La Légende du roi Arthur - Jacques Boulenger - E-Book

La Légende du roi Arthur E-Book

Jacques Boulenger

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La Légende du roi Arthur: Tome III - Le chevalier à la charrette - Le château aventureux Si la culture grecque a engendré L'Iliade et L'Odyssée, celle des Francs, La Chanson de Roland, le monde celtique est à l'origine d'une des plus grandes fresques de la littérature d'Occident, La Légende du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Redécouvrez dans cette édition intégrale les quatre Tomes de la fabuleuse histoire du Roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde en quête du Saint Graal. Le lecteur y retrouvera également avec grand plaisir, au coeur de la forêt de Brocéliande, des figures emblématiques telles que Merlin l'enchanteur ou Karadoc, dans une aventure magnifiquement contée par Jacques Boulenger, grand spécialiste de civilisation et de littérature médiévales. La légende arthurienne a traversé les siècles et ses accents mythologiques ont profondément marqué notre inconscient collectif. Une oeuvre majeure de la civilisation occidentale.

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Table des matières

LE CHEVALIER À LA CHARRETTE

I Défi de Méléagant

II La reine ravie

III Le nain charretier

IV Le chevalier à la charrette

V Guérison de Lancelot

VI Les deux ponts

VII Le lit périlleux

VIII Le peigne aux cheveux d’or

IX La tombe de Galaad le Fort et la tombe de Siméon

X Le pont de l’Épée

XI Le bon roi Baudemagu

XII Premier combat pour la reine

XIII « Tels sont les guerredons de femme !»

XIV Le rendez-vous d’amour

XV Le lit taché de sang. Le second combat de Lancelot et Méléagant

XVI Les fausses lettres

XVII Le chevalier charretté. Bohor l’exilé

XVIII Lancelot délivré par amour

XIX Le tournoi de Pomeglay

XX Lancelot dans la tour

XXI Mort de Méléagant

LE CHÂTEAU AVENTUREUX

I La vieille pucelle au cercler d’or

II La tombe de Galehaut

III Bohor au vigoureux cœur

IV Le Beau mauvais et la fille du roi Brangore

V Les vœux présomptueux

VI Le péché de Bohor

VII Dans la forêt Lancelot emmené par la vieille

VIII La Croix Noire

IX L’épée brisée

X La dame païenne : Paillardise de Gauvain

XI Gauvain au Château aventureux

XII Les frères de Gauvain

XIII Les dames à la fontaine

XIV La demoiselle requise d’amour

XV Le sire bourru

XVI Les armes volées

XVII La fontaine envenimée

XVIII La demoiselle vierge par amour

XIX Lancelot au Château aventureux : Le riche roi Pêcheur

XX Galaad Lancelot au Château aventureux : Conception de

XXI Lancelot au Château aventureux : La fille du roi Pellès pardonnée

XXII La mère d’Hector des Mares

XXIII Les trois dames refusées par Lancelot

XXIV Les images imprudentes

XXV La rose

XXVI Les enchantements de Guinebaut

XXVII Mauduit le géant

XXVIII Hector troussé

XXIX Deuil de la reine. La messagère

XXX Le roi Claudas et la messagère

XXXI La reine outragée

XXXII Mort de Mauduit. Les deux frères

XXXIII Le roi Lancelot

XXXIV Le cerf blanc et les quatre lions

XXXV Jalousie des compagnons de la Table ronde

XXXVI L’amoureuse vierge

XXXVII Défaite des compagnons de la Table ronde

XXXVIII Lancelot et son péché

XXXIX La guerre de Gaule : Mort du comte d’Allemagne

XL La guerre de Gaule : Surprise de Pinegon

XLI La guerre de Gaule : Bataille du cor

XLII La guerre de Gaule : Bataille de Gannes ; fuite de Claudas

XLIII Enfances de Perceval le Gallois : la forêt Gâtée

XLIV Enfances de Perceval le Gallois : Les chevaliers diables

XLV Enfances de Perceval le Gallois : Départ

XLVI Enfances de Perceval le Gallois : le baiser et l’anneau

XLVII Enfances de Perceval le Gallois : l’Orgueilleux de la Lande

XLVIII L’infidélité involontaire. Lancelot chassé

XLIX Quête de Lancelot

L Enfances de Perceval le Gallois : La demoiselle en guenilles

LI Enfances de Perceval le Gallois : Les armes et la peau

LII Enfances de Perceval le Gallois : l’éducation

LUI L’adoubement de Perceval. La demoiselle qui jamais ne mentit

LIV Le chevalier enchaîné

LV Frénésie de Lancelot

LVI Le fou du Château aventureux. Guérison

LVII Lancelot et Perceval. Retour à la cour

LVIII Adoubement de Galaad

LE CHEVALIER À LA CHARRETTE

I

Défi de Méléagant

Comme de coutume, le jour de Beltane, le roi Alius tint sa cour à Camaaloth, la plus aventureuse de ses villes et l’une des plus agréables ; mais ce fut une cour triste et non pas merveilleuse comme celles de naguère. Certes, le temps était beau et partout verdoyaient les prés et les bois ; les oisillons menaient leur joie sous la ramée ; mais nulle pucelle ne songeait à cueillir les roses : Galehaut était mort, Lancelot parti depuis un an... Ah ! maintes larmes furent pleurées devant que cette cour se séparât.

Comme le roi sortait, Lionel au cœur sans frein arriva. Vainement, durant un an et un jour, il avait parcouru tous les pays en quête de Lancelot : il n’en avait appris aucune nouvelle ; et la reine eut si grand deuil, en l’entendant, qu’elle put à peine le cacher.

Ce même jour, on apprit encore que la dame de Malehaut était morte d’amour pour Galehaut, sire des Iles lointaines. Et le roi dit que Lancelot devait être mort de deuil comme elle à cause de la perte qu’il avait faite de son ami.

– Certes, fit messire Gauvain, il eut raison, car avec Galehaut toute prud’homie et vaillance ont disparu du monde !

De ce mot, la reine fut très courroucée, car elle ne croyait pas que Lancelot fut mort : elle pensait qu’il était malade ou prisonnier ; son cœur le lui disait bien.

– Comment, Gauvain, dit-elle, il ne reste sur terre nul homme qui vaille ? Il y a au moins le roi votre oncle !

Tout le monde se tut et le roi se mit à songer tristement. Comme il rêvait ainsi, entra un chevalier tout armé et ceint de son épée, mais sans heaume, grand et fort de ses membres, les jambes longues et droites, bien fourni des reins, les flancs étroits, la poitrine épaisse et haute, les bras gros et longs, les os durs, les poings carrés, les épaules larges, la tête grosse et le visage semé de taches de son. Il traversa la salle à grands pas, tenant par contenance un bâton à la main, et, arrivé devant le roi, il dit fièrement et si haut qu’il fut entendu de tous :

– Roi Artus, je te fais savoir, à toi et à tous ceux qui sont ici, que je suis Méléagant, fils du roi Baudemagu de Gorre. Et je viens me défendre contre Lancelot du Lac, car j’ai ouï dire qu’il se plaint que ce soit par trahison que je l’ai jadis blessé. Et s’il le prétend, qu’il s’avance, car je suis prêt à soutenir que je l’ai navré en droite joute et comme bon chevalier.

– Sire, fit le roi, vous êtes le fils de l’un des plus prud’hommes du monde, et l’on doit vous pardonner votre méprise pour l’amour de lui. Ignorez-vous que Lancelot n’est pas céans, et n’y est plus depuis longtemps ? S’il s’y trouvait, il saurait bien vous répondre !

Lionel, le cousin germain de Lancelot, se leva : il allait prier le roi de prendre son gage et relever le défi de Méléagant, lorsque la reine le tira vivement en arrière :

– Soyez sûr, lui dit-elle, que, quand Dieu aura ramené votre cousin, il ne se tiendra pour vengé que s’il ne l’est par lui-même.

Voyant Lionel se rasseoir, Méléagant sourit insolemment et, après avoir attendu un moment, il dit encore :

– Sire, j’étais venu chercher chevalerie en votre cour, mais je n’en trouve point. Toutefois, je ferai tant que j’aurai bataille, s’il est ici autant de preux qu’on dit. Il y a au royaume de mon père beaucoup de captifs de ce pays de Logres, que jamais vous n’avez pu délivrer. Si vous osez confier la reine à l’un de vos chevaliers qui la mène dans la forêt, je le combattrai. Et s’il défend la reine contre moi, les Bretons seront quittes et libres ; mais si je la conquiers, je l’emmènerai comme chose qui m’appartienne.

– Bel ami, fit le roi, que vous les ayez en prison, cela me chagrine : mais ils ne seront jamais délivrés par la reine, que je sache !

Alors Méléagant sortit de la salle et, remonté à cheval, il s’en fut vers la forêt, au petit pas et en regardant souvent en arrière pour voir si nul ne le suivait. Mais il n’y avait personne qui ne jugeât grande folie d’exposer la reine comme il l’avait proposé.

Toutefois Keu le sénéchal était allé s’armer dans sa maison ; il revint devant le roi, le heaume en tête et l’écu au col.

– Sire, dit-il, je vous ai servi de bon cœur, et plus par amour de vous que pour terres et trésors, mais je vois bien que vous ne m’aimez plus : aussi je quitte votre compagnie et votre maison.

Le roi aimait le sénéchal de grand cœur.

– À quoi, fit-il, vous êtes-vous aperçu que je vous aime moins ? Si l’on vous a fait aucune injure, dites-le-moi et je la réparerai si hautement que vous en tirerez honneur.

– Sénéchal, dit la reine à son tour, je vous prie de demeurer pour l’amour de moi ; et s’il est chose que vous désiriez, je vous la ferai avoir, quelle qu’elle soit. Messire le roi sera garant de ma promesse.

À quoi le roi s’engagea.

– Sire, reprit le sénéchal, je vous dirai donc quel est le don que vous venez de me faire : c’est que je conduirai madame la reine au chevalier qui sort d’ici pour le combattre et délivrer nos gens, car nous serions tous honnis, s’il partait de votre hôtel sans bataille.

À ces mots, le roi fut si irrité et chagrin qu’il parut au point d’en perdre le sens. Mais la reine fut plus dolente encore. Son cœur lui disait que Lancelot n’était pas mort, et, songeant que ce n’était pas lui qui allait la défendre, mais Keu, et qu’elle était en grand péril, il s’en fallût de peu qu’elle ne s’occît. Pourtant, quand son palefroi fut prêt, le roi l’envoya chercher dans sa chambre où elle pleurait de tout son cœur. En passant, elle regarda monseigneur Gauvain :

– Beau neveu, dit-elle, vous aviez raison : depuis la mort de Galehaut, toute prouesse a disparu.

– Montez, dame, et n’ayez crainte, fit Keu ; je vous ramènerai sauve.

Or, tandis que tous deux s’éloignaient, messire Gauvain disait au roi :

– Comment, sire, vous souffrez que madame la reine soit conduite dans la forêt par Keu le sénéchal, à qui sans doute elle sera ravie ! Et donc ce chevalier l’emmènera paisiblement !

– Oui, dit le roi, car je serais honni si aucun homme de ma maison intervenait. Certes, un roi ne doit se dédire de sa parole.

– Sire, reprit messire Gauvain, vous avez fait une grande enfance.

Et il résolut qu’il irait reconquérir la reine et défier Méléagant jusque dans le royaume de Gorre. Il se fit armer et partit sur-lechamp, suivi de deux écuyers qui menaient en main deux beaux destriers.

II

La reine ravie

Dans la forêt, Méléagant attendait avec plus de cent chevaliers. En voyant arriver Keu, il les fit cacher et vint au-devant du sénéchal :

– Chevalier, dit-il, qui êtes-vous, et cette dame, qui est-elle ?

– C’est la reine.

– Dame, dévoilez-vous afin que je vous voie.

La reine leva son voile et il connut bien que c’était elle. Alors il proposa à Keu d’aller dans une lande voisine, la plus belle du monde pour jouter, car la forêt était trop épaisse pour que deux chevaliers y pussent combattre loyalement. Et là, il saisit le palefroi de la reine par le frein.

– Dame, vous êtes prise !

– Vous ne l’aurez pas si aisément ! répliqua Keu.

Et tous deux, ayant pris du champ, fondirent, l’un sur l’autre, la lance sous l’aisselle, à telle allure qu’ils bruyaient comme alérions. Or Keu avait fait folie, car il n’avait pas vérifié ses sangles, qui étaient usées auprès des boucles : elles rompirent au premier choc, et de même le poitrinal du cheval, de manière qu’il vola à terre, la selle entre les cuisses, et se meurtrit fort en tombant. Alors Méléagant le foula aux pieds de son destrier. Ainsi conquit-il la reine Guenièvre, ce glorieux, cet abat-quatre ! Et il l’emmena, en même temps que le sénéchal, tout pâmé, que deux sergents avaient couché dans une litière.

Mais le conte laisse à présent de parler de lui et revient à monseigneur Gauvain.

III

Le nain charretier

Comme il approchait de la forêt, il en vit sortir le cheval de Keu, galopant au hasard, rênes rompues, sangles brisées. Et, peu après, il aperçut un chevalier, le heaume en tête, qui poussait son destrier fourbu et qui, l’ayant salué, lui cria du plus loin qu’il put :

– Sire, baillez-moi à prêt ou à don l’un de ces chevaux que mènent vos écuyers ! Je vous promets en échange tel service que vous voudrez.

– Beau sire, choisissez celui qui vous plaira.

Sans répondre, le chevalier sauta sur le destrier le plus proche, piqua des deux et disparut dans la forêt.

À l’allure dont il allait, il ne tarda guère à joindre Méléagant et ses gens. Et sachez que ceux-ci étaient plus de cent. Sans hésiter, le chevalier broche des éperons et fond sur eux comme un émerillon. Méléagant s’adresse à sa rencontre, et tous deux s’entre-choquent si rudement que leurs yeux étincellent ; du coup Méléagant est si ébranlé qu’il lui faut embrasser le cou de son destrier pour ne pas choir. Ce que voyant, ses chevaliers se jettent sur l’étranger ; mais celui-ci commence de frapper à dextre et à senestre, si durement que tous ceux qu’il atteint, le menton leur heurte la poitrine, et si vivement que huit hommes n’auraient pu faire plus, tranchant écus et heaumes et hauberts. Alors Méléagant lui court sus en criant : « Vous êtes mort ! » Pourtant il se contente de frapper déloyalement le cheval de l’étranger, qui s’affaisse ; puis il s’éloigne avec sa troupe, comme gens qui n’ont pas de temps à perdre, emmenant la reine et Keu le sénéchal.

L’étranger les poursuivit en courant tant qu’il put et jusqu’à ce qu’enfin il se trouvât si las qu’il lui fallut prendre le pas. Après avoir longtemps marché, il aperçut une charrette qui cheminait devant lui. Il la joignit en toute hâte et vit qu’elle était conduite par un nain court, gros et renfrogné, assis sur le limon et qui tenait, comme font les charretiers, une longue verge à la main.

– Nain, lui demanda-t-il après l’avoir salué, ne saurais-tu me donner nouvelles d’une dame qui va par ici ?

– Vous parlez de la reine ? Désirez-vous beaucoup d’avoir de ses nouvelles ?

– Oui, fit l’étranger.

– Je te la montrerai demain si tu fais ce que je t’enseignerai. Monte sur cette charrette et je te mènerai où tu pourras la voir.

Or, sachez qu’en ce temps-là, c’était une si ignoble chose qu’une charrette, que nul chevalier n’y pouvait entrer sans perdre tout honneur. Et quand on voulait punir un meurtrier ou un larron, on le faisait monter en charrette comme aujourd’hui au pilori, et on le promenait par la ville. C’est pourquoi l’étranger répondit au nain qu’il irait bien plus volontiers derrière la charrette que dedans.

– Me jures-tu que tu me mèneras auprès de madame la reine si j’y monte ?

– Je te jure, dit le nain, que je te la ferai voir demain matin, à prime.

Alors l’étranger, sauta dans la voiture sans plus hésiter.

Et là-dessus, voici venir monseigneur Gauvain suivi de ses deux valets, dont l’un portait son écu et l’autre tenait son heaume et menait un destrier en main. Et à son tour messire Gauvain demanda au nain s’il avait nouvelles de la reine ; et le nain lui répondit que, s’il voulait monter dans la charrette, il la lui montrerait demain au matin.

- Jamais je ne serai charretier, dit messire Gauvain. Sire chevalier, afin qu'une plus grande honte ne vous advienne, prenez ce cheval qui est très bon, car je gage que votes vous saurez mieux aider d’un cheval que d’une charrette.

- Il ne le fera point, dit le nain, car il s’est engagé à demeurer ici tout le jour.

Messire Gauvain n’osa pas insister, mais il fit route avec eux. Et ils allèrent ainsi jusqu’au soir, qu’ils parvinrent devant une belle et forte cité, à l'orée d’une forêt.

IV

Le chevalier à la charrette

Quand les gens de la ville virent le chevalier que le nain amenait, ils lui demandèrent en quoi il avait forfait. Mais il ne daigna répondre ; alors petits et grands, vieillards et enfants, tous le huèrent et lui jetèrent de la boue comme à un vaincu en champ clos. Et cela peinait fort monseigneur Gauvain, qui maudissait l’heure où les charrettes furent inventées.

Au château, une demoiselle lui fit grand accueil, mais elle dit au chevalier de la charrette :

– Sire, comment osez-vous regarder personne, vous qui êtes mené dans une charrette comme un criminel ? Quand un chevalier s’est ainsi déshonoré, il quitte le siècle et s’enfuit en quelque lieu où il ne soit jamais connu !

À cela encore, l’étranger ne répliqua rien ; il demanda seulement au nain quand il verrait ce qui lui avait été promis.

– Demain, à prime. Mais, pour cela, il faut nous héberger ici.

– Je le ferai donc, fit l’étranger. Mais je serais allé ce soir plus loin, si tu l’eusses voulu.

Il descendit de la charrette, gravit les degrés du logis et entra dans une chambre où il commençait de se désarmer tout seul, quand deux valets vinrent l’aider. Avisant un manteau, il s’en affubla et prit soin de se bien couvrir la tête afin de n’être pas reconnu ; puis il se laissa choir sur un lit très riche qui se trouvait là.

À peine y était-il, la demoiselle entra en compagnie de monseigneur Gauvain, et se montra fort, dépitée de le voir étendu sur une aussi belle couche.

– Demoiselle, répondit paisiblement le chevalier, si elle eût été encore plus belle, je m’y fusse couché plus volontiers.

– Venez manger, beau sire, dit seulement messire Gauvain, car l’eau est cornée.

L’étranger répondit à voix basse qu’il n’avait pas faim et qu’il se sentait un peu souffrant.

– Certes, il doit être bien malade, s’écria la demoiselle, et s’il savait ce que c’est que la honte, il aimerait mieux d’être mort que vif. Il est honni et je ne mangerai pas en sa compagnie. Vous pouvez le faire, dit-elle à monseigneur Gauvain, mais vous serez honni comme lui.

Alors messire Gauvain descendit avec elle dans la salle. Mais, quand le repas fut terminé, il demanda ce que le chevalier faisait, et quand on lui eut dit qu’il n’avait rien voulu manger, il revint près de lui :

– Beau sire, que ne vous nourrissez-vous ? Vous n’êtes point de bon sens, car un prud’homme qui aspire à de beaux faits d’armes ne doit pas laisser son corps et ses membres s’appesantir. Par ce que vous aimez le plus au monde, mangez !

Il en dit tant ainsi que l’étranger consentit à se nourrir de ce qu’on lui apporta. Et ensuite il se mit au lit et s’endormit jusqu’au matin.

Quand l’aube creva et que le soleil commença d’abattre la rosée, le nain entra dans sa chambre et se mit à crier :

– Chevalier de la charrette, je suis prêt à tenir mon serment !

Aussitôt l’étranger de sauter du lit en braies et en chemise comme il était : et le nain le mène à une fenêtre en lui disant de regarder. Et il croit voir passer la reine, et Méléagant qui la mène, et Keu le sénéchal qu’on porte dans une litière. Et il regarde la reine très tendrement tant qu’il la peut voir, et se penche à la fenêtre, rêvant à ce qu’il regarde, de plus en plus, au point que son corps est dehors jusqu’aux cuisses et qu’il ne s’en faut guère qu’il ne tombe.

Heureusement, messire Gauvain entrait à ce moment, et la demoiselle avec lui. Voyant l’étranger en si grand péril, il le prit par le bras et le tira en arrière et, à son visage découvert, il le reconnut à l’instant.

– Ha ! beau doux sire, lui dit-il, pourquoi vous être ainsi caché de moi ?

– Pourquoi ? Parce que je devais avoir honte d’être reconnu. Car j’ai eu l’occasion d’acquérir tout honneur en délivrant madame, et, par ma faute, j’y ai failli.

– Certes, ce ne peut être par votre faute ! Car on sait bien qu’où vous échouez, il n’est personne qui pût réussir.

Quand la demoiselle vit que messire Gauvain honorait tant le chevalier de la charrette, elle lui demanda quel était cet inconnu. Il répondit qu’elle ne le saurait point par lui quant à présent, mais que c’était le meilleur parmi les bons. Alors elle interrogea l’étranger.

– Demoiselle, fit-il, je suis un chevalier charretté.

- C’est grand dommage. Mais, bien que je vous aie lait des reproches, je ne dois pas vous manquer à la fin. Il y a ici de beaux et bons chevaux : choisissez le meilleur que vous pourrez trouver, et la lance que vous voudrez.

- Demoiselle, grand merci, dit messire Gauvain, mais il ne recevra son destrier de nul autre que moi, tant que j’en aurai, et j’en ai deux bons et beaux, il en montera un, mais il prendra la lance que vous lui offrez, s’il ne préfère la mienne.

Sur ce, les chevaux amenés, l’étranger enfourcha l’un, messire Gauvain l'autre, et tous deux prirent congé après avoir remercié la demoiselle.

V

Guérison de Lancelot

Or si vous demandez comment s’appelait le chevalier inconnu, je peux bien dire que c’était messire Lancelot du Lac. En sortant du Sorelois, il était si dolent de n’avoir pu trouver Galehaut et si chagrin de se croire oublié de la reine, bref, il mangea, dormit si peu, que sa tête se vida et qu’il devint insensé. Tout l’été et jusqu’à la fin d’année, il erra. Enfin, la veille de la Chandeleur, la dame du Lac le découvrit qui gisait dans un buisson au cœur de la forêt de Tintagel, en Cornouaille. Elle le tint auprès d’elle tout l’hiver et, en lui promettant qu’elle lui ferait avoir la plus grande des joies, elle le guérit si bien qu’il se trouva plus fort et plus beau que devant. Et elle s’était gardée de lui apprendre la mort de Galehaut.

Cinq jours avant Baltène, elle lui prépara un cheval et des armes.

– Bel ami, lui dit-elle, le temps approche où tu recouvreras ce que tu as perdu. Sache qu’il te convient d’être le jour de Baltène, à none, dans la forêt de Camaaloth. Certes, si tu ne t’y trouvais à cette heure, tu aimerais mieux ta mort que ta vie.

– Par tous les saints, dit Lancelot, j’y serai à pied ou à cheval !

Et il alla droit à la forêt, où il parvint pour voir de loin Méléagant combattre Keu et enlever la reine. Son destrier était si las qu’il ne put arriver à temps, et ce fut grâce à celui de monseigneur Gauvain qu’il attaqua les cent chevaliers pour sauver sa dame. Et à présent il lui fallait tenter de la conquérir encore. Mais le conte retourne maintenant à la demoiselle du château.

VI

Les deux ponts

Elle brûlait de connaître le nom du chevalier à la charrette : l’ayant entendu louer si hautement par monseigneur Gauvain, elle pensait qu’il pouvait être Lancelot en personne, et elle s’en fût assurée si le bruit n’eût couru que le bon chevalier était mort. Mais elle se promit qu’elle le saurait si, en mettant un homme à l’essai, on le pouvait connaître. Elle appela sa sœur cadette, qui était très sage et courtoise, et elle lui enseigna ce qu’elle devait faire. C’est pourquoi celle-ci monta à cheval et gagna par des chemins de traverse le carrefour des Ponts. Dès qu’elle vit arriver les deux compagnons, elle prit les devants sans leur parler ; mais ils la joignirent, et, après l’avoir saluée, lui demandèrent si elle n’avait nouvelles de la reine Guenièvre.

– Ne savez-vous pas, dit-elle, que Méléagant, le fils du roi de Gorre, l’a emmenée au royaume de son père, d’où nul Breton ne peut sortir ?

– Et comment y aller ?

– Je vous le dirai bien, si vous voulez me promettre sur votre foi que chacun de vous m’accordera le premier don que je lui demanderai.

– Demoiselle, s’écria Lancelot à qui l’affaire tenait plus au cœur qu’à nul autre, nous vous donnerons tout ce que vous voudrez !

– En ce cas, voici les deux routes, dont l'une va au pont Perdu, que l’on nomme aussi le pont Sous l’Eau, et l'autre au pont de l'Épée. Le premier est d’une seule poutre qui n'a qu'un pied et demi de large ; il coule autant d’eau dessus qu’il en coule dessous, et un chevalier le garde. L’autre est fait d’une planche d'acier, aussi tranchante qu'une épée. Seigneurs chevaliers, souvenez-vous qu’en quelque lieu et jour que ce soit, chacun de vous me doit un don.

Lancelot pria monseigneur Gauvain de choisir entre ces deux voies et celui-ci préléra la route du pont Perdu.

VII

Le lit périlleux

Lancelot n’avait fait que peu de chemin quand il entendit qu’on le hélait, et il vit la demoiselle du carrefour qui sortait d’un sentier de traverse.

– Sire chevalier, lui dit-elle, je ne suis pas en sûreté dans ce pays, où l’on me hait fort. Je vous demande de m’accompagner et de vous héberger chez moi cette nuit.

– J’irai volontiers avec vous, mais il est trop tôt pour s’héberger.

– Le lieu n’est pas proche, et si vous passez, vous ne trouverez plus aujourd’hui ni ferme ni maison. D’ailleurs ne me protégerezvous pas ? J’ai grand besoin de vous.

– Vous n’aurez nul mal, dit Lancelot, si je puis vous sauver.

Ils chevauchèrent de compagnie jusqu’à ce qu’ils arrivassent, à la nuit tombante, devant une maison entourée d’une palissade. Avant que Lancelot eût pu lui donner la main, la demoiselle avait déjà sauté à bas de son palefroi. Elle le mena dans une très belle chambre où il faisait clair comme en plein jour à cause de la grande quantité de cierges et de torches qui brûlaient, et là elle lui ôta son heaume et son écu, et il se désarma ; enfin elle lui passa un beau manteau d’écarlate fourré d’une grosse zibeline. Il y avait sur un banc deux bassins d’eau chaude avec une blanche serviette bien ouvrée. Quand ils eurent lavé, ils s’assirent à une table couverte de viandes, de hanaps d’argent doré et de pots pleins de moré et de fort vin blanc.

Après le manger, ils allèrent prendre l’air un moment à une fenêtre donnant sur le jardin ; puis la demoiselle mena Lancelot devant un riche lit, très bien garni de draps blancs et d’une couverture tissée d’or et fourrée de vair qui eût été bonne pour un roi. Là, elle prit le chevalier par la main et, s’asseyant à côté de lui, elle lui dit :

– Bel hôte, vous me devez un don. Je vous demande de coucher cette nuit avec moi dans ce lit.

Ah ! quand il entendit cela, certes Lancelot fut anxieux ! Il ne savait plus que faire.

– Demoiselle, murmura-t-il, demandez-moi telle autre chose que vous voudrez !

Mais il lui fallut tenir son serment. Les chandelles éteintes, ils se couchèrent l’un et l’autre, mais Lancelot n’ôta point sa chemise ni ses braies, et il n’osa tourner le dos à cause de la vilenie qu’il y aurait eu à cela, ni le visage à cause du péril ; mais il s’éloigna d’elle autant qu’il put et resta étendu sur les épaules sans bouger ni mot dire : car il n’aurait su faire beau semblant à la pucelle, n’ayant qu’un cœur, et qui n’était à lui.

– Quoi ! sire chevalier, ne ferez-vous autre chose ? dit-elle. Je pense que ma compagnie ne vous réjouit guère. Suis-je donc si laide et si hideuse ?

– Vous m’êtes laide maintenant, bien que vous m’ayez semblé belle autrefois.

– Si vous avez une amie, elle n’en saura rien.

– Mais mon cœur le saura.

Elle se leva et alla se coucher dans un autre lit, songeant :

– Je n ai connu nul chevalier que je prise autant que celui-ci. Son cœur est loyal, comme il y parut au val des Faux Amants.

Car elle devinait bien qui il était, mais elle voulait s’en assurer mieux encore.

VIII

Le peigne aux cheveux d’or

À l’aube, elle revint dans la chambre de Lancelot. Il était déjà tout armé.

– Je vous donne bon jour ! fit-elle.

– À vous aussi, demoiselle.

– Sire, la coutume est qu’une pucelle qui va seule ne craigne rien ; en revanche, lorsqu’un chevalier la conduit, si un autre la conquiert sur lui, il en peut user à son désir comme si elle était sienne. Or il y a près d’ici un homme qui longuement m’a aimée et requise d’amour, mais il a perdu ses peines. Pourtant, si vous voulez me protéger, je vous guiderai sans crainte.

– Demoiselle, je vous saurai bien défendre contre un chevalier, voire contre deux, dit Lancelot.

Alors elle fit seller les chevaux et ils allèrent longtemps à grande allure par chemins et sentiers, mais il ne répondait guère à ses propos ; penser lui plaisait, parler lui coûtait : amour le veut ainsi. A tierce, ils arrivèrent au bord d’une fontaine, au milieu d’un pré ; là, sur une grosse pierre, gisait un peigne d’ivoire doré, si-beau que depuis le temps d’Isore, personne, ni sage ni fou, n’en vit le pareil. Qui l’avait oublié là ? Je ne sais ; mais Lancelot s’arrêta, étonné, et sauta de son cheval pour le ramasser. Ah ! quand il le tint dans ses mains, comme il le regarda, comme il admira les cheveux plus clairs et luisants que de l’or fin qui y étaient restés ! La pucelle se mit à rire.

– Demoiselle, par ce que vous aimez le plus, dites-moi pourquoi vous riez !

– Ce peigne est celui de la reine, et les cheveux que vous voyez n'ont certes pas poussé sur un autre pré que sa tête !

– Mais il y a bien des reines et des rois : de laquelle parlezvous ? reprend Lancelot tout tremblant.

– Par ma foi, de la femme du roi Artus !

À ces mots, Lancelot plie jusqu’à toucher terre, et il serait tombé si la demoiselle ne se fût hâtée de descendre de son palefroi pour le secourir. Quand il revint à lui et qu’il se vit soutenu par elle, il l’interrogea, tout honteux :

– Qu’y a-t-il ?

– Sire, je voulais vous demander ce peigne, dit-elle pour ne pas l’humilier.

Il le lui donne, mais après en avoir retiré les cheveux. Et il les adore ! À la dérobée, il les porte à sa bouche, à ses yeux, à son front ; il en est heureux, il en est riche, il les cache sur son cœur, entre sa chemise et son corps ; et il eût bien voulu que la demoiselle fût plus loin. Mais il lui fallut se remettre en chemin avec elle, et ils chevauchèrent jusqu’au soir, qu’ils s’hébergèrent dans une maison de religion où on leur fit très belle chère.

IX

La tombe de Galaad le Fort et la tombe de Siméon

Le matin, un moine s’approcha de Lancelot, qui était déjà tout armé, hors la tête et les mains.

– Sire, vous allez au pays de Gorre pour y délivrer les Bretons. Mais sachez que celui qui accomplira cette aventure doit être soumis à un essai ici même.

– Allons, dit Lancelot.

Le rendu le mena au cimetière où gisaient dans de riches tombeaux les corps de trente-quatre chevaliers qui tous avaient été prud’hommes. Mais l’une des tombes, la plus belle, que l’on pût voir de Bombes à Pampelune, était fermée par une lame de marbre, large de trois pieds, longue de quatre, épaisse de plus d’un et scellée à plomb et à ciment.

– Celui qui lèvera cette dalle mènera à bien l’aventure que vous suivez, dit le moine.

Aussitôt Lancelot mit la main sur la pierre, et vous eussiez vu que d’un seul coup il la souleva au-dessus de sa tête. Il découvrit ainsi le corps d’un chevalier tout armé, couché sous son écu, qui était d’or à la croix vermeille ; une épée gisait à côté, claire et brillante comme si elle venait d’être fourbie ; les chausses et le haubert étaient blancs comme neige neigée, et dessus le heaume il y avait une couronne d’or. Et dans la tombe des lettres gravées disaient :

Ci-gît Galaad le fort, qui fut roi de Galles au temps que le Graal fut porté en Bretagne, et par lui cette terre eut nom Galles, car auparavant elle était appelée Hocelice.

Longtemps, Lancelot tint la pierre levée. Quand il voulut la remettre comme il l’avait trouvée, il ne le put, et jamais plus elle ne retomba : ce que chacun tint pour une merveille. Puis il aperçut un grand feu qui flamboyait dans une caverne creusée en terre. Il demanda ce que c’était.

– Nous savons, répondit le moine, que celui qui éteindra ce feu s’assoira au siège périlleux de la Table ronde et connaîtra la vérité du Saint Graal. Mais ne vous y essayez pas, beau sire, car le même homme ne mènera pas à bien cette aventure et celle que vous venez d’achever. Celle-là n’est point vôtre.

– Toutefois, je la tenterai, dit Lancelot, quoi qu’il m’en advienne.