : si nous avions plongé dans le Plu tarque moderne et si nous avions lu n’importe quelle autre vie, il semble qu’elle se rapporterait aussi bien aux poèmes. »

Bref, la contrariété de cette vie et de l’œuvre est telle qu’il paraît, au premier abord, aussi impossible d’admettre que ce plat Shakespeare soit l’auteur du théâtre que de supposer, en dépit de la tradition, qu’il ne l’est pas. Je m’efforcerai de l’exposer en termes modérés parce que l’on éprouve fortement, quand on vient de lire certains ouvrages « baconiens » ou « rutlandiens », que l’antithèse est une forme de rhétorique que peu de personnes ont su manier avec agrément en dehors de Victor Hugo.

Pour connaître la vie de William Shakespeare, il ne suffit pas de lire d’un œil distrait ses biographies, il faut les étudier de près. Quand on achève l’ouvrage classique de M. Sidney Lee, par exemple — qui est le principal champion de l’opinion traditionnelle et, si l’on peut dire, le pape des « stratfordiens » — on en garde l’impression que cet écrivain dont il parle est en somme assez connu, et l’on craint, malgré qu’on en ait, d’être bien audacieux en osant douter de l’identité de l’acteur Shakespeare et de l’auteur du théâtre shakespearien. Pourtant, à y regarder de près, il y a bien les deux tiers des phrases, dans l’ouvrage de M. Lee, qui contiennent un il me semble possible que, ou un sans doute, ou un il est permis de supposer que, ou un probablement, ou quelque formule analogue. C’est que M. Lee est un historien plein de probité et qu’il est incapable de dissimuler que ce qu’il nous dit de son héros est fort loin d’être certain. Nous savons où et quand Shakespeare est né, à qui il s’est marié, à quelle date il est mort, et nous connaissons un certain nombre de ses achats de terre et de ses placements d’argent, bref ce que peuvent apprendre sur la vie d’un homme des pièces d’archives. Nous voyons d’autre part qu’il a paru des pièces et des poèmes sous son nom, qui ont été goûtés et dont l’auteur a été loué. Mais de son caractère, de ses opinions intimes, de sa conversation, de son tempérament, de ses habitudes, de sa figure et de son aspect physique, nous ignorons tout pour cette raison qu’aucun de ses contemporains n’a pris la peine d’en souffler un mot. C’est ainsi. Et il faut avouer que c’est surprenant.

Car un homme qui, en moins de vingt ans, a donné trente-sept pièces incomparables (Racine en toute sa vie n’en a fait que douze), plus trois vo- lûmes de poèmes ; qui, tout en produisant cette œuvre immense par la qualité, mais aussi par la quantité, n’a pourtant pas cessé de jouer à Londres ou de voyager en compagnie de sa troupe, ni même de s’occuper de ses affaires personnelles avec une assiduité et une habileté extrêmes ; l’homme qui, outre cette merveilleuse fécondité, cette activité et ce « sens pratique », a eu cette grande intelligence, cette culture livresque, cette expérience du monde, cet esprit et cette imagination, ne croyez-vous pas que ce devait être un causeur merveilleux, une nature attachante ou repoussante, mais non pas indifférente, et qui ne pouvait sembler sans intérêt à ceux qui l’approchaient ? Eh bien, il nous est resté quelques brèves appréciations contemporaines de ses œuvres (fort peu), mais aucun d’eux n’a pris la peine de dire un mot de sa personne. Ah ! pourtant un certain Greene parle de son « cœur de tigre », Manningham note en six lignes de son journal comment il aurait joué un bon tour à l’acteur Burbage en le devançant auprès d’une maîtresse (anecdote toute conventionnelle, historiette de fabliau) ; enfin Ben Jonson nous assure (dans un ouvrage publié en 1641, dix-huit ans après la mort de Shakespeare) que celui-ci, dont il avait assez déprécié l’œuvre durant sa vie, était « honnête et d’une nature ouverte et franche », et c’est absolument tout ce que les contemporains nous apprennent sur l’homme du vivant de celui-ci. Henslowe et Richard Allen font sur lui un silence inexplicable. « Dans les innombrables pièces liminaires que les poètes demandaient à leurs amis lorsqu’ils risquaient l’impression d’un livre, son nom ne se rencontre pas une seule fois. Réciproquement (constate M. Jusserand qui est « stratfordien » convaincu), il ne demanda rien quand il publia ses deux poèmes. Lorsqu’Élisabeth mourut, le chœur des écrivains d’une voix unanime pleura sa mort. Il fit encore bande à part et ne dit rien. » Enfin, quand il trépassa à son tour, cet auteur célèbre, pas une seule voix ne déplora sa perte, contrairement aux usages du temps, alors que la mort de Jonson, par exemple, suscita trente-trois éloges funèbres des poètes contemporains. Et tout cela n’est pas aussi naturel que M. Sidney Lee le veut dire.

Les historiens sont ingénieux, les historiens ont mille moyens de suppléer à ce qu’ils ne savent pas. Ils ont d’abord l’analogie : c’est ainsi qu’ils ont pu composer des volumes sur l’éducation que reçut le jeune Shakespeare à l’école de Stratford, bien qu’ils en ignorent tout ; mais ils ont relevé ce qu’on étudiait dans les écoles voisines. Ils ont encore l’induction (Shakespeare a dû aller dans tel pays, il faut bien qu’il ait connu telle chose, puisque dans une de ses pièces il dit ceci ou cela), mais, de notre point de vue, ce sont là autant de pétitions de principe. Ils ont les suppositions, et ils ont surtout les « traditions ». Quel rôle elles jouent dans la biographie de Shakespeare, les « traditions » ! Pourtant, aux très rares occasions qui se sont présentées d’en vérifier quelque partie, celle-ci s’est trouvée fausse. « C’est un procédé dangereux, qui n’a presque jamais donné de bons résultats, que celui qui consiste à conserver d’un récit, dont rien d’ailleurs n’atteste l’authenticité et où il y a des erreurs manifestes, ce qui n’est pas absolument démontré faux », disait Gaston Paris. En bonne critique historique, il n’y a qu’à écarter purement et simplement les traditions. Ceux qui ont étudié chez nous la vie de Rabelais, par exemple, savent qu’il ne nous est pas resté de lui une tradition, pas une seule, qui ne soit le contraire de la vérité.

Si l’on voulait se faire une idée de Shakespeare d’après les seuls documents certains, voici en résumé ce qu’on en pourrait penser.

Il naît en 1564 à Stratford, de John Shakespeare, qui exerçait plusieurs petits métiers dans son village, et de Mary Arden, fille d’un fermier. Il épouse, en novembre 1582, une paysanne qu’il avait séduite, nommée Anne Hathaway. Son premier enfant, Suzanne, naît six mois plus tard et deux jumeaux, Hamnet et Judith, en 1585. Un acte le mentionne encore à Stratford en avril 1587, puis il quitte le pays, délaissant sa femme et ses trois enfants, et l’on ne sait plus du tout ce qu’il devient jusqu’en 1591 ou 1592, que Greene le cite comme « factotum » et versificateur. À la Noël de 1594, il joue devant la reine au palais de Greenwich, en 1598 il tient un rôle dans Every man in his humour de Jonson, puis en 1605 dans Sejan. Cependant se déroule la longue et exquise théorie de ses pièces ; on les joue ; on en publie un bon nombre, anonymement d’abord, sous son nom ensuite, sans son consentement probablement, dans des éditions presque toujours grossièrement fautives, où elles sont plus ou moins massacrées, et cela lui est complètement égal. C’est qu’il s’occupe de choses infiniment plus intéressantes pour lui que ces futilités d’art et de littérature : il économise, il place son argent, il surveille ses rentrées, il fait fortune en homme d’affaires de première force, en paysan avisé, madré, impitoyable, et il s’en va de temps en temps jouir de sa nouvelle importance dans sa bourgade natale où il a maintenant de bonnes terres et pignon sur rue, ce qui ne l’empêche pas de cingler et de railler cruellement dans Hamlet ces avares acheteurs de terres. D’ailleurs il ne fait pas bon devoir de l’argent à cet autre Shylock : il poursuit sans pitié un de ses amis d’enfance qui s’était porté caution d’un de ses débiteurs en fuite ; et tout cela se passe entre 1597 et 1610, dans le moment qu’il écrit Hamlet, Troïlus et Cressida, Othello, Macbeth, la Tempête, etc. En 1611, enfin, à quarante-sept ans, il « juge le moment venu de réaliser le rêve de toute sa vie », comme dit M. Jusserand : il quitte son métier de poète et se retire dans sa bourgade, où il vit en campagnard propriétaire cossu, arrondit ses biens, fait rentrer ses créances, fréquente son ami intime l’usurier Combe, surnommé Dix-pour-cent, et meurt en 1616, laissant deux filles, dont ni l’une ni l’autre ne sait écrire. Son testament ne contient pas la plus petite clause concernant son œuvre et montre qu’il n’avait pas un soupçon de bibliothèque, pas un seul livre dans sa maison.

Est-ce là l’homme dont Emerson écrit dans son Journal intime : « Rêvé longtemps à la grande âme dont les signes authentiques éclataient à ma vue dans la lumière large et continue de ses poèmes... Quelle vraie hauteur ! Un gentleman dans l’âme ; par-dessus tout une intelligence en exaltation ? » Estce là ce profond penseur, cette intelligence si vaste et si cultivée, cette imagination ailée, ce poète non pareil ? Voilà la grande question à laquelle tous les hérétiques de la foi « stratfordienne » se répondent intérieurement : non. Combien miraculeux, pensent-ils, serait un tel cas, combien unique dans l’histoire de toutes les littératures !... Je ne développerai pas ce thème car il n’est nouveau que pour ceux qui connaissent mal Shakespeare (ils sont légion en France), et qui n’avaient jamais imaginé l’homme qui écrivait Comme il vous plaira ayant l’âme d’un paysan usurier et posant sa plume pour aller poursuivre un débiteur. Jamais certains esprits n’admettront que le manager Shakespeare de Stratford soit l’auteur de Hamlet, du Songe d’une nuit d’été et du Juif de Venise. Ceux-là doutent d’abord. — Mais leurs adversaires répondent que tout est possible, et réclament d’autres arguments.