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La stimulation basale s'inscrit dans le courant existentiel et humaniste. Cette approche invite à prendre soin des personnes vivant un handicap sévère, de leurs parents et des professionnels qui les accompagnent au quotidien. Les auteurs présentent les aspects théoriques et pratiques de la stimulation basale en lien avec le Prendre soin et leurs expériences respectives de formateurs et de praticiens. Thierry Rofidal résume l'histoire du soin et des soignants et met en exergue le rôle des femmes dans le prendre soin. Andreas Fröhlich, Professeur de pédagogie spécialisée et auteur de la stimulation basale, nous livre ses ressentis et ses convictions sur l'histoire, l'évolution et la compréhension de son concept. Concetta Pagano présente le prendre soin à travers une réflexion nommée "espaces de rencontre". Des témoignages de professionnels et de Marielle Lachenal, parent, illustrent comment le prendre soin donne du sens à l'accompagnement.
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Seitenzahl: 338
Veröffentlichungsjahr: 2025
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DES MÊMES AUTEURS
Projet Individuel et stimulation basale
Editions Erès, 2018
La Simulation basale,
à l’écoute des personnes en situation de handicap sévère
Concetta PAGANO, Editions Erès, 2020
L’alimentation de la personne polyhandicapée,
Goûter le plaisir et découvrir le monde
Thierry ROFIDAL, Editions Erès, 2022
www.stimulationbasale.fr
Préface de Andreas Fröhlich
Introduction
I. Histoire du soin et des soignants
1. L’Antiquité, de Babylone à Alexandrie
2. Le Moyen Âge chrétien
3. Naissance des Universités
4. La Renaissance et l’essor de l’Humanisme
5. La philosophie des Lumières
6. La révolution scientifique
7. Où est le malade dans tout cela ?
8. La place des femmes dans le soin et la société
9. Des soins palliatifs à l’éthique du care
II. Le Prendre soin auprès de la personne en situation de handicap sévère
1. La Stimulation Basale : une approche humaniste par Andreas Fröhlich
2. Une rencontre « discrète » à cultiver
3. Ajuster sa posture
4. À la recherche du temps perdu
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Activités ou temps du quotidien ?
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Des petites choses du quotidien à la moindre des choses
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Avoir plus de temps ou savoir prendre son temps ?
5. Approche systémique et approche basale
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Observer, ça s’apprend
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Agrandir notre focale
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Perception et carte du monde
6. Des troubles du comportement aux comportements troublants
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Le polyhandicap, quelques notions importantes
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Des troubles du comportement
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aux comportements troublants
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Lorsque le comportement troublant est langage
III. Les espaces de rencontre,prendre soin de soi pour prendre soin des autres
1. Rencontre et réciprocité
2. La délicatesse des mains et des mots..........
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Une ode à la douceur et à la délicatesse
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La délicatesse est l’intelligence des mains
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La délicatesse est l’intelligence des mots
3. La proxémie, une juste distance en Centimètres
4. La proxémie basale, une juste proximité en Sentimètres
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De la proxémie à la proxémie basale
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L’espace informel : un langage silencieux
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La proxémie basale, une juste proximité dans la rencontre
5. Les espaces de rencontre : des espaces pour prendre soin de soi et de l’autre....
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La relation n’est jamais neutre
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Juste proximité plutôt que juste distance
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Les espaces de rencontre, trouver et développer son propre rythme
IV. Prendre soin de ceux qui prennent soin des autres
1. Quelle pratique médicale auprès d’une personne en situation de polyhandicap ?
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La relation entre le médecin et la personne polyhandicapée
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Handicaps primaire et secondaire
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La « clinique de l’extrême »
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L’adaptation de l’examen clinique grâce à la stimulation basale
2. Quelle pratique pédagogique auprès de l’enfant en situation de polyhandicap ?
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La stimulation basale, une approche ou une méthode ?
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Les classes basales
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Apprendre par corps
3. Le médico-social est-il sens dessus dessous ?
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Le sens de l’accueil
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Vers un changement de paradigme ?
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Burn-out et fatigue de la compassion
4. Prendre soin des parents
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Formation ou soutien pour les parents ?
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Un chemin de rencontre, par un parent, Marielle Lachenal
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Quels chemins de rencontre entre parents et professionnels ?
5. Prendre soin des professionnels
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Une question d’humanité
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La rencontre vue par les professionnels
Conclusion
Remerciements
Bibliographie
Table des matières
Un auteur peut être fier de voir l'une de ses "élèves" reprendre et développer le thème de sa vie.
C'est ce que fait Concetta Pagano. Elle travaille avec et pour le concept de stimulation basale. Elle présente aujourd'hui un livre qui permet aux collègues francophones de se familiariser avec l’approche de la stimulation basale et ses applications.
Même à l'époque d'Internet, les livres sont des sources importantes d'informations et d'apprentissages. Ils créent un point commun entre ceux qui s'intéressent à un sujet, qui veulent travailler ensemble à l'amélioration de la vie des personnes très gravement handicapées et vulnérables. Ce livre peut devenir une référence, une base commune pour les acteurs professionnels et familiaux.
C'est à vous, avant tout, que je souhaite d’y trouver de nombreuses connaissances et d’utiles conseils.
Concetta a rassemblé beaucoup de choses, elle a surtout intégré de manière autonome d'autres idées et modèles. Elle a classé tout cela dans un ordre clair et l'a présenté de manière que ceci puisse vraiment être utilisé. C'est une performance particulière pour laquelle je remercie expressément l'autrice.
Les explications historiques de Thierry Rofidal permettent de replacer les efforts, les pensées et les théories d'aujourd'hui dans un contexte plus large et ainsi de mieux les comprendre.
Les personnes dont parlent les deux auteurs ont besoin de notre aide et de notre accompagnement. Mais elles ont également besoin de proximité et de contact, d'attention et de résonance. Tout cela n'est pas toujours facile à donner, nous sommes souvent confrontés à des barrières de communication. Il nous manque les moyens "naturels" d'une communication satisfaisante. Le concept de stimulation basale tente de surmonter ces barrières, de développer des techniques et des aides particulières qui permettent une communication simple et basale malgré tous les obstacles.
Et c'est justement là que ce livre apporte des idées et des conseils nouveaux et différenciés qui peuvent donner un nouvel élan au concept de stimulation basale.
En lisant ce livre, vous découvrirez de nouvelles façons d'entrer en contact avec des personnes gravement handicapées, des façons de leur offrir de l'aide et de l'accompagnement.
Je vous souhaite de nombreuses expériences positives.
« C’est ce que nous pensons déjà connaitre
qui nous empêche souvent d’apprendre »
Claude Bernard
Dans notre ouvrage précédent1 en 2018, nous avions proposé une réflexion sur le projet individualisé s’appuyant sur les principes pédagogiques et philosophiques de la stimulation basale auprès des personnes en situation de handicap sévère. Notre volonté était de proposer une démarche globale et transdisciplinaire pour que le projet soit un véritable outil d’accompagnement au quotidien pour les professionnels. Alors que les lois et les dispositifs se sont multipliés ces dernières années (Loi 2005 ; Stratégie quinquennale de l’offre de l’évolution du médico-social, volet polyhandicap, 2017 ; Protocole national de Diagnostic et de soins (PNDS) générique Polyhandicap, 2020 ; guide des bonnes pratiques HAS, 2017 ; Séraphin-PH, 2018), les professionnels du médico-social s’interrogent sur le sens même de leur accompagnement, confrontés de plus en plus à des injonctions parfois paradoxales de décideurs, de directions, de cadres, déconnectés de la réalité de terrain, retranchés pour certains dans leur bureau, de plus en plus à distance des équipes de vie quotidienne. De façon plus globale, les métiers de l’humain traversent une crise sans précédent depuis la pandémie (démissions, difficulté à recruter pour les établissements et les centres de formation des métiers du social et de la santé…). Il est certain que nous assistons à un changement de paradigme de la « valeur travail » pour de multiples raisons que nous ne développerons pas ici. Cependant, nous constatons que ceux qui restent incarnent les valeurs de don de soi, de souci de l’autre, d’engagement et de solidarité, en quête de (re)donner du sens à leur travail.
Au fil du temps, l’accompagnement a dû répondre à de plus en plus d’obligations et d’injonctions administratives, et quelquefois à des méthodes managériales très discutables, voire inacceptables. Force est de constater que les qualités humaines ne semblent plus être la panacée pour un accompagnement dit de « qualité » auprès des personnes en situation de handicap sévère. La rencontre n’est plus au premier plan, les éducateurs spécialisés en formation apprennent à coordonner au détriment de la relation éducative. Ils doivent planifier, organiser, développer des réseaux, coordonner des projets personnalisés. Mais comment coordonner le projet d’une personne lorsqu’on ne la rencontre pas au quotidien dans sa réalité ? Comment aider les professionnels à penser le projet plutôt que de le faire ?
Un bébé avec une grande prématurité, un enfant polyhandicapé, un adulte atteint d’une maladie dégénérative, une personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer ont tous un point commun : la vulnérabilité et la dépendance dès le berceau, puis à la fleur de l’âge et enfin au déclin de la vieillesse. Cette dépendance se traduit par le besoin d’une grande et juste proximité (et non pas distance) et d’une aide dans tous les actes de la vie quotidienne qui implique une attention particulière, une disponibilité physique et psychique des accompagnants.
Le prendre soin devient alors essentiel. Mais encore faut-il que l’action quotidienne dans les établissements médico-sociaux qui accueillent des personnes en situation de handicap développe une véritable démarche de prendre soin. Celle-ci doit se traduire par des actes et essentiellement par une démarche d’accompagnement soucieuse de répondre aux besoins et aux compétences de ces personnes. L’approche de la stimulation basale invite les professionnels à une réflexion centrée sur la Rencontre, au sens philosophique du terme : accueillir l’autre, être présent à l’autre par une finesse d’observation, de perception et de disposition d’ouverture au monde de cet autre sans attente et sans préjugés. La première rencontre avec une personne en situation de handicap sévère est troublante, elle ne nous laisse jamais indifférents. D’un simple sentiment de malêtre ou de surprise à un sentiment plus vertigineux d’étonnement, de peur, ou de fascination, la rencontre nous propulse dans un univers singulier. En apprenant à connaitre et à reconnaitre cet autre au-delà des apparences et des représentations que nous pouvons en avoir, nous apprenons à mieux nous connaitre également.
En se formant à la stimulation basale, les accompagnants éprouvent le toucher sous différentes formes, le sentiment de dépendance, la vulnérabilité, la peur ou la frustration, essentiellement à travers des mises en situation. Ils prennent conscience de l’importance de se (re)centrer sur l’essentiel : se rencontrer, accompagner et solliciter la personne sans s’imposer à elle, la toucher sans l’envahir afin qu’elle puisse se percevoir (ressentir son corps, se ressentir soi-même dans son corps, bouger), percevoir l’autre (communiquer, ressentir des émotions de sentiments, faire des expériences avec d’autres personnes) et le monde autour d’elle (percevoir, comprendre).
Aucune démarche de prendre soin ne peut s’inscrire dans un modèle théorique unique. L’approche de la stimulation basale, telle que la définit son auteur, se veut être « un concept, c’està-dire une approche réfléchie des problèmes et des difficultés de personnes très dépendantes. Ce concept signifie qu’il ne s’agit pas d’une thérapie définitivement formulée et établie mais de réflexions fondamentales et essentielles qu’il convient toujours de reconsidérer et de réadapter »2.
Ainsi, la stimulation basale permet, grâce à ses modèles théoriques, de favoriser une démarche d’ouverture et de créativité en privilégiant le savoir-être : comment se rencontrer, tout en puisant dans un savoir-faire : comment accompagner, et en développant un savoir-penser : « savoir voir nécessite savoir penser ce que l’on voit »3.
Elle vient nourrir les accompagnants dans une démarche de prendre soin en impulsant un mouvement qui permet d’aller à la rencontre, de tisser des liens de confiance, de cheminer ensemble, de faire un bout de chemin en commun, de se laisser surprendre par l’autre, de regarder la personne sous un autre angle, en se décentrant de ses propres certitudes et de ses représentations.
Nous avons privilégié le terme accompagnants plutôt qu’aidants ou professionnels pour désigner les personnes qui, au-delà d’une aide technique ou spécifique (faire pour), accompagnent (être avec ou faire avec) des personnes en situation de handicap sévère.
Le terme personne avec un handicap sévère correspond à un enfant ou un adulte en situation de grande dépendance dont le langage verbal n’est pas ou n’est plus le principal moyen de communication (personnes en situation de polyhandicap, personnes atteintes de maladies dégénératives, personnes cérébrolésées, patients en soins intensifs, en réanimation, en fin de vie, personnes déficientes intellectuelles profondes avec ou sans troubles du spectre autistique, personnes âgées atteintes de démences dont la maladie d’Alzheimer). Comme dans nos précédents livres, nous avons fait le choix de parler plus particulièrement des personnes que nous connaissons le mieux, c’est-à-dire les personnes en situation de polyhandicap et les personnes cérébrolésées ou atteintes de maladies dégénératives (enfants et adultes).
La stimulation basale propose des chemins de rencontre pour soutenir et cheminer avec ces personnes à partir de leurs capacités à percevoir, à bouger et à communiquer. Elle les soutient et les accompagne dans la compréhension des situations vécues au quotidien en favorisant leur participation, leur expression et leur communication. Rencontrer et accompagner ces personnes dans leur réalité, c’est aussi donner du sens à une vie quotidienne qui contribue au développement et à l’épanouissement de celles-ci : « les personnes très gravement atteintes n’ont pas uniquement besoin de lieux d’apprentissages, de thérapie et de soins, mais surtout d’un lieu de vie pour ellesmêmes et avec les autres » 4.
Thierry Rofidal, médecin, formateur et auteur aborde dans un premier chapitre l’histoire du Soin et des Soignants puis dans un second chapitre, Andreas Fröhlich, auteur de la stimulation basale, nous livre ses ressentis, ses réflexions et ses convictions sur l’histoire, l’évolution et la compréhension de son concept sous forme de dialogue avec Concetta Pagano, formatrice en stimulation basale. Les aspects plus théoriques en lien avec l’approche basale sont développés dans le deuxième chapitre et le troisième chapitre est consacré à une réflexion sur les espaces de rencontre, proposée par Concetta Pagano.
Dans le dernier chapitre, les auteurs témoignent de l’intégration de la stimulation basale dans leur pratique respective, celle de médecin et celle d’éducatrice spécialisée auprès d’enfants et d’adultes en situation de polyhandicap. Des réflexions de professionnels et d’un parent viennent nourrir la question du Prendre Soin. Marielle Lachenal, mère d’une jeune femme vivant avec un handicap complexe, formatrice en Communication Alternative Améliorée (CAA), autrice de l’ouvrage collectif intitulé « être un parent en situation de handicap »5, nous partage ses réflexions, ses questionnements en lien avec le prendre soin, la place des parents et l’importance de la communication. La question de la formation pour les parents est également abordée dans ce dernier chapitre.
1 ROFIDAL T. – PAGANO C., Projet individuel et Stimulation Basale – Vers une pédagogie de l’accompagnement de la personne en situation de polyhandicap, éditions Erès, 2018
2 FRÖHLICH. A – Le concept, p.12, éditions SZH, 1998
3 Citation d’Edgar Morin, sociologue français et écrivain
4 FRÖHLICH. A, Le concept, p.12, éditions SZH, 1998
5 LACHENAL M., Être parent d’un adulte en situation de handicap, éditions Erès, 2023
« Accueillir et soigner sont, en réalité, inséparables,
leur essence étant philosophiquement et psychologiquement identique. »
Roland-Ramzi GEADAH, Psychologue et historien6
De nombreux écrits sont consacrés à l’histoire de la médecine et des médecins, très peu à l’histoire du soin. Depuis l’antiquité, les médecins soignent ; de tout temps, des auxiliaires les ont accompagnés dans cette tâche. Si les écrits des médecins (plus rarement sur les médecins) sont riches dans la littérature scientifique, les témoignages sur le travail des auxiliaires médicaux sont extrêmement pauvres jusqu’au XIX° siècle, probablement parce qu’ils n’ont pas ou très peu écrits eux-mêmes. De plus, leur appellation est loin d’être constante dans le temps. Cependant, en parcourant l’histoire de la médecine et des médecins de l’antiquité à nos jours7, on peut tenter de suivre la façon dont les civilisations successives ont conçu et administré les
« établissements de soin » pour penser et pratiquer le « prendre soin ».
Le document sur l’art de soigner le plus ancien est certainement contenu dans le Code d’Hammourabi, 1750 ans avant notre ère qui fixe les honoraires des médecins en cas de succès de leurs interventions mais également les sanctions en cas d’échec. Dans cette civilisation de Mésopotamie comme dans l’Égypte antique à la même époque, la maladie est vécue comme le châtiment d’un péché et cela durera très longtemps. La médecine est donc mêlée à des pratiques magiques et religieuses. Le médecin de cette époque connait certaines plantes, fabrique des sirops, des pommades, des infusions, mais il contrôle également l’état sanitaire des animaux servant aux sacrifices, l’embaumement et les rites funéraires permettant au défunt d’atteindre l’éternité.
Dans la pensée grecque, la médecine se mêle toujours à la religion mais à la différence de l’Asie occidentale et de l’Égypte, les dieux peuvent ici prendre forme humaine et punir par blessure ou en répandant des épidémies. Ils peuvent aussi guérir. Asclépios (Esculape pour les romains) est de descendance divine, il a reçu des dieux son instruction. Ses filles continueront son oeuvre : Hygie nous lègue l’hygiène et Panacée, les médicaments. Mais il subit un triste sort puisque Zeus le foudroie pour avoir ressuscité les morts ! Son temple est à Épidaure où les pèlerins accourent de toute la région pour recevoir les soins de médecins réputés.
Avant Hippocrate, de grands savants qui ont laissé des traces dans la mémoire de tous les collégiens (Pythagore, Thalès entre autres), ont étudié la nature ; ils sont mathématiciens, philosophes, astronomes, politiciens et tous un peu thaumaturges, c’est-à-dire capable de guérisons miraculeuses voire de résurrection. C’est dire si leur biographie emmêle histoire et légende.
Il en est de même pour Hippocrate qui vit en Grèce au V° siècle avant notre ère ; on le dit descendant d’Asclépios (donc des dieux). On le voit soigner sous un chêne dans son île de Kos, dans toute la Grèce antique jusque dans l’actuelle Bulgarie. On lui attribue une très riche oeuvre littéraire, le Corpus Hippocratique, une soixantaine de livres qui ont probablement été rédigés par plusieurs savants sur plusieurs siècles mais qui laissent une grande place à l’observation clinique. Le document le plus célèbre du Corpus Hippocratique est le fameux serment que les médecins prêtent encore solennellement dans une forme modernisée. Des éléments de ce serment datant de 2500 ans nous semblent encore très actuels. La notion de confraternité insiste sur l’entraide et la formation des pairs « Je ferai part de mes préceptes ...et de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître... » mais en vase clos « mais à nul autre ». Il proclame également que le médecin défend la vie avant tout et s’interdit de donner la mort. Il professe la règle du secret médical comme un droit élémentaire du malade.
La pensée médicale au temps d’Hippocrate qui sera enseignée jusqu’au XVIII° siècle repose sur la théorie des humeurs, fondée elle-même sur la vision pythagoricienne de la constitution de l’univers : les quatre éléments (l’eau, l’air, le feu et la terre) sur lesquels se collent quatre caractères (l’humide, le sec, le chaud et le froid,) dont découlent les quatre humeurs du corps humain : la lymphe ou phlegme, le sang, la bile jaune et la bile noire.
Mais la « méthode » hippocratique repose sur le pragmatisme et ainsi, tente de débarrasser la médecine de la magie. Les soins doivent apporter un bénéfice au patient et, avant tout, ne pas lui nuire : « primum non nocere ». Le soignant doit écouter le patient, l’informer de son état de santé et faire tout ce qui est en sa compétence pour protéger son corps et son âme. Le mot patient trouve son origine dans le verbe latin pati qui signifie souffrir et qui a donné pâtir, passion... Le patient est celui qui souffre, il supporte sa souffrance, il la tolère et... il a de la patience.
Aristote nait peu de temps avant la mort d’Hippocrate . Il est considéré aujourd’hui comme l’un des philosophes le plus influent du monde occidental et comme tous les savants de l’antiquité, il s’intéresse à toutes les sciences, particulièrement à la physique, donc à l’étude de la nature, et à la médecine. Il place le siège de l’âme (ce qui anime l’être vivant) au niveau du coeur, car l’âme et les sentiments ne peuvent se définir indépendamment du corps.
Les conquêtes d’Alexandre le Grand, dont Aristote a été le précepteur, transportent la vie intellectuelle dans Alexandrie, la ville nouvelle créée par le roi de Macédoine. La dissection humaine y est autorisée et l’anatomie du système vasculaire et du système nerveux progresse mais leur fonctionnement échappe encore aux grands anatomistes que sont Hérophile et Érasistrate. La rivalité entre Alexandrie et Rome, qui aboutit, diton, à l’incendie de la grande bibliothèque, fait émigrer les nombreux médecins formés à Alexandrie vers Rome au premier siècle avant notre ère où les traditions magiques et les sacrifices religieux sont encore courants.
Le faste de Rome et la puissance de leur empereur attirent les médecins, toujours formés en Asie Mineure et en Égypte, à l’exemple de Galien sur l’invitation de Marc-Aurèle. Galien, dont les écrits en latin se répandront dans tout le monde occidental pendant des siècles, adopte la théorie des quatre humeurs d’Hippocrate (lymphe, sang, bile jaune, bile noire) et des quatre tempéraments (lymphatique, sanguin, bilieux ou mélancolique) liés aux quatre âges de la vie (petite enfance, enfance et adolescence, âge adulte, vieillesse) et aux quatre éléments (eau, air, feu, terre) qui seront la base de la médecine jusqu’au Moyen Âge.
Galien parle également, au II° siècle de notre ère, de l’hygiène qui, pour lui, dépend de « six choses non naturelles » (liées non pas à la nature, mais au choix des individus). Ce sont le choix de la nourriture et de la boisson, l'élimination de ce qui est superflu, les soins du corps, la respiration, l'exercice du corps et de l'esprit, la veille et le sommeil. À cette époque, apparaissent à Rome des égouts, des latrines, des fontaines ainsi que les premiers établissements de soins, les valetudinaria, ancêtres des hôpitaux, destinés à soigner les militaires blessés ou victimes d’épidémies pendant les combats, dans lesquels des esclaves assistent les médecins. On ne connait pas encore d’établissements hospitaliers civils.
Le déclin de Rome et de son Empire est contemporain de l’épanouissement de celui d’Orient. Constantin crée en 330 la « Nouvelle Rome » : Constantinople (l’ancienne Byzance). Il avait promulgué peu avant l’Édit de Milan en 313, permettant à chaque citoyen de pratiquer le culte de son choix, ce qui provoquera l’essor de la religion chrétienne au Moyen Âge. Désormais, en Occident, le soin est lié, assujetti à la religion et aux religieux.
Auparavant et depuis des millénaires, les dieux punissaient les hommes par la maladie et pouvaient y remédier grâce aux offrandes et aux prières, de façon magique. Au Moyen Âge, le christianisme s’impose comme la seule religion de l’occident. Le clergé dispose de richesses considérables, il conseille les rois et les empereurs. Des couvents d’hommes et de femmes naissent partout, le travail manuel y est une valeur cardinale, d’ordre agricole et culturel. Mais une des principales valeurs chrétiennes, la charité, transforme certains couvents en lieu d’accueil, soit isolés pour accueillir les malades contagieux, soit dans les villes pour accueillir les nouveau-nés abandonnés, ou encore sur les chemins de pèlerinage pour héberger et soigner les pèlerins. Jusqu’au XIX° siècle en Europe, l’institution hospitalière appartient au domaine de la charité chrétienne. Par ailleurs, depuis les invasions du Haut Moyen Âge, la disparition progressive du latin aux dépends des langues germaniques ne facilite pas la communication scientifique. Seuls, les clercs ont une bonne connaissance du latin classique dans lequel les ouvrages sont traduits et recopiés.
Les établissements de soins sont, à cette époque, associés à un monastère. Ils sont appelés xenodochia. Ils accueillent et portent assistance aux étrangers (ξενος [xenos] : étranger), aux pèlerins. Dans le monde latin, il devient hospes qui a une parenté étymologique assez obscure avec hostis : étranger8. Il désigne le voyageur, donc l’étranger mais aussi l’hôte qui est à la fois celui qui reçoit l’hospitalité, ou qui la donne. L’hospitalité est donc conçue dans le monde gréco-romain comme un droit divin de l’hôte (qui est invité) et un devoir divin de l’hôte (qui reçoit).
Dans ce Moyen Âge occidental, les hôpitaux sont des établissements administrés par le pouvoir religieux grâce aux nombreux dons et legs de particuliers riches qui souhaitent expier leurs fautes et gagner la vie éternelle. Ces établissements deviendront « Hôtel-Dieu » dont la fonction est d’accueillir tous les nécessiteux, qu’ils soient orphelins, malades, pauvres, infirmes ou encore étrangers de passage. Ils sont fondés par le pouvoir religieux comme l’Hôtel-Dieu de Paris créé au VII° siècle par saint Landry, évêque de Paris ou par le pouvoir militaire comme les Ordres Hospitaliers issus des croisades (Jérusalem, Saint-Jean d’Acre, Malte) ou encore par le pouvoir royal, Louis IX instituant les Quinze-vingts. Qu’il soit malade dans son corps ou son esprit, pauvre ou infirme, le patient (celui qui souffre) incarne le personnage du Christ (disciple d’Emmaüs dans l’évangile de Luc). Beaucoup d’entre eux recueilleront les victimes des épidémies de lèpre (maladie infectieuse), bannies de la société civile par une cérémonie religieuse (!) ainsi que les malades atteints d’ergotisme (intoxication par le parasite du seigle). Ce « mal des ardents » ou « feu de Saint-Antoine » était, contrairement à la lèpre, miraculeusement guéri dans les établissements dévoués au culte de ce saint par l’alimentation apportée par les hospitaliers aux malades (seigle remplacé par le froment et viandes riches en vitamine A). Les lésions cutanées (par infection pour la lèpre ou par troubles de la circulation pour l’ergotisme) étaient interprétées comme un avant-goût des peines de l'enfer, acte de punition divine, mais qui permettaient aussi l'expiation des péchés, donc le pardon et l'amour de Dieu.
Parallèlement, des hospices se développent près des monastères sur les chemins de pèlerinage, très fréquentés à l’époque vers Rome, Jérusalem, puis Compostelle et enfin vers toutes les basiliques qui célèbrent le culte d’un saint particulièrement vénéré. Les moines associent leur générosité à des préoccupations thérapeutiques et chaque monastère se dote d’un jardin, dans ou attenant au cloître, où sont cultivées des espèces végétales, parfois rares, dotées de vertus curatives.
Dans cette assistance aux nécessiteux, le rôle des femmes est méconnu, pourtant il n’était pas négligeable au Moyen Âge et bon nombre de femmes exerçaient le métier de médecins ou de chirurgiennes, voire d’enseignantes ou d’autrices. Dans l’école de Salerne en Italie du sud, une femme, Trotula9 (dont l’existence est mal connue mais dont les écrits ont été traduits) étudie, décrit et soigne les maladies gynécologiques, obstétricales et dermatologiques des femmes. Elle justifie ces travaux par le fait que la pudeur empêche ses congénères de révéler les difficultés de leur maladie à un médecin masculin. Mais, à l’époque de Trotula, une femme de Salerne qui ne choisit pas la voie religieuse est sous tutelle masculine toute sa vie, son père avant son mariage, son mari ensuite et s’il meurt, la veuve passe sous la tutelle de son fils aîné ; d'où l'importance d'une cosmétique et d'une gynécologie axées sur la sexualité et la fertilité.
Le rôle des laïcs restera minime jusqu’à la fin du XII° siècle. Pourtant, l’église s’émeut de l’intérêt des clercs pour la médecine qui se mettent de plus en plus au service des malades pauvres ou riches. Pour éviter que cette activité de soins se fasse au détriment de leurs fonctions religieuses, la papauté, lors du Concile de Clermont en 1130, limite le rôle des clercs à la palpation du corps et à l’observation des urines (l’un des fondements de la clinique de l’époque) et leur interdit le métier de chirurgien selon l’adage « ecclesia abhorret a sanguine », l’église hait le sang (sous-entendu le sang qui coule). L’église déteste faire couler le sang (sauf celui des hérétiques !). Cet adage valorise les vertus de paix promues par l’Église mais exclut aussi les femmes du Sacré quand le sang coule...
Mais le monde du Moyen Âge ne se réduit pas à l’Occident ; les grandes foires médiévales font circuler les denrées et les idées. Les trois principales religions sont monothéistes : judaïsme, christianisme et islam. Elles affirment l'existence d'un Dieu transcendant, unique, omnipotent, omniscient et omniprésent. Le mot « islam » est un mot arabe signifiant : « la soumission et la sujétion aux ordres de Dieu ». La religion juive se fonde sur la croyance en un Dieu maître de la vie sur terre. La souffrance ne découle que de la volonté divine. Cette conception était déjà ancrée dans la civilisation babylonienne dans laquelle le peuple d’Abraham a été maintenu en captivité.
Deux grands médecins et savants orientaux dominent la pensée de l’époque et leurs écrits traduits en latin se répandent en Occident : Rhazès (IX° siècle) et Avicenne (XI° siècle) réaffirment la nécessité de l’étude médicale et la primauté de l’expérience. Ils rejettent les références magiques et ésotériques, alchimiques (transmutation des métaux) et astrologiques (jugement de Dieu par les astres). Pour Avicenne, l'hygiène et la médecine sont deux pratiques complémentaires. La toilette du corps a pour but d'éliminer tous les déchets. Le temps de sommeil doit être respecté en préférant le sommeil de nuit à la sieste de jour. L'air est l'élément essentiel à la vie ; la respiration permettant à l'air « d'entrer dans le coeur » et de « refroidir le sang » en expulsant les « fumées corporelles ». L'air doit être pur, clair et lumineux, en mouvement plutôt que stagnant, de caractère tempéré.
Le début du XIII° siècle voit la naissance des Universités dans un monde qui bouge. Les Universités (Paris, Montpellier, Oxford, Bologne...) n’échappent pas à l’Église puisqu’elles sont fondées par le seigneur local qui est souvent évêque. Mais les enseignants sont recrutés pour leurs compétences et non pour la conformité de leurs propos à la doctrine catholique. C’est la naissance de la Scolastique qui vise à concilier l'apport de la philosophie grecque (particulièrement l'enseignement d'Aristote) avec la théologie chrétienne. Les enseignements et dialogues entre les maitres et leurs élèves (disputatio) sont souvent de pures spéculations intellectuelles mais à cette époque, les grandes universités réputées organisent des études, en médecine et dans d’autres disciplines, échelonnées sur plusieurs années et sanctionnées par des grades successifs (bachelier, licencié, maître et docteur) dans un système long et coûteux pour l’étudiant.
À l’aube de la Renaissance, l’enseignement est intense dans les riches universités mais les médecins ne s’écartent pas des conceptions de l’Antiquité : la maladie est causée par un déséquilibre des quatre humeurs que le médecin doit rétablir. La clinique est pauvre, ne s’intéressant qu’à l’habitus (l’aspect extérieur du corps) du malade, la palpation de son pouls et l’examen de ses urines. Les plantes se multiplient mais sont surtout utilisées dans une logique de similitude (plantes à fleurs jaunes contre l’ictère, bulbes contre l’infertilité masculine...). L’ordre minéral (pierres précieuses, or et mercure) est utilisé pour ses vertus magiques. Des produits empruntés au règne animal vont de la bile aux testicules en passant par l’urine et la fiente. Les recettes sont toujours secrètes et présentées comme une panacée. L’homme est toujours considéré comme un microcosme intégré dans le cosmos et la vision globale de la création à cette époque met en relation chaque viscère, chaque élément de la nature avec un astre. Le médecin est tenu, pendant ses études longues et couteuses, de connaître la physique, c’est-à-dire toutes les branches des sciences de la nature. La magie et la sorcellerie ne sont pas très loin mais l’Inquisition veille...
À côté de ces médecins savants, riches mais inopérants, les barbiers rasent, font des saignées, incisent les abcès, réduisent et immobilisent les fractures. La profession s’organise et établit des niveaux professionnels (du chirurgien-barbier au chirurgien de Haute Robe) mais les universités leur restent fermées. Pourtant, leur savoir progresse et ils sont bientôt capables de suturer les plaies, stopper les hémorragies, extraire les corps étrangers, opérer la cataracte, amputer les membres gangrénés. L’obstétrique demeure du domaine des matrones, plus ou moins entrainées par des femmes plus âgées. On sait très peu de choses sur d’autres auxiliaires médicaux hormis les clercs (moines et religieuses) dans les monastères et souvent en dehors.
Le savoir médical reste archaïque par méconnaissance de l’anatomie. Si la dissection était interdite dans le droit romain, les religions monothéistes du Moyen Âge la réglemente sans la proscrire. Elle ne deviendra courante qu’à la fin du XV° siècle.
À la Renaissance, le monde change de conception scientifique et philosophique. La vision de l’homme occidental et l’autorité de l’Église sont remises en question par les travaux de Copernic puis de Galilée, par les progrès technologiques, la découverte de nouveaux continents et de nouvelles civilisations avec de nouvelles religions.
L’invention de l’imprimerie quelques décennies plus tôt intensifie les relations entre les hommes, le monde scientifique redécouvre le grec longtemps mal lu et mal interprété. La scolastique est remise en cause par l’humanisme. Ce nouveau courant de pensée est utilisé à l’origine pour désigner « celui qui cultive les humanités », c’est-à-dire qui reçoit une éducation esthétique, rhétorique, mais également morale et civique qui englobe nos actuelles sciences humaines et sociales. Les penseurs humanistes, sans abjurer leur foi chrétienne, ne conçoivent plus le monde comme création divine mais observent ce monde à partir du rôle que chaque être humain y tient et placent l’être humain au centre de tout. Pour le « Trésor de la langue française informatisé » du CNRS10, le courant philosophique humaniste est « l’attitude philosophique qui tient l'humain pour la valeur suprême et revendique pour chaque humain la possibilité d'épanouir librement son humanité, ses facultés proprement humaines ».
L’artiste de la Renaissance redécouvre l’art antique et modifie la représentation de l’être humain, la nudité masculine et féminine réapparait, l’anatomie devient une nouvelle science explorée avant tout par ces artistes (Vinci, Dürer, Michel-Ange, Vésale), ce qui explique que les planches anatomiques de cette époque sacrifient à l’art, au détriment souvent de la précision scientifique.
Mais le fonctionnement de ce corps est encore mal compris : le souffle vital dont parlent les Anciens, devenu souffle divin au Moyen Âge est toujours de conception très confuse. Comment ce souffle divin circule-t-il ? Quel est le rapport entre l’air qui circule dans les poumons et le sang qui circule dans le coeur ? Le siège de l’âme est-il dans l’un de ces deux organes ?
À la même époque, le développement des grandes villes attire la population rurale espérant trouver des moyens de subsistance. Les pauvres s’amassent dans les faubourgs, la mendicité est partout dans les grandes villes, en particulier à Paris. Le pauvre n’est plus la représentation du Christ mais devient une menace sociale. Le pouvoir royal réagit11. En 1551, Henri II crée le Grand Bureau des Pauvres avec pour objectif de faire disparaitre la mendicité de la capitale ; aux mendiants valides, on propose du travail, les enfants sont placés en apprentissage, les vieillards et les invalides sont placés en hospice, les délinquants vont en prison. Quelques décennies plus tard, les mendiants sont revenus dans les rues, le pouvoir les contraint à résidence par la création de l’Hôpital des Pauvres-Enfermés (enfermerie) dont fait partie l’hôpital de la Pitié. Une rivalité s’installe entre les deux institutions amenant Louis XIV à créer, en 1656, l’Hôpital Général qui a pour objectif de rassembler les pauvres qui errent dans les rues et se livrent à la mendicité aux portes des églises. Cette nouvelle institution, ancêtre de l’Assistance Publique, comprend entre autres La Pitié, La Salpêtrière et Bicêtre.
Les religieux ne restent pas absents de cette institutionnalisation : deux grandes figures : Vincent de Paul et Louise de Marillac, s’associent pour fonder les « Filles de la Charité », ordre religieux qui se consacre aux soins des pauvres à Bicêtre, La Salpêtrière et La Pitié et des orphelins dans l’oeuvre des « Enfants Trouvés ». Louise de Marcillac écrira dans une correspondance avec Vincent de Paul à propos de l’Hôpital Général : « Si l'oeuvre est regardée comme politique, il semble que les hommes la doivent entreprendre. Si elle est considérée comme oeuvre de charité, les femmes la peuvent entreprendre en la manière qu'elles ont entrepris les autres grands et pénibles exercices de charité que Dieu a approuvés par la Bénédiction que Sa Bonté y a donnée... »12.
Par l’édit de Saint-Germain du 14 juin 166213, Louis XIV ordonne la création d’un hôpital général dans toutes les grandes villes de France, destiné à enfermer les mendiants, gueux et autres indigents qui envahissaient les villes à la suite des guerres et des disettes fréquentes dans la deuxième moitié du XVII° siècle (Vieille Charité de Marseille, Hôpital Général de Clermont- Ferrand, Hôpital Saint-Jacques de Besançon...). Le pouvoir entendait distinguer les « bons pauvres » qu’il fallait loger, soigner, instruire, faire travailler, des « mauvais pauvres », sorte de mendiants professionnels asociaux qu’on devait enfermer. En fait, ces établissements se trouvèrent rapidement transformés en institutions vouées à l’accueil de tous les déshérités : vieillards indigents, orphelins et enfants abandonnés, infirmes et « insensés ».
À cette époque, les travaux scientifiques sont axés sur le fonctionnement du corps : la physiologie. On ne connaissait guère que la forme de ce corps : l’anatomie enjolivée par l’art de la Renaissance. Les grandes lois de la circulation sanguine par Harvey bouleversent les idées traditionnelles de l'homme. Le sang est distribué dans l’organisme par le coeur et non par le foie, il circule dans les artères qui ne transportent donc pas l’air, et revient au coeur par les veines ; son volume est constant et son mouvement perpétuel. La mise au point du microscope permet de découvrir les tous petits vaisseaux et de différencier la circulation lymphatique de la circulation sanguine. L’équilibre des humeurs que la médecine devrait rétablir en cas de maladie n’a plus de sens puisque ces systèmes sont anatomiquement différents les uns des autres.
Un nouveau courant philosophique en découle : le matérialisme qui soutient que tout est matière et que tout phénomène résulte d’interactions matérielles. Il s’oppose au dualisme entre le corps et l’esprit et nie l’existence de l’âme pour ne reconnaître que les substances du corps.
Pendant ce temps, de nouvelles épidémies de peste frappent violemment l’Europe. Cette maladie qui parcourt le monde depuis l’antiquité est désormais bien décrite et n’est plus confondue avec d’autres maladies épidémiques comme probablement pendant l’antiquité. Le mot « peste » désigne le fléau, l’outil agricole qui sert à battre les épis, il devient petit à petit synonyme de calamité. Mais son origine infectieuse et sa transmission animale ne sont pas comprises et la croyance populaire veut que la peste soit provoquée par la colère divine. Cependant, sa contagion est devinée et cette maladie sera le point de départ de la santé publique. Les médecins de peste (dit aussi médecin-bec car ils portaient un long masque empli de parfums estimés capable de filtrer l’air de ses « miasmes ») prennent soin des malades isolés dans leur habitation ou dans des infirmeries construites en dehors des villes et surtout enregistrent les décès sous la direction de commissaires (capitaines ou prévôts) de santé. Pour soutenir cette statistique médicale naissante, les villes sont divisées en quartiers et en districts que des responsables de rue inspectent pour tenter de repérer les malades. Ces épidémies sont également à l’origine de l’hygiène urbaine : cimetières transférés à la périphérie des agglomérations, nettoyage des villes facilité par le pavage des rues, enlèvement régulier des ordures...
Le XVIII° siècle est le siècle des Lumières : c’est la lumière de la Science qui éclaire le monde et non plus la lumière de Dieu. Les érudits sont épris de toutes les nouveautés et se plongent dans la science, parfois avec préciosité. Mais le mouvement philosophique du XVIII° siècle cultive les disciplines concrètes et trouve son expression dans l’oeuvre de L’Encyclopédie à laquelle de nombreux médecins participent14. Mais tant que la science n'explique pas le fonctionnement de la nature, les scientifiques de l'époque ne peuvent imaginer que « l'horloge du monde » selon l'expression de Voltaire15 ne possède pas un horloger.
Au XVIII° siècle, le mot « expérience » a deux sens peu différenciés : il désigne, d'une part, l'expérimentation c'est-à-dire une méthode qui permet la pratique de ces « expériences » et d'autre part, des hommes « d’expérience » qui, par leurs activités, ont acquis connaissances et pondération. Le développement de « l'expérimentation » par des savants « expérimentés » donne naissance à la physiologie, fruit de cette « expérience ». Deux grands noms sont à citer à cette époque : l’italien Lazzaro Spallanzani (1729-1799) et le français Antoine-Laurent de Lavoisier (1743-1794) ; ils tiennent tous deux une grande place dans le développement de la théorie de l’expérimentation qui élaborera ses grandes règles un siècle plus tard. Le microscope est présent dans tous les laboratoires, Hooke (1635-1703) découvre la cellule en Angleterre, Morgagni (1682-1771) décrit des lésions spécifiques de ces cellules en rapport avec les signes constatés sur le vivant. Les signes et les lésions sont liés, la punition de Dieu s’éloigne.