La Légion de Saphir - Tome 3 - Brenda Marty - E-Book

La Légion de Saphir - Tome 3 E-Book

Brenda Marty

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Beschreibung

L’acharnement de Mortayant guettant dans l’ombre reste un mystère qui la tourmente. Quels secrets lui cache-t-il ? Sera-t-elle assez prête pour affronter la vérité ?
Esméralda se lancera dans un complot qui proclamera sa liberté ou signera sa déchéance.  

À PROPOS DE L'AUTEURE

Passionnée de Fantastique, Young Adult, Brenda Marty écrit son premier roman La Légion de Saphir qu’elle publie sur la plateforme Wattpad. Après avoir décroché le prix d’un Wattys elle l’édite à l'âge de 18 ans, sans jamais cesser de laisser libre cours à son imagination.

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LA LÉGION

DE

SAPHIR

Tome 3

Un grain d'imagination fleuri à l'insu du vent,

 fait éclore le fruit de votre génie

PROLOGUE

Ses mains entourèrent une tasse de thé fumant le doux arôme de la menthe. Gaëtan avait le regard perdu dans le vide, n’arrivant pas à chasser ces affreuses images. Des images qui lui revenaient inlassablement à l’esprit telles les vagues d’une mer agitée.

— Comment une telle chose a pu arriver ? murmura-t-il.

— Je n’arrive pas à croire ce qu’il s’est passé, lâcha Scarlett le visage vide d’émotion. Ça ne s’était encore jamais produit.

— En seulement quelques secondes, on a perdu le contrôle de la situation, déclara Clark assis autour de la table en bois. Ça n’aurait jamais dû se passer.

Une femme assise dans un fauteuil au milieu du salon les écoutait avec une attention toute particulière. Elle avait les yeux couleur cacao et quelques cheveux blancs parsemaient sa chevelure brune.

— Avez-vous vu le tireur ? demanda-t-elle. Savez-vous qui leur a fait ça ?

David secoua la tête. 

— Non. On n'a rien vu. Tout s’est passé si vite.

— Quand nous sommes arrivés sur les lieux, poursuivit Clark, une personne nous a tirés dessus avant de s’enfuir. Je n’ai pas eu le temps de voir son visage mais tout porte à croire qu’il s’agit de l’Illusionniste.

Leur intuition avait été inutile. Ils n’avaient rien vu venir. Ce bouleversement s’était produit sans signe avant-coureur.

— Votre nièce, Esmeralda, a disparu, expliqua Gaëtan. Elle s’était fait enlever par l’Illusionniste et on suppose qu’il s’est enfui en la faisant prisonnière.

Un sourire mélancolique traversa les lèvres de Madame Williams.

— Esmé…

Toute l’équipe avait pu trouver refuge dans sa demeure après le drame qui avait eu lieu. Le salon qu’ils occupaient actuellement était grand et spacieux. Le mobilier, lui plus ancien, conservait tout de même sa note de chaleur. De somptueux rideaux ornaient les fenêtres, par lesquelles s’invitait la douce clarté naissante du jour. Une clarté qui, malgré sa chaleur apaisante, sonnait faux au milieu de cette conversation.

— Nous ferons notre possible pour la retrouver, ne vous en faites pas, rassura David.

Elle émit un petit rire.

— Ce n’est pas pour Esmé que je me fais le plus de soucis, mais pour ce psychopathe. Quand elle va apprendre que ses amis ont été gravement blessés, elle risque de se transformer en une chose terriblement redoutable. Elle n’a jamais pu supporter que l’on fasse du mal à ses proches. Je n’ose même pas imaginer ce qu’elle prépare pour le lui faire payer.

— Ça parait dingue, mais c’est tout à fait son genre, remarqua Gaëtan.

— Je te le fais pas dire, ajouta Scarlett. Quand elle sera au courant de ce qui s’est passé, si ce n’est pas déjà le cas, elle va s’attaquer au gros poisson toute seule.

Le téléphone de Clark se mit à sonner. Il jeta un rapide coup d’œil au numéro et décrocha. Il y tint une courte conversation puis, moins d’une minute après, raccrocha en se retournant vers ses amis.

— Des Keytams seront là d’ici peu de temps pour nous rapatrier à la Légion de Saphir. Tenez-vous prêts.

— Hein ? À la Légion ? Je croyais que nous n’étions plus les bienvenus ? s’étonna Scarlett.

— Apparemment les choses ont changé.

— Comment ça « les choses ont changé » ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’enquit Gaëtan.

— Je ne sais pas, ils n’ont pas voulu m’en dire plus. Mais en gros, ils souhaitent nous venir en aide.

— C’est bizarre, objecta David. Ils ne sont pas du genre à être aussi sentimentaux.

Scarlett fronça ses fins sourcils noirs.

— On ne va pas leur faire confiance ?

— À l’heure actuelle on n'a pas vraiment le choix, décréta Clark. Il y a de très bons médecins à la Légion, ils pourront mieux les soigner que moi. Je n’ai pas assez de matériel pour approfondir leurs soins.

Après que Clark ait appelé Madame Williams en urgence, elle avait mobilisé ses relations pour leur venir en aide. Des hommes avaient débarqué chez l’Illusionniste pour les aider à transporter les blessés dans une chambre d’hôtel, dans laquelle Clark avait usé de ses talents de chirurgien pour opérer ses amis. Étant tous des Keytams, il leur aurait été impossible de se présenter à des hôpitaux. Les hommes qui les escortaient avaient prévu avec eux le matériel nécessaire pour une telle opération. Grâce à ses soins, ses amis étaient désormais hors de danger. Ils avaient ensuite été rapatriés à Portland, dans l’orphelinat où ils logeaient actuellement.

— Merci de nous accueillir, Charlotte, déclara Clark.

— Ma maison est aussi la vôtre, si vous avez besoin de quoi que ce soit à l’avenir, n'hésitez pas, repris chaleureusement, Madame Williams.

Une nuit était passée depuis la fusillade et aucun des blessés n’avait encore daigné reprendre connaissance. Aucun... jusqu'à présent.

— Clark !

Le cri avait fusé de la pièce voisine. Tous, sans exception, firent un bond de leur siège quand la porte s’ouvrit sous un bruit fracassant.

Estelle apparut sur le pas de la porte, totalement essoufflée.

— C’est Igor ! I-Il s’est réveillé.

Ils ne se firent pas prier plus longtemps et accoururent vers le lieu indiqué.

Cette partie-ci de l’orphelinat était en retrait des chambres qu’occupaient les enfants. Charlotte avait personnellement veillé à ce que ses réfugiés soient placés à l’écart des chemins empruntés régulièrement de ses pensionnaires. De petits curieux n’auraient pas hésité à glisser un œil par la serrure autrement.

En entrant dans la chambre, les Keytams s’étaient regroupés autour d’un lit près de la fenêtre.

— Comment tu te sens ? demanda Gaëtan à son chevet.

Igor ferma les yeux puis les rouvrit. Pour la première fois, il parut voir pour de bon. Le regard désorienté, il tenta de trouver un point de repère sur les lieux ne reconnaissant pas l'endroit où il se trouvait.

Il témoigna de sa voix presque imperceptible :

— Comme… comme si on m'avait tiré dessus.

Madame Williams accolée à la porte, ne préférait pas s’aventurer dans cette pièce pour le moment.

Clark, Gaëtan, Estelle, Scarlett et David étaient autour de lui en train de lui expliquer la situation, ce qui s'était passé durant son inconscience et par la même occasion, tenté de lui soutirer des informations.

— Est-ce que tu sais ce qu'il s'est passé ? sollicita Scarlett. Tu te souviens de quelque chose ?

Alors qu’il peinait à s’éveiller, le premier souvenir qui lui remonta à l’esprit le fit brusquement frémir.

— Oui.

— De quoi il s’agit ? s'enquit Gaëtan.

— Qui vous a tiré dessus ? reprit Clark d’une voix vive.

Au loin Charlotte observa la scène, ne pouvant ignorer cette angoisse indéchiffrable qui lui nouait le ventre.

Igor tâchait de se concentrer sur ses souvenirs, alors que son visage se teintait en une expression mêlée de terreur et d’incompréhension.

— Non c’est impossible…

— Quoi ? De quoi tu te souviens ? demanda Scarlett.

— On... On était devant la porte, expliqua-t-il avec peine. On attendait qu'elle s'ouvre pour arrêter l'Illusionniste. Mais... ce n'était pas lui.

Il fronça les sourcils bouleversé, ne semblant pas comprendre lui-même les paroles qui s'apprêtaient à franchir ses lèvres.

— Qui était-ce ? demanda Estelle.

Il centra son regard dans celui de la jeune fille, comme si l’ampleur des mots qui résonneraient dans cette chambre, bouleverseraient leur vie…

— C'était Esmeralda… C’est elle, qui nous a fait ça.

…et ce fut bien le cas.

Madame Williams laissa un juron lui échapper. Cette annonce se retranscrit tel un arsenal de flèches criblant son cœur. Comment était-ce possible ? Pas elle…

Scarlett recula, soudain terrifiée.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Elle n’aurait jamais fait une chose pareille.

— Je t’assure que c’est la vérité.

— Je ne te crois pas.

— Comment crois-tu que nous nous sommes fait avoir aussi facilement ? Nous avions baissé notre garde. Elle a sorti une arme et…

Il s’interrompit préférant écourter ses paroles plutôt que de les affliger une seconde fois.

— On était venu pour la sauver, lâcha Igor désemparé. Pourquoi elle a fait ça ?

— Je ne peux pas le croire, rétorqua Gaëtan. Elle a toujours été là pour nous, c’est impossible.

Clark fronça les sourcils, les yeux braqués sur Igor.

— Es-tu bien sûr que c’était elle ? En es-tu certain ?

— Je l’ai vue aussi clairement que je vous vois. Les autres pourront en témoigner, si vous ne me croyez pas. Où sont-ils ?

— Pour l’instant, tu es le seul à t’être réveillé, répondit Scarlett ses bras fins croisés sur sa poitrine.

Son regard dériva au-delà du groupe, pour se perdre sur les blessés étendus dans des lits, non loin de lui.

— Écoutez, je ne comprends pas mieux que vous le comportement d’Esmeralda, mais une chose est sûre, je l’ai bel et bien vue en compagnie de l’Illusionniste. Je vous rapporte seulement ce dont j’ai été témoin.

Charlotte ne pouvait accepter ce qui leur avait été révélé. Elle avait élevé Esmeralda comme sa propre fille et, ce qu’on décrivait d’elle ne correspondait pas à la jeune fille qui avait grandi dans sa maison. Dès petite, elle avait toujours été prête à aider les autres, même au péril de se faire arrêter par les autorités. Entendre aujourd’hui qu’elle est une tueuse, est impensable…

Scarlett, le visage sombre, effectua un pas vers lui.

— Et toi ? Tu étais là, tu sais mieux que personne ce qui s’est passé. Comment l’interprètes-tu ?

Ses yeux bleu marine rencontrèrent les siens charbon ardent.

— Je ne connais pas Esmeralda depuis aussi longtemps que vous tous. Mais le peu que je l’ai côtoyée, j’ai du mal à croire qu’elle ait agi ainsi.

Il essaya de se lever mais la blessure à son abdomen l’irradia de douleur.

— Ne bouge pas, tu es encore faible, remarqua Estelle.

La blessure encore fraîche, il concéda, et se rallongea sobrement. Une petite sonnerie retentit dans la poche de Clark. Il sortit à nouveau son téléphone et s’extrait de la chambre pour pouvoir répondre.

— Il faut que tu te reposes, tu dois récupérer, lui adressa Estelle.

— Ouais elle a raison, poursuivit Scarlett. On va te laisser. Si d’autres détails te reviennent à l’esprit, appelle-nous.

Il acquiesça d’un hochement de tête et profita de se plonger dans un sommeil réparateur tandis que toute l’équipe quitta la pièce. La chambre se retrouva désormais vide, silencieuse. Enfin presque…

La directrice qui était restée à l’écart, s’avança désormais vers le lit où reposait le jeune homme. Sentant une présence à son côté, il rouvrit les yeux et fronça les sourcils à son apparition.

— Qui êtes-vous ?

— Je sais que Mortayant est ton père.

L’expression d'Igor se peignit tout à coup en un masque d’horreur. Sa respiration s’accrut dangereusement, ses muscles se bandèrent.

— Comment le savez-vous ? C’est lui qui vous envoie. Il vous a chargée de me ramener, c’est ça ? Ne vous donnez pas cette peine, je préfère encore mourir !

Elle s’empressa de poser sa main sur sa bouche.

— Tu vas te taire, oui. Ça ne va pas de m’insulter, je n’ai rien d’une Gardack ! le rabroua-t-elle sous un murmure.

Charlotte resta un instant à contempler ce garçon aux cheveux châtains et à la peau anormalement diaphane, qui tenta dans ses dernières forces de se débarrasser de sa main.

— Je…

Les yeux de Charlotte se voilèrent d’un rideau de larmes.

— Morzak. Je suis ta mère.

Ses pupilles dilatées se fixèrent subitement sur cette femme penchée au-dessus de lui. Il avait cessé de se débattre.

— Quoi ?! Mais vous...

— Chut ! (Elle raffermit aussitôt sa main.) Les autres ne doivent en aucun cas découvrir la vérité. Ou bien tu n’auras plus aucune protection. Comme ça a été le cas pour ta cousine, Esmeralda.

Perdu dans son désarroi, il la scruta absorbé par son visage qui avec les années, était devenu une ombre dans son esprit.

Charlotte caressa tendrement la joue de son fils.

— Mon garçon, ça fait tellement longtemps. Comment t'es-tu enfui de chez Mortayant ?

— J'ai... J'ai profité d'un moment d'inadvertance. Le seul qui s'est présenté durant toutes ces années.

— Si tu savais comme tu m'as manqué.

— À moi aussi. (Il glissa sa main dans la sienne et une larme solitaire roula sur sa joue.) Comment tu m’as retrouvé ?

— C'est assez compliqué mais, pour faire court, je travaille avec les Keytams. Depuis que ton père les a trahis, je les aide à trouver des enfants atteints de la Pérafine. Par le biais de mon orphelinat, les Keytams les découvrent avant les Gardacks.

— Vraiment, les Keytams ? Et comment tu m’as reconnu ?

— Je ne connais pas deux personnes capables de prendre le nom de son chat pour changer d'identité.

Un sourire traça les lèvres décolorées de Morzak.

— Je t’aime, mon fils.

— Moi aussi, maman.

Charlotte grava dans sa mémoire l’image de son fils qu’elle n’avait plus revu depuis des années. Une image qui, elle le savait, ne durerait pas indéfiniment.

— Écoute-moi bien, il faut que tu retournes à la Légion de Saphir.

— Non, je ne veux pas te laisser.

— Tu n'es pas en sécurité ici. Seuls les Keytams peuvent te protéger de ton père.

— Je saurai me défendre.

— Non ! le réprimanda sèchement Charlotte. Il a des Salfas très puissants dans ses rangs, ils ne te feront aucun cadeau. Lorsque Esmeralda était encore ici, il a remué ciel et terre pour lui mettre la main dessus.

— Mais il ne l’a jamais attrapée.

— Cette petite fripouille était toujours en mouvement par ses innombrables fugues et changements de famille. À peine réussissait-il à la retrouver qu’elle avait déjà mis les voiles, sans être au courant de rien à l’époque. Dans ton cas, tu te dois de ne pas faire les mêmes erreurs qu’elle. Va à la Légion de Saphir, mène une vie de Keytam sans jamais révéler ton secret à personne, même à tes amis.

Morzak secoua la tête d’un air triste.

— Et s'ils découvrent qui je suis ? Ils me tueront.

— Il faudra que tu les convainques que tu n'es pas une menace. Pour t'aider, prends ce médaillon.

Elle enleva autour de son cou une chaîne à laquelle était suspendue une breloque argentée en forme d’iris, et la passa autour du cou de son fils.

— Montre-le à leur chef, il saura que tu dis la vérité.

Son fils acquiesça et détailla de plus près le médaillon auquel étaient incrustés de minuscules éclats de saphir sur chaque pétale.

— Je te reverrai un jour ?

— Oui, je peux te le garantir.

Charlotte se pencha et prit Morzak dans ses bras pour la dernière fois avant sûrement très longtemps.

Derrière eux, des yeux perçants avaient suivi de près leur discussion, n'ayant raté aucune miette de cette révélation pétillante. La jeune Estelle les scrutait d'un œil vigilant à travers l'interstice de la porte. Désormais, elle connaissait l’ampleur de son secret…

PARTIE 1

CHAPITRE 1

Installée sur une chaise en roseau des plus inconfortables, mes poignets sont solidement menottés derrière le dossier. C'est une honte vis-à-vis des invités ! C’est officiel : je suis tombée sur un pur sadique ! J'ai le don pour tous les attirer comme des aimants.

Si encore il n’y avait que ça… Le plus cruel, par-dessus tout, qui a le don de me rendre dingue au point de péter les plombs, est cette horloge de la mort pile en face de moi. Et son « tic-tac » de l’enfer ! Comment peut-on vivre dans un boucan pareil ? À choisir entre une trotteuse insupportable et une corde pendue à un arbre pour abréger mes souffrances, c’est la corde sans hésiter qui l’emporte.

Je suis arrivée dans cet appartement il y a tout juste une heure, douze minutes et quarante-huit secondes. Quarante-neuf. Cinquante. Cinquante… Si je ne sors pas bientôt d’ici, je risque de devenir folle !

Si ce n’est pas déjà le cas.

Qui sait si ce n’est pas une tactique pour hypnotiser les prisonniers. Après tout je ne connais pas ce présumé « Jess ». Il débarque un beau jour, me sauve la vie, et au moment où je pensais être écartée de tout danger, surprise ! : je m’aperçois que mon sauveur n'est autre que mon nouveau kidnappeur. C’est dans ces moments-là que je réalise à quel point la malchance me colle à la peau.

Je n'ai plus revu Jess depuis qu’il m’a laissée ligotée à cette chaise. Je commence à me demander s'il ne m'a pas abandonnée. D'un côté, ce serait merveilleux, d'un autre je mourrai sûrement déshydratée, morte de faim ou le cerveau détraqué par cette horloge maléfique.

Vachement encourageant comme raisonnement, ma vieille, m'inflige ma conscience.  Vas-y continue, c’est bon pour le moral.

Les tic-tacs infernaux résonnent de plus en plus fort dans mon crâne. Je serre les poings et avec les dernières forces qu’il me reste, j’appelle un courant électrique qui parcourt l’horloge et la fait disjoncter.

— Aah ! Alors c'est qui la plus forte ? Hein !

Un grincement de porte annonce l’arrivée de Jess, qui hausse un sourcil perplexe.

— Tu parles à qui ?

Sans me donner la peine de me trouver une excuse, je le fixe d’un air blasé.

— À l’horloge.

Jess semble refuser de réagir à mon sarcasme, se contentant de refermer le battant et de me rejoindre au milieu de la pièce, à bonne distance. Il me désigne ma plaie du menton.

— Qui t’a fait ça ?

— C’est un ami.

Il hausse un sourcil, incrédule.

— Tu as de drôles amis.

D’une certaine manière, cette blessure m’a sauvée. Si Erwan n’avait pas tiré qui sait combien de victimes auraient péri sur mon passage.

À mon arrivée dans cet appartement, Jess s’est empressé de me retirer la balle de mon épaule et de me la bander soigneusement. Il n'a pas été très bavard, seulement pour m’avertir de ne pas tenter quoi que ce soit de stupide durant son absence.

— Comment va ton épaule ?

— Ça pourrait aller mieux si je n’étais pas ligotée.

— Tu veux que je te détache et risquer que tu t’enfuies ? Même pas en rêve.

— Sérieusement ? Je suis blessée, même si je tentais de fuir je n’irais pas bien loin.

Il penche la tête et m’examine un long moment.

— Je me demande bien ce que les Gardacks te trouvent de spécial. Pourquoi s’intéresseraient-ils à une fille comme toi ?

— J’en sais rien. Peut-être parce qu'ils ont besoin de quelqu’un pour faire la cuisine. Cela dit, ma brève expérience dans un restaurant n’a pas été un franc succès.

Il fait mine de rire et vient s'appuyer contre le mur de l’horloge. Les bras croisés sur son torse, il m’observe les yeux plissés.

— Explique-moi pourquoi les Gardacks te cherchent ?

— Si je te dis que j’en ai aucune idée.

— Je te répondrais que tu mens.

— Qu’est-ce qui te fait croire qu’ils me cherchent pour une raison particulière ?

— Ils ne sont pas du genre à employer de grands moyens pour une simple Keytam. Tu dois avoir quelque chose de précieux à leurs yeux.

S’il découvre qui je suis vis-à-vis des Gardacks, et de quoi je suis capable, la situation risque de sérieusement se corser.

— Ça se voit que tu ne les connais pas. Ces monstres enlèvent des Keytams pour agrandir leur armée. S'ils refusent de leur obéir, ils ne se gênent pas de les tuer. C'est ce qui m'attend là-bas. Si tu m'y emmènes, je n'ai aucune chance.

Bon d’accord, je force un peu sur l’aspect dramatique. Mais ce n’est pas entièrement faux, car d’une manière ou d’une autre je périrai dans leur prison. Mortayant veut à tout prix que je reste en vie pour imposer sa domination par mon pouvoir. Et aux dernières nouvelles, je suis la plus inexpérimentée de la famille, donc plus facile à capturer.

Mon doux mensonge dissimulé derrière un masque de souffrance a l’air de faire son effet. Jess ne bronche pas et semble être, comme qui dirait, troublé. Même si ma vie n'est pas aussi menacée que je le laisse sous-entendre, il n'y a rien de mal à ce qu'il le croie.

— En me livrant tu participes à leur cause pour agrandir leur armée.

— Qu’est-ce qui te fait croire que ça me dérange ?

— J’ai l’étrange impression que tu ne les portes pas dans ton cœur.

— Et qu'est-ce qui te fait croire ça ?

Mes lèvres s'étirent en un sourire mystérieux.

— Une intuition.

Lorsque ses sourcils se froncent, j’imagine avoir touché une corde sensible. Ce serait bien la première fois qu'un de mes plans fonctionne aussi vite. Ses yeux voilés d'un mystère impénétrable m’observent un long moment comme s’il analysait la situation.

Il s’avance dans ma direction.

— Cette guerre que les Gardacks ont engagée contre les Keytams dure depuis des années. Qu’est-ce que ta libération changera à cela ?

— Je peux mettre fin à cette guerre.

Il émet un rire étouffé.

— Seulement toi ?

— J’ai des alliés qui pourront m'aider.

— Et s'ils refusent ?

— Je mettrai fin à cette guerre moi-même.

— Tu sais quoi ? commence Jess en secouant la tête. Je trouve que tu as des réflexions plutôt insensées, voire suicidaires.

— Fais-moi confiance, je peux les arrêter.

Il freine juste devant moi pour me considérer d’un air sévère.

— Pour commencer, il aurait fallu que tu sois honnête avec moi dès le départ.

— Quoi ?

Avant même que je n’aie le temps de réaliser, il pose ses lèvres contre les miennes et m'embrasse sans aucune gêne.

Je tente de le repousser mais mes poings liés m’en empêchent. La colère montant tel un volcan en éruption, je ne contrôle pas ma fureur qui implose sans prévenir. Un vent violent traverse la pièce et projette Jess contre le mur du fond, privé de gravité. Abasourdie, je reste un moment les yeux rivés sur mes chaussures.

— J’en étais sûr. Tu es une Salfa.

CHAPITRE 2

Je n’arrive pas à croire ce que je viens de faire. Il avait des soupçons depuis le début. Je suis tombée dans son piège sans m’en rendre compte.

— Pas n’importe quelle Salfa. Maintenant je comprends mieux pourquoi ils tiennent tant à toi. Tu es une Ventos.

Je relève lentement la tête, le foudroyant d’un regard meurtrier. Même suspendu dans les airs il a le don de m’agacer, surtout en me dévisageant comme si j’étais une œuvre d'art.

— Relâche-moi immédiatement, ou je t'assure que je t’éjecte en un claquement de doigts du troisième étage par la fenêtre.

Plaqué en étoile de mer contre le mur, il affiche un sourire extatique.

— Alors ça, je ne l'aurais jamais cru. Comment se fait-il que tu sois en vie ? Les Ventos se sont tous fait tuer.

Je rêve ou quoi ? Est-ce qu'il a ne serait-ce qu'entendu ma menace ?! Soit il est bouché des oreilles, soit il essaie d'amener ma colère dans des retranchements extrêmement périlleux.

— De quoi je me mêle. Donne-moi la clef !

— J'aimerais bien, sauf que... (il examine l’espace vide qui le sépare du sol) j'ai un peu la tête dans les airs.

Je fronce les sourcils le surveillant attentivement. Puis, coupe toute énergie le laissant s’écrouler lourdement sur le parquet. Affalé contre terre et la respiration à moitié coupée par la chute, il lève fébrilement son pouce en l’air.

— Quelle délicatesse.

— La clef, je lui rappelle.

Il se relève durement et sort enfin de sa poche ce que je convoite tant depuis ces deux dernières heures.

— Lance-la moi.

Sans discuter, il s'exécute. Un courant d'air la guide à travers la pièce pour atterrir directement au creux de mes paumes. Je m’empresse d’enlever ces effroyables menottes et me lève d’un bond, la main braquée sur Jess.

Il lève nonchalamment les deux mains en l’air, en signe de soumission.

— Tu n'arriveras pas à t'enfuir.

— Désolée de te décevoir, mais c'est ma spécialité.

— S'ils te veulent vraiment, tôt ou tard ils te retrouveront, que ce soit par moi ou quelqu'un d’autre. Ils arrivent toujours à leur fin quels que  soient les moyens, même s’ils doivent s'en prendre à tes proches.

Durant un court laps de temps, je suis replongée dans des souvenirs douloureux. Mes amis... C'est moi qui les ai embarqués dans cette histoire, et à l’heure actuelle j’ignore s'ils sont encore en vie. J’espère de tout cœur que Clark a réussi à les retrouver à temps pour leur porter secours. Mais ça ne change rien… Je les ai trahis. C'est moi la coupable. Je ne peux pas retourner auprès d’eux. Ils ont suffisamment été inculpés dans des affaires qui ne les concernent pas. Cette fois-ci, je dois agir seule.

Ces derniers temps, les problèmes se sont accumulés telles des lettres à la poste. À commencer par :

1) l’accusation du meurtre d’un Keytam, qui accessoirement a lui-même tenté de me tuer,

2) ma supposée inculpation chez la Confrérie, et,

3) pour couronner ce beau bouquet, ma future accusation de trahison envers la Légion par une alliance invraisemblable avec l’Illusionniste.

Vu comme ça, c’est plutôt lourd comme casier. Le Conseil se fera une joie d’exagérer ma laborieuse liste de crimes.

— Ils sont bien plus rusés que tu ne peux l'imaginer.

Accaparée par mes pensées, je repose mon regard sur Jess.

— Pourquoi tu me dis tout ça ?

— Je peux t'aider.

Je pousse un rire sans joie, presque irrépressible.

— C'est pour ça que tu étais prêt il y a encore deux minutes, à me livrer aux mains des Gardacks. On fait moins le malin quand on se trouve de l’autre côté de la barrière, hein ! Explique-moi juste pourquoi je ferais l’énorme erreur de te faire confiance ?

— Malgré ce que tu peux penser de moi, je sais reconnaître le bien du mal. Et tu m'as l'air d'une fille complètement perdue qui… est sur le point de disparaître.

À ces mots, mes yeux s’agrandissent brusquement. Comment a-t-il deviné ? Je ne me démonte pas pour autant et affiche un air assuré.

— Si tu sais si bien différencier le bien du mal, pourquoi travailles-tu pour les Gardacks dans ce cas ?

Une lueur de tristesse transparaît dans ses iris argentés.

— Je n'ai pas eu le choix. Quand ils ont appris que j'étais un très bon chasseur, ils ont voulu m’engager mais j'ai refusé. Évidemment avec ces gens-là, on ne peut pas discuter… Ils ont enlevé le fils d’une amie comme moyen de pression, et m'ont dit que si je ne faisais pas ce qu'ils me demandaient, je ne le reverrais jamais.

Ma capture aurait donc été une monnaie d’échange. Ils n’ont vraiment pas froid aux yeux.

— Réfléchis un peu, reprend Jess s’avançant d’un pas courageux. Tu es une Ventos. S’ils ont cherché à les exterminer, c’est parce qu’ils les redoutaient. Ils voyaient en eux une réelle menace. La même menace qu’ils voient en toi.

À tel point qu’ils m’obligent à me ranger dans leurs rangs.

— Si on unit nos forces pour les vaincre, tu retrouveras ta liberté et moi l’enfant qu’ils ont enlevé.

Je le fixe, des lasers à la place des yeux.

— Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai besoin de toi ?

— Tu portes sur ton visage une terrible souffrance que même un aveugle saurait voir. J’ai l’impression que tu cherches à fuir ton passé, et je peux t'aider à t'en débarrasser. Regarde la réalité en face, tu as besoin d’un ami.

— Tu n’es pas mon ami. Et tu te trompes sur un point… je cherche à fuir mon présent.

Mes amis ont été blessés par ma faute. Il est temps que je m’éclipse de leur vie, pour ne pas risquer une fois de plus de leur faire du mal. Un tel sacrifice est nécessaire, surtout avec ce maudit sérum dans la nature.

Mon cœur se fendille à cette pensée. Ne plus les revoir, ou même penser qu’ils soient morts m'écœure à m’en retourner l’estomac. Je n’arrête pas de songer à ce qui aurait pu se passer, si cette porte d’ascenseur était restée quelques secondes de plus ouverte. Tyron aurait pu se frayer un passage, et alors, les circonstances auraient peut-être eu un nouveau visage.

De toute évidence, le mal a été fait. Et je dois tout faire pour réparer mes erreurs.

— Tu as dit que tu étais un chasseur. Tu sais donc retrouver facilement les gens ?

Il m’adresse un sourire satisfait.

— Dois-je comprendre que tu acceptes ?

Les yeux figés à mes pieds, je lui réponds du bout des lèvres :

— De toute façon je n'ai plus rien à perdre.

Je laisse retomber ma main électrique. Jess m’imite délicatement et détend ses bras le long de son corps.

— Comment t'as su que j'étais une Salfa ?

— Par divers indices, commence-t-il en haussant les épaules. Tout d’abord, une Keytam qui se fait tirer dessus ne peut être qu’un membre de la Cavalerie. Ces personnes sont soit des Keytams hautement expérimentés, soit des Salfas extrêmement puissants. J’avais opté pour la première option, jusqu’à ce que ma voiture tombe mystérieusement en panne, juste après sa visite au garagiste.

— C’est assez ironique, dis-je sans réel humour.

— C’est vrai. Mais encore plus surprenant. (Il appuie ses paroles en ancrant ses yeux dans les miens.) Comment une Ventos peut-elle provoquer un tel phénomène ?

Et moi qui le croyais bête.

Face à ce genre de situation, j’imagine ce qu'aurait répondu Tyron. Lui, qui a une telle habileté pour passer entre les mailles du filet.

Je pince les lèvres et hausse les sourcils.

— Il y a parfois des mystères que l'on ne peut résoudre.

Un étrange sourire éclaire son visage. S’attendait-il sûrement à ce que je ne lui réponde pas.

— Tu connais bien des choses sur la Légion de Saphir, je remarque. Tu y as déjà été ?

Il se détourne et scrute le paysage par la fenêtre.

— Pas vraiment. Disons que ce cadre de vie ne m'était pas tout à fait approprié…

Je lui lance une œillade, suspicieuse. Un infime bruit attire tout à coup mon regard qui se braque automatiquement sur la porte d’entrée.

Jess me fait signe de rester tranquille alors qu’il s’avance pour aller ouvrir. Lorsque la porte s’ouvre, je détaille trois garçons d’apparences asiatiques pénétrer dans l’appartement, le sourire aux lèvres.

— Qu'est-ce que vous faites là les gars ? demande Jess.

Les gars ?

— C'est plutôt à nous de te demander ça.

En constatant ma présence, leur sourire se mue en une grimace incrédule.

— C'est qui, elle ? dit l’un d’entre eux.

Jess se tourne vers moi d’un air confiant.

— Une personne qui peut tout changer.

Au fond de moi, j’ai la désagréable impression que tout ne sera plus jamais comme avant. En me cachant, probablement pencherai-je les plaintes en ma défaveur. Peu m’importe d’être reconnue coupable ou non, tout ce qui compte c'est que mes amis soient à l’abri du danger. Quitte à devenir une hors-la-loi, autant l’être pour de bonnes raisons.

CHAPITRE 3

Je scrute les quatre Keytams autour de la table, qui ont conservé un air suspicieux rivé sur moi. Les trois nouveaux arrivants semblent plongés en pleine réflexion, confrontés à la grande question du jour : Que vont-ils faire de mon cas ?

L’optimisme débordant de Jess quant à m’avoir de leur côté, me laisse quelque peu sceptique. Ce n’est pourtant pas le cas, d’un certain Shan, qui depuis son arrivée, ne cesse de me jeter des regards signifiant : « Tu bouges, t'es morte ». Un tel comité d'accueil est vraiment touchant ! Comme s’il n'y avait pas suffisamment de personnes qui voulaient ma peau.

D'après ce que j’ai compris, les trois « Jackie Chan » s'étaient séparés, pour également se lancer à ma recherche. Quelle n’a pas été leur surprise, en apprenant que leur marchandise était devenue « une invitée ».

— Tu ne vas pas me dire que tu ne trouves pas ça bizarre, s'indigne Shan. Elle est recherchée par nos ennemis, les plus dangereux. Et toi, tu veux qu'on lui offre notre aide ? On était censé la leur livrer, je te rappelle.

— C'est une Ventos, rétorque Jess pour la énième fois d’un ton monotone.

— Il y a quand même quelque chose de louche, poursuit un certain Yong dont un bandana rouge recouvre une partie de sa tête. Pourquoi est-elle recherchée par ses propres alliés ?

Jess leur avait fait comprendre que je n’avais aucun soutien, quel qu’il soit. La blessure à mon épaule qu’il sait m’être faite par un ami l’en avait fait déduire que ma capture était autant importante du côté de mes ennemis que de celui de mes alliés.

— Très bonne question, Yong, souligne Shan. On t’écoute, dis-nous tout.

Je me mords discrètement la lèvre.

J’ignore l’état de santé de mes amis, ni même, si le reste de l’équipe sait que je suis derrière leur malheur. Toutefois, je suis sûre d’une chose. Si l’incident chez l’Illusionniste arrive aux oreilles du Conseil, ils feront tout pour retourner la situation contre ma faveur. Ils enverront les meilleurs des meilleurs à ma recherche pour me traquer. Songer à mentionner ce maudit sérum pour ma défense est tellement dingue, que j’ai moi-même du mal à croire à son existence.

Shan, les traits ultras suspicieux ne semble vouloir croire un traître mot sorti de ma bouche. Mon bluff inutile sur lui, j’opte alors pour une tout autre approche : l’innocence.

— Ce n'est peut-être pas le cas. Mais quelque chose me pousse à croire que je ne suis pas à l'abri d'eux.

— Peut-on savoir ce qui te fait dire ça ? persiste-t-il.

— Je n'ai aucune confiance au Conseil de la Légion de Saphir. Ils ont dû monter une histoire de toute pièce pour pousser les Keytams à me pourchasser.

— Pourquoi auraient-ils fait ça ?

Il commence à me fatiguer avec ses questions.

— Parce que je suis une Ventos. Le Conseil veut me livrer aux Gardacks pour qu’ils cessent de les traquer, je prétexte.

Ses yeux noirs comme la nuit étincellent de méfiance. J'ai la désagréable sensation qu'il essaie de pénétrer dans ma tête par la simple fenêtre de mes yeux. Je n'aime absolument pas ça...

Au bout d’un certain temps, il repousse sa chaise et finit par se lever.

— Je suis désolé Jess, mais on ne peut pas lui faire confiance.

Quelque chose me dit qu'il a une très bonne intuition.

— On a besoin d'elle, proteste-t-il en se levant à son tour. Elle est notre meilleur atout.