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Cet ouvrage est un récit initiatique dans lequel Emma Meynier retrace son parcours de vie chaotique avant le diagnostic qui l’identifiera HPI – Haut Potentiel Intellectuel – puis Autiste sans déficience intellectuelle – TSA SDI –, encore récemment nommé Asperger.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Emma Meynier prend la plume pour mettre en lumière le cauchemar que vivent les femmes à Haut Potentiel et Asperger en France. Loin des clichés, elle attire l’attention sur les particularités de ces dernières que bien des professionnels, psychologues et médecins, ignorent.
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Seitenzahl: 285
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Emma Meynier
La solitude du bac à sable
© Lys Bleu Éditions – Emma Meynier
ISBN :979-10-377-9875-6
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Tout ouvrage devrait comporter un chapitre zéro. On estime que ce chiffre fut inventé par les Babyloniens. Au départ ce n’était d’ailleurs pas un chiffre mais un symbole mystique. Il marque l’absence mais aussi son indispensable fonction et présence dans le système numérique. Au fil du temps, il a muté, il s’est adapté.
De rien au départ, il est devenu pleinement présent. Chez les Grecs, il aurait été le symbole de la voûte céleste et puis chaque civilisation le réinventa à sa guise. Pas aussi ovoïdal, il contenait un arc en son sein chez les Mayas. Mon symbole ovoïdal sera l’Asperluette, zéro stylisé, visage anonyme né de rien, du chaos. Révolutionnera-t-il le fatum, le poids de la tragique destinée des petites filles et des femmes ayant un trouble autistique sans déficience intellectuelle, que personne ne perçoit en son indicible et transparente différence, un TSA/SDI pour les boulimiques d’acronymes ?
Selon l’hagiographe Hésiode, dans sa célèbre Théogonie, au départ était Chaos, le vide fécond d’où naquirent Gaïa, la Terre Mère, matrice féconde et Ouranos, le ciel, son époux. Ces deux entités s’unirent et de cette prolifique fusion naquirent tour à tour d’autres dieux et déesses jusqu’à ce que Gaïa décide de demander à l’un de ses enfants, Cronos, de castrer son époux avec la faucille d’airain puisé de ses profondes entrailles. En son sein même, notre Terre Mère possède le pouvoir de donner la vie et celui de la reprendre, depuis la nuit des temps. Matrice féconde et généreuse, Gaïa donne et reprend au gré de ses caprices et l’Homme, bien avant sa réalité incarnée lui appartenait et lui appartient, aussi fragile qu’un fétu de paille. L’Homme à l’orgueil démesuré qui croit tout savoir, tout connaître et tout maîtriser d’elle, y compris son destin.
Rien ne naît dans l’harmonie en parfaite symbiose, en un accord parfait. Pour grandir et s’émanciper, il faut tuer le père ou la mère, s’en affranchir pour finir de grandir, mieux partir et régner à son tour en maître de sa vie jusqu’à ce que la roue tourne, inéluctablement. Tel est le destin de tout un chacun.
Je tiens à mettre en garde de potentiels lecteurs quant au style quelque peu schizophrénique, voire déstabilisant de ce qui va suivre au fil des pages. De nombreux spécialistes ont confondu les femmes TSA avec des malades mentales, à tort, et le font toujours, hélas.
Il réside en chacun de nous un chaos intérieur, une profonde dichotomie, un schisme, entre ce qui se pense et ce qui se dit, entre ce qui se fait ou bien ne se fait pas. Nous sommes tous contraints, contenus parfois de manière castratrice par les conventions sociales et des normes tolérées au gré des temps, des époques et des peuples. À mon sens, la personne autiste peut jouir de cette parfaite liberté d’être vraie, pure, affranchie de l’hypocrisie de ceux qui en usent et la manient comme une arme de destruction massive : celle de l’homogénéisation du mieux taire le beau, le vrai, le bon pour faire régner les supercheries en tout genre. Faire taire le silence pour que l’on subisse le verbiage stérile teinté de polémiques cacophonies chaque jour. Le mutique silence de la personne autiste qui contemple un monde qui lui est étranger pour vivre dans son univers riche, libre des entraves d’une société dans laquelle l’Homme est devenu un esclave… si vous saviez comme ce monde intérieur est riche et vaste.
Il faut se méfier des apparences, dit-on. Vous allez entendre ma voix intérieure, polyphonique, foisonnante, tour à tour triste, drôle, irrévérencieuse, provocante, voire discordante, pathétique, celle qui ne s’est jamais fait entendre. Elle n’a qu’une envie, qu’une obsession qui la hante à chaque inspiration, chaque souffle de son être de chair et de sang : l’envie de crier justice et rédemption pour ces petites filles et femmes ignorées que forment les transparentes Asperluettes.
Voici l’histoire de ma vie, édulcorée, pour ne pas choquer les âmes bien pensantes, confortablement installées, vautrées dans leur sofa sociétal, pétries de convictions et de certitudes, pour que plus jamais une femme autiste soit ignorée, passée sous silence.
Je crie ma colère au fil de ces pages, vécues au fil du temps de l’élucidation de mon syndrome d’Asperger que nul ne pouvait soupçonner jusqu’à ce qu’advienne un accident de la vie. Ce livre est un non-genre, un non-journal intime, non classable, à l’image des Asperluettes, libres en somme de revendiquer qui elles sont, réclamant le droit de vivre pleinement leur différence invisible sans faux self, sans compromissions épuisantes au prix de leur santé physique, morale et psychologique, ployant sous le joug de l’ignorance de leur mode de fonctionnement.
Toi, 119, numéro maudit et toute ta clique de chiennes stupides, ignorantes, incompétentes et cruelles aux abois d’une chasse à courre, vous ne me rattraperez jamais. Je survivrai une fois de plus, ce n’est qu’une épreuve de plus. Résiliente, je fus, résiliente, je resterai jusqu’à mon dernier souffle.
Enfant non désirée, accident de la vie, erreur de la nature, méchant électron libre, vulgaire morpion qui s’est accroché comme elle a pu aux parties sales de son existence agrippée promptement, tant bien que mal, à bout de souffle, épuisée, pour survivre aux harcèlements systématiques, aux violences, aux incompréhensions en cascades, la peur aux tripes, la tête en effervescence et le cœur broyé, réduit en poussières grises éparpillées aux quatre vents une fois ses filles placées en Foyer par la Protection de l’Enfance, sans aucun discernement de qui était cette simple femme. Oui, Femme ordinaire, banale, aux fonctionnements neurobiologiques différents, toujours maltraitée depuis sa plus tendre enfance, jusqu’à récemment par des institutions barbares, grotesques, censées protéger ses citoyens. Aux armes citoyennes intelligentes, hypersensibles, incomprises, harcelées, maltraitées, petites victimes du bac à sable, parlez, levez-vous, brandissez votre différence pour que plus jamais, on ne vous viole, on ne vous humilie, on ne vous respecte dans ce qui fait votre différence mais avant tout, votre richesse et votre force. Femmes HPI, autistes, redressez la tête fièrement, ne vous cachez plus, afin que plus personne, en France, ou ailleurs, ne vous accuse sur fond de diagnostic hasardeux, cromagnosnesque, datant de deux siècles de forfanterie ! Que la bêtise et l’ignorance cessent enfin, que la liberté soit et elle sera, pour peu que l’on ose dire l’indicible : la honte de nos institutions et les injustices qu’elles drainent dans tellement de domaines, sa prétendue « justice » en tête de cortège.
Tu fais ch⁂ ! Eve. Tu m’as toujours fait me poser des tonnes de questions sur mon genre, le sexe, le relationnel homme/femme, l’Église, la Chute des Anges et compagnie ; tu as fait couler tellement d’encre sur l’égalité entre les Hommes et les Femmes… on t’a mise au pilori ou encensée au gré des époques et des courants et au départ, je ne pensais même pas que je commencerais cette lourde tâche que je ne mènerai certainement pas à terme par toi. Tu me fais vraiment ch⁂ ! Pourtant, je n’emploie que très rarement de grossièretés, mais là tu fais office de chèvre émissaire (le bouc ce sera pour Adam) de ma misérable condition de femme sur la voie de la reconnaissance du syndrome d’Asperger. Et ouais, je ne suis pas encore l’Élue de l’année, loin de là et j’ai pas vraiment demandé à faire partie du troupeau des Aspergirls, quoique, en fait j’ai une trouille du diable de m’en voir refuser l’accès parce que là, je serais vraiment dans la mouise parce que je me cherche depuis tant d’années… la juive errante en pas juive, chassée du Jardin d’Eden à coups de pompe dans le derche, tombée sur terre, Martienne, qui vient de découvrir que la Terre n’est pas sa planète et que je ne viens pas non plus de Vénus, non, non, de Mars, la planète des guerrières, si, si, comme les mecs… j’ai pas lu le livre, juste le titre. Comment on a pu mettre les hommes et les femmes dans un panier différent ? La séductrice d’un côté, le coq en rut de l’autre, je caricature. Tiens, parlons-en du COQ Gaulois… comment une nation comme la nôtre a-t-elle pu se vanter de cet emblème ? Les ergots sur un tas de fumier, fier de réveiller la gente populace insomniaque à 3 h 15 du matin, je dis bien 3 h 15 et que je donne de la voix tous les quarts d’heure ? J’ai rêvé de coq au vin toutes les nuits à cause du coq des voisins, ce qui m’a donné l’occasion de réfléchir à la sombre bêtise franchouillarde de ceux qui ornaient leurs vestes et drapeaux sportifs de ce fameux coq, qui veille fièrement sur ses cocottes soumises et béates d’admiration pour leur boss de la basse-cour, plumes étincelantes, crête au vent, prêt à en découdre avec le coquelet jeunot entre deux cocottes au croupion alléchant. L’emblème du pays des Droits de l’Homme, Liberté, Égalité, Fraternité ? Mais je m’égare… normal, j’ai un cerveau Sapin de Noël qui danse un mélange de Carmagnole et de gigue écossaise au son de la cornemuse en contemplant tout ce qui bouge… Sapin de Noël car en bonne HPI, j’ai une intelligence en arborescence qui pense plus vite que pas mal de monde tout en étant persuadée que je suis d’une bêtise navrante. Mon Beau Sapin, roi des forêts, pas vraiment… j’aime pas ton ramage, j’aime pas ton plumage, zut, ça c’est Le Corbeau et le Renard, la faute au coq, comprenne qui pourra… moi je me suis. Serais-je la seule ? Pourvu qu’on m’ouvre la porte.
« Ouvre-moi la porte, toi qui as la clé, de la grande écoleuuu du monnndeuu… »
Enrico ! Si du savais comme je t’ai supplié quand j’étais gamine de me la filer cette clé, parce que je n’y comprenais rien, moi, à ce monde, et que toi, tu chantais, l’air rassurant, auprès d’une mioche de mon âge en lui expliquant que tu allais lui faciliter la tâche et que les adultes, c’était leur job de faire en sorte que les gosses soient rassurés. Enrico, tu avais l’air tellement gentil, je ne comprenais pas pourquoi mon père t’appelait « Machiasse », tout comme j’ai longtemps cru que la marque des tranches de jambon ruisselantes d’eau (grand mystère, elles avaient pleuré elles aussi ?) Fleuris Nichons ? Des seins portant des colliers de fleurs comme les Tahitiennes, que c’était beau… mais pourquoi les tranches de jambon pleuraient-elles et où étaient les Tahitiennes sur les paquets ? J’ai poussé ma logique jusqu’à être persuadée qu’il y avait eu des fautes d’orthographe sur les paquets quand j’en ai appris les bases car c’était un M au lieu d’un N… Michon ? C’est qui ? Où sont les Tahitiennes ?
Oh mais mon Brave Monsieur, des anecdotes comme celles-ci, je pourrais en faire des encyclopédies, raisonnements mathématico-linguistico-philosophique à la Emma sans rien lâcher, des semaines entières, à l’appui des bribes que je pouvais collectionner du monde que j’appréhendais sans aucune explication qui me satisfasse vraiment, doute méthodique teinté d’une naïveté chevillée au corps par manque de confiance en elle-même et d’une volonté sans faille de faire plaisir pour mieux m’intégrer à ce vaste monde. Je ne comprenais pas le monde, tout comme je ne le comprends toujours pas maintenant, à plus que cinquante ans. Suis-je autiste ?
Comme nous sommes, chers non-lecteurs, qui n’existerez sans doute jamais (mais là encore, j’exécute une demande, j’y reviendrai, patience), nous ne sommes, dis-je, qu’à la genèse laborieuse du récit de ma vie « merdique » et j’emploierai souvent ce mot et ferai souvent référence à notre vie intestinale humaine, bien bestiale, commune à tous, à laquelle nous sommes soumis quoiqu’il arrive, peu importent le pouvoir, la gloire, l’honneur, notre place dans la société. Tout le monde a des intestins et va aux toilettes et ces maux sont connus de nous tous. C’est la plus efficace des métaphores et des métonymies qui soit. Reprenons, je suis dans l’attente du verdict qui prendra encore des mois, pour savoir si je suis AS PI GIRL… en quoi ça pourrait vous concerner ? Eh bien la faute de Hans Asperger, à ses cobayes hommes et au DSM V, putain de Bible Merdique qui a oublié Eve. Et j’ai décrété que Dieu était une femme noire et juive. Basta. On va enfin en finir avec les guerres de religion une bonne fois pour toutes !
Sans oublier le COQ gaulois sur son tas de fumier. CQFD. La boucle est bouclée. Certes, je vous accorde que ma démonstration soit quelque peu alambiquée, mais tous les responsables de mon histoire de merde sont présents dans ce premier chapitre… ou presque.
Il manque encore les Institutions et les Services Sociaux, la « Protection de l’Enfance »… « Ouvre-moi la porte, toi qui as la clé… ».
Au tour de mes filles d’être les victimes de ce monde qui marche à côté de ses pompes, moi qui aurais tellement voulu qu’elles soient protégées et qu’elles ne passent jamais par les chemins tortueux de leur zèbre de mère. Honte à toi France et à ton Coq… Liberté, Égalité, Fraternité… il serait temps que les choses changent enfin. Maman n’a pas su vous protéger, j’assumerai ma responsabilité jusqu’au bout mes filles. Je suis indigne de votre pardon.
Suis-je autiste ?
Laissez-moi me « presque présenter ». Je ne mérite pas un vrai nom d’auteure, je ne suis pas auteure. Je ne suis personne, une Nema, Nemo étant déjà occupé ailleurs. Une inconnue. J’ai un job simple, que j’adore, j’ai passé la cinquantaine, une vie insignifiante. J’avais un mari, une famille « idyllique », des enfants bien élevées, gentilles, ouvertes sur le monde, drôles, et pourtant, un jour, tout a basculé dans le cauchemar. Je reste seule dans ma maison, avec mes animaux, à remonter la pente et à balayer les miettes de ma vie en essayant de trouver des réponses et en me battant contre un système bien plus fort que moi. On m’a demandé d’écrire mon histoire pour éviter qu’elle ne se reproduise car hélas, il semblerait que je ne sois pas seule à avoir traversé cet enfer. J’ai trouvé intéressant de commencer à la rédiger pendant mes vacances, utiliser enfin mes dons et commencer à y croire, puisqu’on me l’a dit, il serait temps que je prenne confiance en moi… « Écrivez pour que l’on sache ce que vivent des femmes autistes à qui on prend leurs enfants car vous n’êtes pas la seule à qui cela est arrivé et encore aujourd’hui, plusieurs femmes sont dans votre cas. Nous ne savons plus comment remédier à ce problème en ce moment au CRA (Centre de Recherche Autistique), les psychologues chargés des enquêtes de l’UEMO ignorent totalement ce qu’est le syndrome autistique et les femmes qui le portent voient leurs enfants placés par manque de connaissance du trouble ».
Les Services Sociaux de la Protection de l’Enfance m’ont pris mes filles adolescentes, sans que j’y comprenne quoi que ce soit, accusée du jour au lendemain d’être une mère maltraitante physiquement et psychologiquement. Mes filles ont été placées en Foyer d’Urgence (ASE) où l’on ne « trie » pas les enfants maltraités et ados maltraitants. Je dis bien du jour aulendemain, une juge a considéré, qu’au vu des rapports établis en un jour par des travailleuses sociales, et des psychologues freudiennes et non formées aux neurosciences et sciences comportementales, restées à l’âge de pierre du freudisme, ces psychologues de l’UEMO (ah, les sigles !), mes filles ont dû être protégées, selon elles, par l’État, de la maltraitance de leur mère et du laisser-faire de leur père, « complice ». Je crois avoir touché le fond de l’incompréhension de ce monde à ce moment-là de ma misérable existence de monstre, moi la Martienne, quand on m’a enlevé la chair de ma chair avec interdiction de les voir seules à seules jusqu’à leur majorité, qui à l’heure où j’écris, aura lieu dans 9 mois, le temps d’une grossesse. Les ai-je battues ? Non. Les ai-je mal nourries, mal éduquées, mal habillées, privées de quoi que ce soit ? Non. Et là, si une jeune juge zélée et un système vous affirment le contraire, des éducatrices spécialisées vous demandent « d’avouer », de « reconnaître les faits » pour entamer un travail de réparation et un travail sur la « bonne parentalité » (j’ai découvert plein de nouveaux mots dans cette jungle), vous commencez par vous dire qu’il y a bien un truc qui cloche et que vous avez fait vraiment un truc de travers super grave, pour qu’un policier, au tribunal, débarque et vous prenne vos enfants pour les emmener loin de vous dans un endroit tenu secret, mais quoi au juste ?
N’attendez pas d’aide de vos parents, amis et de vos filles parce que là, vous êtes le lapin de garenne au beau milieu d’une lande le jour de l’ouverture de la chasse… basses les oreilles et rapides les slaloms entre les balles, il en va de votre peau. Vous vous retrouvez seule contre un système aux rouages qui grincent mais qui ne reconnaîtra jamais qu’il y a des grains de sable de leurs engrenages mal huilés, rouillés et que tout le monde n’est pas à mettre dans le même sac. Une juge a tous les pouvoirs : on baisse la tête, on courbe l’échine, on remercie, poliment, à la sortie de l’audience, on se tait, ou bien c’est l’outrage à Magistrat, et surtout, surtout, on ne réplique pas.
Mais ce n’est pas mon genre. JAMAIS je ne courberai l’échine devant un système qui broie, qui plie, qui humilie et certainement pas dans mon pays : Liberté, Égalité, Fraternité. Je suis Citoyenne du Monde aussi, un monde qui va bien faire enfin une place aux femmes Asperger, non ? Pour le moment, j’ignore si je le suis et à ce moment-là, je ne savais même pas que je pouvais suspecter de l’être…
Hier matin, mon compagnon est venu me déterrer de sous mon oreiller, roulée en boule, souffrant le martyre au milieu d’une tempête émotionnelle aux allures d’un radeau dans les quarantièmes rugissants, cinquantièmes hurlants et soixantièmes déferlants de désespoir et il m’a raconté cette histoire…
« Il était une fois un simple ouvrier qui travaillait dans une usine occupée par les Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il était très zélé, faisait tout ce qu’on lui demandait, faisait des heures supplémentaires pour satisfaire l’Occupant. Il arrivait le premier, partait toujours le dernier. Il était haï et conspué par les “Bons Français” qui lui crachaient au visage. Lui continuait consciencieusement sa tâche sans faillir. Or, à la fin de la guerre, on apprit qu’il faisait partie de la Résistance et qu’il avait fourni des pièces de cette même usine à tous les résistants et avait contribué à la victoire des Alliés, sans rien dire, en subissant tous les outrages et les maltraitances.
« Fais attention, patiente, sois prudente, il ne faut pas que tes filles subissent davantage que ce qu’elles endurent », a-t-il ajouté en essuyant mes larmes et en me demandant pardon de ne pas toujours être à la hauteur. À la hauteur de quoi donc ? Cet homme est le dernier à me soutenir et à avoir cru en mon innocence sans même me connaître dès le départ de notre relation.
Ils ont mené une enquête à la Inspecteur Gadget… je ne me suiciderai pas parce que j’ai mes animaux qui ont besoin de moi et que personne ne prendrait soin d’Ernest, mon vieux chat famélique recueilli le mois dernier et de Jelly, abandonnée à la SPA. Pourtant, tout est prêt et j’ai soigneusement réfléchi au mode opératoire mais je ne lâcherai pas, moi, le Monstre, l’Accident de la vie, non prévue au programme, qui n’a eu de cesse de nager ou de courir à contre-courant.
Quand le moment sera venu, je déciderai quand partir mais pas dans le désespoir.
Mais suis-je autiste ?
Au moment de commencer ce troisième chapitre, je contemple et fais défiler entre mes doigts mon bracelet en pierres d’œil de faucon, que je ne vais pas tarder à perdre, comme bien d’autres. Je l’ai acheté en éclatant d’un rire sonore… Nathanaël, Le Dernier des Mohicans, œil de faucon… un résistant, un bracelet qui me porterait chance pour commencer ce livre à non paraître. « Seul compte le chemin parcouru, petit scarabée » ! Viser juste et avancer. Cours Forrest, cours ! Born to run… Et cette chanson de Soprano, Forrest qui me fait pleurer dès que je l’écoute car c’est l’histoire de ma vie :
Forrest, cours, cours, Forrest, Forrest, cours
Je raisonne pas trop comme les autres
J’ai des rêves pas trop dans les normes Est-ce ma faute si je fais les choses
Quand mon cœur m’en donne l’ordre ?
J’en ai souffert sur les bancs de l’école
De cette différence
Les murmures que porte mon dos
Ont parfois fait saigner mon cœur
Mais je sais que c’est un cadeau
De ne pas faire partie des suiveurs
J’en ai souffert sur les bancs de l’école
De cette puissance
Car je cours
À contre-courant
Vers ce qui me maintient en vie
Cette liberté d’être qui je suis
Oui, je cours
À contre-courant
Même si le monde ne me comprend pas
Ça n’a pas de prix d’être soi
J’ai toujours cru en ma bonne étoile
Donc j’ai couru en fermant les yeux
J’ai déplacé des tas de montagnes
Avec la force de mes vœux
Aujourd’hui je connais ma différence
Et c’est une chance
Car je cours
À contre-courant
Vers ce qui me maintient en vie
Cette liberté d’être qui je suis
Oui je cours à contre-courant
Même si le monde ne me comprend pas
Ça n’a pas de prix d’être soi.
Forrest, cours, cours, Forrest.
Soprano, Chasseurs d’étoiles
Cette chanson est magnifique et pourrait devenir l’hymne de tous les différents de la terre, de ceux qui ne raisonnent pas comme les neurotypiques, au même rythme, plus vite ou plus lentement, ou différemment. Pourquoi enfermer tout un chacun dans des boîtes hermétiques qui ne laissent passer ni la lumière ni l’air frais ? A-t-on peur de pourrir prématurément ? Nous sommes tous des yaourts avec une date de péremption, la vieillesse, et voués à la non-consommation, la mort ? Alors, autant vivre à l’air libre, selon nos arômes non chimiques et nos parfums subtils au lait cru, sans additifs chimiques, nom d’un p’tit camembert AOP.
Ce sont bien sûr les bancs de l’école que l’on commence à comprendre que l’on ne rentrera jamais dans des petites boîtes préfabriquées en usine sur des chaînes automatisées à haut rendement où l’humain n’intervient plus, juste pour contrôler au hasard de la chaîne, la qualité dudit produit standardisé. Le yaourt défectueux a vite fait de dégager ou bien il risquerait d’affecter toute la production !
L’autiste risquerait-il d’affecter toutes les productions ? Il semblerait bien que oui car trop de finesse et d’intelligence ne font pas bon ménage avec la production de masse où il ne faut surtout pas sortir de la chaîne standardisée de production. Le monde est prêt pour le métavers. Nos jeunesses sont archi prêtes pour vivre par procuration dans un univers parallèle qui fait froid dans le dos. L’autiste est tout sauf une personne qui n’aime qu’elle-même. Rain Man a fait beaucoup de mal aux personnes atteintes de TSA et les femmes en premier. Le Spectre autistique… rien que le mot me fait grimper dans mon sapin de Noël… spectre, spectral, un mélange de fantômes, de revenants, une perspective menaçante et des stroboscopes qui créent des effets de lumières hypnotiques insupportables, des troubles neurobiologiques, nous y voilà… mais non, c’est tellement « vaste », en éventail, voilà pourquoi on parle de « spectre » m’a-t-on expliqué en plaçant les deux mains de V quand ma Psy n° 4, que je surnommerai Wonder Psy a vu mon air dubitatif en entendant ce mot que je connaissais pourtant bien, puisque je suis « enseignante spécialisée » et ai fait des stages avec des personnes autistes sévères en IME, comble de l’ironie de cette farceuse de vie. Dans cette histoire, le spectre fantôme s’est bien caché mais la perspective menaçante est bien là. Cela me fait songer (attention ça sent la résine) au roman de Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes, le roman de l’attente. Il ne se passe strictement rien… juste une menace qui plane, avec un mélange de La Modification de BUTOR, où au contraire, le type qui voyage dans le train voit sa vie transformée et où tout passe et défile. Je vis La Modification des Syrtes.
Descends de ton arbre, revenons à nos moutons, mais pas ceux de Panurge. Je les ai toujours haïs ces moutons, qui ne pensent pas et qui suivent alors qu’il y a tant de choses à observer ! Si les tests ne confirment pas mon TSA, au moins je resterai zèbre, ce n’est pas si mal, je pense, de travers et appelez-moi Madame TROP qui explique trop, qui parle trop vite, qui pense trop vite, qui rit trop fort, qui vit intensément trop fort, qui exagère trop, qui en fait de trop en tout.
Allez, au « trop » et moins vite que cela, hue la carne, et avec les œillères stp, on ne regarde surtout pas partout ! Tête baissée sans réfléchir, on obéit !
Mais non, Madame TROP, vous n’êtes pas un monstre, ôtez-vous cela de la tête ! dixit Psy n° 4 et Wonder Psy.
La normalité n’est ni une fin en soi ni un but à atteindre. Et d’abord, penchons-nous un peu sur le terme de normalité… c’est précisément ce mot, un parmi tant d’autres, que je répétais en boucle dans ma tête pour les déstructurer, jouer avec eux, tels des compagnons fidèles de jeux, leurs sonorités, leurs couleurs qu’ils m’offraient à l’infini, les éclats de rires sonores non contenus, qu’ils me donnaient, comme des cadeaux ou des cailloux blancs du Petit Poucet perdu dans ma forêt de l’incompréhension de mon entourage, ou dans ce conte que j’écoutais en boucle sur le vieux vinyle de mon enfance. Je me souviens encore de la chanson et de la voix de Jacques Fabry : Où es-tu passé Petit Poucet, on te cherche, on te cherche, où es-tu passé Petit Poucet, on te cherche, on te cherche, sans savoir, sans savoir, savoir où tu es… Sa-sa-savoir où tu es, es. (répétait le dernier de ses frères bègue)
— Me voilààààààà !
— Vous pouvez commencer l’histoire.(Poucet au narrateur)
Ce qui me rassurait car s’il parlait et qu’il donnait l’autorisation au narrateur de raconter une histoire passée, c’est qu’elle avait eu lieu, donc que je ne risquais rien, et que je pouvais l’écouter sans avoir peur, même si je l’avais déjà écoutée, ce passage me rassurait tout le temps. C’était un rituel bienveillant, un panneau de signalisation dans ma propre forêt à moi, qui me donnait l’autorisation de pouvoir écouter la suite sans cette peur qui m’accompagnait toujours.
J’étais le Petit Poucet qui devait toujours avoir une poignée de cailloux blancs dans ses poches, le couteau de survie en milieu hostile, un monde que je devais affronter seule, sans aucune explication de quiconque.
Aujourd’hui encore je marche les yeux à terre, avec une fascination, une fixette sur les chaussures des gens. Normal me suis-je dit bien des fois, c’est ce que j’aperçois en premier du monde qui m’entoure, puisque je regarde par terre. Je ne fixe personne dans les yeux de manière naturelle. En général, je m’arrête aux détails des lunettes, des bijoux, d’une mèche de cheveux, d’un détail du visage comme une ride, un poil, une tâche et je le scrute. Ce détail absorbe mon regard, il le vampirise. Les gens croient que je les regarde dans les yeux, mais tout n’est que leurre. J’ai appris à moduler mes regards en fonction des situations. On m’a dit que j’avais les yeux bleus. Je dis bien « on m’a dit » parce que je n’ai aucune image de moi. C’est comme si je me regardais dans un miroir sans teint. J’ai tenté un nombre incalculable de fois de capter la vraie couleur de mes yeux et je demande encore régulièrement à mon compagnon de me montrer une femme qui a la même couleur d’yeux que moi. J’interprète une image de moi que l’on me donne. Je me suis surprise, observée, ces derniers temps, à toujours demander des explications aux rares personnes qui m’entourent ou à me débrouiller pour obtenir une explication détournée, l’air de rien. Tout n’est que « calcul » et « probabilités » de bien faire/mal faire/réussir/échouer dans mon relationnel à autrui. J’ai tout appris par moi-même en utilisant ma grande capacité à observer les détails, à les synthétiser, ces détails que je pensais que tout un chacun pouvait voir, jusqu’à présent en tous cas. C’est intéressant, dans cette période de latence, d’entre-deux, que je sorte de moi-même pour la première fois et que je m’observe avec des yeux scrutateurs comme j’ai observé le monde pour le comprendre. Je me dédouble et m’analyse en parfaite inconnue qui se découvre objet, cobaye, Terra Incognita. Mais en même temps, je me connais bien quelque part, je taquine mon goujon intérieur, que je suis devenue.
Arrêt sur image mentale stooop :
Encore une expression qui m’a posé bien des heures de réflexion : « taquiner legoujon »… c’est parti. Pourquoi un pêcheur de notre entourage, dans mon enfance peuplée de mystères, fier de lui comme Artaban s’était vanté a posteriori un jour, devant une assiette de ces minuscules poissons frits par ma mère, de s’être levé de bon matin, d’avoir été « taquiner le goujon » ? Je ne me souviens de lui que son t-shirt sale, tendu sur un bide énorme et je me demandais comment il pouvait faire pipi en tenant son sexe, comme j’avais vu faire papa et mon frère. Mystère.
Sale type, tu as vu de quoi ils avaient l’air tes bébés poissons ? Comment peut-on employer ce mot ? Quand on taquine quelqu’un, c’est gentil ou méchant ? Les chatouilles de mon frère que je ne sentais pas, c’est taquin ? Les blagues pas drôles qui ne font rire moi mais pas les autres, c’est taquin ? « Je suis taquin, pas méchant », ça veut dire quoi quand la personne insiste et que tu ne comprends pas ce qu’il veut dire mi-lard mi-cochon mais qu’il ne faut pas demander d’explication parce qu’une bonne blague, ça ne s’explique pas ?
Ces bébés poissons, au passage, ils sont adultes ou pas ? Ils ont eu le temps de grandir, de vieillir, de vivre leur vie poisson avant que tu te lèves à une heure indécente où tout le monde dort normalement et que tu te réjouisses de nous rapporter ce truc infâme de petits poissons rachitiques, inoffensifs, qui ont agonisé hors de leur milieu naturel, frétillants, heureux, comme moi je l’étais dans l’eau, avant que tu ne les pêches, je ne sais comment (c’est méchant les hameçons), ils sont si petits, si fragiles, supplice n° 1 (tout porte un chiffre, faudra vous y habituer)… Puis que ma mère ne m’explique méticuleusement comment les cuisiner en les roulant dans de la farine qui colle, un poisson qui glisse voluptueusement dans l’eau douce recouvert de farine qui colle, supplice n° 2, et puis, truc horrible pour moi, odeur, bruit, la friture ! Friture de laquelle on ne devait pas s’approcher tellement elle était dangereuse, qu’elle puait, qu’elle éclaboussait sans crier gare en me faisant sursauter, qu’elle tombait des châteaux forts sur la tête des gens (peu probable ai-je appris récemment, l’huile coûtait cher, mais je ne le savais pas à l’époque, elle tombait des meurtrières, rien que le mot, lui encore foutait la trouille et de plus il sentait mauvais ce mot). Et comble du supplice, les minuscules poissons se recroquevillaient de douleur (supplice n° 3) pensais-je, et perdaient leurs beaux yeux bleus dans l’huile tellement ils avaient souffert, supplice n° 4 ! La satisfaction des convives qui se régalaient et les explications des adultes sur le citron et sur le fait qu’il fallait TOUT manger, tête comprise, yeux vitreux (ils n’en avaient plus de toute manière) atteignaient le comble du supplice pour moi. Bien fait, je n’avais pas à appartenir au peuple des Humains. Je n’ai toujours pas de friteuse chez moi, je ne fais que des frites au four. RIP petits poissons.
Et le citron ? Quel adulte a été assez cruel pour me détailler par le menu détail comment déguster une huître et vérifier que la pauvre créature se recroqueville bien sous la goutte du citron et est ainsi bien vivanteet fraîche ? Et ta connerie, elle est fraîche ? Un jour ma mère qui adorait les huîtres a failli y passer une nuit, une rebelle moins fraîche que les autres avait vengé ses congénères. Elle a développé un anticorps et n’a jamais pu en manger une seule. Merci l’Univers.