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Extrait : "Qui que tu sois, prends garde en lisant cet écrit ! Ne le médite point si ton caractère est incertain ; rejette-le bien vite si quelque pensée de mal te portait à rechercher la science. Considère que jamais impunément le mal ne se pratique, et que, par cela même que tu lui aurais ouvert la porte, il entrera chez toi pour te punir et venger l'outrage que tu auras fait à la nature."
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Seitenzahl: 445
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335050066
©Ligaran 2015
Il n’y a qu’une petite peau qui nous sépare des pures essences et des esprits.
J’ai vu les édifices religieux, et quelquefois les ministres du culte, frappés par le feu du ciel.
J’ai vu les champs et les récoltes saccagés par les orages, comme si le Très Haut fût resté sourd aux prières des mortels.
J’ai vu le vice triomphant, la vertu méprisée, les guerres les plus injustes donner la gloire et la fortune à qui ne les méritait point.
J’ai vu le mensonge prédominer partout sur la vérité.
J’ai vu tout ce qui peut rendre athée et faire croire à une aveugle fatalité ; il ne manqua rien à mon éducation pour qu’elle fût complète, et mon sentiment se serait réglé sur ce que mes sens m’avaient appris, sur ce que la raison générale me dictait, si je n’avais aperçu dans la nature ce que la science ignore, un agent supérieur à la matière, une loi secrète qui prouve l’existence d’un Dieu et d’une autre vie.
Bruit sans voix et sans parole, écho singulier et mystérieux, force puissante, invincible, universelle, d’où viens-tu ? Agent des plus grandes merveilles, source du bien et du mal, principe de maladie et de santé, quelle est ton origine ? Descends-tu d’un Dieu bienfaisant ou terrible, ou bien, essence créée comme tout ce qui existe, ton rôle est-il seulement de concourir à la formation des êtres ? La nature te porte dans ses flancs, les éléments contiennent tous quelques-unes de tes vertus ; l’homme les résume toutes en lui-même ! Tu lui donnes une auréole éblouissante, tu pénètres jusqu’à son âme, illuminant sur ton chemin les sentiers par où doivent passer les messagers de la Divinité. Qui donc oserait espérer remonter jusqu’à la source d’où tu découles, et te donner un nom ?
De toi empruntant son pouvoir, l’homme peut se dire le roi de la nature ; n’est-il point son rival puisqu’il peut créer et se faire obéir ? Don suprême ! car en éclairant l’esprit il lui donne la prévoyance et l’idée de Dieu. Force magique, te voilà découverte, en vain l’antiquité voulut te dérober à tous les yeux ! Saisie par les penseurs, tu seras le fondement d’une philosophie nouvelle qui s’appuiera sur les faits mystérieux contestés par la science actuelle, sur cet ordre nouveau de phénomènes que la raison repousse encore et que le temps doit bientôt établir.
La voilà qui revient, cette bannie, avec son même caractère de vérité ; n’est-elle point immortelle ? Que lui importent les opinions des hommes ! Que lui font les martyrs ! Dépend-il de nous qu’elle ne soit point ? Pouvons-nous changer son caractère ? Non ; elle sera aussitôt reconnue ce qu’elle fut jadis. Elle donnera à celui-ci un pouvoir presque sans limite pour opérer le bien ; à cet autre elle livrera le secret des œuvres ténébreuses. Prenant sur son chemin le venin du reptile, elle ira l’infiltrer dans le sang d’innocentes victimes. Se revêtant du germe des plus pures vertus, elle donnera la grandeur et la majesté à ses privilégiés.
Le magnétisme et les effets magiques qui en résultent prouvent, pour tous les hommes de sens, l’existence d’une science nouvelle différant en tout de celle des écoles. En effet, on pourrait caractériser leur dissemblance, en disant que les connaissances qui forment le faisceau de la science officielle représentent la nature morte ; l’autre, au contraire, connue seulement d’un petit nombre, est la véritable science de la vie. Elles se séparent par des nuances si tranchées qu’il est impossible de les confondre.
À vous, messieurs des académies, tout ce qui frappe grossièrement les sens et peut être soumis à des analyses, à des mesures de convention et passé au creuset ; à vous tout ce qui peut être calculé, réglé ; à vous les cadavres, et nous pourrions dire toutes les apparences de la vie, les fausses idées nées dans vos esprits sur tout ce qui est supérieur aux forces mortes. À nous ces brillants phénomènes, résultat de l’agent que vous avez méconnu ; à nous l’étude des facultés de l’âme et la possession des mystères qui étonnèrent le monde ancien.
Franchissant la limite tracée aux connaissances humaines, nous pénétrons aujourd’hui dans le domaine moral, et les fruits que nous en rapportons n’ont point parmi vous leurs pareils.
Nous pouvons donc enfin, saisissant l’homme en lui-même, faire apparaître dans tout son jour la merveilleuse faculté dont la nature l’a doué ; montrer à tous sa divine essence, et révéler un nouveau monde.
Magie ! magie ! viens étonner et confondre tant d’esprits forts, gens pleins d’orgueil et de vanité, qui ont conservé les préjugés de leur enfance, et qui pensent être arrivés dans le vrai des choses, tandis qu’ils n’ont point dépassé la porte du sanctuaire où se trouve renfermée la vérité ; ils semblent frappés de vertige, et sont pour nous comme ces aveugles-nés à qui on parle de la lumière du jour, des beautés de la nature qu’elle nous laisse apercevoir et de ses brillantes couleurs qui charment tant la vue ; ils ne peuvent comprendre, et restent froids à la description de ces beautés. Pour nous le savant est semblable, lorsque nous plaçons sous ses yeux couverts de taies les merveilles de la science nouvelle.
Agir sur une âme ; faire mouvoir le corps d’autrui, l’agiter comme fait l’aquilon du faible roseau ; pénétrer dans un cerveau humain et en faire jaillir les pensées cachées ; déterminer un tel mouvement dans les organes les plus profonds, que tout ce qui s’y est accumulé d’images apparaisse à la vue de l’esprit ; rendre sensible ce travail, le montrer, n’est plus qu’un jeu pour nous, et ce n’est aussi que le commencement des œuvres magiques ! Nous savons mettre en fusion le métal humain et le pétrir à notre guise ; nous savons en extraire l’or et les métaux les plus précieux. Nous employons ici ces figures, car nous manquons de mots pour peindre les choses morales.
Plaignez-nous donc de croire aux merveilles et aux principes de leur reproduction ; nous vous pardonnons même le mépris que vous avez pour nous ; car vous êtes bien malheureux, vous, savants, que le monde honore ! Hélas ! il adore des idoles incapables de rien comprendre à la vie ; incapables de répondre à une question sur ce qui la constitue. Jouissez, recevez les tributs que vous paye le vulgaire. Un nouveau germe a été répandu sur la terre, il doit bientôt éclairer l’ignorance. Un Dieu ne sera plus nécessaire pour vous chasser du temple ; nos enfants le feront un jour.
Mais que suis-je moi-même, pour vous parler ainsi ? Rien ou presque rien ; mon intelligence a seulement saisi un rayon de la vérité, et cela me suffit, je n’ai nul besoin d’autre chose. Je ne demande rien et n’envie rien aux hommes. En éclairer quelques-uns est ma seule envie. Jouissant en paix en moi-même et reportant à Dieu seul mes hommages de ce qu’il lui a plu de me faire entrevoir, j’attendrai patiemment le jour où, quittant cette vie, j’en saurai davantage. De disputes, je n’en veux point ; car elles tuent les forces sans profit pour la science. Réservant ma liberté, j’agirai selon qu’il me plaira ou que me dictera cette voix secrète que j’ai toujours écoutée. Sans jamais faire de mal, je me servirai de la force nouvelle pour montrer l’étendue du pouvoir humain. Me croyant insensé, les savants laisseront faire le fou, disant : « Il se saisit de l’imagination ; il agit sur les faibles. » Tandis que je prendrai les plus forts pour sujets de mes épreuves : « Ce n’est rien, diront-ils encore, car tout est prestige, illusion et affaire de compérage. » Mais un jour la vérité étant connue et répandue, le fou sera réhabilité malgré lui, car il ne demande point à être classé parmi les sages de ce temps.
Que va-t-il advenir maintenant ? Un grand bien, peut-être un grand mal ! car l’habileté de l’être humain consiste surtout à tourner contre lui-même les forces qu’il surprend à la nature ; il fait le bien par exception, le mal par habitude ; la vie paisible ne lui convient point, il recherche ce qui peut le remplir d’inquiétude et de tourment. Fasse le ciel que la vertu dévoilée dans cet écrit, en éclairant l’homme, corrige ou change ses funestes penchants !
Je ne touche qu’un point de cet art divin de la magie, mais il divulgue toute la science ; d’ailleurs je ne saurais dépeindre ce que je n’ai point vu, ce que je n’ai point voulu voir et peut-être apprendre. Je donne l’outil, l’agent ; je montre le chemin, j’y place le lecteur afin qu’il n’ait plus qu’à marcher. Je sais que les bons seront timides, que les êtres sans scrupules avanceront hardiment, sans redouter aucune conséquence, sans reculer devant le châtiment.
DIEU, VIE ET SOMMEIL, PROVIDENCE ET JUSTICE, MORT ET RÉSURRECTION, PURIFICATION ET RÉMUNÉRATION.
Cet assemblage de mots représente toutes les croyances, toutes les espérances de l’humanité ! Ôtez l’idée qu’ils font naître, il n’y a plus rien en l’homme, il descend au-dessous de la brute, et n’est plus qu’un être abject et méprisable. Mais c’est en vain que l’on a cherché à rendre par des images ce que le cœur sent, ce que la conscience dit exister ; un voile épais dérobait aux mortels les lois et les opérations de la nature, la pénétration humaine ne suffisait point pour le percer.
Voici qui fera plus que le raisonnement pour la solution des divins problèmes. L’agent de toutes les merveilles, de tous les miracles, de la vie, de la mort ; le principe de toutes choses, enfin, est désormais à la disposition de l’homme !
BARON DU POTET.
Paris, 15 août 1852.
Ayant résolu de publier un livre sur les faits mystérieux du magnétisme et de la magie, j’ai cru devoir placer le lecteur à mon point de départ, de manière à ce qu’il me suivît dans ma course, et s’initiât aux merveilles de la science nouvelle, en suivant tous mes pas ; qu’il vît le progrès de mes études, leurs résultats, et comment je suis arrivé au but sans qu’aucun homme m’indiquât la route.
Je commence donc ici ma biographie ; elle intéressera peut-être quelques lecteurs. Ce chapitre, écrit très rapidement, marque seulement des dates : c’est tout ce que j’ai voulu. Cette histoire abrégée m’a paru essentielle, je le répète, sans cela je ne l’eusse point écrite ; car elle n’a rien de flatteur pour moi ; mais c’est un hommage rendu à la vérité.
On recherche quelquefois les premiers pas d’un homme dont les œuvres ont eu quelque retentissement ; on se demande comment il est arrivé à prendre rang dans la catégorie du petit nombre d’êtres dont la vie eut le privilège d’occuper un instant l’attention : c’est souvent un mystère impénétrable et dérobé à tous les yeux.
Le sage cache sa vie, l’orgueilleux la dissimule tant qu’il peut, l’homme simple, et qui n’a aucune prétention à la renommée, dit la vérité. Comment avez-vous commencé ? quels furent vos maîtres ? qui donc vous ouvrit la carrière ? où avez-vous puisé les premières notions de votre science ? etc., sont des questions qui m’ont été cent fois posées. Je ne méritais certainement pas autant d’attention, et longtemps je fis le sourd ; non point que je regardasse ces demandes comme indiscrètes, car moi-même j’interrogeai souvent les magnétistes qui me précédèrent ou suivirent. Mais une chose me préoccupait et me paraissait plus importante : produire des faits propres à justifier le magnétisme des odieux soupçons jetés sur son existence ; et j’employais tous mes moments à l’expérimentation, car convaincre me semblait un devoir essentiel auquel je satisfaisais toujours pleinement.
Aujourd’hui, je vais répondre en quelques mots à ces demandes renouvelées ; on veut connaître mon passé ; peut-être, par l’enchaînement qui s’y trouve, reconnaîtra-t-on une de ces destinées contre lesquelles on se révolte en vain.
Je naquis le 23 germinal an IV (12 avril 1796), dans un petit village du département de l’Yonne, La Chapelle, commune de Sennevoy, où mon père possédait la seigneurie de ses ancêtres, qui, sans la Révolution, me serait revenue, comme le premier-né. Par l’ancienneté de race, nous appartenions à la vieille noblesse du duché de Bourgogne. Ma famille autrefois donna son nom à deux rues de la capitale ; et il y a encore aujourd’hui à Dijon la rue du Grand-Potet. Je dis ceci sans aucune vanité ; car je ne reconnais qu’une noblesse véritable : c’est celle de l’intelligence. Mon père, sur ce point, pensait autrement que moi ; mais il chercha vainement à m’inculquer ses traditions de famille.
On m’emmena aussitôt ma naissance, car la vie était alors fort tourmentée ; puis, quelque temps après, on me ramena au premier gîte. Voyageant la nuit et discrètement, j’étais conduit par une brave femme qui avait bien voulu prendre soin de moi ; elle cheminait lentement, sur une route peu fréquentée, tenant par la bride un baudet. J’étais emmailloté douillettement et placé dans un des paniers que portait cet âne. Mais le fond avait été mal assuré, les clavicules qui servaient à l’assujettir mal mises ; bref, je tombai sur la route avec les oreillers, et la bonne femme allait toujours son chemin, sans s’apercevoir en rien de mon absence. Ce ne fut qu’à un village qu’elle reconnut que j’avais disparu ; mais où étais-je ? elle n’en savait absolument rien. Elle prit une lanterne, et, à force de marcher, elle me rencontra. Je dormais paisiblement, couché près d’une ornière. Me saisir, m’emporter, faire une lieue pour rejoindre l’âne, fut l’affaire de peu de temps. Je dus à cette circonstance d’avoir une seconde mère, qui ne put jamais m’aborder, dans la suite, sans verser beaucoup de larmes.
Mon enfance fut différente de celle des autres enfants. Jusqu’à l’âge de quatorze ans, je ne voulus rien apprendre ; les privations de toute nature, les mauvais traitements, que je méritais bien, ne purent rien sur moi, et ne me déterminèrent jamais à commencer mes études. Entrant dans une école publique, j’en sortais aussitôt ; ou bien, si j’étais contraint d’y rester, j’attrapais les mouches, et portais toute mon attention à l’examen des moyens qui m’étaient laissés de fuir.
J’aimais passionnément la lumière du soleil. Je crois que, si l’on m’eût mis au cachot, on eût obtenu de moi tout ce que l’on eût voulu, en me promettant surtout quelques heures de loisir à employer selon mon habitude, c’est-à-dire loin de tous et en pleine campagne.
On chercha à m’inculquer le rudiment du catéchisme ; je m’y prêtais forcément ; mais, en entendant le saint homme me demander gravement : « Le Père est-il Dieu ? Je répondais : Oui. – Le Fils est-il Dieu ? – Oui. – Le Saint-Esprit est-il Dieu ? – Oui. – Ce sont donc trois Dieux ? » Je faisais la réponse convenue, et, n’y comprenant rien, je bâillais et prenais la clef des champs. Je n’avais d’ailleurs nul souci des peines de l’enfer ou du purgatoire dont on me menaçait ; car mon père avait dit devant moi qu’on avait bien fait d’inventer l’enfer pour épouvanter la canaille. C’était le refrain d’une chanson qu’il chantait quelquefois en revenant de la chasse. Cependant, une chose que je ne m’expliquais point, c’est que toutes les fois qu’il sortait de la maison pour se livrer à son plaisir favori, et qu’il rencontrait sur son chemin un ecclésiastique, il disait : « Bon, voici un oiseau de mauvais augure ! que le diable l’emporte : je ferai mauvaise chasse aujourd’hui ! » Ces mots m’avaient frappé.
J’allais aux offices du dimanche, à la fin seulement, parce qu’on m’en faisait un rigoureux devoir ; mais de toutes ces cérémonies, je n’en apercevais qu’une seule, la distribution du pain bénit. J’en prenais alors un modeste morceau, non parce que c’était un fragment de brioche, mais parce qu’il devenait une preuve péremptoire de ma présence à l’église. Ma mère, chaque fois, était si contente, si heureuse, que je manquais rarement de lui donner cette douce satisfaction.
Toujours dans les bois ou proche des rivières, j’aimais le contact de ces fluides qui, mariés aux rayons du soleil, caressent si agréablement le corps. C’était tout mon bonheur, toute ma vie ; j’entendais le bruit le plus léger, comme celui d’une feuille qui tombe, d’un insecte qui passe dans l’air ou remue discrètement la mousse. La nature avait pour moi des harmonies que je croyais ressenties par toutes les créatures. J’étais ravi, enchanté d’être comme l’écho du murmure de la création ; cette sorte d’extase durait quelquefois des journées entières.
Mais il fallait bien rentrer à la maison paternelle, et j’entendais alors de grosses voix qui me fendaient les oreilles. Du plus loin que l’on m’apercevait, on m’envoyait ces mots si durs : Paresseux, vagabond, propre à rien, idiot, etc. ; c’était le prélude d’une correction en règle, selon l’ancienne méthode. Puis, lorsque tout était fini, une voix plus douce m’appelait ; hélas ! c’était la voix de ma mère, et ses paroles pénétraient jusqu’au fond de mon cœur ! « Jules, d’où viens-tu ? Tu ne veux donc point travailler, mon enfant ? tu veux donc toujours me désoler, et être une cause de chagrin pour ton père et ta mère ? » Puis, prenant enfin le ton d’une feinte colère, elle me disait : « Jules, les vagabonds ont commencé comme toi, puis ils devinrent voleurs. Serais-tu destiné à faire notre désespoir ? Réfléchis, rends-nous la joie ; prends ton panier, les livres, et va à l’école ! » Je n’osais répondre non, car j’avais bien l’intention d’obéir ; mais quelque chose de plus fort que tous les conseils, de plus puissant que toutes les remontrances actives et violentes, empêchait que ma nature ne changeât.
Apprendre ! à quoi bon ? me disais-je ; je sais déjà tant de choses ! je connais tous les sentiers de la forêt, les lieux où la rivière est profonde, les arbres qui recèlent des nids. J’entends tout, je vois tous ! je connais la saveur de tous les fruits sauvages ; je suis habile à grimper à la cime des arbres géants, comme à descendre les montagnes escarpées.
Apprendre ! mais je ne vois point les poissons du ruisseau aller à l’école, les animaux des prairies n’ont point de précepteurs, les oiseaux obéissent à eux-mêmes, et sont, comme moi, joyeux lorsqu’un rayon de soleil reluit à l’horizon.
Ne vois-je pas chaque jour des gens que l’on appelle bêtes, et on dit partout qu’ils sont heureux, que tout leur réussit, qu’ils amassent beaucoup d’argent !
Rien alors n’aurait pu me convaincre de l’utilité des sciences ; les savants que je voyais me paraissaient faits comme les autres hommes. Je comprenais le chant des oiseaux, et je le préférais de beaucoup au latin que je ne comprenais point. Je sortais donc tous les jours de la maison paternelle, quelquefois avec de grosses larmes dans les yeux ; elles ne me venaient point de la souffrance, je ne savais ce qui les faisait couler, et quelle était la cause de mon chagrin. L’air était mon élément favori, l’air me consolait. Les paroles de ma bonne mère me revenaient parfois, et voilaient de nouveau mes yeux ; j’essuyais ces pleurs, c’était tout. Rebuté, châtié chaque fois que je rentrais, on niellait sur mon compte tout le mal arrivé à la maison, mal qui s’était fait en mon absence. Des objets étaient-ils cassés, c’était moi ; l’oiseau avait-il pris sa volée, c’était moi qui avais ouvert la cage ; un chien criait-il, c’était moi qui le tourmentais ; quelque chose de valeur était-il égaré ou perdu sans retour, c’était moi qui l’avais dérobé. J’étais un mauvais génie, mais un génie muet, car je ne répondais point, sachant par expérience que toute justification aggraverait mon châtiment. Ayant horreur du mensonge, le sentiment du juste et de l’injuste s’enracina dans ma nature, je découvrais les coupables à leur physionomie. Hélas ! la justice légale offre parfois l’image de celle de la famille qui, n’écoutant rien que ses préventions ou impressions, condamne souvent sans entendre !
Les enfants voient tout, et se conduisent comme s’ils ne voyaient rien : ils seraient d’habiles espions. On dit qu’une certaine classe d’hommes utilise leurs petits talents, et en tire un très bon parti.
C’est ainsi que je grandis ; mes sens avaient acquis une finesse qui eût défié tous les savants dans les exercices où ils peuvent être d’un utile secours, et cependant c’est tout cela que l’on voulait me faire abandonner : cela ne servait à rien, disait-on. On prit le parti de m’envoyer à la ville voisine, pensant que l’éloignement agirait sur moi. Vaine tentative ! Comme les pigeons voyageurs, je revenais au colombier aussitôt lâché. Dix lieues pour moi n’étaient point une fatigue à craindre, je pouvais faire cette course avant déjeuner.
Enfin, l’instant d’entrer dans le bagne des civilisés arriva : le boulet fut rivé !
Cette transformation de tout mon être, un seul mot l’opéra. J’avais bien quatorze ans. Me trouvant un jour chez un de mes parents, où il y avait alors nombreuse compagnie, un monsieur demanda qui j’étais ; on le lui dit : « Oh ! oh ! dit-il, c’est dommage qu’il soit bête. » Le rouge me monta au visage, je devins tout tremblant, je m’enfuis, non pour reprendre encore ma vie aventureuse et sauvage ; en un instant la nature s’était décolorée ; je ne la voyais plus de même, une pointe aiguë avait pénétré jusqu’au plus profond de mon cœur ; je devins mélancolique et rêveur. Le même jour, je priai mon père de disposer de moi : « Mais tu n’es propre à rien. Que veux-tu que je fasse de toi ? Va-t’en ! » fut sa réponse. S’il m’eût observé, il eût pu voir sur mes traits l’empreinte de la tristesse ; mais il ne me regarda point.
J’appris seul à lire, à écrire, à compter ; je feuilletais tous les livres qui me tombaient sous la main ; mais on ne m’offrit plus de maître, le temps était passé. Je n’en accuse que moi. Mon père avait vu disparaître une grande partie de sa fortune, et je devenais un embarras.
D’un homme qui ne sait rien, que fait-on ? Un soldat ; je n’avais point de goût pour ce métier de tueur d’hommes. Mais, quoique ignorant, je serais entré, comme noble, dans la maison du roi, que l’on formait alors ; mon père savait bien que je n’aurais point dérogé. Un gentilhomme, disait-il, prouve sa noblesse à la pointe de son épée, le reste est peu de chose. Malheureusement, je n’avais pas encore la taille, et il fallait d’ailleurs assurer une certaine pension au-dessus de nos moyens. J’entrai dans une maison de commerce ; on fut assez content de moi ; mais je me déplus bientôt à ce métier, et je pris congé du maître, ayant seulement trois louis doubles, que mon père m’avait laissés : c’était là tout mon avoir ; mais j’étais libre et économe.
Enfant perdu ou plutôt oublié dans cette grande cité, oriente-toi, cherche à te rendre utile ; toutes les carrières paraissent t’être interdites, faute d’aptitude ou d’instruction ; un bon génie va guider tes pas, Dieu n’abandonne aucune de ses créatures ; il t’inspirera, et tu marcheras désormais dans des sentiers nouveaux, la destinée sera de créer pour d’autres hommes une profession nouvelle, plus belle, plus noble que toutes celles qui existent. Ton sort sera un jour digne d’envie, tu deviendras chef d’école dans un art encore peu connu. Par toi, par tes efforts, ce qui est méprisé et avili sera honoré ; des hommes nouveaux te devront leur fortune et leur gloire !
Je n’avais point cette pensée, mais mon cerveau était rempli d’idées non moins flatteuses. L’illusion vient bercer de ses doux mensonges celui qui cherche à sortir de la foule commune ; un secret pressentiment m’avertissait pourtant que ma vie serait utilisée, mais je ne devinais point ce qui devait fixer mon sort. Ayant à ma disposition cette immense bibliothèque du pauvre et du flâneur, qui déploie ses rayons poudreux sur les parapets des ponts et sur les quais, je feuilletais, pendant les longues heures de la journée, ces volumes mutilés ; c’était cependant une occupation sérieuse pour mon esprit. Un jour, j’ouvris un de ces ouvrages, tout maculé et rongé par les vers, ses pages avaient subi les outrages du temps ; il était bien vieux, et peut-être sa vieillesse était-elle cause de son abandon. J’y lus et relus ces remarquables passages :
« Sachés qu’il y a une substance admirable au corps de l’homme appellée Luz, laquelle est toute sa force et vertu, voire la racine et le fondement d’iceluy ; et quant il meurt, elle ne s’enuolle pas ny ne esuanoüist pour cela, ains quant bien elle seroit reduite en un tas dans le plus grand feu, ne se brusle ny consume point, ny ne sçauroit estre non plus brisée dans une meulle de moulin, ny concassée dans un mortier, mais est permanente à tout iamais, recevant mesme de la volupté et delices en l’homme iuste après son décès, suivant ce qui est escrit en l’Ecclesiastique, 26 : Et ossa eorum impinguabit, etc. »
(CARNITOL, en ses Livres des Portes de justice.)
« Laquelle substance, qui est le fondement de sa racine, est partie du lieu dict Schamaim, les cieux, par un mystère cogneu à ceux qui savent ce que c’est de ceste substance céleste, et dont chaque espece reçoit la force et vigueur de son estre ; car de là l’influence vient au lieu qui s’appelle Sheakim, ou région Etheree. »
(ÉZÉCHIEL, 32.)
« Il y a une chose créee de Dieu, qui est le subiect de toute merueille, laquelle est en la terre et au ciel, animale en acte, végétale et minérale : trouuee par tout, cogneuë de fort peu de gens, et de nul exprimee par son droict nom, ains voilec d’innumerables « figures et enigmes, sans laquelle n’y l’alchimie, n’y la magie naturelle ne peuvent atteindre leur complette fin. »
Je venais souvent relire ces passages, renfermant un secret, comme si j’eusse pressenti qu’un jour ce secret devait m’être révélé.
Le mot de MAGNÉTISME fut prononcé devant moi vers la fin de 1815, année de la mort de Mesmer. Je ne veux point établir de rapprochement, mais seulement fixer une date. Ce mot seul éveilla tous mes sens ; il me sembla qu’il voulait dire nature, et tout ce que dans mon enfance j’avais le plus admiré se présenta à moi. Je rassemblai mes idées pour les coordonner et saisir ce qu’il y avait de commun entre les faits que je venais d’entendre raconter, et les impressions de mon jeune âge : celles-ci, me disais-je, m’auraient-elles donné un premier degré d’initiation qui doit aujourd’hui se compléter par une sorte de révélation mystérieuse ? Et, dans mon étonnement, je faisais répéter le récit des nouveaux et surprenants phénomènes. En sortant de ce premier entretien, j’étais magnétiseur. Quelque chose me disait que j’avais ce pouvoir occulte ; pour la première fois de ma vie, je venais d’être remué par un agent intérieur, par un feu circulant dans mes veines, ayant la puissance de faire battre mon cœur.
C’est alors seulement que je compris que l’homme doit posséder dès son enfance l’histoire des temps passés, les mots surtout qui peignent les sentiments et qui donnent ainsi la faculté de rendre ceux qu’on éprouve ; mon ignorance m’apparut une seconde fois, je cachai mon visage, mais sans être découragé. Quoi ! ce magnétisme était en moi, et je ne l’avais point encore découvert, personne jusqu’ici ne m’en avait parlé ! C’était donc un profond secret ! J’étais impatient de le connaître.
Les adeptes étaient peu nombreux, on citait Deleuze et Puységur ; je ne les connaissais point, et le temps n’était pas venu pour moi d’oser les aborder. La fièvre me prit, non la fièvre morbide, mais celle qui accompagne l’enthousiasme ; car moi, ne sachant rien du magnétisme qu’un récit de faits, sans avoir rien vu, je produisis, dès le soir même, sur deux jeunes filles aussi ignorantes que moi de ces matières, les merveilleux phénomènes du somnambulisme, et cela dans un instant. Tout ce que la raison de nos grands génies repoussait avec dédain et colère, je venais de le voir, de le constater avec une surprise mêlée de terreur : j’étais anéanti ! Sans expérience, dépourvu des moyens nécessaires pour diriger, cette crise, mes forces me quittèrent : elles étaient passées dans deux corps qu’elles animaient d’une vie toute nouvelle. Je brûlais et j’étais froid, mes membres refusaient tout service, une affreuse pensée me traversa l’esprit : si tout à l’heure je ne pouvais rétablir dans leur état naturel ces personnes, que deviendrais-je ? J’ignorais tout.
Après cinq heures d’angoisses, sur une simple question : Comment donc vous réveiller ? ces deux charmantes filles me tirèrent d’embarras.
C’était mon début, et cet instant décida de toute ma vie, il fut le motif et la cause de mon apostolat, je lui dus bien des souffrances, bien des affronts ; mais, par compensation, les plus pures jouissances me furent offertes, et je les savourais à longs traits.
N’ayant aucune connaissance de la médecine, j’allai me placer sur les bancs de l’école, et je suivis les cliniques. Malgré mon aversion pour la dissection, je m’y livrai, je pris même mes inscriptions d’élève.
Je fréquentai un peu les leçons du Collège de France, et je feuilletai tous les livres des professeurs distingués.
Tous ces travaux n’eussent été rien pour moi, s’il ne m’eût fallu vivre et achever des livres. J’éprouvais donc toutes les privations qu’éprouvent, hélas ! bien des jeunes gens ; mais, plus heureux que beaucoup d’entre eux, je les supportai avec courage et résignation ; elles n’altérèrent en rien ma santé.
C’est alors que je me rappelai mes premières années passées sans travail ; la nature avait eu le temps nécessaire pour fortifier mes organes ; mon cerveau, resté vierge, n’était point énervé ; j’avais toute la sève désirable, et l’écorce était bonne.
Il ne me vint jamais à la pensée d’aller frapper à la porte de parents riches et puissants qui habitaient Paris, plusieurs étaient à la cour, tous pouvaient me servir. Je mettais une sorte d’orgueil à faire seul mon chemin. N’étais-je pas assuré que le magnétisme existait, non par un fait, mais par une continuité de travaux et de recherches, recherches faites souvent à l’insu de ceux qui me fournissaient de curieuses observations ? Par un levier invisible à tout le monde, je remuais des machines humaines, j’agissais également sur des animaux endormis ; profitant de toutes les occasions qui m’étaient offertes, je multipliais ma vie afin d’arriver plus vite, et j’en rendais tous les instants utiles. N’y avait-il pas là de quoi m’ouvrir une carrière ? Cette vérité prouvée ne devait-elle pas me conduire à quelque chose ?
Ce qui influa sur moi d’une manière puissante, ce qui me donna le courage de la persévérance, je dois le dire, ce ne furent point les faits que j’obtins sur des gens éveillés, car je croyais, que, jusqu’à un certain point, ils pouvaient se produire par l’imagination, pouvoir encore inconnu ; mais ce fut de voir l’homme ou l’enfant endormi subir mon influence, et, plus encore, les animaux placés dans la même condition éprouver et présenter la série identique des mêmes phénomènes. Avec-quel recueillement je contemplais la nature soumettant tous les êtres à la même loi ! Témoignage irréfragable de l’existence d’une force encore inconnue, d’un principe divin renfermé dans nos organes. Tous les savants avaient donc menti dans leurs affirmations : il y avait là quelque chose que je ne devinais point encore ; car il me semblait être d’une facilité extrême d’acquérir la même conviction que moi. Tout le mépris jeté par les savants sur les magnétiseurs devait donc un jour retourner à la source d’où il avait jailli.
Mais, en considérant mon chétif individu, je ne m’abusais point sur ma puissance. Je ne pouvais même pas raisonner sur un fait, en tirer toutes les conséquences, faire valoir la vérité, la soutenir. Hélas ! ce sont des faveurs qu’il faut mériter par le travail ; elles vous sont accordées aussi par la lutte, quand on a l’esprit juste. Mais je ne savais point lutter, l’éloquence me faisait défaut, ma croyance était muette, mon néant m’écrasait. Courbé, affaissé, replié sur moi-même, ma figure se rida, quoique bien jeune encore.
Dans mon désespoir, j’en appelais à Dieu.
Dieu tout-puissant, disais-je dans mes moments d’abattement, donne-moi force et courage ; si tu es le dispensateur de toutes les vertus, fais que j’aie celles qui me sont nécessaires ; inspire-moi, afin que je fasse triompher la vérité !
J’étais pourtant heureux et fier de mon petit savoir ; il était bien à moi, je ne le devais à personne, et j’entendais une voix intérieure qui me disait : Marche en avant, la cause que tu défends est celle de la justice et de la vérité ! La nuit, je repassais dans mon esprit les travaux de la journée, et j’en effaçais toutes les illusions. Je lisais tous les écrits publiés contre Mesmer et sa doctrine, et, lorsque je les voyais signés de noms connus et admirés du monde entier, sachant que ces juges étaient compétents, mes nuits se passaient sans sommeil. Semblable au condamné à mort innocent du crime dont on l’a accusé, qui cherche à briser les portes de son cachot pour éviter un remords à la justice, et qui, ne trouvant point d’issue, se résigne, s’en remettant à la Providence du soin de rendre la paix à son âme ulcérée, je me résignai. Le magnétisme s’était comme personnifié en moi ; je me croyais un de ces flétris de par la science, portant sur le front le signe infamant du mensonge et de l’imposture.
Heureux sont les indifférents, ils ne connaissent aucun des tourments de l’âme auxquels sont exposés les novateurs ! Qu’est-ce, pour eux, qu’une vérité ? Ils ne s’émeuvent point d’aussi peu de chose ; mais, pour l’homme qui sent, c’est sa vie qu’il doit désormais défendre. Ne lui parlez plus des plaisirs du monde, il est insensible à toute jouissance ; il n’est qu’un bonheur pour lui au monde : voir ses idées partagées. La mort lui paraît douce lorsqu’il aperçoit le triomphe. Sa tâche est alors accomplie, il croit avoir été l’instrument de la Providence pour accomplir une tâche difficile ; il meurt en dirigeant son regard vers le ciel, pensant que la vérité, pour arriver jusqu’à lui, a suivi ce chemin. N’est-ce point aussi un pressentiment de l’immortalité de son âme ?
Deleuze m’accueillit. Hélas ! ce n’était point une préférence ; les disciples étaient bien rares, on pouvait encore les compter. Puységur daigna m’encourager, il m’ouvrit sa maison. C’était un honneur qui devait me flatter. Je rencontrai chez lui des notabilités de la science nouvelle, les hommes qui avaient survécu au temps et à la tourmente révolutionnaire ; ils étaient tous d’un certain âge, croyaient, mais prenaient pacifiquement leur parti à la vue de l’indifférence générale et du doute plus qu’insolent du monde savant.
J’allai aussi chez l’abbé Faria. Je le trouvai enthousiaste comme moi, mais bien moins scrupuleux et attentif. Je reçus de lui quelques leçons, et lui payai un léger tribut. Sa maison était le rendez-vous du monde élégant, des oisifs, des lions de ce temps. Je souffrais à la vue de ce monde moqueur, dont la vie est inutile au reste des humains. Je jugeai promptement de la valeur réelle de ce monde flottant ; il était savant en toutes choses, donnait son jugement sur toutes les questions. Insolent parfois, comme ses valets, la forme seule servait à l’en distinguer. Il possédait pourtant tout ce qu’on voulait me faire apprendre dans mon enfance : la nature lui était inconnue. Sceptique au dernier point, son église était l’Opéra : il riait de tout. Faria était pour lui une sorte de bouffon, il se rendait chez lui pour y rire, rien de plus.
J’épiais en sournois cette société d’élite, elle se révélait à moi avec tout son charme et ses défauts ; mais, loin de me séduire, mon examen terminé, je m’en éloignai.
J’entrepris la cure de quelques malades. Un soulagement marqué fut la suite de mes premiers soins. Le magnétisme était donc un agent curatif, comme l’avaient dit et écrit nos maîtres. Et, incrédule pour tout ce que je n’avais point vu de mes yeux, et touché de mes mains, j’acquis enfin un petit nombre de connaissances personnelles ; ce phare allumé au milieu des écueils me servit à les éviter.
Je devenais de plus en plus maître de ma force magnétique, la parole me venait également ; une sorte d’éloquence, celle qui part d’un cœur convaincu, me permettait déjà d’agir sur la raison des êtres qui se trouvaient en ma présence. Je persuadais sans art ; car la vérité ne se farde pas, elle porte avec elle un témoignage de ce qu’elle affirme. Je me fis estimer par ma franchise, on me pardonna même mes emportements, car c’était toujours un doute injurieux qui soulevait en moi ces furieuses tempêtes. Une insolente incrédulité ne peut être supportée que par un saint homme, et je ne l’étais point.
Le temps était enfin venu de mon véritable apostolat. Certain que ma conscience ne me reprocherait rien, convaincu à tout jamais de l’existence en moi d’une puissance réelle, je cherchais les occasions de la démontrer à tous les yeux, de la faire briller dans toute son évidente réalité. J’étais persuadé que tous les doutes devaient cesser, et qu’aucun médecin, qu’aucun savant ne refuserait, étant convaincu, d’avouer la vérité. Je brûlais donc d’impatience de me trouver en présence de quelques hommes de valeur. Hélas ! lecteurs, c’est ici que mes véritables chagrins vont commencer ; j’avais dormi sur des feuilles de roses ! Je m’étais cru malheureux jusqu’alors ; je n’avais pourtant fait qu’effleurer des lèvres la coupe d’amertume : j’allais la vider à longs traits.
Mon erreur était grande lorsque je fis la connaissance d’un monde à part, celui qui se dit savant, n’ayant presque plus rien de la nature, mais nageant en plein dans le fleuve de la science, à ce qu’il croit, du moins.
C’était donc un troisième degré d’initiation à subir ; j’allais voir paraître devant moi tous les ministres de la mort, tous ceux qui croient que le monde se gouverne par les lois inscrites dans leurs almanachs. Mais je m’arrête ; ayant trouvé un aliment à mon activité, une vaste carrière s’ouvrait devant moi, j’allais enfin faire mon entrée dans le sanctuaire de la douleur ; on m’accueillait à l’Hôtel-Dieu ; on me priait même avec instance de ne pas perdre un instant, car on avait l’intention de s’amuser à mes dépens. On ne peut empêcher les sages de rire un peu, cela leur fait du bien ; mais, ma foi, le sachant, j’en pris résolument mon parti, et, tout d’un bond, je me rendis dans la maison de Dieu.
Voilà, chers lecteurs, ce que j’ai à vous apprendre sur mon commencement ; peut-être la fin de mon récit vous présentera-t-elle plus d’intérêt ; mais, comme je ne veux rien dissimuler, je vous livre ma vie. Tout à l’heure elle va se compliquer, la vérité également ; toutes deux prendront plus de dimension et de nouvelles formes. J’espère vous prouver que je suis un peu sorcier ; les choses que j’ai faites ne sont point toutes vulgaires ; plusieurs d’entre elles, sans doute, seront niées jusqu’au jour où un homme plus éclairé ou plus entreprenant les jettera avec éclat dans le monde.
Non, la vie n’est point un rêve ; elle a ses réalités cruelles, qui glaceraient d’épouvante l’homme le plus hardi, s’il les apercevait dès ses premiers pas. Dieu les dérobe à la vue, il a ses desseins, sans doute ; il ne m’appartient point de les pénétrer.
Aujourd’hui, je suis comme le soldat qui assista à vingt batailles, et qui raconte avec simplicité tous ses traits de courage ; mais, comme lui, je suis ému à ces souvenirs, je vous montre les blessures que j’ai reçues en combattant, je vous dirai les coups que j’ai portés. Si l’ennemi n’est point encore vaincu, il le sera bientôt, du moins j’en ai l’espoir ; mais, crainte de surprise, cependant, je ne laisse point rouiller mes armes ; je conserve ma force tout entière, mes sens sont affinés comme au premier jour. Semblable au chien du contrebandier qui flaire un douanier de très loin, quelque habit qu’il ait pris, moi je reconnais un savant rien qu’à la première vue, malgré son déguisement : n’est-il pas aussi un douanier ? Un charlatan, eût-il un diplôme, ne pourrait me tromper. Privilège de l’âge et de l’expérience, qui permets de juger, tu donnes un complément à la vie, tu rends homme !
Par cinq années d’études, je m’étais préparé, sans le savoir, à ce que j’allais entreprendre. Sommes-nous les arbitres de notre destinée, ou bien quelque chose de caché et de mystérieux règle-t-il nos actions, de manière à nous pousser dans une route où, bon gré mal gré, nous serons contraints de marcher ? Je crois à la destinée. On verra plus tard sur quoi je fonde mon sentiment. Quoi qu’il en soit, me voilà, moi, timide jusqu’à la faiblesse, obligé de corriger ma nature, ou tout au moins de paraître résolu ; me voilà, moi, enfant encore, en présence d’hommes capables d’inspirer de l’effroi au plus entreprenant des magnétiseurs. Qu’on ne l’oublie point, magnétisme alors était synonyme de jonglerie ; nous n’étions qu’en 1820, et nulle expérience du genre de celle qui m’était proposée n’avait été tentée.
J’ai dit, dans mes autres écrits, quel fut mon succès, mes espérances dépassées ; j’ai décrit mon triomphe. Husson, Jeoffroy, Récamier, dont le nom signifie légion, et quarante autres médecins rendirent, pour un instant seulement, hommage à la vérité.
La Providence préparant les voies au succès de son œuvre, je me figure avoir été conduit par elle ainsi :
Dieu avait pris un enfant par la main, il le mena au séjour de la douleur, et lui dit : « Sois sans crainte, tu es l’instrument dont je veux me servir pour confondre ces sceptiques ; ils vont prendre au milieu des infirmités humaines celle qu’ils croient incurable ; tu la guériras sous leurs yeux, par la seule imposition de tes mains, afin de leur apprendre qu’il existe une médecine supérieure à la leur, parce qu’elle découle de moi ; afin qu’ils voient que chaque être est un vase où j’ai déposé mon essence, et qu’elle seule contient la vie et la lumière. »
Et l’enfant obéit avec docilité, une secrète joie pénétra jusqu’à son âme, et sa tâche achevée le trouva sans orgueil.
Ce n’était point un mirage, une illusion, mais une chose réelle, palpable, que plus rien désormais ne pouvait détruire : le magnétisme existait, il était prouvé. Alors pour moi de nouveaux tourments commencèrent. Quelle est cette puissance incommensurable ? Comment agit-elle sur nous et comment peut-elle guérir les maux ? Ma joie était troublée par le besoin de connaître.
D’où vient ce désir impérieux qui enflamme notre esprit ? Dieu a-t-il voulu que nous pénétrions dans le domaine des causes, afin que, tout étant infini, nous n’ayons nul repos ? Le repos ! mais c’est déjà la petite mort ! Est-ce que la nature se repose jamais ? Elle produit, détruit et reproduit sans cesse. Quel est le but de cette incitation de l’homme ? Sans doute qu’il cherche sans relâche à connaître le domaine où il vit, et l’énigme même de sa propre existence. Dans ce grand travail, les générations s’engloutissent. Mais voyez quels progrès déjà ! La terre est fouillée, analysée presque dans toutes ses parties ; on a pesé le globe, on sait ses dimensions comme ses ascensions dans l’espace. L’intelligence est pleine d’étonnement à la vue de ses conquêtes ; pourtant elles ne sont rien auprès de celles qu’elle fera.
On peut donc espérer découvrir la loi du magnétisme, ses rapports avec les autres agents de la nature, ses vertus cachées encore à tous les yeux, et enfin la source d’où découle cet agent merveilleux. Nous laissons de côté tout mysticisme ; quand on invoque Dieu dans les sciences, c’est souvent une preuve de faiblesse et d’impuissance, un besoin de l’âme, si l’on veut, qui, ne pouvant se rendre compte d’un fait, l’attribue au principe suprême. Chaque fait a sa cause physique ou morale ; il s’agit de la trouver, elle existe certainement.
L’on conçoit dès lors mon inquiétude ; car, ne me regardant point comme un homme privilégié de la nature, ce que j’avais produit, un autre pouvait l’exécuter ; mais quelle était la force employée, l’agent des phénomènes ? Mon ignorance sur ce point était on ne peut plus grande. J’agissais sur des êtres placés dans un certain rayon, j’exerçais une influence qui avait pour caractère une modification marquée dans leur individualité du moment, cela était indubitable, sinon constant. Il y avait bien là de quoi justifier Mesmer et tous ses adeptes ; mais, lorsque l’on me demandait : « Comment agissez-vous ? » – Je répondais : « Mettez-vous là, je vais vous le montrer. » Et je faisais des passes ; l’effet suivait souvent, c’était une méthode assez bonne ; elle était semblable à celle de ce philosophe qui se mit à marcher devant quelqu’un qui niait le mouvement. Mais qu’est-ce que le mouvement lui-même ? C’est l’action d’aller et de venir, me répondra-t-on. Il n’est qu’effet ; la cause, c’est un agent subtil. Quel est-il ? Je n’en sais rien…
Je me trouvais dans une situation perplexe. Mes premiers succès m’avaient donné une certaine renommée ; on venait à moi pour recevoir des conseils et des éclaircissements, des malades venaient aussi me demander la guérison. Alors, m’étonnant de me trouver un aussi grand médecin sans le savoir, j’acquis la certitude que l’ignorance des hommes était profonde : la mienne, hélas ! ne l’était pas moins. Je restais confondu. Comment donc arriver au savoir ? Par l’étude, sans doute ; mais tous travaillaient sans beaucoup de fruit. Ce n’était donc pas la route suivie qu’il fallait prendre. Quel était le nouveau chemin ? Celui-là même que la science dédaignait : observer la nature, l’imiter ensuite. Quand j’interrogeais Deleuze, il me répondait : « Ayez la foi, l’espérance et la charité ; lisez mes livres. » – Puységur : « Croyez et veuillez, c’est la clef du magnétisme. » Oh ! oh ! mes maîtres, je vous remercie, mais j’en sais déjà plus que vous ! Vous êtes d’une grande droiture de cœur, vous avez des vertus, je chercherai à les acquérir ; mais ce n’est point cela qu’on me demande ; ce n’est pas la morale que je veux enseigner : ce sont tout simplement les règles de la médecine magnétique. Vos ouvrages sont excellents ; ils ne peuvent cependant satisfaire mon esprit. Puységur répondait encore : – « La nature fait tout, mens agitat molem, expérimentez. » – Deleuze paraissait vivement contrarié de mes questions ; j’étais déjà pour lui un novateur dangereux, ayant exposé, compromis le magnétisme en faisant des expériences publiques.
Ces temps sont loin, et ces hommes pleins de zèle et de foi sont descendus dans la tombe. Ils plantèrent leurs jalons, soutinrent le magnétisme avec persévérance et courage : on ne peut leur demander plus qu’ils ne pouvaient produire. Un sot seul peut s’imaginer qu’une science se fait tout à coup. Le magnétisme, pas plus que la chimie et la physique, n’est ce qu’il était au commencement du siècle. Il a grandi par les recherches et les efforts de tous ses partisans. Et si les mêmes hommes dont nous déplorons la perte aujourd’hui, l’avaient trouvé comme nous le voyons, ils avaient assez d’intelligence pour lui faire faire un plus grand progrès.
Un oiseau ne trouve jamais son nid tout fait ; à moins qu’il ne soit voleur et ne s’empare du nid d’autrui, il faut qu’il le construise ; mais souvent le savant est comme l’oiseau voleur, il prend le nid d’autrui ; sans plus de façon, il s’y arrange et donne des coups de bec à qui veut le déposséder. Nos académiciens occupent un nid commun ; et lorsqu’un de ces rares oiseaux meurt, la place qu’il quitte est aussitôt prise, et gare les coups de bec aux oiseaux en retard ! Ce nid est sale et vieux, il est construit avec des branches mortes et des détritus de vieux chiffons ; qu’importe ! ils y font leur ponte et leur couvée, et, comme les oies du Capitole, ils sont tous nourris aux dépens de la république ; cependant ils n’ont jamais rien sauvé, et ils sifflent toujours le même air, ce qui est très ennuyeux.
Le nid que m’offraient Puységur et Deleuze était assez bon, j’en conviens ; mais je voulais me construire un petit édifice que je pourrais considérer comme m’appartenant en propre. J’étais jeune, la vie matérielle ne m’occupait guère, j’avais peu de besoins. Je me mis donc en quête, et cherchai avec ardeur les matériaux nécessaires à la construction que je projetais. La nature était là, devant moi ; je l’avais tant admirée dans mon jeune âge ! Comme je la trouvais belle et harmonieuse ! Pourquoi donc, puisque j’étais devenu mon maître, ne l’admirerais-je plus de nouveau ?
On dit que les dévots, à force d’admirer la Vierge, finissent par en être inspirés. Quelques autres ont pareillement recours aux saints du Paradis, lorsque, dans des cas extrêmes, la raison ne leur suffit plus.
Les païens invoquaient de même leurs dieux et leurs demi-dieux ; partout, enfin, l’homme cherche la vérité en dehors de lui-même ; il se crée un monde dans l’espace ; il récuse ses yeux de chair, il prétend mieux voir avec les yeux de son esprit.
Suivons d’abord une marche différente, plongeons notre regard autour de nous, allons, s’il le faut, jusqu’au soleil ; mais c’est déjà bien loin, ne dépassons pas cet astre ; recevons sa lumière et sa chaleur, préférons-les à celles que les hommes produisent, comme nous préférons bientôt la médecine de la nature à celle de la science ; car entre ces deux imitations il y aura la même différence.
Je coupai donc les ailes à mon imagination, je jetai de l’eau sur le feu qui, intérieurement, exaltait mon esprit, et les sens, désormais dans un état régulier, éloignaient, s’ils ne détruisaient complètement toute cause d’erreur. Comme un arbre qu’aucun homme n’a ni greffé, ni écussonné, porte des fruits de sa nature, ne devais-je point, moi, plante sans aucune culture, produire aussi des fruits semblables ?
Voilà, lecteurs, comment je me préparai à mon apostolat ; comment, avant d’être professeur, il me prit l’envie de savoir quelque chose de ce que je voulais enseigner. Cette marche me fit, dès mes premiers pas, éviter bien des écueils, me préserva de beaucoup d’erreurs acceptées comme des vérités. Ne voulant point tromper les autres, j’évitais, autant que possible, de l’être moi-même. Je savais que l’obscurité est la compagne de l’homme sur la terre, et, ce qui est non moins vrai, que la vérité ne fait jamais fortune ; que, bien au contraire, plus l’erreur est monstrueuse, plus elle plaît aux hommes : le tribut qu’ils lui paient est presque incalculable.
La vérité fait peur, le mensonge rassure. Si j’eusse spéculé sur l’ignorance, la superstition et la sottise humaines, je serais aujourd’hui un des hommes les plus riches et les plus considérés ; peut-être même serais-je de toutes les académies ; j’eusse, à coup sûr, été décoré. Et je pourrais, dans mon orgueil, prendre en pitié la race humaine ; puis, la mort me saisissant enfin, tous mes compères chanteraient mes louanges ; ils diraient tous en chœur sur mon cercueil les vertus que je possédais, mon amour de l’humanité, et s’empresseraient de combler le vide fait par ma perte.
Lecteurs, ce n’est point une plainte, une supplique à votre adresse, pour que vous me distinguiez comme un saint homme : je ne crois pas à la sainteté ; mais je crois au martyre, je crois à la souffrance. Il fut un temps où le dédain qu’on avait pour moi m’offensait : il me ravit aujourd’hui, il me laisse la liberté de tout dire, comme de tout examiner et de tout produire. Cette heureuse circonstance me permettra de vous divulguer des vérités propres à vous éclairer ; mais, lorsque vous me croirez méchant, je ne serai que juste. Je laisserai la calomnie à nos antagonistes, j’irai droit au but. La vérité, chassée de leur temple, doit y entrer un jour ; ils l’ont insultée, bafouée, traitée de prostituée ; ils se sont fait gloire de leurs outrages. Il faut bien, à moins d’être lâche comme eux, réhabiliter celle qu’ils ont flétrie. J’aime beaucoup la croyance en la justice de Dieu ; mais nous n’en sommes point les témoins ; elle influe moins qu’on ne pense sur les vivants, et surtout sur les savants, qui pensent avoir de bonnes raisons pour douter de cette justice suprême ; ils seront plus sensibles à celle qui s’exerce par les hommes ; ici c’est une certitude qui manque rarement son effet.