La Presse Algérienne - M’hamed Rebah - E-Book

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M’hamed Rebah

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Beschreibung

Dans cet essai, l’auteur, étudie les conditions qui ont permis l’émergence de la presse indépendante en Algérie, son évolution dans le champ médiatique, ses conflits, ses principaux acteurs ainsi que ses tendances éditoriales. Loin de la polémique, c’est une investigation dans un espace d’expression inédit jamais réalisée avec ce regard serein et méticuleux.


À PROPOS DE L'AUTEUR


M’hamed Rebah est né le 10 décembre 1946 à Bologhine (ex-Saint-Eugène, Alger). Il est licencié en chimie (Faculté des sciences de l’Université d’Alger). Il collabore à La Nouvelle république et Reporters. Consultant auprès d’organismes nationaux et d’institutions internationales pour les questions d’environnement et de communication, il est également membre de l’Association écologique de Boumerdès (AEB) et correspondant à Alger de l’ONG française JNE (Journalistes- écrivains pour la nature et l’écologie). Il est l’auteur de L’écologie oubliée et Les risques écologiques en Algérie, quelle riposte ?

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LAPRESSEALGERIENNE

Journald’undéfi

M’HamedRebah

LAPRESSEALGERIENNE

Journald’undéfi

CHIHABEDITIONS

Du même auteur

L’écologieoubliée, ÉditionsMarinoor, 1999.

© Chihab Éditions, 2002

ISBN : 978-9961-63-462-2

Dépôt légal n° : 322/2002

Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91

www.chihab.com

En hommage à mon frère Noureddine, étudiant en médecine, membre de l’ALN, mort au champ d’honneur, à 25 ans en 1957, pour une Algérie libre et démocratique.

Remerciements

ÀAbdeltifetAbderrahmane.

INTRODUCTION

La presse algérienne, après 1989, a cela de particulier : elle reflète l’actualité et fait en même temps l’actualité.

Depuis 1702, année de l’apparition, en Grande-Bretagne, du premier véritable quotidien, The Daily Courant, la presse, dans le monde, n’existe que pour être ce 4ème pouvoir qui permet à l’opinion publique de contrôler les trois autres : l’exécutif, le législatif, le judiciaire.

En Algérie, après la Constitution de février 1989, la presse a pu enfin prétendre à cette fonction grâce aux journaux privés et, pourrait-on ajouter sans excès, indépendants et libres, si on garde à l’esprit l’ambition et la volonté de départ affichées par leurs promoteurs. Il s’agit bien, en effet, de journaux privés, de par la nature juridique de leur support, et indépendants, c’est-à-dire sans lien aucun de subordination par rapport au pouvoir ou aux partis politiques. Journaux libres, aussi, le qualificatif exprime la connotation politique positive qui marque cette période exceptionnelle de rupture avec la presse aux ordres.

La nouvelle presse n’a pas surgi du néant. Il y avait des journaux avant 1989, confinés dans le secteur d’État et porteurs de la parole unique, avec, cela mérite d’être rappelé, une petite lueur du nom de La République1, quotidien en langue française dirigé par Bachir Rezzoug.

Des journaux, il y en a eu aussi avant juillet 1962. C’était, en règle générale, une presse coloniale, à l’exception des organes de partis politiques du mouvement national et d’Alger républicain, « un journal pas comme les autres », anticolonial-iste, qui fut interdit en 1955 par les autorités françaises. Une partie de cette presse coloniale se maintiendra encore quelque temps après l’indépendance avec La Dépêche quotidienne, La Dépêche de Constantine et L’Echo d’Oran pour disparaître définitivement en septembre 1963, mettant ainsi fin à une longue présence qui remonte aux premières années de la colonisation2.

En 1990, la nouvelle presse démarre sur les chapeaux de roues grâce au développement de la technologie et de la PAO3. Quelques ordinateurs suffisaient alors pour faire un journal tiré jusqu’à 50 000 exemplaires par jour et occuper une place sur les étals. Un bon marché publicitaire et des facilités accordées au niveau des quatre rotatives de l’État ont contribué à créer, au départ, des conditions favorables aux journaux. Mais, très vite, dès l’automne 1991, paradoxalement après la levée de l’état de siège, les choses commencent à devenir difficiles avec la série des procès intentés aux directeurs et aux journalistes des principaux titres, puis 1992, les premières arrestations et les suspensions de journaux, et mai 1993, les assassinats qui endeuillent la corporation jusqu’en 1997, le tout sur fond de mesures visant l’asphyxie financière des journaux.

Dans ce contexte de pressions et de terrorisme, jamais la liberté de la presse, fraîchement reconnue par les textes officiels, n’aurait existé s’il n’y avait eu tous ces journalistes courageux pour la concrétiser sur le terrain. Et il y en eut tant qui y laissèrent leur vie. Témoins et acteurs, pour ceux qui faisaient leur métier d’informer tout en luttant pour la liberté et la démocratie ou, pour beaucoup d’autres, simples témoins au service de l’opinion publique. Mais tous, embarqués dans une « aventure intellectuelle », imprégnée de romantisme, et animés de la même passion d’écrire pour être lus et de la même volonté d’accéder à un haut niveau de professionnalisme malgré la précarité de leur situation. Pratiquer, en Algérie, la profession de journaliste en toute liberté, jour après jour, tient du défi insensé. Si on devait mesurer l’indice de liberté au seul nombre de procès intentés aux journalistes, on pourrait affirmer que le défi a été relevé. Ce livre veut justement rendre hommage à celles et ceux qui ont consenti un prix fort pour donner corps à la liberté de la presse en Algérie.

Faire face aux assassins, affronter les censeurs, prendre garde à la manipulation, en permanence sur ces « fronts », les journalistes n’ont pas négligé pour autant l’exigence de qualité. Tout en explorant, et en occupant immédiatement, le moindre espace d’autonomie, la nouvelle presse a été soucieuse d’adapter son outil de production aux évolutions technologi­ques les plus récentes pour répondre aux attentes des lecteurs.

Le livre va à la rencontre de cet héroïsme. En même temps, il offre aux lecteurs de journaux un voyage à l’intérieur du monde de la presse algérienne qui leur fera mieux connaître leurs quotidiens et entrevoir ce qu’il y a derrière la liberté de choix qui se présente à eux chaque matin dans les kiosques. Le voyage est guidé non par un observateur ou un spécialiste, mais, de l’intérieur de ce monde, par un journaliste.

La quantité d’événements qui ont marqué l’existence de la nouvelle presse dans cette phase de son existence, la profusion de chiffres et de faits, ne facilitent pas l’écriture de son histoire ni l’analyse de son parcours. Il faudra d’autres livres. Mais déjà, au bout de sa lecture, cet ouvrage donne la possibilité de répondre à quelques questions qui se posent ou qu’il faut poser sur la presse algérienne post-1989. D’où vient-elle ? A-t-elle réussi à tenir son pari initial : être à la fois privée, indépendante et libre ? Comment a-t-elle affronté la décennie des défis ? Est-elle parvenue à satisfaire le lectorat ? Est-elle autonome ou au service du pouvoir ? De presse privée, pour la différencier de la presse publique, elle est devenue la presse algérienne, que sera-t-elle demain ?

I. LA GENESE

« Ailleurs, journaliste c’est une profession »

SaidMekbel

1 - Quand la digue cède

Combien étaient-ils, avant 1989, les Algériens à l’esprit lucide qui se laissaient aller à l’optimisme pour prévoir la florai­son de journaux qui remplira, à peine une année après, les présentoirs des kiosques ? Scène inimaginable encore à la fin des années 80, mais habituelle ensuite, voire banale, le même attroupement se forme chaque jour autour des buralistes et kiosquiers tout heureux de proposer aux lecteurs la liberté de choisir entre des dizaines de titres.

C’est l’onde de choc provoquée par le « chahut de gamins » d’octobre 19884 qui déverrouille le champ médiatique façonné par le régime du parti unique. Elle sonne le glas d’un quart de siècle qui a vu le règne d’une presse conçue, non comme 4ème pouvoir, mais pour expliquer ce que font ou déclarent diri­geants et décideurs et en légitimer le bien fondé de principe. Durant ces longues années, la propagande prenait le pas sur l’information. Le journalisme pédagogique à l’usage de lecteurs-militants avait naturellement les faveurs du pouvoir. C’était l’époque où l’art de l’interview, selon les normes de la profes­sion, était exclu en même temps que sa qualité intrinsèque qui est de faire dire à l’interviewé ce qu’il n’a pas envie de dire. Dans la presse aux ordres, on se résumait à rédiger les bonnes questions auxquelles le responsable interviewé jugeait opportun de répondre, s’offrant même le privilège régalien de revoir et corriger le texte final avant de donner le feu vert pour sa publi­cation5.

Les personnalités qui avaient l’honneur des colonnes de la presse du pouvoir ne pouvaient se prêter au jeu de la vraie interview ni les journalistes se laisser guider par les caprices de leur métier6. Bien évidemment, il était hors de question de critiquer le chef de l’État ou le gouvernement et ceux qui s’y hasardaient subissaient le sort de Mohamed Said Ziat, empri­sonné dans les années quatre-vingt, à cause d’un article qui n’avait pas plu en haut lieu ou Malika Abdelaziz, licenciée et interdite d’écriture, à la même période, à la suite d’un repor­tage impliquant de façon pourtant allusive, la famille du président. Son reportage avait été publié dans Algérie Actualité, un hebdomadaire qui avait donné l’illusion d’être une « anomalie » démocratique dans le paysage médiatique du syst­ème. Sa collection renferme d’ailleurs les traces de tous les événements importants de la vie du pays, très souvent lue sans œillères, dans une conjoncture de bataille politico-idéologique feutrée opposant la présidence de la république au FLN. une grande bataille, prélude à Octobre 1988.

Dans une Algérie en ébullition démocratique s’apprêtant à aborder la dernière décennie du siècle, les changements institu­tionnels s’accélèrent. La nouvelle Constitution approuvée par référendum en février 1989 consacre le multipartisme et, en juillet, l’Assemblée populaire nationale, quoique issue du parti unique, peut voter la loi sur les associations à caractère politi­que qui autorise la création de partis7.

La presse publique peut désormais ouvrir ses pages au débat d’opinion. Ce sont les journaux du soir qui amorcent le dégel et, fait sans précédent, Horizons publie des interviews de dirigeants politiques de l’opposition. Un média lourd, s’il en est, laisse passer à l’écran, pour la première fois aussi, des person­nalités célèbres du mouvement national bannies du champ politique dès les lendemains de l’indépendance. Mourad Chebine inaugure une nouvelle émission « rencontre avec la presse » en accueillant sur son plateau hommes politiques au pouvoir ou dans l’opposition. À la radio, sur la chaîne III, « Transparence » de Youcef Tahar puis « Show débat » de Malika Boussouf, mettent au goût du jour, le débat polémique et sans langue de bois. Cette langue de bois que Slim avait tourné en dérision dans une caricature montrant des « menuisiers mécontents » se demandant « pourquoi dans la presse nationale on utilise la langue de bois, alors que nous on n’en a même pas pour faire des tabourets ». C’était en 1987, et la pénurie de bois était bien réelle.

Deux années après, en 1989, dans les rues, le n°0 d’Alger républicain est vendu à la criée. Il marque le retour de ce quo­tidien populaire après 24 ans d’interdiction. Pour le moment, Alger républicain « sort quand il peut... ».

À la Présidence, le « groupe des réformes », impulsé et animé par Mouloud Hamrouche8, s’active à mettre au point un projet de loi sur l’information qui rompt radicalement avec l’ère de la presse sous surveillance. Il associe à son élaboration, sous le patronage de Hadj Nacer, futur gouverneur de la Banque d’Algérie, le tout récent et néanmoins très actif Mouvement des Journalistes Algériens (MJA).

Lors d’une rencontre avec la presse le 3 mars 1990 et sans attendre que la loi soit prête, Mouloud Hamrouche, devenu chef du gouvernement, annonce la couleur : « Désormais, le journaliste ne sera soumis à aucune contrainte et la liberté d’expression doit prendre pour lui toute sa signification, dans les limites cependant prévues par la loi concernant la Défense et la souveraineté de l’État ainsi que les personnalités du prési­dent de la république (et de tous les chefs d’État); le journaliste ne doit se référer qu’à sa propre conscience et ce que lui dicte en premier lieu l’intérêt du pays. » Dans son gouvernement, entre autres innovations, il n’y a pas de Ministère de l’Infor-mation remplacé par un Conseil supérieur de l’information dans lequel siègent des représentants élus des journalistes.

Le 19 mars, date significative, le chef du gouvernement fran­chit un pas décisif en invitant, par circulaire, les journalistes à se constituer en collectifs rédactionnels et à créer des titres indépendants. 1800 professionnels de la presse du secteur public, y compris celle du parti FLN et de ses organisations de masse, sont concernés. 9

Beaucoup de professionnels répondront à cet appel et abandonnent le secteur public avec le projet de fonder leur propre titre. Ils sont aidés par Mohamed Ghrib, nommé entre-temps ministre des Affaires Sociales, et par un expert financier, Hamid Ait Said, qui leur a été d’un précieux concours pour l’étude technico-économique et pour négocier avec les banques. Ces journalistes bénéficient d’une indemnité équivalent à deux années de salaire. Plus tard, certains diront que c’était « une forme de licenciement inventée par le pouvoir pour débarrasser la presse publique des indésirables, organisés dans le MJA ».

La loi sur l’information adoptée par l’APN est promulguée le 4 avril 1990. Dans sa foulée, sortent les circulaires qui vont permettre la création de journaux, d’abord par les seuls journa­listes qui auront choisi de quitter la presse publique. Grâce au fonds d’indemnisation, des journaux vont leur appartenir. C’est un fait unique en soi. Un professionnalisme longtemps bridé est libéré pour donner la pleine mesure de ses capacités. La profes­sion va alors amorcer une mue extraordinaire.

Un décret signé le 4 août 1990 permet aux journalistes professionnels venus du secteur public d’avoir des locaux pour y installer leurs propres journaux. Une petite rue du quartier du Champ de Manœuvres, comme on continue de l’appeler, sort incidemment de l’anonymat. Car, c’est rue Bachir Attar que le gouvernement a décidé de domicilier les équipes des premiers titres qui donneront le coup d’envoi à la presse libre algérienne. Comme la plupart des artères des villes d’Algérie, celle qui va abriter la Maison de la Presse porte le nom d’un chahid de la lutte de libération nationale, Bachir Attar, monté au maquis en 1955. Lieutenant de l’Armée de libération natio­nale en zone 3 (Ouarsenis) de la wilaya IV, il tombe au champ d’honneur en 1960 à Berrouaghia. Au maquis, on l’appelait Si Boualem Bousba, à cause du pouce droit arraché au cours d’un accrochage avec l’armée française. Avant l’indépendance, cette rue, qui portait le nom du général Farre, abritait une caserne occupée par la cavalerie puis le 27ème train. Après l’indépendance, elle servira aux services sociaux de l’ANP. Ce lieu n’est pas inconnu à un certain capitaine Khaled Nezzar qui s’y trouvait en 1965 quand Boumediene fit son coup d’État pour arracher le pouvoir des mains du président Ahmed Ben Bella. L’endroit est également familier à un homme politique, Abdel­hak Bererhi, qui avait son bureau de ministre de l’Enseignement supérieur dans la partie où se trouvent les services administra­tifs de la Maison de la Presse. En 1971, l’armée s’était délestée de cette caserne au profit du Ministère de l’Enseignement supérieur et Mohamed Seddik Benyahia, qui était ministre, en fit le siège de son département. Mohamed Bouhamidi, directeur de la revue Assekrem, et Ghania Hammadou, qui fut la première rédactrice en chef du Matin, y ont occupé des bureaux en tant que cadres du Ministère de l’Enseignement Supérieur. C’est dans ces locaux, apparemment sans prétention, que vont s’exercer les plumes libres à l’origine de la nouvelle presse algérienne.

Le Soir d’Algérie est le premier à s’installer, en septembre 1990, suivi par ElWatan puis Alger républicain avant que d’anciens journalistes d’El Massa et d’Ech Chaab viennent créer El Khabar. L’été 1991, Le Matin occupera un local en préfabri­qué à l’extérieur de l’enceinte. Puis viendront d’autres quoti­diens, des hebdomadaires, des mensuels, des magazines, des revues spécialisées. Ces journalistes qui fondent leurs titres ont été formés à l’école de journalisme et à l’université. 10 Parmi les journalistes-entrepreneurs, il y a aussi des juristes, des écono­mistes, des sociologues, formés sur le tas dans la presse publique.Nombre de ceux qui lanceront cette presse, et pas seulement les journalistes qui redonneront vie à Alger Républi­cain, ont fait leurs premières armes en politique au sein du PAGS clandestin, ou à ses côtés. Ils étaient lycéens ou étudiants, quand ils avaient commencé à écrire dans son jour­nal, Saout Ech Chaab.

Dès septembre 1990, les Algériens découvrent, enthou­siasmés, un journalisme sincère et spontané, professionnel et compétent, complètement nouveau, qui tranche par rapport à ce qui existait avant. Le tirage du quotidien El Moudjahid qui était de 300 000 exemplaires en 1988 s’en ressent et chute à 180 000 exemplaires en 1991. Les journaux qui le concurren­cent désormais sont critiques, parfois même iconoclastes, et ne dédaignent pas les scoops étalés sur des unes sensationnelles. Cette nouvelle presse va, en effet, conquérir rapidement un vaste lectorat qui se mobilisera, plus tard, dans les moments difficiles, pour la défendre.

Les titres de une retrouvent leur effet magique qui fait accrocher le regard et influence le choix du journal à acheter. L’article donnera au lecteur les réponses aux questions classi­ques qui l’intéressent : qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi ?

Dans l’opinion publique, la liberté de ton de la presse soulève de grands espoirs. Pour les petites gens, c’est une chance inouïe d’exposer des préoccupations tues des années voire des décennies durant.

Le climat politique dominé par le pluralisme, les événements importants qui se déroulent dans le pays, les enjeux, les défis, la richesse de cette période de transition, aideront la presse écrite à faire son « grand bond ». Le journal devient vite à la fois un service public et un produit de large consommation. Les gens reprennent goût à sa lecture et on entendra souvent en famille, dans les bureaux ou dans la rue, des discussions ponc­tuées par « j’ai lu ça dans le journal ».

Selon les données fournies par les spécialistes, on est passé, au cours de l’année 1991, des 49 titres qui existaient en 1988, à 74 dont 17 quotidiens, et les tirages, qui étaient de 800 000 exemplaires/jour en 1988, ont atteint 1 437 000 exemplai­res/jour. En octobre 1991, 1321 cartes professionnelles de jou-rnalistes ont été délivrées par le Conseil Supérieur de l’Information.

2 - C’était en 1990

L’histoire des journaux indépendants surgis après 1989 a été racontée par ses fondateurs. Les télévisions étrangères y ont consacré un grand nombre d’émissions. Les chemins qui ont mené à leur création diffèrent d’un titre à l’autre.

Le premier Soir d’Algérie.

Le Soir d’Algérie peut être considéré comme le premier quotidien11 indépendant et c’est Maamar Farah qui a eu l’idée de le créer. Il est sûr de ce qu’il avance : « L’histoire retiendra Le Soir d’Algérie comme la première expérience indépendante n’ayant aucun lien avec un parti, une association ou un quelconque clan du pouvoir »12. C’était en mai 1990, au lende­main de l’adoption de la loi sur l’information, et cela s’est passé dans les locaux du quotidien public du soir, Horizons, dont il était alors le directeur. Il propose à ses confrères Fouad Boughanem, Djamal Saïfi et Mohamed Bedrina, qui travaillaient à Horizons, et Zoubir Souissi qui était à l’APS, de s’associer en SARL pour monter ce qui allait devenir le premier quotidien indépendant du soir. D’autres journalistes avaient été contactés, mais qui ne croyaient pas, quant à eux, à l ’» aventure intellectuelle », comme on l’appelait à l’époque. Ils ont dû bien le regretter plus tard quand Le Soir a prouvé qu’il était une bonne affaire.

Mustapha Chaouche, patron de la boîte informatique Astein, qui avait collaboré à Horizons dans la rubrique « Micro-Hori­zons », a convaincu les fondateurs du Soir qu’il était possible de faire un journal avec quelques micro et deux imprimantes.

Longtemps après, les fondateurs du Soir évoquent encore « les amis qui ont prodigué des conseils, avancé de la pub, prêté du matériel ou facilité l’acquisition d’équipements ». L’équipe s’était installée d’abord sous les gradins du terrain de handball du stade olympique puis dans les locaux d’Astein à Birkhadem. Le numéro zéro, tiré sur les rotatives d’El Moudjahid, fit son apparition pendant la grande manifestation des démocrates du 10 mai 1990 où il fut distribué gratuitement.

Le 3 septembre 1990, dès l’aboutissement du dossier de la presse indépendante, Le Soir d’Algérie est fin prêt. 20 000 exemplaires arrivent sur les étals. Les lecteurs ont la surprise de trouver dans les kiosques, acheminé par Habboun, diffuseur privé, un journal du soir qui ne ressemble en rien aux autres : grands titres, grosses manchettes en une, un peu à la manière de « là bas », un journal qui s’exprime librement sur des sujets politiques et autres que les journaux de l’État n’osaient pas traiter. Sa profession de foi : une citation de J. Pulitzer adossé à l’ours.

Le Soir d’Algérie apparaît vite comme un journal populaire. Son tirage passe à 150 000 ex/jour avec un faible taux d’invendus (6 à 7 %). En septembre 1991, alors qu’il y a déjà quelque 120 publications sur le marché, El Moudjahid constate : « Le Soir d’Algérie respire une santé revigorante ». Quel est son secret ? Un démarrage sérieux : un numéro zéro qui séduit les opérateurs économiques et les annonceurs puis un journal qui plaIt au lectorat et un « bon » diffuseur privé qui permet rapidement une rentrée d’argent frais. Le journal coûte à ce moment 2,50 DA.

Deux ans plus tard, Le Soir battra les records de ventes en atteignant des pointes de 200 000 exemplaires. Progressive­ment, l’implacable logique d’entreprise impose ses lois. C’est la seule voie pour le développement du journal, mais le contexte fait de terreur, de deuils, de pressions politiques et économi­ques, entravera cet élan.

En octobre 2001, Le Soir d’Algérie change de créneau et décide de sortir le matin13.

El Watan : à l’origine, une grève d’écriture

Un peu plus d’un mois après la sortie du Soir d’Algérie, ElWatan est dans les kiosques. Il est le premier quotidien du matin en concurrence directe avec El Moudjahid. Longtemps après, Omar Belhouchet restera persuadé que s’ils avaient pu réformer El Moudjahid de l’intérieur, les journalistes de la presse publique qui ont observé une grève d’écriture en 1990 n’auraient pas créé ElWatan. Sur les vingt fondateurs d’ElWatan, dix-neuf étaient journalistes à El Moudjahid et avaient participé à cette grève d’écriture dans l’espoir de rompre avec la censure. La désillusion quant à la possibilité de réformer la presse du parti unique produira le déclic. Et la rencontre d’une dizaine d’entre eux avec Mohamed Salah Dembri14, fera le reste. Sans doute mandaté par le chef du gouvernement, dont il est chef de cabinet, il leur demande s’ils peuvent créer leur journal. Oui, répondent ceux qui lanceront ElWatan. Quarante-cinq journalistes sont intéressés par le projet de création du titre, comme quotidien du matin. Les fondateurs d’ElWatan expli­queront le retard de la parution du journal par une course au leadership.

Le 6 octobre 1990, ElWatan, « le quotidien indépendant », sort son numéro 1, sur douze pages en grand format, réalisés à l’aide de 4 micros et une imprimante, loués. L’équipe qui réussit cet exploit comprend vingt journalistes dirigés par Omar Belhouchet, économiste de formation et journaliste profession­nel. En peu de temps, dans les premiers mois de 1991, El Watan deviendra un des quotidiens les plus lus avec El Khabar, Le Soir d’Algérie et Alger républicain.

D’apparence sobre, il se distingue, comme ses confrères nouveau-nés, par l’impertinence et l’insolence dans le propos, ce qui lui vaudra d’être traité de « chienlit » par le chef du gou­vernement, Sid Ahmed Ghozali. En 1992, ElWatan défraye la chronique en publiant ce que l’on a appelé « le rapport des généraux » mettant en cause le général Belloucif.

Dès le début, le FIS donnera l’ordre à ses militants de boycotter le journal. Ensuite, ce furent les intimidations puis les menaces de mort, par téléphone ou lettres, qui installent la peur dans la rédaction. Le 17 mai 1993, le premier attentat contre un journaliste vise Omar Belhouchet qui échappe miraculeusement à la mort. Une deuxième tentative d’assassinat du directeur d’ElWatan et des rumeurs de listes de journalistes à abattre, créent la panique et poussent une partie de la rédac­tion à prendre le chemin de l’exil pour échapper aux assassins.

En parallèle, le harcèlement judiciaire est incessant : début 1993, six journalistes, dont une femme et le directeur du journal, sont arrêtés à la suite d’une information, considérée par les autorités comme « prématurée », sur l’assassinat de 5 gendarmes à Ksar El Hirane15. Ils sont détenus durant deux semaines dont la deuxième à Serkadji et, pour la femme, à El Harrach, les fameux « quatre Hectares » alors que le journal est suspendu pour deux semaines. Les journalistes d’ElWatan ont préféré taire les conditions particulièrement dures de la première semaine de détention.

En 1994, après un article d’ElWatan portant sur un nouvel organigramme de la présidence de l’État, information assimilée à un « secret défense », des journalistes sont convoqués et il leur est signifié l’interdiction de sortie du territoire national. « L’incarcération du staff n’est pas exclue », dit-on, alors que Omar Belhouchet est convoqué au parquet d’Alger le jour où il reçoit un prix international de la liberté d’expression. 16 Nouvelle suspension de 15 jours en novembre 1994, à cause de la publication d’une dépêche de l’AFP sur l’achat par l’Algérie de neuf hélicoptères de combat. Quand ElWatan reparaît, le 4 décembre 1994, il rassure ses lecteurs : « notre ligne éditoriale ne changera pas »17.

Trois ans après, en 1997, ElWatan avait vingt-cinq affaires pendantes devant les tribunaux allant de la plus simple, diffama­tion, à la plus grave, atteinte à la sûreté de l’État, et son direc­teur aura été mis sous contrôle judiciaire deux fois, avec interdiction de sortie du territoire national, et plusieurs fois condamné à des peines de prison ferme, qui ne seront heureu­sement pas exécutoires.

Cela n’a pas empêché ElWatan d’asseoir définitivement son ancrage dans la presse algérienne pour devenir, en partie grâce à des plumes extérieures18, un journal de référence incontour­nable, et d’acquérir une notoriété internationale.

Son directeur reçoit plusieurs distinctions internationales : prix du CPJ (comitee to protect journalists), la Plume d’Or de la fédération internationale des éditeurs de journaux, le prix de la Ligue des journalistes du Maghreb. Il est invité par Mme Clinton à participer à l’inauguration à Washington d’un mémorial élevé en l’honneur des journalistes assassinés.

ElWatan a innové en réalisant plusieurs sondages : « que veulent les Algériens ? » (30 novembre 1992) ; sondage à la veille de l’élection présidentielle de Zeroual (1995) ; « les Algériens et l’expérience démocratique » (20 mai 1996) ; sur le référendum sur la nouvelle constitution (novembre 1996) ; sur l’élection présidentielle d’avril 1999 et sur « une année après l’élection de Bouteflika ». 19

ElWatan a connu une croissance remarquable. Il a commencé comme SARLavec un capital de 30 000 DA puis a augmenté son capital à un million de DA pour le porter ensuite à plus de 5 millions de DA avec modification du statut juridique. ElWatan est maintenant une SPA doté d’un Conseil d’administration de 7 membres présidé par Omar Belhouchet.

Il a gagné une place appréciable dans le marché publicitaire grâce à son propre réseau appuyé sur une dizaine de bureaux régionaux. Il a pris en charge sa diffusion en mettant en place une société de distribution ALDP, pour le centre du pays, et El Watan Diffusion à l’ouest alors qu’à l’estil est diffusé par El Khabar Diffusion. ElWatan a deux filiales : un hebdomadaire sportif, Olympic, et une entreprise de communication, Acom. En 1996, ElWatan connecte son réseau à Internet. Le site existe depuis décembre 1997 grâce au concours de Gecos, premier provider Internet privé en Algérie. ElWatan a été sélectionné, en 2001, pour le prix Web de l’actualité franco­phone qui récompense les sites selon la complémentarité avec le support papier, la lisibilité, la rapidité d’accès, la cohérence et la pertinence du contenu.

Mais le plus grand pas vers l’autonomie a été franchi par l’acquisition conjointement avec El Khabar d’une imprimerie20. ALDP, l’entreprise qui la gère est implantée à El Achour, dans la périphérie d’Alger. C’est un investissement de 320 millions de DA (machine, achat du terrain, construction de deux hangars et un bâtiment administratif). Le contrat a été signé avec l’entreprise allemande KBA qui est le 3ème fabricant mondial de machines à imprimer. ElWatan promet à ses lecteurs un produit de meilleure qualité d’impression, un journal lisible avec davantage de couleurs et riche en informations et il envisage la création de nouveaux produits (magazines et revues spécialis­ées). Le 17 juin 2001, ElWatan est imprimé sur sa propre rotative et, deux mois après, son numéro 3254 mettra des couleurs dans la une, les pages centrales et la dernière page.

El Khabar, Macintosh en arabe

El Khabar a démarré le 1er novembre 1990 avec une équipe de jeunes journalistes venus d’El Massa et d’Echaab, quotidiens arabophones, l’un du soir, l’autre du matin. Après un premier tirage à la SIA, comme quotidien du matin, l’imprimeur annonce aux responsables d’El Khabar qu’un autre titre, créé en même temps que lui, est prévu à sa place. Il s’agissait d’Essalam qui était initialement un projet de presse privée mais qui deviendra par la suite presse publique avant de disparaître du marché.

El Khabar est contraint de « migrer » vers le créneau du soir. Qu’à cela ne tienne, il sera imprimé à El Moudjahid pendant plus d’une année avec un tirage unique de 25 000 exemplaires par jour à Alger, alors que son projet en prévoyait 50 000 pour arriver à l’équilibre financier. Pour la première fois, en Algérie, un journal de langue arabe se fait sur du Macintosh. Mal, au début, il en résulte beaucoup d’invendus. Les imprime­ries de l’Est et de l’Ouest du pays ne pouvaient pas ou ne voulaient pas le tirer. À ce moment crucial de la vie du quoti­dien, raconteront, plus tard, les « anciens » d’El Khabar, les dinosaures de la presse du parti unique n’avaient pas manqué de se réjouir des pertes financières énormes qui hypoth­équèrent, dès son lancement, l’avenir d’El Khabar. Ils lui prédisent tous les malheurs. N’avaient-ils pas averti : « comment laisser des gamins faire un journal ? ». Mais cette équipe, entièrement novice en la matière, compensait son inexpérience par une forte volonté et une ardeur au travail inégalée. Elle parvient à maîtriser les difficultés techniques et à mettre le journal chaque jour dans les kiosques.

Sous le gouvernement Ghozali, El Khabar passera à la SIA et c’est seulement en 1992 qu’il amorce son décollage. Il peut rembourser ses dettes à El Moudjahid notamment grâce à l’assainissement des messageries publiques de distribution (Enamep), opération qui profitera également à d’autres quoti­diens.

Il fait l’expérience de la diffusion privée, commencée, déjà, au milieu de l’année 1991, qui va se traduire par une augmentation du tirage à 50 000 exemplaires à la SIA. En janvier 1992, El Khabar subit, le premier, un des coups les plus durs qu’ait vécu la nouvelle presse : l’irruption de la gendarmerie dans le siège du journal et l’arrestation de cinq responsables et journalistes à cause de la publication d’un placard publicitaire du FIS. El Khabar est obligé de se justifier auprès de ses lecteurs et de l’opinion publique pour se démarquer de ce parti politique. Le directeur déclara ignorer l’existence de ce placard publicitaire.

El Khabar va par la suite créer une société de diffusion avec ElWatan, Le Matin et Alger républicain, la SODIF. une expérience qui échouera au bout de sept mois. Les menaces terroristes réduisent les lieux de diffusion des journaux, en par­ticulier à l’intérieur du pays. La création, entre El Khabar et El Watan, d’ALDP dont la gestion a été confiée, pour la première fois, à des journalistes, constituera une expérience réussie.

La progression est rapide : en juin-juillet 1992, El Khabar tire jusqu’à 145 000 exemplaires. Le dernier semestre 1994, il atteint les 150 000 avec un taux d’invendus de 12 %. En 1995, il maintient les 150 000 exemplaires/jour pendant une longue durée, sans franchir les 10 % d’invendus, mais l’augmentation du prix du journal l’oblige, en mai 1996, à redescendre autour de 90 000 exemplaires, dont 17 000 à l’Est.

À son 7ème anniversaire, en 1997, il a passé le cap des 200 000 exemplaires. Au 10 janvier 1999, El Khabar tire à plus de 250 000 exemplaires/jour. Il pourrait faire plus s’il n’y avait d’absurdes obstacles comme les pannes du press-fax et les retards dans l’impression. Il le prouve un 7 mai 1999 en attei­gnant une pointe de 500 000 exemplaires. Durant cette année 1999, sur les 104 millions d’exemplaires tirés, il enregistre 12 millions d’invendus, soit un taux normal de 12 %. En novembre 2000, El Khabar boucle ses dix ans avec le statut de numéro un de la presse algérienne que lui confère son tirage moyen de 400 000 exemplaires par jour. En novembre 2000, toujours, Khabar el Ousboui tire à 60 000 ex/semaine. Il avait démarré en mars 1999 avec 21 000 exemplaires. Il appartient à El Khabar qui possède aussi une société d’édition.

En 2000, El Khabar acquiert une imprimerie en association avec ElWatan. Le n 3194 d’El Khabar et le n°3199 d’ElWatan, du 17 juin 2001, sont imprimés, pour la première fois, sur ces rotatives. C’est un tournant majeur qui ouvre de nouvelles perspectives à la presse dans sa quête obstinée d’autonomie. El Khabar tire alors à 420 000 ex/jour et envisage d’arriver à 48 pages, la même ambition anime ElWatan.

Le numéro 3245 d’El Khabar du jeudi 16 août 2001 (tiré à 417 161 exemplaires) inaugure la quadrichromie en Algérie pour un quotidien. La une, consacrée à un scoop sur un docu­ment israélien qui prévoit de chasser les Palestiniens de leurs territoires, comporte une photo en couleurs. La couleur est également présente en dernière page (la 24) ainsi que sur les pages centrales. Cette première rendue possible par l’équipement de l’ALDP, traduit les efforts d’El Khabar pour améliorer le contenu et la forme du journal. C’est un premier essai pour sortir El Khabar en couleurs chaque jeudi en vue de généraliser cette expérience à tous les jours de la semaine. Mais pour le moment, seuls les lecteurs du centre du pays en profi­tent. En 2002, si tout se passe bien, El Khabar, toujours en association avec ElWatan, aura ses imprimeries à Constantine et à Oran, tous les lecteurs d’El Khabar bénéficieront alors des couleurs dans leur journal.

Le quotidien El Khabar, qui est une SPA au capital social de 9 078 000, 00 DA, dispose d’un site Internet en français et en anglais et projette la création d’un centre informatique et de sondage d’opinion.

Quelles sont les raisons de ce succès qui fait honneur à l’Algérie ? Ceux qui font chaque jour El Khabar donnent la recette : utilisation d’une langue arabe accessible à tous, infor­mation de proximité (60 correspondants), conscience profes­sionnelle et fidélité aux lecteurs, ligne éditoriale sans parti pris, (d’ailleurs il n’y a pas d’édito, suspendu après l’assassinat, le 3 octobre 1995, de Omar Ourtilane), volonté de remplir la mis­sion d’information avec l’objectivité et la rigueur attendues loin de toute démagogie et langue de bois, respect des lois de la république. Parmi ses lecteurs, il n’y a pas que des arabophones, beaucoup de francophones l’achètent pour y trouver l’infor-mation et aussi des repères qui aident à comprendre les événements.

Son nouveau défi : faire de ce titre un acquis de la démocra­tie, du pluralisme d’opinion et de la liberté d’expression et devenir un des plus grands journaux au niveau du monde arabe avec un million d’exemplaires par jour et une diffusion interna­tionale.

En 2002, El Khabar n’est plus seul sur le marché du quoti­dien arabophone. D’autres ont été créés et ont eu le temps, en deux ou trois ans, de se placer en concurrents plus ou moins sérieux : El Youm, Chourouk El Yaoumi, El Fedjr, Saout El Ahrar.

Alger républicain, le devoir de fidélité

Le 22 novembre 1990, après une longue interruption qui remonte au 18 juin 1965, Alger républicain est de nouveau dans les kiosques comme quotidien.

L’histoire particulière de ce titre prestigieux se confond avec celle du combat patriotique, démocratique et humaniste en Algérie. « Alger républicain, raconte Abdelhamid Benzine, a été lancé en automne 1938 comme organe d’un Front populaire algérien, antifasciste mais encore à peine anticolonialiste. Il disparaît en 1939 et revient en 1943, après le débarquement anglo-américain en novembre 1942 en Afrique du Nord. Il devient à partir de 1947-1948 propriété du Parti Communiste Algérien et sera un journal anticolonialiste, de plus en plus national et algérien ».

Ce titre emblématique a marqué de son engagement journa­listique exceptionnel et des sacrifices de ses journalistes, les luttes libératrices en Algérie. Figures héroïques, intelligences généreuses et plumes prestigieuses tels Mohamed Dib, Albert Camus, Emmanuel De Roblès, Malek Haddad et Kateb Yacine, y ont modelé un héritage de valeurs qui pose, sans doute ici plus que partout ailleurs, la rigueur du devoir de fidélité. Durant la période coloniale, Alger républicain a été le premier quotidien à avoir brisé le mur qui faisait qu’aucun Algérien ne pouvait être journaliste. L’image qu’il s’est forgée dans la mémoire de ses lecteurs de différentes générations est celle d’un journal popu­laire, proche de ses lecteurs, national et ouvert, humaniste et tolérant, défenseur des causes justes et toujours prêt à assumer ses convictions, y compris au prix le plus cher. « Dire la vérité, rien que la vérité même si on ne peut pas dire toute la vérité », ce repère déontologique est à jamais rattaché au nom d’Alger républicain.

Il est interdit en 1955 à cause de son engagement dans le combat anticolonialiste au cours duquel plusieurs de ses jour­nalistes montés au maquis tomberont au champ d’honneur à l’exemple de Georges Raffini et de Abdelkader Choukhal, le plus jeune journaliste de l’équipe, qui, pour rester fidèle à ses convictions, passe, en 1956, de la salle de rédaction au maquis de la wilaya 4 dans les rangs de l’ALN. Chargé de la presse et de la propagande, on l’appelait Abdelkader Essahafi, il est tué, à la fin octobre 1957, au cours d’un accrochage avec l’armée française dans la région de Médéa.

Un article du Journal d’Alger annonce la mort de Abdelkader Choukhal. Il est signé Yvonne Lartigaud, sa collègue à Alger républicain quelques années auparavant. Elle n’a pu cacher sa peine et son émotion. L’itinéraire de Abdelkader Choukhal donne à la génération actuelle de journalistes, des motifs de fierté quant aux traditions professionnelles et politiques du journalisme algérien nées dans le combat pour l’indépendance.

Quand Alger républicain reparaît en 1962, une partie de l’équipe manque à l’appel, ils sont tombés au champ d’honneur. Les rescapés qui sortent des prisons et des camps, reprennent leur poste. Des nouveaux les rejoignent.

Durant cette courte période, entre octobre 1962 et juin 1965, Kateb Yacine21 et M’hamed Issiakhem22 venaient souvent au journal.

Le titre disparaît le 19 juin 1965. Ses journalistes sont obligés d’abandonner leur métier à cause de leur opposition au coup d’État de Boumediene. Certains plongent, comme Boualem Khalfa et Abdelhamid Benzine, dans la clandestinité pour diriger des activités politiques dans le cadre d’abord de l’ORP puis du PAGS, d’autres quittent, comme Henri Alleg, définitivement le pays. Plusieurs sont arrêtés en septembre 1965, torturés et emprisonnés sans jugement23.