La Légion de Saphir - Tome 2 - Brenda Marty - E-Book

La Légion de Saphir - Tome 2 E-Book

Brenda Marty

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Beschreibung

Après la découverte de ses pouvoirs, Esmeralda fait face à une nouvelle complication : elle semble être la cible d’un terrible complot.
Les Keytams et les Gardacks, ces deux peuples aux dons spéciaux, ne sont plus les seuls en rivalité. Un ennemi bien plus puissant les menace. L’Illusionniste, un scientifique à la notoriété redoutable, s’acharne à vouloir percer le secret de la Pérafine et bien plus encore… Conscients que s’il venait à découvrir la vérité, leur deux peuples seraient en danger.
Esmeralda et Tyron se retrouveront contraints à conclure une alliance avec leurs pires ennemis ! Un évènement inattendu mettra leur relation à rude épreuve. Tyron saura-t-il passer outre les apparences ou succombera-t-il au doute ?
Des alliés inattendus se révéleront et de nouveaux pouvoirs stupéfiants feront leur apparition.
Un second roman baigné de révélations, d’action, de suspense et de romance.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Passionnée de Fantastique Young Adult, Brenda Marty écrit son premier roman La Légion de Saphir qu’elle publie sur la plateforme Wattpad. Après avoir décroché le prix d’un Wattys elle l’édite à l'âge de 18 ans, sans jamais cesser de laisser libre cours à son imagination

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LA LÉGION DE SAPHIR

À ma famille qui me soutient et

Prologue

La brume serpentait entre des ruelles étroites de Worcester. L’atmosphère était chargée d’une angoisse palpable où affluait un vent frais. Un mélange de voix résonnait au loin. Des pas tambourinaient dans le long couloir humide et lugubre se répercutant en un écho effroyable. Des cris s’élevèrent quand soudain, deux silhouettes percèrent le brouillard à vive allure. Quatre autres vêtues de noir leur collaient aux talons.

— Louise continue ! encouragea l’homme à ses côtés. Ne t'arrête surtout pas.

Elle jeta un coup d’œil derrière son épaule.

— Ils sont trop nombreux. Ils nous auront rattrapés avant qu’on y arrive.

— Non, rectifie-t-il d’une voix déterminée. Mortayant ne gagnera pas. Pas cette fois…

Ils gagnèrent une avance qui leur fut profitable, lorsqu’ils semèrent les quatre individus en s’engouffrant dans une ruelle secondaire. Le dos accolé contre le mur rigide et froid, ils reprirent leur souffle, un œil surveillant sur l’entrée. Personne ne les suivait.

Un sourire naquit sur le visage de l’homme.

— Il faut croire que ces fripouilles sont toujours aussi prévisibles que dans le temps.

— Ne crie pas victoire trop vite, Naël, l’avertit Louise disciplinant ses cheveux bruns en une longue queue-de-cheval. Ils sont peut-être prévisibles, mais ils ont de la ressource. Rien n’est encore joué.

— Ne t’en fais pas. En utilisant leur peu d’intelligence, ils réussiraient à se perdre dans une pièce ronde. C’est qu’ils n'ont pas la lumière à tous les étages, tu peux me croire ! S’ils nous rattrapent, nous les sèmerons une nouvelle fois, comme nous l’avons toujours fait.

Louise secoua la tête ne pouvant s’empêcher de sourire. Naël avait tendance à dédramatiser une situation qui semblait désespérée. Quand il avait une idée en tête, rien ne pouvait l’arrêter. Sûrement pas ces sbires que leur envoyait Mortayant.

Il présenta sa main à Louise qu’elle saisit sans hésiter.

— Nous rentrons à la maison, déclara-t-elle d’un ton apaisé.

— Nous rentrons à la maison.

Ils reprirent leur chemin d’un pas prudent et silencieux. Aucune menace avenante ne se présentait à eux. Ils décidèrent d’accélérer le pas en trottinant en direction de l’artère principale de la ville.

La sortie en vue laissait profiler des voitures circulant librement. Une fois à l’extérieur ils pourraient se confondre à la foule. Cette perception distrait une seconde Naël. Une seconde, qui lui coûta sa liberté.

— ATTENTION !

Un bras puissant sortit à l’angle d’une ruelle, frappant violemment Naël à la gorge qui fut directement cloué au sol. Il suffoqua sous le choc encaissé. Il somma le précieux oxygène d’irriguer à nouveau ses poumons, sans se soucier des blessures occasionnées à son dos. Lorsqu’ils décidèrent finalement de lui obéir, il prit une immense respiration comme s’il venait d’émerger de l’eau.

— Maudit Gardack ! grogna-t-il d’une voix étouffée.

Leur dessein de prendre la fuite leur avait échappé tel un nuage de cendre au cœur d’une tempête.

Louise sursauta de terreur. Elle voulut le rejoindre mais une ombre lui bloquait le passage. Une carrure imposante s’était dressée devant Naël qui tâchait de reprendre ses forces.

— Après toutes ces années, vous revoilà.

Le reconnaissant, Louise le foudroya du regard. L’homme se tourna brièvement vers elle, lui décochant un sourire mauvais.

— Bonjour Louise, ça faisait longtemps.

La perspective de ne plus être en mouvement l’effraya. Son souffle était court et ses sens en alerte.

— Vous auriez mieux fait de rester cachés. Les choses ont changé, Naël.

S’aidant du mur, il réussit à se hisser sur ses jambes un sourire identique à l’homme qui lui faisait front.

— Elles n’ont pas l’air d’avoir vraiment changé, étant donné que tu es toujours le fidèle Pitbull de Mortayant. C’est bien payé, j’espère.

— Je te le dirai quand j’aurai touché ma prime sur ta tête, lui répondit-il avec rage.

— Ça, j’en doute.

— Tu crois qu’après vous avoir retrouvés, il va vous lâcher aussi facilement ? (Il émit un rire sec.) Vous vous gourez complètement.

— Jamais il ne gagnera, rétorqua Louise.

— Oh, mais il a déjà gagné. La première manche… Votre absence durant toutes ces années lui a laissé un énorme avantage.

— « Cet avantage » comme tu dis, arrive à son terme, déclara solennellement Louise. Transmets-lui bien ce message : « Notre retour marque la fin de son règne. Nous mettrons tout en œuvre pour l’arrêter. Quels qu’en soient les sacrifices ».

Un sourire bestial s’étira sur les lèvres du Gardack.

— N’importe quel sacrifice ? En es-tu certaine ?

Elle resta un instant sans voix, l’incertitude planant dans l’air.

— Je sais ce que vous êtes venus chercher. Vous n’y arriverez jamais. C’est perdu d’avance.

Naël remit d’aplomb, s’avança d’un pas tout en maintenant une distance de sécurité.

— Écoute « Jérémy l’Abruti » – si on te surnomme toujours comme ça. Je ne suis pas revenu ici pour voir ta sale tronche, ni même pour entendre tes menaces ridicules. Je vais trouver ce que je cherche, et personne sur cette terre encore moins toi, ne m’empêchera d’atteindre mon but.

— Nous voilà donc sur un désaccord.

Simultanément, Jérémy et Naël dégainèrent leur arme se considérant l’un l’autre, sans sourciller.

— Comme au bon vieux temps, siffla le Gardack d’une lueur sournoise.

Il ne prit pas garde aux pas qui s’étaient faufilés dans son dos. Un bruit mécanique résonna à ses oreilles.

— Lâche ton arme.

Le revolver de Louise était pointé contre sa tête. Ne réagissant pas, elle enfonça davantage le canon dans son crâne.

— Si tu tiens à ce que je n’endommage pas davantage ta cervelle d’huître, tu ferais mieux d’obéir sans broncher.

Son visage se fendit en un rictus carnassier et il capitula. Il déposa délicatement l’arme au sol.

Devant son impuissance, un sourire triomphant tira les lèvres de Naël.

— Dans le temps tu étais plus combatif. Tu t’es ramolli avec l’âge où c’est ton absence d'intellect qui te fait défaut ?

— Tu vas pourrir au fond d’une cellule pour le restant de ta vie, sans plus jamais voir un seul rayon de lumière, cracha vertement Jérémy. J’espère que ça te plaît comme nouvelle demeure.

— À vrai dire, je préfère les cinq étoiles.

Il eut un rire sans joie.

— Toujours autant d’humour à ce que je vois. Profites-en, ce sera bientôt terminé. Pour toi et pour tous les autres.

Naël le contourna prudemment pour rejoindre Louise de l’autre côté.

— Vous ne savez pas ce que vous êtes en train de faire.

— Oh que si ! On est juste en train de te doubler.

Naël poursuivit à voix basse où pesa une montagne de tension :

— Comme au bon vieux temps.

Sur cette dernière déclaration, il lui asséna un coup de crosse à la nuque qui lui fit perdre connaissance.

— Quel bavard ma parole ! Après toutes ces années, j’aurais imaginé qu’il soit devenu moins bête. Quelque part, ça me rassure de voir qu’il y a certaines choses qui ne changent pas.

— Vu le coup qu’il a reçu, il n’est pas prêt à retrouver sa matière grise… du moins s’il en avait, poursuivit Louise.

Des voix non loin se rapprochèrent. Ils savaient qu’ils avaient tout intérêt à mettre les voiles s’ils ne voulaient pas risquer de tomber sur l’un des acolytes de Jérémy.

Lorsqu’ils atteignirent enfin la sortie, Naël repéra un véhicule qui correspondait à ses attentes. Sans perdre une seconde, il saisit la main de Louise et se glissa sous peu à l’intérieur.

Le jeune conducteur du taxi se retourna vers eux le bras accoudé au siège passager. Il avait la peau noire et mastiquait un chewing-gum avec lassitude.

— Yo mec ! Vous n’êtes pas du coin vous.

— Démarre petit, ordonna Naël d'une voix assurante.

Le jeune homme s’apprêta à obtempérer lorsqu’une chose captiva subitement son attention. Il dévisagea avec de grands yeux l’arme à la ceinture de Naël.

— Oh ! Vous aussi vous êtes des espions ?!

Remarquant ce qui l’avait interpellé, Naël s’empressa de dissimuler son arme sous son épaisse veste. En constatant qu’il s’apprêtait à passer aux menaces, Louise l’arrêta d’un geste et se pencha d’un air intrigué vers le jeune homme.

— De quoi tu veux parler ? Comment t’appelles-tu ?

— Dig, madame. Pour vous servir, lança-t-il sur un ton théâtral. C'est la troisième fois que je reçois de la visite du même genre ! Même si à la dernière occasion, un type aimable comme une porte de prison a failli m’embrocher vivant.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? poursuivit Naël.

— Bah, ce que je veux dire amigo, c'est que c'est la troisième fois que je sauve la vie à des espions comme vous. C'est d'ailleurs étrange que ça m'arrive toujours à moi, se dit-il pour lui-même.

Naël le fixa d’un air perplexe, jusqu’à ce qu'il réalise.

— Comment étaient-ils ?

— Oh, il y avait ce mec, pas très sympa au passage. Il avait toujours son arme pointée sur moi ! Vous vous rendez compte du traumatisme que j'aurais pu avoir ?! Mais comme je suis un dur à cuire, je m'en suis remis indemne, continua-t-il d'un air suffisant. Avec lui il y avait une fille, c'est ma pote, elle. Je vous assure, elle est trop cool. Bon, c'est vrai, la première elle m'a fait très peur. Mais il faut la comprendre, des gens en noir lui tiraient dessus ! Y’a de quoi être tendue ! Moi à sa place je serais déjà mort d’une crise cardiaque. Enfin, après ça, on est vite devenu super-ami.

— Comment s'appelaient-ils ? s’enquit Louise.

— Le type ?! J'en sais rien, et je m'en fous toujours ! Il m’a bien trop fait peur pour ça. La fille, par contre, jamais je n'oublierai son nom. Elle s'appelait Esmeralda Henderson.

Les yeux agrandis de surprise, Louise et Naël se considérèrent l’un l’autre, le teint blême. Le silence qui s’était installé ne laissa pas indifférent Dig.

— Qu’est-ce qu'il y a ? Vous la connaissez ?

Naël reprit ses esprits et s’éclaircit la gorge.

— Non, non pas du tout.

Louise se rapprocha du chauffeur et reprit doucement :

— Pouvez-vous nous conduire jusqu'à l'extérieur de la ville, s'il vous plaît ?

— No problemo, c'est comme si c'était fait.

La voiture démarra sous le ronflement assourdissant du moteur et s’engagea sur la grande artère.

Louise concrétisa par-dessus sa tristesse, le masque d’une tendre affection dirigé vers Naël. Il le lui rendit parvenant à cacher son chagrin.

Même s’ils étaient proches du but, ils savaient que ce n’était que le début…

PARTIE 1

CHAPITRE 1

Je rabats une mèche châtain derrière mon oreille face au hurlement du vent.

Perchée du haut d’une colline, j’observe la cime des montagnes de l’autre côté de la vallée. Le feuillage écarlate brûlant dans cette fraîcheur automnale, est un spectacle auquel je n’aurais jamais cru prendre part dans un paysage aussi splendide. Le sol recouvert de nuances de feuilles orangées, ocre et écarlate tapissent l’ensemble de la vallée profonde. Une brise de vent reflue un amas de feuilles à mes pieds vers le contrebas. Elles virevoltent dans l’air pour disparaître dans les profondeurs.

Libres comme le vent…

J’inspire profondément cet air revigorant aux senteurs de sous-bois, de mousse et de feuilles séchées.

Un arbre au tronc fin et au feuillage rougeoyant sur ma droite, étincelle de ses couleurs chaudes aux rayons matinaux. Au bord du précipice, ses racines sont fermement ancrées dans la roche, le tronc fièrement dressé vers l’astre soleil.

La fraîcheur environnante m’incite à ramener mes genoux contre ma poitrine et me frictionner les bras. Ce petit coin de paradis est mon « repaire ». Pratiquement tous les jours, je m’y rends pour m’extasier devant la beauté du paysage, différent à chaque lever de soleil. L’air pur me permet de réfléchir, de m’évader… Seule loin de tous soucis.

Depuis quatre mois, les affrontements contre les Gardacks se font de plus en plus rares. Après qu’ils aient pris d’assaut la Légion notre sécurité s’est incroyablement renforcée. Je n’imagine pas un Gardack faire dix mètres sans se faire repérer.

Les Gardacks connaissent le lieu de la Légion et nous connaissons celui de leur repaire. De ce fait, s’ils cherchent à nous attaquer, nous n’hésiterons pas à riposter. Et ça, ils le savent. Des murmures se sont mis à courir comme quoi, il y aurait une « semi-paix » entre nos deux peuples. Mais ces bruits sourds cachent une part de vérité. Nos combats n’ont pas entièrement cessé. Nous bataillons d’arrache-pied pour récupérer sous nos ailes les Novas, que les Gardacks s’obstinent à nous arracher. Les derniers temps c’est uniquement dans ces face-à-face que nous devons user de la force.

Parfois, nous arrivons à temps et sauvons les Novas in extremis, et d’autres fois… il était trop tard. D’innocents Novas étaient embarqués pour être transformés en machine de guerre.

Le bruit d’une brindille brisée étouffée sous le lit de feuilles arrive à mes oreilles. Sans me donner la peine de me retourner, je lâche un long soupir. Mon regard se porte sur cette brume au loin qui serpente entre les montagnes.

Les pas se rapprochent un peu plus.

Avant même de ne lui laisser le temps d’émettre le moindre son, je le devance.

— Où étais-tu ?

Les pas s’arrêtent derrière moi.

— De quoi tu parles, Esmé ? J'étais en mission.

— J’ai demandé à Henry. Il n'y avait aucun ordre de mission.

Le vent glacial ramène mes cheveux en arrière sans pour autant suffire à chasser mon chagrin. Ce n'est pas la première fois que Tyron s'absente sans donner l’ombre d’une explication. J'avais tenté de le suivre une fois, mais il m’avait filé entre les doigts, volatilisé, sans laisser aucune trace. J’en suis venue à me demander s’il n’avait pas quelqu’un d’autre dans sa vie. Ces derniers temps avec ces heures de sommeil en moins, être lucide est devenu compliqué.

Logan et Laïa ont tout de suite remarqué que quelque chose me travaillait. Inutile de vous préciser qu’ils m’ont carrément harcelée pour m’obliger à me faire cracher le morceau. Mais ils n’y sont pas parvenus. Afin d’éviter d’autres pressions de ce genre, j’ai jugé bon de me réfugier dans mon coin de paradis. Jusqu’à il y a trente secondes, il était censé être « secret ». Pas si secret que ça visiblement.

— Qu’est-ce que tu me caches, Tyron ? Est-ce que tu me mens ?

— Comment est-ce que tu peux penser ça ? Je ne t'ai jamais menti.

— Si. Une fois. (Je serre un peu plus mes jambes contre moi.) Quand tu m'as caché l'existence de mon frère.

— J'étais tenu au secret, tu le sais très bien. À part cette fois où je n'ai pas pu faire autrement, je ne t'ai jamais menti.

J’aimerais tellement le croire, pourtant mon intuition m’empêche de fermer les yeux sur cette chose qu’il me cache.

— Dans ce cas pourquoi personne ne sait où tu étais ?

Par le bruissement des feuilles je l’entends qui s’éloigne.

— C’est bon, ça suffit.

Ses pas rebroussent chemin et se font à chaque seconde un peu plus lointains. C'est fini. Je le sais.

Le chagrin devient lourd comme du plomb dans ma poitrine, et mon cœur fatigué se fendille. Je retiens un torrent de larmes qui s’accumulent dans mes yeux. Même ce merveilleux paysage semble s’être teint de gris.

Non loin, une voix s’éclaircit. Je refoule aussitôt mes larmes et tâche de reprendre contenance. Je pensais qu’il était parti. J’inspire l’air frais qui me vient en plein visage, puis un peu maladroitement, me hisse sur mes jambes. J’époussète brièvement la poussière de mon pantalon et d’un mouvement extrêmement lent, j’entreprends de me retourner.

Une fois face à la lisière de la forêt, mon cœur manque plusieurs battements. C’est à ce moment précis, que moi Esmeralda Henderson, frôle de très près la plus grosse crise cardiaque encore jamais répertoriée.

La bouche grande ouverte, je dévisage Tyron pour la première fois de la journée. Ses cheveux bruns devenus un peu trop longs flottent au gré du vent automnal.

Un genou à terre, il me tend un écrin en velours noir qu’il ouvre sans me faire attendre. Relevant la tête, ses yeux d’un vert intense se posent sur moi.

C’est à cet instant précis qu'il me demande d'une voix assurée :

— Esmeralda, veux-tu m'épouser ?

CHAPITRE 2

Je dois halluciner.

Je me pince à plusieurs reprises le bras sans parvenir à m’extraire de ce rêve. Mes yeux sont rivés sur cet anneau en argent, serti d’une pierre de Saphir minutieusement sculptée en forme de diamant.

État de choc…

Mon cerveau a subi un dysfonctionnement.

Serait-il possible qu'Erwan ait versé à mon insu une solution pas très nette dans mon verre hier soir ? C’est là, mon meilleur raisonnement. Non, parce qu'il y a une minute de cela, Tyron venait de me demander en mariage. Et encore deux minutes plus tôt, il me quittait. Enfin, je crois…

Bon sang, qu’est-ce qu’il y avait dans ce verre ? Un hallucinogène ?!

— Je ne veux pas te mettre la pression, mais je crois que j'ai une crampe, là, gémit Tyron le bras fébrile.

Nom d'un chien. Ce n'est pas une hallucination. Je pourrais parfaitement distinguer son humour d’une simple vision.

Il m’a demandé de l'épouser.

Il veut m'épouser.

— Je ne comprends pas. Quel rapport avec tes missions secrètes ?

Il enlève une pierre dessous son genou et reprend appui sur le sol inconfortable.

— Tu as raison sur un point. Je ne m’absentais pas pour des missions, mais parce que j’étais à la recherche d’une bague. Fouineuse comme tu es, tu ne m’as pas facilité la tâche. Clark a dû m’aider pour me faire sortir en douce de la Légion. Et Dieu sait à quel point ça a été compliqué, avec toi pendue à mes basques.                    

 Le tableau sinistre dans mon esprit se teint étonnement d’incroyables nuances de couleurs. Tout paraît plus clair. J’avais faux sur toute la ligne. Comment ai-je pu être autant à côté de la plaque ?

Le silence que je m’obstine à garder le plonge dans une attente palpable. Je suis probablement cruelle de le faire patienter si longtemps, mais il me prend de court. Nous nous connaissons depuis un certain temps déjà et avons traversé pas mal de choses ensemble. Il est d’ailleurs un des seuls à ne pas craindre qui je suis.

— Prendrais-tu le risque avec moi ? me demande-t-il toujours fermement campé sur sa position.

Un sourire s’étire au coin de mes lèvres.

— La question serait plutôt : si toi, tu es certain de prendre le risque ?

— Plutôt deux fois qu’une.

— Je n’ai pas une famille de tout repos.

— Ce n’est pas comme si c’était aussi ton cas.

Je le dévisage d’une moue amusée et il me décoche un sourire charmeur.

— Dois-je comprendre que c’est un « oui » ?

Je feins de reprendre un semblant de sérieux, réfrène un rougissement, puis avance de quelques pas vers lui.

— Un « oui » aussi dur qu’un diamant.

Il me fixe à travers ses longs cils bruns, son sourire s’intensifiant. Je comble la distance qui nous sépare et arrive enfin devant lui. Il me prend délicatement la main pour me glisser la bague à l’annulaire. Elle émet un petit scintillement au contact de ma peau.

Je n’imagine pas mon avenir sans lui. Il m’apporte l’énergie qu’aucune pierre ne saurait combler à sa place.

— Elle ne génère pas une aussi grosse puissance que celle de ton bracelet, mais elle a son petit effet, m’explique-t-il. Si tu veux être en possession de tes pouvoirs, il te faudra tout de même garder la pierre à ton poignet.

Je la contemple totalement hypnotisée par sa beauté.

— Elle est magnifique.

— J’étais sûr qu’elle te plairait. Elle est unique, comme toi.

Je me surprends à piquer un fard malgré toutes mes bonnes intentions à réfréner le rouge de mes joues. Comme à son habitude ça a le don de l’amuser.

— Qu’est-ce qui te fait rire ? dis-je grincheuse.

Il me sourit et passe une main dans mon dos pour me rapprocher de lui, jusqu’à anéantir tout espace entre nous. Sa tête à quelques centimètres de la mienne, il me murmure tout doucement :

— Rien. Absolument rien.

Il se penche et dépose tendrement un baiser sur mes lèvres. Puis se redresse et replace délicatement une mèche derrière mon oreille.

— Si c’est ce que signifie « rien », je pense m’y faire facilement.

— Tant mieux alors.

Le menton légèrement baissé, une lueur intrigante s’allume dans son regard alors qu’il m’observe longuement.

— Tu faisais quoi seule sur ce rocher ?

— Ce que je faisais ? Moi ?

À part toi, il n’y a personne, tête de linotte, lance Miss conscience.

— Oui, toi.

— Je…

Tu te morfondais royalement, allez avoue-le !

— Je… je méditais.

Il hausse un sourcil d’un air incrédule.

— Tu méditais ?

— Oui. Je méditais sur la vie, la nature, ce merveilleux paysage…

Vas-y continue de t’enfoncer ma vieille, t’es championne pour ça.

— … et, les sushis.

Jackpot.

— Des… des sushis ?

Je me mords la lèvre inférieure. Qu’est-ce qui m’a pris de dire ça ? Je me fustige intérieurement d’avoir la parole plus vive que l’esprit.

— J’ai une folle envie de sushis !

Tyron plisse les yeux et dépose le revers de sa main sur mon front.

— Est-ce que t’es sûre que ça va ? Tu ne serais pas en état de choc ?

Je lève les yeux au ciel et lui retire sa main.

— Je vais très bien. J’ai seulement un peu faim.

— Le problème c’est que je ne pense pas avoir vu les Approvisionneurs ramener des sushis.

— C’est pas grave, une pizza suffira.

— Mais tu viens de dire que…

— Je sais ce que j’ai dit, mais j’ai changé d’avis.

J’attrape vivement sa main et l’entraîne avec moi à travers la forêt.

— Décidément, je ne te comprendrai jamais.

Je ris légèrement et continue d’avancer. Eh voilà Miss conscience comment on se sort avec brio d’un mauvais pas. Prends note et apprends.

— Je viens d’avoir une idée.

Je me tourne vers Tyron, un sourire naissant dans la commissure de ses lèvres.

— Quelle idée ?

— On pourra en profiter pour annoncer la nouvelle aux autres. Qu’est-ce que tu en dis ?

Je déglutis bruyamment. Oh non… pas ça.

— Quoi maintenant ?

— Oui pourquoi pas ?

J’inspire une bouffée d’angoisse puis déclare d’un ton désespérément faux :

— Bon… D'accord.

J’entends d’ici ma conscience rire dans mon for intérieur tout en se frottant sournoisement les mains.

Essaie de te sortir de ce mauvais pas, juste pour voir.

***

— Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

— J’en étais sûr.

De retour à la Légion, nous arpentons les rues déjà peuplées des habitants, tentant de nous frayer un passage au travers.

— Tu les connais ! Il va y avoir Erwan qui va commencer à me poser toutes sortes de questions, et faire sa sorte d’analyse « Jedi » sur moi. Et... et puis y'a Logan ! Oh non pas Logan ! Tu n’imagines même pas ce qu'il est capable de faire si quelque chose ne lui plaît pas. C'est lui qui a toujours pris soin de moi quand j’étais jeune, il est hyper protecteur. Il risque d'y avoir « massacre » !

J’étouffe ma conscience qui me crie au loin : grosse dégonflée !

— Tu ne dramatises pas un peu trop là ? lance Tyron d'un air abusé.

— Certainement pas !

De par ma réponse hâtive et mon air désespéré, il me dévisage d’un air suspect. Je reprends d’un ton plus calme :

— Gaëtan et Scarlett vont vouloir organiser les préparatifs et tout ce qui s’en suit. Enfin, si Logan n’a pas entre-temps réussi à empêcher l’évènement.

Avant que je réalise qu’il s’est arrêté de marcher, je le surprends qui m’attrape délicatement par le bras pour me retourner face à lui.

— Ils seront juste contents pour toi et Logan ne dira rien. Déstresse un peu, ok ? Non parce qu'à ce stade, tu vas nous faire un stress post-traumatique.

Il a peut-être raison. Je dramatise sûrement un peu trop. Il faut que j’apprenne à me détendre. Pas de stress. Je respire un grand coup, après quoi, nous reprenons notre route.

— Par contre si tu veux bien, c'est moi qui leur annonce, me dit-il. Parce que niveau révélation, tu n’es pas ce qu’on peut appeler « des plus douées ».

Je prends un air faussement offusqué.

— Pardon ?! J’annonce parfaitement bien les nouvelles, je te signale. C’est juste que je ne vois pas à quoi sert de tourner trois heures autour du pot. Autant aller droit au but.

— C’est bien ce que je pensais, poursuit Tyron en se massant le front. Tu me laisses faire.

Quelle réputation ! C’est incroyable. Allez savoir si la bande de racontars appelés « amis », n’y est pas pour quelque chose.

L'annonce du mariage risque d'être une véritable catastrophe avec un grand « C ». Quand tous mes amis seront au courant, ils vont répandre la nouvelle dans la Légion à la vitesse de la lumière. Et Logan… eh bien, il sera à mes trousses. C’est l'horreur. Autant m’empresser de préparer une ruse pour contourner ce massacre. Mon génie réfléchit à un plan infaillible, quand dans un curieux détachement, une chose derrière la foule attire mon attention.

De l’autre côté de la rue je dévisage deux passants, un homme et une femme. Ils semblent à la fois s’émerveiller de l’endroit et méfiants des gens qui les entourent. Il est vrai que je ne connais pas personnellement tous les Keytams ici, mais ces deux-là dégagent quelque chose de particulièrement étrange.

Discrètement, je tire sur le bras de Tyron.

— Esmé je t’ai dit que tout allait bien se passer.

— Tyron, ces personnes là-bas, regarde.

Je les désigne d’un signe de tête et il suit mon geste pour observer les deux individus. Ses sourcils se froncent et j’en déduis qu’il a activé son radar « anti-intrus ». Puis d’un geste des plus innocents qui soit, il se tourne face à moi et feint de passer une main dans mes cheveux.

— T’as raison.

— Des Gardacks ? demandé-je inquiète.

— Ça m'étonnerait, ils n'ont pas le profil.

— Alors qui sont-ils ?

Tyron gonfle ses poumons, le regard méfiant errant dans le vide.

— Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.

Il s’empare de ma main et s’élance vers ces totales inconnues.

En apparence ils doivent frôler les trente-cinq, quarante ans. Sachant que notre processus de vieillissement est plus lent que celui des humains, ils doivent probablement être plus âgés. Enfin si tant est qu’ils soient des Keytams.

Le visage de la femme encadré d’une longue chevelure brune soyeuse laisse ressortir des yeux incroyablement céruléens. L’homme à côté d’elle a une carrure qui lui confère l’allure d’un guerrier. Des cheveux fins et châtains garnissent son crâne, tandis que ses yeux sont aussi bleus que ceux de la femme. Tous deux marchent le long de la rue guettant constamment au-dessus de leur épaule.

Je n’ai pas le temps de demander à Tyron ce qu’il a derrière la tête que nous sommes déjà arrivés jusqu’à eux.

— Bonjour, excusez-moi.

Les deux inconnus se figent. Ils se tournent très lentement vers nous et nous dévisagent d’un air troublé.

Tyron, lui, arbore un sourire étonnamment bien construit malgré ses suspicions.

— Vous faites partie des Keytams chargés de la maçonnerie ? Avec tout ce monde, je ne sais plus où donner de la tête. Mais rassurez-moi, Don vous a bien averti qu'il voulait voir toute l’équipe pour débattre de la porte 11 ? Celle qui va être condamnée pour des raisons de sécurité ?

Le masque de l’innocence plaqué sur mon visage se voit perdre de son efficacité, lorsque la femme ne daigne détourner ses yeux des miens.

L’homme dévisage Tyron, avant d’ajouter :

— Ah oui. Oui, il nous l'a dit.

— Ouf tant mieux, poursuit Tyron. Vous le connaissez tête en l'air comme il est, il serait capable d’oublier de filtrer le portail de la Légion.

Une certaine nervosité s’est abattue entre nous et nos interlocuteurs. Et je vois de mieux en mieux où Tyron veut en venir.

Il avance d’un pas lent, mais ferme. Son sourire s’amenuise lorsque sa voix où pèse une montagne tension voit le jour :

— Ça a l’air complètement dingue, n’est-ce pas ? Pourtant, vous savez ce qui est encore plus dingue ? C'est qu'il n’existe aucun Don.

Les yeux de l’homme ancrés dans ceux de Tyron flamboient comme des saphirs. Ils insufflent à tel point la peur, que mes jambes répriment l’envie de partir sans le reste de mon corps.

— Qui êtes-vous ? finit par demander Tyron.

— Ça ne vous concerne pas.

Le ton de l’homme me fait frissonner.

— Dans ce cas je vais vous demander de nous suivre.

Le menton fièrement relevé, il déclare d’une voix grave :

— Je ne crois pas. Écarte-toi, petit.

« Petit » ? Aïe.

Un sourire transparaît sur les lèvres de Tyron, et laissez-moi vous dire qu’il est tout sauf amical.

Je jette un coup d’œil à la main de Tyron, démangée de saisir son tranquilliseur à sa ceinture. Quelque chose me dit que ce n’est pas une bonne idée. Je n’ai pas le temps de l’en dissuader. Il élance d’un coup sa main, prêt à s’en saisir, quand une poigne de fer freine son geste.

L’homme le dévisage intensément.

— Ne fais pas ça.

— Pourquoi, qui êtes-vous ?

— Des personnes qu’il ne vaudrait mieux pas provoquer en duel.

La tension montée d’un cran, je les examine tour à tour. L’homme décroche deux secondes son regard de celui de Tyron, pour le poser dans le mien. Je déglutis. La crainte et la colère s’émoussent dans mes veines, sans qu’aucun mot ne parvienne à franchir mes lèvres.

— Si je comprends bien on laisse tomber les civilités.

L’homme redirige prudemment son attention sur Tyron.

— Nous ne sommes pas venus ici pour nous battre.

— Dans ce cas pour quelle raison êtes-vous là ?

Il ouvre la bouche prêt à lui répondre, lorsqu’une voix tonitruante vibre tel un éclair dans notre dos.

— ARRÊTEZ !

La foule autour de nous s’écarte en un clin d’œil poussant de petits cris de stupeur.

Nous nous retournons comme une seule personne. À dix mètres de là, fermement campés sur leurs jambes, se tient toute une horde de Salfas. D’une fluide enjambée, ils se dressent face à nous, faisant d’ores et déjà éloge de leur pouvoir comme mise en garde.

Enfin la Cavalerie ! Il était temps. Du milieu d’eux, émerge Henry, le torse relevé et le regard vif.

Je m’attends à un assaut impétueux de leur part, pourtant cette vision se brise lorsque Henry prend la parole d’une voix stentor :

— Ne leur faites aucun mal.

J’ai la curieuse impression que cette phrase s’adresse autant aux inconnus qu’à nous. À en voir l’expression troublée de Tyron, je ne suis pas la seule à trouver ça perturbant.

Étonnamment l’homme nous contourne aisément avec la femme qui lui emboîte le pas, pour aller à la rencontre de Henry. Sans n’y rien comprendre, nous les regardons s’éloigner.

Ce qui suit est encore plus surréaliste. À tel point que je me demande sérieusement si je ne suis pas en plein rêve.

Henry, notre valeureux chef, agit d’une manière si improbable que je dois cligner plusieurs fois des yeux. Je le dévisage abasourdie qu’il les accueille à bras ouverts. À bras ouverts ! Ils s’embrassent comme s’il s’agissait d’amis de longue date qu’il n’avait plus revus depuis une éternité.

Ces deux individus seraient donc venus rendre visite à Henry ? Pourquoi ne nous l’ont-ils pas dit ?

Tyron et moi échangeons une œillade suspecte.

Il y a quelque chose d’anormal. J’ai l’étrange sensation que leur venue n’est pas anodine, et qu’ils ne sont pas simplement des touristes en vacances. Même si Henry semble leur accorder une confiance aveugle, ce n’est pas mon cas. Sans compter qu’ils dégagent quelque chose d’étrange, d’inhabituel… comme s’ils cachaient de lourds secrets. J’ignore si leurs intentions sont honorables ou non, mais tant que je n’aurai pas la ferme certitude qu’ils ne sont pas source de danger, je compte bien les garder à l’œil.

CHAPITRE 3

Niveau incompréhension, j’avoue avoir connu pire. Ce n’est pas pour autant que ces deux inconnus me laissent indifférente. Je manque de me faire une entorse au cerveau, tellement je remue la question qui m’obsède tant depuis leur arrivée : qui sont-ils ?

Perchée tout en haut d’une colonne de roche, je domine par la vue une partie de la Légion. Ce n’est pas seulement pour m’extasier de la beauté de paysage que j’ai grimpé jusqu’ici, mais plutôt, pour mieux observer les deux inconnus en grande conversation avec Henry sur le bord de sa terrasse.

L’espionnage est mal poli, espèce de curieuse invétérée.

Ça fait des heures qu’ils sont plongés dans une discussion a priori très sérieuse. L’air grave qu’affiche Henry rajoute à mes craintes. En ce moment précis, je rêve d’avoir une super ouïe juste pour savoir sur quoi porte la grande conversation. Grâce à mon titre de « chef de Cavalerie », je pourrais tenter de soutirer quelque information à Henry, mais tel que je le connais, il ne décèlera pas les lèvres.

Un caillou dégringole de mon perchoir dans un bruit sourd. Je me penche en contrebas et aperçois Raphaël gravir la pente pour me rejoindre. Sur le dernier mètre, je lui tends ma main qu’il saisit fermement, et le hisse sur le rocher.

Il sifflote d’un air impressionné jetant un coup d’œil dans le vide, à plus de cinq mètres de hauteur.

— Dis-moi, tu n’as pas trouvé plus haut ?

— Si, bien sûr. Mais d’ici, on a une belle vue.

Ce perchoir qui me confère une vue imprenable n’a pas échappé à la liste de mes repaires d’espionnages.

— Hum, hum, ce n’est pas une de mes préférées. Voir les passants défiler dans les rues… bof, il y a mieux.

Je ne peux tout de même pas lui avouer que sa sœur est en pleine reconversion dans l’espionnage.

D’ici l’on peut parfaitement distinguer les grandes artères de la ville se dessiner autour des habitations. Des sphères de lumières bordant toutes les avenues illuminent entièrement la Légion sous des tons naturels. On y détaille les passants, et chaque maison alignée les unes à côté des autres. Un générateur reclus dans une des grottes est la source d’alimentation qui nous fournit cette électricité. Bien que ce quartier-ci de la Légion soit le plus peuplé, les souterrains s’étendent dans des recoins bien plus lointains. Où certains préfèrent y résider, à l'écart de la population. Comme c’est le cas de ce cher Tyron.

Pour ma part, ma maisonnée m’avait directement été assignée dans ce coin-ci. J’ai le privilège d'être située contre la paroi rocheuse, ce qui me donne une parfaite vue d’ensemble du territoire.

À l’époque, j’envisageais de m'en faire construire une dans une grotte que j'avais repérée à mon arrivée. Celle où j’ai fait la rencontre électrisante d’Erwan et du reste de la bande. Inutile de préciser que ce jour n’a pas été un des meilleurs de ma vie. Avec le temps rien ne s’est arrangé. Pour tout vous dire, Erwan est devenu encore plus dingue.

Enfin bref, avec tous les problèmes qui se sont enchaînés, je n'ai pas eu l'occasion de poursuivre ce plan de construction. De toute façon la question du logement ne se posera bientôt plus. La maison de Tyron étant plus grande que la mienne, je suppose que nous emménagerons dans la sienne. Par contre pour ce qui est de sa louve, Kyla, eh bien... aussi peu probable que cela puisse paraître, notre relation progresse doucement, mais sûrement. C’est une certaine façon de vaincre ma phobie des loups, qui est devenue un véritable problème depuis que j’ai rencontré Tyron. Le fait qu’elle m’ait sauvé la vie à plusieurs reprises, aide d’une certaine manière à atténuer ma peur.

— Qui sont ces gens ?

Je dévie mon attention sur Raphaël, qui a les yeux braqués sur la terrasse d’Henry.

— Qui te dit que je les connais ?

— Je n’en sais rien, mais tu as l’air limite obsédée par eux. Tu n’arrêtes pas de les dévisager.

Ça se voit tant que ça ?

— Ils l’on peut-être cherché, grommelé-je. Ils sont apparus dans la matinée.

— Alors ce sont eux ! C’est eux que vous avez interpellés.

— Les nouvelles vont vite, à ce que je vois…

S’il est tombé par hasard sur Tyron, j’espère qu’il ne lui a rien lâché pour la nouvelle du mariage. Sinon il va voir de quel bois je me chauffe.

J’ai découvert l’existence de mon frère il y a quatre mois, et il a vite pris une place importante dans ma vie. Le courant est très bien passé entre nous, mais j’ignore encore sa réaction quand il apprendra que son meilleur ami va se marier avec sa sœur. Je ne le connais pas encore assez bien. Et puis, rien ne nous pousse à précipiter les choses, hein.

— Je me demande ce qu'ils veulent.

— Ça, on ne risque pas de nous le dire, soupiré-je.

— Pourquoi tu dis ça ?

— En premier lieu parce que tout ce qui touche à Henry est confidentiel. Tu en es la preuve vivante.

C'est à cause de ces secrets que l’on m’avait dissimulé l'existence de mon frère. J’en avais voulu à tous ceux qui étaient dans la confidence, pour m’avoir caché la vérité. Juste avant d'apprendre qu'il était en mission sous couverture chez les Gardacks, et que ce secret était le seul rempart qui le protégeait.

— Et deuxièmement ?

Je hausse les épaules me concentrant à nouveau sur ces inconnus pour le moins déroutants.

— Une intuition.

Jusqu'ici, elle ne m'a jamais trahie et est ma plus fidèle alliée. C’est un des avantages de mon côté Keytam, en plus d’une force légèrement supérieure à celle des humains et de vifs réflexes.

Raphaël se tortille, hésitant, semblant vouloir me dire quelque chose, sans pour autant déceler les lèvres.

— Qu’est-ce qu'il y a ? finis-je par demander.

Son regard se perd dans le vaste paysage.

— Tu sais, ça fait maintenant quatre mois qu'on s’est rencontrés. Et je n’ai pas l’impression que l’on a appris à se connaître suffisamment, comme le devraient des frères et sœurs.

Je triture un caillou sur le sol.

— Dans notre cas, c’est différent.

— Je sais... J'aurais vraiment aimé être auprès de toi durant toutes ces années. Cette guerre contre les Gardacks nous a séparés. Toi, dans le monde des humains. Moi, dans celui des Keytams. Et aujourd’hui avec les missions, nous n'avons pas réellement pu rattraper le temps perdu.

Il n’a pas entièrement tort. Mon temps libre a nettement diminué depuis que je suis devenue chef. Nos rapports se sont limités à quelques heures le soir, évidemment insuffisant pour rattraper ces années perdues. Mais il n’est jamais trop tard.

— Tu sais, on a peut-être perdu une dizaine d’années, mais on en a une centaine devant nous.

Son visage s’illumine de joie et mon cœur se réchauffe.

Tous les deux, nous avons vécu dans le secret durant trop longtemps. Orpheline, j’ai dû me bâtir une vie et une identité par mes propres moyens, dans un monde sans pitié. Apprendre à le connaître est une façon de briser les chaînes qui me retiennent à mon passé.

Il étend ses bras en arrière pour s’y appuyer.

— Une centaine d’années, c'est déjà pas mal.

— Oui, je trouve aussi.

Durant un bref instant, je discerne une ombre passée sur son visage. Comme s’il arrivait à ressentir ma préoccupation. Il détourne les yeux et fait mine de ne rien avoir perçu. Son intuition doit être très puissante. La mienne l’est sûrement moins, mais je possède une chose qu’il n’a probablement pas acquise : décoder les émotions. Ayant grandi dans un vrai foyer, il n'a sans doute pas développé de telles capacités. D’une certaine manière, je dois avouer que ça m’arrange. Ma vie a longtemps été un secret monumental. La plupart des gens autour de moi savaient plus de choses sur moi, que je n'en savais.

Je ne citerai pas de nom.

« Beaux yeux » alias « Brioche ».

Pour une fois dans ma vie où j'ai l'avantage sur les personnes, sans qu’on ne me déballe d’une traite toute ma vie résumée dans un dossier, je prendrai le temps qu'il faudra pour annoncer la grande nouvelle. Depuis ces derniers mois, c’est ce qu’il me manque le plus. Du temps.

— Ça te dirait qu'on s'entraîne ensemble, en ces jours ? me propose-t-il.

Ventos contre Ventos.

Ça promet d’être intéressant. Je n'ai aucune appréhension face à sa proposition. En réalité elle me réconforte. Dans les débuts de mon arrivée, une de mes plus grandes préoccupations était de savoir si j’arriverais à maîtriser mon don, sans Ventos qui puisse me guider.

Ce temps est révolu. Désormais, je ne suis plus seule.

— Ce serait avec plaisir.

Qui sait, il pourrait bien m’apprendre des choses pour être plus forte face aux Gardacks, les ayant côtoyés de très près.

Dans la discussion, ses yeux dérivent sur ma main qui maintient mes genoux repliés. Il fronce les sourcils et désigne d'un geste vague ce qui l'interpelle.

— Elle est jolie cette bague. Mais le saphir n’est pas trop petit pour générer une puissance suffisante ?

Je déglutis.

Pas de quoi paniquer.

— Non pas du tout… J’ai ma pierre à ce bracelet pour compléter l'énergie.

Je lui désigne mon poignet sous son nez. Il le considère en louchant puis sourit en me baissant le bras.

— Oh d'accord.

— La bague, c'est juste pour... la mode.

Un silence suit cette annonce.

Est-ce que j'ai réellement dit ce que je pense que j'ai dit ?

— La mode ?

La mode ?!

Je n'aurais pas pu trouver pire ! Me préoccuper en permanence d’être coquette n’est pas dans mes habitudes. Il est vrai que j’aime les beaux habits, sans pour autant ressentir l’irrépressible besoin de dévaliser les boutiques à chaque sortie de nouvelle collection. Je suis bien loin du modèle typique qui incarne la mode.

Par exemple, les robes : vous rêvez. La seule fois où je serais obligé d’en porter une ce sera à mon mariage. Et encore, si je pouvais y aller en pantalons ça ne me dérangerait pas. Mais pour l’occasion, je suis prête à faire un effort afin d'honorer la tradition. Si ça ne tenait qu'à moi, mon bon vieux jean m'aurait accompagné pour la phrase tant attendue : « Oui, je le veux ».

Je regrette déjà de ne pas avoir posé mes conditions avant d’avoir dit « oui » à Tyron.

— Je suis une fille quoi, dis-je en haussant les épaules.

Il acquiesce sans quitter ma bague des yeux.

— En tout cas tu devrais la changer de doigt. Sinon on pourrait croire que tu es fiancée. Certains pourraient se poser des questions, lâche-t-il dans un léger rire.

Arrêt sur image.

Vient-il de dire ce que je viens d'entendre ?

Petit un : Il vient de percer mon secret et il ne s'en rend même pas compte, ce qui au passage est une grande chance pour moi !

Petit deux : A-t-il raison quand il dit que des personnes pourraient mal interpréter la chose ?

Eh bien, des personnes normales ne s'attarderaient probablement pas sur ce détail. Sauf que mes amis sont tout sauf normaux ! Ils me grilleront à dix kilomètres. Ce sont de vrais détecteurs de secrets.

Que je porte la bague à l’annulaire, ou à un autre doigt, ils le découvriront. Raphaël a raison sa beauté fait vraiment penser à une bague de fiançailles. Même si Tyron souhaite annoncer la nouvelle à tout le monde, je révoque cette idée que je considère être une catastrophe monumentale. C'est un peu trop tôt pour l’annoncer publiquement.

— Bon je vais y aller, m'annonce Raphaël. Profite bien de la vue.

Y'a peu de chance.

Le simple geste de le saluer me demande un effort surhumain pour vaincre ma paralysie. Il descend la côte rocheuse, et je relâche la pression par un long gémissement désespéré. Il s'en est fallu de peu. Je ne sais pas combien de temps je tiendrai avec ce secret. Il est clair que je vais devoir redoubler de méfiance. Comme Tyron tient absolument à ce que je sois en sa compagnie pour leur annoncer, il ne me reste plus qu'une solution : le fuir.

Oui, je sais, je suis cruelle. Pourtant, c'est la seule option qui s'offre à moi si je veux gagner du temps.

Quand j’estime être restée suffisamment perchée sur ce rocher, à observer mes deux cibles, je décide de rentrer. M’attarder plus longtemps ne servirait pas à grand-chose.

Une fois de retour à mon chalet, je sors une bouteille d’eau, assoiffée, et me sers dans un grand verre. Je profite de me reposer ne sachant pas quand l’on me renverra à la recherche d’un nouveau Nova. Je me désaltère puis finis par m’assoupir sur le canapé.

Moelleux, douillet. Je bâille. Un sourire glisse sur mes lèvres. Enfin au calme. Plus rien ne pourra perturber ce…

Quelqu'un frappe à la porte.

Mon sourire se fend en un rictus grincheux. Si c’est Erwan, je le tue. Je ne suis pas prête à affronter un raz-de-marée de vacarme maintenant. À contrecœur, je me lève et me mets à avancer d’un pas nonchalant vers la porte. En l’ouvrant, mon air d’assassin s’efface lorsque je réalise qui se trouve devant moi. Le voir ici, à cette heure-là, est très inattendu.

— Clark ?

— Il faut que je te parle.

CHAPITRE 4

— Je t'en prie, entre.

Il pénètre à l’intérieur, une expression grave accrochée au visage. Je referme la porte derrière lui, assez soucieuse.

— Quelque chose ne va pas ?

Il se gratte la tête, l’air gêné, tourne en rond dans la pièce, fait les cent pas… Je ne l’ai jamais vu dans cet état. Il paraît totalement déboussolé. Les traits de colère qu’il tente vainement de dissimuler sur son visage, me laissent entrevoir d’horribles nouvelles.

— J'ai un service à te demander.

Un service, à moi ?

Il ne m'a jamais demandé de service. Il est plutôt du genre à se débrouiller par ses propres moyens, en solitaire. Le fait qu'il vienne solliciter mon aide, me prouve qu'il est vraiment démuni.

— Je t’écoute.

Il cherche ses mots essayant de tourner autour du pot, mais lorsqu'il s’aperçoit que c'est peine perdue, il se résout à aller droit au but.

— J’ai besoin que tu m'amènes avec toi dans ta prochaine mission.

Je hausse un sourcil. Venir en mission, dans mon équipe ? Alors qu’il ne supporte pas Erwan - comme la plupart d'entre nous cela dit. Son désir de se mêler aux membres de mon équipe va lui être un terrible supplice. Et le pire, c'est qu'il en est conscient. Il doit avoir une raison particulière pour vouloir nous accompagner.

— Tu es dans l'équipe de Tyron, ils ne me laisseront jamais t'em...

— Je ne te demande pas de leur en informer.

Je le fixe droit dans les yeux. Il ne sourcille à aucun moment, tout comme moi. Un sentiment de colère émane terriblement de sa personne et semble entièrement maîtresse de ses émotions, ce qui m'inquiète un tantinet.

Il veut que je mente au Conseil, que je mente à Tyron... Autrefois ça ne m’aurait posé aucun problème, mais après tout ce qui s'est passé ces derniers mois, mentir est devenu un poids. La satisfaction que je ressentais après que quelqu’un ait gobé un mensonge, a été étonnement remplacée par de la culpabilité affligeant lourdement ma conscience. Chose qui m'était inconnue avant d'arriver ici.

— Pourquoi veux-tu venir ? Et qu'est-ce qui te fait croire qu'on va m'envoyer en mission ?

Il ne me demanderait jamais une chose pareille s'il n'avait pas de raison précise. J'ai confiance en lui. En réalité, c'est la première personne en qui j'ai eu confiance. Sans lui, je ne serais pas là aujourd'hui.

Il esquisse un geste vague de la main comme pour balayer rapidement mes propos.

— J’ai entendu une discussion.

— Tu les as espionnés, tu veux dire ?

Enfin de compte, on se ressemble peut-être plus que ce que je ne pensais.

— Non, bien sûr que non. Je suis juste passé par là, par hasard, à ce moment précis. C'est tout.

Ce n'est pas pour autant qu'il a continué son chemin. Conclusion : il les a espionnés, et tout ça sans le moindre remords ?!

Je lui tire mon chapeau ! C'est du grand art.

Malgré mon admiration pour ses talents, je reste suspicieuse.

— Tu n'as pas répondu à ma première question.

Il se fige pensant certainement que j'avais oublié. Je suis un peu vexée. Me croire aussi naïve est frustrant, alors que je suis la première à utiliser ses ruses de diversion. Il soupire fortement et fixe un point invisible au sol.

— J’ai une promesse à tenir.

Il relève la tête et ses yeux noisette s’ancrent dans les miens. Il n'y a aucune trace de mensonge. Il est blanc comme neige.

— Pourquoi tu es en colère alors ?

Même s'il me dit la vérité, ce n'est pas suffisant pour que je mente au Conseil. Il va falloir qu'il se montre plus précis.

— Un ami a besoin de moi. La dernière fois que je l'ai vu, je lui ai fait une promesse. Il faut que je la tienne.

Qu'est-ce que cet ami a de si de secret, pour l’obliger à embarquer clandestinement dans mon équipe ? Je suis tentée de lui demander de quelle promesse il s'agit, mais son regard appuyé dans le mien m’en dissuade. Comme s'il essaie de me faire comprendre qu’il s’agit d’une affaire personnelle.

Je capitule et me tourne vers la fenêtre en observant la vue. Quelques passants parlent et rigolent entre eux, la joie resplendissant sur leur visage.

Clark me fait sans tarder revenir à notre sujet.

— Je sais ce que cela implique pour toi, et je ne t'y obligerai pas. Mais j'irai tout de même. Avec ou sans ton aide.

Clark est mon ami. En me conduisant bien que de force à la Légion, il m'a sauvé la vie. Il est devenu un peu comme un grand frère. Je me dois de l’aider, surtout si lui-même doit porter secours à un ami.

— Je ne te laisserai pas y aller seul.

Un sourire furtif fuse sur ses lèvres, et disparaît aussitôt. Il pose sa main sur mon épaule, le regard attentionné.

— Merci.

— En famille on se serre les coudes.

Il me sourit de nouveau et m'ébouriffe les cheveux alors que je tente de le repousser. Une fois la tornade passée sur ma tête, je le fixe blasée, soufflant une mèche de cheveux devant mes yeux. Il se met à rire et j'ai envie de le frapper.

— Ne dis rien aux autres, me lance-t-il en se dirigeant vers la porte.

Comme si c'était mon intention. « Secret » est mon deuxième prénom.

— De ton côté tu t'engages à ne rien dire aussi.

Comprenant ce dont je veux parler, il s’arrête devant la porte, une étonnante tristesse imprimée sur sa joie habituelle. Il est le seul qui soit au courant pour le mariage. Quelques secondes s’égrènent, avant qu’il ne se retourne vers moi avec son assurance de départ.

— Ce n'est pas à moi de leur annoncer.

Après ces paroles, il s’évanouit dans la nature me laissant pour dernière image un sourire resplendissant désespérément faux. Je reste plantée là, devant cette porte, sans comprendre sa réaction. Tout le monde devient fou aujourd’hui ou quoi ? Tyron me fait sa demande en mariage; deux inconnus sortis de nulle part débarquent; Henry a carrément perdu la tête; et Clark est limite devenu dépressif.

Ne m’attardant davantage dans cette bourrasque d’incompréhension, je me laisse choir sur le canapé. La fatigue a raison de moi et je me laisse bercer vers le pays des rêves qui me tend les bras. Ce calme si paisible, si appréciable, si…

quelqu’un frappe de nouveau à la porte.

La tête engouffrée dans les coussins, je grogne férocement avant de rugir :

— Entrez !

La porte s’ouvre et David fait irruption. Ce bon vieux David, même s'il n’est pas si vieux que ça. Autrefois appelé « Monsieur muscle ». Ce type est une montagne de muscles aussi imposant qu'un gorille dans un salon.

Il n’y a pas si longtemps que ça, je le détestais. Surtout lors de la période où il s'était engagé en tant que surveillant dans mon lycée, pour guider les recruteurs jusqu’à moi. Aujourd’hui, j’ai enterré l’âge de guerre et le considère parmi mes amis. Clark et lui faisaient équipe, et avaient tenté de me maintenir dans un piteux restaurant jusqu'à ce que la Cavalerie débarque. Juste avant Clark s’était débrouillé pour tirer sur deux policiers, qui s’étaient avérés être des Gardacks venus pour m'enlever. Après m’être enfuie, c’est finalement Tyron qui a réussi à me piéger. Eh bien sûr, comme je suis le genre à être redevable, je lui en ai fait baver. Qui aurait cru que ça nous mènerait jusqu'à des fiançailles ?

— Oula, tu as une sale mine !

Je m'étais fait un sang d'encre à cause de Tyron qui disparaissait sans aucune raison. Résultat : je n’étais plus arrivée à fermer l'œil de la nuit.

— J'ai rêvé qu’on venait me réveiller, grommelé-je.

— Ça m'arrive aussi parfois.

Il marche dans le salon feignant de ne pas se rendre compte que mes paroles lui sont directement décernées.

— Le Conseil souhaiterait te voir.

Le Conseil. Je serre les poings, rugis de fureur, puis me lève d'un bond, toute fatigue disparue.

— Quoi ? Ils veulent me voir ! Je leur ai pourtant bien dit que je ne voulais plus avoir affaire à eux. Surtout pour la dernière fois !

Comment aurais-je pu oublier ? Tout a commencé lorsque je leur ai annoncé être la nièce de Mortayant. Ça a été ma plus grosse erreur. Ils ont tout de suite voulu m'exclure de la Légion, en me considérant sur-le-champ comme une redoutable menace. Heureusement j’ai pu compter sur le fidèle soutien de Henry pour les en empêcher. Malheureusement, ça ne s’était pas arrêté là. Lorsque j’ai été nommée chef d’équipe, ils ont une nouvelle fois tenté de me faire partir. C'est d’ailleurs la dernière fois que j'ai assisté à leur Conseil. Nous nous sommes quittés, disons... sous une ambiance plutôt orageuse.

Tyron s'est proposé de remettre mes rapports de mission à ma place, afin de ne plus avoir à les affronter.

— J’avais pourtant été claire !

Les mains liées dans le dos, David me suis placidement du regard, m’énerver comme une folle dans tout le salon. Mes nerfs se défoulent, s’acharnent dans le vent. Au bout d’un certain temps, n’ayant plus de force, je cesse de m’agiter. Les poings serrés, les dents sauvagement en évidence, et à bout de souffle, je ressemble à ce qui s’approche le plus d’un taureau prêt à charger. David me dévisage avant de déclarer :

— Comme je savais que tu réagirais comme ça, j'ai directement demandé à Henry qu'il te reçoive à leur place.

Ma colère retombe d'un cran, juste avant de réaliser que mon petit numéro était inutile, et là, elle éclate à nouveau.

— Pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt ?!

— J’allais le faire, mais tu t’es enflammée. Et comme il était hors de question que je prenne le risque de t’interrompre et de me faire électrocuter, je t’ai laissé péter un plomb.

Que voulez-vous que je réponde à cela ?

— Merci d’avoir pris cette initiative.

Ma voix fatiguée n’a aucune conviction.

— Bon allez, file, tu vas être en retard, me dit-il en me saluant avant de passer la porte.

Ma tranquillité part visiblement en fumée. J’abandonne l’espoir de terminer ma petite sieste, et enfile ma veste en cuir blanc. En descendant les escaliers, je songe sérieusement à inscrire sur ma porte « Frapper, sous peine d’être électrocuté ». À situation désespérée, mesure désespérée.

CHAPITRE 5

J’assène trois coups à la porte de Henry. Patientant quelques instants quelqu’un vient ensuite m’ouvrir.

— Esmeralda, viens entre.

Henry fait un pas sur le côté pour me laisser passer, et referme la porte derrière moi. À chaque fois que je viens dans cette maison, je suis toujours en admiration devant l’élégance de son intérieur. Ce beau chalet en bois est le plus lumineux et le plus spacieux de tous ceux de la Légion. Je ne peux m'empêcher d'observer chaque recoin ébloui.

— David est venu me voir.

— Il me l'a dit, répond-il.

Henry est parfaitement conscient des frictions qu’il y a entre moi et le Conseil, et a accepté que je limite au plus mes rapports avec eux.

Le Conseil a une influence redoutable et je crains qu'à un moment donné, il n'use de leur pouvoir pour m’exclure d'ici, quels qu'en soient les moyens.

Je me tourne vers Henry. La détermination que j’affiche à ne pas remettre les pieds chez eux, n’est qu’un masque, qu’une simple façade. En réalité, j’ai peur. Peur qu’ils s’en prennent à moi.

— Je ne changerai pas d'avis.

— Je sais.

Ses yeux me fixent avec insistance. Une lueur brille dans ses prunelles noisette. Une sensation étrange croit insidieusement dans ma poitrine. J’enclenche alors mon « décodeur d’émotions ». Or, ce que je vois dans ses iris me laisse sans voix. Comment est-ce possible ? Pour la première fois, je n’arrive pas à interpréter les signaux envoyés. Je réalise alors que je connais cette expression. C'est la même que j’utilise pour évaluer les gens. Déstabilisée, je le fixe totalement désorientée.

— Co… comment ? Vous... vous êtes...

— Comme toi, finit-il par m'avouer.

Pourquoi je ne l'ai pas remarqué plus tôt ?

— Vous arrivez à décoder les émotions. Comment vous avez appris ?

Était-il lui aussi orphelin ? Ou est-ce une autre raison ?

Il hausse les épaules et arbore un léger sourire sur son visage amical.

— Esmé s’il-te-plaît, arrête de me vouvoyer. J’ai l'im-pression d'être un vieillard, déclare-t-il en riant. J'ai appris avec beaucoup d'observation. Mais je ne suis pas aussi doué que toi.

Il a tout de même réussi à franchir l'armure que je m'étais construite, pour que quiconque ne parvienne à lire en moi.

— Tu es orphelin ?

— Non, répondit-il de sa voix grave. J'avais une famille. Adolescent, lorsque j'ai su que j'allais mourir, j'ai changé de comportement. Je suis devenu une vraie brute et j’ai commencé à participer à des combats pour me faire de l’argent de poche. C'est dans les combats que j'ai appris à décoder les émotions. Je pouvais appréhender le comportement de mes adversaires. En les observant suffisamment, je pouvais détecter s’il comptait m’avoir par la ruse ou la force. De cette manière je réussirais à les battre sans problème.

Si ça avait été quelqu'un d'autre qui m'aurait raconté cette histoire, je lui aurais ri au nez. Tout simplement parce que Henry n'a rien d'une brute. Il est doux comme un agneau. J’ai du mal à l’imaginer en boxeur, lui qui est prêt a tout pour aider les gens.

Il s'avance d'un pas le regard chaleureux, tandis que le mien a perdu en assurance.

— Je sais que tu as peur. Il ne t'arrivera rien. S'il le faut, je te protégerai moi-même. Personne ne s’en prendra à toi.