La Vedette - Daniel Durand - E-Book

La Vedette E-Book

Daniel Durand

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Beschreibung

Nous sommes en 1965. Six jeunes gens partent en virée avec une Ford Vedette des années 50 prêtée par le père du conducteur. Ils garent le véhicule sur la place du marché à Montbéliard, et se séparent pour « draguer » un peu. De retour à la voiture une heure et demi plus tard, ils découvrent à l'intérieur une jeune fille étranglée, la petite copine du don Juan de la bande. Paniqués, ils prennent la fuite pour se cacher dans les bois, mais ils auront bientôt la preuve que l'assassin est l'un d'entre eux. Les autres pourront-ils démasquer le coupable avant que la police ne les retrouve...?

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Veröffentlichungsjahr: 2018

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Sommaire

PREFACE

INTRODUCTION

CHAPITRE UN

CHAPITRE DEUX

CHAPITRE TROIS

CHAPITRE QUATRE

CHAPITRE CINQ

CHAPITRE SIX

CHAPITRE SEPT

CHAPITRE HUIT

CHAPITRE NEUF

CHAPITRE DIX

CHAPITRE ONZE

CHAPITRE DOUZE

CHAPITRE TREIZE

CHAPITRE QUATORZE

CONCLUSION

PREFACE

En général, quand un chef de cuisine voit débouler un concurrent en face de chez lui, il redoute le pire et s'angoisse. Pourtant, j'ai constaté qu'au long des rues fourmillant de (bons) restaurants, chacun y retrouvait son compte, et que seuls les gargotiers restaient sur le pavé.

Fort de cette observation que j'ai faite au temps où je sévissais dans la gastronomie, je me réjouis aujourd'hui de l'éclosion de nouveaux talents au cœur de la littérature policière et populaire, ma mère nourricière.

Or, Daniel Durand n'en manque pas, de talent !

Son style est vif, riche en trouvailles linguistiques. Il sait édifier une histoire, et plonger son lecteur dans un univers qui lui est propre. Que réclamer de plus à un auteur ?

Alors, bienvenue rue des Polars !

Il y a gros à parier que sa Vedette le mènera loin. Peut-être même jusqu'au... vedettariat.

En tout cas, moi, j'ai été pris en stop par cette belle histoire.

Patrice Dard

INTRODUCTION

L’action de ce livre se déroule en 1965.

Certains s’étonneront sans doute que j’aie attendu si longtemps pour relater ces faits, mais je n’en avais pas jusqu’alors éprouvé le besoin.

Alors, pourquoi maintenant ? Je ne sais pas. Peut-être, prenant de plus en plus conscience du temps qui passe, ai-je voulu laisser un témoignage de ce passé à la fois si proche et si lointain. Les choses s’accélèrent de telle façon que cette époque sans ordinateurs, sans portables, sans jeux vidéo, cette époque où le téléphone, la voiture, la télévision avec une seule chaîne en noir et blanc, étaient encore absents de bien des foyers, paraît être le Moyen- Age pour les adolescents actuels.

Tandis que pour nous, les enfants du baby-boom qui scandalisions nos aînés avec nos cheveux longs, nos mobylettes, et notre « musique de sauvages » (avec le recul, notre fameux yé-yé paraît pourtant bien sage) c’était hier.

Sans doute, plus on s'en éloigne et plus la jeunesse représente pour nous l'âge d'or, parce qu'embellie par une mémoire ayant tendance à n'en conserver que les bons côtés.

Pourtant, avoir dix-huit ou dix-neuf ans de nos jours n’a plus, il me semble, la même signification qu’il y a cinq ou six décennies. En effet, maintenant, les jeunes sont blasés de tout, ne sont surpris de rien, alors que nous, nous avions tout à découvrir, tout à conquérir.

Comment leur faire comprendre qu'à l'époque de notre adolescence, rouler en voiture à notre âge était un privilège exceptionnel ?

Ceux qui, comme moi, ont connu l’apparition des « transistors », des super 45 tours, de l’électrophone à piles et des premières surprises party, ceux qui ont vécu mai soixante-huit et sa révolution culturelle, ceux qui ont eu vingt ans avant l’ère de la mini-jupe, de l’émancipation de la femme, de la pilule et de la fin des tabous sexuels, me comprendront.

Les autres, les ados actuels, se rendront peut-être compte que pour leurs petits-enfants, ce qu’ils vivent maintenant, ce sera le Moyen-Age, pour ne pas dire la Préhistoire.

Alors, en avant pour un petit retour dans le passé...

CHAPITRE UN

Les mains dans les poches, Bernard faisait les cent pas.

— Bientôt une demi heure qu’on attend !

Personne n’a répondu. Chacun se laissait gagner par le découragement. Il a ajouté :

— Bon, on va devoir se résoudre à être piéton ce soir. Alors, qu'est-ce qu'on va faire ?

— Cinéma ? A proposé Gérard.

— Et tu veux aller voir quoi ? a demandé Jean-Pierre. Je te rappelle que le Foyer fait relâche, et le film qui passe au Victoria, on l'a déjà vu.

J’ai essayé de remonter le moral des troupes.

— Soyez pas défaitistes, les gars, c’est pas encore dit qu’on n’aura pas la bagnole.

Mes paroles n’ont réconforté personne. Pourtant, que de fois avions nous guetté ainsi, blottis derrière le garage, attendant que le Mario, comme on l’appe-lait affectueusement, se laisse fléchir et laisse la voiture à son fils.

Ah, cette voiture ! Il faut bien situer les choses dans le contexte de l’époque. En 1965, posséder une auto s'avérait encore pour beaucoup un luxe inaccessible. Pensez que le litre d'essence était à un franc. Je sais, quinze centimes d'euros, cela paraît dérisoire de nos jours, mais il faut comparer avec ce qu'on gagnait alors.

Le SMIG horaire -devenu SMIC par la suite- était à 1,95 franc. Le calcul est facile à faire, une heure de travail ne permettait même pas de s'acheter deux litres du précieux liquide.

Alors, réfléchissez un instant avant de râler que tout augmente. Si le prix du carburant avait suivi la courbe des salaires, le litre de sans plomb 95 serait maintenant à près de 5 euros.

Bref, rouler en voiture n'était pas trop à la portée de l'ouvrier, et nous, fils d'ouvriers, nous avions cette chance.

Le père de Raymond avait acheté cette vieille Ford pour une bouchée de pain. C’est sûr, si le contrôle technique avait existé à l’époque, la pauvre Vedette aurait été depuis longtemps envoyée à la casse. Mais enfin, le moteur tournait rond, les freins étaient corrects, et ce n'étaient pas quelques trous dans le plancher, les ailes piquées de rouille ou les portières aux joints en haillon qui l’empêchaient de rouler.

Bien sûr, son V8 engloutissait entre quinze et vingt litres aux cent kilomètres, mais en consacrant chacun cinq francs (plus de deux heures et demi de boulot, quand même...) à l'achat du carburant, on pouvait s’offrir des balades faisant beaucoup d’envieux parmi ceux de notre âge.

Généralement, son père se faisait tirer un peu l’oreille, mais Raymond finissait toujours par obtenir gain de cause. Pourtant, cette fois, la Vedette prenait de plus en plus l’aspect d’une chimère.

J’ai tendu mon paquet de gauloises à la ronde. A part Gérard, le non fumeur de la bande, chacun s’est servi, ça nous a permis de tuer dix minutes de plus.

La nuit était tombée depuis maintenant un quart d’heure, et l’incertitude commençait à nous émousser sérieusement le moral.

Bernard a soupiré. Je comprenais trop bien, pour partager son sentiment, ce qu’il ressentait. Il faut reconnaître qu'un vendredi soir à Héricourt sans la perspective du cinoche, c’était la soirée mortellement ennuyeuse garantie.

— Mais qu'est-ce qu'il fout, Bon Dieu, qu'est-ce qu'il fout ?

Çà, c'était Gérard. J’allais lui répondre n’importe quoi, histoire de me calmer les nerfs, mais je n’en ai pas eu le temps. Nous avons entendu claquer la porte du premier étage, suivi d’un pas qui dévalait l’escalier.

Je crois qu’on s’est tous arrêtés de respirer quelques secondes. Jusqu’au moment où Raymond a surgi en brandissant ce qu’on n’osait plus espérer, les fameuses clés de la non moins fameuse voiture.

Encore une fois, nous avions gagné. Encore une fois, nous allions pouvoir faire une virée avec la Vedette.

S'est alors posée la traditionnelle question, trouver une destination pour la balade. Sans trop de conviction, Jean- Pierre a proposé Villersexel .

— Et tu veux aller faire quoi, dans un bled pareil ? a objecté Gérard. Boire une bière dans un bistrot à l’ancienne où des vieux qui tapent le carton vont nous bigler comme si on était des martiens, et faire des commentaires idiots à propos de nos cheveux longs ? Merci pour le programme.

L’autre a rétorqué, un peu vexé :

— Évidemment, Monsieur Gérard a une meilleure idée ! Qu’il en fasse profiter tout le monde, alors.

— Je verrais assez bien Montbéliard.

— Tiens donc ! a ironisé Bernard. Ce ne serait pas là, justement, qu'habite une blonde super-canon dont tu nous montres le portrait dix fois par jour ?

Aucun d’entre nous, à part lui bien sûr, ne la connaissait autrement que par une photo prise sur une fête foraine, devant un stand de tir. Mais, vu ce que promettait le cliché, le modèle avait sans doute de quoi faire fondre le cœur de notre Don Juan. De longs cheveux blonds tombant sur les épaules, un sourire pour publicité de dentifrice, de grands yeux rieurs, une silhouette qui n’avait rien à envier à celle des mannequins de magazines de mode...

Il faut savoir que Gérard, plutôt joli garçon, préférait la collection des conquêtes féminines à celle des timbres-poste.

— Ben quoi, s’est défendu l’intéressé, tant qu'à faire, autant joindre l’utile à l’agréable, non ?

— T'as pas peur de tomber sur son ex ? s'est inquiété Raymond. Tu nous as bien dit qu'il acceptait plutôt mal leur rupture et qu'il n'arrêtait pas de lui rôder autour.

— Ouais, il n'a pas trop supporté qu'elle reprenne sa liberté, il lui a même dit : « Quand je saurai qui est mon rival, je m'occuperai de lui de telle façon que même sa mère ne pourra pas le reconnaître ».

J’ai rigolé :

— On devrait peut-être commencer à se cotiser pour te payer ta future chirurgie esthétique.

Gérard a haussé les épaules.

— Dire et faire, ce sont deux choses différentes. Il finira bien par comprendre qu’elle et lui, c’est fini.

— Tu le connais ? a demandé Jean- Pierre.

Notre copain a ouvert des yeux ronds.

— Tu crois peut-être qu’elle nous a présenté ?

« Gilles, mon ancien petit ami, Gérard, pour qui je t’ai largué ... ! » Évidemment non, je ne le connais pas, ahuri. Je sais juste son prénom, Gilles, et son âge, dix-huit ans comme moi.

Mais Jean-Pierre tenait à son idée.

— Seulement lui, il peut te connaître. Puisque tu dis toi-même qu’il n’arrête pas de lui rôder autour, il a pu vous voir ensemble. Et s’il te tombe dessus, ça pourrait faire du vilain.

La victime potentielle de ce sort tragique a pris un air soucieux.

— T’as peut-être raison ! Alors avant de partir, je vais repasser à la maison chercher mon gilet pare-balles, mon heaume, ma lance et ma cotte de maille.

Jean-Pierre a mis quelques secondes avant de piger qu'il se fichait de lui. Devant sa mine ahurie, on a tous éclaté de rire. Gérard lui a donné une bourrade.

— T’inquiète pas pour moi, si on le rencontre et s'il fait trop le méchant, je suis de taille à me défendre. Ceinture marron de judo, je te rappelle.

L’autre a grommelé :

— Ouais ça fait rien, moi à ta place, je serais moins tranquille.

Notre chauffeur a clos la discussion :

— Alors, c’est OK pour « Montbé » ?

Tout le monde ayant l'air d'accord, nous sommes montés dans la voiture, Gérard à l’avant, Jean-Pierre, Bernard et moi sur la banquette arrière, et fouette cocher.

Arrivé à hauteur du Royal, l’un des deux bars de la ville fréquentés par les jeunes, Bernard s’est écrié :

— Arrête-toi, il me faut des clopes.

Raymond a stoppé tellement sec, sans prendre le temps d’actionner son clignotant, que la DS 19 qui nous suivait a failli nous emboutir. Son conducteur, un gros chauve au teint rougeaud, s’est contorsionné pour abaisser la vitre côté passager et nous passer une engueulade parfaitement méritée, reconnaissons-le.

Je pense même que si nous n’avions pas été cinq, il serait descendu et aurait usé d’arguments plus frappants, si je puis dire. Il a fini par repartir en continuant à râler contre « ces jeunes cons qui se croient tout permis... Non mais quelle génération...! Lui à notre âge... ».

Bref, vous connaissez le refrain.

Gérard s’impatientait.

— Allez, grouillez-vous, il est déjà huit heures et demie.

J’ai regardé ma montre. Elle indiquait seulement vingt heures vingt-deux. Je n’ai pas pu m’empêcher de charrier un peu notre copain.

— Mauvaise nouvelle, les gars, le rythme du temps s’accélère. A vingt-deux minutes la demi-heure, ça ramène les heures à quarante-quatre minutes. A ce train là, on va vieillir d’un an tous les neuf mois. Faudrait pas tarder à penser à la retraite…

Il a haussé les épaules.

— C’est drôle, ça, je vais en rire toute la soirée.

Bernard s’est engouffré dans le café. Pendant que nous l’attendions, un gars s’est approché de la voiture. C'était pas vraiment un copain, mais on le connaissait bien pour être allé ensemble à l’école jusqu’au certif.

— Salut, les gars.

Il avait l’air de s’ennuyer ferme.

— Salut, Gilbert, a répondu Raymond. On va faire une balade. Si ça te tente, on peut te faire une petite place en se poussant un peu.

Il n’osait pas le demander, mais il en mourait d’envie. Il ne se l’est pas fait dire deux fois et s’est empressé de prendre place sur la banquette arrière, sans s’inquiéter de notre destination.

Bernard est revenu avec son paquet de gauloises et c’est à six que nous sommes partis.

Direction Montbéliard !

-oOo-

— Raymond !

Il ne m’a pas entendu. Il faut dire que Gérard, Bernard et Jean-Pierre, qui braillaient J'avais deux amis, une chanson d’Eddy Mitchell, faisaient assez de bruit pour couvrir ma voix.

J'ai tapé sur l’épaule du chauffeur, et il s’est retourné. Jean- Pierre s’est effrayé aussitôt.

— Hé ! Regarde devant toi.

Il a obéi, ce qui au fond était plus prudent, et m’a demandé :

— Qu’est ce qu’il y a ?

— On va direct à Montbéliard, où on roule un peu avant ?

— Comme tu veux, mais Miss Vedette ne va pas tarder à avoir une petite soif. Faudrait pas oublier de lui donner à boire.

Nous étions justement sur le point d'arriver à une station-service. Raymond, comme à son habitude, a freiné assez brusquement. Gérard n’a eu que le temps de tendre les bras pour ne pas être projeté contre le tableau de bord.

— Tu pourrais prévenir. A un poil près, j’allais embrasser le pare-brise.

— C’est vrai ça, a reproché Bernard. S’il s’était éclaté le pif, t’imagines ?

— Ah ! Il y en a au moins un qui compatit, a constaté la presque victime. Merci à lui de se préoccuper de l'intégrité de mon physique.

— C’est pas ça, mais le Mario ferait un sacré foin si on lui ramenait sa bagnole avec des taches de sang sur le tableau de bord.

— Espèce de sagouin ! s’est exclamé Gérard, faussement indigné.

Pendant cet échange verbal, notre chauffeur s’était arrêté derrière une file de quatre véhicules attendant leur tour à la pompe de super.

Gilbert s'est étonné de nous voir sortir tous de la voiture. Je lui ai expliqué :

— Assis dans la bagnole, c'est pas très facile de prendre son porte-monnaie qu'on a l'habitude de mettre dans la poche arrière du pantalon. On se cotise pour le carburant. En mettant chacun cinq francs, ça nous fait vingt-cinq litres, de quoi s'offrir déjà une bonne balade.

Nous n’avions pas l’intention de lui demander une contribution, mais il a insisté pour payer son écot.

— Si, si, y'a pas de raison, je tiens à participer aux frais.

On est repartis, et Gérard a commencé à fredonner Pour moi la vie va commencer, la chanson du film D'où viens-tu, Johnny ? Nous avons tous suivi. L’ambiance était au top, la balade s’annonçait bien.

-oOo-

— Alors, les gars, on bouge ?

Raymond a fait semblant de ne pas comprendre les raisons de l’impatience de Gérard.

— Ben, on n’est pas pressés, non ? Moi, j’aime bien l’ambiance ici, pas vous ?

Nous sommes tous entrés dans le jeu.

— Si, si, c’est super.

— Et tranquille, il n’y a jamais de bagarres.

— Et les consos sont abordables.

— Et on trouve toujours de la place pour se garer pas trop loin.

— D’ailleurs, faudrait y venir plus souvent.

Nous étions à La Tortue, un milk-bar d’Audincourt où officiait José, un barman incroyable doué d’une mémoire prodigieuse. On pouvait arriver à dix et choisir chacun une consommation différente, il ne prenait aucune note et ne se trompait jamais en nous apportant ce qu'on lui avait demandé.

On essayait de le piéger en compliquant à l’excès les commandes, et même en inventant des trucs pas possibles. Par exemple j'avais demandé un lait menthe-grenadine-orgeat (entre nous, je vous déconseille la mixture, c’est plutôt dégueu) accompagné d'un sandwich 1/3 rillettes, 1/3 jambon, 1/3 pâté de campagne.

Raymond avait opté pour un « déca » avec deux sucres et une part de pizza aux anchois sans olives. Bernard avait également choisi une part de pizza, mais sans anchois et avec olives, et un lait citron-fraise-mangue (j’ai goûté, dégueu aussi).

Gérard avait pris un grand crème accompagné d'un hot-dog moutarde ketchup, Jean-Pierre un thé froid, et Gilbert un chocolat.

Imperturbable, José avait déposé devant chacun de nous exactement ce qui lui avait été commandé.

J’ai décidé de ne pas jouer plus longtemps avec les nerfs de notre copain.

— Allez, on y va.

En arrivant à Montbéliard, le chauffeur a demandé : — Où réside la demoiselle, please ?

— Ben, son adresse ,je ne connais pas exactement, je sais juste qu’elle a un studio du côté de la Place du marché.

— Mais alors, c’est tout simple, a dit Bernard. Il te suffit de sonner à toutes les portes. Avec un peu de chance et le vent dans le dos, si elle ne part pas en vacances avant un mois ou deux, tu pourras l’aider à finir de boucler ses valises.

— Dis, je n’en ai peut-être pas l’air, comme ça, mais je sais lire couramment. Je suis parfaitement capable de déchiffrer un nom à côté d’un bouton de sonnette. Et d'abord, a-t-il ajouté sentencieusement en levant l’index, il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre.

— Ni de réussir pour persévérer, je connais la devise des jeux olympiques. Donc, si ça ne marche pas ce soir, on revient demain, après-demain, et les jours suivants.

Gérard a pris un air outragé.

— Le vaisseau de tes sarcasmes vogue sur le flot paisible de mon indifférence.

Raymond a tranché.

— Le plus simple, c’est de garer la bagnole sur la place du marché, puisque ta nénette crèche dans le coin.

Trouver un emplacement de stationnement n'a posé aucun problème, ladite place étant pratiquement déserte. Il n'y avait que cinq voitures, appartenant sans doute à des habitants du quartier.

Gérard arborait une mine réjouie qui faisait plaisir à voir. Il a sorti la photo de sa dulcinée et l’a montrée à chacun de nous en disant :

— Avisse à la popoulatione ! Quiconque rencontre cette créature de rêve doit lui faire savoir sans retard que son prince charmant est à sa recherche. Rompez les rangs !

Avant qu’il ne s’en aille, on lui a demandé dans combien de temps on se retrouvait.

— Allez, je me donne une heure et demie. Si d'ici là, j'ai pas déniché sa piaule, je laisse tomber. Vous allez faire quoi, vous ?

Bernard a proposé :

— On devrait pouvoir dénicher un troquet sympa dans le quartier, on va aller boire une où deux bières en t'attendant. Et rendez-vous ici à onze heures et demi.

Son idée n'a pas paru soulever l'enthousiasme. Gérard a alors demandé :

— Et pourquoi vous ne faites pas comme moi ?

— Il faut t'aider à chercher l’adresse de Simone ? s’est étonné Jean-Pierre.

— Mais non idiot, je ne vais quand même pas vous faire un dessin. Essayez de trouver une nana, quoi.

Après tout, pourquoi pas ? Bien qu’à dix heures du soir...

Finalement, nous avons décidé de partir chacun de notre côté pour tenter notre chance, et de nous retrouver à la Vedette à vingt-deux heures trente.

J’ai pris la rue Clemenceau jusqu'à la rue Cuvier, puis je suis remonté en direction de la gare. Il n'y avait vraiment pas grand monde. A l'angle de la rue des étaux, deux amoureux se bécotaient en ignorant le reste du monde. La gamine paraissait vraiment très jeune, quinze ans tout au plus. Un couple dans la cinquantaine leur a jeté en passant un regard hautement désapprobateur.

Cette illustration de la chanson de Brassens Les amoureux des bancs publics m'a fait sourire.

Quelques dizaines de mètres plus loin, quatre messieurs prenaient congé devant un restaurant dont ils venaient apparemment de sortir. Leurs pommettes congestionnées indiquaient que l'eau ne devait pas être très bonne dans l'établissement.

En haut de la rue, j’ai été littéralement agressé par un Yorkshire promené par une dame âgée. Le toutou, aussi teigneux que minuscule, est venu m'aboyer à moins de dix centimètres des godasses. J'ai tendu la main vers lui pour tenter de l'amadouer, mais il s'est mis à japper de plus belle. Sa maîtresse a tiré sur sa laisse.

— Allons, Kiki, laisse le jeune homme tranquille.

J'ai conseillé à la Mémé de mettre une muselière à son Doberman, ce qui m’a valu de me faire traiter de malappris et de goujat.

Je suis entré au Café de l’Est où il y avait foule. Le garçon débordé à qui j’ai commandé un demi m’a dit être en panne de pression.

— Je vous mets une canette ?

— Oui, mais une brune, alors.

— Vous voulez un verre ?

— Non, merci, ça ira.

Devant le juke-box, une brunette écoutait avec ravissement une chanson d'Adamo, Tombe la neige. Je me suis dirigé vers elle avec l’intention de lui expliquer que moi aussi j’aimais beaucoup les chansons du belge de Sicile et qu’en plus, elle-même correspondait pile à mon idéal féminin, mais au moment où j'allais l'aborder, un garçon est venu la rejoindre, lui passant un bras autour du cou.

Et lui correspondait pile à quelqu’un avec qui je n’aurais pas aimé entrer en conflit. Une dizaine de centimètres de plus que moi. Pas en taille, au niveau du tour de biceps...

Je me suis rabattu sur les flippers. Il y avait entre autre un Gaucho, un de mes préférés. Mais j’ai eu beau m’acharner pendant une demi-heure, je n’ai même pas réussi à claquer une partie gratuite à la loterie.

Décidément, ce n’était pas mon jour. J’ai jeté un coup d'œil à ma montre : onze heures et quart. Il était temps de regagner la voiture.

Aux abords de la place du marché, j’ai vu Jean-Pierre, arrivé avant moi, venir à ma rencontre. Il avait l'air préoccupé. Je lui en ai fait la remarque :

— T'en tires une tronche ! Le Prince Charmant n’a pas rencontré de jolie bergère ? Ils ne pourront pas se marier et avoir beaucoup d’enfants ? T’en fais pas, moi non plus. Bienvenue au club.

— Déconne pas, c’est pas ça. Il y a quelqu’un dans la Vedette.

Je ne voyais pas en quoi ça le surprenait.

— Eh alors ? Raymond est revenu avant nous, c'est tout.

— Justement, c’est pas lui.

— Ben voyons ! La bagnole est verrouillée et il est le seul à avoir les clés. Si quelqu’un est dans la voiture, c'est fatalement lui.

— C’est pas lui, je te dis, c’est une fille.

Sacré Jean-Pierre, voilà que son imagination faisait des heures supplémentaires. Et c’est qu’il avait l’air d’y croire vraiment !

J’ai souri :

— Une fille dans la Vedette ? Chouette alors ! Elle a dû apprendre que ses occupants étaient six beaux garçons en train de draguer dans le quartier et elle nous attend avec impatience.

Mais, t’as bien regardé s'il n'y avait pas une grosse peluche à côté d’elle ? Rose, en forme d’éléphant. A mon avis, tu devrais boire un café bien corsé, avec une petite goutte d’ammoniac, c’est vachement bon pour ce que tu as.

Il a haussé les épaules.

— N'importe quoi ! Je suis parfaitement à jeun. Si tu me crois pas, va voir toi-même au lieu de jouer les Saint-Thomas.

— Si ça ne te fait rien, on attend les autres. On ira tous ensemble demander à cette demoiselle pourquoi elle a jugé bon de squatter notre voiture, et surtout comment elle s’est démerdée pour entrer dans une bagnole fermée à clé. Faut qu’elle nous explique le truc, ça peut servir.

Vexé, il m'a tourné le dos sans répondre.

Justement, Bernard arrivait, en grande discussion avec Raymond. Preuve, si besoin était, que notre chauffeur ne nous attendait pas dans la Vedette. Jean-Pierre avait rêvé.

Tous deux nous avaient à peine rejoint que Gilbert arrivait de la rue des Huisselets, Nous n’attendions bientôt plus que Gérard, en écoutant les avatars de Bernard.

— Je vous jure, le sosie de Mireille Darc, mais brune. Elle était assise sur le petit muret devant le commissariat. Je l’aborde classique :

« — Vous attendez quelqu’un ? »

« — Mon père. »

« — Il est là dedans ? »

« — Oui, il ne devrait pas tarder à sortir. »

Je décide de l’entreprendre à la déconnade.

« — Il a fait quoi ? Grillé un feu rouge ou piqué les économies d’un petit vieux ? »

Elle rigole.

« — Non, Il n'est pas du genre chauffard, et quant à détrousser un vieillard, c’est pas du tout son style. »

Je me dis que son vieux avait dû être simplement emmené au poste parce qu’il avait oublié les papiers de sa bagnole, ou une connerie comme ça, mais je continue à déblatérer sur la police, pour amuser la gamine

« — Je ne voudrais pas vous faire peur, mais vous risquez de l’attendre plus longtemps que prévu. Quand les poulets vous tiennent dans leurs serres, ils ne vous lâchent pas facilement. Vous n’imaginez pas comme c’est vicieux, ces petites bêtes.

Vous allez déclarer que vous avez paumé votre carte d’identité, et ils vous cuisinent comme s’ils vous soupçonnaient d’être l’ennemi public numéro un. Y a pas plus sournois qu’un flic, à part deux flics, bien sûr. »

Pour ce qui est de l’amuser, j’avais réussi, elle se marrait comme une baleine. Je me disais que c’était bien engagé :

« — Croyez moi, on a tout le temps d’aller boire un café au troquet à côté. »

A ce moment là, je sens qu’on me tape sur l’épaule et j’entends la môme dire :

« — Bonsoir, papa. »

Je me retourne. Horreur ! Un mec en uniforme, les bras croisés, me regardait avec un sourire ironique. Bien sûr, il avait entendu tout ce que j’avais dit.

« — Alors, comme ça jeune homme, nous sommes de petites bêtes vicieuses et sournoises ?

J’ai cru que j’allais flouzer dans mon froc.

« — Vous n’avez pas perdu votre carte d'identité, j'espère, parce que je me demande si vous n'êtes pas Henri Petitcuenot dit Riton l’égorgeur, l'agresseur de vieilles dames recherché depuis six semaines. C’est fou comme vous lui ressemblez. »

Impossible d'en dégoiser une, tellement je paniquais. Évidemment, il se foutait de ma gueule. La preuve, j’ai sorti mes papiers, mais il n'y a même pas jeté un coup d’œil.

Toujours en souriant, il m’a demandé :

« — Vous pensez vraiment tout ce que vous avez dit sur la police ? »

J’ai bafouillé des excuses, comme quoi c’était juste une façon d’engager la conversation. Il a pris un air sévère.

« — En droit, ce genre de plaisanterie porte le nom d’outrage, et si nous étions vraiment ce que vous semblez croire, ça pourrait vous coûter cher. A l’avenir, gardez ce genre d’opinion pour vous, ça vaudra mieux pour tout le monde. Allez barrez-vous, et que je ne vous y reprenne pas à tourner autour de ma fille. »

Je vous jure que j’avais le palpitant en surrégime. J’ai foncé au café du Coinot où je me suis tapé deux cognacs coup sur coup, cul sec, pour me remettre. Après, je suis parti vers la gare routière. Devant, il y avait deux gamines qui discutaient. Vous n’allez pas me croire, je n’ai pas du tout essayé de les draguer. Guéri des nénettes pour la soirée ! J’ai vu de loin Raymond qui venait de la direction de la gare et je l’ai appelé pour qu’il m’attende.

Ce dernier, qui avait eu droit à la première édition, n’écoutait pas et se préoccupait de l’unité de la troupe.

— Si Gérard a trouvé sa Simone, on n’est peut-être pas près de le revoir. Je...

— On dirait qu’il ne l’a pas trouvé, a coupé Jean-Pierre. Regardez qui nous arrive.

Effectivement, nous avons vu l’intéressé qui se dirigeait vers nous, tout en se redonnant un coup de peigne.

Parvenu à quelques mètres du groupe, il a paru surpris.

— Tiens, vous êtes tous là ? Mais alors, qui est dans la Vedette ?

CHAPITRE DEUX

Elle était assise à la place du conducteur, tassée contre la portière, la tête renversée en arrière. Ses longs cheveux blonds tombaient en cascade sur le dossier de la banquette. Ses yeux grands ouverts, exorbités, semblaient fixer le capitonnage du pavillon. On a tout de suite compris qu’elle était morte. Étranglée. Les traces violacées autour de son cou ne laissaient aucun doute à ce sujet.

Le silence absolu, ça n’existe pas. Il m’était arrivé, une nuit, de tomber en panne sèche en pleine campagne, avec ma mobylette. Eh bien, je percevais tout de même mille petits bruits, audibles seulement lorsque tous les autres cessent.

Mais là, je me suis trouvé plongé dans un silence intégral, comme si le temps s’était brusquement arrêté. Je me sentais envahi par un froid glacial. Tout mon être se refusait à cette horrible réalité...

Raymond, le premier, a repris ses esprits. Il s’est précipité vers la Vedette, le regard fou, et s’est mis à secouer les poignées des quatre portières en répétant plusieurs fois d’une voix rauque :

— J’étais certain d’avoir fermé !

Effectivement, tout était verrouillé et les vitres étaient correctement remontées. Comment cette fille était-elle entrée ? Ou plutôt, comment l’avait-on fait entrer ?