La Saga Evangelion - Virginie Nebbia - E-Book

La Saga Evangelion E-Book

Virginie Nebbia

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Beschreibung

C’est à sa résistance au temps que l’on reconnaît une grande œuvre, à sa faculté de pouvoir être accueillie de manière différente et évolutive à tout âge. Evangelion, l’une des plus célèbres licences de l’animation japonaise, est de celles-là. La fascination qu’elle exerce n’a pas pris une ride depuis sa première diffusion en 1995. Evangelion a suivi son créateur principal, Hideaki Anno, pendant une grande partie de son existence ; elle en est, à bien des égards, le miroir. De la série d’animation originelle aux quatre films dits Rebuild, La Saga Evangelion. L’œuvre d’une vie propose une immersion unique dans les entrailles de cette œuvre singulière.

L’autrice Virginie Nebbia y décortique les innombrables influences de Hideaki Anno et ses collaborateurs, les coulisses mouvementées de la création d’Evangelion, tout en proposant de nombreux axes de réflexion autour de cette œuvre qui n’a pas fini d’interroger et de passionner.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Adepte de pseudonymes multiples, Virginie Nebbia, ou Vivi, aime rester mystérieuse. Elle participe à l’aventure Console Syndrome en écrivant des articles divers et variés sur feu le site du même nom. Toujours curieuse de jeux obscurs ou oubliés, un brin monomaniaque, elle préfère largement rédiger de nouveaux papiers pour Third Editions à écrire sa bio ! Ben oui, c’est plus intéressant !

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Couverture

Page de titre

AVANT-PROPOS

COMMENT ABORDER le monument Evangelion ? Comment gravir ses flancs en évitant de sombrer dans un impitoyable gouffre ? Comment ne pas répéter tout ce qui a déjà été dit ? Et comment ne serait-ce qu’espérer en faire un tour complet en même temps, tant il y a à aborder ? Où placer les limites et par quel moyen les atteindre ? Et qui suis-je pour oser écrire sur un sujet tant adulé ?

C’est en toute humilité que j’ai rédigé cet ouvrage, jamais dans l’optique de prouver une théorie ou de démontrer une quelconque meilleure manière de comprendre l’œuvre. Evangelion se ressent avant tout. Ce n’est qu’ensuite que l’on peut avoir envie d’approfondir son étude, de découvrir comment la série a été créée et quelles ont été ses diverses influences. Ce livre n’a d’autre ambition que d’être une simple pierre de plus apportée à un édifice qui ne cesse de se construire depuis bientôt trente ans.

Neon Genesis Evangelion entame sa diffusion le 4 octobre 1995. Dans les salles nippones, le public peut découvrir les longs-métrages Ghost in the Shell (le 23 septembre), Tokyo Fist (le 21 octobre) et Godzilla vs Destroyah (le 9 décembre). Autant dire que la dernière partie de l’année est placée sous le signe de la fin d’un certain monde et des angoisses qu’elle procure. Dans l’épisode 15 de NGE, le personnage de Ritsuko parle d’« homéostasie et transistasie, […] la force de permanence et la force de changement », puis elle déclare qu’« un être vivant possède ces deux qualités contradictoires » Cela explique peut-être pourquoi Hideaki Anno avec Gainax puis khara continue de multiplier les clins d’œil référentiels tout en souhaitant absolument proposer quelque chose d’original. Aller de l’avant n’est pas facile pour tout le monde. Aujourd’hui, pour moi, « monter dans le robot » s’est transformé en « écrire un livre sur Evangelion ». Sur « l’Évangile d’un ancien nouveau siècle ».

C’est à sa résistance au temps que l’on reconnaît une grande œuvre, à sa faculté de pouvoir être accueillie de manières différentes et évolutives à tout âge. Les perceptions ne seront pas identiques en voyant Evangelion pendant l’adolescence, ou en se rapprochant du groupe de Misato, puis de Gendô. La franchise a suivi Hideaki Anno pendant quasiment toute son existence, reste à voir s’il a réellement réussi à s’en extraire, à briser sa malédiction. Dans tous les cas, la fascination qu’exerce la licence n’a pas pris une ride. Les fans continuent de fouiller son âme et ses entrailles et d’en extirper des détails toujours plus obscurs et pertinents. Tout le monde reçoit Evangelion à sa manière et, c’est inévitable, il n’y aura peut-être pas dans cet essai un point précis (ou général) qui vous semble pourtant absolument fondamental. Chacune et chacun d’entre nous pourrait tenter cette aventure et aucun ouvrage ne serait semblable. C’est là toute la magie de l’exercice.

J’ai également voulu proposer un livre accessible et bienveillant. J’ose espérer avoir réussi au moins cela, et je vous invite à partager aussi votre propre Eva. Une dernière remarque indispensable avant de vous laisser : je présente mes plus plates excuses au grand absent de ces prochaines pages, le pauvre Pen Pen, oublié dans une source d’eau chaude, à l’abri des regards.

L’AUTRICE :

Adepte des pseudonymes multiples, Vivi ou Virginie aime rester mystérieuse. Elle a participé à l’aventure Console Syndrome en écrivant des articles divers et variés sur le site du même nom, aujourd’hui disparu. Chez Third Éditions, elle est l’autrice des ouvrages de la collection Ludothèque consacrés aux jeux vidéo Rez et Skies of Arcadia. Elle a également rédigé le livre de la collection Médiathèque dédié à Nadia, le secret de l’eau bleue.

CHAPITRE : 1

Geofront – Genèse et reconstruction

Préambule

Le plus ancien souvenir cinématographique de Hideaki Anno, réalisateur de la série et des films Evangelion, est l’explosion d’un camion-citerne. Alors âgé d’environ 4 ans, il ne se rappelle pas grand-chose d’autre, mis à part qu’il s’agissait d’une scène de nuit issue d’un vieux film dont il a oublié le nom. Sans qu’il le sache, une petite graine venait de s’inviter dans son esprit, prête à pousser dans le plus grand des secrets. Dès ses premières tentatives d’animation solo à l’adolescence, comme par mimétisme spontané, Anno donne vie à des déflagrations, des nuages de fumée ou des tirs de missiles. Il prend à cœur de les détailler, en les parant de multiples débris envahissant l’espace. Puis, à l’aube de l’âge adulte, Hayao Miyazaki lui confie une séquence de la plus haute importance lorsqu’il l’embauche pour travailler sur son long-métrage Nausicaä de la Vallée du Vent. Il charge le jeune homme d’animer une scène clef : la décomposition d’un dieu géant qui s’écroule en crachant un laser foudroyant tout sur son passage. L’explosion se retrouve également au cœur des séries de tokusatsu1 qu’Anno affectionne tant dès son enfance. Fasciné, il observe les étincelles, les flammes et les champignons atomiques, les immeubles qui s’effondrent, tandis que des monstres gigantesques attaquent la Terre. Lorsque Toshio Okada, l’un des fondateurs du studio Gainax, décrit le travail de son ancien collègue, il place la destruction en son centre névralgique. Selon son analyse, chez Anno, l’essence des choses se révèle dans la façon dont elles se brisent. Cet instant à la fois fugace et précieux, ce passage d’un état à un autre est celui qui prévaut. L’existence ne se ressent jamais aussi intensément qu’au moment de sa disparition ; ce n’est qu’une fois trahi que l’individu saisit à quel point il tenait à quelqu’un. Voilà pourquoi, de l’avis d’Okada, les explosions de Hideaki Anno sont primordiales et si belles.

Le phénomène Evangelion, basé sur une série fabriquée dans l’urgence et pensée pour une audience strictement japonaise, a lui aussi explosé telle une bombe d’envergure mondiale. Il se dit même que ses retombées sont encore perceptibles aujourd’hui, comme un tremblement de terre dont les répliques refuseraient de s’arrêter. Hideaki Anno raconte que la création lui permet d’expulser ses angoisses, de les sortir de sa tête et de combler ce vide ancré au plus profond de son être. Pour lui, il n’y a pas de meilleur média que l’animation pour rendre tangible ce fil invisible qui lie l’intérieur d’une personne au monde extérieur. Dans son paradigme, les catastrophes planétaires s’assimilent aux traumatismes individuels. Coincés entre une apocalypse avortée et une fin du monde prophétisée, les protagonistes de Neon Genesis Evangelion n’osent pas exprimer ce qu’ils sont vraiment. « Qui suis-je ? » se demande Rei. Qui est Hideaki Anno ? se demande le public. La moindre de ses déclarations est décortiquée par les fans depuis des décennies. Ses œuvres sont découpées seconde par seconde afin de tenter d’en expliquer les mystères, d’en exposer les références obscures. Au-delà de la réalité, des fictions l’ont même transformé en un véritable personnage, comme dans un manga de sa femme Moyoco Anno, contant leur vie de couple, ou dans une série TV qui revient sur les aventures d’un de ses camarades à l’université2. En août 2021, lors d’un entretien avec le cinéaste et humoriste Hitoshi Matsumoto, Anno n’en fait pas un secret : il ne se dévoile pas entièrement devant les caméras. Obsédé par l’idée de livrer un travail qu’il estime intéressant, il applique la même recette à ses apparitions et se comporte en conséquence, souhaitant rendre la postproduction plus aisée. Dès lors, qui est réellement Hideaki Anno ? Personne ne possède la réponse à cette question, mis à part – peut-être – l’intéressé et ses proches. Il plane toujours sur lui l’aura d’un homme-mystère, dont les contradictions magnétisent les foules.

Adulé ou détesté, Anno exerce une fascination sur le public et éclipse malgré lui ses collaborateurs. Hormis les fans à la curiosité la plus aiguisée, qui connaît les rôles (ou ne serait-ce que les noms) de Kazuya Tsurumaki, Masayuki, Akio Satsukawa, Junichi Satô ou encore Yoh Yoshinari ? Ils sont pourtant des pièces maîtresses sans qui rien n’aurait été possible. Cet essai tentera de ne pas les oublier et de rappeler que leur travail a été collectif et ouvert aux propositions de chacun. Si Anno a tenu la baguette du chef d’orchestre, ses essentiels musiciens ont contribué eux aussi au bon déroulé du concert. Il est d’ailleurs le premier à essayer de les mettre en avant, tout en minimisant son importance et son mérite. Bien évidemment, vouloir comprendre Evangelion par le prisme de son créateur reste légitime, surtout dans une œuvre aux couleurs si personnelles, où l’exploration de l’intime est si prégnante. Pour cette raison et pour plus de simplicité, le récit de l’élaboration de la série et des films suivra principalement le parcours d’Anno. Il sera, dans ce livre, le représentant de ses comparses, issus de la même génération et mus par une passion identique.

Dès à présent, plongeons ensemble dans les coulisses de cette œuvre phare du monde de l’animation japonaise !

La jeunesse de Hideaki Anno

Raconter une vie relève forcément de la mise en scène. Une existence ne saurait se résumer à un banal enchaînement mécanique de points précis à énumérer chronologiquement, parsemé de souvenirs sublimés ou déformés par le passage du temps. Lorsque Hideaki Anno dépeint ses jeunes années ou son adolescence, il effectue des choix. Il s’agit de décisions plus ou moins conscientes, du résultat d’une sélection d’informations jugées pertinentes, comme dans sa biographie officielle sur le site Internet de khara, le studio d’animation qu’il fonde en 2006. Tirer des parallèles directs entre les dilemmes et la souffrance des protagonistes d’Evangelion et le parcours d’Anno, les fans le font depuis plus de vingt ans. Découvrir la situation de handicap et la mélancolie tenace de son père (sur lequel nous allons revenir plus en détail) évoque immédiatement en nous des liens avec son héros Shinji. Attention toutefois aux amalgames faciles. L’acte de création n’a rien d’évident, surtout dans le cadre d’un travail réunissant à la fois une introspection et un registre fictionnel. Anno ne s’est clairement pas dit qu’il allait accoucher avec Neon Genesis Evangelion d’un mode d’emploi simpliste dont il serait le sujet principal. Il constate d’ailleurs que les gens qui analysent ou critiquent son œuvre finissent souvent par surtout parler d’eux-mêmes. Il ajoute que s’il avait souhaité évoquer uniquement sa vie, il aurait écrit une autobiographie. Et pourtant, une partie de lui se dévoile inévitablement au fil des épisodes. Comme nous le verrons, la notion de référence revêt une importance capitale dans toute sa carrière, et ce sont précisément les petites différences qui en disent parfois le plus, cachées sous les évidences.

Ces avertissements en tête, il est temps de voyager vers le passé et de tenter de résumer les premiers pas de Hideaki Anno, en espérant parvenir à mieux cerner l’incernable, sans pour autant appauvrir la complexité qui le caractérise, à l’image de chaque être humain.

Naissance et école primaire

Hideaki Anno naît le 22 mai 1960 et grandit dans la ville d’Ube, située au sud-ouest du Japon dans la préfecture de Yamaguchi. À l’époque, l’exploitation minière du charbon rythme l’existence d’un peu moins de 200 000 habitants. Ube Industries, entreprise chimique fondée dès 1857 (aujourd’hui Ube Corporation), garantit un avenir prospère à la population, alors qu’une nouvelle décennie se profile. En ce début des années 1960, les enfants partagent selon toute évidence des points communs générationnels. Leurs parents ont vécu la Seconde Guerre mondiale dans leur propre jeunesse : les bombardements atomiques ne remontent qu’à une quinzaine d’années. Ils vivent également la massification de la télévision dans les foyers. En 1960, la TV couleur débarque dans le pays, et fin 1961, 9 millions de familles nippones sont équipées d’un poste. La révolution est en marche, transformant l’accès à l’information et ralliant tous les téléspectateurs dans une expérience collective. Anno qualifie la télévision de « boîte magique », sans nécessairement lui adjoindre un sens positif. La réalité se vit désormais à travers l’écran, et les voyages hertziens, effectués sans bouger le moindre petit doigt, envahissent les sujets de conversation. Hideaki Anno comprend d’ailleurs assez rapidement que regarder les séries et émissions à la mode s’avère aussi utile qu’indispensable à la socialisation dans la cour de récréation.

Et il y a de quoi faire rêver les enfants dans le secteur du divertissement ! Dès les années 1950, les robots remplissent le monde de l’imaginaire japonais, avec les célèbres mangas Astro, le petit robot (présentant un robot-enfant défenseur de la Terre) et Tetsujin 28-gô (et son robot géant téléguidé)3. Les deux licences se voient adaptées en dessin animé en 1963. Bien qu’il en garde des souvenirs, Hideaki Anno déclare nourrir davantage d’affection pour leurs contemporains Eightman (et son super-héros cyborg) et Super Jetter (dont le protagoniste venant du futur est transporté à notre époque)4. Cet appétit du public nippon pour la science-fiction est complété par son attrait pour les monstres géants. Le mythique Godzilla apparaît au cinéma en 1954, suivi de multiples déclinaisons. Précisons toutefois que le plus célèbre des kaijû ne se concentrera sur une audience plus jeune qu’après quelques années d’exploitation. En plus de leurs dimensions distrayantes, les fonctions politique et cathartique de ces deux genres – la robotique et les monstres géants – ne sont pas à négliger, dans un pays ayant perdu la guerre et privé de force armée offensive. Ces fictions offrent la possibilité d’exorciser ce dont il est encore complexe (voire tabou) de parler ouvertement après les bombes nucléaires et d’éduquer la génération future quant à la puissance à double tranchant de la science. Témoin d’un mouvement en vogue aussi chez les grands, Meguro (un arrondissement de Tokyo) accueille en 1962 la première convention japonaise de science-fiction. La Meg-Con (abréviation de Meguro Convention) se calque sur son modèle américain la Worldcon, existant depuis 1939. Son nom changera à chaque itération, la convention se déplaçant de ville en ville.

C’est dans ce contexte que la série Ultraman débarque à la télévision en 1966. Fruit d’Eiji Tsuburaya, le cocréateur de Godzilla, elle narre les aventures d’une patrouille scientifique chargée de protéger les humains contre les attaques de monstres géants. La vie d’un de ses membres, le courageux Hayata, se voit sauvée par Ultraman, un extraterrestre pacifique provenant de la nébuleuse M78. Ce dernier fusionne avec Hayata, capable désormais de devenir Ultraman, sous la forme d’un humanoïde géant rouge et argenté tout-puissant. Sur le téléviseur noir et blanc familial, Hideaki Anno ne perçoit pas les couleurs, mais il n’en est pas moins hypnotisé par cet étrange personnage. Il découvre également à la même période la série britannique de marionnettes Thunderbirds (Les Sentinelles de l’air), diffusée dès 1966 au Japon, et dont les effets spéciaux l’impressionnent beaucoup.

La boîte magique porte bien son nom et fait dorénavant partie du quotidien. Parmi ses pouvoirs, elle nous permet de nous échapper dans un autre monde le temps d’un épisode et d’oublier quelques instants la tristesse qui nous entoure. Lorsqu’il évoque son enfance, Anno appuie régulièrement sur la pauvreté de sa famille. Il explique que le Japon n’est alors pas des plus généreux envers les personnes en situation de handicap. C’est le cas de son père, amputé d’un mollet à 16 ans, après un accident de scie électrique pendant qu’il travaillait dans un moulin à bois. L’homme ne parvient pas à complètement se remettre de ce malheur, aussi bien physiquement que psychologiquement. La pression et le frottement de sa jambe artificielle sur son moignon le font souffrir. Ce sont des années de ruminations et de chagrin sur une vie brisée qui se répercutent sur le jeune Anno. Ce dernier subit les colères d’un père frustré, qui le frappe parfois et se décharge sur lui en l’insultant. Bien que sa mère le protège de temps en temps, le garçon n’en ressent pas moins cette impression de déranger, que son père aurait préféré ne pas avoir de fils. En dépit de son jeune âge, il perçoit cette mélancolie stagnante qui semble avoir pris possession de son géniteur et dont il est difficile de le dissocier. De plus, il nourrit une frustration quant au fait de ne pas pouvoir sortir avec ses parents comme les autres enfants de son entourage. Pas question d’aller à la plage : sa mère craint le soleil pour sa peau et son père n’assume pas de dévoiler sa prothèse. Pareil pour les balades, qui font mal à ce dernier. Le jeune Hideaki Anno ne peut compter que sur des occasions exceptionnelles, comme le Nouvel An, pour espérer une rare expédition familiale. Et pourtant, malgré les maux évoqués, il décrit son enfance comme normale. Il réussit à se faire des amis sans problème, s’amuse à imiter les poses caractéristiques d’Ultraman et dévoile rapidement au monde un don pour les arts visuels.

Dans les marges de ses cahiers, il esquisse des robots, qu’il prive d’un membre, comme son papa. Il excelle en peinture, s’essayant aux natures mortes en classe. L’occasion de s’arrêter un instant sur une anecdote narrée par ses parents, lors d’un retour aux sources organisé par la chaîne NHK en 1998. Fumiko Anno, la maman, exhibe fièrement les toiles de son fils, datant de l’école primaire. Takuya, le papa, commente l’une d’elles. Créée par Hideaki vers ses 6 ans, elle est estimée bien trop réussie et aboutie pour un gamin de cet âge par les professeurs. En conséquence, la peinture est enlevée des murs de l’école. Et ses parents d’ajouter que c’est à partir de cet instant que Hideaki abandonne ses pinceaux et ne se consacre plus qu’à dessiner « du manga ». Cet événement, partagé comme s’il était secondaire, voire insignifiant, laisse toutefois imaginer son impact sur un enfant qui souhaite candidement être accepté et portant déjà un lourd bagage familial. Dans un pays où il se dit que « le clou qui dépasse appelle le marteau », Hideaki Anno apprend que se démarquer du groupe engendre des conséquences. Cela ne l’empêche pas – voire renforce son besoin – d’affirmer un caractère extrêmement têtu. Là encore, ses parents confirment : leur fils est une tête de mule. Aux repas scolaires du midi, il vit l’enfer. Dégoûté par la viande et le poisson, en ingérer la moindre miette relève de l’insurmontable. Dans sa tête, aucune place pour le doute : il préférerait mourir. Et il tient bon ! Quitte à ne se nourrir que de pain et de lait, ou à rester assis devant son assiette jusqu’au soir lorsqu’un professeur lui demande de ne pas sortir de table avant de l’avoir terminée. En dehors de cela, Anno est plutôt bon élève (sauf en sport) et participe au conseil de classe, afin de satisfaire ses parents.

En parallèle du parcours d’Anno à l’école primaire, la grande histoire du monde suit son cours. Le 21 juillet 1969, les hommes posent le pied sur la Lune pour la première fois. Un exploit partagé à la télévision sur la terre entière, promesse d’un avenir engageant et d’une science salutaire. Du 14 mars au 13 septembre 1970, l’Exposition universelle se tient à Osaka. Hideaki Anno a de la chance : ses parents l’emmènent là-bas, dans ce qui constitue un véritable événement national et qui aura une répercussion sur toute la science-fiction japonaise. Le thème de l’exposition est « Progrès et harmonie pour l’humanité », avec la collaboration de Sakyô Komatsu, écrivain de SF renommé, futur auteur des romans La Submersion du Japon et Sayonara Jupiter. Tout comme la tour Eiffel était le symbole de l’Exposition de Paris en 1889, ici c’est la tour du Soleil, imaginée par l’artiste Tarô Okamoto, qui a pour but de marquer les esprits. Celle-ci, impressionnante, s’élève à soixante-dix mètres de haut et arbore plusieurs visages sous forme de masques géants. Elle cache en sus en son intérieur une œuvre monumentale représentant l’Arbre de vie. De quoi subjuguer n’importe quel enfant, Hideaki le premier, et garantir un futur radieux grâce aux progrès liés à la technologie.

Le rêve ne va cependant pas durer longtemps. En février 1972, le Japon est secoué par l’affaire du chalet Asama. Une prise d’otage par les derniers membres de l’Armée rouge unifiée, qui s’étale sur dix jours et dont l’assaut final, le 28, est diffusé pendant toute sa durée en direct à la télévision nationale. À travers la boîte magique, les téléspectateurs suivent l’événement comme s’ils y étaient. Cette proximité avec la réalité, vécue par procuration depuis son salon, marque profondément le jeune Anno. L’année 1973 est celle du premier choc pétrolier qui frappe durement l’Archipel et provoque pénuries et inflation. À cela s’ajoute la pollution grandissante, abordée de manière plus ou moins métaphorique dans les feuilletons ou les films, par exemple Return of Ultraman, Spectreman ou Godzilla vs Hedorah, tous sortis en 1971. Le 25 novembre 1973, le livre Nostradamus no daiyogen (« les prophéties de Nostradamus ») de Tsutomu « Ben » Gotô raconte que l’espèce humaine sera détruite en juillet 1999, comme l’avait annoncé Nostradamus. L’auteur parsème son analyse d’éléments inventés pour l’occasion, afin de la rendre plus crédible. Les cataclysmes et la dégradation de l’environnement ne sont que les signes avant-coureurs des prédictions citées. En profitant de l’angoisse de la population, l’ouvrage devient un best-seller avec plus d’un million de copies vendues en seulement trois mois. En 1974, son adaptation au cinéma en film catastrophe, à grand renfort d’effets spéciaux saisissants, est même recommandée par le ministère de l’Éducation5.

Collège et lycée

Au collège, Anno fait partie du club d’art et continue de développer ses talents en gribouillant du manga. Avec les chutes de tissu de son père, reconverti en couturier – métier qu’il peut exercer de chez lui –, il se fabrique des masques de ses héros préférés, comme celui de Kikaider, le justicier bicolore de Shôtarô Ishinomori. Son amour pour la fiction ne diminue pas. Au contraire, en pleine adolescence, la découverte de nouvelles œuvres le marque au fer rouge. Il vibre devant les films de guerre, surtout ceux de Kihachi Okamoto, notamment Le Jour le plus long du Japon (1967), La Torpille humaine (1968) ou La Bataille d’Okinawa (1971). Il déclare avoir vu plus de cent fois ce dernier au cours de sa vie. Il suit la prépublication de mangas cultes de Gô Nagai (qu’il connaît depuis L’École impudique en 1968) : Mazinger Z et Devilman, de 1972 à 1973. C’est chez le coiffeur qu’il tombe par hasard sur Seibutsu Toshi (Bio City), une histoire courte de Daijirô Morohoshi parue dans le Shônen Jump en 1974. Le choc est si fort qu’il relit le chapitre trois fois de suite !

Lorsqu’il est à la maison, Anno peut regarder la série UFO, alerte dans l’espace (1970-1971) des créateurs de Thunderbirds (Gerry et Sylvia Anderson), ainsi que les nouvelles itérations de la saga Ultra, avec Ultraseven (1967-1968) et surtout Return of Ultraman (1971-1972). Il est également témoin de l’apparition de Kamen Rider en 1971, une autre série de tokusatsu dont il réalisera une nouvelle version en long-métrage sous le nom de Shin Kamen Rider en 2023. Si cette liste semble barbare et sans fin, tout en étant pourtant hautement incomplète, elle sert avant tout à illustrer le foisonnement de futures références qui s’accumulent dans l’esprit d’Anno, ainsi que l’enthousiasme qui l’anime. À tout cela, il est nécessaire d’ajouter encore deux pierres à l’édifice. Tout d’abord, preuve de l’œil d’esthète qu’il possède déjà, il repère dans le film d’animation Le Vaisseau fantôme volant (Soratobu Yûreisen, 1969) l’impressionnante qualité d’une scène de destruction d’une ville par un robot géant. Une séquence derrière laquelle se cache un jeune homme prometteur : Hayao Miyazaki ! Comme si cela ne suffisait pas, à l’école, Anno rencontre une certaine Ritsuko (amie ou petite amie, le doute subsiste), qui l’initie aux charmes du shôjo manga et aux romans de science-fiction.

Tout cela semble déjà beaucoup pour un seul adolescent, et pourtant, le meilleur reste à venir avec l’anime Space Battleship Yamato, qui s’envole en 1974 pour vingt-six épisodes. Problème : Hideaki Anno doit depuis quelques années composer avec une petite sœur de sept ans sa cadette. « À cause » d’elle, il se voit obligé de regarder Yamato sur l’ancien poste TV familial en noir et blanc, tandis qu’elle obtient le privilège de suivre Heidi (diffusée au même créneau horaire) sur le téléviseur couleur fraîchement acquis par leurs parents. Voilà qui n’arrange pas sa relation avec la fillette, dont il ne se sent pas du tout proche – et cela continuera une fois adulte. Heureusement, Yamato l’obsède et le comble de joie.

Néanmoins, la vraie vie, celle de collégien, se poursuit pour Anno. Ses parents lui promettent de l’argent de poche s’il parvient à intégrer un lycée haut de gamme d’Ube, proposant un tremplin solide pour les futurs examens d’entrée à l’université. L’idée s’avère bonne, car il réussit ! Mais son esprit têtu reprend le dessus et, progressivement, il se désintéresse totalement des branches qui lui semblent inutiles pour sa vie d’adulte à venir. Loin de lui l’envie de poursuivre des études académiques, surtout lorsqu’il apprend qu’un test d’anglais est obligatoire, discipline dans laquelle il s’avère particulièrement mauvais. Il préfère donc largement passer son temps à jouer au mah-jong avec ses amis et se consacrer à la consommation de mangas, d’anime et de productions de tokusatsu.

Également membre du groupe d’astronomie de l’école, il scrute amoureusement le ciel et les étoiles, tout en faisant toujours partie du club des arts, évidemment. Il profite du budget alloué à ce dernier pour se procurer du matériel et expérimenter des techniques d’animation. Avec ses propres économies, il achète une caméra 8 mm, fonde un groupe de production nommé SHADO, en hommage à l’agence de la série UFO, et met en scène des petits films en prises de vues réelles avec l’aide de copains. Côté anime, Anno remarque à la télévision Invincible Super Man Zambot 3 (1977), réalisé par un certain Yoshiyuki Tomino. Il est particulièrement frappé par un arc très violent de la série, mettant en scène des enfants transformés en bombes humaines. Avec la sortie d’un premier film Space Battleship Yamato (reprenant des morceaux de la série TV), le phénomène du même nom continue de grandir. Grâce à lui, le nombre de fans augmente et ceux-ci se réunissent pour parler librement de leur fascination pour la franchise. Anno assiste en direct à ce qui sera appelé le « premier impact de l’animation japonaise ».

Bien entendu, Anno se réjouit de pouvoir partager sa passion avec d’autres camarades. Cela dit, bien qu’à peine majeur, il se targue déjà d’un regard critique expérimenté et d’exigences fermes. En juillet 1978, à la sortie du deuxième film Yamato (Farewell to Space Battleship Yamato), il n’apprécie guère la dernière partie du long-métrage, qu’il estime tire-larmes. Avec ses amis, ils rient, tandis que dans la salle tout le monde pleure. Pour Anno, l’industrie de l’animation ne vogue d’ores et déjà pas vers le bon cap : les productions commencent à se ressembler, sont trop paresseuses. Il se questionne sur l’avenir du média. Par chance, un programme va venir remettre les pendules à l’heure et le rassurer : Mobile Suit Gundam, à l’origine du deuxième impact.

Diffusé dès le 7 avril 1979, Gundam a l’effet d’une gifle sur Anno. Il n’avait pas vécu cela depuis Yamato en 1974 ! Enfin, il a l’impression de suivre une histoire traitant intelligemment les robots géants. Il se fiche bien d’avoir raté son examen d’entrée à l’université, tout ce qui compte est de trouver le moyen d’enregistrer la série. Au magasin d’électronique du coin, il convainc le vendeur de le laisser utiliser un des magnétoscopes contre l’achat de cassettes vidéo. L’accord s’avère d’autant plus primordial que le petit boulot alimentaire d’Anno (livreur de journaux) l’empêche de suivre certains épisodes en direct. Malin, il raconte aux clients que le vendredi (jour de diffusion de Gundam dans la préfecture de Yamaguchi, à 17 h), la livraison s’effectue plus tard que le reste de la semaine. Grâce à l’argent qu’il a économisé, il s’offre un voyage à Tokyo et se rend au Private Animation Festival, où il remarque un court-métrage (Cemedine Bond and G17 de Hiroshi Hara), créé sans celluloïds. Un nouveau monde créatif s’ouvre à lui ! Grâce à cette méthode alternative moins coûteuse et tout aussi efficace, il plonge de plus belle dans l’apprentissage autodidacte de l’animation, simplement à l’aide de feutres et de papier.

Toutefois, ses parents ont une autre idée en tête : il doit absolument rentrer dans une université. Son ancien lycée suit leur avis, il ne faudrait pas que cet échec fasse baisser leur pourcentage de réussite. Ensemble, ils insistent. Anno finit par trouver une faculté privilégiant les aptitudes manuelles aux classiques examens : l’université des arts d’Osaka. Il lui suffit de soumettre un storyboard pour tenter sa chance. Pour ce faire, il épluche ceux de Hayao Miyazaki, plus spécifiquement son travail sur Conan, le fils du futur, série TV de 1978 qu’il avait pu suivre assidûment sur l’écran couleur de ses parents (après négociation). Surprise et soulagement dans la famille, il est accepté ! En 1980, après s’être qualifié de rônin (un samouraï sans maître) pendant cette année de césure, Hideaki Anno quitte Ube pour Osaka, à un peu moins de cinq cents kilomètres, et entame un nouvel arc de sa vie.

L’essor des clubs de fans

Avant de revenir sur l’arrivée de Hideaki Anno à l’université, il est nécessaire de marquer un petit temps d’arrêt sur la frénésie de la communauté des fans de science-fiction à la fin des années 1970, qui mènera à la fondation du studio Gainax en 1984. La jeune génération nippone découvre coup sur coup Yamato (1974), Star Wars (1977 aux États-Unis, 1978 au Japon) et Gundam (1979). L’ampleur du phénomène est inédite, mais l’engouement s’appuie sur de fortes racines déjà bien implantées. Les fous de science-fiction se réunissent sur l’Archipel depuis la fin des années 1950 dans des clubs dédiés, notamment pour produire des magazines amateurs permettant de découvrir des auteurs en herbe, des traductions de textes étrangers ou des critiques. Une des figures de proue du mouvement est l’écrivain Masahiro Noda, né en 1933 à Fukuoka. Grâce à ses travaux (essais et romans), il gagne une solide notoriété dans le milieu et joue un rôle important dans le Cercle Uchû-gun (« force spatiale »), un club SF de renom, fondé en 1977. Les meilleurs connaisseurs peuvent s’y retrouver et échanger à propos de la littérature ou du cinéma, et par la même occasion légitimer leurs goûts face au monde des grands classiques.

C’est aussi en 1977 que Yasuhiro Takeda rejoint son premier club de SF, à l’université de Kinki (aujourd’hui Kindai), grâce auquel il peut enfin partager tout l’amour qu’il gardait jusqu’alors pour lui, faute d’amis ayant les mêmes passe-temps. Ce jeune homme, né en 1957 à Osaka, représente à merveille le fan de l’époque : il a déjà lu des grands auteurs du genre comme Arthur C. Clarke ou Robert A. Heinlein, il a vécu le premier pas de l’humanité sur la Lune et rêvé du futur grâce à l’Exposition universelle de 1970. Toutefois, s’il s’est inscrit dans la postérité du milieu, c’est principalement pour sa biographie publiée en 2002 sous le nom de Notenki Tsûshin : Evangelion o tsukutta otoko-tachi (« La transmission Notenki : les hommes qui ont créé Evangelion »). Il y raconte son point de vue sur la naissance et le développement du studio Gainax. Avant ce point culminant, il décrit avec précision l’essor à la fin des années 1970 de ces cercles universitaires et leurs étudiants de plus en plus nombreux, aux yeux remplis d’étoiles. De fil en aiguille, du fait de sa nature serviable, Takeda devient carrément le secrétaire général d’un réseau réunissant tous les clubs de la grande région du Kansai. Ce ralliement offre la possibilité de faciliter les échanges et, surtout, d’organiser des conventions, points d’orgue dans la vie des fans.

Lors de la Seto-Con de 1978 (une convention locale dans la préfecture de Kagawa), Takeda rencontre Toshio Okada, un drôle de personnage. Cet original aux cheveux longs, qui s’exprime de manière outrancièrement enthousiaste, a tout du cliché de l’otaku, bien que le terme ne soit alors pas encore employé comme il l’est aujourd’hui6. Takeda fait presque la fine bouche, en s’inquiétant d’éventuellement lui ressembler. En le recroisant à l’Ashino-Con quelques semaines plus tard, cette fois-ci une convention nationale (comme l’était la Meg-Con de 62), Takeda change cependant d’avis. Les deux hommes entament une conversation déchaînée sur Yamato, Godzilla et Star Wars. Leur duo fonctionne étonnamment si bien que d’autres fans se réunissent autour d’eux, comme pour assister au spectacle. De l’amitié qui les unit désormais va découler l’envie de monter eux-mêmes, ensemble, leur propre convention, qu’ils imaginent bien plus diversifiée et amusante.

Il faut bien concevoir l’ébullition du moment, associée à la fougue de la jeunesse de ces presque-adultes nés à la fin des années 1950. Takeda ne les représente pas uniquement dans son excitation un brin naïve, mais également dans un décrochage universitaire. Car à force de s’investir dans ses activités annexes, Takeda n’a plus le temps ni l’envie d’étudier. Seule compte la science-fiction dans son sens le plus large. Par exemple, Toshio Okada ne s’inscrit dans une faculté d’Osaka que dans l’unique but de rejoindre son club de SF ! De plus, ces provinciaux nourrissent une petite défiance envers les fans de Tokyo et souhaitent absolument leur prouver qu’ils peuvent faire mieux qu’eux. Ainsi, Takeda et Okada parviennent à organiser leur première convention (le quatrième Sci-Fi Show) à Osaka en 1979. À cette occasion, ils reçoivent, entre autres, l’aide du représentant du Cercle Uchû-gun, Hiroaki Inoue, et d’un de ses membres, Takeshi Sawamura. Ce dernier déborde d’énergie et n’a pas sa langue dans sa poche, ce qui arrange bien Takeda, plus réservé. L’audace de Takeda et d’Okada n’est néanmoins pas au goût de tous, et certains aînés des clubs les accusent – à raison, de l’aveu de Takeda – d’essayer de faire de l’ombre à la convention annuelle officielle. Le duo, devenu trio avec l’arrivée de Sawamura, n’en a cure et en profite pour élargir le domaine de la stricte science-fiction aux mondes du tokusatsu et de l’animation, deux branches quelque peu snobées par les puristes, mais qu’ils adorent.

Le succès est au rendez-vous et les décide à réaliser leur rêve : devenir les hôtes de la prochaine convention de SF officielle qui doit se tenir à Osaka en 1981, la Daicon III7. La bizarrerie d’Okada et l’arrogance de Sawamura ne font pas l’unanimité au sein des autres fans qui gravitent dans cette ruche de proto-otaku, alors que Takeda redouble sa deuxième année d’université. Et pourtant, rien ne peut arrêter le trio infernal qui compte frapper l’audience d’un grand coup, à l’aide d’un générique animé mémorable, qui sera diffusé en ouverture de la convention. Il leur faut donc prospecter afin de trouver la perle rare capable de réaliser un film à la hauteur…

Hideaki Anno à l’université

Pendant ce temps, Hideaki Anno rentre à l’université des arts d’Osaka en 1980. Dans cette école plus orientée sur la pratique que la moyenne, il va continuer son apprentissage et ses expérimentations. Il réalise des courts-métrages d’animation sur papier, ainsi qu’un film en prises de vues réelles de quelques minutes directement inspiré de la série Ultraman. Le cadre académique favorise au demeurant les rencontres. Anno va lui aussi former un trio avec deux copains de classe. Il y a d’abord Hiroyuki Yamaga, né en 1962 à Niigata et issu d’une modeste famille d’agriculteurs. Yamaga a de l’ambition et souhaite avant tout gagner de l’argent, sans avoir de patron. C’est pourquoi il a décidé de devenir réalisateur ! C’est en lisant une chronique dans un journal qu’il a découvert que pour apprendre le métier, il suffisait de voir dix fois le même film. Alors, il multiplie les visionnages et analyse la façon dont semblent confectionnés tous ces longs-métrages. Il partage le même dortoir qu’Anno, où ils s’adressent la parole pour la première fois. Anno, peu bavard et légèrement obsessionnel, lui demande s’il a vu Gundam. Or, Yamaga ne sait même pas de quoi il retourne. Toutefois, ce dernier a déjà repéré le talent brut d’Anno et décide de ne plus le quitter. Le troisième étudiant de cette fraîche fraternité s’appelle Takami Akai. Né en 1961 à Yonago, il est passionné de tokusatsu et particulièrement doué en dessin et en construction manuelle. Il reproduit des décors miniatures dans lesquels il met en scène des kaijû, dont évidemment Godzilla. Ensemble, le trio se complète à merveille : Yamaga s’estime sans talent dans le dessin, mais motivé à prendre en charge tout ce qui concerne la mise en scène ; Anno pense qu’il ne sait pas représenter des personnages et se spécialise donc dans l’animation de véhicules ou d’effets spéciaux ; Akai, lui, ne voit pas de problème à se charger du character design ou du monster design. C’est dans cette configuration qu’ils vont faire la rencontre qui va changer leurs vies.

Dans ce milieu de fans où tout le monde se connaît de près ou de loin, Takeda apprend, par un contact commun, l’existence d’un surdoué en animation répondant au nom de Hideaki Anno. Une rencontre est organisée à Kyoto en septembre 1980, dans le café Solaris, haut lieu de réunion des amateurs de science-fiction. Anno, à peine la vingtaine, n’est pas très préoccupé par son avenir à cette époque. Il se laisse – lâchement, selon son interprétation – porter par le courant, en évitant de prendre la moindre décision. Il est essentiellement intéressé par ses projets actuels et la diffusion de Space Runaway Ideon, la nouvelle série de Tomino, le créateur de Gundam. Il délaisse volontiers les cours ou les relations humaines. Yamaga, lui, veille au grain et sent un potentiel dans cette entrevue : il convainc Anno de se rendre à Kyoto pour en savoir plus. Ainsi, Takeda et Sawamura reçoivent Anno et Yamaga et leur expliquent leur projet. Anno dessine spontanément sur place une animation d’une powered suit8. Takeda, épaté, est persuadé que leur alliance va faire des merveilles. Bien qu’un peu réticent au départ à travailler avec tous ces énergumènes, Akai se laisse séduire par la possibilité d’être payé pour son art.

La planification du générique d’ouverture de la convention Daicon III, prévue pour août 1981, commence sans délai dans une grande demeure de la famille de Toshio Okada, dont les parents ont lancé une entreprise de broderie qui rencontre un fort succès. Anno, Akai et Yamaga ont de la main-d’œuvre à disposition, puisée parmi les membres des différents clubs, ravis de participer à l’aventure. Il y a énormément de travail à fournir, ne serait-ce que pour élaborer une simple minute d’animation. Bien que jeunes universitaires, ils ne possèdent pas de véritable expérience professionnelle dans le domaine, alors ils tâtonnent et se débrouillent comme ils le peuvent. L’indépendance donne des ailes à Okada, qui permet à Anno et à ses compagnons d’ajouter à l’écran autant des références qu’ils le souhaitent à leurs œuvres préférées. Faisant fi des problèmes de copyrights, l’équipe s’en donne à cœur joie avec un mot d’ordre : « Par les fans et pour les fans. » Anno en profite pour renforcer ses nouvelles habitudes : ne pas se laver et se nourrir uniquement de snacks. Par-dessus tout, il tombe amoureux de la production d’animation en groupe et de sa synergie.

Pendant son dur labeur, le trio trouve le temps de présenter un travail pratique requis par leur université. Anno réalise un deuxième court-métrage mettant en scène Ultraman, qu’il incarne (comme dans le premier) à visage découvert. À l’été 1981, l’animation d’ouverture de la Daicon III, d’une durée respectable de cinq minutes, est prête. Elle met en scène une fillette chargée par la patrouille d’Ultraman (en personne !) d’apporter un verre d’eau jusqu’à la Daicon. Sur le chemin, elle croise et affronte des robots géants et des kaijû, le tout parsemé d’explosions et de missiles virevoltants, dans une ambiance bon enfant et un découpage dynamique. Les emprunts à Gundam, Ideon, Ultraman, Star Wars, Gamera, Godzilla, Yamato, Star Trek (etc.) s’accumulent dans un ouragan d’énergie ! L’héroïne finit par arroser un radis blanc qui se transforme en vaisseau spatial, dans lequel elle embarque en tant que capitaine. Le court-métrage génère une sincère euphorie et ravit le public ! Il impressionne par la même occasion les professionnels présents. L’équipe reçoit de plus les félicitations d’Osamu Tezuka, qui leur fait tout de même remarquer subtilement qu’aucune de ses créations n’est présente dans le lot. La convention qui s’étale sur deux jours connaît un énorme succès, et le but de Takeda et Okada d’amuser les gens est atteint. Parmi les réjouissances, une activité plutôt originale s’invite à la fête : celle de la revente. Objets officiels ou manufacturés par des amateurs, il y a de quoi repartir avec un souvenir et un porte-monnaie plus léger. En parlant d’argent, force est de constater que l’organisation d’un tel festival demande davantage de fonds que prévu : la Daicon plonge les finances du groupe dans le rouge. Heureusement, l’exploitation du court-métrage offre la possibilité de renflouer les caisses en proposant à l’achat non seulement des copies VHS, mais également des bouts des bobines 8 mm utilisées, des extraits de storyboard ou tout autre produit commercialisable. L’intérêt pécuniaire des fans n’échappe pas à Okada, qui ne compte pas en rester là.

Ce qui ne devait être qu’une aventure ponctuelle rencontre un tel succès qu’il est impossible pour ces vingtenaires de ne pas s’emballer. Ils se projettent aussitôt dans une prochaine convention encore plus ambitieuse. D’ici là, Takeda raconte, dans sa biographie, la chute de moral qui suit un événement aussi intense. Clairement, il sait qu’il ne terminera jamais ses études. Il quitte l’université et se laisse vivre à la dérive, n’accordant d’importance qu’à la camaraderie et à la sciencefiction. Son ami Okada lui demande de l’aide pour son nouveau projet : ouvrir un magasin dédié à leur genre de prédilection à Osaka. Pour cela, il obtient un prêt de ses parents et fonde General Products, dont la boutique est inaugurée le 14 février 1982. On y trouve absolument tout ce qui peut faire le bonheur des fans, enchantés de cet endroit inédit dans la région. Comme tout lieu dévolu à une communauté précise, on ne vient pas sur place uniquement dans le but de dépenser son pécule, mais aussi afin de rencontrer d’autres amateurs et de passer des heures à discuter d’abscons détails, insipides aux yeux du grand public, et pourtant si importants ! Okada a le nez creux, car la situation économique du Japon ne va cesser de croître pendant la décennie.

De son côté, le trio d’Anno est contacté par des membres du Studio Nue de Tokyo. Ils ont été très impressionnés par leur talent et leur proposent de rejoindre l’équipe d’un futur anime culte, The Super Dimension Fortress Macross, en cours de production en collaboration avec le studio Artland ! Pour Anno, c’est une occasion providentielle de rencontrer l’une de ses idoles : Ichirô Itano. Cet animateur à peine plus âgé que lui (il est né en mars 1959) possède déjà une renommée dans le milieu grâce à son travail impressionnant sur Space Runaway Ideon. Il est le père du désormais célèbre « Itano Circus », un effet de mise en scène articulé autour de missiles aux parcours chorégraphiés – en opposition à un simple mouvement rectiligne ou elliptique – dans des combats aériens acrobatiques. Itano prend Anno sous son aile et lui enseigne le métier, la technique et la rigueur, et le laisse même parfois dormir chez lui. Lorsque ce n’est pas le cas, Anno passe ses nuits sur place, au bureau. Akai ne reste pas longtemps, dépassé (du moins selon les dires de Takeda) par les techniques trop avancées pour lui du character designer (Haruhiko Mikimoto) de la série. Yamaga étudie les storyboards des premiers épisodes et participe à l’élaboration de celui du générique. Pour certains spécialistes, Macross sera la première série d’animation japonaise faite consciemment par des fans pour des fans, un leitmotiv partagé par la Daicon et dans l’air du temps. Toutefois, fidèles à leurs premiers collaborateurs, Anno et Yamaga repartent début 1982 à Osaka pour aider à planifier la Daicon IV, à la grande déception de l’équipe de Macross.

Kaettekita Ultraman

Okada les attend de pied ferme, car il voit les choses en grand. La convention Daicon IV, prévue pour août 1983, sera plus grande et encore plus flamboyante que la Daicon III. Outre un nouveau générique animé, envisagé dans un premier temps comme un ambitieux court-métrage de quinze minutes, la création de quatre films live action9 est lancée sous le label indépendant de Daicon Film. L’objectif est de les terminer pour Tokon VIII10 en août, afin de promouvoir leur travail pour l’année suivante. Entre les membres des clubs et les clients de General Products, ils sont nombreux à vouloir participer en apportant leur aide. Daicon Film lance donc la production simultanée de trois projets – le quatrième, une version maison des Sentinelles de l’air, est proposé, mais finalement annulé. Les deux maîtres-mots sont l’hommage et la parodie. Okada, sur son idée originale, prend en charge Kaiketsu Nôtenki, un pastiche de Kaiketsu Zubat, une série de tokusatsu de 1977, créée par le prolifique Shôtarô Ishinomori. Akai s’occupe d’Aikoku Sentai Dainippon, qui, comme son nom l’indique, s’inspire des séries de sentai. Il reste une place pour Anno, qui n’hésite pas une seconde et suit sa ligne de conduite : adapter, encore une fois, la licence Ultraman. Ce projet, Kaettekita Ultraman (« le retour d’Ultraman ») signe son troisième essai après ses deux travaux d’étudiant.

L’expérience d’Anno sur Kaettekita Ultraman va s’avérer d’une importance capitale, bien qu’elle ne soit que rapidement évoquée dans sa biographie officielle sur le site de khara. Tout comme pour sa série Nadia plus tard, certains pans de la production restent encore aujourd’hui nébuleux, sans doute témoins silencieux de sérieuses tensions. Pourtant, dans son livre Anno Hideaki Parano de 1997 (un recueil d’entretiens), il se confie longuement sur la fin du tournage, clairement traumatique pour lui. En recoupant ses dires, ceux d’Okada à différentes occasions et les dates avancées par Takeda dans son propre ouvrage, il semble possible de tirer un peu plus au clair ce qu’il s’est probablement passé.

Les trois projets de Daicon Film sont, comme dit plus tôt, lancés en même temps au printemps 1982. À cette période, Takeda signale que Yamaga travaille (à nouveau) sur Macross. C’est sans doute à ce moment qu’il se voit confier une grande responsabilité : diriger et storyboarder l’entièreté de l’épisode 9 (qui sera diffusé le 9 décembre 1982). Pendant ce temps, Anno s’attelle au plus grand rêve de sa vie : la création de ce qui ressemblera à un véritable épisode d’Ultraman. En dehors de son parcours scolaire, c’est la première fois qu’il endosse le rôle de réalisateur, et il a tant à cœur de bien faire qu’il s’implique sans limites. Dans un making-of du tournage, qui a survécu aux années, Anno apparaît souriant, au comble du bonheur, incarnant Ultraman toujours sans masque. Néanmoins, l’équipe de Daicon Film découvre rapidement l’inconscience globale de l’ensemble des intervenants quant à la charge de travail requise pour mener de front un tel ouvrage. Des choix sont nécessaires et les deux autres métrages sont privilégiés. C’est pourquoi, en juillet, la production de Kaettekita Ultraman s’arrête momentanément et ne reprend qu’après la finalisation de Kaiketsu Nôtenki et d’Aikoku Sentai Dainippon, diffusés comme prévu à Tokon VIII en août 1982.

Or, cette pause a l’effet d’un contrecoup sur Anno. En septembre, l’énergie, stoppée en plein élan, a du mal à revenir. S’il n’a pas encore officiellement quitté l’université – il sera ensuite renvoyé, faute de paiements –, Anno ne pense plus depuis longtemps à ses cours et n’a plus vraiment de chez lui. Il vit d’abord chez un ami, puis s’installe chez les parents d’Akai, avec ce dernier, à Yonago, avant de revenir dans un appartement loué pour l’équipe de Daicon à Osaka. Pendant cette durée, il travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour parfaire son Kaettekita Ultraman. Des tensions commencent toutefois à se faire sentir pendant le tournage : Anno est dépassé par ses propres exigences et par le poids de la responsabilité. Lui qui était ravi d’éviter la place de leader sur Daicon III – le film d’animation qui ouvrait la convention du même nom – comprend que, cette fois-ci, tout repose sur ses décisions. C’est pour lui que tous ces jeunes étudiants se démènent, au détriment de leur parcours universitaire (souvent mis en pause), et cela sans être payés autrement que par le plaisir et la passion. Par conséquent, Anno redouble d’efforts pour terminer le tournage et commencer le travail de postproduction. À défaut de pouvoir les rémunérer, il désire – au minimum – leur offrir quelque chose de suffisamment intéressant, de « mentalement rentable » par rapport à leurs engagements.

Sur les rotules, il retourne tout de même voir ses parents quelques jours pour le traditionnel Nouvel An. Son père a depuis quitté le secteur de la couture et livre désormais des journaux à vélo, malgré sa situation de handicap. Une réintégration au monde extérieur tout à fait bénéfique et qui lui fait le plus grand bien. Sur place, à Ube, Anno se rend compte qu’il ne dispose pas du matériel requis pour continuer son travail de montage sur le film. Fatigué, il décide de s’accorder cinq jours de repos avec ses amis, avant de retourner à Osaka. Il pense à prévenir l’équipe de ces courtes vacances, mais finalement y renonce, car il ne veut pas imposer le prix d’un appel téléphonique à ses parents.

Il retrouve Okada et Takeda dans un café après cette pause. Ceux-ci n’apprécient pas ce qu’ils considèrent comme de la paresse de la part d’Anno. Peut-être pour le secouer, ou dans un excès de stress, ils le réprimandent et se fâchent contre lui. Parfois, la colère peut servir de catalyseur pour un esprit rebelle, qui prend l’adversité comme un défi. Mais en l’occurrence, Anno reçoit le message telle une immense vague de découragement. Peut-être n’est-il pas à la hauteur de ce défi. Peut-être qu’Okada et Takeda ont raison, qu’il n’est qu’un fainéant, comme lorsqu’il lui était reproché à l’école de ne pas s’intéresser à certains domaines. Okada et Takeda décident de lui retirer le projet et de confier la fin du montage à Akai. Prostré sur sa chaise, Anno subit. Même lorsque Takeda et Okada s’en vont, il reste assis, seul. Kaettekita Ultraman, l’équivalent de mois de travail acharné, vient de lui être pris, en un instant. Sous le choc, il passe plusieurs heures, immobile, dans le café. D’un œil extérieur, il est bien sûr délicat d’imaginer ce qui traverse la tête d’Anno, entre l’auto-apitoiement et la vexation. Quoi qu’il en soit, il finit par se dire qu’il n’a plus envie de faire partie de ce groupe. En janvier 1983, il repart pour Tokyo, selon toute vraisemblance pour retravailler sur Macross. Akai achève le montage en mars, alors qu’Anno garde le titre officiel de réalisateur pour la postérité. En découvrant le résultat final, il sera ému jusqu’aux larmes et remerciera chaleureusement son ami d’avoir fourni un travail meilleur que tout ce dont il pouvait rêver.

À ce récit émouvant, il est toutefois nécessaire d’adjoindre une autre version de faits : celle d’Okada. Si Anno est un homme de peu de mots (surtout dans sa jeunesse), Okada a toujours quelque chose à raconter. Selon lui, l’interruption de tournage de Kaettekita Ultraman semble due à l’absence d’Anno, reparti travailler sur Macross, tandis que selon ce dernier, il s’agissait de terminer en priorité Aikoku Sentai Dainippon. Okada nuance également l’apport d’Anno sur Kaettekita Ultraman, il n’aurait « que » créé les storyboards et incarné Ultraman. Akai serait le vrai réalisateur du film, celui qui aurait tenu la caméra, encouragé les acteurs, géré les effets spéciaux, etc. Les tensions de la seconde partie de la production résulteraient aussi de demandes irréalisables d’Anno, ayant imaginé des vols d’avion faciles à reproduire en animation, mais quasiment impossibles dans une logique de tokusatsu. Après ces fameuses vacances de Nouvel An, Akai aurait été furieux contre Anno, l’estimant peu investi. Toute l’équipe aurait alors demandé à Okada de renvoyer Anno de son poste de réalisateur et de confier la fin du montage à Akai. Un mois et demi plus tard, Kaettekita Ultraman était terminé.

Cet exemple illustre parfaitement le périlleux recul dont il faut essayer de faire preuve en relatant ce genre d’affirmations. Outre l’inéluctable « romantisation » du récit, il existe en vérité autant de versions des faits que de témoins. Dans Neon Genesis Evangelion, Shinji se définit selon toutes les projections de lui-même qui existent dans chacun des personnages. Ici, cette interprétation du passé se construit en tentant de relater, de manière synthétique, des bribes de souvenirs partagés par les intervenants principaux. De toutes ces petites traces se bâtit la grande histoire. En se fiant à Parano, Anno retourne donc à ce moment à Tokyo. Selon toute vraisemblance, il passe ensuite quatre mois intensifs chez Artland sur Macross avec Itano, dans la Mecha Squad, à travailler sur les épisodes 16 à 25 de la série, diffusés entre le 30 janvier et le 10 avril 1983.

Rencontres et Daicon IV

Après ces explications sur Kaettekita Ultraman, un petit retour en arrière concernant Yamaga en mai 1982 s’avère indispensable. Yamaga se voit donc chargé de l’épisode 9 de Macross. En manque de personnel et ne connaissant pas grand monde à Tokyo, il demande de l’aide à Akai. Celui-ci lui conseille de contacter un certain Mahiro Maeda, né à Yonago comme lui et qu’il connaît de l’école. Maeda rejoint les troupes avec le grand plaisir de gagner un peu de sous, et il ne vient pas seul. Il invite son ami Yoshiyuki Sadamoto, le futur character designer d’Evangelion !

Yoshiyuki Sadamoto est originaire de Tokuyama dans la préfecture de Yamaguchi, où il naît en 1962. Dès l’enfance, il découvre les mangas de Leiji Matsumoto (avec Yamato et Albator) ou Gô Nagai (avec Mazinger Z) et se dit qu’il aimerait bien devenir mangaka. Plus tard, de manière plus pragmatique, il envisage le métier de professeur d’art dans sa ville natale une fois son cursus scolaire terminé. D’ici là, il approfondit son talent pour la peinture à l’université privée Zokei de Tokyo, où il partage ses passions (notamment pour Ultraseven) avec Mahiro Maeda, un autre étudiant extrêmement doué, d’un an son cadet. Tous les deux sont membres du Club Manga de l’établissement et sont si excellents dans leur domaine qu’ils ont acquis la réputation de génies.

Ainsi, les deux jeunes hommes se retrouvent à travailler à temps partiel sur Macross. Quelques mois plus tard, Sadamoto, toujours en place, aperçoit un étrange personnage qui se parle à lui-même à haute voix, englouti dans son propre univers, et qui déambule dans les couloirs pieds nus. Il demande à Maeda s’il sait de qui il s’agit. Ce dernier lui répond que son nom est Hideaki Anno, le type qui a travaillé sur Daicon III et qui fait partie de la Mecha Squad d’Itano. Ils ne le savent pas encore, mais la vie va les lier pour de nombreuses années.

Retour en mars 1983 : Akai a terminé le montage de Kaettekita Ultraman et a rassuré Anno – selon ce dernier, du moins. Le temps efface les plaies, et Anno revient, fort de sa récente expérience, pour plancher sur Daicon IV. Il reste quelques mois avant août pour créer le nouveau générique d’ouverture. Encore une fois, l’équipe comprend qu’elle a eu les yeux plus gros que le ventre et réduit la durée de quinze minutes à cinq. La réalisation est confiée à Yamaga, tandis qu’Akai et Anno sont responsables de l’animation. Le petit noyau a grandi, et grâce aux contacts récemment acquis sur Macross, il bénéficie de l’arrivée de Sadamoto et Maeda, conviés pour l’occasion. Ils reçoivent même un coup de main d’Itano en personne !

Daicon IV est une suite bigger, louder, stronger de Daicon III. La fillette est devenue une bunny girl sexy et dont la poitrine rebondit. Comme son aîné, le court-métrage regorge de références à tout un pan de la pop culture de science-fiction, aussi bien japonaise qu’américaine. Anno continue de fournir des explosions comme à son habitude, avec une séquence de destruction massive extrêmement impressionnante. Daicon IV