La Légion de Saphir - Tome 1 - Brenda Marty - E-Book

La Légion de Saphir - Tome 1 E-Book

Brenda Marty

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Beschreibung

Esmeralda se faire kidnapper par un mystérieux et séduisant jeune homme...

Tout ce qu’elle croit ou ce qu’elle croyait connaître va être bouleversé. À bientôt 18 ans, Esmeralda, orpheline, vit en famille d’accueil depuis sept ans. Un jour, la directrice de son ancien orphelinat lui rend visite pour l’avertir que des personnes dangereuses la recherchent. Désormais sur ses gardes et prête à tout pour garder son secret elle se méfie plus que jamais de son entourage, jusqu’au jour où malgré sa méfiance elle se fait kidnapper par un mystérieux et séduisant jeune homme…

Découvrez le premier tome d'une saga fantasy et laissez-vous emporter par les aventures haletantes d'une jeune héroïne !

EXTRAIT

Il s’avance d’une démarche menaçante tandis que je me recroqueville sur moi-même en souhaitant de tout mon être me fondre dans le mur. Mon visage est désormais à la même hauteur que la gueule du loup. Mon cri reste bloqué dans ma gorge. La bête continue de s’approcher et je suis prise de violents tressaillements. Je sais que si je ne réagis pas il va m’attaquer. D’un effort qui me semble surhumain, je tends une main tremblante dans sa direction en essayant de puiser dans une colère qui pourrait me sauver, mais tout ce que j’arrive à ressentir c’est de la peur. Les larmes commencent à embuer mes yeux, l’impuissance m’étreint, et c’est une des choses que je déteste le plus au monde. Je mobilise le peu de force qui me reste mais la terrifiante perspective de me faire dévorer fait naître dans mon esprit un tableau cauchemardesque. Mes doigts s’entrechoquent et l’espace d’une seconde, je crois apercevoir un éclair bleuté, chargé d’électricité se former.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

L’histoire commence sur les chapeaux de roue. Beaucoup de scènes d’action, un peu de romantisme, des personnages attachants et une pointe d’humour. La recette d’un succès garanti ! - amand0802, Booknode

Action, suspense, secrets, rebondissements, tout est réuni pour capter l'attention du lecteur ! Et la fin nous promet une suite encore plus rythmée que le premier tome. - Malicie, Booknode

A PROPOS DE L'AUTEUR

Brenda Marty est une jeune bachelière qui est passionnée par l'écriture dans le fantastique/fantasy depuis son plus jeune âge. Elle décroche un prix sur la plateforme Wattpad avec son livre La Légion de Saphir et édite son premier roman à l'âge de 18 ans.

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Prologue

7 ans plus tôt

Les gouttes se mêlaient les unes aux autres, ruisselant à torrent sur la vitre, avant de terminer leur course sur la terre déjà imbibée. Le ciel était recouvert d'une épaisse masse noire alors que le tonnerre grondait au loin avec rage. Il était presque impossible de distinguer les maisons de l'autre côté de la rue, à travers le lourd rideau de pluie. Cela faisait déjà deux jours que les cieux déversaient leur fureur sur les toits des maisons de Portland.

Allongée en haut de son lit mezzanine, elle observait les étoiles lumineuses fixées au plafond. Si elle ne pouvait pas les voir à l'extérieur, elle pouvait les contempler, de son lit, au sec. Mis à part leur lumière fluorescente qui était apaisante, elles ne lui étaient d'aucune utilité. Elles n'étaient pas pour elle mais pour les autres enfants qui partageaient sa chambre. Le noir les effrayait et l'orage… les terrorisait.

Dans leur petite chambre, ils étaient quatre, dont trois qui recouvraient leur tête avec leur couette, non loin de l'asphyxie. Il y avait deux filles et deux garçons d’âges différents : entre sept et dix ans. La plus âgée était celle qui regardait les étoiles, les mains liées derrière sa nuque, rêvant d'un avenir meilleur : un avenir qui se résumerait à autre chose que celui des familles d'accueil. Le téléphone vibra à côté de son oreiller. Elle l'avait gagné lors d'un pari avec un enfant. Elle ne pourrait utiliser l'appareil que jusqu'à la fin du mois, lorsque le forfait expirerait. Elle n'avait qu'une dizaine de dollars trouvés à droite et à gauche et ce n'était certainement pas les pantins qui lui servaient de tuteurs qui allaient lui offrir un portable. Leur seule préoccupation était leur travail et rien d'autre. C'est à peine s'ils faisaient attention à l'absence ou à l'alimentation des enfants.

L'écran affichait un numéro sans nom. Elle ne se posa pas de question et répondit. La voix au bout du fil lui était familière malgré les interférences provoquées par l’orage qui la faisaient grésiller dans son oreille. C'était un garçon de l'orphelinat avec qui elle avait gardé contact. Sa voix paniquée lui parvint et les quelques mots qu'elle entendit lui firent l'effet d'une décharge électrique. Elle se redressa précipitamment sur son lit en se cognant le front contre le plafond. Mais elle ne fit pas attention à sa douleur, elle était focalisée sur ce qu'elle venait d'entendre. Son sang se glaça dans ses veines alors qu'elle se sentait défaillir. Elle avait désormais le visage livide, encore plus blanc qu'un cachet d'aspirine et sentait presque les larmes lui monter aux yeux.

Sortant de sa torpeur, précipitamment, elle dégagea de sous son oreiller un sac à dos avec deux trois bricoles à l'intérieur. Elle était toujours en ligne avec son ami et descendit par l'échelle en lui demandant une dernière information. Elle enfila ses chaussures en maniant les lacets avec rapidité, avant d'endosser son manteau. Le temps lui manquait terriblement pour se préoccuper d'autres détails. Elle raccrocha avant de poser sa main sur la poignée de la porte. Mais une voix presque inaudible l'interrompit dans son geste, entre deux éclairs qui illuminèrent la pièce.

— Où est-ce que tu vas ?

Les yeux du petit garçon du lit d'en face dépassaient maintenant de la couverture. Ses tremblements étaient tellement forts qu'ils auraient pu faire vibrer la maison tout entière. Il avait dû rassembler une bonne dose de courage, ne serait-ce que pour sortir le haut de sa tête. La fille se tourna vers lui et le fixa d'un air hésitant.

— Je dois aller voir quelqu'un.

Sa voix était bouleversée par le trop plein d'émotions qui refaisait lentement surface. Ne voulant pas avoir affaire à d'autres questions qui ne mèneraient nulle part, elle prit la fuite avant que le petit garçon ne puisse esquisser l'ombre d'un geste. La clef, comme d'habitude, était cachée sous le tapis. Elle n'eut donc aucun mal à s'extraire de la maison pendant que les pantins dormaient. La pluie tombait violemment et, depuis le préau, elle avait du mal à distinguer l'arrêt de bus situé juste en face. En plissant les yeux, elle aperçut un bus stationné à son niveau. Il ne lui en fallait pas plus. Comme une flèche, elle fonça droit dessus, sentant les gouttes d'eau tomber sur sa capuche comme des billes de plomb.

Le bus était totalement vide, mis à part le chauffeur bien sûr. Elle balança deux dollars sur le comptoir, tout juste sortis de son sac. Le chauffeur lui lança un regard étonné, certainement surpris qu'à onze heures du soir la jeune fille ne dorme pas comme tous les habitants du quartier et soit assez folle pour sortir par un tel temps.

Elle alla s'asseoir au fond du bus sans un mot, observant les gouttes rouler sur la vitre. Elle était tendue. Très tendue. Plus elle pensait à cet appel, plus son chagrin grandissait. Son cœur se serra tellement dans sa poitrine qu'elle eut l'impression qu'il allait finir en cendres.

À plusieurs reprises, le chauffeur jeta de brefs regards dans le rétroviseur avant de reporter son attention sur la route. Il n'avait certainement pas l'habitude de voir autant de monde dans son bus à cette heure-ci de la nuit !

Après une quinzaine de minutes, le bus s'arrêta devant un grand bâtiment. Poursuivie par la pluie, elle descendit à toute vitesse et se réfugia dans l'hôpital. Malgré sa rapidité, elle était ruisselante de la tête aux pieds. Ses mains étaient glacées comme le reste de son corps d'ailleurs. Mais elle n'avait pas le temps de se soucier de cela. Elle se précipitait vers l'accueil où elle apostropha une infirmière. Celle-ci la dévisagea interloquée.

— S'il vous plaît, pouvez-vous me dire dans quelle chambre se trouve Laïa Owens ?

— Tu es gelée. Où sont tes parents ?

La petite fille avait parfaitement conscience qu'elle était frigorifiée. Mais il était inutile de s'apitoyer sur ce fait. Cependant, l'infirmière avait l'air plutôt sympathique, elle devait certainement avoir des enfants car les regards qu'elle lui lançait étaient remplis de douceur… Ce qui lui provoqua un pincement au cœur.

— Ils sont dans le parking. Ils garent la voiture et m'ont dit de venir vous demander le numéro de la chambre. On est assez pressés.

Elle avait l'air d'avoir gobé le baratin.

— D'accord, mais dans ce cas, il faut qu'ils viennent signer pour la visite.

La fillette n'avait pas prévu ce détail-là. Elle acquiesça difficilement, en lui faisant signe qu'elle allait attendre. Mais avant que l'infirmière ne retourne derrière son comptoir, cette dernière posa sur le rebord une planche à laquelle était attachée une liste de malades. Dans la plus grande discrétion, la petite fille l'attrapa et feuilleta la liste avec un regard perçant et pressé. Elle trouva le nom de son amie et chercha du bout du doigt le numéro de la chambre : B-18.

À la suite de quoi, elle se précipita dans les couloirs qui lui parurent sans fin et fit un sprint dans les escaliers jusqu'au deuxième étage. Le souffle court, elle parcourut le couloir au pas de course regardant le numéro de chaque porte avec attention. B-16 ; B-17 ; B-18 ; B -1…

Elle s'arrêta net et recula jusqu'au niveau de la porte. B-18. Ses mains se mirent à trembler encore plus qu'elles ne le faisaient déjà. Elle sentait ses jambes prêtes à défaillir sous elle. La peur la saisit d'une telle violence qu'elle sentit son cœur s'emballer avant qu'un éclair n'éclate.

Elle ouvrit la porte, les mains crispées sur le battant, alors qu'un grondement de tonnerre retentissait au loin. Une boule au niveau du ventre l'empêchait de respirer correctement. Elle ne savait pas si elle tiendrait le coup, mais il fallait qu'elle le fasse.

Elle entra dans la pièce et referma la porte derrière elle. C'est à ce moment-là qu'elle vit son amie Laïa, allongée sur le lit, un tube transparent sous le nez lui fournissant l’apport en oxygène nécessaire. Des électrodes placées sur sa peau étaient reliées à un cardiographe qui signalait chacun de ses battements de cœur, relativement faibles. Elle ouvrit les yeux en clignant des paupières, pour s'acclimater à la lumière de la chambre. Un léger sourire traversa ses lèvres.

— Qu'est-ce que tu fais là ? demanda Laïa.

La fillette avançait difficilement, sous le choc, se faisant violence pour ne pas lui faire parvenir son affolement. Elle essayait d'afficher un sourire et hésitait à lui prendre la main.

— Je viens rendre visite à ma meilleure amie.

Malgré la douleur qui la submergeait, la fille de dix ans grimaça sous l'effet de sa réponse incomplète.

— Tu as encore fugué (elle secoua la tête, un large sourire affiché sur ses lèvres). Tu sais qu'ils vont une fois de plus te changer de famille.

— Ça ne fait rien. Je ne comptais pas rester longtemps de toute façon.

La main de Laïa posée à côté de la sienne l'effleura. Elle était glacée, presque autant que les siennes.

— Écoute…

La fillette avait le regard rivé sur le sol, se forçant à retenir ses larmes. Elle ne voulait pas que Laïa la voit pleurer, ce serait impossible à supporter pour elle. Alors, elle rassembla tout son courage et ravala les larmes qui commençaient à lui brouiller la vue. Son angoisse se stabilisa et elle s'astreignit à respirer doucement pour retrouver son calme.

— Je… – la voix de Laïa défaillit alors qu'elle se faisait violence pour garder un ton neutre.

La fillette la regarda avec toute son attention. Elle n'était pas sûre de vouloir entendre ce qui allait suivre. Elle fit tout son possible pour garder un air paisible et rassurant, mais les larmes refaisaient lentement surface. Une peur redoutable l'envahit, aussi menaçante que terrifiante. Le long silence qui suivit faisait écho à son inquiétude.

— Je… je vais mourir.

La petite fille ne bougeait plus, ne parlait plus, elle alla même jusqu'à retenir sa respiration. Elle n'était plus qu'une masse de souffrance. Maintenant, elle savait. Elle savait ce qu'elle n'aurait jamais voulu l'entendre. Le chagrin l'envahit comme jamais auparavant et elle éclata en sanglots. Elle sentit son cœur se déchirer de douleur dans un désespoir infini. Un goût amer lui emplit la bouche alors que les larmes ruisselaient le long de ses joues. La souffrance était telle, qu'elle planta ses ongles aussi fort qu'elle le pouvait dans sa chair, jusqu'à s'en faire saigner. Elle ne voulait pas le croire et refusait d'y penser ; mais au fond d'elle, elle savait que c'était la vérité.

Son amie allongée devant elle ne pouvait plus se retenir. Elle fondit en larmes à son tour. Malgré son chagrin et sa grande douleur qui se mêlaient à la tristesse de la pièce, elle réussit à sourire entre deux sanglots.

— Ne pleure pas.

— Les médecins disaient que tu allais mieux ! Pourquoi changent-ils de diagnostic tout à coup ? Pourquoi ? !

Elle sentit la main de Laïa passer sur sa joue humide, faisant preuve de la plus grande tendresse qui puisse exister sur Terre.

— Tout le monde peut se tromper.

La fillette leva la tête vers le visage blême de son amie et observa ses yeux vert émeraude.

— Il… il m'a appelé. Il m'a dit de venir ici.

— C'est moi qui le lui ai demandé. Parce que… je… je voulais te voir une dernière fois.

Les larmes redoublaient sur les joues des deux fillettes. Elles se prirent les mains et se les serrèrent jusqu'à ce que leurs jointures deviennent blanches.

— J'ai fait ce bracelet pour toi.

Laïa désigna du menton son poignet. Son amie jeta un coup d'œil à celui-ci. Il était entouré de fines perles blanches éclatantes qui reflétaient la lumière blafarde de la chambre.

— Je ne peux pas le prendre.

— Si ! Je veux que tu aies un souvenir de moi. Et c'est non négociable.

Laïa le lui passa autour du poignet tout en essayant de ravaler ses larmes. Mais cela ne servit à rien. La jeune fille malade regarda son amie droit dans les yeux en s'enfonçant dans sa douleur.

— Il ne faut que quelques secondes pour dire « bonjour », mais une éternité pour dire « adieu ».

— Non ! Je t'en supplie. Arrête ! Je veux que tu restes avec moi ! On avait prévu de partir loin d'ici. Tu t'en souviens ? Alors, ne me laisse pas. Tu n'en as pas le droit !

Laïa la regarda d'un air désolé. L'expression de son visage n'était plus que tristesse et souffrance.

— Je te l'interdis ! Sœurs un jour, sœurs toujours. On avait promis de ne jamais se séparer.

— Il arrive parfois que les choses ne se passent pas comme prévu.

— Je te fais la promesse qu'un jour, je trouverai un remède et je soignerai toutes les personnes atteintes de cette maladie.

Laïa empoigna une nouvelle fois sa main.

— D'abord, tu dois me promettre de trouver une famille qui t'aimera autant que moi je t'aime.

Son regard se perdit dans le sien pendant un long moment. Une famille ? Elle n'en avait jamais eu. Elle ne sait pas comment elle réagirait devant toute une marée d'affection soudaine, si un jour cela arrivait.

— Promets-le-moi.

Peut-être qu'elle ne le supporterait pas mais elle ne pouvait, en aucun cas, refuser la dernière volonté de sa meilleure amie.

— Je te le promets.

Laïa avait cessé de pleurer. Son regard s'adoucit et sa tête retomba lourdement sur l'oreiller. Elle ferma les yeux, au même moment la poigne de sa main se relâcha délicatement. Un son sourd provenant du cardiographe emplit la pièce. La fillette releva prestement les yeux et regarda le cardiogramme afficher une longue ligne rouge.

— Laïa ?

Elle ne répondit pas.

— Laïa !

Elle ne respirait plus.

— NON ! Je t'en prie, NON ! Ne me laisse pas. Réveille-toi !

Elle pleurait encore plus qu'avant. Elle n'avait jamais autant pleuré. Les larmes inondaient son cou jusqu'à atteindre ses vêtements. Elle lui secoua la main, mais celle-ci restait sans réaction. Son visage était dénué de toute expression. Elle l'appelait, criait son nom, l'implorait de se réveiller. Mais rien. Tout était silencieux, jusqu'au moment où la porte s'ouvrit violemment et que pénétrèrent à l'intérieur de la pièce, deux urgentistes aux côtés d'une infirmière. Ils se dirigèrent vers elle pour la saisir.

— Non, lâchez-moi ! Je veux rester avec elle ! Lâchez-moi, bande d'imbéciles !

Elle se débattait en leur donnant de grands coups de pieds, qui eurent l'effet d'un caillou sur une montagne. Un des deux hommes l'attrapa sous les bras tandis que l'autre la soulevait par les jambes.

— Laïa ! !

Elle fut rapidement éloignée du corps sans vie de son amie. Elle criait de désespoir et d'horreur en déchirant le profond silence de la nuit, alors qu'ils tentaient toujours de la sortir de la pièce. Les coups de pieds qu'elle infligeait aux soignants ne suffisaient pas à leur faire lâcher prise. Le visage blême de Laïa aspiré par l'obscurité fût la dernière chose qu'elle discerna avant que les deux colosses ne réussissent enfin à l'extraire de la chambre.

CHAPITRE 1

Fin Mai, de nos jours

J'inspire profondément, de manière à remplir complètement mes poumons d'oxygène, puis j'expire lentement. L'herbe fraîche sous mes mains me donne l'impression d'être imprégnée de cette terre. Le pollen volette dans l'air. Je le sens, mais il y a quelque chose d'autre derrière moi. J'ai les paupières closes et les rayons du soleil sur mon visage me détendent. Au loin, plusieurs oiseaux chantent en chœur, produisant une mélodie particulièrement apaisante. Je profite de cet instant de paix, en symbiose avec la nature. Le vent effleure ma peau tandis qu'un court frisson me parcourt. Je peux imaginer les arbres danser et se frôler de leurs branches, avec une grande délicatesse. Ce genre de repos est peut-être une perte de temps, mais moi j'en ai besoin. J'ai besoin de me sentir vivante en m'évadant de la réalité. Toutefois, comme on le dit souvent, toutes les bonnes choses ont une fin.

Un cri perçant s'élève dans mon dos. Il ne dure pas plus d'une seconde, je sais qu'il a pour seul but de me faire peur. Cependant, je suis aussi détendue que l'herbe verte qui se couche en tous sens sur la terre, sous mes mains. Le cri se répète une nouvelle fois, avec plus d’intensité et d'ardeur. Mais rien ne change, je suis toujours aussi détendue.

— Même pas peur, dis-je d'une voix neutre.

Un grognement se fait entendre de la part du garçon qui bat le pauvre sol à coups de pieds.

— Arrête de faire ta maligne, Esminable.

C'est le nom que tous les petits monstres comme lui me donnent. J'ai pour habitude de les remettre à leur place quand ils m'appellent ainsi. Cependant, aujourd'hui je n'en fais rien. Je suis trop détendue pour entrer en guerre inutilement. Je ne veux pas briser cet instant de paix avec la nature, auquel je suis énormément attachée.

— Va jouer ailleurs, Poil de carotte.

Je m'autorise à l'appeler de cette manière car lui ne se gêne pas pour me donner des noms bizarres et aussi parce que la ressemblance est indéniable en raison de sa chevelure rouquine.

— Tais-toi ! Tu vas me le payer, Esminable !

— Oh, mais je n'en doute pas.

Il s'enfuit en grommelant des propos inintelligibles. Je l'entends monter les marches de la maison et claquer la porte derrière lui. Pauvre chou.

Dans cette maison, pour ne pas dire « prison », il y a trois enfants, dont deux qui ne sont pas faciles à gérer. Et j'en fais partie. Je vous laisse deviner qui est le deuxième.

Je vis en famille d'accueil depuis l'âge de dix ans et je n'ai qu'une hâte : acquérir la majorité pour pouvoir enfin quitter ce foyer. La liberté avec un grand « L » m'appelle depuis que je vis cet enfer et il prendra fin dans un peu moins de deux mois. Je rêve depuis toute petite de m'en aller loin de ces familles sans amour. Même si je n'ai aucune idée du lieu où j'irai ni de ce que je ferai, je veux m'évader et le plus loin sera le mieux.

Pendant les sept dernières années que j'ai passées en famille d'accueil évidement, j'ai été trimballée dans quatorze foyers différents. Parfois, c'était en raison de mon sale caractère ou de ma mauvaise conduite envers d'autres enfants, et si vous voulez mon avis, c'est une étape obligée pour acquérir un minimum de respect ; mais c'était principalement dû à mes innombrables fugues… Il y a bien longtemps que je ne les compte plus. D'après moi, elles étaient à chaque fois justifiées. Quelques-unes sont très ironiques d'ailleurs.

Je profite encore un peu de cet instant, couchée dans l'herbe en comptant consciencieusement jusqu'à cinq dans ma tête.

En passant de famille d'accueil en famille d'accueil, on apprend plusieurs trucs pour survivre dans ce milieu hostile. La principale règle est de se faire respecter quand d'autres cherchent les embrouilles. Dans ce foyer, je n'ai pas encore eu l'occasion d'exercer ce précepte qui m'est indispensable. Enfin… jusqu'à aujourd'hui.

Arrivée à la cinquième seconde, un cri s'élève à en terrifier tous les oiseaux qui battent en retraite. Pas pour me faire peur cette fois-ci. C'est un cri d'horreur, un cri à en réveiller les morts. Quelqu'un aurait-il oublié d'enlever les araignées dans le tiroir du petit Benjamin ?

Oups !

J'ouvre les yeux, un sourire satisfait plaqué sur mon visage. Je ne suis pas sadique. Non, loin de moi cet état d'esprit. Cela fait deux mois que je lui laisse la possibilité d'être plus gentil avec moi et la petite fille qui partage notre chambre, mais il a voulu se montrer coriace. C'est son droit, mais qu'il ne vienne pas se plaindre ensuite.

Ces petits insectes le terrorisent, jusqu'à dans ses cauchemars les plus effrayants. Je ne sais pas ce qu'il trouve le plus effroyable chez les araignées : leurs longues pattes poilues ou bien leurs morsures. Peut-être les deux.

Je présume qu'il est dans notre chambre devant le tiroir qui contient le pistolet à eau, qui m'était, sans aucun doute, destiné. Il a dû faire la connaissance de ses nouvelles colocataires aux longues pattes qui m'ont évité le fâcheux destin d'être trempée.

Je ricane en l'entendant hurler dans toute la maison.

— Esmeraldaaa ! !

Eh bien ! Ce n'est pas trop tôt !

Pour la première fois, il a prononcé mon nom correctement. C'est une victoire. Je crois que ce gosse et moi allons devenir de vrais amis. Voilà le début d'une grande amitié.

Je finis par me lever en secouant les herbes qui se sont accrochées à mon pantalon, puis me dirige vers le petit portillon. Les adultes de cette maison ne sont pas là, alors je peux me permettre de faire un tour. La nounou est tellement occupée à surveiller Benjamin en quête de nouvelles bêtises, qu'elle ne s'apercevra même pas de mon absence.

Cette famille est assez aisée et la maison se trouve dans un beau quartier de Boston près d'un parc plutôt sympathique. Malheureusement, elle n'est pas assez riche pour qu'on ait chacun notre chambre. Malgré ce que l'on peut penser, on ne s'habitue jamais à partager sa chambre avec un petit monstre.

Je marche en direction de la ville pendant une dizaine de minutes, observant la plupart des passants plongés dans leur téléphone. Ils n'ont pas vraiment l'air de prêter attention à cette magnifique journée qui doit probablement leur paraître banale. Ils ne savent pas profiter de l'instant présent. C'est bien dommage, car on n’a qu'une seule vie et elle est si précieuse qu'elle ne devrait pas être gâchée par une routine infinie.

En levant la tête, je distingue le haut des grands immeubles qui m'entourent et qui entachent le ciel bleu. Tout est immense ici, sans parler des hot dogs. J'ai eu l'occasion d'en manger un, lors d'une promenade. C'était mon premier hot dog de Boston. Et il était incroyablement succulent.

Je longe un bâtiment et tourne tout de suite à droite dans une ruelle plus étroite. Elle est sale et, malgré les rayons du soleil éblouissant présents dans la grande rue, j'y trouve une certaine fraîcheur, comme s'il n'y avait jamais eu le moindre faisceau lumineux dans cette partie de la ville. Je continue à marcher vers le fond de la rue avant d'arriver devant un mur signant la fin de ma progression. Sur le mur qui lui est perpendiculaire se trouve une porte sur laquelle je frappe trois bons coups. Rapidement, une personne vient m'ouvrir. C'est un homme d'une trentaine d'années, cheveux châtains, yeux couleur noisette. Ses épaules sont larges, son torse musclé et il porte un tablier blanc.

— Je suppose que c'est par ici qu'entrent les clients, dis-je sur un ton ironique.

— Et ce n'est qu'un avant goût de la cuisine. Ils devraient sérieusement envisager d'y faire un grand ménage de printemps. Je rigole à la remarque de Clark qui n'est absolument pas exagérée. J'ai fait sa connaissance il y a environ trois semaines dans cette même ruelle, alors que j'explorais les lieux et il m'avait fait visiter le restaurant dans lequel il est employé.

— Il a décidé ? demandè-je.

J'ai profité de l'occasion pour savoir si son supérieur recrutait des serveuses ou autres. Étant donné que j'ai dix-huit ans dans deux mois, je dois trouver un moyen de gagner de l'argent rapidement si je veux quitter cette maison le plus vite possible. J'ai déjà demandé à son patron s'il pouvait m'embaucher en secret pour que mes tuteurs ne l'apprennent pas et ne me forcent ainsi à arrêter. Selon eux, il faut que je me concentre sur mes études, même si je cherche à travailler uniquement après les cours, ce qu'ils n'ont apparemment pas compris. La réponse de Manny – le patron – avait été tout à fait claire. Il ne voulait pas avoir à payer une gamine et pourtant il aurait bien besoin d'une serveuse en plus, car leur service en salle égalait la lenteur d'un escargot. Il me fallait absolument ce job, alors j’ai… négocié avec lui pour trouver un arrangement. Je lui ai dit que s'il me prenait en tant que serveuse, l'inspection sanitaire ne recevrait pas de coup de fil accidentel. Je sais, ce n'est pas très légal, mais je n'avais pas le choix. Le bluff me réussit plutôt bien, car il a finalement opté pour un « je vais réfléchir », alors qu'il était certain de sa décision au départ. Néanmoins, je l'ai vu grincer des dents à plusieurs reprises.

— Viens, entre, je te conduis à lui.

Je lui emboîte le pas et entre dans la cuisine. Cet endroit n'a pas changé depuis ma dernière visite, il est toujours aussi sale. Dans les locaux occupés par le personnel, le sol est recouvert d'une couche de poussière noire ainsi que d'autres substances dont je ne veux pas connaître la provenance.

— Ils ne connaissent pas le balai, ou quoi ?

Je n'ose même pas jeter un coup d'œil à l'espace de stockage de la nourriture, mais la manière dont les cuisiniers l'utilisent me donne raison. J'ai envie de vomir lorsque je vois un homme ramasser des fruits tombés par terre, les rincer d'un coup rapide sous l'eau avant de les ajouter au plat. Ces fruits ne valent même pas la peine d'être jetés, ils méritent d'être désintégrés !

Si je ne tenais pas autant à ce job, je les aurais dénoncés dès la première visite, mais cela aurait mis Clark au chômage. Lui, qui est si gentil en m'accordant son aide pour décrocher ce job, il ne mérite pas ça.

Après avoir traversé le pire endroit qui puisse exister sur cette terre, on continue jusqu'à un escalier logé dans un couloir étroit, qui donne sur une nouvelle porte.

— Tu peux entrer, il est à l'intérieur, me dit Clark.

Sa voix se fait imposante et protectrice à la fois. En plus, son beau sourire me détend.

— Merci.

— Bonne chance.

J'en aurai bien besoin, quelle que soit sa décision. Je lui adresse un signe de tête en guise de remerciement, avant de frapper à la porte. Une voix m'intime d'entrer et je pousse doucement la porte qui grince lourdement sous mes mains. Une épaisse fumée grise engloutit immédiatement mon visage. Je toussote à plusieurs reprises à cause du nuage toxique qui inonde mes poumons. La pièce est sombre mais je parviens à distinguer Manny, assis derrière son bureau, une faible lumière essayant tant bien que mal de pénétrer par la fenêtre.

— Tu es toujours décidée à travailler ici ?

Un « non » inévitable s'acharne à vouloir franchir la barrière de mes lèvres, mais je me ressaisis illico presto sans trop m'éterniser.

— Oui, à cent pour cent.

Je l'aperçois, cigare à la bouche, crachotant sa fumée, ce qui ne fait qu'assombrir un peu plus la pièce. Sa corpulence, disons, généreuse fait qu'il occupe entièrement le large fauteuil dans lequel il est affalé.

— Bon, dans ce cas, tu es engagée comme serveuse chez Manny's. Mais tu n'as pas intérêt à dénoncer le restaurant par la suite !

Je suis plutôt satisfaite de moi et de ma ruse, mais ne lui en montre rien.

— Je n'ai qu'une parole.

— Parfait. Tu commences à partir de demain, après la fin de tes cours. Mais attention, je ne veux pas de retard, sinon c'est la porte !

La porte ? L'inspection sanitaire viendra jeter un coup d'œil dans ce cas. Je le laisse croire que c'est lui qui a les cartes en mains, pour qu'il ait un semblant d'autorité, mais c'est moi qui mène le jeu.

— C'est noté. À demain.

Aussitôt dit, je me dirige rapidement vers la sortie à deux doigts de l'asphyxie. Une fois la porte passée, j'inspire de grandes bouffées d'air frais qui ravivent mes poumons. Inspire, expire. Inspire, expire…

— Tu tiens le coup ?

La voix de Clark, qui se tient derrière moi, me surprend alors que je suis encore sur le seuil de la porte.

— Décidément, ce restaurant est vraiment le pire endroit sur terre.

Je n'ai jamais vu un lieu aussi insalubre que celui-là. Même un inspecteur aveugle le ferait fermer d'urgence s'il ne faisait pas de crise cardiaque avant la fin de l'inspection. Et il ferait évacuer les habitants sur au moins dix pâtés de maisons.

— Il y a toujours pire que chez soi.

J'allais répliquer avant de voir le regard de Clark rivé sur un point au sol, pensif. J'arrive à déceler de l'inquiétude et de la tristesse. Je me demande s'il a dit ça par rapport à un évènement qu'il a pu vivre, mais avant que je n’aie le temps de me poser plus questions, il reprend son air détendu et sourit de toutes ses dents.

— Encore heureux qu'il n'y ait pas de souris.

— Ah bon, parce qu'il n'y en a pas ? Pourtant, j'aurais parié le contraire.

Ce ne serait pas étonnant vu l'état des lieux. Il ne manquerait plus que de belles crottes dans les assiettes des clients à la place du chocolat.

— Avec les chats, ça fait un moment qu'il n'y en a plus une qui traîne !

Les chats ! Et encore un point en moins pour la propreté. Cela dit, il y avait donc bien eu des souris. De mieux en mieux.

— Je suis complètement rassurée alors.

On rigole tous les deux un petit moment avant qu'il ne m'adresse un salut que je lui renvoie. On se connaît depuis seulement trois semaines mais j'ai l'impression de le connaître depuis toujours. Il est vraiment très sympathique pour un adulte, pas comme les tuteurs qui ne se préoccupent que de leur nombril. J'ai l'impression que Clark me comprend comme personne… enfin, comme presque personne ne l'a jamais fait. Je le considère comme le frère que je n'ai jamais eu. Il est peut-être trop tôt pour affirmer une telle chose, pourtant je ne suis pas du genre à prononcer des paroles en l'air, mais je sens qu'on a quelque chose en commun. À part, bien sûr, le fait de travailler tous les deux chez Manny' s. Cela vient peut-être de sa gentillesse qui n'égale celle de personne.

Je ne m'attarde pas plus sur le sujet et prends le chemin du retour vers la maison de mes tuteurs. Je marche, sourire aux lèvres, percevant un début d'espoir pour cette nouvelle vie qui m'attend. J'aperçois un oiseau prendre son envol avec tant de grâce et d'allure que je ne peux m'empêcher de le comparer à ma liberté, celle dont j'ai toujours rêvé et que j'obtiendrai très prochainement. Je traverse au niveau du passage piéton et rejoins le trottoir d'en face.

L'immeuble me fait beaucoup trop d'ombre alors que je préfère sentir les rayons du soleil sur mon visage. Je me dépêche d'arriver au trottoir suivant – qui est ensoleillé – pour profiter de cette chaleur revigorante. De l'autre côté se trouve un homme bien bâti, habillé d'un costard et d'une cravate noirs mais je ne peux pas apercevoir son visage à cause de ses lunettes de soleil. Il est tourné face à moi, immobile. Avec ses lunettes qui lui cachent les yeux, je n'arrive pas à déterminer si c'est moi qu'il regarde où s'il fixe simplement le vide. J'attends quelques secondes, mais rien n'y fait. Je me tourne alors vers le passage piéton à ma droite et patiente avant que le feu ne passe au rouge. Inquiète, je regarde l'homme par-dessus mon épaule, espérant qu'il s'en est allé.

Cependant, je constate qu'il n'a pas bougé d'un centimètre. Je reporte mon attention sur la route en attendant avec impatience que le feu passe enfin au rouge pour les voitures. Lorsque c'est le cas, avant que je ne m'avance, j'aperçois en face de moi, de l'autre côté de la rue, un autre homme, pareillement vêtu, qui me fixe sans bouger. Je frémis de peur. Je ne sais plus par où passer, si ce n'est rebrousser chemin. En constatant qu'aucun des deux hommes ne bouge, je me vois dans l'obligation de faire demi-tour. Je reviens sur mes pas et je soupire de soulagement quand je vois que personne n'essaie de me barrer la route. Mais, après quelques secondes, j'accélère le pas en remarquant les deux hommes se rapprocher de moi. C'est bon, là, j'en suis sûre. C'est moi qu'ils fixaient. Mon cœur accélère à la même allure que mes jambes, qui, si je ne les retenais pas, se seraient déjà enfuies sans moi.

Je suis arrivée au niveau d'un passage piéton et m'apprête à traverser quand, soudain, une voiture noire avec les vitres teintées arrive à toute vitesse et s'arrête juste devant moi. Je sursaute, ce qui me fait reculer de plusieurs pas, mais je suis stoppée quand ma tête heurte quelque chose de dur. J'ai peur de savoir ce qui se trouve derrière moi et pourtant je me retourne aussitôt pour en avoir le cœur net. Les deux bonshommes drôlement bien sapés se tiennent juste derrière moi. Je ne comprends plus rien.

Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? Où est la caméra ? !

Cette blague commence réellement à me faire peur et je panique franchement lorsque la porte de la voiture s'ouvre et que ces deux cow-boys des temps modernes me forcent à entrer. Je n'ai pas le temps de réaliser la situation que je me retrouve assise à l'intérieur de la berline sans la moindre explication. En me détournant de la vitre, je remarque la personne à côté de moi et je n'en reviens pas. Ce n'est pas possible.

— On ne t'a jamais appris à ne pas monter dans la voiture d'un inconnu ?

Je regarde la femme assise à côté de moi avec une telle incompréhension que j'oublie absolument tout le reste. Ce n'est pas une inconnue.

— Madame Williams ?

CHAPITRE 2

Je connais cette femme. Je la connais depuis que je suis toute petite, mais je suis choquée de la voir resurgir après sept ans d'absence. Je m'attarde un instant sur la pensée de tout ce temps passé… À cinquante ans, les quelques rides qui sont apparues sur son visage se font vite oublier par sa bonne humeur et son ironie sarcastique. Même si elle est la source d'une partie de mes malheurs, j'ai toujours espéré la revoir. Cependant, la directrice de mon ancien orphelinat ne se déplaçait jamais sans une bonne raison. Il y avait toujours anguille sous roche avec elle.

— Que faites-vous là ?

Ma méfiance lui fait comprendre que je ne suis pas dupe. Et puis, je ne me souviens pas l'avoir vue entourée de ces trois hommes robustes durant mon enfance. Deux sont devant nous, sur la banquette, alors que le troisième conduit le véhicule. Ils me font penser à des gardes du corps. Mais pourquoi avoir besoin de ces hommes ? Pour la protéger ? La question que je me pose c'est de quoi ?

— Comment vas-tu, Esmeralda ? Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vues.

— Je n'y suis pour rien. Ce n'est pas de ma faute si j'ai été placée en famille d'accueil.

Ma voix est neutre, posée, alors qu'intérieurement je brûle de colère et ne demande qu'à exploser. Même si je sais que c'est mal, je veux la faire culpabiliser ne serait-ce qu'un peu pour ces sept ans de solitude. Avant de connaître la vie en famille d'accueil, l'orphelinat de Portland était ma seule véritable famille et j'en garde de merveilleux souvenirs. Mais elle m'a privée de ce bonheur.

— Je sais ce que tu peux ressentir, mais j'ai fait ça uniquement dans ton intérêt.

— Ah bon ? ! Parce que m'éloigner de mes amis, de ma famille, c'était dans mon intérêt ? Parmi tous les enfants de l'orphelinat, j'ai été la seule à être placée en foyer ! Alors non, vous ne savez pas ce que je peux ressentir.

Son visage exprime une tristesse que je n'ai jamais vue sur son visage auparavant.

— Je regrette tellement, mais je n'avais pas le choix.

Même si je lui en veux énormément de m'avoir abandonnée dans cette jungle, livrée à moi-même à seulement dix ans, la tristesse qui se lit dans ses yeux déteint sur moi. Elle a l'air tellement sincère et désolée que je ne peux qu'imaginer le regret qu'elle éprouve. Cependant, il y a une chose que je ne comprends pas.

— Comment ça, vous n'aviez pas le choix ?

Elle me lance un sourire contrit et je sais qu'elle cache quelque chose derrière cette faible façade.

— Un jour, tu le découvriras. Tu comprendras que dans la vie, on n’agit pas seulement en suivant nos propres désirs.

Plus elle essaie de m'expliquer, plus mon incompréhension s'accroît. Alors que j'allais la questionner, je la vis sortir une boîte marron de petite taille. Elle me paraît familière. Je crois l'avoir déjà vue, mais cela remonte à trop longtemps pour que je me rappelle où. Madame Williams la pose entre nous deux et la scrute avec chagrin. Perturbée, mon regard passe, successivement, de la boîte à la directrice durant plusieurs secondes.

— Qu'est-ce que c'est ? finis-je par demander.

— Elle… elle appartenait à Laïa.

Oh, mon dieu. Ce nom ! Je suis paralysée, je ne peux plus bouger. Mon cœur accélère dangereusement alors que je sens les larmes me monter aux yeux. Je fais un effort surhumain pour les retenir tandis que son prénom résonne dans ma tête. Cela fait tellement longtemps que je ne l'ai plus entendu. Qu'il resurgisse maintenant me provoque un terrible choc émotionnel.

— C'est…c'était la… sienne ?

Je remarque que la souffrance de la directrice à l'air aussi profonde que la mienne.

— C'étaient ses seules affaires… Je les ai retrouvées dans le grenier. Alors j'ai pensé… que tu voudrais les avoir.

Mes mains tremblent. La douleur est toujours présente comme si ce qui s'était passé datait d'hier.

— Ça fait sept ans… Sept ans qu'elle est morte.

Je n'aurais pas dû prononcer ce mot, les larmes se déversent librement sur mes joues désormais, et la volonté que je mobilise pour tenter de les arrêter ne fait que les accroître.

— Je suis désolée. Ça a été très dur pour nous tous.

Je repense aux enfants, mes anciens amis qui m'ont été arrachés. Eux aussi ont dû terriblement souffrir. Elle est morte deux mois après que je fus placée en famille d'accueil. Après sa disparition, j'étais retournée les voir – encore une fois, en fuguant. Ils m'avaient tous sauté dans les bras. C'est vrai, je leur avais manqué tout comme eux m'avaient manqué, mais ils savaient aussi que Laïa et moi étions de véritables meilleures amies. Il suffisait que je commence une phrase pour qu'elle la termine. Si l'une n'allait pas bien cela se ressentait sur l'autre. Et depuis, la cicatrice que je garde dans mon cœur ne s'est jamais refermée. Nous étions liées d'une amitié indéfinissable.

Je me souviens qu'en ce dernier jour funeste, j'avais reçu l'appel d'un ami. À ce jour, je ne sais pas ce qu'il est devenu, pourtant il était mon protecteur. Quand j'étais petite, je ne savais pas encore comment me défendre face à certaines provocations. Étant mon aîné de deux ans, il trouvait toujours un moyen de remettre les petits filous à leur place. Quand l'un d'eux m'embêtait, il venait toujours me défendre. Aujourd'hui, je dois le faire seule en appliquant les conseils qu'il me donnait. Sans lui, je ne serais pas celle que je suis aujourd'hui. Je lui dois beaucoup.

— Et Logan, vous avez des nouvelles de lui ? Demandé-je en essuyant les larmes de mes joues.

— Il est parti de l'orphelinat il y a deux ans et depuis ce jour, il n'a donné aucun signe de vie.

J'acquiesce peinée, songeant qu'il m'a peut-être oubliée après tout ce temps. Je ne peux pas lui en vouloir après tout ce qu'il a fait pour moi, mais j'aurais aimé le voir une dernière fois, juste pour me rappeler ce que ça fait de ne pas se sentir seule.

Je me ressaisis et prends la boîte sur mes genoux. J'inspire un grand coup, redoutant ce qu'il se trouve à l'intérieur. En soulevant le couvercle, je constate qu'elle est remplie de photos. Je pousse un juron de surprise en en apercevant une de Laïa. Sur celle-ci, elle devait avoir cinq ans, c'était lors de la photo de classe. Le regard appuyé de la directrice est posé sur moi, je peux le sentir. Ma meilleure amie avait une belle chevelure brune qui encadrait son visage et soulignait ses yeux verts, vifs et éblouissants. Sa présence me manque tellement.

Je décide de passer au cliché suivant pour ne pas renouer avec mon chagrin. Sur celui-ci, je me trouve à côté d'elle. On sourit de toutes nos dents, le bras sur l'épaule de l'autre. La différence est flagrante : contrairement à elle, j'ai les cheveux châtains et les yeux bleus. Mais sur cette photo, notre longue chevelure qui tombe sur nos épaules accolées, se confond pour ne former qu'une unique couleur.

Repenser au passé me fait beaucoup trop mal. Je refuse de sombrer dans le chagrin, je sais que cela ne me ressemble pas. Alors, je referme délicatement le couvercle, après avoir rangé les photos, puis me tourne vers Madame Williams. Elle se prénomme Charlotte, mais petits, nous avions pour habitude de l'appeler par son nom et depuis, c'est resté.

Je perçois dans son regard un certain soulagement. Peut-être se sent-elle moins coupable après m'avoir restitué les biens de Laïa. Après tout, elle est la seule à connaître mon terrible secret.

— Tu m'as beaucoup manqué, Esmeralda, malgré ce que tu peux penser.

Elle est sincère, je peux le déceler dans son regard. Je constate aussi qu'elle regrette vraiment le passé. En pleine analyse, je me rappelle d'une chose qui me perturbe et à propos de laquelle je n'ai pas encore posé de question, alors que celle-ci aurait dû franchir la barrière de mes lèvres en premier lieu.

— Pourquoi m'avoir fait monter dans cette voiture avec des gardes du corps uniquement pour me remettre cette boîte ?

Pourquoi ne pas venir à mon foyer ?

Ma question ne semble pas la surprendre un seul instant. Elle est plutôt admirative face à ma logique.

— Je voulais te voir une dernière fois.

Cette simple phrase ne m'inspire rien de bon. Comme pour confirmer ma pensée, avant que je n'aie le temps de répliquer, j'aperçois deux 4x4 du même genre que le nôtre se positionner devant et derrière nous. J'ai la désagréable impression d'être au milieu d'un cortège. Charlotte ne prend même pas la peine de suivre mon regard pour observer ce qui me préoccupe. Elle garde les yeux rivés sur moi.

— Pourquoi une dernière fois ? Qu'est-ce qui se passe ?

Son air grave et désolé provoque en moi un frisson glacial. La frayeur d'être une nouvelle fois abandonnée me donne des vertiges.

— Esmeralda, est-ce que ça va ?

Sur le point de m'évanouir, je finis par croiser son regard alors que je sais exactement ce dont elle veut parler.

— Oui, oui, ça va. Vous n'avez pas à vous inquiéter pour moi, mais je veux savoir ce qui se passe.

Elle jette un coup d'œil à la route et je constate au même moment que je suis sur le chemin du retour vers mon foyer.

— Esmeralda, un jour tu comprendras. Je te le promets, mais en attendant tu ne dois faire confiance à personne !

— Mais, pourquoi ? Dites-moi ce qu'il se passe !

Ma voix se fait suppliante.

— Si un inconnu t'aborde en te disant de le suivre pour ta sécurité, ne le crois sous aucun prétexte et enfuis-toi le plus loin possible !

Je rêve ou elle vient de m'accorder le feu vert pour faire une fugue ? Je n'ai jamais entendu des paroles aussi insensées sortir de la bouche d'un adulte, et encore moins de la sienne. Néanmoins, si elle me prévient de cette situation, c'est qu'il y a un risque que cela se produise.

— Je veux que tu me promettes de faire attention.

— Mais pourquoi ? Qui sont ces personnes dont je dois me méfier ?

— Esmeralda, promets-le-moi !

Son ton sérieux et autoritaire refait surface, il me rappelle les fois où elle grondait un enfant de l'orphelinat parce qu'il en avait frappé un autre. Je remarque qu'elle n'a pas changé, mais, en revanche, moi si.

— Non. Pas tant que vous ne m'aurez pas dit qui sont ces gens.

Elle grogne en s'enfonçant dans son siège.

— Tu es têtue comme une mule. Tu le sauras en temps et en heure. Je ne peux rien te divulguer. Mais… ces gens sont très dangereux. Promets-moi qu'en aucun cas tu ne leur feras confiance.

Elle y tient à cette promesse.

Ces mystères hantent désormais mes pensées. J'ai l'étrange impression que ces avertissements ne sont que le début et, l'air grave avec lequel elle m'observe, me confirme qu'elle cache autre chose d'encore plus lourd. Elle persiste à me faire cracher les quelques mots qui feront l'office d'une promesse qui, apparemment, lui tient particulièrement à cœur. Comme je n'ai aucune raison de ne pas la croire, je n'ai aucun intérêt à lui refuser.

— Je vous le promets.

La voiture s'arrête, toujours encadrée des deux autres. Je balade mon regard sur le paysage et je constate que l'on est déjà arrivés. Dommage qu'entre-temps, il n'y ait pas eu une météorite qui se soit écrasée sur la maison.

Je descends du véhicule avec la sensation que mon « au revoir » prend une tournure d'adieu. Comme je sais qu'elle ne répondra plus à mes questions, je préfère ne rien dire et rentrer à la maison la tête lourde d'interrogations.

CHAPITRE 3

Autour de moi les derniers oiseaux chantent. J'assiste au coucher de soleil qui projette des lueurs orangées sur la terrasse, en profitant des derniers rayons qui viennent se poser sur mon visage. Assise sur la balancelle, je contemple la boîte posée sur mes genoux. J'essaie de m'imaginer Laïa la prendre dans ses mains et de me souvenir de sa présence chaleureuse. Les émotions se font moins violentes, alors je décide de l'ouvrir. Ça fait un bon paquet de photographies. Je retire les deux premières que j'ai vues tout à l'heure et les pose à côté de moi, pour découvrir d'autres souvenirs. Le premier est une photo de groupe avec nos amis. Tous ne sont pas présents sur la photo ; il y avait aussi des plus petits que moi, mais sur celle-ci nous sommes seulement cinq. Ces cinq personnes, en particulier, composaient en grande partie ma famille. Il y a Laïa, Logan, moi, ainsi qu'une fille blonde et un garçon châtain, avec le même regard noisette. Je les aimais beaucoup eux aussi. Nous traînions toujours ensemble, nous ne nous séparions jamais. Nous étions unis par un lien unique et fort, que je pensais, à l'époque, indestructible. Mais apparemment pas si indestructible que ça…

Je range ce cliché dans ma poche et passe aux suivants. Tous pour la majorité sont des photos d'autres élèves de l'orphelinat, sur lesquelles, parfois nous faisons une apparition avec Laïa. Les images défilent en même temps que mes souvenirs qui refont doucement surface. J'arrive finalement au fond de la boîte, il n'y a plus de photos. Malgré la tristesse et la mélancolie, je trouve un certain réconfort à avoir tous ces clichés qui me rappellent de très belles années.

Je farfouille dans la boîte, longeant les contours à tâtons, du bout des doigts, pour être sûre de n'avoir rien manqué. Il faut croire que mon intuition était bonne puisque je tombe sur un tout petit morceau de papier froissé. Je le prends et le déplie délicatement pour découvrir une série de chiffres qui se succèdent. Je crois que c'est un numéro de téléphone, que je ne reconnais pas. Cependant un détail m'intrigue, le papier ne semble pas si vieux que ça. Je ne réfléchis pas plus longtemps, le remets dans la boîte sans me poser plus de questions, et le recouvre des autres photos. Je referme le couvercle en soupirant. La vie que je mène est tranquille certes, mais elle ne vaut pas la peine d'être vécue si elle manque d'amour. C'est ce que je cherche depuis sept ans, en vain. J'ai fini par me convaincre que je ne le trouverais jamais et que je n'honorerais pas la promesse que j'ai faite à Laïa. Lorsque je quitterai ce foyer, je devrai voler de mes propres ailes, avec une petite somme d'argent pour débuter. La vie n'est vraiment pas drôle quand on ne peut pas compter sur sa famille. J'ai été abandonnée à tout juste un an devant les portes de l'orphelinat. Je n'ai aucun souvenir de mes parents biologiques, et pour être sincère, je ne sais pas si je voudrais en avoir, ou savoir pourquoi ils m'ont laissée. S'ils m'ont abandonnée c'est qu'ils ne désiraient pas d'enfants. Alors à quoi cela servirait que je les cherche s'ils ne veulent pas de moi ? Non. Je débute ma nouvelle vie dans deux mois et je vais tout faire pour m'en sortir et ne pas ressasser le passé.

J'entends un rire derrière moi. Avant que je n'aie pu voir de qui il s'agit, Benjamin fait irruption avec son pistolet et m'asperge d'eau. J'essaye d'éviter les nombreux tirs mais je suis coincée sur la terrasse. Mes vêtements ne sont pas épargnés et je finis trempée comme une soupe.

— Espèce de morveux ! je crie en rigolant.

— Tu l'as bien mérité !

J'aurais dû remplir son pistolet d'araignées. De cette manière, il ne l'aurait jamais approché et par la même occasion j'aurais évité la noyade. J'aurais fait une pierre, deux coups comme on dit.

Le sourire sur mes lèvres s'estompe subitement. Alors que Benjamin continue à me pulvériser avec son pistolet, je suis incapable de bouger. Je ne peux esquisser un mouvement. Ma vision se trouble et je suis prise de violents vertiges.

Oh, non ! Ça recommence.

Benjamin a cessé toute tentative d'agression en voyant que quelque chose n'allait pas. Je titube de gauche à droite en tentant de gagner la salle de bain. Je passe dans le salon en prenant appui comme je peux contre les murs alors que ma vue commence à devenir complètement noire. Benjamin me suit de très près affichant une mine inquiète. Cette situation me donne envie d'éclater de rire. Le petit monstre a peur pour moi.

Comme c'est touchant.

Je parviens enfin à rejoindre la salle de bain et plus particulièrement les WC, où je vomis tout mon repas de midi. Je suis à bout de forces, je ne tiens plus debout. La mort va certainement m'emporter aujourd'hui. Je me glisse contre le mur, m'assois et ferme les yeux. J'ai hâte de partir de ce monde cruel. Je serai libérée de toute contrainte. Ma tête tombe sur mes épaules et je me sens partir.

— Esmeralda ?

Une voix familière me ramène à la dure réalité. J'ouvre un œil et je constate que je suis toujours vivante. Dommage. Bon d'accord, je crois que j'ai un peu exagéré la situation. Visiblement je ne mourrai pas aujourd'hui.

Je lève les yeux et aperçois une petite fille de sept ans. C'est Lili, la fille avec qui nous partageons notre chambre. Elle a l'air effrayé tout comme son frère juste à côté. J'ai tellement envie de rire, mais les nausées réapparaissent. On dit que rire prolonge la vie. C'est peut-être le cas pour les autres, mais pas pour moi. Je n'ai pas cette chance. Immobile, j'ancre mon regard dans le mur qui me fait face, en me rappelant les paroles du médecin qui s'adressait à Madame Williams. À l'âge de cinq ans il m'a été diagnostiqué une maladie pas vraiment… comme les autres. Une maladie sournoise et qui, malheureusement, est fatale. La maladie, qui envahit chaque parcelle de mon corps, est la même qui a tué Laïa. On la nomme la Pérafine. Elle n'est pas encore reconnue comme une véritable maladie, car dans le monde nous ne sommes qu'une petite poignée d'hommes et de femmes à en être atteints. Et j'en fais malheureusement partie. Mais le pire dans tout ça, c'est qu'il n'y a aucun traitement. Eh oui , cette maladie minable est incurable. Et comme si cela ne suffisait pas, mon espérance de vie ne dépasse pas les trente ans. On ne peut pas dire que j'ai été gâtée par la nature.

Au lycée, lorsque j'entends les élèves se plaindre de ce qu'ils n'ont pas eu à Noël ou lorsque je les vois passer leurs journées sur leur téléphone, j'ai envie de les secouer pour qu'ils se rendent compte de tout ce qu'ils ratent autour d'eux. Ils n'imaginent pas un instant la chance qu'ils ont. À partir du moment où ils ont une famille qui les aime et qui se soucie d'eux, ils ont tout gagné. Je ne peux pas en dire autant.

— Qu'est-ce que tu as ?

Lili est vraiment affolée, mais il ne faut pas. J'ai l'habitude de ce genre de crise. C'est juste que ces temps-ci, elles sont plus fréquentes ; en revanche, j'ignore pourquoi.

— Un méchant virus, dis-je avec les forces qu'il me reste.

— Tu mens.

Je scrute Benjamin, il n'y a aucune trace de malice sur son visage contrairement à d'habitude. Il essaie de cacher son inquiétude derrière son sérieux, tout sauf naturel. Mais je la perçois malgré tout. Non, je ne rêve pas Benjamin se fait du souci pour moi. C'est un petit pas pour l'homme, et un grand pas pour l'humanité. Ce jour restera gravé dans les mémoires à tout jamais ! Moi, Esmeralda Henderson, déclare que le monde est en train de changer !

Avec les forces qu'il me reste, je parviens difficilement à sourire face à ma réaction complètement décalée, vu mon état. Mais c'est plus fort que moi. J'ai peut-être jugé ce gamin trop vite, après tout.

Le sourire idiot qui s'étale sur mon visage ne le fait pas pour autant rire et il garde les bras croisés.

— Non, je ne mens pas.

Ma voix est semblable à celle que je pourrais avoir après quelques verres. Je dois vraiment faire pitié.

— J'appelle mes parents.

— Non ! Ne fais pas ça !

Ma voix se fait implorante, il ne faut surtout pas les prévenir : d'une part, parce qu'ils ne pourront rien y faire et d'autre part, parce qu'ils risquent de me faire changer de foyer de peur que leurs enfants n'attrapent ma maladie, alors que ce n'est pas quelque chose de contagieux. Mais je ne veux pas prendre le risque d'être virée de cette famille alors que je viens tout juste de trouver un travail. Et ça n'a pas été chose facile… alors hors de question de le perdre.

— Dis-nous ce que tu as, alors.

Je soupire de lassitude, alors que je sens mes forces me revenir progressivement. Je retire ce que j'ai dit, en fait ce gamin me tape toujours sur les nerfs.

— Je suis malade, ça paraît évident.

— Quoi comme maladie ?

— Une maladie qui n'est pas du genre à se guérir facilement.

Benjamin ne dit plus un mot. Étant plus âgé que sa sœur, je sais qu'il a compris ce que j'entendais par là. Je ne veux pas effrayer Lili, de nature sensible, plus qu'elle ne l'est déjà. Lui annoncer que je mourrai avant elle, lui provoquerait certainement un arrêt cardiaque.

— Écoutez, la vie est courte. C'est pour ça que vous devez en profiter un maximum sans vous préoccuper de l'avenir. Si vous avez des rêves, réalisez-les. Des peurs (mon regard passe sur Benjamin) affrontez-les. Ne pensez jamais qu'une chose vous est impossible. Si vous le voulez vraiment, vous pourrez tout accomplir.

Considérez ça comme les paroles d'une mourante.

Mais malgré tout ça, je vis comme une personne normale sans me soucier du lendemain.

Quelle belle hypocrite je fais. Je leur donne tous ces conseils, alors que moi-même je suis incapable de les suivre. Mais c'est peut-être dû au fait que je n'ai plus tellement de temps devant moi. Si je trouve un but maintenant, j'ai peur que le temps qu'il me reste ne soit pas suffisant.

Pour moi, il est trop tard mais pour eux, ce n'est que le début. Et je ne veux pas qu'ils fassent comme tous les autres : qu'ils gâchent leur vie.

Moi, je ne fais qu'attendre patiemment le jour fatidique.

La vie est un luxe que nous ne pouvons nous payer qu'une fois.

Alors la saisir c'est vivre.

CHAPITRE 4

La nuit a été affreuse ! J'ai dormi sur un des canapés, Benjamin et Lili ayant pris les deux restants. Si nous en sommes arrivés là, c'est uniquement par ma faute. Apparemment, les araignées dans notre chambre s'y sentent très bien et ne sont pas décidées à aller nicher ailleurs. Ok, j'ai peut-être fait une erreur de calcul et je le regrette car désormais elle se répercute injustement sur moi. Je ne sais pas ce qui a été le pire : les ronflements incessants de Benjamin ou les courbatures dues à une position plus qu'inconfortable. En ce qui concerne le garnement, même avec un coussin sur la tête, je l'entendais. La prochaine fois que je veux faire une blague pareille, j'y réfléchirai à deux fois, car maintenant je dois me rendre au lycée et je suis claquée.

Je mange mes deux tartines à la confiture de cerises, qui comme tous les matins, sont délicieuses, puis je finis de me préparer.

Je ne prends pas de veste car les températures de ces derniers jours, assez chaudes, ne m'y obligent pas. J'attrape mon sac et sors de la maison. Je marche jusqu'au portillon qui donne sur la rue, en contemplant le merveilleux paysage qui s'étend devant moi. Mon regard passe sur un groupe de garçons de treize ans de l'autre côté du trottoir, quand j'aperçois Benjamin parmi eux. Les trois garçons n'ont pas l'air très agréable et Ben essaie de se faire tout petit. Il a des ennuis, c'est évident. Mais après tout ce ne sont pas mes affaires. Je me détourne et reprends mon chemin vers le lycée. Je ne fais que quelques pas avant de m'arrêter, frappée par la culpabilité. Benjamin aurait pu se débarrasser de moi la veille en avertissant ses parents, mais il ne l'a pas fait. Je lui dois une faveur.

Je décide de faire demi-tour et me dirige vers eux alors qu'un des garçons semble très en colère. En écoutant plus attentivement, je me rends compte que Ben se fait racketter. Je suis prise d'un terrible élan de rage qui me surprend moi-même. Je ne peux pas laisser passer ça. J'ai toujours détesté que certains se fassent dominer par soi-disant plus fort qu'eux. À chaque fois que j'ai assisté à ce genre de scène je n'ai pas pu m'empêcher d'intervenir. J'ai enfin trouvé des adversaires qui me correspondent. Et je m'en réjouis d'avance. Mais je ne pense pas que la manière forte soit la plus adaptée.

— Ben ? dis-je d'une voix douce.

Il se retourne à peine, voulant cacher sa peur. Les trois autres garçons me dévisagent d'un air narquois.

— Salut ma jolie. Ce crétin est ton frère ?

Je ne tiens plus en place. Ma jolie ! ! Non mais je rêve ! Pour qui il se prend ce minus ? ! Le pauvre, il ne sait pas sur qui il est tombé.

Personne n'a le droit de traiter Benjamin de crétin, à part moi.

— Crétin ? dis-je d'une voix maîtrisée, un rictus sur mes lèvres. Pourtant le seul crétin que je vois ici, c'est toi, tranchè-je.

Les deux garçons qui accompagnent ce gugusse étouffent rapidement leur rire en croisant le regard menaçant de leur chef. Benjamin lève les yeux vers moi, visiblement surpris que je ne me range pas de leur côté. Il ne s'attendait certainement pas à ce que je le défende après tout ce qu'il m'a fait subir.

— C'est très drôle, dit le minus sans montrer une once de conviction. Alors maintenant Ben a besoin d'une fille pour ne pas se faire frapper.

— Ah mais je ne vous empêche pas de le cogner.

Benjamin me regarde avec des yeux ronds, horrifiés. Alors que le minus, lui, a l'air d'avoir retrouvé son sourire narquois.

— Mais si j'étais vous, j'éviterais de le frapper au visage.

— Pourquoi ?

L'expression choquée que j'affiche semble les déstabiliser.

Même Ben.

— Comment, vous n'êtes pas au courant ? Non mais j'hallucine !

— Quoi qu'est-ce qu'il y a ? rétorque-t-il avec impatience.

Je secoue la tête, désespérée.

— Son père est un ami de longue date du président. Ils se connaissent depuis qu'ils sont enfants. Alors si vous devez le frapper, faites-le, mais de manière… à ce que ça ne soit pas trop visible. Parce que sinon je n'ose même pas imaginer ce que son père fera pour retrouver les coupables. Il jouera certainement de ses relations qui s'étendent jusqu'à la CIA. Mais bon, moi j'dis ça, j'dis rien.

Les visages des trois garçons blêmissent instantanément. Et leur expression sournoise laisse vite place à une moue dubitative. Quoi de plus efficace pour faire peur à des gamins d’une dizaine d’années ?

— Bon… Euh… C'est bon pour cette fois-ci. Mais on se reverra. L'instant d'après, ils avaient déjà disparu au coin de la rue.

— C'est ça, dégagez bande de vautours, ajoutè-je dans un murmure.