La vraie vie chrétienne - Père Raymond Verley - E-Book

La vraie vie chrétienne E-Book

Père Raymond Verley

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Beschreibung

On rencontre, même parmi les catholiques fidèles, des conceptions incomplètes de la religion chrétienne. Elle est fréquemment comprise avant tout comme un corps de doctrine, un ensemble de pratiques, de principes moraux... Or, par le baptême, Notre-Seigneur Jésus-Christ élève le chrétien bien plus haut : il s'agit d'une nouvelle vie, d'une union profonde des vues, des volontés, des désirs avec ceux de Dieu, à une vie d'amitié au sens propre du terme. L'exemple de saint Dominique (vers 1170-1221), contemplatif ardent, "docteur de la Vérité", "prêcheur de la grâce", doit nous animer à redécouvrir l'essentiel : une authentique vie chrétienne de foi, d'espérance et de charité, prélude de la vie bienheureuse du ciel, une vie appelée à rayonner sur le monde à travers toute l'activité du chrétien. Ces conférences de carême ont été prêchées en l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet (Paris Ve), en mars et avril 2021.

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Seitenzahl: 185

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Frères de Notre-Dame-du-Rosaire

105 route du Rossignol

24380 ST-PAUL-DE-SERRE, FRANCE

https://dominicains-rosarium.fr

Au Père des Prêcheurs, monté au ciel il y a huit-cents ans,

qui livra aux Frères de son Ordre cet admirable testament :

« Voici, Frères très chers,

ce que je vous laisse

pour que vous le teniez comme des fils

par droit d’héritage :

Ayez la charité, gardez l’humilité,

possédez la pauvreté volontaire. »

Table des matières

La vraie vie chrétienne

La passion de la vérité

Grandeur du don de la foi

Nature de la foi

La cause efficiente de la foi

Leçons

L’ancre de l’espérance

Nature de l’espérance

Les obstacles et les appuis de l’espérance

La consommation de l’espérance

Leçons

Le feu de la charité

Un amour d’amitié

Un amour surnaturel

Leçons

Conclusion

La force de la prière

Pourquoi prier ?

Des maîtres pour prier

Les formes de la prière

Leçons

Conclusion

La pénitence salutaire

L’état de la nature humaine

L’ascèse chrétienne

Conclusion

Le rayonnement de la vie chrétienne

Nature de la charité fraternelle

Spécificité de l’amour de charité

La pratique concrète de la charité fraternelle

Conclusion

LA VRAIE VIE CHRÉTIENNE

OÙ qu’il se trouvât, maître Dominique parlait sans cesse de Dieu ou avec Dieu, et il exhortait ses frères à en agir de même. […] Quand ils voyageaient ensemble, le témoin l’a vu prier, prêcher, s’adonner à l’oraison et à la méditation de Dieu. […] Maître Dominique lui disait, ainsi qu’à ses autres compagnons : « Allez en avant et pensons à notre Sauveur ». Et il l’entendait gémir et soupirer 1.

Lorsqu’un homme réunit habituellement toutes ses pensées, toutes ses paroles sur un même objet, il est clair que là se trouve le cœur de sa vie. Saint Dominique était investi à un haut degré par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le huit-centième anniversaire de son entrée au ciel, le 6 août 1221, nous fournit l’occasion de le présenter comme un guide sûr pour raviver en nous l’idéal de la vraie vie chrétienne.

En quoi consiste essentiellement cette authentique vie chrétienne ? Il est bon de nous le demander en ce début de carême. Cette sainte quarantaine – quarantaine hautement justifiée celle-là – c’est la retraite annuelle de la chrétienté. Elle est destinée à remettre de l’ordre dans notre vie, à replacer l’essentiel à sa juste place.

Or, on rencontre fréquemment, même parmi les catholiques fidèles, des conceptions de la vie chrétienne fort incomplètes :

- Certains s’efforcent surtout d’observer les commandements, de pratiquer les vertus, en vue d’éviter l’enfer et d’obtenir la béatitude éternelle. Ils ne font pas mal, sans doute, mais c’est la religion du minimum : « Jusqu’où puis-je aller sans mettre en péril mon salut ? ». Les fidèles de l’Ancienne alliance n’en faisaient pas moins…

- D’autres envisagent la vie chrétienne essentiellement comme l’accomplissement sérieux de leurs devoirs, conformément à l’Évangile. C’est mieux. Cependant, Dieu n’est pas seulement le législateur du chrétien ; il en est le but.

- Un plus petit nombre de chrétiens fervents s’élèvent plus haut : ils servent Dieu fidèlement, humblement, avec esprit de sacrifice. Ils tâchent d’élever leur vie quotidienne à la hauteur d’un service divin. Voilà qui est beau ! Mais est-ce bien là tout l’Évangile ?

Certes, Notre-Seigneur, dans l’Évangile, a souvent loué le service de Dieu selon ces trois conceptions. Il n’est nullement mauvais en soi. Mais comment définit-il la plénitude de la vie chrétienne ?

Je ne vous appellerai plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; vous, au contraire, je vous ai appelés mes amis, car tout ce que j’ai appris du Père, je vous l’ai fait connaître (Jn 15, 15).

Voilà l’originalité de la vie chrétienne, ce qui la distingue d’un simple service. La vraie vie chrétienne résulte d’une nouvelle naissance.

Vous êtes morts, nous répétera saint Paul à Pâques, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu (Co 3, 3).

La vie chrétienne naît d’une union profonde des vues, des désirs, des volontés de l’âme avec celles de Dieu ; l’amour – un amour d’amitié authentique – devient la racine essentielle de la vie. L’âme chrétienne cherche, dans le menu de ses actions quotidiennes, à répondre adéquatement à l’amour de Dieu. Cela simplifie considérablement la vie spirituelle, selon la formule célèbre de saint Augustin : « Aime et fais ce qui te plaît ».

La vraie vie chrétienne est la vie éternelle commencée sur la terre, et qui se consommera au ciel. Elle consiste essentiellement en la connaissance surnaturelle de Dieu, connaissance mêlée de désir et d’amour : c’est la vie théologale de foi, d’espérance et de charité.

La vie éternelle, c’est qu’ils vous connaissent, vous, le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Jn 17, 3).

Puis cette vie rayonne sur le monde à travers l’activité morale du chrétien.

Que votre lumière brille devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les cieux (Mt 5, 16).

Nous envisagerons, au long de ce carême, ces différentes facettes de notre vie chrétienne, de cette vie éternelle commencée.

1 Déposition de Frère PAUL DE VENISE au procès de canonisation de Bologne, juillet 1233.

1re conférence LA PASSION DE LA VÉRITÉ

SAINT DOMINIQUE est né en Vieille Castille, à Caleruega, non loin de Burgos, vers 1171, au temps de la lutte pour la reconquête de la péninsule sur les Maures. Ce combat pour la foi et la civilisation a marqué profondément l’âme castillane, a forgé des tempéraments passionnés, prêts à engager leur vie pour l’Église et la vérité. Dominique de Guzman, issu d’une famille de petits seigneurs, connut l’austérité d’un donjon médiéval sous un climat rude – la neige l’hiver, la canicule l’été –, avant d’être confié, vers l’âge de six ans, à son oncle prêtre pour son éducation. Il poursuivit ses études aux Écoles de Palencia quand il eut quatorze ans. Très tôt, une vocation sacerdotale se dessina. Il rejoignit les chanoines réguliers réunis autour de l’évêque d’Osma et fut ordonné prêtre à vingt-cinq ans.

Ainsi, chez ce jeune homme, la foi reçue au baptême s’est-elle épanouie de façon toute droite, nourrie par les enseignements reçus de sa mère, de son oncle, de ses professeurs, sous l’action de la grâce de la prière et des sacrements. Il vivait de la foi, selon l’expression énergique de saint Paul (Ga 3, 11). Une foi d’autant plus ferme que l’Espagne du nord était confrontée au voisinage de l’Islam. Nombreux étaient les soldats réduits en esclavage, nombreux les chrétiens mozarabes qui fuyaient la cruauté des Almohades pour se réfugier en Castille.

Quelques années plus tard, en 1203, un événement marque profondément Dominique. Alors qu’il accompagne son évêque pour une mission diplomatique, au Danemark, il se trouve confronté avec l’hérésie des Albigeois, solidement implantée dans le comté de Toulouse, hérésie qui ébranlait tout l’ordre social.

Pour ces Néo-manichéens, le monde, au lieu d’être la création d’un Dieu bon, était l’œuvre et le jouet d’un être malfaisant, le dieu mauvais, qui partageait l’éternité avec le dieu bon, créateur, lui, des esprits. L’œuvre de la Rédemption n’avait été qu’un simulacre, puisqu’un être divin ne saurait souffrir dans sa chair et mourir. La grâce et les sacrements ? Une illusion. Les dogmes de la vie future étaient remplacés par la doctrine de la transmigration des âmes d’un corps dans un autre. Les âmes étaient des anges tombés dans la matière, sous la domination du dieu du mal. Le mariage, parce qu’il conduit à la procréation de nouveaux êtres corporels, ne pouvait qu’être condamnable. Ces hérétiques étaient soutenus par la noblesse locale, heureuse de s’émanciper de l’Église et de ravir ses biens temporels. Ils séduisaient aussi les simples par des apparences de vie austère et par des œuvres sociales.

En découvrant la propagation de cette lèpre, le cœur de Dominique se serre. Il se sent ému d’une profonde compassion pour ces âmes innombrables, abusées et marchant vers leur perte éternelle. Un soir, dans une auberge de Toulouse, il s’aperçoit que son hôte est cathare. Il l’oblige alors à rendre raison de sa croyance. Toute la nuit se passe en discussions brûlantes. Avec force, Dominique argumente sans défaillance ; avec amour, il persuade. L’homme ne peut résister : lorsque le jour se lève, il se rend à la lumière. Dominique, oubliant la fatigue d’une journée de voyage, n’a écouté que sa foi et sa charité pour ramener cet homme à la vérité.

Dominique s’en alla joyeux d’avoir gagné son frère, bouleversé du contact intime pris avec l’hérésie, tout animé par ce premier succès apostolique 2.

Cet épisode, décisif pour la vie entière de notre saint, doit nous faire prendre conscience à nous aussi du précieux trésor de la foi.

Grandeur du don de la foi

Pour la plupart, nous avons été baptisés peu après la naissance. Lorsque nos parents, puis nos maîtres nous ont enseigné peu à peu les vérités de la religion, notre âme les a assimilées docilement ; la lumière surnaturelle a éclairé notre intelligence, lui découvrant l’origine de l’univers et la destinée de l’homme. Cela s’est établi comme une évidence. Nous n’éprouvons guère, du moins habituellement, que cette lumière a été et demeure chaque jour un don de Dieu, et, malheureusement, la plupart n’éprouvent qu’indifférence pour ce don de la foi. Les convertis, eux, ont expérimenté combien la foi réalise vraiment une nouvelle naissance.

Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu, écrit saint Jean (1 Jn 5, 1).

Théodore Ratisbonne relate ainsi ce qu’il éprouva lors de son baptême :

Je goûtais délicieusement les effets sensibles du baptême ; ils sont ineffables. Je les comparerai volontiers aux émotions d’un aveugle-né qui verrait pour la première fois la clarté du jour. Oh ! c’était bien la vie qui me pénétrait… j’éprouvais des sentiments inexprimables de joie, de liberté, de dignité, de reconnaissance ; il me semblait que toute la nature me souriait, et qu’une lumière nouvelle éclairait le monde ; je voyais toutes choses sous un autre point de vue 3.

Et voici le témoignage de Jean-Marie Élie Setbon, un rabbin converti dans les années 2000 :

La première conséquence de cette illumination est un changement total de repères. Avant, j’avais le désir du Christ. Maintenant, j’ai une foi aimante en la personne même de Jésus. Avant, mes références étaient la Bible, le Talmud et les maîtres que j’ai eus au cours de ma formation rabbinique. […] Subitement, le Christ est devenu la référence, le fondement, la source de tout. Aucun théologien ne peut convaincre quelqu’un de renoncer à sa façon de voir le monde, à ce qu’il pense, à ses valeurs. Il n’y a que la grâce 4.

Oui, la clarté surnaturelle de la foi, reçue au baptême, continuée à chaque instant par l’action de la grâce divine, a la vertu d’élever incomparablement notre intelligence, de rectifier son regard sur Dieu et sur le monde, mais encore de purifier l’âme de l’orgueil ! Car l’adhésion de la foi suppose la défiance de soi, la confiance en Dieu, le renoncement à ses idées propres.

Nature de la foi
Le processus de la foi

Mais qu’est-ce que la foi au juste ? C’est une vertu surnaturelle, greffée par Dieu sur notre intelligence, qui a pour effet de la faire assentir, adhérer, à des vérités qui lui sont inaccessibles avec les seules forces de sa nature. Saint Paul la définit : Argumentum non apparentium, une conviction des réalités qu’on ne voit pas. Et saint Jean Chrysostome :

La foi est une vue de ce qui est caché, et elle nous donne sur l’invisible la même certitude que celle que nous avons pour les choses qui sont sous nos yeux. Ce dont la réalité ne paraît point encore, la foi nous en donne la substance, ou plutôt, elle l’est elle-même 5.

La foi élargit ainsi incroyablement les horizons de l’homme, lui donne accès à la plus grande réalité, Dieu Trinité, le sort de l’illusion qui tend à réduire le réel au seul univers corporel. Et cependant, cette connaissance, bien que très ferme, plus ferme même que la science humaine, reste obscure : « Nous voyons dans un miroir, d’une manière obscure », écrit saint Paul (1 Co 13, 12).

C’est assez mystérieux ! Sous l’influx de la grâce, l’intelligence humaine souscrit, non au jugement de sa lumière naturelle, non à ce qui peut lui apparaître de la vérité intrinsèque des vérités de la foi, mais elle se fie à l’autorité de Dieu, et adhère à tout ce qu’il révèle par Notre-Seigneur Jésus-Christ. La connaissance procurée par la foi est intimement liée à cette activité de la volonté, qui pousse l’intelligence à croire.

Le premier concile du Vatican en 1870, explique :

Pour que l’hommage de notre foi soit conforme à la raison (Rm 12, 1), Dieu a voulu que les secours intérieurs du Saint-Esprit soient accompagnés de preuves extérieures de sa Révélation, à savoir des faits divins et surtout les miracles et les prophéties qui, en montrant de manière impressionnante la toute-puissance de Dieu et sa science sans borne, sont des signes très certains de la Révélation divine, adaptés à l’intelligence de tous 6.

L’adhésion apparaissant donc raisonnable, la volonté meut l’intelligence à croire. Nous trouvons ainsi en présence : l’influx de la grâce, la libre obéissance de la volonté qui acquiesce et coopère à cette grâce, et l’adhésion de l’intelligence. La foi est, certes, un don de Dieu, mais l’acte de foi est aussi une œuvre salutaire et méritoire, parce qu’il est volontaire.

Il y a encore davantage. Le chrétien ne se contente pas de recevoir ce qui serait un corps de doctrine abstrait, il se livre à quelqu’un ! C’est le sens des premiers mots du Symbole des Apôtres : « Credo in Deum, je crois en Dieu ». Cette expression traduit bien la part de confiance et d’abandon qu’il y a éminemment dans la foi en Dieu. Le chrétien reconnaît le Dieu trinitaire comme la fin ultime de son existence et se soumet à ce Maître intérieur.

Croire, ce n’est pas seulement donner son esprit à la vérité, c’est livrer toute son âme et tout son être à celui qui parle et qui est la Vérité. Croire, c’est vivre, et cette vie est la vie même, écrit le chartreux Dom Augustin Guillerand 7.

Une vie

La foi n’est pas seulement une adhésion de l’intelligence. Elle nous fait entrer dans la vie éternelle. Le rite du baptême l’affirme avec concision dans le bref dialogue par lequel commence la cérémonie. Mgr Lefebvre aimait à commenter ce passage :

La première fois que nous avons pris contact avec l’Église, le prêtre a demandé : « Qu’est-ce que vous demandez à l’Église de Dieu ? » Qu’est-ce que vous voulez, qu’est-ce que vous venez faire ici ? Et nos parrains et marraines ont répondu pour nous : « Nous demandons la foi. Fidem. » Et le prêtre continue : Pourquoi demandez-vous la foi ? « Que vous procure la foi ? – La vie éternelle, vitam æternam… » C’est merveilleux… Dans ces deux questions qui paraissent insignifiantes, qui sont prononcées en un instant, c’est merveilleux… C’est tout le programme de notre vie, de notre vie ici-bas et de notre vie dans l’éternité. Vivre de la foi, nous demandons la foi… pourquoi ?… parce que c’est le chemin de la vie éternelle 8.

Au ciel, la béatitude consiste essentiellement à connaître Dieu face à face, sans intermédiaire et avec évidence. L’amour béatifique accompagne bien sûr cette connaissance. Ici-bas, la foi est déjà un commencement du ciel, parce que nous commençons à connaître Dieu tel qu’il est, même si c’est sans évidence.

Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; mais celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie ; mais la colère de Dieu demeure sur lui (Jn 3, 36).

La raison humaine, créée par Dieu, éprouve un besoin inné de vérité, de La Vérité. C’est sa vie ! Dom Guillerand écrit :

La foi unit une âme à l’âme qui lui parle. Le Credo est déjà une communion.

La vie est un rapport intime entre deux êtres qui les fait passer l’un dans l’autre. L’être supérieur communique à l’autre la vie supérieure. Quand je mets mon corps en relation avec l’air ou les aliments matériels, je fais vivre mon corps. Quand je mets mon intelligence en contact avec des pensées, je nourris mon intelligence et je développe sa vie. Quand je mets mon âme en contact avec votre âme, Seigneur, votre âme devient mon aliment divin, elle me communique sa propre vie et je possède vraiment la vie éternelle : « Credo ! »9

Ce besoin a été diminué par le péché originel et ses suites. La foi le restaure et l’affermit. L’âme chrétienne est douée

[d’]une inclination très puissante pour les vérités de la foi, et [d’]un besoin très pressant de les recevoir pour se les assimiler, s’en nourrir, et passer, dans la foi, de [la vertu] à l’acte 10.

On pourrait comparer l’enseignement de l’Église pour le chrétien au sein de la mère pour le nouveau-né. Il en a besoin, il le réclame. S’il ne le trouve pas, s’il lui est refusé, c’est la mort.

Les jeunes enfants auxquels leurs parents ou les prêtres exposent les mystères manifestent cet appétit. Rappelez-vous, par exemple, ce que Sœur Lucie raconte de sa petite cousine Jacinthe Marto, les questions qu’elle posait sur l’éternité, l’au-delà et l’enfer. De même la jeune Thérèse Martin se cachait dans les plis des rideaux de son lit pour « penser », comme elle disait.

Si ce goût pour la doctrine, si cet éveil de l’intelligence manquent, il y a lieu de s’interroger sur l’état de notre vertu de foi. N’est-elle pas endormie, anémiée, faute d’en avoir exercé les actes ? Est-ce que la foi est pour nous une VIE, est-ce qu’elle change notre vie ou bien est-elle seulement un ensemble de vérités qui dorment dans l’armoire de notre savoir ?

Chez saint Dominique, la faim et la soif de la vérité le portaient à l’étude dès son adolescence. Un témoin rapporte :

Il exhortait les frères de l’Ordre à étudier sans relâche le Nouveau et l’Ancien Testament. […] Il portait toujours sur lui l’Évangile de saint Matthieu et les épîtres de saint Paul, et les étudiait beaucoup, jusqu’à les savoir presque entièrement par cœur 11.

Dès la fondation de la première communauté à Toulouse en 1215, il conduisait ses six premiers frères au cours de théologie de Maître Stavensby. Et il a voulu que l’étude remplaçât dans son Ordre le travail manuel, en dépit de la tradition antérieure des moines et même des chanoines réguliers.

La foi se distingue du sentiment religieux

Un danger menace celui dont la foi est endormie. La vie de foi, si elle ne se développe, risque fort de disparaître et de se transformer insensiblement en pur sentiment. C’est souvent le cas aujourd’hui, sous la pression de l’athéisme social, de l’indifférentisme religieux, du rationalisme ambiants des médias et des institutions d’enseignement.

Le père Emmanuel André au début du XXe siècle mettait en garde contre une équivoque :

Quand le manque d’instruction chrétienne, ou quand une éducation systématiquement impie a fait perdre à un chrétien le don de la foi qu’il avait reçu à son baptême, il y reste ordinairement une certaine ressemblance de foi, qui nous peut tromper et amuser vainement. […] C’est une foi en image, ou si vous voulez, en imagination ; c’est ce qu’on appelle, dans une certaine langue, des sentiments religieux. […] Un fonds de bienveillance plus ou moins vivement senti de l’homme pour Dieu ; une sorte de politesse, de bon ton, de bon goût de l’homme vis-à-vis de Dieu : oui, tout ce que l’on voudra dans ce genre qui oblige peu, qui ne gêne point, qui s’accommode à tout, se prête à tout, ne compromet rien : c’est là, le plus souvent, ce qu’on entend par des sentiments religieux, mais ce n’est pas là la foi 12.

Le sentiment religieux, qui est un mouvement subjectif purement naturel, suite naturelle de notre qualité de créatures, peut s’accommoder de toutes les religions, voire de la franc-maçonnerie. La « foi », dans l’hérésie moderniste condamnée par le pape saint Pie X, et dont les métastases ont aujourd’hui atteint toute l’Église, n’est rien d’autre que ce sentiment religieux à teinte chrétienne. Comment ne pas reconnaître dans les lignes du père Emmanuel une description de l’état de nombreux chrétiens, qui pensent avoir la foi, sans pourtant s’attacher à un credo bien défini ? Ils se guident plutôt d’après leur sentiment propre que d’après les enseignements de l’Église. Ils fréquentent peut-être leur paroisse, accomplissent certains actes de la vie chrétienne avec une ressemblance de la foi, avec des sentiments religieux, mais non avec la foi. Or le sentiment naturel est radicalement impuissant contre le péché, incapable de justifier l’homme, de le sanctifier. Il serait encore bien davantage incapable d’affermir l’homme jusqu’au martyre. Les premiers chrétiens avaient bien la foi, et non un simple sentiment religieux !

La cause efficiente de la foi

Mais alors, comment notre foi va-t-elle se développer, croître, s’affermir ? Que pouvons-nous faire, que devons-nous faire pour augmenter notre foi ?

Deux éléments sont nécessaires pour croire, nous explique saint Thomas d’Aquin 13. D’une part que les vérités de la foi nous soient enseignées, de façon à croire d’une manière explicite ; d’autre part, que nous y donnions notre assentiment.

L’enseignement de la foi

En effet, s’exclame saint Paul :

Comment croira-t-on en celui dont on n’a pas entendu parler ? […] La foi vient de la prédication entendue – Fides ex auditu (Ro 10, 14, 17).

Car les vérités de foi dépassent la raison humaine, explique saint Thomas d’Aquin. Aussi ne sont-elles pas connues par l’homme si Dieu ne les révèle (II-II, 6, 1).

Et Notre-Seigneur les transmet par l’Église et ses représentants. C’est le premier élément : pour avoir la foi et pour grandir dans la foi, il importe de recevoir l’enseignement qui a été commis à l’Église, et à elle seule. Non seulement de le recevoir dans son enfance, mais encore de continuer à l’étudier, à l’approfondir. N’est-il pas malheureusement fort courant de rencontrer des chrétiens, très cultivés en matière profane, très savants dans l’une ou l’autre des sciences, mais qui en restent à un niveau de connaissance médiocre, élémentaire, en matière de foi. Or, saint Augustin affirme : « La foi est engendrée, nourrie, défendue, et fortifiée en nous par la science14. »